REVUE MÉDICALE SUISSE
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25 novembre 2015
2222
Statines en prévention primaire
comment décider avec le patient?
Le traitement au long cours de l’hypercholestérolémie par une
statine diminue le risque d’événement cardiovasculaire et est re-
commandé en prévention secondaire. En prévention primaire, la
décision de débuter un traitement de statines nécessite une pesée
des bénéfices et des risques qui diffère pour chaque patient. Un
outil interactif d’aide à la décision partagée, développé par la
Mayo Clinic, vient d’être traduit en français et adapté à l’épidé-
miologie des facteurs de risque cardiovasculaires en Suisse, avec
comme but de permettre aux patients de prendre une décision au
plus près, dans le cadre d’un entretien de décision partagée. Cet
article passe en revue les conditions et les bénéfices potentiels
d’une décision partagée pour l’introduction d’une statine en pré-
vention primaire, et présente un outil d’aide à la décision utili-
sable pendant une consultation médicale.
Statins in primary prevention :
how to share the decision ?
Long-term treatment of hypercholesterolemia with statins dimi-
nishes the risk of cardiovascular events. Statins are recommended
in secondary prevention of cardiovascular disease. In the absence
of preexisting cardiovascular disease, the decision to start a statin or
not is most often made by the general practitioner and his patient.
An interactive decision aid, developed by the Mayo Clinic, has just
been translated in French and adapted to the Swiss epidemiology of
cardiovascular risk factors, with the aim of promoting shared deci-
sion-making. This paper reviews the conditions and potential benefiits
of shared decision-making about statin therapy in primary prevention.
INTRODUCTION
Malgré l’existence de recommandations basées sur des études
scientifiques de qualité prouvant le bénéfice cardiovasculaire
des statines en prévention primaire, la décision individuelle
de débuter un traitement médicamenteux hypolipémiant chez
un patient sans antécédent cardiovasculaire n’a rien de facile.
En effet, elle exige une pesée des bénéfices et des risques qui
fait appel à un raisonnement probabiliste et qui diffère pour
chaque patient. Elle implique également une appréciation du
risque d’effets indésirables, tels que la contrainte quotidienne
de la prise du traitement au long cours, une possible partici-
pation au coût du traitement, ainsi qu’une atteinte à la per-
ception que le patient peut avoir de sa propre santé. Sans
compter le fait que la prévention primaire médicamenteuse a
fait l’objet de débats et de controverses qui débordent large-
ment le cercle des experts et dont les patients ont pour la plu-
part entendu parler.
En 2013, après la publication des nouvelles recommandations
américaines qui élargissaient beaucoup les indications au
traitement, et dont les experts suisses se sont distancés,1 les
médias ont reflété un important questionnement du public
autour de la justification du traitement, ou de la nature des
liens entre chercheurs et industrie. Dans ce contexte, le par-
tage de la décision devient non seulement souhaitable en
termes éthiques et relationnels, mais quasiment incontourna-
ble. Il favorise notamment une interaction constructive face à
des informations parfois contradictoires, plutôt que d’opposer
médecin et patient dans des rôles respectifs de prescripteur
et de critique. Cette interaction permet au patient de décider
pour lui-même le niveau de risque qu’il est prêt à tolérer.
C’est une approche radicalement différente des guidelines
traditionnelles qui décident d’une limite de risque acceptable
sur une base consensuelle d’experts, avec un arbitraire inévi-
table. C’est certainement la raison pour laquelle les dernières
recommandations NICE 2014 sur les dyslipidémies en Angle-
terre ont à la fois abaissé leur seuil de risque pour prescrire
une statine en prévention primaire et encouragé l’utilisation
d’outil de partage de la décision.2
DU PARTAGE DE L’INFORMATION
AU PARTAGE DE LA DÉCISION
Bien qu’apparemment intuitif, le concept de partage de la dé-
cision reste mal défini. Dans deux articles parus en 1997 et
1999, Charles et coll. en proposent une description pragma-
tique qui présente un intérêt pédagogique.3,4 Dans ce modèle,
l’élément caractéristique d’une décision partagée n’est pas
tant l’information donnée, mais l’existence d’une phase
d’échanges entre médecin et patient au cours de laquelle l’un
et l’autre expriment leur préférence (tableau 1). On retrouve
le même idéal de délibération dans des modèles plus récents,
comme celui de la «délibération collaborative» dont s’inspire
l’outil de décision partagée que nous présentons plus loin.5
Il est entendu que la réalité médicale est plus complexe, que
tous les patients ne veulent pas d’autonomie dans les déci-
sions médicales, et préfèrent que les médecins fassent un juste
choix pour eux. Cependant, certains patients apprécient de
discuter des alternatives, dans ces situations, les outils d’aide
à la décision partagée peuvent être très pertinents. Cette inte-
raction fait défaut dans les décisions de type paternaliste, ou
dans le modèle de transfert de l’information où le patient, dû-
ment informé, décide seul.
Drs DAVID NANCHEN*a, JEAN-LUC VONNEZ*a, KEVIN SELBY a, RETO AUER a et Pr JACQUES CORNUZ a
Rev Med Suisse 2015 ; 11 : 2222-6
aPMU, 1011 Lausanne
* Ces deux auteurs ont contribué de façon égale à cet article
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