Schizophrenie et migration perspectives epidemiologiques

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LEAUNE
(CC BY-NC-ND 2.0)
UNIVERSITE CLAUDE BERNARD –LYON 1
FACULTE DE MEDECINE LYON EST
Année 2015 N°195
SCHIZOPHRENIE ET MIGRATION
Perspectives épidémiologiques, étiopathogéniques
et épistémologiques
THESE
Présentée
A l’Université Claude Bernard Lyon 1
et soutenue publiquement le 30 Septembre 2015
pour obtenir le grade de Docteur en Médecine
par
Edouard-Marie Leaune
Né le 9 Décembre 1986 à Lyon 3ème
1
LEAUNE
(CC BY-NC-ND 2.0)
UNIVERSITE CLAUDE BERNARD – LYON 1
___________________
. Président de l'Université
François-Noël GILLY
. Président du Comité de Coordination
François-Noël GILLY
des Etudes Médicales
. Secrétaire Général
Alain HELLEU
SECTEUR SANTE
UFR DE MEDECINE LYON EST
Doyen : Jérôme ETIENNE
UFR DE MEDECINE
LYON SUD – CHARLES MERIEUX
Doyen : Carole BURILLON
INSTITUT DES SCIENCES PHARMACEUTIQUES
ET BIOLOGIQUES (ISPB)
Directrice : Christine VINCIGUERRA
UFR D'ODONTOLOGIE
Directeur : Denis BOURGEOIS
INSTITUT DES SCIENCES ET TECHNIQUES DE
READAPTATION
Directeur : Yves MATILLON
DEPARTEMENT DE FORMATION ET CENTRE
DE RECHERCHE EN BIOLOGIE HUMAINE
Directeur : Pierre FARGE
SECTEUR SCIENCES ET TECHNOLOGIES
UFR DE SCIENCES ET TECHNOLOGIES
Directeur : Fabien de MARCHI
UFR DE SCIENCES ET TECHNIQUES DES
ACTIVITES PHYSIQUES ET SPORTIVES (STAPS)
Directeur : Claude COLLIGNON
POLYTECH LYON
Directeur : Pascal FOURNIER
I.U.T.
Directeur : Christian COULET
INSTITUT DES SCIENCES FINANCIERES
ET ASSURANCES (ISFA)
Directeur : Véronique MAUMEDESCHAMPS
I.U.F.M.
Directeur : Régis BERNARD
CPE
Directeur : Gérard PIGNAULT
2
LEAUNE
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Faculté de Médecine Lyon Est
Liste des enseignants 2014/2015
Professeurs des Universités – Praticiens Hospitaliers
Classe exceptionnelle Echelon 2
Cochat
Cordier
Etienne
Gouillat
Guérin
Pierre
Jean-François
Jérôme
Christian
Jean-François
Mauguière
Ninet
François
Jacques
Peyramond
Philip
Raudrant
Rudigoz
Dominique
Thierry
Daniel
René-Charles
Pédiatrie
Pneumologie ; addictologie
Bactériologie-virologie ; hygiène hospitalière
Chirurgie digestive
Biologie et médecine du développement
et de la reproduction ; gynécologie médicale
Neurologie
Médecine interne ; gériatrie et biologie du
vieillissement; médecine générale ; addictologie
Maladie infectieuses ; maladies tropicales
Cancérologie ; radiothérapie
Gynécologie-obstétrique; gynécologie médicale
Gynécologie-obstétrique; gynécologie médicale
Professeurs des Universités – Praticiens Hospitaliers
Classe exceptionnelle Echelon 1
Baverel
Blay
Borson-Chazot
Gabriel
Jean-Yves
Françoise
Denis
Finet
Guérin
Lehot
Philippe
Gérard
Claude
Jean-Jacques
Lermusiaux
Martin
Mellier
Patrick
Xavier
Georges
Michallet
Miossec
Morel
Mornex
Neyret
Ninet
Ovize
Ponchon
Pugeat
Mauricette
Pierre
Yves
Jean-François
Philippe
Jean
Michel
Thierry
Michel
Revel
Rivoire
Thivolet-Bejui
Vandenesch
Zoulim
Didier
Michel
Françoise
François
Fabien
Physiologie
Cancérologie ; radiothérapie
Endocrinologie, diabète et maladies
métaboliques ; gynécologie médicale
Ophtalmologie
Cardiologie
Réanimation ; médecine d’urgence
Anesthésiologie-réanimation; médecine
d’urgence
Chirurgie thoracique et cardiovasculaire
Urologie
Gynécologie-obstétrique ; gynécologie
médicale
Hématologie ; transfusion
Immunologie
Biochimie et biologie moléculaire
Pneumologie ; addictologie
Chirurgie orthopédique et traumatologique
Chirurgie thoracique et cardiovasculaire
Physiologie
Gastroentérologie ; hépatologie ; addictologie
Endocrinologie,
diabète
et
maladies
métaboliques ; gynécologie médicale
Radiologie et imagerie médicale
Cancérologie ; radiothérapie
Anatomie et cytologie pathologiques
Bactériologie-virologie ; hygiène hospitalière
Gastroentérologie ; hépatologie ; addictologie
3
LEAUNE
(CC BY-NC-ND 2.0)
Professeurs des Universités – Praticiens Hospitaliers
Première classe
André-Fouet
Barth
Berthezene
Bertrand
Beziat
Boillot
Braye
Xavier
Xavier
Yves
Yves
Jean-Luc
Olivier
Fabienne
Breton
Chassard
Pierre
Dominique
Chevalier
Claris
Colin
Philippe
Olivier
Cyrille
Colombel
Cottin
D’Amato
Delahaye
Di Fillipo
Disant
Douek
Ducerf
Dumontet
Durieu
Marc
Vincent
Thierry
François
Sylvie
François
Philippe
Christian
Charles
Isabelle
Edery
Fauvel
Charles Patrick
Jean-Pierre
Gaucherand
Pascal
Guenot
Gueyffier
Marc
François
Guibaud
Herzberg
Honnorat
Lachaux
Lina
Lina
Mabrut
Mertens
Mion
Morelon
Moulin
Négrier
Négrier
Nicolino
Nighoghossian
Obadia
Picot
Rode
Laurent
Guillaume
Jérôme
Alain
Bruno
Gérard
Jean-Yves
Patrick
François
Emmanuel
Philippe
Claude
Marie-Sylvie
Marc
Norbert
Jean-François
Stéphane
Gilles
Cardiologie
Chirurgie générale
Radiologie et imagerie médicale
Pédiatrie
Chirurgie maxillo-faciale et stomatologie
Chirurgie digestive
Chirurgie
plastique,
reconstructrice
et
esthétique ; brûlologie
Chirurgie maxillo-faciale et stomatologie
Anesthésiologie-réanimation;
médecine
d’urgence
Cardiologie
Pédiatrie
Epidémiologie, économie de la santé et
prévention
Urologie
Pneumologie ; addictologie
Psychiatrie d’adultes ; addictologie
Cardiologie
Cardiologie
Oto-rhino-laryngologie
Radiologie et imagerie médicale
Chirurgie digestive
Hématologie ; transfusion
Médecine interne ; gériatrie et biologie du
vieillissement ; médecine générale ;
addictologie
Génétique
Thérapeutique; médecine d’urgence;
addictologie
Gynécologie-obstétrique; gynécologie
médicale
Neurochirurgie
Pharmacologie fondamentale ; pharmacologie
clinique ; addictologie
Radiologie et imagerie médicale
Chirurgie orthopédique et traumatologique
Neurologie
Pédiatrie
Bactériologie-virologie ; hygiène hospitalière
Bactériologie-virologie ; hygiène hospitalière
Chirurgie générale
Anatomie
Physiologie
Néphrologie
Nutrition
Hématologie ; transfusion
Cancérologie ; radiothérapie
Pédiatrie
Neurologie
Chirurgie thoracique et cardiovasculaire
Parasitologie et mycologie
Médecine physique et de réadaptation
4
LEAUNE
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Rousson
Roy
Robert-Marc
Pascal
Ruffion
Ryvlin
Scheiber
Schott-Pethelaz
Alain
Philippe
Christian
Anne-Marie
Terra
Tilikete
Touraine
Truy
Turjman
Vallée
Vanhems
Jean-Louis
Caroline
Jean-Louis
Eric
Francis
Bernard
Philippe
Biochimie et biologie moléculaire
Biostatistiques, informatique médicale et
technologies de communication
Urologie
Neurologie
Biophysique et médecine nucléaire
Epidémiologie, économie de la santé
prévention
Psychiatrie d’adultes ; addictologie
Physiologie
Néphrologie
Oto-rhino-laryngologie
Radiologie et imagerie médicale
Anatomie
Epidémiologie, économie de la santé
prévention
Professeurs des Universités – Praticiens Hospitaliers
Seconde Classe
Allaouchiche
Bernard
Argaud
Aubrun
Laurent
Frédéric
Badet
Bessereau
Boussel
Calender
Charbotel
Chapurlat
Cotton
Dalle
Dargaud
Devouassoux
Dubernard
Lionel
Jean-Louis
Loïc
Alain
Barbara
Roland
François
Stéphane
Yesim
Mojgan
Gil
Dumortier
Fanton
Faure
Fellahi
Jérome
Laurent
Michel
Jean-Luc
Ferry
Fourneret
Gillet
Girard
Gleizal
Guyen
Henaine
Hot
Huissoud
Tristan
Pierre
Yves
Nicolas
Arnaud
Olivier
Roland
Arnaud
Cyril
Jacquin-Courtois
Janier
Javouhey
Juillard
Sophie
Marc
Etienne
Laurent
Anesthésiologie-réanimation ; médecine
d’urgence
Réanimation ; médecine d’urgence
Anesthésiologie-réanimation ; médecine
d’urgence
Urologie
Biologie cellulaire
Radiologie et imagerie médicale
Génétique
Médecine et santé au travail
Rhumatologie
Radiologie et imagerie médicale
Dermato-vénéréologie
Hématologie ; transfusion
Anatomie et cytologie pathologiques
Gynécologie-obstétrique ; gynécologie
médicale
Gastroentérologie ; hépatologie ; addictologie
Médecine légale
Dermato-vénéréologie
Anesthésiologie-réanimation ; médecine
d’urgence
Maladie infectieuses ; maladies tropicales
Pédopsychiatrie ; addictologie
Pédiatrie
Pneumologie
Chirurgie maxillo-faciale et stomatologie
Chirurgie orthopédique et traumatologique
Chirurgie thoracique et cardiovasculaire
Médecine interne
Gynécologie-obstétrique ; gynécologie
médicale
Médecine physique et de réadaptation
Biophysique et médecine nucléaire
Pédiatrie
Néphrologie
5
LEAUNE
(CC BY-NC-ND 2.0)
et
et
Jullien
Kodjikian
Krolak Salmon
Denis
Laurent
Pierre
Lejeune
Hervé
Merle
Michel
Philippe
Philippe
Monneuse
Mure
Nataf
Pignat
Poncet
Raverot
Olivier
Pierre-Yves
Serge
Jean-Christian
Gilles
Gérald
Ray-Coquard
Richard
Rossetti
Rouvière
Saoud
Schaeffer
Souquet
Vukusic
Wattel
Isabelle
Jean-Christophe
Yves
Olivier
Mohamed
Laurent
Jean-Christophe
Sandra
Eric
Dermato-vénéréologie
Ophtalmologie
Médecine interne ; gériatrie et biologie du
vieillissement ; médecine générale ;
addictologie
Biologie et médecine du développement et de
la reproduction ; gynécologie médicale
Gastroentérologie ; hépatologie ; addictologie
Epidémiologie, économie de la santé et
prévention
Chirurgie générale
Chirurgie infantile
Cytologie et histologie
Oto-rhino-laryngologie
Chirurgie générale
Endocrinologie, diabète et maladies
métaboliques ; gynécologie médicale
Cancérologie ; radiothérapie
Réanimation ; médecine d’urgence
Physiologie
Radiologie et imagerie médicale
Psychiatrie d’adultes
Biologie cellulaire
Gastroentérologie ; hépatologie ; addictologie
Neurologie
Hématologie ; transfusion
Professeur des Universités - Médecine Générale
Letrilliart
Moreau
Laurent
Alain
Professeurs associés de Médecine Générale
Flori
Lainé
Zerbib
Marie
Xavier
Yves
Professeurs émérites
Chatelain
Bérard
Boulanger
Bozio
Chayvialle
Daligand
Descotes
Droz
Floret
Gharib
Itti
Kopp
Neidhardt
Petit
Pierre
Jérôme
Pierre
André
Jean-Alain
Liliane
Jacques
Jean-Pierre
Daniel
Claude
Roland
Nicolas
Jean-Pierre
Paul
Rousset
Bernard
Pédiatrie
Chirurgie infantile
Bactériologie-virologie ; hygiène hospitalière
Cardiologie
Gastroentérologie ; hépatologie ; addictologie
Médecine légale et droit de la santé
Pharmacologie fondamentale ; pharmacologie
Cancérologie ; radiothérapie
Pédiatrie
Physiologie
Biophysique et médecine nucléaire
Anatomie et cytologie pathologiques
Anatomie
Anesthésiologie-réanimation ; médecine
d’urgence
Biologie cellulaire
6
LEAUNE
(CC BY-NC-ND 2.0)
Sindou
Trepo
Trouillas
Trouillas
Viale
Marc
Christian
Paul
Jacqueline
Jean-Paul
Neurochirurgie
Gastroentérologie ; hépatologie ; addictologie
Neurologie
Cytologie et histologie
Réanimation ; médecine d’urgence
Maîtres de Conférence – Praticiens Hospitaliers
Hors classe
Benchaib
Mehdi
Bringuier
Davezies
Germain
Jarraud
Jouvet
Le Bars
Normand
Persat
Pharaboz-Joly
Piaton
Rigal
Sappey-Marinier
Streichenberger
Timour-Chah
Pierre-Paul
Philippe
Michèle
Sophie
Anne
Didier
Jean-Claude
Florence
Marie-Odile
Eric
Dominique
Dominique
Nathalie
Quadiri
Voiglio
Wallon
Eric
Martine
Biologie et médecine du développement et de
la reproduction ; gynécologie médicale
Cytologie et histologie
Médecine et santé au travail
Physiologie
Bactériologie-virologie ; hygiène hospitalière
Anatomie et cytologie pathologiques
Biophysique et médecine nucléaire
Médecine et santé au travail
Parasitologie et mycologie
Biochimie et biologie moléculaire
Cytologie et histologie
Hématologie ; transfusion
Biophysique et médecine nucléaire
Anatomie et cytologie pathologiques
Pharmacologie fondamentale ; pharmacologie
clinique ; addictologie
Anatomie
Parasitologie et mycologie
Maîtres de Conférence – Praticiens Hospitaliers
Première classe
Ader
Barnoud
Bontemps
Chalabreysse
Charrière
Collardeau Frachon
Cozon
Dubourg
Escuret
Hervieu
Kolopp-Sarda
Laurent
Lesca
Maucort Boulch
Florence
Raphaëlle
Laurence
Lara
Sybil
Sophie
Grégoire
Laurence
Vanessa
Valérie
Marie
Frédéric
Gaëtan
Delphine
Meyronet
Peretti
Pina-Jomir
Plotton
Rabilloud
David
Noel
Géraldine
Ingrid
Muriel
Ritter
Roman
Maladies infectieuses ; maladies tropicales
Anatomie et cytologie pathologiques
Biophysique et médecine nucléaire
Anatomie et cytologie pathologiques
Nutrition
Anatomie et cytologie pathologiques
Immunologie
Physiologie
Bactériologie-virologie ; hygiène hospitalière
Anatomie et cytologie pathologiques
Nathalie Immunologie
Bactériologie-virologie ; hygiène hospitalière
Génétique
Biostatistiques, informatique médicale et
technologies de communication
Anatomie et cytologie pathologiques
Nutrition
Biophysique et médecine nucléaire
Biochimie et biologie moléculaire
Biostatistiques, informatique médicale et
technologies de communication
Epidémiologie, économie de la santé et
prévention
Physiologie
Jacques
Sabine
7
LEAUNE
(CC BY-NC-ND 2.0)
Tardy Guidollet
Tristan
Vlaeminck-Guillem
Véronique
Anne
Virginie
Biochimie et biologie moléculaire
Bactériologie-virologie ; hygiène hospitalière
Biochimie et biologie moléculaire
