二十世紀文學發展中的沈默美學
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La phrase du récit et la phrase de la vie quotidienne ont toutes deux pour rôle
un paradoxe. Parler sans mots, se faire entendre sans rien dire, réduire la
lourdeur des choses à l’agilité des signes, la matérialité des signes au
mouvement de leur signification, c’est cet idéal d’une communication pure
qu’il y a au fond du bavardage universel, de cette manière de parler si
prodigieuse où, les gens parlent sans savoir ce qu’ils disent et comprenant ce
qu’ils n’écoutent pas, les mots, dans leur emploi anonyme, ne sont plus que
des fantômes, des absences de mots et font régner, par cela même, au milieu
du bruit le plus étourdissant, un silence qui est vraisemblablement le seul
dans lequel l’homme puisse reposer, tant qu’il vit.
Maurice Blanchot, La part du feu
Introduction
La civilisation occidentale doit son caractère essentiellement verbal à l’héritage de la
conception hellénistique du logos. D’après Aristote, le sujet humain est avant tout un être de
langage dont les actes peuvent être rationnellement prévus. Le langage est ainsi le fondement
de notre expérience, et il nous est impossible de nous exprimer autrement. Notre vie n’existe
que dans le fait du discours. Dans le cadre d’une philosophie centrée sur l’homme en tant
qu’être de langage, les choses existent à la condition qu’il soit possible de les reconnaître par
le langage. C’est ce concept sur lequel se fonde une théorie nominaliste de la connaissance.
Le langage, qui était au cœur de la définition de l’homme dans la culture hellénistique,
reprend à notre époque son ancienne position dominante. Dans le courant de la philosophie du
langage depuis le XIXème siècle, représenté par Frege, Russell et Wittgenstein, le langage
joue un rôle de révélateur(1). La linguistique qui apparaissait simplement comme la science du
langage, tend à devenir la discipline centrale des « sciences de l’homme » au XXème siècle.
Cette réévaluation du langage oblige d’ailleurs la critique littéraire à renouveler son
instrument d’analyse, ou mieux encore, à redéfinir la littérature. L’œuvre littéraire est par
excellence une construction du langage. Pour la critique formaliste comme plus tard pour la
critique structuraliste, cette caractéristique suffit à justifier le recours aux méthodes qu’offre la
linguistique, afin de reconstituer une « science de la littérature ». Tout cela évoque la question
que George Steiner nous a proposée: « Allons-nous passer de l’ère historique de la primauté
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du verbe – la période classique de la création littéraire – à une phase de dépérissement du
langage, de forme ‘post-linguistique’, et peut-être à un silence, au moins partiel ? » (Steiner
1967/1969: 7) Face à une confiance abusive dans le langage, le silence peut-il devenir une
réponse?
Le langage (parler) et le silence (se taire) s’opposent, se correspondent, et se fabriquent
mutuellement. Le silence ne cesse jamais d’impliquer son contraire, et seul le langage
autour de nous – ou pour le moins le fond sonore –, nous permettent de sentir sa présence,
de le reconnaître. Au sens philosophique et esthétique, pourrions-nous trouver une autre
façon de nous exprimer et de communiquer grâce au silence? Le silence est-il une
connaissance ou une ignorance? À l’époque où Bernard Lamy, dans son ouvrage intitulé
L’Art de Parler (1675), montre « une analyse précise du fonctionnement normé de la
parole » représentant le degré zéro de toute subtilité rhétorique ou narrative, l’Abbé
Dinouart, de son côté, propose L’Art de se taire (1771)(2). (Lamy, 1998: 15) Du point de
vue de Dinouart, le langage est, de loin, en deçà de ce que nous voulons exprimer. Nos mots
nous échappent. Ce que nous voulons dire se déforme. Le danger d’une dépossession de soi
se trouve toujours dans le langage: « Jamais l’homme ne se possède plus que dans le silence:
hors de là, il semble se répandre, pour ainsi dire, hors de lui-même et se dissiper par le
discours; de sorte qu’il est moins à soi qu’aux autres. » (Dinouart 1996: 40) Dinouart nous
propose ensuite un projet dans lequel le silence devant Dieu – le moment où l’on pense,
médite et réfléchit devant Dieu –, est remplacé par le silence comme une stratégie sociale
contre l’« épidémie » des paroles et des écrits sur la religion et sur le gouvernement.
