12 N° 1315 - JEUDI 2 OCTOBRE 2014 www.actuj.com P’tit Dej’ avec le Grand Rabbin de France Haïm Korsia P’tit Dej’ Exclusif avec Le Grand Rabbin de France Haïm Korsia “ “ EREZ LICHTFELD Le Judaïsme a toujours défendu et porté l’idéal de la France Exclu Actu.J ■ Actualité Juive débute l’année 5775 par le traditionnel « P’tit déj’ ». Instauré par mon époux Serge Benattar (ZaL) voici 23 ans, c’est un exercice auquel les Grands rabbins de FranceYossef Haïm Sitruk et Gilles Bernheim s’étaient prêtés avec enthousiasme, s’adressant à l’ensemble de la communauté à l’orée des fêtes de Tichri. Entretien exclusif apprécié de toute notre rédaction, des lecteurs et des responsables communautaires, cette tradition qui nous est chère se perpétue aujourd’hui avec Haïm Korsia, notre tout nouveau Grand rabbin de France. S’exprimant sur ses idéaux et ses engagements, le Grand rabbin connaît les mutations du judaïsme français et s’attachera à nous redonner du baume au coeur après une année très agitée pour la communauté. C’est le moment pour moi de souhaiter Chana Tova et a GuitYour à chacun d’entre vous. Que nous soyons tous inscrits et scellés dans le Livre de laVie, avec la joie de voir la paix en Israël et dans le monde. Merci pour votre fidélité à Actualité Juive, votre journal depuis 33 ans. Lydia Benattar, Directrice de la publication N° 1315 - JEUDI 2 OCTOBRE 2014 www.actuj.com 13 P’tit Dej’ avec le Grand Rabbin de France Haïm Korsia La France, ses valeurs et l’antisémitisme « On a vu des jeunes Français attaquer d’autres Français, ce qui s’appelle une guerre civile » : Revenons, si vous le permettez, sur la tribune que vous avez publiée fin août dans les colonnes du Figaro. Vous avez rendu hommage à l’action du Grand rabbin Bloch, fauché par un obus en 1914 alors qu’il tentait d’aider un soldat catholique sur le front. Faut-il, lorsque l’on est Grand rabbin de France, aller au-delà de soi et au-delà du judaïsme ? : Vous êtes un amoureux de la France, un patriote avant tout. N’avez-vous pas le sentiment d’être parfois en décalage avec le reste de la communauté ? H.K. : Je perçois parfois ce désamour de certains à l’égard de la France. Par les violences qu’ils subissent directement ou indirectement, certains Juifs se sentent symboliquement dépossédés de leur destin en France. On peut le comprendre, mais il ne faut pas l’accepter. Ne laissons pas les antisémites tenter de nous voler notre destin en France ! Et surtout rappelons que la France, ne peut se réduire à ces exactions. L’espérance républicaine présente des valeurs convergentes avec le message du judaïsme. C’est là la force du message du Grand rabbin Kaplan, dans les pas duquel j’essaie d’œuvrer chaque jour. Liberté, Egalité, Fraternité sont des valeurs intrinsèques à la Bible. Je me sens parfaitement à l’aise et à ma place dans un système où la fraternité est une valeur cardinale. Le prophète Jérémie disait : « Priez pour le pays dans lequel vous êtes ». À ce titre, je ferai mieux connaître la prière pour la République française que toutes les synagogues doivent ré- EREZ LICHTFELD Haïm Korsia : Oui. « Si je ne suis pas pour moi qui le sera ? Mais si je ne suis que pour moi qui suis-je ? » - voici ce que nous enseigne Hillel. Avant de devenir Grand rabbin de Lyon, Abraham Bloch avait été rabbin à Alger où il a été victime d’un déferlement de haine antisémite dans la presse, équivalant à ce que l’on trouve aujourd’hui sur Internet. Malgré ce contexte, il s’est obstiné à défendre le Judaïsme et la France. Appelons cela « fraternité » ou « amour du prochain » : cet homme est mort en défendant une idée magnifique qui synthétise les valeurs de la France et celles du judaïsme. dans les attaques des synagogues, comme