Maîtres de Conférences – Praticiens Hospitaliers
Seconde classe
Casalegno
Chêne
Jean-Sébastien
Gautier
Duclos
Antoine
Phan
Rheims
Rimmele
Alice
Sylvain
Thomas
Schluth-Bolard
Simonet
Thibault
Vasiljevic
Venet
Caroline
Thomas
Hélène
Alexandre
Fabienne
Bactériologie-virologie ; hygiène hospitalière
Gynécologie-obstétrique ; gynécologie
médicale
Epidémiologie, économie de la santé et
prévention
Dermato-vénéréologie
Neurologie
Anesthésiologie-réanimation ;
médecine d’urgence
Génétique
Biologie cellulaire
Physiologie
Anatomie et cytologie pathologiques
Immunologie
Maîtres de Conférences associés de Médecine Générale
Chanelière Marc
Farge Thierry
Figon Sophie
8
LEAUNE
(CC BY-NC-ND 2.0)
Le Serment d'Hippocrate
Je promets et je jure d'être fidèle aux lois de l’honneur et de la probité dans l'exercice de la
Médecine.
Je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans discrimination.
J'interviendrai pour les protéger si elles sont vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou leur
dignité. Même sous la contrainte, je ne ferai pas usage de mes connaissances contre les lois de
l'humanité.
J'informerai les patients des décisions envisagées, de leurs raisons et de leurs conséquences. Je ne
tromperai jamais leur confiance.
Je donnerai mes soins à l'indigent et je n'exigerai pas un salaire au-dessus de mon travail.
Admis dans l'intimité des personnes, je tairai les secrets qui me seront confiés et ma conduite ne
servira pas à corrompre les mœurs.
Je ferai tout pour soulager les souffrances. Je ne prolongerai pas abusivement la vie ni ne
provoquerai délibérément la mort.
Je préserverai l'indépendance nécessaire et je n'entreprendrai rien qui dépasse mes compétences. Je
perfectionnerai mes connaissances pour assurer au mieux ma mission.
Que les hommes m'accordent leur estime si je suis fidèle à mes promesses. Que je sois couvert
d'opprobre et méprisé si j'y manque.
9
LEAUNE
(CC BY-NC-ND 2.0)
Remerciements
A Mme le Professeur Saïda Douki-Dedieu
Vous m‘avez fait l’immense honneur d’accepter de diriger ce travail de thèse. L’intérêt et le soutien que
vous avez apportés à cette réflexion m’honore. Votre engagement clinique et scientifique tout au long de
votre carrière est pour moi un exemple à suivre. Trouvez ici le témoignage de ma profonde estime.
A Mr le Professeur Jean-Louis Terra
Vous me faites l’honneur d’accepter de présider ce jury. La confiance, les conseils et la disponibilité que
vous m’accordez depuis mon stage au sein de votre service m’honorent. Votre engagement en faveur de
la prévention du suicide et de l’amélioration de l’accès aux soins, ainsi que la qualité de votre
enseignement sont autant d’exemples à suivre. Veuillez trouver ici l’assurance de ma sincère
reconnaissance.
A Mr le Professeur Thierry D’Amato
Je vous suis très reconnaissant d’avoir accepté de participer à ce jury. Votre engagement sans faille
auprès des internes et en faveur de l’enseignement a très largement contribué à ériger au fil des années
une formation de grande qualité à la psychiatrie sur la région lyonnaise. Soyez assuré de mon estime et
de mon profond respect.
A Mr le Professeur Emmanuel Poulet
Je vous remercie de participer à ce jury de thèse. Votre accompagnement et votre soutien tout au long de
la préparation de mon projet d’année Médaille d’Or ont renforcé l’envie de travailler à vos côtés et de
mener des projets cliniques et de recherche au sein de votre service. Soyez assuré de ma grande
considération.
A Mme le Docteur Halima Zeroug-Vial
Tu me fais l’honneur et le plaisir d’accepter de participer à ce jury. Ton engagement clinique et
scientifique en tant que directrice de l’ORSPERE-SAMDARRA et chef de service est un exemple pour
moi. La confiance que tu m’accordes depuis mon stage sur ton secteur m’amène à des réflexions et des
rencontres professionnelles que j’ai toujours grand plaisir à mener. Cette thèse est l’occasion de te
remercier autant qu’il se doit pour cette confiance et ce soutien.
10
LEAUNE
(CC BY-NC-ND 2.0)
Je dédie ce travail
A l’ensemble des patients que j’ai pu rencontrer au cours de mon internat et à leurs familles. Que leur
courage et leur abnégation respectifs face à la maladie soient ici salués.
A toutes celles et ceux que l’adversité du monde oblige à quitter leur foyer, leur famille et leur
quotidien, leur ici, pour un ailleurs et des lendemains incertains.
A Sophia, qui a participé à sa manière à la réalisation de cette thèse, qu’elle lira peut-être un jour, et
dont le sourire protège de tous les maux.
A Justine, inspiration première de chacune de mes pensées et réflexions.
A mes parents, qui ont su me transmettre le goût des autres et la curiosité d’apprendre.
A mes grands-parents. A ma grand-mère Marie, pour son intarissable curiosité et sa vivacité d’esprit.
A mon frère et à Laurianne. A Claire, Didier et Louis.
A ma belle-famille, à mes neveux et nièces.
A mes amis.
A ceux de toujours, Pierre, Emilie, Jeremy, Alexandre, Eloi et Laura, dont l’indéfectible présence est un
soutien sans commune mesure, l’humour un souffle d’air frais permanent.
A Mathieu, Yann, Chloé, Charline et Nasta qui ont su rendre ces longues années d’étude fort hilarantes.
A Léo et Héloïse, Emilien et Aurore, Marion et Dominique, Mathilde, Agnès et Alexandre, Sophie,
Philippe, Alix, Mathéo, Félix, Florent, Sarah, Laélia, et Adeline, pour la chance inouïe que j’ai de les
connaître.
A la promotion 2011 des internes en psychiatrie lyonnais, avec qui ce fut un plaisir de traverser ces
quatre années de formation.
Aux membres des bureaux de la CLIP et du CNIPSY 2014, avec qui j’ai eu le plaisir et la joie de faire
vivre au mieux le monde associatif lyonnais en psychiatrie.
Aux différentes équipes médicales et paramédicales avec lesquelles j’ai eu le plaisir de travailler au
cours de mon internat et qui ont progressivement forgé les trames de cette réflexion de fin d’étude.
A l’équipe du SHU, pour la qualité de son travail quotidien, le partage de réflexions cliniques
enrichissantes et son accueil toujours chaleureux.
A l’équipe du SUR, pour son humanisme, son optimisme et son engagement dans un travail quotidien
de grande qualité en faveur de la réhabilitation.
11
LEAUNE
(CC BY-NC-ND 2.0)
A l’équipe de l’ORSPERE-SAMDARRA, pour la qualité de ses travaux et de son action en faveur de la
santé mentale des plus démunis, mais aussi pour son accueil toujours chaleureux.
A toutes celles et ceux qui ont contribué, sans le savoir sans doute, à l’élaboration de ce travail.
12
LEAUNE
(CC BY-NC-ND 2.0)
Table des matières
Introduction ........................................................................................................................................ 15
1. Définitions ....................................................................................................................................... 18
A. Migrants .................................................................................................................................................. 18
B. Phases de la migration ............................................................................................................................ 19
C. Concept d’ethnicité ................................................................................................................................. 19
2. Matériel et méthodes ....................................................................................................................... 21
A. Méthodologie de la synthèse narrative ................................................................................................... 21
B. Description de la méthode ...................................................................................................................... 22
3. Perspectives épidémiologiques......................................................................................................... 24
A. Migration et santé mentale...................................................................................................................... 24
B. Schizophrénie, la pathologie du migrant? ............................................................................................... 28
C. Données en France et résultats récents ................................................................................................... 31
D. Phénomène de densité ethnique ................................................................................................ 34
E. Limites et critiques des données ............................................................................................................. 36
F. La migration, un facteur de risque aux contours incertains..................................................................... 41
G. Conclusion.................................................................................................................................. 44
4. Perspectives étiopathogéniques ....................................................................................................... 46
A. Hypothèses avancées .............................................................................................................................. 46
B. Le modèle de l‘échec social (Selten & Cantor-Graae, 2005).................................................................. 49
C. Le modèle sociodéveloppemental (Morgan et al., 2011) ........................................................................ 56
D. Théorie de la « sensibilisation » ............................................................................................................. 61
E. La théorie du « capital social » : lien social et schizophrénie ................................................................. 64
F. Exclusion sociale et discrimination : une double signature cognitive et neurobiologique ...................... 70
G. Conclusion .............................................................................................................................................. 82
5. Perspectives épistémologiques ......................................................................................................... 87
A. Modèles de la schizophrénie et vulnérabilité.......................................................................................... 87
B. Epistémologie de la psychiatrie transculturelle .................................................................................... 107
C. Vers la psychiatrie sociale .................................................................................................................... 123
6. Discussion ..................................................................................................................................... 132
Conclusions ....................................................................................................................................... 137
13
LEAUNE
(CC BY-NC-ND 2.0)
« Nous avons perdu notre foyer, c’est-à-dire la familiarité de notre vie
quotidienne. Nous avons perdu notre profession, c’est-à-dire l’assurance
d’être de quelque utilité dans ce monde. Nous avons perdu notre langue
maternelle, c’est-à-dire nos réactions naturelles, la simplicité des gestes et
l’expression spontanée de nos sentiments. »
Hannah Arendt, 1943
« Ce mythe, dans sa forme la plus marquée, suggère que la schizophrénie
survient avec une égale incidence dans tous les pays du monde (riches et
pauvres), dans tous les groupes ethniques et toutes les cultures, ainsi que
chez les hommes et les femmes de manière égale. Si l’idée même que la
schizophrénie puisse être respectueuse des droits de l’Homme possède
une vague noblesse, elle s’avère surtout franchement bizarre. »
John McGrath, 2006
« Seul, le contact direct des choses peut donner aux enseignements de la
science la détermination qui leur manque. Une fois qu’on a établi
l’existence du mal, en quoi il consiste et de quoi il dépend, quand on sait,
par conséquent, les caractères généraux du remède et le point auquel il
doit être appliqué, l’essentiel n’est pas d’arrêter par avance un plan qui
prévoie tout; c’est de se mettre résolument à l’œuvre. »
Emile Durkheim, 1897
14
LEAUNE
(CC BY-NC-ND 2.0)
Introduction
Il existe aujourd’hui une augmentation exponentielle du nombre de recherches épidémiologiques
portées sur le rôle de la migration dans l’étiopathogénie de la schizophrénie (Oh et al., 2015; Mezuk et
al., 2015; Anderson et al., 2015; Kirkbride, 2015, Eilbracht et al., 2015; Adriaanse et al., 2015; 2015).