Suivant en cela les rhétoriciens classiques qui cataloguent les différentes espèces de paroles,
Dinouart distingue différentes espèces de silence: prudent, artificieux, complaisant,
moqueur, spirituel, stupide, approbatif ainsi que méprisant. (Dinouart 1996: 45-46) Cette
catégorisation du silence correspond à une typologie d’ordre psychologique, et opère des
distinctions sémiologiques dans une théorie des tempéraments et des passions. Le concept
du silence est considéré ici comme étant dorénavant expressif et performatif, le silence est
vu comme étant le fond même de la sagesse.
Par ailleurs, certaines métaphysiques orientales mettent l’accent sur la valeur de cette
négation du langage qu’est le silence. Dans le bouddhisme, l’âme est représentée comme
s’élevant à travers des domaines subtils qui pourraient être exprimés par un langage subtil en
direction d’un silence de plus en plus total. Ce n’est qu’en dépassant la frontière du langage
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que la contemplation peut pénétrer le monde de la connaissance. Pour sa part, le taoïsme
représenté par Laozi et Zhuangzi prend le langage comme un outil négatif pour signifier la
Voie qui est la réalité ultime dans son tout, de son principe à son origine, réalité qui est « in-
nommable »(3). Il est à remarquer que dans la pensée chinoise antique, les oppositions et les
distinctions ne sont jamais de nature exclusive, mais au contraire sont complémentaires. Le
rien pourrait avoir plus de valeur que le quelque chose, le vide plus de valeur que le plein.
(Cheng 2002: 189-190, 194-195)
La littérature comme la philosophie, s’est toujours accompagnée d’une réflexion sur la
fonction référentielle du langage et ses limites. Lorsque les réflexions appliquées au discours
totalisant ont atteint leur apogée, on est retourné vers une rhétorique de l’indicible, ou bien
vers une écriture du silence. Dans cette étude, nous monterons d’abord la place essentielle du
langage dans la culture occidentale. Nous tenterons ensuite d’analyser les réflexions
philosophiques et littéraires sur les limites du langage. Enfin, nous explorons l’esthétique du
silence en particulier dans la littérature du XXème siècle.
Le pouvoir du langage
Le maniement du langage
Bien avant Aristote, Hésiode a déjà affirmé l’idée que le langage est une facul
particulière aux hommes. Il a mis en poème pour les Grecs une Théogonie, qui raconte la
naissance des dieux en même temps que la naissance du monde. Sous la plume de Hésiode,
l’homme en tant que création de Prométhée, se caractérise par son pouvoir de parler:
On voyait là beaucoup de détails ciselés,
merveilleux à regarder,
beaucoup d’animaux, de ceux que font vivre
la terre ou la mer;
il en avait mis des foules,
– lumineuse beauté –,
merveilles de merveilles,
on aurait dit qu’ils avaient une voix. (Hésiode, Théogonie, 581-584)
La « voix » qui signifie littéralement le langage articulé, est donc considérée comme une
possession unique de l’homme. C’est par le langage que l’être humain se différencie des
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autres êtres vivants sur la terre ou dans la mer, et que l’homme détient sa suprématie sur les
autres. Bien que de nos jours, notre perspective et notre connaissance sur le langage aient
beaucoup évolués, la conception du langage en tant que faculté particulière de l’homme
persiste. Opposé à certaines études récentes qui comparent le langage humain à la
communication animale, le linguiste moderne Chomsky décline toute comparaison abstraite et
simplifiée en affirmant que « le langage humain apparaît comme un phénomène unique, sans
analogue important dans le monde animal »(4). Le langage est le propre de l’homme et aucun
système de signes ne lui est comparable.
