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de considérer ce que l'on connaît, et faire abstraction de tout savoir pour observer la faculté 
de connaissance à nu. 
  
Il y a là un cercle vicieux: cette faculté vide devient elle-même objet de connaissance, sans 
qu'aucune  analyse  antérieure  ne  vienne  établir  la  véracité  de  ce  premier  savoir.  Par 
conséquent,  toutes  les  conclusions  que  nous  tirerions  sur  l'authenticité  d'une  science 
ultérieure, ne vaudraient pas plus que les résultats de cette première critique, c'est à dire, en 
fait, rien, puisque, par principe, aucune certitude antécédente n'étaye ce savoir fondateur. 
  
Et  si  l'on  veut  remédier  à  ce  défaut,  on  est  alors  pris  dans  une  spirale  infinie,  qui,  faisant 
table  rase  de  toute  connaissance,  doit  gommer  aussi  la  connaissance  de  la  faculté  de 
connaître, ainsi qu'une nécessaire critique de cette dernière connaissance, et la critique de 
cette critique, etc. Il n'y a alors plus de sortie, sauf à trahir le principe en quelque endroit, ce 
dont ne se gênent guère maints philosophes. 
  
Encore  n'avons  nous  pas  soulevé  l'épineuse  question  de  savoir  comment  la  faculté  de 
connaissance  peut  devenir  à  elle-même  son  propre  objet  d'étude,  sans  pour  autant  rien 
connaître, donc ne s'être jamais manifestée à elle-même. 
  
Nous ne nous engagerons pas dans cette impasse de la critique a priori, quitte à conserver 
temporairement un certain doute sur l'évidence scientifique de notre propos. Notre point de 
départ  sera  la  notion  de  «   Bien »  car  c'est  elle  qui  est  finalement  à  la  racine  de  notre 
démarche. Si nous ouvrons cet ouvrage, si nous voulons étudier Thomas d’Aquin, c'est que 
nous espérons fermement y découvrir quelque bien, quand ce ne serait que d’apporter une 
réfutation définitive, sinon nous ferions autre chose. Aussi quel bien en attendons-nous ? Et 
d'abord, qu'est ce que cela même: le Bien ? Ce sera notre première question. 
  
Commencer  par  le  problème  du  bien  est  plus  facile  à  dire  qu'à  faire.  S'interroger  non 
seulement sur ce qui est objectivement bon, mais aussi sur la nature de notre propre bien, 
ne laisse personne indifférent. Tout homme a, peu ou prou, l’expérience du bien, de certains 
biens,  et  la  question  déborde  largement  les  querelles  de  spécialistes,  pour  tomber  tout 
entière dans le domaine public, où chacun entend se prononcer. 
  
En  conséquence,  ce  que  l'on  peut  dire  à  ce  sujet  est  un  excellent  test  de  fiabilité  de  la 
pensée.  Celle-ci  doit  rejoindre  le  sentiment  commun,  ou,  du  moins,  l’avis  de  personnes 
autorisées par leur savoir ou  leur expérience, si elle ne veut pas faire le bonheur des gens 
malgré eux. Si elle y parvient, cette réflexion mérite d'être reconnue comme ancrée dans la 
réalité et digne de foi. A l'inverse, présenter comme bon ce que personne n'a imaginé, ou ce 
qu'on considère habituellement comme inintéressant ou mauvais, ne pourra qu'être taxé de 
verbeux ou de bizarre, voire de manipulateur. 
  
Mais ce point de départ est aussi une facilité. En prenant appui sur un sujet qui parle à tout 
le  monde,  on  peut  vaincre  plus  facilement  les  deux  éternelles  appréhensions  du  débutant 
face  à  la  réflexion  intellectuelle:  Peur  de  ne  pas  être  à  la  hauteur,  peur  de  sombrer  dans 
l'inutile.