Les résultats parfois contradictoires de ces différentes études et leur complexité indiquent la réalisation
de synthèses régulières des données afin d’obtenir des connaissances cohérentes concernant cette
littérature fournie et hétérogène. La problématique des liens entre santé mentale et migration confronte
ainsi les sciences humaines et fondamentales à un défi d’envergure en ce début de XXIème siècle. En
effet, alors que ce lien de causalité est observé depuis les années 1930, les recherches étiologiques,
après s’être penchées sans grand succès sur l’étude des facteurs pré-migratoires pouvant expliquer
l’extrême vulnérabilité psychique à laquelle sont confrontées les populations migrantes, en arrivent à
investiguer plus en détail la période post-migratoire et les conditions d’accueil des immigrés et de leurs
descendants dans les sociétés occidentales modernes, s’inscrivant dans un domaine prolifique de
recherches concernant les facteurs environnementaux et sociaux de la schizophrénie. Plus précisément,
les inégalités territoriales, sociales, mais aussi ethniques, de santé, amènent les chercheurs à se pencher
sur le terrain de la schizophrénie, dont les causes environnementales sont à ce jour bien connues mais
peu élucidées. Evoquant ainsi une « tragédie de santé publique » pour certains (Morgan & Hutchinson,
2010) ou une « épidémie de psychose » pour d’autres (Selten & Cantor-Graae, 2009), l’adversité
psychique à laquelle font face les migrants de par le monde impose, d’un point de vue à la fois éthique
et scientifique, que soit placée au coeur de la recherche en psychiatrie la compréhension fine des liens
entre schizophrénie et migration. Les effets pathogènes des conditions environnementales et sociales se
trouvent ainsi mises au premier plan depuis une dizaine d’années, ouvrant la voie à une multitude de
recherches visant à mieux appréhender les liens entre société et individus, santé individuelle et
vulnérabilité collective. Ce glissement amène à une nécessaire réflexion pluridisciplinaire autour de
15
LEAUNE
(CC BY-NC-ND 2.0)
considérations épidémiologiques, éthiopathogéniques et épistémologiques. Des notions telles que celles
de « personne à risque de psychose » ou de vulnérabilité, par leur caractère parfois trop statique, ne
permettent en effet que partiellement de mettre en lumière la réalité de processus d’entrée dans une voie
psychopathologique telle que la schizophrénie. Pourquoi tel ou tel migrant développera
préférentiellement à un autre des troubles psychotiques, ce alors que tous deux partagent à première vue
les mêmes facteurs de risque? La question de la vulnérabilité génétique, aisément apportée comme
réponse à cette question première a montré ses limites en matière de migration, si bien qu’il paraît
nécessaire d’engager une réflexion plus poussée sur les processus d’entrée dans la maladie, à partir de
données épidémiologiques, physiopathologiques, neurobiologiques et cognitives mais également
apportées par la méthodologie des sciences humaines.
Etonnamment, malgré la densité des travaux menés dans la littérature internationale, il semble
être fait peu de cas dans les données françaises des connaissances récentes dans le domaine de la
psychiatrie sociale et des recherches épidémiologiques en psychiatrie. Ce retard trouve une partie de son
explication dans la place prépondérante prise par la psychiatrie transculturelle dans l’analyse
psychopathologique de la migration en France, au point de remettre en question la validité même de
l’idée selon laquelle la migration serait un facteur de risque significatif de schizophrénie. Si les
arguments apportés par les tenants de cette approche centrée sur la compréhension des troubles
psychiatriques sous l’angle culturel ne manquent pas d’intérêt pour comprendre au mieux la
psychopathologie liée à la migration, force est de constater qu’elle peut parfois amener à nier la réalité
qu’est celle de l’extrême vulnérabilité des migrants vis-à-vis de la psychose. Il conviendra dans ce
travail de synthèse des données de faire part des résultats en matière d’ethnopsychiatrie, de discuter de
leur pertinence dans le champ plus global de l’épidémiologie et l’étiopathogénie de la schizophrénie
ainsi que de leurs limites et de l’intérêt qu’ils peuvent revêtir pour éclairer les données actuelles. La
communication en français des données récentes sur le sujet apparaît ainsi comme un enjeu majeur de ce
travail.
Au-delà des liens entre schizophrénie et migration, la question des modèles environnementaux
et socio-développementaux se trouve également posée, nécessitant que soit engagée une réflexion sur
les modèles actuels de la schizophrénie. Le modèle stress-vulnérabilité, présidant en matière de
compréhension de la pathologie schizophrénique depuis la fin des années 70, se trouvent grandement
questionné par la migration, amenant la réflexion épistémologique à préciser davantage ce que
recouvrent des termes aussi polysémiques que « stress » ou « vulnérabilité ». Les déterminants
réciproques unissant les notions de vulnérabilité et de stress se trouvent ainsi nécessairement remis en
question et réinterrogent en profondeur les modèles théoriques actuels.
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Au-delà de ces nombreux questionnements, il s’agira également de discuter l’intérêt réciproque
et l’articulation entre les travaux quantitatifs des sciences fondamentales et les approches davantage
qualitatives des sciences humaines pour mieux appréhender la réalité d’un phénomène complexe. Une
notion telle que celle de lien social ne saurait par exemple être envisagée uniquement d’un point de vue
quantitatif dans l’optique d’appréhender totalement le phénomène complexe qui fait ressentir à un
individu le fait de se sentir soutenu et reconnu dans un système d’appartenance sociale, culturelle ou
communautaire.
Ce travail de thèse visera ainsi à apporter une synthèse des connaissances actuelles concernant
les liens entre schizophrénie et migration. A notre grande surprise, elle représentera le premier travail de
synthèse méthodique en langue française des travaux scientifiques internationaux sur le sujet.
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1. Définitions
Avant toute prise en compte des résultats, il convient de définir les termes utilisés dans les
travaux de recherche épidémiologique ou clinique portant sur les questions de migration. Les termes de
migrant ou d’ethnicité présents dans les études internationales posent en effet des problèmes de
définition et de délimitation conceptuelle, en comparaison notamment avec la manière dont ils sont
entendus dans les travaux en langue française.
A. Migrants
En effet, les études internationales distinguent les migrants de première et de seconde génération
(Bourque et al., 2011; Selten & Cantor-Graae, 2005), là où la nomenclature française évoque
préférentiellement les termes d’immigrés et de descendants d’immigrés (Enquête Trajectoire &
Origines, 2008). Nous retiendrons dans ce travail de thèse les termes suivants, utilisés dans les travaux
épidémiologiques internationaux:
•
Migrants de première génération: personnes nées à l’étranger de parents étrangers ayant migré
dans le pays d’accueil depuis leur pays d’origine, elles sont définies en français par le terme
d’immigrés
•
Migrants de seconde génération: personnes nées dans le pays d’accueil d’un ou deux parent
né(s) à l’étranger, pour lesquelles la dénomination française serait celle de descendants
d’immigré
A noter que sera également utilisé la notion de migrant de troisième génération, terme présent
dans un des travaux épidémiologiques (Amad et al., 2013), désignant les petits-enfants de migrants de
première génération, nés dans le pays d’accueil et ayant donc un ou plusieurs grands-parents né(s) à
l’étranger et deux parents nés dans le pays d’accueil.
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B. Phases de la migration
La distinction des différentes phases migratoires est primordiale d’un point de vue
étiopathogénique car les études ont longtemps cherché à définir l’origine des liens entre migration et
schizophrénie en se basant sur les données précédant la migration (vulnérabilité génétique, notamment)
ou liées au stress de la migration en elle-même. En effet, certains travaux postulaient une causalité
antérieure à la migration, d’autres l’identifiaient dans le processus de migration ou encore dans la phase
postérieure à la migration. Il est aujourd’hui ainsi convenu de retenir trois phases dans le phénomène
migratoire (Bughra & Jones, 2001):
•
pré-migratoire: phase durant laquelle la personne envisage de migrer, elle se déroule dans
le pays d’origine
•
migratoire : processus qui voit la personne quitter son pays d’origine en direction du pays
d’accueil, elle peut durer de quelques jours à plusieurs années
•
post-migratoire : phase suivant l’acte migratoire qui se déroule dans le pays d’accueil
C. Concept d’ethnicité
Le concept d’ethnicité est sans doute celui qui pose le plus problème du point de vue de la
nomenclature française. Il est décrit dans la littérature anglo-saxonne comme « le sens d’appartenir à un
groupe dont les membres sont considérés comme similaires d’un point de vue culturel et ethnique »
(Fernando, 2010; Bhopal, 2014). On voit dès lors toute les questions que peuvent soulever une telle
définition. La notion de communauté, davantage utilisée en langue française pourrait en partie se
rapprocher de celle d’ethnicité. Pour autant, elle tend à être connotée négativement d’un point de vue
politique et social, étant rapidement rapportée à la notion de « communautarisme », peu valorisée dans
l’optique de la définition du lien social à la française. Il est à noter que la notion d’identité serait assez
proche de celle d’ethnicité en ce qu’elle serait une part non négligeable de ce qui pourrait définir le
sentiment d’identité d’une personne au sein d’une identité complexe (Descombes, 2013; Marchal,
2012). Ainsi, nous utiliserons en temps voulu ce concept d’ethnicité d’un point de vue scientifique. Une
discussion sera menée sur la manière de le transposer dans le langage commun et le contexte français
dans la discussion de la première partie de ce travail.
Le terme de densité ethnique, dont nous discuterons la pertinence scientifique dans le chapitre
consacré à l’épidémiologie, est un concept apparu précocement dans les travaux épidémiologiques en
matière de migration (Faris & Dunham, 1939; Malzberg, 1964). Il désigne le taux de personnes issues
d’une même communauté ethnique au regard de la population générale vivant dans une zone
géographique donnée. Plus ce taux augmente au sein de la zone, plus la densité ethnique est considérée
comme élevée.
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La séparation ethnique est un concept corrélé à celui de densité ethnique, en ce qu’il s’intéresse
à la répartition des minorités dans une zone géographique donnée (Kirkbride, 2014). Le schéma 1
représente la différence entre un quartier A où la séparation ethnique est forte, comparée à un quartier B
au sein duquel elle est faible. Ce concept peut être rapproché de la notion française de mixité sociale, le
quartier B représentant ainsi un exemple de haute mixité sociale, au contraire du quartier A.
Quartier A
Quartier B
Figure 1: Modélisation
Modélisation du concept de séparation ethnique (adapté de Kirkbride et al., 2014)
Enfin, le terme d’identité ethnique est compris comme le sentiment personnel d’appartenance à
sa communauté d’origine. Il se rapproche de la notion de capital social cognitif, qui désigne quant à lui
les sentiments individuels de confiance vis-à-vis de son voisinage et de sa communauté, en y ajoutant,
entre autres, la question culturelle.
Pour des raisons pratiques de conformité aux données internationales, l’ensemble de ces termes
sera utilisé tout au long de ce travail de thèse. Il ne s’agit en aucun cas de s’affranchir d’une réflexion
quant à la pertinence de l’utilisation de ces concepts dans le contexte français, si bien que la discussion
portera régulièrement sur leur transférabilité et le sens qu’ils peuvent revêtir dans notre société, dont les
manières d’appréhender les phénomènes sociaux s’éloignent significativement du modèle anglo-saxon
ou d’Europe du Nord.
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2. Matériel et méthodes
A. Méthodologie de la synthèse narrative
Ce travail de thèse utilisera la méthode de la synthèse bibliographique narrative (narrative
review) décrite par différents auteurs (Rother, 2007; Green et al., 2006; Cipriani & Geddes, 2003). Elle
est définie comme une « revue de la littérature non systématique visant à offrir une synthèse des
connaissances scientifiques actuelles sur un sujet donné, notamment quand il ne s’agit pas d’obtenir une
synthèse statistique de données quantitatives » (Green et al., 2006). La méthode de la synthèse narrative
est particulièrement indiquée lorsqu’il s’agit d’offrir une mise en relief, à la fois théorique, historique et
épistémologique, d’un sujet clinique ou de recherche, mais aussi de son contexte, pour lequel existent
des points de vue divergents au sein de la communauté scientifique (Slavin, 1995). Elle permet ainsi
d’apporter une synthèse de l’ensemble des arguments apportés par les différentes écoles, notamment
lorsque des considérations philosophiques, épistémologiques ou éthiques par exemple, se trouvent mises
en discussion autour de théories ou de contextes différents. Les auteurs tendent ainsi à indiquer
l’introduction dans la synthèse narrative d’un examen critique des travaux cités (DePoy & Gitlin, 2011;
Day et al., 1998), malgré des avis divergents à ce sujet (Heleva & Walker, 2000).
Le Narrative Overview Rating Scale (NORS, Green et al., 2006; Annexe 1) offre les bases d’une
structuration méthodologique à une synthèse narrative valide, en apportant un cadre de construction
systématisée de la revue de la littérature. Cette échelle quantitative d’hétéro-évaluation permet de juger
de la validité interne et externe d’une synthèse narrative, au travers de sa construction méthodologique
structurelle et rédactionnelle. Ainsi, l’utilisation de bases de données bibliographiques multiples et bien
identifiées lors de la rédaction apparaît comme une condition nécessaire à la validité de l’étude. Les
critères d’inclusion ou d’exclusion des différents travaux et études se doivent d’être préalablement
établis et définis. De même, la mise en forme des données se doit de répondre à un certain nombre
d’exigences fondamentales, du point de vue de la construction rédactionnelle et du contenu des
différentes parties.