lors des manifestations. Quant à l’explication selon laquelle il s’agirait d’affrontements intra-communautaires, je la réfute catégoriquement. De jeunes Français ont attaqué d’autres Français ; cela s’appelle une guerre civile. Présenté ainsi, on comprend bien qu’il ne s’agit pas d’un problème judéo-musulman, mais que l’un des enjeux majeurs est de rétablir la paix sociale et la possibilité pour les uns et les autres de vivre des choses différentes, mais de les vivre ensemble. Je réfute cette explication, parce qu’elle dédouane la société de sa responsabilité. Or, la violence, dont la société française est capable, concerne l’ensemble de la Nation. « Liberté, égalité, fraternité, sont des valeurs qui se retrouvent dans la Bible » citer, car j’estime que c’est là une obligation religieuse. Prier c’est agir, c’est la parole performative, la forme juive de l’action. Mon idée de l’engagement patriotique est aussi une fidélité à ce qu’est la Torah. J’ai été militaire, mon parcours est empreint de l’engagement pour la Nation. Et si les militaires n'étaient plus portés par le patriotisme, qui le serait ? : Le conflit entre Israël et le Hamas a éclaté peu après votre élection, avec le déchaînement de violence que l’on a subi en France. Synagogues attaquées et apologie du Hamas. Comment expliquez-vous l’aveuglement de la société quant au fait qu’il s’agit de l’expression de sentiments antisémites ? H.K. : Le plus terrible a été l’indifférence. Non pas celle des pouvoirs publics ni des responsables politiques qui ont eu des mots justes, mais celle de nos concitoyens. Le regard accusateur de certains est tellement injustifié, comme si la communauté juive était responsable des répliques des Israé- liens – à quelque 4000 kilomètres de chez nous ! – sur des individus qui leur envoient des projectiles destinés à tuer des civils. C’est là l’écho du verset (Deutéronome, XI, 12) : « Les yeux seront tout le temps sur cette terre ». Il y a une sorte de fixation sur Israël concomitante à un sentiment d’abandon de la majorité de nos concitoyens. Pour la première fois cependant, des articles et des reportages ont démonté les manipulations du Hamas. : Malgré son interdiction, une manifestation a eu lieu au mois de juillet place de la République, le drapeau du Hamas a été brandi et des inscriptions antisémites inscrites sur le parvis. L’autorité publique a été bafouée. Comment, d’après le militaire que vous êtes, peut-on continuer à faire régner l’ordre après de tels dégâts ? H.K. : Je sens chez le Premier ministre la volonté de restaurer cette autorité qui est la colonne vertébrale de l’Etat. Il l’a d’ailleurs réaffirmé lors de la présentation des vœux à Exclusivité Actuj.com : Comment analyser l’attitude de cette grande partie de l’opinion publique ? H.K : Lorsque des élus de la République, tel le maire du 2ème arrondissement de Paris, défilent à des manifestations interdites, c’est une insulte à ce qu’est la France et une insulte à l’État de droit. Je trouve que ceux qui ont animé ce mouvement – je pense notamment au NPA – ont une responsabilité terrible. Il faut rendre hommage aux forces de l’ordre qui ont réussi à faire en sorte qu’il n’y ait aucun blessé grave Visionnez les Vœux de Roch Hachana 5775 du Grand rabbin de France sur : www.actuj.com 14 N° 1315 - JEUDI 2 OCTOBRE 2014 www.actuj.com P’tit Dej’ avec le Grand Rabbin de France Haïm Korsia pas avoir peur du futur. C’est sans doute l’un des messages prioritaires du Grand rabbin de France aujourd’hui, tant à la communauté juive qu’à l’ensemble de la société : « n’ayez pas peur ». : Vous qui avez toujours été actif dans le dialogue interreligieux, sentez-vous une volonté commune pour lutter contre ces menaces ? EREZ LICHTFELD H.K. : Avec la Conférence des Responsables de Culte en France (CRCF), nous avons appelé à ne pas se laisser impacter par des conflits qui risquent de détruire l’équilibre fragile qui existe en France. Il faut aussi aller trouver d’autres solidarités. La communauté juive s’est beaucoup investie dans la mémoire des génocides rwandais et arménien. Il faut continuer dans ce sens, conjuguer les mémoires en alliant toutes les forces y compris les forces religieuses. Aujourd’hui, la communauté juive doit ainsi s’engager en première ligne, dans la défense des Chrétiens d’Orient. En créant de nouvelles solidarités, en mutualisant nos forces et nos actions, nous défendons la France et ses valeurs. : Vous avez annoncé vouloir mettre en place des rencontres interreligieuses dans les écoles juives... « Nous sommes peut-être le plus petit des peuples, mais nous sommes avant tout celui qui voit le plus loin » la communauté juive le 18 septembre dernier, en s’engageant à donner les moyens nécessaires au comité interministériel de lutte contre le racisme et l’antisémitisme. Comme l’a dit le Président du Consistoire, Joël Mergui, il n’y a pas une importation du conflit du Proche-Orient, mais une instrumentalisation. Il y a aujourd’hui une masse de personnes antisémites, une « génération perdue » dont il faut prendre la mesure. Il faut les combattre sans relâche, par le droit et la justice et éviter que ces jeunes se retrouvent entre les mains de réseaux terroristes. Il faut aussi faire en sorte que les enfants qui ont tions non-autorisées n’étaient pas assez fermes. Il y a aussi un énorme travail éducatif à réaliser. Certains enfants sont déjà porteurs de messages terribles qu’ils trouvent vraisemblablement sur des chaînes de télévision satellitaire et sur Internet. Je me suis entretenu avec le Président du CSA. Il faut parvenir à contrôler l’image des Juifs que véhiculent certains pays et qui n’a pas à être proposée aux Français. : Les réponses que Marine Le Pen dit vouloir apporter à la France peuvent-elles être pour vous une façon de résoudre le problème ? H.K. : La haine n’est pas une réponse. Son parti véhicule la peur de l’autre et la notion d’enfermement. L’ambition de Marine le Pen est celle d’une France barricadée, isolée et rabougrie. C’est un monde faux, qui n’existe pas. Le monde réel est un monde globalisé dans lequel la France, forte de sa vocation d’accueil, a son mot à dire et quelque chose à offrir. « Le principe même du judaïsme, c’est la résistance » dix ans aujourd’hui ne soient pas ceux qui, demain, manifesteront dans les rues de Paris en criant « mort aux Juifs ». : Comment vous, Grand rabbin de France, parvenez-vous à vous résigner à l’idée que l’on se trouve aujourd’hui face à une génération perdue ? H.K. : Parce que je ne sais pas quoi dire à des parents musulmans, totalement démunis qui voient leurs enfants partir en Syrie et qui ne les reconnaissent plus à leur retour. Ils ne sont plus du tout portés par les valeurs familiales, religieuses ou françaises. Reste donc à l’ensemble des démocraties à se défendre et à se protéger contre ces dangers potentiels pour nous tous. Cela passe par une répression et une capacité à condamner. De ce point de vue, l’Etat a été très clair en faisant appel, lorsque les condamnations concernant les manifesta- : Vous serez, si Dieu le veut, Grand rabbin de France lors des prochaines échéances présidentielles. Seriez-vous d’accord pour rencontrer Marine Le Pen ? H. K. : La nature réside certes dans la discussion. Je crois cependant que parfois, le dialogue n’est pas possible. La Bible nous raconte que Moïse a discuté avec Pharaon jusqu’au moment où ce dernier a dit « je n’ai plus rien à te dire ». Quand l’idée que l’on se fait de la France est tellement opposée à celle que certains portent, les échanges deviennent impossibles. Il serait dangereux de laisser penser que le Judaïsme pourrait, de près ou de loin, cautionner telle ou telle proposition du FN. Si Moïse a dit aux Hébreux « n’ayez pas peur », c’est parce que la tentation de la peur est permanente. Or, justement, le judaïsme porte l’idée de ne H.K. : Tout à fait, j’ai la conviction profonde que la connaissance de l’Autre est essentielle à l’apprentissage de la citoyenneté. C’est la raison pour laquelle je souhaite développer des rencontres interreligieuses, dans les écoles juives, comme dans les écoles laïques. Cela fait non seulement partie des connaissances de base, mais permet aussi d’enclencher une logique de réciprocité. : Pourquoi ce sentiment que les bonnes initiatives ne viennent que du côté de la communauté ? H.K. : C’est notre vocation et l’on doit s’en féliciter. Le principal n’est pas tant d’avoir les bonnes idées, c’est surtout que tous les reprennent. : Irez-vous jusqu’à tancer d’autres leaders religieux pour qu’ils s’investissent eux aussi ? H.K. : Je me sens proche de beaucoup d’entre eux pour engager des actions communes. À d’autres, il est parfois nécessaire d’expliquer l’importance de tels engagements. En ces temps d’opposition et de segmentation, il est important de le rappeler. « Lo Titgodedou », « ne vous tailladez point », nous dit la Torah. Les commentaires expliquent, « ne faites pas des clans et des clans », chose pour laquelle nous sommes très forts, en France comme dans la communauté juive. Il faut faire attention à cette pulsion naturelle qui est mortifère. L’idée de la France et l’idée du judaïsme, c’est d’être ensemble, de prôner et de prêcher l’unité. : L’idée de la fonction du Grand rabbin de France que vous êtes serait donc d’amener les valeurs religieuses à porter celles de la France ? N° 1315 - JEUDI 2 OCTOBRE 2014 www.actuj.com 15 P’tit Dej’ avec le Grand Rabbin de France Haïm Korsia H.K. : A les faire converger, tout du moins. L’espérance qu’incarne la France rejoint l’espérance que porte le judaïsme. « L’ensemble de la société doit manifester son désaveu pour un mari qui ne donne pas le Guet » : « On n’a plus notre place en France » est une phrase que l’on entend, un sentiment qui se répand dans la communauté. Pensez-vous encore possible de restaurer cette confiance à l’égard de leur patrie que nombre de Juifs français disent avoir perdue ? La Jeunesse, Les études, et la Alyah : Dans bon nombre d’écoles juives, le taux de départ en Israël de jeunes après le bac, aux États-Unis ou ailleurs, avoisine, voire dépasse les 50%. Quelle analyse faites-vous de cette fuite des forces vives de la communauté et ses conséquences sur la relève des cadres communautaires ? H.K. : Cela ne m’inquiète pas véritablement, beaucoup de départs sont la conséquence d’une croissance économique bien plus vive en Israël. Cela nous oblige toutefois à chercher ailleurs nos fidèles. Les rabbins et le Consistoire doivent aller chercher les 40 à 60% de Juifs éloignés du monde communautaire. Le réservoir est énorme. Les forces vives partent ? Allons à la rencontre de ceux qui ne se sentent pas chez eux dans la communauté. : Quant à ceux qui restent et mènent des études supérieures, ils rencontrent des difficultés lorsque leurs examens tombent à chabbath… H.K. : Un rapprochement des filières est désormais en marche ; cela suppose moins d’examens et donc moins d’examens le Chabbat. Qui plus est, l’université ne se décide plus qu’au niveau français. L’Europe et le classement de Shanghaï demandent de s’adapter pour accueillir des étudiants étrangers et leur offrir la liberté qu’ils