Épreuve de philosophie

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Robert Tirvaudey
Épreuve de philosophie
Tome 1
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Avant-propos
« Ne tirez pas cette conséquence de votre
apprentissage, qu’il ne vous reste rien à savoir,
mais qu’il vous reste infiniment à savoir. »
Pascal, Pensées, L.420.
Épreuve de philosophie n’appartient pas au registre
des Annales corrigés. Il est question ici d’une
invitation à la pensée et non de « bachoter » le
programme des classes terminales. L’ambition
poursuivie est d’exercer la réflexion soit sur le mode
d’une confrontation sur fond d’une question soit selon
la modalité d’un décryptage philosophique d’une
hypothèse. Il s’agit donc moins d’un instrument
pédagogique que de satisfaire par la pensée
philosophique les réquisits méthodologiques. Car il
est entendu que la pensée en philosophie se doit de
suivre un chemin (methodos, dit le grec), c’est-à-dire
un acheminement pour parvenir à une résolution ou
encore à une thèse que l’on fera nôtre. Ces exercices
ne sont donc pas à reprendre tels quels, ils sont
l’occasion de mettre en place un scénario conceptuel
critique dans l’optique d’un engagement intellectuel.
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Ils sont plus spécifiquement des « expériences de
pensée ». C’est là son unique raison d’être. Précisons
que les questions et problèmes abordés ne sont pas
des artefacts, c’est-à-dire des interpellations
proprement formelles pour se dispenser de penser,
mais un ensemble de questionnements auquel toute
pensée est conviée.
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I
L’exercice de la dissertation
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La dissertation quoiqu’on en dise n’est pas
simplement un art rhétorique pour uniquement passer
un examen ou un concours. Elle poursuit une double
vocation : d’une part, problématiser une question qui se
pose, et d’autre part, soutenir une solution ou résolution
à la question inaugurale. La dissertio vise à dissocier ce
qui est vrai de ce qui est faux. C’est là la mission de
toute entreprise de conceptualisation philosophique.
Mais qu’est-ce donc qu’une problématique ? En son
sens premier « problématique » désigne un cadre
conceptuel dans lequel une question fait problème.
Mais aujourd’hui, elle est tenue pour le synonyme de
problème philosophique. La dissertation consiste ainsi à
passer d’une question à un problème. Une question est
une proposition interrogative qui demande quelque
chose de quelque chose. Par exemple : « Y a-t-il une
vertu de l’oubli ? » Que veut savoir véritablement cette
interrogation ? La question ne porte pas sur l’oubli mais
sur la destruction de l’oubli, si l’oubli est le négatif de
la mémoire. Elle nous oriente alors en direction d’une
réinterprétation de l’oubli, qui loin d’être à l’opposé de
l’effacement des souvenirs, serait au contraire la
condition de possibilité de la mémoire. L’oubli comme
« vertu », c’est-à-dire comme virtus, la puissance
n’est-elle pas la condition de possibilité de la
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mémoire ? Le libellé se déploie selon une logique de
renversement qui débouche dans une ligne
problématique : l’oubli s’oppose-t-il à la mémoire ou
est-il ce qui la possibilise ?
La dissertation est un exercice de la pensée qui n’a
pas pour objectif de penser pour penser, mais de
mettre en œuvre une réflexion critique. De ce fait
même, elle doit se plier non pas à des normes
arbitraires ou conventionnelles, mais à ses propres
exigences. C’est que penser et disserter sont une et
une même chose. Les règles méthodologiques que
nous allons relever sont ainsi celles de toute pensée
qui entend authentiquement penser. Ce sont les règles
de l’esprit. Aussi la dissertation est un mode de
questionnement proprement philosophique et non
comme il est écrit parfois une « forme littéraire » de
l’écriture philosophique. Elle correspond donc, dans
sa formulation, conformément à toute démarche
philosophique, à trois moments indissociables :
– la position d’un problème philosophique ;
– sa discussion sous la forme d’un dialogue de soi
avec soi, avec d’autres qui pensent ;
– à la soutenance d’une hypothèse de travail qui en
découle nécessairement et logiquement.
