AAccttuuaalliittéé JJuuiivveedébute l’année 5775 par le traditionnel «« PPttiitt ddééjj »». Instauré
par mon époux Serge Benattar (ZaL) voici 23 ans, c’est un exercice auquel les
Grands rabbins de France Yossef Haïm Sitruk et Gilles Bernheim s’étaient prê-
tés avec enthousiasme, s’adressant à l’ensemble de la communauté à l’orée des
fêtes de Tichri. EEnnttrreettiieenn eexxcclluussiiffapprécié de toute notre rédaction, des lecteurs
et des responsables communautaires, cette tradition qui nous est chère se per-
pétue aujourd’hui avec Haïm Korsia, nnoottrree ttoouutt nnoouuvveeaauu GGrraanndd rraabbbbiinn ddee
FFrraannccee. S’exprimant sur ses idéaux et ses engagements, le Grand rabbin
connaît les mutations du judaïsme français et s’attachera à nous redonner
du baume au coeur après une année très agitée pour la communauté.
C’est le moment pour moi de souhaiter Chana Tova et a Guit Your à cha-
cun d’entre vous. Que nous soyons tous inscrits et scellés dans le Li-
vre de la Vie, avec la joie de voir la paix en Israël et dans le monde.
MMeerrccii ppoouurr vvoottrree ffiiddéélliittéé àà AAccttuuaalliittéé JJuuiivvee,, vvoottrree jjoouurrnnaall
ddeeppuuiiss 3333 aannss..
N° 1315 - JEUDI 2 OCTOBRE 2014
www.actuj.com
Ptit Dej’ avec le Grand Rabbin de France Haïm Korsia
12
Haïm Korsia
Le Grand Rabbin de France
Le Judaïsme a
toujours défendu et porté
l’idéal de la France
Lydia Benattar, Directrice de la publication
EREZ LICHTFELD
Exclu
Actu.J
Ptit Dej’ Exclusif avec
La France,
ses valeurs et
l’antisémitisme
: Revenons, si vous le permet-
tez, sur la tribune que vous avez pu-
bliée fin août dans les colonnes du Fi-
garo. Vous avez rendu hommage à l’ac-
tion du Grand rabbin Bloch, fauché par
un obus en 1914 alors qu’il tentait d’ai-
der un soldat catholique sur le front.
Faut-il, lorsque l’on est Grand rabbin
de France, aller au-delà de soi et
au-delà du judaïsme ?
Haïm Korsia :
Oui. « Si je ne suis pas pour
moi qui le sera ? Mais si je ne suis que pour
moi qui suis-je ? » - voici ce que nous en-
seigne Hillel. Avant de devenir Grand rab-
bin de Lyon, Abraham Bloch avait été rab-
bin à Alger où il a été victime d’un déferle-
ment de haine antisémite dans la presse,
équivalant à ce que l’on trouve aujourd’hui
sur Internet. Malgré ce contexte, il s’est
obstiné à défendre le Judaïsme et la France.
Appelons cela « fraternité » ou « amour du
prochain » : cet homme est mort en défen-
dant une idée magnifique qui synthétise les
valeurs de la France et celles du judaïsme.
: Vous êtes un amoureux
de la France, un patriote avant tout.
N’avez-vous pas le sentiment d’être
parfois en décalage avec le reste de
la communauté ?
H.K. :
Je perçois parfois ce désamour de
certains à l’égard de la France. Par les vio-
lences qu’ils subissent directement ou indi-
rectement, certains Juifs se sentent symbo-
liquement dépossédés de leur destin en
France. On peut le comprendre, mais il ne
faut pas l’accepter. Ne laissons pas les anti-
sémites tenter de nous voler notre destin en
France ! Et surtout rappelons que la France,
ne peut se réduire à ces exactions. L’espé-
rance républicaine présente des valeurs
convergentes avec le message du judaïsme.
