Infections nosocomiales et responsabilité

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INFECTIONS NOSOCOMIALES ET RESPONSABILITE
G. Decroix. Le Sou Médical, 130 rue du Faubourg Saint Denis, 75466 Paris cedex 10.
INTRODUCTION
L’anesthésiste et surtout le réanimateur sont concernés par le problème des infections nosocomiales car, outre leur implication dans le fonctionnement général des
services, leur responsabilité personnelle peut être recherchée en tant que praticien auteur
d’actes pouvant être contaminants. Par trois arrêts du 29 juin 1999, la Première Chambre Civile de la Cour de Cassation a fait évoluer la jurisprudence en étendant de manière
considérable les obligations des praticiens puisqu’elle a fait peser sur les trois opérateurs poursuivis une véritable obligation de sécurité-résultat.
Il s’agit de la nouveauté jurisprudentielle la plus inquiétante pour les médecins
depuis celle sur l’obligation d’information en raison du principe semble-t-il catégorique qui a été posé, du nombre très élevé d’infections contractées dans les établissements
français et de l’importance des dommages occasionnés.
Nous devons rechercher ce qui a exactement changé et tenter de déterminer quelles
pourraient être les premières conséquences de ces nouvelles jurisprudences. Il s’agit
d’une évolution progressive avec un coup de théâtre final et il convient de la reprendre
sommairement.
1. EVOLUTION ANTERIEURE A 1999
Initialement, les complications infectieuses étaient traitées de la même manière que
tous les autres accidents médicaux et les procédures suivaient les mêmes règles de
droit. Les victimes devaient donc prouver la (ou les) faute(s) ayant occasionné cette
infection, le lien de causalité directe actuel et certain entre une faute et la contamination
et entre la contamination et dommage dont elles demandaient réparation. Elles étaient
souvent confrontées à d’importantes difficultés rendant leur action aléatoire. Tout
d’abord, il était fréquent que le germe ne soit pas identifié, faute de prélèvement ou car
les investigations ou analyses mises en œuvre étaient insuffisantes eu égard au germe
ou à la bactérie concerné parfois difficile à identifier.
En conséquence, l’issue de l’action dépendait de la diligence des médecins dans la
recherche des germes incriminés si bien que moins les praticiens agissaient en professionnels consciencieux dans la recherche et la détermination des risques, moins ils
risquaient d’être condamnés.
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Même si le germe était identifié, la victime devait prouver que la contamination
provenait d’une faute, ce qui était quasiment impossible. En effet, le demandeur devait,
pour cela, se procurer les protocoles d’asepsie du service dans lequel il avait été hospitalisé, prouver alors que : soit ils étaient insuffisants, soit qu’ils n’avaient pas été respectés
ce jour là, notamment par l’étude du cahier de bloc, de la feuille d’écologie, des bons de
commande, des certificats de maintenance du matériel…
Mais ce n’était pas tout car une fois la preuve de cette faute d’asepsie rapportée, la
victime devait être en mesure d’établir que c’est bien cette faute-là qui est à l’origine de
sa contamination, face au défendeur qui plaidait que bien d’autres causes de contamination étaient possibles et que la stérilité absolue d’un bout à l’autre de la chaîne de
soins est impossible. Finalement peu de personnes se lançaient dans ce véritable parcours du combattant et bien moins encore obtenaient l’indemnisation sollicitée.
Il est vrai néanmoins que certaines juridictions ont été compréhensives face aux
victimes démunies et ont admis l’existence d’une faute et d’un lien de causalité sur la
base d’éléments très faibles, voire erronés. Mais ces jurisprudences favorables aux victimes restaient très minoritaires. Il a fallu l’intervention des hautes juridictions civiles
et administratives pour améliorer, par touches successives, le sort des patients contaminés. Ceci a permis la construction d’un système juridique d’indemnisation, parachevé,
en matière civile, par les trois arrêts du 29 juin 1999, qui ont probablement été trop loin
pour les professionnels de santé. Si l’objectif poursuivi est légitime, il faut néanmoins
tenir compte des impératifs de toutes les parties et ne pas arriver à un système qui soit
intolérable pour l’une d’entre elles ; nous aurons l’occasion de le détailler ultérieurement.