Ces trois phases de l’entreprise philosophique
répondent à ce qu’on appelle non sans maladresse aux
trois « parties » de la présentation écrite de la
dissertation : introduction, développement, conclusion.
Les quelques exigences nécessaires de clarification, de
cohérence et de progressivité qui y sont étroitement
liées ne justifient en aucun cas qu’on s’impose un
nombre fixe de moments pour le corps matériel de
l’analyse, encore moins le trop funeste plan triptyque
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dit « dialectique »1 qui bien souvent est une violence
faite à la pensée dans son déploiement. Car la pensée
en son déroulement ne se soumet qu’à ses propres
temps de réflexion. Il n’y a donc pas de « parties » en
un nombre obligé ou même conseillé.
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Il n’est pas étonnant que le plan dialectique apparaisse comme
inscrit d’avance allant à l’encontre d’une pensée qui pense. La
critique Lévi-straussienne s’en prend non à l’acheminement
philosophique, mais à sa caricature telle qu’elle est présentée
dans les institutions scolaires. « Là (en classe de philosophie à la
Sorbonne, jusqu’à l’agrégation), j’ai commencé à apprendre
que tout problème, grave ou futile, peut être liquidé par
l’application d’une méthode, toujours identique, qui consiste à
opposer deux vues traditionnelles de la question ; à introduire la
première par les justifications du sens commun, puis à les
détruire au moyen de la seconde ; enfin à les renvoyer dos à dos
grâce à une troisième qui révèle le caractère également partiel
des deux autres, ramenées par des artifices de vocabulaire aux
aspects complémentaires d’une même réalité : forme et fond,
contenant et contenu, être et paraître, continu et discontinu,
essence et existence, etc. Ces exercices deviennent vite verbeux,
fondés sur un art du calembour qui prend la place de la
réflexion ; les assonances entre les termes, les homophonies et
les ambiguïtés fournissent progressivement la matière de ces
coups de théâtre spéculatifs à l’ingéniosité desquels se
reconnaissent les bons travaux philosophiques. Cinq années de
Sorbonne se réduisaient à l’apprentissage de cette gymnastique
dont les dangers sont pourtant manifestes. (…) Non seulement la
méthode fournit un passe-partout, mais elle incite à n’apercevoir
dans la richesse des thèmes de réflexion qu’une forme unique,
toujours semblable, à condition d’y apporter quelques correctifs
élémentaires : un peu comme une musique se réduirait à une
seule mélodie, dès qu’on a compris que celle-ci se lit tantôt en
clé de sol et tantôt en clé de fa. De ce point de vue,
l’enseignement philosophique exerçait l’intelligence en même
temps qu’il desséchait l’esprit. » Claude Lévi-Strauss dans
Tristes tropiques, Pocket, pp. 52-53.
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Ce qu’on nomme habituellement le « plan » – mot
malheureux – ne doit en aucun cas être parachuté de
l’extérieur au risque d’un détournement de la pensée
selon sa voie continue. La notion de « plan » est donc
à proscrire puisqu’elle suggère inévitablement l’idée
d’une suite consécutive de thèses, de références, de
renvois à des auteurs qui brise le fil conducteur
problématique qui constitue le fil directeur de la
dissertation. La dissertation dans sa matérialité doit
suivre l’ordre des raisons et non un plan extérieur,
étranger à l’esprit libre. C’est pourquoi, renonçant à la
terminologie de « plan » et de « parties », il est
préférable de parler de « structure » et des
« moments » de la pensée qui se fait en pensant. Ce
n’est pas là simple changement lexical ou substitution
plus judicieuse de la terminologie, mais contrainte
acceptée du libre mouvement de la problématisation à
l’œuvre. Ces remarques liminaires opérées, il
convient de s’attacher à ce qui constitue l’ouverture
cruciale qui est par là même la matière de la
dissertation. Nous parlons de l’introduction.