C’est là la force du message du Grand rab-
bin Kaplan, dans les pas duquel j’essaie
d’œuvrer chaque jour. Liberté, Egalité, Fra-
ternité sont des valeurs intrinsèques à la Bi-
ble. Je me sens parfaitement à l’aise et à
ma place dans un système où la fraternité
est une valeur cardinale. Le prophète Jéré-
mie disait : « Priez pour le pays dans lequel
vous êtes ». À ce titre, je ferai mieux
connaître la prière pour la République fran-
çaise que toutes les synagogues doivent ré-
citer, car j’estime que c’est là une obliga-
tion religieuse. Prier c’est agir, c’est la pa-
role performative, la forme juive de l’ac-
tion. Mon idée de l’engagement patriotique
est aussi une fidélité à ce qu’est la Torah.
J’ai été militaire, mon parcours est em-
preint de l’engagement pour la Nation. Et
si les militaires n'étaient plus portés par le
patriotisme, qui le serait ?
: Le conflit entre Israël et le
Hamas a éclaté peu après votre élec-
tion, avec le déchaînement de violence
que l’on a subi en France. Synagogues
attaquées et apologie du Hamas. Com-
ment expliquez-vous l’aveuglement de
la société quant au fait qu’il s’agit de
l’expression de sentiments antisémites ?
H.K. :
Le plus terrible a été l’indifférence.
Non pas celle des pouvoirs publics ni des
responsables politiques qui ont eu des mots
justes, mais celle de nos concitoyens. Le
regard accusateur de certains est tellement
injustifié, comme si la communauté juive
était responsable des répliques des Israé-
liens – à quelque 4000 kilomètres de chez
nous ! – sur des individus qui leur envoient
des projectiles destinés à tuer des civils.
C’est là l’écho du verset (Deutéronome,
XI, 12) : « Les yeux seront tout le temps
sur cette terre ». Il y a une sorte de fixation
sur Israël concomitante à un sentiment
d’abandon de la majorité de nos conci-
toyens. Pour la première fois cependant,
des articles et des reportages ont démonté
les manipulations du Hamas.
: Comment analyser l’attitude
de cette grande partie de l’opinion
publique ?
H.K :
Lorsque des élus de la République,
tel le maire du 2ème arrondissement de Pa-
ris, défilent à des manifestations interdites,
c’est une insulte à ce qu’est la France et
une insulte à l’État de droit. Je trouve que
ceux qui ont animé ce mouvement – je
pense notamment au NPA – ont une res-
ponsabilité terrible. Il faut rendre hommage
aux forces de l’ordre qui ont réussi à faire
en sorte qu’il n’y ait aucun blessé grave
dans les attaques des synagogues, comme
lors des manifestations. Quant à l’explica-
tion selon laquelle il s’agirait d’affronte-
ments intra-communautaires, je la réfute
catégoriquement. De jeunes Français ont
attaqué d’autres Français ; cela s’appelle
une guerre civile. Présenté ainsi, on com-
prend bien qu’il ne s’agit pas d’un pro-
blème judéo-musulman, mais que l’un des
enjeux majeurs est de rétablir la paix so-
ciale et la possibilité pour les uns et les au-
tres de vivre des choses différentes, mais de
les vivre ensemble. Je réfute cette explica-
tion, parce qu’elle dédouane la société de
sa responsabilité. Or, la violence, dont la
société française est capable, concerne
l’ensemble de la Nation.
: Malgré son interdiction, une
manifestation a eu lieu au mois de juil-
let place de la République, le drapeau
du Hamas a été brandi et des inscrip-
tions antisémites inscrites sur le parvis.
L’autorité publique a été bafouée.
Comment, d’après le militaire que vous
êtes, peut-on continuer à faire régner
l’ordre après de tels dégâts ?