Les deux ordres de juridiction ont suivi des évolutions parallèles mais décalées
dans le temps, chacun semblant vouloir la première place dans cette course à la modernité. Mais n’oublions pas que, bien que l’objectif commun soit dans les deux cas
indemnitaire, il s’agit en matière administrative de la responsabilité des établissements
publics d’hospitalisation alors qu’en matière civile, outre la responsabilité des établissements privés, c’est celle des praticiens eux-mêmes qui peut être retenue. Dans les
deux cas l’impact économique et psychologie est totalement différent, cet élément semblant avoir été pris en compte jusqu’en juin 1999.
1.1. HOPITAUX PUBLICS : L’ARRET «COHEN»
C’est le Conseil d’Etat qui le premier est intervenu en faveur des victimes d’infections nosocomiales par l’Arrêt «Cohen» du 9 décembre 1988 inaugurant le principe de
la responsabilité pour faute présumée des hôpitaux publics en cas de dommage dû à une
infection nosocomiale. Ce fut un grand pas vers l’indemnisation qui fut ainsi franchi
puisque les victimes furent alors dispensées de la preuve de la faute et n’avaient plus
qu’à démontrer le caractère nosocomial de l’infection dont elles demandaient réparation. Ceci n’était d’ailleurs pas toujours aisé tant la définition de l’infection nosocomiale
était (et est encore) sujette à controverse. Une définition a été donnée par une circulaire
du ministère de la Solidarité, de la santé et de la Protection sociale (DGS) n°88-236 du
13 octobre 1988 relative à l’organisation de la surveillance et de la prévention des
infections nosocomiales : «on entend par infection nosocomiale :
• Toute maladie provoquée par des micro-organismes.
• Toute maladie contractée dans un établissement de soins par tout patient après son
admission soit en hospitalisation, soit pour y recevoir des soins ambulatoires.
• Que les symptômes apparaissent lors du séjour à l’hôpital ou après.
• Que l’infection soir reconnaissable au plan clinique ou microbiologique, données
sérologiques comprises, ou encore les deux à la fois».
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Le Conseil Supérieur d’Hygiène Publique de France a, en 1992, donné une définition très large et simple des infections nosocomiales comme étant celles qui étaient
absentes à l’admission à l’hôpital.
Enfin sur le site du ministère de la Santé nous trouvons la définition suivante : «les
infections nosocomiales sont des infections acquises dans un établissement de soins.
Une infection est considérée comme telle lorsqu’elle était absente à l’admission. Lorsque l’état infectieux du patient est inconnu, l’infection est classiquement considérée
comme nosocomiale si elle apparaît après un délai de 48 heures d’hospitalisation».
Même si les critères varient, ils ont tous pour objet de démontrer que l’infection a
été contractée au sein de la structure de soins (bloc opératoire, service de réanimation,
mais aussi secteur ambulatoire ou cabinet du praticien), peu importe que ce soit au
cours de gestes techniques (médicaux ou infirmiers) ou du seul fait de sa présence dans
la structure. Pour apporter la preuve du caractère nosocomial, la victime va donc pouvoir utiliser les critères contenus dans ces différentes définitions (absence de signes
cliniques ou biologiques d’infection à l’admission, premiers signes après 48 heures
d’hospitalisation, nature hospitalière du germe retrouvé…).
L’examen de la jurisprudence montre que peu de patients sont déboutés de leur
action du fait de l’absence de démonstration du caractère nosocomial de l’infection
qu’ils ont subi, les magistrats ayant une vision assez souple des critères et utilisant
parfois la preuve par «faisceau d’indices».
Dans cette affaire jugée par le Conseil d’Etat le 9 décembre 1988, il faut noter que
la haute juridiction administrative n’avait pas suivi les conclusions du Commissaire du
Gouvernement qui avait considéré qu’aucune faute ne pouvait être retrouvée car aucun
acte médical n’était à l’origine du dommage si bien que seule les conditions d’asepsie
étaient en cause. Il avait ainsi conclu : «les précautions rigoureuses d’asepsie doivent
certes être observées en milieu hospitalier, mais il n’est pas pour autant possible d’exiger des hôpitaux une asepsie parfaite, qui n’est d’ailleurs pas réalisable». Cette position
exigeante sur les méthodes d’asepsie à mettre en œuvre et réaliste face à leurs limites
n’a malheureusement pas su contrebalancer la volonté indemnitaire des magistrats. Même
si elle est présumée, c’est bien la faute qui est la condition de la responsabilité des
hôpitaux pour les infections nosocomiales et les juridictions administratives peuvent
alors tenir compte des circonstances de la contamination (urgence ou acte programmé,
âge et état général du patient, nature de la pathologie traitée, activité du service concerné…) pour déterminer son caractère plus ou moins prévisible eu égard aux mesures
de prévention utilisées.