L’introduction : elle ne poursuit qu’une seule et
unique vocation : mettre en place une ligne directrice
problématique. La formulation du problème
philosophique n’est ni la simple reprise de la question
proposée ni sa seule reformulation justifiée. La question
inaugurale porte sur au moins deux notions ou concepts
qui faut questionner. Il faut donc questionner la
question. On peut s’en remettre ici pour une forte clarté
à Aristote qui définit « la prémisse dialectique », c’està-dire la problématique : « Toute interrogation
universelle, semble-t-il, n’est pas une prémisse
dialectique : par exemple, qu’est-ce que l’homme ? ou
en combien d’acception est pris le bien ? Car une
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prémisse dialectique est celle à laquelle il est possible
de répondre par oui ou par non, ce qu’on ne peut faire
pour celles que nous venons de citer. C’est pourquoi
les questions de ce genre ne sont pas dialectiques, à
moins que celui qui interroge n’ait lui-même opéré des
distinctions ou des divisions avant de les énoncer en
disant, par exemple : le Bien est-il pris dans tel sens ou
dans tel sens ? » (Topiques, VIII, chap. II, 158a, 14ss,
Paris, Vrin, p. 329). Si toute problématique s’ouvre par
une question, toute question ne fait pas problème. Un
problème n’est pas une question plus précise, plus
spécifique, il enferme contrairement à une demande
deux hypothèses de travail qui entrent en contradiction.
Par exemple : Faut-il travailler ? Le travail est-il
une nécessité naturelle, satisfaire ses besoins
élémentaires, ou une obligation morale pour réaliser
notre propre humanité ?
La problématique met en place deux thèses
philosophiquement soutenables mais selon une logique
d’exclusion. Le fil rouge du travail de la dissertation
consiste ainsi à formuler conceptuellement une
problématique qui orientera l’intégralité de la
réflexion. Il est admis que tout sujet peut accepter des
problèmes divers en fonction de l’angle d’attaque des
concepts en jeu, de la culture philosophique, des thèses
plus enrichissantes que d’autres. Mais il ne faut
s’attacher qu’à une seule dimension problématique au
risque de la dispersion et de la dissémination. De cette
urgence, deux conséquences se font jour :
a) L’introduction doit s’achever par la
problématique sous forme interrogative. Pour reprendre
l’exemple proposé par Aristote, le sujet donné étant
« qu’est-ce que le Bien ? », la première approche doit
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mettre en évidence la teneur paradoxale du concept à
définir. Si en effet, le Bien doit être une norme de
l’action – ce à quoi débouche toute connaissance –, il
semble qu’il doive résider hors d’elle, comme ce vers
quoi elle se dirige, et n’être pas accompli par aucun de
nos actes. C’est pourquoi dira le penseur, dans Éthique
à Nicomaque (I, chap. IV, 1095 a 14), « certains
pensent qu’il y a un Bien en soi différent des multiples
‘biens’ », que nous considérons ordinairement.
Toutefois, il apparaît que nous appelions « bien » ce
dont la possession ou la contemplation est pour nous un
bien, car précise-t-il « nous pressentons que le bien est
en quelque chose qui nous est propre et qui peut
difficilement nous être retiré ». De sorte que la
définition du Bien comme critère absolu apparaît
contradictoire, puisque en tant que norme elle-même
elle doit être ramenée, pour être un bien, à un objet
possible de la contemplation. Aussi établit-on que
l’approche définitionnelle du concept de Bien est
éminemment problématique, et peut-on aboutir à en
ramasser la difficulté en un problème : le Bien se
définit-il comme norme de notre action – mais qui
pourrait alors être assignée comme objet à notre
connaissance – ou n’est-il en aucun cas un simple objet
– mais alors il ne peut nous être « propre » ? Le
problème se clôt sous la forme d’un dilemme opposant
deux lectures.
b) L’essentiel est de constater que l’écriture de la
ligne conductrice problématique enferme en ellemême deux hypothèses qui constitueront l’armature
de la réflexion ultérieure. Il n’y a donc pas lieu de
trouver un « plan », mais de déplier chacune de ses
deux
thèses
comme
deux
moments
du
développement.