peuvent connaître ailleurs. Bien sûr, l’obstination « laïcarde » de certains professeurs peut poser problème, tandis que la laïcité est le respect de la religion de chacun. Quand un professeur dit à un élève « si cela ne vous plaît pas d’être présent chabbath, retournez dans votre pays » alors que le pays de cet élève est justement la France, c’est un scandale ! Il y a une forme d’abrogation de citoyenneté qui est inadmissible. Dans les semaines qui : Derrière ce problème, transparaît la question de la nomination d’un Av Beth-Din. H.K. : Oui, il manque un Av Beth-Din au Consistoire de Paris. Il est en cours de nomination. Le Beth-Din de Paris est piloté par le Grand rabbin de Paris : c’est sa vocation, il est président du tribunal rabbinique. Mais on a besoin d’un Av Beth-Din arbitrant entre la loi et son opérabilité, comme c’était le cas avec le Rav Yir- EREZ LICHTFELD H.K. : Ce serait une défaite terrible pour le judaïsme de considérer qu’il n’y a plus rien à faire ici dès lors que le judaïsme est attaqué. Le principe même du judaïsme est la résistance. C’est là la parole de Moïse « c’est un peuple à la nuque roide ». Il ne baisse la tête devant personne, si ce n’est Son Créateur un jour. À chaque génération, on se dresse devant nous pour nous exterminer et l’Eternel nous vient en aide. Certains, qui représentent un groupe ultra-minoritaire, remettent en question le principe même que la communauté juive soit une part de la France. D’autres, malheureusement beaucoup plus nombreux, ne réagissent pas. Nous ne devons pas nous laisser déposséder et nous devons réaffirmer : le judaïsme a toujours défendu et porté l’idéal de la France. Il faut aussi rassurer la communauté juive. La seule réponse possible en France, c’est la République. Quant au principe de l’Alyah, il incarne une montée, une élévation spirituelle. Il n’y a pas d’élévation dans la fuite ni dans la désespérance. et qui, dans les faits, s’appliquent déjà pour la plupart. Nous travaillons par ailleurs actuellement sur un texte, un engagement moral écrit préalable au mariage. Bien sûr, signer un engagement avant le mariage, quand tout va bien, ne garantit pas qu’on se trouvera ensuite avec quelqu’un qui respectera sa parole. L’ensemble de la société doit donc manifester sa désapprobation envers un mari qui ne donne pas le guet, quels que soient les torts de l’un et de l’autre. Il y a deux choses absolument interdites : utiliser les enfants contre le conjoint et utiliser la religion pour opprimer son ex-épouse. ont suivi mon élection, le président Joël Mergui et moi-même avions rendu visite au ministre de l’Education (Benoît Hamon à l’époque ndlr) qui avait parfaitement compris nos problématiques. Nous ferons si vous le voulez bien, le bilan de cette question en fin d’année universitaire. Le Judaïsme, dans la vie quotidienne : Revenons sur « l’affaire du guet » et votre soutien aux Agounot… H.K. : (Il coupe) Je n’ai pas à m’en glorifier. Ces situations de haine sont du ‘Hiloul Hachem et nient la liberté individuelle. Défendre les Agounot est absolument normal. : Avez-vous l’intention de faire évoluer la législation, ou du moins, l’encadrement en matière de divorce ? H.K. : Les règles fonctionnent en général très bien. Je suis un homme de règles. Si celles-ci sont respectées, tout doit donc très bien se passer. Les braver, c’est courir à la catastrophe. Georges Braque disait : « J’aime la règle qui corrige l’émotion ». C’est sans doute aussi une belle définition du judaïsme. En hébreu, cela s’appelle la « Halakha ». Tant que nous restons dans la Halakha, nous sommes protégés. On ne peut pas traiter ces moments de déchirements familiaux à la légère. : N’y aurait-il pas des choses à faire en amont ? H.K. : Quelques cas problématiques ne peuvent jeter le discrédit sur tout le monde. Entre gens de bonne compagnie, on doit faire en sorte que la règle s’applique. La Conférence des Rabbins Européens (CER) a fait des propositions de bon sens que l’on doit pouvoir appliquer 16 www.actuj.com N° 1315 - JEUDI 2 OCTOBRE 2014 P’tit Dej’ avec le Grand Rabbin de France Haïm Korsia journal est important. Cet entretien du petit dej d'Actualité juive avec le Grand rabbin de France est une tradition et un rendez-vous incontournable que vous avez installé dans notre calendrier comme un temps de rencontre. C'est pour moi une façon de poser des repères et de tracer des axes de travail et cela ne se peut que parce que vous parlez à travers votre journal à l'ensemble de la communauté sans distinction, et même au-delà, ce qui est très rare. C'est une occasion pour moi de rappeler la mémoire de mon ami Serge Benattar qui croyait profondément en la vocation de son journal à être un lien direct avec la communauté. M'adresser à vous, c'est donc parler à chacun. « Ce n’est plus possible d’attendre que les fidèles viennent dans les synagogues alors qu’on a besoin de nous partout. » miyahu Kohen ou avec le Dayan Nissim Rebibo (zal), pour lequel j’avais une très grande affection. C’était un homme d’une humanité débordante. Qu’un Dayan connaisse la Halakha, c’est la base, mais on lui demande aussi une humanité débordante. A ce sujet, il faut plus de Dayanim en France : on n’en a que quatre. Même si d’autres sont là sans être vraiment là, comme le Rav Eliézer Wolff qui fait un travail remarquable. EREZ LICHTFELD : Avez-vous des projets spécifiques ? : Dont sa liste de produits autorisés ? Le Beth-Din de Paris ne la reconnaît pas… H.K. : Le Beth-Din de Paris ne dit pas que ces produits ne sont pas cacher, il dit qu’il ne peut pas garantir leur cacherout parce que ses propres chimistes ne les ont pas vérifiés. Je voudrais donc que la liste du Beth-Din de Paris se développe : c’est le futur. Les Juifs de province – je précise que je parle de la province, pas de Paris, de Créteil ou Sarcelles, où la cacherout est partout – pourront alors acheter aisément dans tous les commerces des produits reconnus comme cacher. Facilitons, dans le respect de la Halakha, la vie des Juifs où qu’ils soient. : Certains des produits présents sur la liste du rav Wolff contiennent du Lactosérum, composant dont la cacherout, pour le grand rabbin de Paris Michel Gugenheim est « plus que sujette à caution »… H.K. : C’est bien pour cela que nous avons besoin d’un Av Beth-Din au Consistoire de Paris. « Dans le cas où se trouveraient opposées deux opinions, une d’humilier l’étranger et le converti. C’est aussi pourquoi, j’ai nommé, immédiatement après mon élection, deux médiateurs, Dolly Touitou et Charles Sulman. Ils ont déjà été saisis de demandes (01 49 70 87 64 ou [email protected] ndlr) qu’ils traitent avec beaucoup d’intelligence et d’humanité. Il s’agit de faciliter le dialogue entre les fidèles et le Consistoire, ou de les accompagner dans certaines démarches. : Pour ce qui est des acquis, sera-t-il facile de conserver l’abattage rituel et la circoncision avec les menaces qui planent actuellement ? H.K. : Ces dossiers sont suivis attentivement au niveau français, par le Grand rabbin Fiszon pour ce qui concerne l’abattage rituel et par le rabbin Moché Lewin et Charles Sulman, s’agissant de la circonci- « On a besoin d’un dayan arbitrant entre la loi et son opérabilité » troisième viendra résoudre l’apparente contradiction », explique Rabbi Ishmaël. Le Av Beth-Din aura également pour mission de régler les problèmes qui se posent parfois dans les cas de conversions. Je ne supporte pas l’humiliation que