La Lettre de l’Infectiologue - Tome XIV - n° 7 - septembre 1999
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TRIBUNE
ar trois arrêts rendus le 29 juin 1999, la Cour de cas-
sation a adopté une position nouvelle en matière de res-
ponsabilité afférente à la survenance d’une infection
nosocomiale en décidant que tant les établissements de santé pri-
vés que les médecins étaient tenus d’une obligation de sécurité
de résultat dont ils ne pouvaient s’exonérer qu’en apportant
la preuve d’une cause étrangère.
Les faits
Il s’agissait dans les trois cas de patients qui, à la suite d’inter-
ventions sur un genou (pose d’une prothèse dans la première
affaire, réalisation d’une arthroscopie dans la deuxième et d’une
arthrographie dans la troisième), furent victimes de sévères infec-
tions dues à des staphylocoques dorés.
Le caractère nosocomial de ces infections – toutes apparues plus
de 48 heures après les interventions – n’était pas contesté devant
la Cour de cassation, mais il était soutenu que ni les établissements
de santé, ni les médecins n’avaient commis de faute et qu’ils avaient
respecté les normes imposées par les données acquises de la science
en matière d’asepsie.
Le passé
Depuis un arrêt du 21 mai 1996, la Cour de cassation estimait en
effet que les cliniques, présumées responsables d’une infection
contractée par un patient lors d’une intervention pratiquée dans une
salle d’opération, pouvaient être déchargées de leur responsabilité
en prouvant qu’elles n’avaient pas commis de faute. Et, s’agissant
des médecins, aucune présomption de responsabilité ne pesait sur
eux, mais ils étaient tenus de respecter les méthodes d’asepsie
modernes, et les appréciations des juges étaient rigoureuses.
Désormais
En mettant à la charge tant des cliniques que des médecins une
obligation de sécurité de résultat, la Cour de cassation a apporté
de profonds bouleversements au régime de responsabilité antérieur
qui reposait sur le concept d’obligation de moyens.
Désormais, le patient n’a qu’une seule preuve à apporter, celle de
la nature nosocomiale de son infection. On renverra à cet égard à
la large définition des infections nosocomiales résultant d’une cir-
culaire du ministère de la Solidarité, de la Santé et de la Protec-
tion sociale (Direction générale de la santé) n° 88-263 du
13 octobre 1988 (BP 88/45). Schématiquement, on peut dire
qu’une infection nosocomiale est celle qui était absente à
l’admission à l’hôpital et qui apparaît après un délai de 48 heures
d’hospitalisation, son origine étant exogène ou même endogène
lorsque, à l’occasion d’un acte invasif, le malade s’infecte avec ses
propres germes.
Mais, dès lors que le patient aura apporté cette preuve quant à la
nature de son état infectieux, l’établissement de santé en sera
responsable et devra en réparer les conséquences domma-
geables. Il ne pourra échapper à cette responsabilité que s’il
démontre une cause étrangère, c’est-à-dire la survenue d’un
événement qui lui est totalement étranger et qui présente les carac-
tères de la force majeure, c’est-à-dire qui était imprévisible et irré-
sistible. La condition d’extériorité est appréciée de façon rigou-
reuse en ce sens que l’établissement de santé ne pourra invoquer
un défaut, même s’il ne pouvait le déceler, de ses produits ou de
son matériel, et pas davantage le fait, même volontaire, de l’un de
ses préposés ou d’une personne travaillant dans ses locaux. Et
l’événement extérieur – qu’il soit le fait de l’homme, de choses,
de la nature ou d’accidents – n’est exonératoire que s’il était impos-
sible d’en prévenir les effets. On peut ainsi penser qu’une catas-
trophe qui obligerait un établissement de santé à recevoir dans l’ur-
gence et immédiatement un nombre tel de victimes que les normes
d’asepsie ne pourraient être respectées serait de nature à exonérer
un établissement de santé de sa responsabilité.
S’agissant des médecins, l’alignement de leur responsabilité
sur celle des établissements de santé en matière d’infection
nosocomiale est fondé sur un souci de cohérence. En effet, le
devoir de veiller au strict respect des mesures d’asepsie est une
donnée acquise élémentaire de la science médicale et même une
obligation déontologique (articles 49 et 71 du code de déontolo-
gie médicale du 6 septembre 1995). Par ailleurs, le principe fon-
damental de l’indépendance professionnelle (article 5 du même
code de déontologie) ne permet pas à un médecin de s’abriter der-
rière l’action ou l’inaction de l’établissement de santé où il exerce
pour prétendre être exonéré de ses propres obligations (mais le
médecin pourrait exercer un recours en garantie contre l’établis-
sement de santé). La troisième des affaires jugées le 29 juin 1999
par la Cour de cassation mettait en outre en lumière un cas de figure
illustrant l’artifice de la limitation des obligations en matière d’in-
fection nosocomiale à la seule entité constituée par un établisse-
ment de santé. En effet, le patient avait été soigné dans les locaux
d’une clinique, mais eu égard au fait que le médecin s’était borné
à louer une partie de ces locaux sans faire appel à aucune autre
prestation de la clinique, celle-ci ne pouvait être mise en cause. Or
le médecin exerçait bien dans des locaux consacrés aux soins,
même s’il était en quelque sorte, pour parler de façon imagée, à la
fois le praticien et “la clinique”. Il devait donc assumer la “pré-
vention nosocomiale” et ses conséquences dans les locaux où il
réalisait les interventions.
Cette nouvelle jurisprudence est donc rigoureuse pour les établis-
sements de santé privés et les médecins. Mais on doit observer que
depuis l’arrêt Cohen du 9 décembre 1988, le Conseil d’État fait peser
sur les hôpitaux publics une responsabilité au moins aussi rigou-
reuse en matière d’infection nosocomiale, puisqu’il n’est pas néces-
saire que le patient démontre une faute : il lui suffit d’établir le carac-
tère nosocomial de son infection. Or le nombre de mises en cause
des hôpitaux n’a pas subi d’augmentation sensible en cette matière.
On peut penser, ou au moins espérer, que le développement des
mesures d’asepsie et de prophylaxie, sous l’influence notamment
des “CLINS”, n’y est pas étranger et que la crainte, encore expri-
mée par certains, d’une explosion des litiges liés à des infections
nosocomiales est infondée, ou à tout le moins excessive.
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Infections nosocomiales et responsabilité :
la nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation
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P. S argos*
*Conseiller à la Cour de cassation, Paris.
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