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Le développement contient l’argumentaire successif
des lectures possibles déjà en germe au sein du
problème philosophique. Chacune d’entre elles doit
suivre une démarche progressive où chaque étape, sans
invalider la précédente, en marque l’insuffisance, les
lacunes, les limites. Cette argumentation ainsi dépliée
doit se référer à l’histoire de la philosophie. Car il est
évident que le travail conceptuel interpelle des
penseurs qui se sont efforcés d’approfondir certaines
lignes directrices. Ce dernier point implique trois
notules :
a) La référence n’est pas une simple allusion, ni
même une citation. Cette dernière n’est qu’un
exemple. En revanche, la référence présente la thèse
d’un auteur étayée sur son argumentation. Si la
citation n’est pas une obligation, la référence renvoie
à la culture philosophique.
b) La nécessité de se référer à l’histoire de la
philosophie n’est pas pédantisme ou ornementation,
elle procède d’un dialogue avec d’autres penseurs.
c) Le renvoi à l’apport étranger à la philosophie
comme la science ou la littérature ou même à des
thèses communément admises doit nourrir la
réflexion car comme le dit G. Canguilhem, « la
philosophie se nourrie de ce qu’elle n’est pas ».
La conclusion est en définitive une double
réponse : réponse au problème philosophique et donc
réponse à la question initiale. Contre une certaine
tendance pédagogique, elle ne peut se réduire à un
élargissement du débat ni à l’ouverture vers d’autres
horizons. Outre que la dissertation ne serait pas un
ouvrage accompli, mais qu’un déversoir d’arguments
sans fondement, une telle pratique exempte trop
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aisément la réflexion d’une audace philosophique.
Tout travail philosophique est un engagement
intellectuel, ce qui d’emblée exclut toute tentation de
s’enfermer dans le compromis ou dans une tolérance
mal comprise. La dissertation est souvent à raison
définie comme « l’articulation d’une pensée et d’une
culture », ce qui signifie que l’une comme l’autre sont
personnelles. Il faut donc s’inscrire dans un parti pris,
ce qui n’est ni dogmatisme ni argument d’autorité. La
conclusion se clôt par la soutenance d’une thèse selon
la logique platonicienne qui veut que « la pensée est
le plus beau risque » (La République).
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II
Exercices philosophiques
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La pluralité des cultures est-elle
un obstacle à l’unité du genre
humain ?
« Le barbare, c’est celui qui croit à la
barbarie. »
C. Lévi-Strauss, Race et histoire.
Il est un fait : les cultures sont multiples et
présentent des valeurs qui varient d’une culture à une
autre. C. Lévi-Strauss remarque, dans Anthropologie
structurale, que la diversité des cultures, culture au
sens de civilisation, est « un phénomène naturel,
résultant des rapports directs ou indirects entre les
sociétés : il y ont plutôt vu une sorte de monstruosité
ou de scandale ». On aurait ainsi oblitéré que la
pluralité culturelle aurait une source « naturelle » à
toute culture. Il est en effet naturel pour une culture
de reconnaître une autre culture tout en s’érigeant
comme seule et unique culture. La « monstruosité »
ou le « scandale » dont nous parle l’anthropologue ne
provient-elle pas d’une reconnaissance ambivalente :
nous ne sommes pas seuls au monde, il existe
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assurément d’autres hommes appartenant à d’autres
cultures mais dans le même temps notre culture c’est
notre civilisation. Le « scandale » consisterait donc à
percevoir spontanément les autres cultures comme le
péril de tous les périls, celui de briser l’unité du genre
humain, c’est-à-dire de menacer de dissémination
l’humanité. Le foisonnement des cultures serait une
entrave au fondement de l’unité du genre humain, à la
permanence de sa cohésion et un risque pour son
élévation. L’histoire montre le conflit quasi permanent
entre les civilisations. Elle donne aussi à voir que les
tentatives d’unification de l’humanité, on pensera à
l’ancienne SDN, échouent pour ne pas dire qu’elles
sont un facteur de l’antagonisme des cultures. Mais à
quoi tient ce mouvement belliqueux ? A-t-il pour fond
la pluralité des cultures ? Cette tension conflictuelle
découle-t-elle de la tendance pour toute culture de
promouvoir ses valeurs comme valeurs universelles ?
Paradoxalement cette montée vers l’universalité
n’est-elle pas ce qui s’oppose à une réelle et
authentique unité de l’humanité ? La multiplicité des
cultures est-elle une entrave ou la possibilité d’asseoir
l’unité du genre humain ?