H.K. :
Je sens chez le Premier ministre la
volonté de restaurer cette autorité qui est la
colonne vertébrale de l’Etat. Il l’a d’ailleurs
réaffirmé lors de la présentation des vœux à
« Liberté, égalité, fraternité, sont des
valeurs qui se retrouvent dans la Bible »
Exclusivité Actuj.com
Visionnez les Vœux de
Roch Hachana 5775
du Grand rabbin de France
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Ptit Dej’ avec le Grand Rabbin de France Haïm Korsia
« On a vu des jeunes Français
attaquer d’autres Français,
ce qui s’appelle
une guerre civile »
EREZ LICHTFELD
la communauté juive le 18 septembre der-
nier, en s’engageant à donner les moyens né-
cessaires au comité interministériel de lutte
contre le racisme et l’antisémitisme. Comme
l’a dit le Président du Consistoire, Joël Mer-
gui, il n’y a pas une importation du conflit
du Proche-Orient, mais une instrumentalisa-
tion. Il y a aujourd’hui une masse de person-
nes antisémites, une « génération perdue »
dont il faut prendre la mesure. Il faut les
combattre sans relâche, par le droit et la jus-
tice et éviter que ces jeunes se retrouvent en-
tre les mains de réseaux terroristes. Il faut
aussi faire en sorte que les enfants qui ont
dix ans aujourd’hui ne soient pas ceux qui,
demain, manifesteront dans les rues de Paris
en criant « mort aux Juifs ».
: Comment vous, Grand rab-
bin de France, parvenez-vous à vous ré-
signer à l’idée que l’on se trouve au-
jourd’hui face à une génération perdue ?
H.K. :
Parce que je ne sais pas quoi dire à
des parents musulmans, totalement dému-
nis qui voient leurs enfants partir en Syrie
et qui ne les reconnaissent plus à leur re-
tour. Ils ne sont plus du tout portés par les
valeurs familiales, religieuses ou françai-
ses. Reste donc à l’ensemble des démocra-
ties à se défendre et à se protéger contre
ces dangers potentiels pour nous tous. Cela
passe par une répression et une capacité à
condamner. De ce point de vue, l’Etat a été
très clair en faisant appel, lorsque les
condamnations concernant les manifesta-
tions non-autorisées n’étaient pas assez
fermes. Il y a aussi un énorme travail édu-
catif à réaliser. Certains enfants sont déjà
porteurs de messages terribles qu’ils trou-
vent vraisemblablement sur des chaînes de
télévision satellitaire et sur Internet. Je me
suis entretenu avec le Président du CSA. Il
faut parvenir à contrôler l’image des Juifs
que véhiculent certains pays et qui n’a pas
à être proposée aux Français.
: Les réponses que Marine Le
Pen dit vouloir apporter à la France
peuvent-elles être pour vous une façon
de résoudre le problème ?
H.K. :
La haine n’est pas une réponse. Son
parti véhicule la peur de l’autre et la notion
d’enfermement. L’ambition de Marine le
Pen est celle d’une France barricadée, iso-
lée et rabougrie. C’est un monde faux, qui
n’existe pas. Le monde réel est un monde
globalisé dans lequel la France, forte de sa
vocation d’accueil, a son mot à dire et quel-
que chose à offrir.
: Vous serez, si Dieu le veut,
Grand rabbin de France lors des
prochaines échéances présidentielles.
Seriez-vous d’accord pour rencontrer
Marine Le Pen ?
H. K. :
La nature réside certes dans la
discussion. Je crois cependant que par-
fois, le dialogue n’est pas possible. La
Bible nous raconte que Moïse a discuté
avec Pharaon jusqu’au moment où ce
dernier a dit « je n’ai plus rien à te dire ».
Quand l’idée que l’on se fait de la France
est tellement opposée à celle que certains
portent, les échanges deviennent impossi-
bles. Il serait dangereux de laisser penser
que le Judaïsme pourrait, de près ou de
loin, cautionner telle ou telle proposition
du FN. Si Moïse a dit aux Hébreux
« n’ayez pas peur », c’est parce que la
tentation de la peur est permanente. Or,
justement, le judaïsme porte l’idée de ne
pas avoir peur du futur. C’est sans doute
l’un des messages prioritaires du Grand
rabbin de France aujourd’hui, tant à la
communauté juive qu’à l’ensemble de la
société : « n’ayez pas peur ».
: Vous qui avez toujours été
actif dans le dialogue interreligieux,
sentez-vous une volonté commune pour
lutter contre ces menaces ?
H.K. :
Avec la Conférence des Responsa-
bles de Culte en France (CRCF), nous
avons appelé à ne pas se laisser impacter
par des conflits qui risquent de détruire
l’équilibre fragile qui existe en France. Il
faut aussi aller trouver d’autres solidarités.