Il est important de noter que la synthèse narrative n’offre pas une méthode adéquate pour définir
des recommandations de prise en charge pour le clinicien, en premier lieu parce qu’elle traite davantage
des enjeux d’une problématique médicale et sanitaire que de discussions diagnostiques, pronostiques ou
thérapeutiques. L’utilisation du NORS permet de diminuer au maximum le risque de biais et d’optimiser
la validité scientifique de cette démarche méthodologique particulière.
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B. Description de la méthode
Dans notre travail, après avoir identifié la problématique précise des liens de causalité entre
schizophrénie et migration, nous avons mené une recherche bibliographique en vue de proposer une
synthèse la plus exhaustive possible des connaissances actuelles sur le sujet, mais aussi des débats et
controverses qui y sont associés, notamment du point de vue des modèles actuels de la schizophrénie,
des liens entre santé publique et individuelle et de l’épistémologie des disciplines s’intéressant à la
psychopathologie de la migration.
Une première ligne de recherche bibliographique a porté sur les données scientifiques ayant
cherché à valider et préciser la caractérisation de la migration comme facteur de risque de
schizophrénie, des années 2000 à 2015. La base de données utilisée était la database Medline, pour des
articles comprenant les termes MeSH suivants: « migration », « migrant », « ethnicity », « psychose »,
ou « schizophrenia ». Les études épidémiologiques antérieures aux méta-analyses ont été exclues, au
contraire de celles ayant été réalisées après 2011. Les travaux de synthèse les plus récents ont été
conservés, de même que les études épidémiologiques réalisées après 2011, date de la dernière métaanalyse sur le sujet.
Une seconde recherche bibliographique a visé à exhaustiver les connaissances et recherches en
cours sur les mécanismes explicatifs potentiels du lien établi entre psychose et migration, à travers une
recherche utilisant de nouveau la base MEDLINE autour des termes suivants: « discrimination »,
« ethnic density », « ethnic identity », « social exclusion », « social cohesion », « social capital »,
« social advsersity », « social defeat », « environment » corrélés aux termes MeSH suivants « mental
health », « psychosis », « schizophrenia » et « migration ». Ces termes ont été choisis au regard des
discussions étiologiques apportées à la fin des articles épidémiologiques utilisés dans la première partie
de la synthèse. La période de recherche bibliographique concernait à nouveau les années 2000 à 2015.
Etaient retenus les articles évoquant l’étiopathogénie de la littérature directement à partir des données
concernant l’épidémiologie du risque de psychose dans les populations migrantes. Etaient exclus les
articles évoquant l’étiopathogénie de la schizophrénie à partir d’autres facteurs de risque, sans référence
aucune à la migration ou l’ethnicité.
Le dernier chapitre de ce travail proposant des pistes de réflexions autour des différentes
perspectives de recherche et de réflexion, tant du point de vue des sciences humaines que
fondamentales, quant à la nécessaire précision des modèles actuels de la schizophrénie, aux implications
pratiques des découvertes scientifiques sur les effets psychiques de la migration. La recherche
bibliographique a alors porté sur plusieurs bases de données anglophones et francophones, telles que
MEDLINE, CAIRN, WORDCAT ou SUDOC. La recherche s’est concentrée autour des termes suivants,
rapportés ici en anglais et associés à leur traduction française: « model (modèle) », « schizophrénia
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(schizophrénie) »,
« psychosis
(psychose) »
« environment
(environnement) »,
« vulnerability
(vulnérabilité) », « public health (santé publique) », « liability (vulnérabilité) », « social psychiatry
(psychiatrie sociale) », « cross-cultural psychiatry (psychiatrie transculutrelle) ». La période de
recherche était élargie aux années 1970 à 2015, tant pour les travaux francophones qu’anglophones, ce
qui correspond aux dates d’apparition de réflexions scientifiques sur les modèles environnementaux de
la schizophrénie. Les articles et ouvrage traitant principalement de la schizophrénie à partir de données
environnementales ou culturelles ont été retenus.
La réalisation de notre synthèse narrative a répondu aux exigences du Narrative Overview
Rating Scale, tant du point de vue de la réalisation de la recherche bibliographique que de la rédaction.
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3. Perspectives épidémiologiques
Depuis l’étude initiale d’Ödegaard datée de 1932, il semble établi que la migration est un facteur
de risque de schizophrénie, aux côtés de l’urbanicité, des traumatismes infantiles, du cannabis ou encore
des antécédents familiaux de trouble psychotique. Les travaux se sont ainsi succédés au fil des
décennies, amenant les auteurs à apporter une validité croissante à la réalité mise en lumière par le
psychiatre norvégien. Il convient de proposer une synthèse des travaux épidémiologiques menés sur le
sujet en y intégrant les données récentes, afin de connaître la réalité de ce risque et d’en discuter les
caractéristiques.
Plus d’une vingtaine d’articles ont été identifiés au décours de la recherche bibliographique
portant sur les années 2000 à 2015. Dix-sept ont été retenus pour cette première partie épidémiologique,
parmi lesquels figurent cinq méta-analyses (Tortelli et al., 2015; Bousqui et al., 2013; Bourque, van der
Wen & Malla, 2011; Swinnen & Selten, 2007; Cantor-Graae & Selten, 2005), dix études
épidémiologiques, cinq rétrospectives (Pedersen & Cantor-Graae, 2013; Amad et al., 2013; Vinkers et
al., 2013; Nielssen et al., 2013; Werbeloff et al., 2012) et cinq prospectives (Oh et al., 2015; Mezuk et
al., 2015; Anderson et al., 2015; O’Donoghue et al., 2014; Tortelli et al., 2014), ainsi que deux articles
de synthèse et de revue critique des données (Bourque et al., 2012; Baubet, 2009).
A. Migration et santé mentale
Dès l’entre-deux guerres, Ödegaard, psychiatre norvégien émigré aux Etats-Unis, observait chez
ses compatriotes une incidence plus élevée de troubles psychotiques au regard de la population
américaine autochtone, ce qu’il publia en 1932 dans une étude qui fit date, intitulée Emigration and
Insanity (Ödegaard, 1932). Son étude retrouvait ainsi un taux deux fois plus élevé de schizophrénie
chez les migrants norvégiens qu’au sein de la population native américaine et que pour les norvégiens
dans leur pays d’origine. L’hypothèse de la migration sélective, dont nous discuterons plus tard la
validité scientifique, y était proposée, basée sur l’idée que les personnes souffrant de troubles
psychotiques présenteraient une inclinaison plus forte à migrer du fait de leur inadaptation dans leur
pays d’origine. Dans le même temps, une étude anglaise (Faris & Dunham, 1939) démontrait que les
personnes noires de peau présentaient un taux plus important d’hospitalisation en psychiatrie, sauf dans
les quartiers de la ville où ils représentaient la communauté majoritaire. Ce travail fut le premier à
proposer le concept de densité ethnique et à s’intéresser aux liens entre urbanicité, migration et
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schizophrénie. Des travaux plus récents ont permis de préciser les liens de causalité existant entre
migration et santé mentale.
1. Incidence des pathologies mentales au Danemark
Une étude danoise récente (Pedersen & Cantor-Graae, 2013) a permis de mettre en exergue les
pathologies psychiatriques particulièrement favorisées par la migration. Ce travail épidémiologique
rétrospectif d’envergure a ainsi porté sur 1.859.419 personnes résidant au Danemark entre Janvier 1971
et Décembre 2000. L’existence d’un diagnostic psychiatrique était recherchée parmi les personnes
incluses, autour des huit pathologies suivantes : schizophrénie, pathologies du spectre schizophrénique,
trouble schizoaffectif, trouble bipolaire, trouble de l’humeur, troubles anxieux et somatoformes, trouble
de personnalité et addictions. Pour rechercher une corrélation entre ces différents diagnostics et la
migration, les personnes incluses dans l’étude étaient identifiées selon huit types de parcours de vie et
de rapport au phénomène migratoire : les personnes adoptées (n= 15 360), la première génération de
migrants (n= 34 555), la seconde génération de migrants de mère née à l’étranger (n= 53 906), dont le
père est né à l’étranger (n= 57 933), ou dont les deux parents sont nés à l’étranger (n= 71 340), les
personnes nées à l’étranger de parents danois expatriés (n= 8 046), les danois avec une histoire de
résidence à l’étranger (n= 21 280) et les danois sans antécédents de résidence à l’étranger (n=
1 576 369). Le risque relatif était calculé pour chacune des pathologies au sein de chaque cohorte. Les
principaux résultats montraient que :
➢
les personnes adoptées présentent un risque augmenté pour l’ensemble des pathologies
psychiatriques recherchées (RR= 1,65; IC95%= 1,58-1,73 ; p<0,0001), principalement pour la
schizophrénie et les troubles du spectre, le trouble bipolaire et les troubles de personnalité
➢
les migrants de première génération présentent un risque augmenté uniquement pour la
schizophrénie (RR= 2.10 ; p<0.0001) et les troubles du spectre schizophrénique (RR= 1.96 ;
p<0.0001)
➢
les migrants de seconde génération ayant deux parents nés à l’étranger présentent un risque
relatif significativement augmenté uniquement pour la schizophrénie (RR= 1.95, p<0.0001) et
les pathologies du spectre schizophrénique (RR= 1,95 ; p<0,0001)
➢
les migrants de seconde génération ayant un seul parent né à l’étranger présentent un risque
augmenté pour l’ensemble des pathologies psychiatriques, notamment la schizophrénie (RR =
1,54 s’il s’agit de la mère; RR = 1,69 s’il s’agit du père), les troubles du spectre
schizophrénique, ainsi que le trouble bipolaire
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➢
les danois nés à l’étranger de parents expatriés présentent un risque augmenté uniquement pour
les troubles du spectre schizophrénique (RR= 1,43; p<0,01)
➢
les danois ayant une histoire de résidence à l’étranger présentent un risque augmenté pour le
trouble schizo-affectif, les troubles du spectre schizophrénique, le trouble bipolaire, les troubles
de l’humeur et les troubles de personnalité
Il ressort de cette étude que la schizophrénie apparaît comme le trouble psychiatrique le plus
représenté au sein des différentes populations migrantes notamment chez les personnes adoptées, les
migrants de première ou de deuxième génération. Le risque relatif varie ainsi de 1.63 à 2.52 selon les
sous-populations à risque. Il est intéressant de noter différents points :
• L’histoire de migration chez des personnes d’origine danoise et de parents danois (expatriés ou
enfants d’expatriés) ne semble pas favoriser la schizophrénie, au contraire d’autres pathologies
psychiatriques, notamment les troubles du spectre schizophrénique
• Un point important est la vulnérabilité que représente l’adoption, qui apparaît comme un
facteur de risque pour l’ensemble des pathologies psychiatriques recensées dans l’étude.
• Le risque de schizophrénie est augmenté à la fois chez les migrants de première et de seconde
génération
Ces données tendent d’ores et déjà à avancer l’idée que ce n’est sans doute pas le fait de migrer
en soi qui favorise les troubles psychiatriques, et notamment la schizophrénie, mais que d’autres
déterminants, pré- ou post-migratoires, semblent entrer en compte. Ainsi, certaines populations
apparaissent fragiles vis-à-vis de la schizophrénie uniquement tandis que d’autres en semblent protégées
tout en présentant des facteurs de risque augmentés pour d’autres pathologies psychiatriques.
Cette étude a également permis de catégoriser les populations les plus à risque et de calculer le
risque cumulatif de présenter une pathologie psychiatrique de tout type entre l’âge de 10 ans et de 40
ans. Il ressort que les personnes adoptées sont les plus à risque de présenter une pathologie
psychiatrique au cours de leur vie, avant les migrants de seconde génération ayant un seul parent né à
l’étranger. Les migrants de première génération ou ayant deux parents nés à l’étranger présentent assez
étonnamment un risque cumulatif moins élevé que la population autochtone. Il est à noter que dans la
population masculine la fragilité psychique semble davantage marquée puisque l’ensemble des
populations migrantes, à l’exception de la première génération, se trouvent plus à risque que la
population autochtone de développer une pathologie psychiatrique avant l’âge de 40 ans.
Cette étude exhaustive permet d’introduire la problématique des liens entre santé mentale et
migration, en mettant en lumière la vulnérabilisation psychique que représente une histoire migratoire.
Si les risques relatifs demeurent inégaux et variés selon le type de pathologie et le rapport à la
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migration, ils n’en manquent pas moins de mettre en lumière la fragilisation que représente le vécu
migratoire. La complexité de l’intrication entre le rapport précis à la migration (première ou seconde
génération, un seul ou deux parents né(s) à l’étranger, etc.…) et les pathologies exprimées démontre
l’hétérogénéité existante selon les groupes et la complexité du lien entre santé mentale et migration. Le
dénominateur commun que semble représenter la schizophrénie et les troubles associés nécessite
d’entamer une réflexion approfondie sur les déterminants partagés entre ces différents groupes qui
pourraient concourir à la survenue de la maladie au cours de la vie.