Somme toute, en quoi la pluralité culturelle serait
un obstacle à l’unité du genre humain ? Nous
constatons que la diversité des cultures est le plus
souvent l’origine de répudiation et d’exclusion. Les
différences qui séparent les civilisations sont alors des
différenciations religieuses, de croyances, de mœurs,
de codes sociaux et de régimes politiques et
juridiques. Et si aucune d’entre elles ne peut vraiment
prétendre détenir des valeurs universelles, chacune de
reprocher aux autres d’exhiber ses normes comme
modèles. Cette confrontation des diverses cultures
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tend à saper la foi en l’homme, ébranle la conviction
en les valeurs de leurs propres croyances, système
éthique et politique. Chaque peuple se croit alors
menacer de l’extérieur et engage pour maintenir leur
cohésion sociale une logique de protection.
La manière la plus spontanée, la plus naturelle tant
pour un individu que pour une société pour se
rassurer consiste à faire taire le relativisme culturel en
s’érigeant comme culture universelle. Aussi
l’universalité d’une culture s’autoproclamant porteuse
des vraies valeurs, d’authentiques croyances, de
mœurs morales, d’un droit juste. Cette logique est
celle que n’a cessé de dénoncer C. Lévi-Strauss sous
le vocable d’« ethnocentrisme » qui frappe toute
culture quelque soit la période historique.
L’ethnocentrisme, c’est-à-dire l’ethnie qui se pense
comme au centre du monde, est un phénomène que
l’on peut détecter aussi bien dans les sociétés dites
« industrialisées » que dans celles dites « primitives ».
La conséquence qui en découle est le rejet de l’autre,
de tout autre, pas simplement l’autre qui n’est pas le
même que moi, mais l’autre qui n’appartient pas à la
culture. Cet étranger est, au meilleur des cas, celui qui
m’est étranger, « l’étrange étranger », l’autre celui qui
me ressemble qui n’est pas moi, qui doit se tenir à
l’écart de la culture ; au pire, il est le « barbare », le
« sauvage », la « brute », le « non civilisé »,
l’« inférieur », etc. L’ethnocentrisme ne consiste pas
seulement à expulser l’étranger, elle le déchoit de son
humanité. C’est ce qu’a bien vu C. Lévi-Strauss :
« L’humanité cesse aux frontières de la tribu, du
groupe humain linguistique, parfois même du village ;
à tel point qu’un grand nombre de populations dites
primitives se désignent elles-mêmes d’un nom qui
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signifie ‘homme’ (ou parfois – dirons-nous avec plus
de discrétion ? – les ‘bons’, les ‘excellents’, les
‘complets’), impliquant ainsi que les autres tribus,
groupes ou villages ne participent pas des vertus ou
même de la nature humaine, mais sont tout au plus
composées de ‘mauvais’, de ‘méchants’, de ‘singes de
terre’ ou d’’œufs de pou’. On va souvent jusqu’à
priver l’étranger de ce dernier degré de réalité en en
faisant un ‘fantôme’ ou une ‘apparition’ ».
(Anthropologie structurale, p. 384).
Dans cette optique, la multiplicité n’est pas
simplement une entrave fondamentale à l’unité du
genre humain, elle est aussi et surtout ce qui sépare
les cultures dans un champ conflictuel.
Dira-t-on que l’ethnocentrisme est ce qui se nourrit
de l’ignorance et de l’incompréhension ou encore du
manque de communication des autres cultures ?
Certes, la méconnaissance de la variété des cultures et
des langues est assurément un facteur de conflit.
L’hypothèse pour séduisante soit-elle d’un appeler à
une langue commune ne tient pas. Car pour que les
cultures puissent s’entendre encore faut-il qu’elles
cessent de se combattre les unes les autres. Une
communication n’est possible que lorsque les
combats cessent. Or la pluralité des cultures est avant
tout la multiplicité des langues au même titre que des
autres systèmes de communication. La diversité des
cultures est donc tout à la fois origine et effet ou
manifestation des différences culturelles.
Il semblerait que la différenciation culturelle
constitue elle-même la diversité conflictuelle des
cultures. Cet antagonisme apparaît aussi et surtout
dans le domaine politique. En effet, de même que
toute culture a une structure spécifique de codes, tout
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