Les décisions ultérieures du Conseil d’Etat ont utilisé la notion de faute prouvée
dégagée par l’Arrêt Cohen. Par exemple, dans son arrêt du 14 juin 1991 il a considéré
que l’introduction d’un germe microbien dans l’organisme lors d’une intervention chirurgicale révèle une faute dans l’organisation ou le fonctionnement du service hospitalier
et, dans son arrêt du 3 février 1992, pour une infection à staphylocoques dorés après
arthrographie a estimé que même si les médecins ont pris les précautions recommandées et si l’aiguille et la seringue étaient à usage unique, le fait qu’une telle infection ait
pu se produire montre une faute dans l’organisation et le fonctionnement du service.
Le pas entre la responsabilité pour faute présumée et la responsabilité sans faute est
presque franchi avec ce type de raisonnement qui déduit du dommage l’existence
d’une faute.
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1.2. DANS LE SECTEUR PRIVE
Pour les actes réalisés dans des établissements privés, la jurisprudence civile a évolué d’une manière parallèle, à une allure différente mais avec un objectif commun :
faciliter l’indemnisation des victimes d’infections nosocomiales. Le régime de la responsabilité était initialement, comme en matière administrative, celui de la faute prouvée,
mais dès 1984 (cass. 1e civ. 28 février 1984) la Cour de Cassation a fait peser une forte
exigence d’asepsie sur les praticiens et les établissements. En l’espèce il s’agissait d’un
phlegmon pyogazeux sans lésion cutanée dans les suites de ponctions pour traiter un
hématome du quadriceps. La Cour de Cassation a considéré que «le médecin a manqué
à son obligation de moyens concernant le respect des méthodes d’asepsie moderne
qu’il devait à son patient (…), les notions en cause étant depuis longtemps classiques,
les juges du second degré n’étaient pas tenus de rappeler que la technique, dont il
s’agit, se rattache à une opération consacrée, ni qu’elle faisait partie des données de la
science au moment de l’intervention». La Cour Suprême avait ici considéré (comme
plus tard dans son arrêt du 29 novembre 1989) qu’à partir du moment où il existait des
moyens d’asepsie plus efficaces que ceux mis en œuvre, la responsabilité devait être
retenue. Mais il était bien souvent impossible d’identifier les techniques d’asepsie réellement utilisées, si bien que les victimes étaient dans l’impossibilité de prouver qu’une
obligation de moyens n’avait pas été respectée.
C’est par un arrêt du 21 mai 1996 que la 1echambre civile de la Cour de Cassation
(soit 8 ans plus tard) a mis en place une jurisprudence comparable à l’Arrêt de Cohen.
Dans cette affaire, la victime avait été atteinte d’une infection suite à une intervention
chirurgicale destinée à traiter une hyperlaxité ligamentaire, infection qu’elle imputait à
la clinique qui n’aurait pas respecté son obligation de stérilisation des appareils et d’aseptisation de la salle d’opération. Déboutée par la Cour d’Appel, elle saisit la Cour de
Cassation, arguant d’un défaut de base légale. Cette dernière a subtilement utilisé cette
procédure pour poser un nouveau principe tout en ne l’appliquant pas immédiatement
pour ne pas se voir reprocher un revirement jurisprudence trop brutal. C’est ainsi qu’elle a considéré «qu’une clinique est présumée responsable d’une infection contractée
par un patient lors d’une intervention pratiquée dans une salle d’opération, à moins de
prouver l’absence de faute de sa part» mais n’a pas fait droit à la demande de la victime
en reprenant les constatations des juges du fond sur le caractère adapté de l’appareil au
formol utilisé et sur le fait que l’utilisation d’un flux laminaire n’était pas obligatoire à
l’époque des faits. Elle a ainsi confirmé que la clinique n’avait pas commis de faute
dans l’aseptisation de la salle d’opération ce qui l’exonérait de la toute nouvelle présomption de responsabilité pesant sur elle. Notons que la Cour de Cassation a ainsi mis
en place une présomption de responsabilité (et non une faute présumée) pesant exclusivement sur les établissements privés non-irréfragables car la preuve contraire,
exonératoire de responsabilité, peut être apportée par tout moyen.