Une des limites évidente de ce travail est, qu’au-delà de sa validité scientifique au vue du
nombre conséquent de personnes incluses, il reste difficile d’extrapoler les résultats dans un contexte
socioéconomique et politique autre que le Danemark ou, du moins, en dehors d’un pays développé
d’Europe. Une autre limite réside dans la temporalité de l’étude qui voit les calculs d’incidence s’arrêter
après l’âge de 40 ans, ce qui tend à favoriser la mise en exergue de pathologies de développement
précoce telles que la schizophrénie ou le trouble bipolaire. En effet, les troubles anxieux ou dépressifs
pourraient être largement augmentés au-delà de la quarantaine, ce que l’étude ne permet pas de mettre
en lumière, au risque d’appuyer artificiellement sur la place de la schizophrénie au sein de la
psychopathologie liée à la migration.
Pour autant les résultats tendant à concorder par-delà les frontières et les méta-analyses récentes
portant sur les principaux troubles psychiatriques retrouvent une augmentation du risque de troubles
psychiatriques pour les populations migrantes, au sein desquelles la schizophrénie occupe une place
privilégiée. Avant de détailler les travaux en matière de schizophrénie, nous pouvons nous pencher sur
une méta-analyse de Sanne, Swinnen et Selten concernant la place des troubles de l’humeur chez les
populations migrantes, afin de discuter davantage le lien privilégié entre schizophrénie et migration que
semble mettre en avant l’étude de Cantor-Graae.
2. Migration et troubles de l’humeur
En 2007, Sanne, Swinnen et Selten réalisent une méta-analyse portant sur quatorze études
analysant les liens entre troubles de l’humeur et migration (Sanne, Swinnen & Selten, 2007). Deux
études portaient spécifiquement sur la dépression, cinq sur le trouble bipolaire, neuf sur le trouble de
l’humeur non spécifié. La grande majorité des études avaient été menées en Angleterre - au total, neuf
études sur les quatorze retenues. Les autres avaient été réalisées en Israël, en Suède, au Danemark, en
Australie et aux Pays-Bas.
Les résultats retrouvaient un risque relatif pour le trouble bipolaire de 2,47 (IC95%= 1,33-4,59)
mais tombant à une tendance non significative en excluant les afro-caribéens (RR=1,75; IC95%= 0,943,28), population très présente au Royaume-Uni dont les risques de pathologie mentale sont
excessivement élevés. A noter que le facteur de risque était non significatif pour les femmes mais
présent pour les hommes (RR= 2,51; 1,34-4,72). Concernant les troubles de l’humeur de polarité non
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spécifiée, le risque relatif calculé était de 1,25 (IC95%= 1,04-1,49). Enfin, concernant les troubles de
l’humeur en général (any mood disorder) le risque était de 1,38 (IC95%= 1,17-1,62).
Les auteurs concluent ainsi que l’augmentation du risque de présenter un trouble de l’humeur
reste relativement peu élevé pour les populations migrantes. En tout cas, il apparaît a priori moindre que
celui présenté du point de vue de la schizophrénie, ce qui pose la question de l’existence d’un lien
privilégié entre migration et schizophrénie, et de fait de l’existence de déterminants étiopathogéniques
spécifiquement impliqués dans cette vulnérabilisation psychopathologique ainsi que d’effets cognitifs
ou neurobiologiques précis de la migration.
B. Schizophrénie, la pathologie du migrant?
Les résultats des études citées jusqu’ici tendent à donner à la schizophrénie une place privilégiée
dans les troubles mentaux présentés par les migrants. En effet, la vulnérabilisation psychique observée
ne semble pas atteindre aussi préférentiellement les troubles de l’humeur et le trouble bipolaire. Une
analyse de travaux ayant porté spécifiquement sur la question de la psychose en contexte migratoire
semble en ce sens primordiale. Deux méta-analyses récentes (Cantor-Graae & Selten, 2005; Bourque et
al., 2011) permettront d’apporter des données quantitatives précises dans cette optique.
1. Méta-analyse de Cantor-Graae & Selten (2005)
a. Résultats
En 2005, plus de 70 ans après la première étude sur le sujet, Elizabeth Cantor-Graae et Jean-Paul
Selten réalisent la première méta-analyse visant à préciser et valider la possibilité de désigner la
migration en tant que facteur de risque de schizophrénie. Dix-huit études répondant aux critères
d’inclusion de l’analyse ont ainsi été utilisées. Huit d’entre elles étaient des études de premier contact
ambulatoire ou intrahospitalier, dix traitaient de primo-admission hospitalière en psychiatrie.
L’ensemble des études avaient été réalisé dans cinq pays différents: Angleterre, Danemark, Suède, PaysBas et Australie, pour un total de 3704 patients migrants et de 27 090 témoins.
Les résultats retrouvés étaient les suivants:
• Risque relatif de schizophrénie pour la première génération de migrants : 2,7 (IC95%= 2,3-
3,2)
• Risque relatif de schizophrénie pour la seconde génération de migrants : 4,5 (IC95%= 1,3-
13,1)
• Risque relatif cumulé de schizophrénie pour l’ensemble des migrants de première et
deuxième génération : 2,9 (IC95%= 2,5-3,4)
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Le premier résultat de cette étude validait donc l’existence d’un lien de causalité entre la
migration et la schizophrénie, présent pour les personnes ayant migré au cours de leur existence, mais
également pour la seconde génération de migrants, n’ayant pas elle-même migré. Au-delà de ces
résultats généraux pour chacune des générations, un calcul d’hétérogénéité mené pour toutes les
analyses s’est avéré significatif, ce qui met en exergue l’existence de groupes différents ne pouvant être
considérés comme présentant un niveau de risque identique et sans doute une étiologie commune à ce
risque partagé. Ainsi, les niveaux de risque relatifs étaient différemment repartis selon certaines
caractéristiques précises. Par exemple, il était de 2,3 (IC95%= 1,7-3,1) pour les migrants originaires de
pays développés contre 3,3 (IC95%= 2,8-3,9) pour ceux originaires de pays en voie de développement.
Les personnes noires de peau présentaient le risque le plus élevé, à hauteur de 4,8 (IC95%= 3,7-6,2),
contre 2,3 (IC95%= 1,7-3,1) pour les personnes blanches et 2,2 (IC95%= 1,7-2,9) pour les personnes
ayant un autre couleur de peau. A noter qu’il n’existait en revanche pas de différence de risque selon le
genre (risque relatif de 2,4 contre 2,5), ce qui contraste avec l'épidémiologie habituelle de la
schizophrénie pour laquelle le sexe masculin est un facteur de risque reconnu (Aleman, Kahn & Selten,
2003).
Au total, la méta-analyse de Cantor-Graae et Selten a permis de valider en 2005 le fait de
caractériser la migration comme un facteur de risque de schizophrénie. L’ampleur de ce risque se situe à
hauteur de celui retrouvé pour le cannabis (RR= 2), le mode de vie urbain (RR= 2,37), les complications
obstétricales (RR= 2) ou les traumatismes infantiles (RR compris entre 1,2 et 2,9). Ceci fait de la
migration un facteur de risque majeur dans la genèse des troubles psychotiques. Une revue récente des
facteurs de risque environnementaux de schizophrénie évalue ainsi le risque attribuable, c’est à dire le
nombre de cas qui seraient évités en l’absence du facteur de risque, lié à la migration à hauteur de 15%
(Vilain et al, 2012). Pour comparaison, le risque attribuable est de 34,5% pour l’urbanicité et de
seulement 5,5% pour les antécédents familiaux de schizophrénie.
b. Limites
Cette première méta-analyse sur le sujet présente plusieurs limites méthodologiques qu'il
convient de souligner.
Tout d’abord, la plupart des études se focalisent sur un groupe ethnique particulier dans un pays
donné et non pas sur les migrants en général dans ce même pays (par exemple, les Surinamais et
Marocains aux Pays-Bas, les Caribéens en Angleterre), si bien qu’il est difficile d’extrapoler les
résultats à d’autres minorités. De plus, l’ensemble des études a été réalisé dans un nombre restreint de
pays développés, majoritairement européens, ce qui rend encore une fois difficile l’extrapolation des
résultats. Cependant, l’amplitude de la taille d’effet et la convergence des résultats de chacune des
études laissent peu de doute quant à la réalité des liens entre schizophrénie et migration.
29
LEAUNE
(CC BY-NC-ND 2.0)
Concernant les résultats pour la seconde génération de migrants, le faible nombre d’études
portant spécifiquement sur cette population utilisée pour l’analyse, sept au total, amène à émettre des
doutes quant à l’ampleur du risque.
2. Méta-analyse de Bourque, van der Wen & Malla (2011)
En 2011, Bourque et ses collaborateurs réalisent une nouvelle méta-analyse, prenant en compte
les études réalisées depuis 2005, dans l’optique notamment d’éclairer la réalité du risque pour la
seconde génération de migrants. En effet, la taille d’effet s’avérait assez faible les concernant dans la
méta-analyse de Cantor-Graae et Selten et le peu d’études portant spécifiquement sur les migrants de
seconde génération ne pouvait amener à des preuves scientifiques définitives.
Au total, vingt-et-une études remplissaient les critères d’inclusion, parmi lesquelles dix portaient
sur la première génération de migrants, deux sur la seconde génération et neuf à la fois sur la première et
la seconde génération de migrants, correspondant respectivement à 5508 patients de première génération
et 4422 patients de seconde génération. Douze portaient sur des primo-admissions hospitalières, neuf
sur des primo-consultations. Douze de ces études avaient été utilisées pour la méta-analyse de CantorGraae et Selten. Les études avaient été menées en Angleterre, en Suède, aux Pays-Bas, au Danemark, en
Israël et au Canada. Le risque relatif calculé était le suivant :
• Risque relatif pour les migrants de première génération : 2,3 (IC95%= 2,0-2,7; taille d’effet:
61)
• Risque relatif pour les migrants de seconde génération: 2,1 (IC95%= 1,8-2,5; taille d’effet:
28)
La différence de risque relatif retrouvée entre les deux générations n’était pas significative.
Cette seconde méta-analyse a donc permis d’appuyer l’idée que la migration est un facteur de risque
environnemental de schizophrénie à la fois pour les première et deuxième génération de migrants, à
hauteur d’un risque relatif compris entre 2 et 3. Comme dans la méta-analyse de 2005, les calculs
d’hétérogénéité parmi les deux générations étaient significatifs, soulignant de nouveau le fait qu’il ne
s’agit sans doute pas d’appréhender la migration comme un facteur de risque homogène se basant sur un
substrat étiopathogénique unique. Ainsi, Bourque et ses collaborateurs retrouvaient un risque très élevé
pour les personnes noires de peau (RR= 4,0 pour la première génération et RR= 5,4 pour la seconde
génération de migrants) au regard des populations asiatiques notamment (RR= 1,7; IC95%= 1,3-2,3).
Il est intéressant de noter que les deux études réalisées en Israël (Corcoran et al., 2009; Weiser et
al., 2008) retrouvent des résultats contradictoires quant à l’augmentation du risque de schizophrénie
parmi les populations migrantes, notamment venues d’Europe, aussi bien pour la première que la
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(CC BY-NC-ND 2.0)
seconde génération. Il est cependant noté que le risque est augmenté (RR= 2,95) pour les migrants
éthiopiens. Ce résultat interroge bien évidemment sur l’étiopathogénie des liens entre migration et
schizophrénie, notamment du point de vue de la discrimination et du sentiment d’échec social, la
migration vers Israël (l’Alya) n’ayant sans doute pas les mêmes effets psychopathologiques que celle de
migrants en direction des pays développés d’Europe. De même, un possible vécu de discrimination
motivant la migration ne semble pas avoir nécessairement d’effet d’augmentation du risque de psychose
à l’arrivée dans le pays d’accueil.
Cette seconde méta-analyse, en confirmant et précisant les résultats de celle effectuée par
Cantor-Graae et Selten, a permis de valider définitivement la caractérisation de la migration comme
facteur de risque de schizophrénie. Les limites méthodologiques restent identiques à la première métaanalyse et seront discutées plus en détail dans un chapitre ultérieur.
C. Données en France et résultats récents
Se pose la question de la transposabilité des résultats retrouvés dans les méta-analyses portant
uniquement sur des populations précises dans des pays du Nord de l’Europe. En effet, peut-on les
extrapoler à d’autres pays dans d’autres conditions socioéconomiques et culturelles? Deux études
récentes menées en France ont cherché à vérifier l’existence d’un sur-risque de psychose pour les
populations migrantes en France, tandis que différentes études récentes ont retrouvé des résultats
divergents sur différents continents.
1. Amad & collaborateurs (2013)
En 2013, Amad et collaborateurs réalisent une étude rétrospective portant sur le risque
d’épisodes psychotiques aigus et récurrents chez les migrants de première, seconde et troisième
générations dans le Nord de la France. L’analyse portait sur 37 063 personnes incluses entre 1999 et
2003 dans le Nord au sein d’une cohorte tirée de l’étude « Santé Mentale en Population Générale »
(SMPG) réalisée par le CCOMS, parmi lesquelles 9821 étaient considérées comme migrantes. Le
diagnostic de psychose était assuré par la passation d’une Mini International Neuropsychiatric Interview
(MINI), qui permet de distinguer entre épisode psychotique unique et épisodes psychotiques récurrents.
Sur l’ensemble de la cohorte, 1104 personnes étaient diagnostiquées avec un trouble psychotique
(2,7%), comprenant 271 épisodes uniques (0,7%) et 743 épisodes récurrents (2.0%). Après ajustement
pour le sexe, l’âge, le niveau d’éducation et l’abus de substance cannabique, les risques relatifs pour les
épisodes psychotiques aigus et récurrents étaient majorés pour les migrants de première et de seconde
génération à hauteur de risques relatifs compris entre 1,43 et 1,68 (Tableau 1). Pour la troisième
génération, seul le risque d’épisodes psychotiques récurrents était majoré, à hauteur de 1,78 (IC95%=
1,45-2,18; p< 0,0001).