l’on fait subir à certains. : Faut-il alors en faciliter le processus ? H.K. : Il faut l’encadrer. Accompagner les gens, les porter presque mais ne jamais les laisser sans réponse. Les mots ont leur importance. Si on dit non, on doit dire aussi : « Votre chemin est magnifique, mais il faut encore le faire mûrir ». Autre problème : les enfants nés de père juif et de mère non-juive. Ils évoluent souvent dans un milieu juif, vivent les fêtes, sont même parfois allés au Talmud-Torah. On ne peut pas leur dire brutalement: « Tu n’es pas Juif ! » Faisons-leur ce cadeau de parler de « régularisation » plutôt que de conversion. Ils ont déjà un nom juif. En Égypte, les Hébreux sont restés juifs parce qu’ils ont gardé leurs vêtements, leur langue et leurs noms. Soyons donc, dans notre façon de recevoir ces gens, moins accusateurs, moins moralisateurs. La Torah interdit sion. Les statuts d’une association de Mohalim français visant à encadrer leurs pratiques viennent d’ailleurs d’être déposés. Cela impliquera le respect d’un cahier des charges, une formation et des normes sanitaires. S’agissant de la Chehita, le Consistoire a fait un travail extraordinaire de formation des chohatim dans les domaines du bien-être animal et de l’hygiène dans le cadre de l’IFM-SAJ. Au niveau européen, le Grand rabbin Pinchas Goldschmidt, Président de la CER, fait un travail remarquable pour défendre la liberté de pratique religieuse en Europe, avec notamment l’aide du Grand rabbin Fiszon et du rabbin Moché Lewin, directeur exécutif de la CER, premier Français à occuper un poste aussi prestigieux. : Avez-vous l’intention, comme vos prédécesseurs, de donner des cours magistraux ? H.K. : J’aime le contact direct avec les gens. Je compte garder mon cours à Polytechnique où j’ai un lien formidable avec les élèves. J’en donnerai également un autre, mensuel et ouvert à tous au centre Moadon. Je réponds aussi volontiers aux invita- tions des communautés. Il est essentiel de rencontrer les dirigeants, les cadres rabbiniques et les fidèles. Je donnerai aussi des cours dans de grands espaces, mais je veux garder cette dimension humaine de l’échange. Mais je veux également vous dire combien le lien que vous proposez entre les fidèles et moi par l'entremise de votre H.K. : Je ne manque pas d’idées et d’ambitions pour répondre aux aspirations de la communauté juive. J’ai également des projets plus symboliques, celui du chabbat mondial par exemple. J’ai reçu, il y a plusieurs mois déjà, le Grand rabbin d’Afrique du Sud, Warren Goldstein. Son idée est simple et géniale : celle d’organiser un chabbat où l’on accueillerait quelqu’un chez soi ou dans sa communauté. Les 24 et 25 octobre prochains, l’ensemble des communautés juives de France organisera donc un grand chabbat et donnera l’occasion aux gens de rencontrer les synagogues. Dans un autre registre, j’ai demandé cet été au rabbin Laurent Berros de prendre contact avec toutes les colonies et camps de vacances, N° 1315 - JEUDI 2 OCTOBRE 2014 www.actuj.com 17 P’tit Dej’ avec le Grand Rabbin de France Haïm Korsia : A condition d’en avoir suffisamment. Il y a un problème de vocation. H.K. : C’est vrai. Je vais travailler avec le Grand rabbin Olivier Kaufmann, directeur de l’école rabbinique. Formons des rabbins accessibles portant un judaïsme ouvert sur la société, un judaïsme du bonheur, du sourire. Il n’est plus possible d’attendre que les fidèles viennent dans les synagogues alors que l’on a besoin de nous partout. : Comment revivifier le séminaire ? H.K. : En en faisant un lieu de rencontres, de synergies où l’on va de l’avant ensemble ; en ouvrant les portes à l’international, à la formation continue et à temps partiel aussi par exemple. Israël