Ce système a été confirmé et complété par l’Arrêt du 16 juin 1998 par lequel la
première chambre civile a eu à statuer sur une infection à streptocoques bêta-hémolytique du groupe A, contractée par une parturiente lors de son accouchement ; l’expertise
avait conclu à une contamination due à une infection au même germe dont était atteinte
la sphère ORL d’un membre du personnel présent dans la salle d’accouchement. La
Cour de Cassation a repris la présomption de responsabilité pesant sur la clinique en
considérant qu’une salle d’accouchement pouvait être assimilée à une salle d’intervention et que du fait de la présence auprès de la parturiente d’un personnel contaminant, la
clinique n’était pas en mesure de prouver qu’elle n’avait commis aucune faute.
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Ceci était l’état de la jurisprudence civile jusqu’en 1999, la victime n’ayant qu’à
prouver la relation de causalité entre l’infection et l’hospitalisation pour mettre en œuvre la présomption de responsabilité.
2. LES APPORTS DES TROIS ARRETS DU 29 JUIN 1999
Le système ainsi mis en place, pourtant très favorable aux victimes, ne devait pas
être satisfaisant puisque la première Chambre Civile de la Cour de Cassation a cru
devoir le dépasser en modifiant le régime de la responsabilité et en étendant la liste des
civilement responsables. La Cour Suprême a, le même jour regroupé trois affaires d’infection nosocomiale, avec des conclusions communes du conseiller rapporteur,
M. Sargos, ce qui montre l’importance accordée aux nouveaux principes posés par
cette juridiction.
Il s’agit de trois dossiers différents dont il convient de décrire brièvement les faits.
2.1. AFFAIRE N° 1
Dans le premier (affaire n° 1) le patient (57 ans), artisan, en raison de douleurs des
genoux devenues invalidantes, subit en 1987 une arthroscopie des genoux, qui mettra
en évidence à droite, une arthrose fémoro-tibiale et à gauche une arthrose tricompartimentale. Le 11 janvier 1988, le chirurgien orthopédiste réalisera une ostéotomie du
genou droit et le 29 janvier, il mis en place une prothèse totale du genou du côté gauche.
Huit jours plus tard apparut une forte inflammation avec écoulement de la plaie du côté
gauche due à l’introduction de staphylocoques dorés lors de l’intervention. Pour parer
aux importantes conséquences de cette infection, il a fallu réaliser six nouvelles interventions chirurgicales avec une prothèse du genou le 27 juin 1990 et une antibiothérapie
maintenue jusqu’au 1er octobre 1990. L’expert judiciaire conclura qu’il s’agit d’une
infection nosocomiale mais qu’aucune faute d’asepsie de la salle d’opération ou du
matériel ne pouvait être retrouvée. Les séquelles sont importantes : ITT 3 ans, IPP 22 %,
inaptitude à sa profession. Sur le fond, le TGI n’a retenu aucune faute ayant provoqué
l’infection à la charge de la clinique et de l’opérateur, mais a considéré que ce dernier
n’avait pas respecté son obligation d’information sur un risque dont la fréquence n’était
pas négligeable. Il a condamné l’opérateur à verser 100 000 F de dommages et intérêts
en réparation de la perte de chance due au défaut d’information et a débouté la CPAM
qui réclamait la prise en charge de son importante créance. La Cour d’Appel a adopté la
même solution en réduisant à 70 000 F la réparation accordée. C’est la CPAM, à nouveau déboutée, qui a déposé un pourvoi en Cassation, suivie ensuite par la victime et
l’opérateur.