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(CC BY-NC-ND 2.0)
1ère génération
2nde génération
3ème génération
Episode unique
1,68
1,43
1,34 (NS)
Episodes récurrents
1,57
1,43
1,78
Tableau 1: Prévalence et odds ratio d’épisodes
d’épisodes psychotiques
psychotiques uniques
uniques et récurrents
récurrents
selon les génération de migrants dans le Nord de la France (adapté de Amad et al., 2013)
Cette étude a donc permis de confirmer l’existence d’un risque élevé de schizophrénie pour les
populations migrantes en France, et d’avancer, pour la première fois, la persistance de ce risque au sein
de la troisième génération. L’utilisation du MINI pour le diagnostic d’épisode psychotique pose la
question de sa validité dans le cas de la schizophrénie, ce alors que la PANSS est décrit comme l’outil
psychométrique le plus efficace.
2. Tortelli & collaborateurs (2014)
En 2014, Tortelli et collaborateurs ont publié une étude prospective réalisée sur les urgences
psychiatriques du 20ème arrondissement de Paris visant à identifier le risque de psychose pour la
population migrante (Tortelli et al., 2014). Les inclusions eurent lieu entre 2005 et 2009, pour
l’ensemble des personnes quittant les urgences avec un diagnostic de psychose.
Ainsi, 258 personnes furent incluses, parmi lesquelles étaient décomptés 122 migrants. Les
résultats retrouvaient une forte tendance, pour autant non significative, de risque élevé de psychose chez
l’ensemble des migrants (RR= 2,9; IC95%= 0,9-9,8). Les analyses de sous-groupes montraient un risque
élevé uniquement pour les hommes migrants (RR= 3,2; IC95%= 1,1-9,3) et notamment d’origine subsaharienne (RR= 7,4; IC95%= 2,7-19,8). Les résultats, malgré des tendances, n’étaient pas significatifs
pour l’ensemble des autres groupes.
Cette étude, sans doute du fait d’un manque de puissance suffisante de l’échantillon, n’a permis
de rapporter que des tendances, fortes mais pour autant non significatives, en soulignant comme dans la
plupart des études une vulnérabilité particulière pour certains groupes ethniques.
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(CC BY-NC-ND 2.0)
3. Résultats récents
Différentes études récentes publiées au cours des derniers mois ont apporté un certain nombre de
données nouvelles sur les liens entre schizophrénie et migration, n’allant pas nécessairement dans le
sens des résultats antérieurs selon les cas.
a. Données canadiennes
Une étude canadienne publiée en juin 2015 (Anderson et al., 2015) a permis de préciser le risque
de psychose pour différentes populations migrantes de première génération et réfugiées installées en
Ontario. L’analyse retrouvait des niveaux de risque différents selon l’origine des personnes et leur statut
socio-économique. Ainsi, il s’agit de la première étude qui retrouve un risque augmenté spécifiquement
pour les personnes bénéficiant du statut de réfugié (RR= 1.27 ; IC95% = 1.04-1.56), qui constituait dans
l’étude un facteur de risque indépendant d’autres variables. Du point de vue de l’origine, les réfugiés
originaires d’Afrique de l’Est (RR= 1.95 ; IC95%= 1.44-2.65) et du Sud de l’Asie (RR= 1.51 ; IC95% =
1.08-2.12) présentaient les risques de schizophrénie les plus élevés avec les immigrés originaires des
Caraïbes ou des Bermudes (RR= 1.60, IC95% = 1.29-1.98). En revanche, il n’était pas retrouvé de
risque augmenté pour les personnes originaires d’Europe et d’Asie de l’Est (RR= 0.56 ; IC95%= 0.410.78). Cette étude tend donc à corroborer l’hypothèse d’existence de groupes ethniques à risques,
différents selon le pays d’accueil et le pays d’origine, ainsi que le rôle majeur du statut socioéconomique dans le risque de psychose.
b. Données australiennes, suédoises et américaines
Deux études menées aux Etats-Unis et en Suède et publiées en 2015 ne retrouvaient pas
d’augmentation du risque de schizophrénie pour différentes populations de migrants. Ainsi, une étude
épidémiologique suédoise de Mezuk et al., ne retrouvait pas d’augmentation du risque pour la
population irakienne (OR= 1.66, IC95%= 0.92-2.97) ni pour les autres populations migrantes présentes
dans le pays (OR= 0.93 ; p<0.05)(Mezuk et al., 2015). Ce résultat, portant rétrospectivement sur une
cohorte de 950 972 citoyens suédois, contraste avec une étude prospective menée en 2001 en Suède
(Cantor-Graae, Zolkowska & McNeil, 2005) qui retrouvait un risque augmenté pour les personnes
migrantes.
De même, Oh et al. aux Etats-Unis ne retrouvent pas d’augmentation du risque de présenter des
expériences psychotiques pour les populations immigrées, notamment les latinos-américains (Oh et al.,
2015). Si cette étude portait sur les expériences psychotiques et non la schizophrénie, elle apporte
cependant des résultats contradictoires à ceux retrouvés en Angleterre ou aux Pays-Bas notamment.
Enfin, différentes études menées en Australie n’ont pas retrouvé d’augmentation du risque de
psychose pour les populations migrantes dans le pays. En effet, une première étude de McGrath et al. en
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(CC BY-NC-ND 2.0)
2001 avait retrouvé un risque moins élevé de psychose pour les populations migrantes de première et de
seconde génération que pour la population native australienne (McGrath et al., 2001). De même, une
étude portant sur les admissions hospitalières dans le secteur psychiatrique du New South Wales
pendant une période d’une dizaine d’années ne retrouvait pas de différence de risque de psychose entre
population autochtone et migrante (Nielssen et al., 2013). Plus récemment, une étude portant sur le
risque de transition de psychose chez des personnes australiennes à haut risque de psychose ne retenait
pas non plus le statut de migrant comme facteur de risque de transition (O’Donoghue et al., 2014).
c. Données hollandaises et anglaises
Les résultats ultérieurs à la méta-analyse de 2011 réalisés en Angleterre et aux Pays-Bas ont en
revanche confirmé les données connues dans ces pays. Il est à noter que ces deux pays sont les plus
actifs en matière de recherches portées sur les pathologies psychiatriques au sein des populations
migrantes du fait des prévalences importantes de psychose dans la population caribéenne au RoyaumeUni et marocaine aux Pays-Bas.
Ainsi, une méta-analyse récente portant sur dix-huit études réalisées entre 1950 et 2013 au
Royaume-Uni retenait un facteur de risque global de 4.37 (IC95%= 3.9-5.7) pour la population afrocaribéenne (Tortelli et al, 2015).
De même, une étude hollandaise publiée en 2013 portant sur les registres nationaux entre 2000
et 2006 retrouvait un odd ratio de 2.6 pour les populations migrantes (IC95%= 2.2-3.0), plus élevé pour
les personnes originaires d’Afrique (OR= 5.2 ; IC95%= 3.7-7.4)(Vinkers et al., 2013).
Au total, les études menées plus récemment sur le risque de psychose en situation migratoire ont
apporté des données contradictoires. En effet, les résultats ont été répliqués dans les pays où ils
semblaient les plus robustes (Angleterre, Pays-Bas), mais aussi dans d’autres contextes (France,
Canada), tandis que d’autres études ont retrouvé des résultats contradictoires avec les données
internationales (USA, Suède).
D. Phénomène de densité ethnique
Un des premiers résultats historique concernant les liens entre schizophrénie et migration a été la
mise en exergue par Farris et Dunham d’un effet protecteur vis-à-vis du risque de psychose pour les
communautés immigrées les moins minoritaires dans le pays d’accueil (Farris & Dunham, 1939). Ce
phénomène appelé « densité ethnique » postule que plus un groupe ethnique représente une part
importante de la population générale du pays d’accueil, moins le risque de schizophrénie est important
pour les individus le constituant. Au fil des années, différentes études ont tenté d’appréhender et
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(CC BY-NC-ND 2.0)
d’analyser ce phénomène, dans l’optique d’étudier la possibilité de l’étendre à l’ensemble des minorités
ethniques dans les pays d’accueil.
Une méta-analyse menée en 2014 (Bousqui et al., 2014) a permis de synthétiser les résultats
connus à ce sujet et de discuter la validité statistique de ce phénomène décrit depuis plus de soixante-dix
ans. Portant sur un total de huit études, ayant retrouvé des résultats disparates, cette synthèse
systématique a permis de valider la pertinence du phénomène de densité ethnique. Ces études réalisées
majoritairement au Royaume-Uni démontraient dans leur ensemble l’existence d’un effet de protection
pour les communautés les moins minoritaires.
Différentes raisons peuvent concourir à cet effet protecteur. La notion de capital social, que nous
évoquerons plus tard dans ce travail ou la modération des effets du racisme et de la discrimination par le
support social sont des hypothèses de recherche intéressante. En effet, on peut imaginer que l’existence
d’un réseau social communautaire fort puisse offrir la possibilité de partager ses expériences de
discrimination et de les atténuer, de diminuer l’effet d’exclusion sociale ou encore d’éviter un retard
d’accès au soin par l’existence d’un système de recours et de conseils efficace.
Il convient également de discuter le rôle du sentiment personnel d’identification et
d’appartenance culturelle et ethnique selon l’origine des individus, du fait de l’hétérogénéité dans la
répartition du risque selon les communautés. A ce titre, une étude anglaise a porté sur la conformité avec
les traditions de leur communauté chez des patients issus de deux communautés distinctes, à savoir les
personnes originaires d’Asie du Sud-Est comparés à des afro-caribéens (Morgan & Bhugra, 2011). Il est
en effet reconnu que les migrants d’origine asiatique présente un risque de psychose moins élevé que les
afro-caribéens en Angleterre (Bhugra et al., 1997). L’identité ethnique était mesurée en comparant les
idées des patients sur un certain nombre de sujets de société (rôles sociaux selon le genre, religion,
habillage et habitudes alimentaires…) en fonction de celles de sujets contrôles issus de la même
communauté. L’étude retrouvait un caractère plus traditionaliste associée à une moindre volonté
d’intégration aux populations autochtones chez les patients asiatiques que chez les patients afrocaribéens, ce qui pourrait démontrer une identité ethnique à l’égard de leur communauté moins affirmée
chez ces derniers. La marginalisation à l’égard du groupe d’origine pourrait alors avoir un rôle
important dans la genèse des troubles psychotiques chez les afro-caribéens.
Une étude belge a également démontré que l’identité ethnique dans l’enfance pouvait dépendre
d’un certain nombre de facteurs sociaux, et notamment des résultats scolaires ou du sentiment d’estime
sociale de soi (Felouzis & Fouquet-Chauprade, 2013). Ainsi, des enfants issus de quartiers très
défavorisés présentaient une plus grande estime sociale d’eux-mêmes lorsque leur identité ethnique était
forte tandis que cette identité ethnique tendait à se majorer avec le temps. Le sentiment d’appartenance
culturelle ou ethnique apparaît ainsi comme un facteur d’intégration au groupe de pairs, notamment
pour des enfants appartenant à des milieux discriminés et défavorisés, et se renforce avec le temps. On
voit alors toute la complexité qui advient à appréhender une réalité aussi complexe que celle du
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(CC BY-NC-ND 2.0)
sentiment d’appartenance et ses rapports avec la santé mentale des individus. Cette problématique pose
dès à présent la question du rapport entre facteurs populationnels et individuels dans la genèse et
l’expression des troubles psychiatriques.
E. Limites et critiques des données
Les critiques apportées aux résultats épidémiologiques proviennent principalement des travaux
en psychiatrie transculturelle, discipline qui interroge sur plusieurs points la question des diagnostics en
situation transculturelle. Cependant, d’autres questionnements méthodologiques se posent également
qu’il semble nécessaire de prendre en compte dans l’optique d’entrevoir plus précisément la réalité des
liens psychopathologiques entre schizophrénie et migration.
1. Un facteur de risque “construit”?
Une des premières questions posée par le niveau de risque lié à la migration est de savoir si cette
dernière correspond à un facteur de risque indépendant ou plutôt à la coïncidence d’un ou plusieurs
autres facteurs de risques confondants. Ainsi, le degré de risque, à savoir un risque relatif compris entre
2 et 3, correspond au niveau de risque d’autres facteurs environnementaux connus tels que la
consommation de cannabis, le développement en milieu urbain, les antécédents de traumatismes
infantiles ou les complications obstétricales. Un des arguments apporté à cette hypothèse et que le
caractère composite du risque permettrait d’expliquer l’extrême hétérogénéité existant dans les résultats
retrouvés pour les différents groupes de migrants.
Il est aujourd’hui reconnu que le fait de grandir et de vivre en milieu urbain augmente le risque
de présenter une pathologie schizophrénique au cours de la vie, à raison d’un risque relatif égal à 2.37
(Vassos et al., 2012). Il est ainsi soutenu que les migrants, tant de première que de deuxième génération,
vivraient majoritairement en milieu urbain, volontiers défavorisé, si bien que la proportion
d’augmentation de risque quasi-identique a amené à proposer l’hypothèse selon laquelle l’urbanicité
serait un biais pouvant expliquer les résultats retrouvés. Cependant, aucune étude sociologique n’a
démontré de lien statistique entre milieu urbain et migration, tandis que l’étude multicentrique AESOP
n’a pas démontré de lien significatif entre lieu de résidence urbain ou rural et incidence du trouble pour
les migrants (Kirkbride, 2006).