La communauté juive s’est beaucoup inves-
tie dans la mémoire des génocides rwandais
et arménien. Il faut continuer dans ce sens,
conjuguer les mémoires en alliant toutes les
forces y compris les forces religieuses. Au-
jourd’hui, la communauté juive doit ainsi
s’engager en première ligne, dans la défense
des Chrétiens d’Orient. En créant de nou-
velles solidarités, en mutualisant nos forces
et nos actions, nous défendons la France et
ses valeurs.
: Vous avez annoncé vouloir
mettre en place des rencontres interre-
ligieuses dans les écoles juives...
H.K. :
Tout à fait, j’ai la conviction pro-
fonde que la connaissance de l’Autre est
essentielle à l’apprentissage de la citoyen-
neté. C’est la raison pour laquelle je sou-
haite développer des rencontres interreli-
gieuses, dans les écoles juives, comme
dans les écoles laïques. Cela fait non seule-
ment partie des connaissances de base,
mais permet aussi d’enclencher une logique
de réciprocité.
: Pourquoi ce sentiment que
les bonnes initiatives ne viennent que
du côté de la communauté ?
H.K. :
C’est notre vocation et l’on doit s’en
féliciter. Le principal n’est pas tant d’avoir
les bonnes idées, c’est surtout que tous les
reprennent.
: Irez-vous jusqu’à tancer
d’autres leaders religieux pour qu’ils
s’investissent eux aussi ?
H.K. :
Je me sens proche de beaucoup
d’entre eux pour engager des actions com-
munes. À d’autres, il est parfois nécessaire
d’expliquer l’importance de tels engage-
ments. En ces temps d’opposition et de
segmentation, il est important de le rappe-
ler. « Lo Titgodedou », « ne vous tailladez
point », nous dit la Torah. Les commentai-
res expliquent, « ne faites pas des clans et
des clans », chose pour laquelle nous som-
mes très forts, en France comme dans la
communauté juive. Il faut faire attention à
cette pulsion naturelle qui est mortifère.
L’idée de la France et l’idée du judaïsme,
c’est d’être ensemble, de prôner et de prê-
cher l’unité.
: L’idée de la fonction du
Grand rabbin de France que vous êtes
serait donc d’amener les valeurs reli-
gieuses à porter celles de la France ?
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« Le principe même du judaïsme,
c’est la résistance »
« Nous sommes peut-être
le plus petit des peuples,
mais nous sommes
avant tout celui qui voit
le plus loin »
EREZ LICHTFELD
H.K. :
A les faire converger, tout du moins.
L’espérance qu’incarne la France rejoint
l’espérance que porte le judaïsme.
: « On n’a plus notre place
en France » est une phrase que l’on en-
tend, un sentiment qui se répand dans
la communauté. Pensez-vous encore
possible de restaurer cette confiance
à l’égard de leur patrie que nombre
de Juifs français disent avoir perdue ?
H.K. :
Ce serait une défaite terrible pour le
judaïsme de considérer qu’il n’y a plus rien
à faire ici dès lors que le judaïsme est atta-
qué. Le principe même du judaïsme est la
résistance. C’est là la parole de Moïse
« c’est un peuple à la nuque roide ». Il ne
baisse la tête devant personne, si ce n’est
Son Créateur un jour. À chaque génération,
on se dresse devant nous pour nous exter-
miner et l’Eternel nous vient en aide.
Certains, qui représentent un groupe ul-
tra-minoritaire, remettent en question le
principe même que la communauté juive
soit une part de la France. D’autres, mal-
heureusement beaucoup plus nombreux,
ne réagissent pas. Nous ne devons pas
nous laisser déposséder et nous devons
réaffirmer : le judaïsme a toujours dé-
fendu et porté l’idéal de la France. Il faut
aussi rassurer la communauté juive. La
seule réponse possible en France, c’est la
République. Quant au principe de
l’Alyah, il incarne une montée, une éléva-
tion spirituelle. Il n’y a pas d’élévation
dans la fuite ni dans la désespérance.