2.2. AFFAIRE N° 2
Le deuxième dossier (affaire n° 2) concerne également un problème du genou, mais
cette fois-ci dû à un accident de rugby chez un homme de 30 ans. Le 19 septembre
1989, il a subi une reconstitution du ligament rompu du genou droit qui n’a pas donné
satisfaction, si bien qu’une arthroscopie a été réalisée par le même opérateur dans le
même établissement deux mois plus tard. Quarante-huit heures après, une infection à
staphylocoques dorés se déclare, en rapport avec l’introduction de l’arthroscope dans
le genou. Le patient a mis en œuvre une procédure civile qui a abouti à la condamnation
in solidum de la clinique par le TGI (24/11/1995) qui sera confirmée par la Cour
d’Appel (27 mars 1997). C’est l’opérateur (ou plutôt son assureur) qui régularise le
pourvoi principal arguant qu’il n’est tenu en la matière que d’une obligation de moyens,
qu’aucune faute n’a été relevée à son encontre et que c’est à tort que la Cour d’Appel
lui a appliqué une véritable obligation de résultat. Plus exactement, le TGI avait motivé
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sa condamnation autour du fait qu’un germe du même type était apparu chez un autre
patient opéré également du genou dans le même établissement et dans des délais proches et que ni le médecin, ni la clinique, n’apportaient la preuve des mesures
prophylactiques effectivement mises en œuvre, surtout que le compte-rendu opératoire
avait disparu. La Cour d’Appel a motivé sa propre décision autour de l’absence de
preuve par le médecin du respect de son obligation de moyens qui impliquait l’utilisation des moyens d’asepsie en son pouvoir, qui devait être renforcé après la découverte
de l’infection précédente et par la clinique de la fourniture au praticien de locaux et de
matériel parfaitement stériles.
2.3. AFFAIRE N° 3
Le dernier dossier (affaire n° 3) est relatif à une arthrographie du genou droit réalisée le 22 octobre 1987 dans un cabinet de radiologie situé dans l’enceinte d’une clinique.
Quatre jours plus tard, une arthrite septique à staphylocoques dorés se déclare impliquant la réalisation de plusieurs interventions chirurgicales et laissant d’importantes
séquelles : 6 mois d’ITT et 15 % d’IPP. L’origine nosocomiale de l’infection a été établie par expertise, et la victime a saisi au fond le TGI. Celui-ci, par jugement du 18 mai
1994, a mis hors de cause la clinique au motif qu’elle avait seulement loué des locaux
au cabinet de radiologie qui agissait en toute autonomie concernant son matériel, son
personnel et son hygiène. Il a également écarté la responsabilité du praticien en constatant qu’aucune faute n’a été prouvée par la victime. C’est sur cette question de preuve
qu’a insisté la Cour d’Appel (18/9/1997) pour confirmer la mise hors de cause de la
clinique et l’absence de responsabilité du radiologue.
2.4. UNIFORMISER LA JURISPRUDENCE
Dans ces trois affaires d’infections, le caractère nosocomial n’est pas discuté devant la Cour de Cassation, ces infections ayant toutes causé des préjudices importants,
situés sur les membres inférieurs, contractées en établissements privés et faisant l’objet
de procédures civiles.
La situation procédurale est différente puisque dans un cas (affaire n° 3) la victime
a été totalement déboutée par la Cour d’Appel, dans un autre (affaire n° 1) elle a été
partiellement indemnisée sur la base d’une perte de chance et dans le dernier (affaire
n° 2) elle a été totalement indemnisée sur la base d’une obligation de résultat. Devant
cette différence de position des juridictions du second degré, la Cour de Cassation a
regroupé les trois dossiers pour uniformiser la jurisprudence, ce qui entre parfaitement
dans ses missions.
Les trois pourvois définissaient parfaitement le cadre des réflexions, qui devaient
être menées et, au-delà, les enjeux de la position à prendre. Dans la première affaire, la
CPAM prétend qu’une clinique doit être présumée responsable d’une infection contractée lors d’une intervention chirurgicale réalisée dans ses locaux, sauf à elle de
démontrer l’origine étrangère de l’infection (= obligation de sécurité de résultat), dans
la deuxième affaire, le chirurgien affirme que la charge de la preuve incombe au patient, et dans la troisième, la victime soutient que le praticien doit être présumé
responsable de l’infection.