De même, il a pu être proposé que la consommation de cannabis soit plus importante dans les
populations migrantes, paupérisées et confrontées à de nombreux facteurs de risque d’addiction. Pour
autant, les études menées auprès des populations caribéennes au Royaume-Uni retrouve un taux de
consommation de cannabis identique entre les populations migrants et autochtones (Sharpley et al.,
2001), résultat répliqué dans une étude hollandaise récente (Vinkers et al., 2013) . De plus, alors qu’il
est connu que les hommes ont davantage tendance à consommer du cannabis que les femmes (Wetherill
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(CC BY-NC-ND 2.0)
et al., 2015), ceci n’expliquerait pas l’absence de différence entre le niveau de risque pour les femmes et
les hommes migrants.
Enfin, il a été proposé de la même manière que les migrants aient pu être confrontés davantage à
des traumatismes infantiles ou des complications obstétricales dans leur prime enfance. De manière tout
à fait superposables aux résultats concernant les autres facteurs de risque, il a été démontré que les
complications lors de l’accouchement n’étaient pas plus fréquentes dans les populations migrantes, la
tendance étant même plutôt dans le sens d’un moindre taux de complications chez ces populations
(Hutchinson et al., 1997). Ceci peut sans doute être expliqué par le healthy migrant effect, phénomène
de « bonne santé des migrants » décrit dans différentes études (Lu & Qin, 2014 ; Moullan & Jusot,
2014), qui veut qu’à leur arrivée dans le pays d’accueil, les migrants soient plus jeunes et aient une
meilleure santé que la population autochtone.
Ces différents résultats ont ainsi infirmé l’hypothèse du facteur de risque « construit » et des
biais confondants, validant le fait de parler de la migration en soi comme facteur de risque de
schizophrénie.
2. Définition des groupes
Toute étude épidémiologique méthodologiquement satisfaisante nécessite une définition précise
et valide des groupes étudiés dans l’optique d’offrir une base solide à l’apport des résultats retrouvés au
décours de l’analyse. Dans le cas des travaux en matière de migration, force est de constater que la
définition du concept de « migrant » demande à être discutée du fait de son manque de précision, ce
d’autant plus pour des études pouvant avoir vingt-cinq ans d’écart. Il est en effet reconnu que les flux
migratoires, les conditions et les types de migration se modifient au fil de l’Histoire, parfois de manière
excessivement rapide, au grès des conditions socioéconomiques, politiques et géopolitiques ou encore
climatiques tant dans les pays d’immigration que d’émigration.
Pour Baubet et Moro, c’est principalement la définition des sous-groupes selon la couleur de
peau ou « l’ethnicité » qui semble pouvoir être remise en cause, ces derniers rendant difficilement
compte d’une réalité socio-économique ou d’un type précis de migration pouvant influer sur le
psychisme, notamment en ce qui concerne l’exil et la migration forcée. Ainsi, alors que les deux métaanalyses insistent sur l’hétérogénéité du risque, il peut paraître étonnant de ne pas retrouver dans la
majorité des études de catégorisation plus spécifique des migrants, la simple mention du lieu de
naissance semblant peu à même de rendre compte d’une complexité d’un parcours migratoire et de ses
effets psychopathologiques potentiels.
Cette réserve légitime à l’égard des résultats récents se doit d’être nuancée par la volonté de
distinguer la réalité du risque en fonction des sous-groupes de migrants dans les études
épidémiologiques récentes. Les calculs d’hétérogénéité notamment mettent bien en avant la disparité des
résultats, malgré des tendances toujours fortes à observer un risque augmenté dans une large majorité de
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(CC BY-NC-ND 2.0)
populations migrantes. En ce sens, l’étude récente d’Anderson et al. qui a démontré que le statut de
réfugié était un facteur indépendant de risque de psychose (RR= 1.27) apporte de nouvelles données en
initiant un cycle de recherches définissant plus précisément le statut de la migration observée.
Ainsi, bien que la part importante prise par la phase post-migratoire dans la genèse des troubles
tende à limiter l’impact de ce facteur limitant, les recherches futures se devront de spécifier au
maximum la manière dont sont établis les sous-groupes, afin de coller autant que faire se peut à la
réalité socio-économique de la migration (migrants originaires d’ex-colonies, migration forcée ou
volontaire, etc.…). Cet argument avancé par les ethnopsychiatres ne semble cependant pas à même de
remettre totalement en cause la validité des résultats.
3. Généralisation des résultats
Comme nous l’avons souligné précédemment, les résultats retrouvés dans les différentes études
concernent finalement en très grande majorité des populations migrantes précises dans des pays
développés. Se pose alors la question de savoir s’il existe un réel lien causal entre schizophrénie et
migration qui puisse être extrapolé à l’ensemble des populations migrantes de par le monde. Les
résultats retrouvés en Israël, à savoir un risque moindre pour les migrants originaires d’Europe que pour
les populations locales, posent ainsi la question de savoir s’il s’agit d’un type de migration particulière
qui aurait une valeur étiopathogénique différente ou bien s’il s’agit davantage d’une remise en cause de
l’idée même d’une généralisation des résultats à toutes les populations migrantes. De plus, les résultats
d’Amad et al. en France retrouvent des risques relatifs plus faibles que les deux méta-analyses en ne
prenant justement pas en compte des groupes de migrants en particulier. De même, les différents
résultats australiens contradictoires avec le reste de la littérature internationale interrogent fortement la
généralisation des résultats dans d’autres contextes. Il est intéressant cependant de noter que la réalité de
la migration est bien différente en Australie, puisqu’elle correspond davantage à une migration venue de
pays développés (Europe, Nouvelle-Zélande), sans contexte d’exclusion et de ségrégation aussi marqué
qu’en Europe ou en Amérique du Nord, dans un contexte d’immigration historiquement valorisée.
Ces résultats posent la question de savoir si le risque de psychose est augmenté pour l’ensemble
des populations migrantes, ou bien s’il s’agit d’un risque relatif à certaines populations données dans un
contexte socio-culturel d’accueil précis. En ce sens, les résultats contradictoires retrouvés dans les
études récentes menées dans différents pays tendent à démontrer qu’il s’agit davantage d’un risque
inhérent à certaines populations précises (afro-caribéens en Angleterre, marocains aux Pays-Bas, etc.. )
que partagé par l’ensemble des migrants. L’étude d’Andersen et al. au Canada corrobore également
cette hypothèse, au vu de la différence de risque pour les populations européennes ou originaires d’Asie
de l’Est au regard de celui des caribéens et des personnes originaires d’Asie du Sud.
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(CC BY-NC-ND 2.0)
Le nombre conséquent d’études et de résultats répliqués dans différents pays chez des migrants
de différentes générations permet cependant d’avancer que de nombreuses populations migrantes se
trouvent face à un risque plus élevé de psychose. Il est évident que davantage d’études
épidémiologiques, et notamment dans des pays en voie de développement et sur d’autres continents sont
nécessaires, afin de mieux comprendre la psychopathologie liée à la migration et de déterminer quels
sont ces groupes à risque.
4. Validité transculturelle du diagnostic
Les travaux menés en ethnopsychiatrie font état de différences à la fois dans l’expression
symptomatologique de mêmes pathologies psychiatriques et du diagnostic posé en fonction de l’origine
des patients (Baubet & Moro, 2003). Ainsi, en 1983, Mukherjee et al. ont montré qu’aux Etats-Unis les
patients bipolaires afro-américains et hispano-américains encouraient un plus grand risque de se voir
attribuer un diagnostic de schizophrénie, ce d’autant plus qu’ils étaient jeunes et souffraient
d’hallucinations (Mukherjee et al., 1983). De même, une étude anglaise a démontré qu’en population
générale, 9.8% des sujets caribéens présentaient des hallucinations contre seulement 4% des sujets
caucasiens et 2,3% des sujets asiatiques (Johns et al., 2002). Après standardisation, seulement 25% des
patients relatant la survenue d’hallucinations étaient atteints d’un trouble psychotique, la proportion
étant plus importante pour les patients caucasiens (50%) que pour les caribéens et les asiatiques (20%).
On voit bien ici comme une variabilité qualitative et quantitative d’expression de symptômes d’allure
pathologique due à l’origine ethnique peut entraîner un sur-diagnostic erroné de trouble psychiatrique et
notamment de psychose dans certaines populations. Sans en passer par les études épidémiologiques, il
paraît intéressant de reprendre le questionnement de Tobie Nathan lorsqu’il souligne la difficulté qui
peut advenir à définir la « bizarrerie » ou « l’étrangeté » lorsqu’on reçoit un patient Hmong du Vietnam
à Paris, et donc à penser et diagnostiquer un trouble schizophrénique de manière assurée (Nathan, 1995).
En 1977, Kleinmann a proposé la notion de category fallacy, terme désignant l’application à un
groupe culturel donné de catégories diagnostiques définies au sein d’un autre et dont la validité
transculturelle n’a pas été établie et mettant en exergue les erreurs diagnostiques qui peuvent en
découler, notamment encore une fois en matière de trouble psychotique (Kleinmann, 1977). Dans ce
cadre, une étude menée en 2007 par Zandi et al., portant sur le risque de psychose chez les migrants
marocains aux Pays-Bas a fait grand bruit et porté un fort contre-argument aux résultats jusqu’alors
retrouvés de majoration du risque de psychose chez les populations migrantes (Zandi et al., 2007). En
effet, cette étude tenait à s’assurer de la validité transculturelle du diagnostic de schizophrénie, et donc
de la réalité de l’existence d’un sur-risque en situation de migration, en utilisant deux échelles
diagnostiques distinctes, la première (CASH) non standardisée à la culture, la seconde (CASH-SC)
standardisée à la culture marocaine en matière de maladie mentale. Si les résultats avec la première
échelle ont corroboré ceux antérieurs (majoration du risque évaluée à 7.9), ceux retrouvés avec
39
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(CC BY-NC-ND 2.0)
l’utilisation de la seconde n’ont montré aucune différence significative entre populations autochtones et
migrantes en matière de schizophrénie, mettant en avant selon les auteurs un phénomène d’erreur
diagnostique due à un biais diagnostique interculturel.
Différentes nuances sont à apporter à ces deux études. Concernant celle de Johns et ses
collaborateurs, ces résultats n’infirment nullement l’hypothèse de la vulnérabilité à la psychose chez les
personnes migrantes. En effet, la présence d’un taux plus fréquent d’hallucinations ne valide en rien le
caractère culturel du symptôme et il faudrait pour cela corréler avec le taux d’hallucinations dans le pays
d’origine. Il pourrait au contraire s’agir d’expériences psychotiques prodromiques à un trouble
constitué, lié à une vulnérabilisation d’origine environnementale. Ensuite, il convient de rapporter la
limite méthodologique majeure à l’étude de Zandi et ses collaborateurs, à savoir que les différents cas
de patients marocains étaient rapportés à un groupe d’« experts transculturels » par l’intervieweur luimême, sans contact direct avec le patient. L’histoire clinique du patient était ainsi cotée en aveugle une
fois avec l’échelle CASH puis avec l’échelle CASH-CS par ce groupe d’expert. On peut dès lors
interroger la neutralité des informations relatées aux experts et leur possible caractère orienté en
direction d’un résultat attendu, ce d’autant que l’aveugle était sans doute rapidement levé par la
découverte des éléments anamnétiques (Selten & Hoek, 2007). Enfin, une étude anglaise a démontré
que lorsque le diagnostic était effectué en condition intraculturelle par un psychiatre jamaïquain, le surrisque de psychose existait toujours pour les caribéens au Royaume-Uni (Hickling et al., 1999).
Rappelons également que la découverte initiale du phénomène l’a été en contexte intraculturel, par un
psychiatre norvégien lui-même émigré, ayant observé chez ses concitoyens une tendance augmentée à
présenter des troubles psychotiques (Ödegaard, 1932). De même, dans l’étude de Zandi et ses
collaborateurs, des psychiatres marocains retrouvaient également un taux plus élevé de psychose dans la
même cohorte de migrants originaires du Maroc et seule l’utilisation de la grille de CASH-CS, dont
nous avons souligné les limites, annulait ce risque. De même, après que Selten et ses collaborateurs
aient ôté de l’analyse les patients marocains présentant des symptômes psychotiques dans un contexte
dépressif (Selten et al., 2002), le risque relatif restait élevé pour les personnes d’origine marocaine aux
Pays-Bas (RR= 3,5; IC95%= 1,6-7,6).
S’il est évident qu’il convient d’être prudent quant à la démarche diagnostique en condition
transculturelle, le manque de validité méthodologique des rares études ayant tenté d’apporter des contrearguments d’ordre transculturel ne permet pas d’infirmer l’hypothèse du lien entre schizophrénie et
migration.
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LEAUNE
(CC BY-NC-ND 2.0)
5. Stabilité du diagnostic
Les dix-huit études utilisées pour la méta-analyse de Cantor-Graae et Selten portent uniquement
sur des primo-admissions hospitalières ou des premières demandes de consultation, questionnant ainsi
l’évolution du trouble observé dans le temps, tant du point de vue de sa pérennisation que de sa validité.