La Jeunesse,
Les études,
et la Alyah
: Dans bon nombre d’écoles
juives, le taux de départ en Israël de
jeunes après le bac, aux États-Unis
ou ailleurs, avoisine, voire dépasse les
50%. Quelle analyse faites-vous de
cette fuite des forces vives de la com-
munauté et ses conséquences sur la
relève des cadres communautaires ?
H.K. :
Cela ne m’inquiète pas véritable-
ment, beaucoup de départs sont la consé-
quence d’une croissance économique bien
plus vive en Israël. Cela nous oblige toute-
fois à chercher ailleurs nos fidèles. Les rab-
bins et le Consistoire doivent aller chercher
les 40 à 60% de Juifs éloignés du monde
communautaire. Le réservoir est énorme.
Les forces vives partent ? Allons à la ren-
contre de ceux qui ne se sentent pas chez
eux dans la communauté.
: Quant à ceux qui restent
et mènent des études supérieures,
ils rencontrent des difficultés lorsque
leurs examens tombent à chabbath…
H.K. :
Un rapprochement des filières est
désormais en marche ; cela suppose moins
d’examens et donc moins d’examens le
Chabbat. Qui plus est, l’université ne se
décide plus qu’au niveau français. L’Eu-
rope et le classement de Shanghaï deman-
dent de s’adapter pour accueillir des étu-
diants étrangers et leur offrir la liberté
qu’ils peuvent connaître ailleurs. Bien sûr,
l’obstination « laïcarde » de certains pro-
fesseurs peut poser problème, tandis que
la laïcité est le respect de la religion de
chacun. Quand un professeur dit à un
élève « si cela ne vous plaît pas d’être pré-
sent chabbath, retournez dans votre pays »
alors que le pays de cet élève est juste-
ment la France, c’est un scandale ! Il y a
une forme d’abrogation de citoyenneté qui
est inadmissible. Dans les semaines qui
ont suivi mon élection, le président Joël
Mergui et moi-même avions rendu visite
au ministre de l’Education (Benoît Hamon
à l’époque ndlr) qui avait parfaitement
compris nos problématiques. Nous ferons
si vous le voulez bien, le bilan de cette
question en fin d’année universitaire.
Le Judaïsme,
dans la vie
quotidienne
: Revenons sur « l’affaire du
guet » et votre soutien aux Agounot…
H.K. :
(Il coupe) Je n’ai pas à m’en glori-
fier. Ces situations de haine sont du ‘Hiloul
Hachem et nient la liberté individuelle. Dé-
fendre les Agounot est absolument normal.
: Avez-vous l’intention de faire
évoluer la législation, ou du moins,
l’encadrement en matière de divorce ?
H.K. :
Les règles fonctionnent en général
très bien. Je suis un homme de règles. Si
celles-ci sont respectées, tout doit donc très
bien se passer. Les braver, c’est courir à la
catastrophe. Georges Braque disait :
« J’aime la règle qui corrige l’émotion ».
C’est sans doute aussi une belle définition
du judaïsme. En hébreu, cela s’appelle la
« Halakha ». Tant que nous restons dans la
Halakha, nous sommes protégés. On ne
peut pas traiter ces moments de déchire-
ments familiaux à la légère.
: N’y aurait-il pas des choses
à faire en amont ?
H.K. :
Quelques cas problématiques ne
peuvent jeter le discrédit sur tout le
monde. Entre gens de bonne compagnie,
on doit faire en sorte que la règle s’appli-
que. La Conférence des Rabbins Euro-
péens (CER) a fait des propositions de
bon sens que l’on doit pouvoir appliquer
et qui, dans les faits, s’appliquent déjà
pour la plupart. Nous travaillons par ail-
leurs actuellement sur un texte, un enga-
gement moral écrit préalable au mariage.
Bien sûr, signer un engagement avant le
mariage, quand tout va bien, ne garantit
pas qu’on se trouvera ensuite avec
quelqu’un qui respectera sa parole. L’en-
semble de la société doit donc manifester
sa désapprobation envers un mari qui ne
donne pas le guet, quels que soient les
torts de l’un et de l’autre. Il y a deux cho-
ses absolument interdites : utiliser les en-
fants contre le conjoint et utiliser la reli-
gion pour opprimer son ex-épouse.