Au terme de son rapport commun, le conseiller Sargos pose la question fondamentale suivante : «faut-il aller en matière d’infection nosocomiale vers une obligation de
sécurité de résultat ?» Dans son analyse, il examine les effets de la situation actuelle et
d’une éventuelle évolution de la jurisprudence tout d’abord pour les cliniques puis pour
les médecins.
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2.4.1. CRITIQUE DE LA JURISPRUDENCE EN COURS
Pour la jurisprudence en cours, il indique : «Certes, le patient n’aura pas à prouver
la faute de l’établissement de santé, mais dans la réalité la preuve la plus difficile... et
qui ne peut que rester à la charge de la victime... est celle de l’origine de l’infection,
même si elle est facilitée par la très large définition de l’infection nosocomiale et par
l’évolution des techniques biomédicales qui permettent de plus en plus la traçabilité
des germes infectieux. Et la démonstration par l’établissement de santé de son absence
de faute est en définitive fort simple à apporter, d’autant que les mesures d’asepsie sont
de plus en plus réglementées (art.L711-1 CSP) et qu’il suffira dans la majorité des cas
à cet établissement d’établir qu’il les a bien observées». En d’autres termes, il est
indiqué que comme les patients risquent d’avoir un peu de mal à apporter le peu de
preuves pesant encore sur eux et que les établissements risquent d’échapper à leur responsabilité, il faut changer le système ! Le rapporteur continue en suggérant l’abandon
de la limitation issue de la jurisprudence de 1996 et 1998 aux seules infections contractées au bloc opératoire ou en salle d’accouchement qui serait devenue sans intérêt avec
l’adoption d’une définition large de l’infection nosocomiale.
L’aspect économique est abordé puisqu’il s’agit d’un argument des assureurs d’établissements mais le rapporteur fait remarquer que la jurisprudence Cohen pour l’hôpital
public a plus de 10 ans et n’a pas occasionné la majoration importante des recours telle
qu’initialement prévue. Il a même été trouvé un effet positif dans l’incitation par un des
assureurs d’hôpitaux à optimiser la politique de lutte contre les infections nosocomiales en contrepartie d’une réduction des primes. Cet amalgame public-privé sur la question
économique ne correspond pas à la réalité sur le financement des budgets de fonctionnement ni à la responsabilité pécuniaire personnelle des praticiens exerçant à titre libéral.
2.4.2. LES RESPONSABILITES DES MEDECINS
C’est au cas des médecins que le conseiller Sargos a consacré la deuxième partie de
ses développements, pour remarquer tout d’abord qu’il conviendrait de faire peser sur
les praticiens la charge de la preuve de la mise en œuvre des moyens de préventions
conformes aux données de la science, et qui sont d’ailleurs aujourd’hui largement réglementés. A ce propos, il indique : «En effet, même si les obligations légales de lutte
contre les infections nosocomiales pèsent à titre principal sur les entités que sont les
établissements de santé, il n’en demeure pas moins que le devoir d’asepsie est, comme
on l’a vu, une obligation fondamentale des médecins et que le principe tout aussi fondamental de leur indépendance professionnelle inaliénable ne leur permet pas de
s’abriter derrière l’action ou l’inaction de l’établissement de santé où ils exercent pour
prétendre être exonérés de leur propre responsabilité (mais ils auraient évidemment un
recours en garantie contre cet établissement) ». En somme, personne ne doit échapper
aux mailles du filet, chacun étant responsable de ses pouvoirs. Cette responsabilité
collective pour l’environnement du patient n’est pas en soi une nouveauté, mais il est
demandé à ce qu’elle soit développée à l’extrême. Sur la nature de l’obligation des
praticiens, le rapporteur suggère d’adopter une obligation de sécurité de résultat pour,
soi-disant, plus de cohérence dans le système. Nous ne voyons pas en quoi la coexistence entre deux types d’obligations serait incohérente si les rôles de chacun sont
différents, ceci étant admis dans bien d’autres domaines et par exemple pour la transfusion sanguine où les ETS ont une véritable obligation de résultat alors que les praticiens
conservent une simple obligation de moyens. Enfin, concernant le coût, pour les médecins, d’une telle évolution jurisprudentielle nous pouvons le lire dans ce rapport : «Il
reste évident cependant, que, là encore, le coût des indemnisations (même si des prévisions fiables sont difficiles, voire impossibles) pourra augmenter et que les primes des
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polices d’assurance pourront augmenter». Les médecins et leurs assureurs apprécieront…
Nous voyons bien ici que les magistrats n’engagent pas leur responsabilité pécuniaire
personnelle et qu’ils n’ont donc pas eux-mêmes à régler des primes d’assurance.