La faculté de la maîtrise du langage établit chez les Anciens la frontière entre les
concepts de civilisation et de barbarie: « celui qui domine la parole et les forces chaotiques
qui s’agitent sous le langage des hommes est civilisé, dans la guerre comme dans la paix;
celui qui parle de façon confuse et inarticulée, en se laissant déborder par sa violence
intérieure, est barbare, dans la paix comme dans la guerre. » (Mattéi 1999: 39) Le terme de
« barbare », emprunté du grec barbaros, est à l’origine une onomatopée pour signifier ceux
qui sont étranger à la langue grecque, ceux qui bafouillent, balbutient de façon indistincte et
articulent mal(5). Ainsi la première apparition du terme de « barbare » dans le chant
d’Homère est pour désigner le parler des Cariens, hommes rudes et grossiers, qui
prononcent mal leur propre langue (Iliade, II, 867)(6). Selon Jean-François Mattéi,
l’utilisation de ce terme chez Homère est lourde et significative: « le seul peuple des
Troyens et des Danaens qui n’est nommé ni par ses chefs ni par son pays, mais par une
langue que l’on malmène au point de ne pas se faire entendre, est le peuple des Cariens dont
l’unique trait de culture est ainsi un trait négatif ». (Mattéi 1999: 39) Le chant d’Homère,
texte fondateur de la civilisation occidentale, nous laisse entendre que l’homme, par la
maîtrise de sa parole, atteint la maîtrise de son âme.
Dans l’histoire humaine, on reconnaît non simplement la faculté unique d’exprimer et de
communiquer chez les hommes, mais aussi on tente de développer une technique de la
manipulation intellectuelle du langage(7). La rhétorique classique, celle qui commence avec
Aristote et se prolonge jusqu’au XIXème siècle, manifeste, entre autres, cette sorte
d’intention(8). La rhétorique est au sens propre « la science de bien dire » (Quintilien,
Institution oratoire, Livre II, 15, 34)(9). En suivant une méthode théorique, elle cherche à
maîtriser le discours pour faire comprendre, pour faire croire, pour faire agir et en un mot,
pour persuader. (Reboul 1984: 6) Selon Aristote, « la rhétorique est l’analogue de la
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dialectique: l’une et l’autre, en effet, portent sur des questions qui sont à certain égard de la
compétence commune à tous les hommes et ne requièrent aucune science spéciale »
(Rhétorique, 1354a). Il la définit ensuite comme « la faculté de découvrir spéculativement ce
qui, dans chaque cas, peut être propre à persuader […...], la faculté de découvrir
spéculativement sur toute donnée le persuasif » (Rhétorique, 1355b). (Aristote 1998: 16, 22)
La fonction propre de la rhétorique n’est pas simplement l’art de persuader, mais aussi de
discerner dans chaque situation les outils d’une possible persuasion. Aristote nous présente
donc une approche très technique de la rhétorique. Les axes principaux de cette discipline
peuvent être divisés en cinq grandes parties: (i) l’invention concernant la recherche des idées
et des arguments qui vont servir, (ii) la disposition désignant l’ordre dans lequel les éléments
du discours sont disposés, (iii) l’élocution qui concerne la mise en style du discours, (iv) la
mémoire où ce qui permet de retenir ou d’improviser un texte, et (v) l’action qui consiste à
mettre en œuvre le discours, la prononciation et les gestes. Cet art de la persuasion,
systématique ou même technique, est aussi un art de la manipulation. Comme Georges
Molinié le souligne, la rhétorique maniée « avec prestige, c’est-à-dire avec autorité et brio,
appuyé[e] sur des connaissances techniques illuminées par le don propre et exercées par une
solide pratique, confère à qui le possède un pouvoir considérable ». (Aquien et Molinié 1996:
9) L’objet de la rhétorique a varié dans d’importantes proportions au cours de son histoire. On
voit successivement dans la rhétorique « l’art d’argument » (proposé par Perelman et
Olbrechts-Tyteca), « l’étude du style » (proposé par Morier, Genette, Cohen et Groupe MU)
ou « l’art de persuader » (proposé par Reboul)(10). Néanmoins, le but principal de la rhétorique
reste toujours le maniement du discours afin d’exprimer une idée correctement avec
l’éloquence.
Le langage et la pensée
Le langage, en plus de la suprématie qu’il procure à l’homme sur les autres êtres vivants,
lui donne un outil pour définir son identité et devient même un outil qui permet à chacun
d’étudier sa propre nature et d’approfondir sa connaissance de lui-même. Les philosophes –
comme les linguistes d’ailleurs – ne cessent de mettre en évidence la relation réciproque qui
existe entre langage et pensée. Chomsky affirme dans son travail portant sur Le langage et la
pensée (Language and Mind), que « la possession du langage humain s’accompagne d’un type
spécifique d’organisation mentale ». (Chomsky 1968/1969b: 66) Selon lui, c’est l’étude du
langage qui nous permet de montrer le caractère des processus mentaux et les structures
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