et ses liens avec la communauté : Quelles relations entretenez-vous avec les autres acteurs de la communauté ? H.K. : Très bonnes. J’ai des projets avec chacun d’entre eux. Oui, y compris avec les autorités juives non-consistoriales, notamment les autorités libérales. La lecture des Noms au Mémorial de la Shoah est une idée sublime, dont l’initiative revient au mouvement libéral, et à laquelle tous participent aujourd’hui. Chaque énergie est bénéfique à la communauté. Je veux certes garantir la conformité des normes de Halakha du Consistoire, car elles sont reconnues dans le monde entier. La centralité de la Halakha est notre trésor. Mais je n’ai pas vocation à jeter l’anathème sur qui que ce soit. Plus que jamais : « ne vous tailladez pas ! », « ne formez pas de clans ! ». : Quel est votre rapport à Israël ? H.K. : J’ai, comme tous les Juifs, un lien ombilical avec Israël. J’ai prévu d’y faire prochainement un voyage pour me recueillir notamment sur la tombe du Grand rabbin Emmanuel Chouchena qui a été mon maître à l’Ecole rabbinique et mon modèle, et lui dire que j’ai accompli ce qu’il voulait, la bénédiction qu’il m’avait donnée. Je souhaite aussi me recueillir sur la tombe d'Emeric Deutsch qui était pour moi comme un père. J’irai rencontrer les Grands rabbins d’Israël, créer des liens avec les autorités halakhiques du pays et travailler sur l’équivalence et la reconnaissance de nos diplômes rabbiniques, avec l’aide du rabbin Moshé Sebbag. Joël Mergui a aussi l’ambition de créer une antenne du Consistoire à Jérusalem, et j’accompagnerai cette idée. : Le reproche fait aux juifs de France de s’aligner sur la politique israélienne est-il acceptable ? H.K. : Non, c’est un reproche scandaleux. Un juif doit avoir une subjectivité et une partialité légitime pour Israël. Je remarque qu’on faisait ce reproche lorsque la gauche israélienne était au pouvoir, ce qui montre que ce n'est pas la politique, mais bien l'existence d'Israël que certains n'acceptent pas. De même, ceux qui soutiennent les Palestiniens devraient le faire subjectivement et dans le respect du débat, sans agressivité contre ceux qui ne partagent pas leur avis. : Quels sont vos vœux pour la communauté juive à l’orée de l’année 5775 ? H.K. : Que le judaïsme soit capable de porter son message de confiance et d’espérance en l’avenir. Le psaume 121 demande « Méayin yavo ezri », « d’où me viendra mon secours ? » Un très beau commentaire le lit « Méeayn, yavo ezri », « de rien viendra mon secours ? » Même si nous avons le sentiment que plus rien n'est possible, « Ezri méim Hachem », « Mon secours viendra de D’ieu. » Tournons-nous vers D’ieu pour obtenir de l’aide, car il n’y a d’autre aide que lui. Avoir foi en l’avenir. Je souhaite à la communauté juive de France d’être capable de porter cette espérance et de l’instiller à l’ensemble de la société. Oui, nous serons l’avant-garde du retour de l’espérance en France ! Oui, l’Etat d’Israël sera en paix, ce sera l’avant-garde de la paix retrouvée dans ce Moyen-Orient qui se déchire. Israël et la France seront porteurs d’espérance, car le monde attend quelque chose de nous. ● ■ Propos recueillis par Laetitia Enriquez et Jonathan Aleksandrowicz. ■ Photos d’Erez Lichtfeld. ■ Le «P’tit Déj’» a eu lieu dans l’agréable cadre du Restaurant Il Palazzo Saint Michel : 37, boulevard Saint Michel 75005 Paris. Tél: 01 46 34 09 20 EREZ LICHTFELD pour qu’on y envoie un rabbin durant une matinée ou un après-midi. Comment a-ton pu les laisser sans autre modèle religieux que celui des moniteurs qui les encadrent au quotidien ? Il faut également réfléchir à une harmonisation de la cacherout en France, organiser un turn-over des rabbins, ce à quoi je m’emploie déjà.