2.5. DECISIONS DE LA COUR DE CASSATION
Et la première chambre Civile de la Cour de Cassation a suivi les propositions du
conseiller Sargos.
Pour la première affaire, la Cour a ainsi statué : «attendu que le contrat d’hospitalisation et de soins conclu entre un patient et un établissement de santé met à la charge
de ce dernier, en matière d’infection nosocomiale, une obligation de sécurité de résultat dont il ne peut se libérer qu’en rapportant la preuve d’une cause étrangère». Le pas
est franchi, c’est désormais une obligation de sécurité de résultat qui pèse sur les cliniques et l’on s’interroge maintenant sur ce que peut bien être la cause étrangère
exonératoire de responsabilité. Cet arrêt autorise d’autre part la CPAM à exercer son
recours sur la part d’indemnisation réparant un préjudice non personnel, même quand
cette indemnisation ne compense qu’une simple perte de chance.
Dans son deuxième arrêt (affaire n° 2), la Cour de Cassation transforme l’essai en
appliquant le même principe aux médecins : «un médecin est tenu vis-à-vis de son
patient, en matière d’infection nosocomiale, à une obligation de sécurité de résultat
dont il ne peut se libérer qu’en rapportant la preuve d’une cause étrangère». Le choc
est important puisque les praticiens sont ainsi passés, sans transition, d’une simple obligation de moyens à une obligation de sécurité de résultat. Ils vont devoir chercher
d’hypothétiques causes étrangères (germes extraterrestres) preuve de l’infection initiale du patient, incident imprévisible de stérilisation ou formuler des appels en garantie
contre l’établissement (bien délicat en pratique s’ils veulent continuer à exercer).
C’est la même motivation qui a permis à la Cour de Cassation dans la troisième
affaire de casser l’arrêt de la Cour d’Appel qui avait refusé de retenir la responsabilité
du radiologue en considérant que «sa faute ne peut se déduire de la seule apparition du
préjudice, fût-il en relation de causalité avec l’acte médical pratiqué». C’est ici la
seule responsabilité du radiologue puisque son cabinet n’entre pas dans la gestion
générale de la clinique.
CONCLUSION PROVISOIRE
Deux de ces arrêts (affaires n° 1 et 3) prononcent la cassation si bien qu’il faudra
attendre de connaître la position des Cours de renvoi qui peuvent, certes temporairement, résister à cette nouvelle jurisprudence, mais le deuxième arrêt est une décision
définitive qui doit, dès à présent, être considéré comme un arrêt de principe. Les conséquences de cette nouvelle jurisprudence sont difficiles à définir tant en ce qui concerne
le nombre de réclamations formulées, le montant global des indemnisations qu’il faudra provisionner que l’identité des personnes (physiques ou morales) qui devront in
fine en assumer la charge.
Nous savons désormais que cette responsabilité quasi-automatique ne concerne plus
uniquement des établissements (publics ou privés) mais les chirurgiens ainsi que tous
les membres de l’équipe (comprenant, bien entendu, les anesthésistes-réanimateurs).
D’autre part, elle traite de toutes les infections nosocomiales, c’est-à-dire non seulement celles contractées au bloc opératoire mais également dans les services (dont les
services de réanimation), le secteur des urgences, le secteur ambulatoire, la chambre du
patient…
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En guise de conclusion (qui pourrait bien être très provisoire) formulons deux vœux :
1. Que les circonstances exceptionnelles (urgence, état gravissime du patient…) soient
prises en compte pour prononcer des exonérations de responsabilité au moins pour
les praticiens.
2. Que cette jurisprudence ait au moins un effet bénéfique : renforcer les actions de
lutte contre les infections nosocomiales, même s’il y a de quoi être découragé face à
cette responsabilité inéluctable quel que soit le dynamisme des établissements et des
praticiens.
N’a-t-on pas atteint la limite au-delà de laquelle les médecins vont baisser les bras ?
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