: Derrière ce problème, trans-
paraît la question de la nomination d’un
Av Beth-Din.
H.K. :
Oui, il manque un Av Beth-Din au
Consistoire de Paris. Il est en cours de no-
mination. Le Beth-Din de Paris est piloté
par le Grand rabbin de Paris : c’est sa vo-
cation, il est président du tribunal rabbini-
que. Mais on a besoin d’un Av Beth-Din
arbitrant entre la loi et son opérabilité,
comme c’était le cas avec le Rav Yir-
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Ptit Dej’ avec le Grand Rabbin de France Haïm Korsia
« L’ensemble de la société doit
manifester son désaveu pour un
mari qui ne donne pas le Guet »
EREZ LICHTFELD
miyahu Kohen ou avec le Dayan Nissim
Rebibo (zal), pour lequel j’avais une très
grande affection. C’était un homme d’une
humanité débordante. Qu’un Dayan
connaisse la Halakha, c’est la base, mais
on lui demande aussi une humanité débor-
dante. A ce sujet, il faut plus de Dayanim
en France : on n’en a que quatre. Même si
d’autres sont là sans être vraiment là,
comme le Rav Eliézer Wolff qui fait un
travail remarquable.
: Dont sa liste de produits
autorisés ? Le Beth-Din de Paris
ne la reconnaît pas…
H.K. :
Le Beth-Din de Paris ne dit pas que
ces produits ne sont pas cacher, il dit qu’il
ne peut pas garantir leur cacherout parce
que ses propres chimistes ne les ont pas vé-
rifiés. Je voudrais donc que la liste du
Beth-Din de Paris se développe : c’est le
futur. Les Juifs de province – je précise que
je parle de la province, pas de Paris, de
Créteil ou Sarcelles, où la cacherout est
partout – pourront alors acheter aisément
dans tous les commerces des produits re-
connus comme cacher. Facilitons, dans le
respect de la Halakha, la vie des Juifs où
qu’ils soient.
: Certains des produits pré-
sents sur la liste du rav Wolff contien-
nent du Lactosérum, composant dont
la cacherout, pour le grand rabbin
de Paris Michel Gugenheim est
« plus que sujette à caution »…
H.K. :
C’est bien pour cela que nous
avons besoin d’un Av Beth-Din au
Consistoire de Paris. « Dans le cas où se
trouveraient opposées deux opinions, une
troisième viendra résoudre l’apparente
contradiction », explique Rabbi Ishmaël.
Le Av Beth-Din aura également pour
mission de régler les problèmes qui se
posent parfois dans les cas de conver-
sions. Je ne supporte pas l’humiliation
que l’on fait subir à certains.
: Faut-il alors en faciliter
le processus ?
H.K. :
Il faut l’encadrer. Accompagner les
gens, les porter presque mais ne jamais les
laisser sans réponse. Les mots ont leur im-
portance. Si on dit non, on doit dire aussi :
« Votre chemin est magnifique, mais il
faut encore le faire mûrir ». Autre pro-
blème : les enfants nés de père juif et de
mère non-juive. Ils évoluent souvent dans
un milieu juif, vivent les fêtes, sont même
parfois allés au Talmud-Torah. On ne peut
pas leur dire brutalement: « Tu n’es pas
Juif ! » Faisons-leur ce cadeau de parler
de « régularisation » plutôt que de conver-
sion. Ils ont déjà un nom juif. En Égypte,
les Hébreux sont restés juifs parce qu’ils
ont gardé leurs vêtements, leur langue et
leurs noms. Soyons donc, dans notre façon
de recevoir ces gens, moins accusateurs,
moins moralisateurs. La Torah interdit
d’humilier l’étranger et le converti. C’est
aussi pourquoi, j’ai nommé, immédiate-
ment après mon élection, deux média-
teurs, Dolly Touitou et Charles Sulman.
Ils ont déjà été saisis de demandes
(01 49 70 87 64 ou mediateur@consistoi-
recentral.fr ndlr) qu’ils traitent avec beau-
coup d’intelligence et d’humanité. Il s’agit
de faciliter le dialogue entre les fidèles et
le Consistoire, ou de les accompagner
dans certaines démarches.
: Pour ce qui est des acquis,
sera-t-il facile de conserver l’abattage
rituel et la circoncision avec les mena-
ces qui planent actuellement ?
H.K. :
Ces dossiers sont suivis attentive-
ment au niveau français, par le Grand rab-
bin Fiszon pour ce qui concerne l’abattage
rituel et par le rabbin Moché Lewin et
Charles Sulman, s’agissant de la circonci-
sion. Les statuts d’une association de Mo-
halim français visant à encadrer leurs prati-
ques viennent d’ailleurs d’être déposés.
Cela impliquera le respect d’un cahier des
charges, une formation et des normes sani-
taires. S’agissant de la Chehita, le Consis-
toire a fait un travail extraordinaire de for-
mation des chohatim dans les domaines du
bien-être animal et de l’hygiène dans le ca-
dre de l’IFM-SAJ.
Au niveau européen, le Grand rabbin Pin-
chas Goldschmidt, Président de la CER,
fait un travail remarquable pour défendre la
liberté de pratique religieuse en Europe,
avec notamment l’aide du Grand rabbin
Fiszon et du rabbin Moché Lewin, direc-
teur exécutif de la CER, premier Français
à occuper un poste aussi prestigieux.
: Avez-vous l’intention,
comme vos prédécesseurs,
de donner des cours magistraux ?
H.K. :
J’aime le contact direct avec les
gens. Je compte garder mon cours à Poly-
technique où j’ai un lien formidable avec
les élèves. J’en donnerai également un au-
tre, mensuel et ouvert à tous au centre
Moadon.
Je réponds aussi volontiers aux invita-
tions des communautés. Il est essentiel de
rencontrer les dirigeants, les cadres rabbini-
ques et les fidèles. Je donnerai aussi des
cours dans de grands espaces, mais je veux
garder cette dimension humaine de
l’échange.
Mais je veux également vous dire com-
bien le lien que vous proposez entre les
fidèles et moi par l'entremise de votre
journal est important. Cet entretien du pe-
tit dej d'Actualité juive avec le Grand rab-
bin de France est une tradition et un ren-
dez-vous incontournable que vous avez
installé dans notre calendrier comme un
temps de rencontre. C'est pour moi une
façon de poser des repères et de tracer des
axes de travail et cela ne se peut que
parce que vous parlez à travers votre jour-
nal à l'ensemble de la communauté sans
distinction, et même au-delà, ce qui est
très rare. C'est une occasion pour moi de
rappeler la mémoire de mon ami Serge
Benattar qui croyait profondément en la
vocation de son journal à être un lien di-
rect avec la communauté. M'adresser à
vous, c'est donc parler à chacun.
: Avez-vous des projets
spécifiques ?
H.K. :
Je ne manque pas d’idées et d’am-
bitions pour répondre aux aspirations de
la communauté juive. J’ai également des
projets plus symboliques, celui du chab-
bat mondial par exemple. J’ai reçu, il y a
plusieurs mois déjà, le Grand rabbin
d’Afrique du Sud, Warren Goldstein. Son
idée est simple et géniale : celle d’organi-
ser un chabbat où l’on accueillerait
quelqu’un chez soi ou dans sa commu-
nauté. Les 24 et 25 octobre prochains,
l’ensemble des communautés juives de
France organisera donc un grand chabbat
et donnera l’occasion aux gens de ren-
contrer les synagogues. Dans un autre re-
gistre, j’ai demandé cet été au rabbin
Laurent Berros de prendre contact avec
toutes les colonies et camps de vacances,
« On a besoin d’un dayan arbitrant
entre la loi et son opérabilité »
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Ptit Dej’ avec le Grand Rabbin de France Haïm Korsia
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« Ce n’est plus possible d’attendre
que les fidèles viennent dans les
synagogues alors qu’on
a besoin de nous partout. »
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