En effet, les paragraphes précédents ont rappelé qu’il pouvait être fréquent que des diagnostics soient
posés à tort en situation transculturelle, et ce d’autant plus dans le cadre d’un premier contact avec la
psychiatrie, tout comme il est parfois nécessaire en situation intra-culturelle de connaître l’évolution
symptomatique pour valider définitivement un diagnostic, ce d’autant plus chez des patients jeunes. Une
étude de Kirov et collaborateurs, menée en 1999 a ainsi démontré que les patients bipolaires caribéens
noirs présentaient davantage de symptômes psychotiques et d’idées délirantes que leurs homologues
blancs, au risque d’un diagnostic initial erroné (Kirov, 1999). Une étude plus récente de Zandi et al.,
reprenant l’échelle d’évaluation CASH-CS (Zandi et al., 2014), retrouvait un taux très faible de
confirmation diagnostique à 30 mois pour les patients marocains qui avaient reçu un diagnostic initial de
schizophrénie via l’échelle CASH non adaptée à la culture (27% vs 92%). Zandi et ses collaborateurs
concluaient ainsi à une faible fiabilité et stabilité diagnostique de psychose en situation transculturelle.
Cependant, les études de suivi au sein des populations migrantes ayant reçu un diagnostic initial de
trouble psychotique ont démontré une bonne stabilité du diagnostic au sein de cohortes de patients
migrants (Selten & Hoek, 2008).
Au total, malgré d’évidentes limites que les recherches devront dans le futur tâcher de préciser,
les arguments avancés ne bénéficient pas d’une validité suffisante pour remettre totalement en cause des
résultats validés par deux méta-analyses successives. Les limites évoquées offrent en revanche
d’intéressantes pistes pour préciser et améliorer les méthodes épidémiologiques utilisées dans le cadre
de recherches portant sur des populations migrantes.
F. La migration, un facteur de risque aux contours incertains
Si les résultats des nombreuses études menées au fil des années ainsi que ceux des méta-analyses
sont suffisamment concordants pour évoquer définitivement la migration comme facteur de risque de
schizophrénie, force est de constater qu’il reste encore beaucoup à préciser pour comprendre
précisément ce qui lie schizophrénie et migration.
1. Migration ou ethnicité?
L’une des indécisions les plus marquantes revient à l’idée de conserver le terme de « migration »
lorsque l’on désigne le facteur de risque précis de schizophrénie qui est en jeu. En effet, certains des
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LEAUNE
(CC BY-NC-ND 2.0)
résultats plaideraient davantage en faveur de l’utilisation des termes d’« ethnicité » ou de « statut
ethnique minoritaire ».
En effet, les résultats de l’étude de Cantor-Graae au Danemark démontrent que les expatriés ou
les enfants d’expatriés ne présentent pas un risque majoré de psychose tandis que celles menées en
Israël démontrent que l’Alya est plutôt un facteur protecteur vis-à-vis de la schizophrénie. De même, il
est aujourd’hui prouvé que ce risque persiste au sein des générations suivantes n’ayant pas elle-même
connu la migration. Ainsi, l’acte migratoire en soi ne semble pas représenter un facteur de risque de
schizophrénie, si bien qu’il semblerait que ce soit davantage le statut de migrant qui représente le cœur
de la causalité psychopathologique en lien avec la migration. D’autres études ont également éliminé
l’hypothèse selon laquelle des facteurs pré-migratoires à eux seuls pouvaient expliquer le sur-risque
présenté par les populations migrantes. L’ensemble de ces données, en focalisant sur le rôle de la phase
post-migratoire, invite à interroger la pertinence de conserver le terme précis de « migration » dans la
description médicale des facteurs de risque environnementaux de schizophrénie. D’un côté, ce sont bien
les populations migrantes qui se trouvent confrontées à ce risque majoré et aux effets individuels et
familiaux d’une pathologie telle que la schizophrénie. De l’autre, d’un point de vue strictement
terminologique, il est partiellement incorrect de conserver le terme de migration, au vue des données
récemment objectivées.
Dans ce contexte, les études anglo-saxonnes menées dans le champ de la psychiatrie sociale
tendent à utiliser différents termes, tels que ceux de statut ethnique minoritaire, d’ethnicité ou encore
d’identité ethnique, qui ne sont pas sans poser de problème de définition. Pour le philosophe Hervé
Marchal, « l’ethnie désigne une communauté d’origine qui se trouve assez souvent partagée entre
différents groupes en raison de phénomènes tels que l’émigration volontaire ou contrainte, le découpage
des Etats, etc.. » (Marchal, 2012). Plus loin, Marchal note le pluralisme intrinsèque à la notion
d’ethnicité en rappelant que « parmi les éléments culturels susceptibles de fonder le sentiment
d’appartenance à un groupe ethnique, figurent la langue, la religion, le partage d’un territoire, la
référence commune à des traits culturels, le respect d’institutions ou encore le sentiment partagé d’une
différence raciale. » On voit ainsi que la définition de l’ethnicité est plutôt difficile à délimiter, ce
d’autant qu’elle recouvre une réalité sociale complexe, différente selon les pays concernés. Pour autant,
en insistant sur le fait que le phénomène migratoire peut exacerber, voire créer le sentiment ethnique
d’un groupe donné, Marchal apporte un certain crédit à ce concept d’ethnicité. En France, le débat pour
le moins hypocrite sur les statistiques ethniques (Douki, 2008) montrent bien l’ambivalence qui peut
advenir à utiliser un terme en pratique courante tout en le mettant sur la scène publique. D’un point de
vue purement scientifique le terme de statut ethnique minoritaire apparaît comme le plus juste pour
décrire le facteur de risque lié à la migration. Il permet de retenir à la fois la notion de minorité, à savoir
la confrontation avec une culture dominante potentiellement discriminante, tout en insistant sur la notion
d’étrangeté lié au statut à risque. En effet, il n’existe aucune preuve scientifique en faveur d’un risque
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LEAUNE
(CC BY-NC-ND 2.0)
accru pour d’autres minorités (sexuelles, religieuses etc.). Enfin, le terme de statut semble tout à fait
opportun car il recoupe une réalité sociale qui peut lui être associée (statut de demandeur d’asile, statut
de réfugié etc.), en soulignant la faible capacité de mobilité socio-économique à laquelle il confronte les
personnes qui l’expérimentent. Les recherches portant sur les réfugiés ou les demandeurs d’asiles
apporteront sans nul doute des arguments intéressants dans l’optique de trancher ce débat précis.
2. Période d’exposition
Les données concernant la période d’exposition sont plutôt peu nombreuses et contradictoires,
ce qui rend difficile la caractérisation précise de la période préférentielle pour entraîner un sur-risque de
schizophrénie en situation migratoire.
En effet, une première étude a trouvé une augmentation progressive du risque inversement
proportionnelle à l’âge de la migration (Velling et al., 2011). Réalisée aux Pays-Bas, cette étude
prospective menée sur une période de sept ans a porté sur 273 migrants de première génération, 119 de
seconde génération et 226 hollandais natifs ayant présenté un trouble psychotique. Il était retrouvé un
risque de schizophrénie d’autant plus important que l’âge d’arrivée aux Pays-Bas était précoce. Ainsi, le
risque relatif était de 2,96 (IC95%= 2,10-4,17) pour les personnes arrivées entre la naissance et l’âge de
quatre ans et décroissait progressivement avec l’âge, pour atteindre 2,31 (IC95%= 1,61-3,29) entre cinq
et neuf ans, 1,51 (IC95%= 1,02-2,25) entre dix et quatorze ans. Il est à noter que les résultats pour les
tranches allant au-delà de vingt ans n’étaient pas significatifs et que le risque relatif tendait à remonter
légèrement (1,85, IC95%= 1,35-2,53). Cette étude laissait donc à penser que la migration serait un
facteur de risque pour lequel existerait une relation dose-effet. Plus récemment, une étude israélienne
retrouvait un taux plus élevé pour les migrants ayant migré avant l’âge de 15 ans (Werbeloff et al.,
2012). Pour autant, cette hypothèse est assez peu compatible avec le fait que le risque relatif soit aussi
élevé pour la seconde génération que la première. De plus, le risque semble finalement majoré
principalement pour les personnes ayant migré avant l’âge de quatre ans, ce qui pourrait être favorisé
par divers facteurs confondants tels que les séparations familiales précoces, les traumatismes précoces
ou les infections infantiles.
Une étude menée en Angleterre auprès d’enfants et d’adolescents de 5 à 16 ans a cherché à
mesurer le taux de détresse psychologique au sein de deux cohortes de 17 000 jeunes de seconde
génération d’origine irlandaise (Das Munchi et al., 2013). Les résultats ont démontré qu’aux différents
âges de leur vie, les enfants d’origine irlandaise présentaient un plus bas niveau de santé mentale que
leurs homologues autochtones, niveau directement corrélé aux conditions matérielles de précarité et
d’adversité sociale (difficultés financières familiales, logement insalubre et surpeuplé, trouble du
voisinage…). A noter que ce niveau populationnel élevé de détresse psychologique était également
corrélé au degré de détresse psychologique maternelle dans les plus jeunes âges de la vie et qu’il tendait
à
augmenter
avec
l’âge, laissant
imaginer un phénomène
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dose-relation de
l’exposition
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(CC BY-NC-ND 2.0)
environnementale. Ces données tendent à montrer que dès l’enfance et leur plus jeune âge, les migrants
subissent les effets psychopathologiques d’une adversité psychosociale, les confrontant à une
vulnérabilité psychologique majeure.
En miroir de ces premiers résultats, Pedersen et ses collaborateurs ont fait part dans une lettre
aux éditeurs de leurs résultats divergents quant au rôle de l’âge auquel les personnes ont migré
(Pedersen & Cantor-Graae, 2012). En effet, leur étude portant sur un échantillon plus large de 1057
migrants schizophrènes ne retrouvait pas de corrélation statistique entre l’âge d’arrivée au Danemark et
le degré de risque de développer un trouble psychotique. Il n’existait ainsi pas d’effet majoré lors des
premières années de la vie, mais plutôt une tendance à l’augmentation progressive (augmentation
annuelle par 1,02; IC95%= 1,00-1.05) du risque pour des personnes arrivées plus tardivement. Ainsi, si
le risque relatif était élevé pour l’ensemble des migrants, il était pour les personnes arrivées avant l’âge
de 2 ans de 1,66, (IC95%= 1,30-2,07), de 2,3 vers l’âge de 6-7 ans et de 2,6 pour celles arrivées vers 12
ans.
Enfin, une étude sur la transition vers la pathologie schizophrénique en population générale a
démontré que le statut ethnique minoritaire représentait le facteur de risque le plus associé à une
transition chez des adolescents de 10 à 16 ans (Wigman et al., 2011). Ce résultat tendrait à argumenter
l’hypothèse d’un facteur de risque d’expression plutôt tardive ou du moins à infirmer celle du rôle de
l’exposition précoce.
Il s’avère donc aujourd’hui difficile de déterminer une période d’exposition privilégiée, le degré
de risque identique entre première et seconde génération tendant à montrer que la migration agit comme
facteur de risque tout au long de la vie. Les résultats contradictoires des rares études menées sur la
question de la période d’exposition ne permettent en effet pas de définir de manière valide une période
de risque maximal et des études dans ce domaine apparaissent fondamentales.
G. Conclusion
Au total, les données de la littérature internationale sont aujourd’hui suffisamment robustes pour
désigner le statut ethnique minoritaire comme facteur de risque de schizophrénie. L’existence de deux
méta-analyses apportant des résultats cohérents à quelques années d’intervalle permet de situer le niveau
de preuve comme élevé (Bourque et al., 2011; Cantor-Graae & Selten, 2005). Les résultats divergents
selon les pays d’accueil et les pays d’origine tendent à indiquer l’existence d’un risque hétérogène selon
les communautés ethniques et la société d’accueil (Mezuk et al., 2015; Oh et al., 2015; Anderson et al.,
2014). Les résultats récents apportent des données intéressantes, notamment sur le risque présenté par
les personnes réfugiées (Anderson et al., 2015) ou l’extension de la vulnérabilisation jusqu’aux
troisièmes générations de migrants (Amad et al., 2013). Les premiers résultats français tendent à valider
l’existence de ce sur-risque pour les populations immigrées dans l’Hexagone (Tortelli et al., 2014;
Amad et al., 2013). Au contraire, les études australiennes qui ne retrouvent pas d’augmentation de
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(CC BY-NC-ND 2.0)
risque posent la question du lien entre risque de schizophrénie et lien historique et sociologique à la
migration dans le pays d’accueil (O’Donoghue et al., 2014; Nielssen, 2013). Le phénomène de densité
ethnique, validée par une méta-analyse de 2014 (Bosqui et al., 2014), est une donnée intéressante qui
introduit le rôle des facteurs sociaux dans l’étiopathogénie du risque de schizophrénie chez les
populations migrantes, qui apparaît en effet comme un réel enjeu de santé publique. Ainsi, une étude
anglaise mesurait le taux de cas de psychose évitables à 22% en population générale si le facteur de
risque lié au statut ethnique minoritaire était évité (Kirkbride et al., 2010), ce qui représente plus de 66%
des cas évitables au sein de la population des minorités ethniques en Angleterre.
De nombreuses questions de recherches en épidémiologie persistent, afin de désigner au mieux
la réalité du risque de psychose auquel sont confrontées les populations migrantes, en fonction de
caractéristiques socio-économiques ou culturelles notamment. Ces données épidémiologiques donnent
en effet des pistes importantes pour l’élucidation de l’étiopathogénie en jeu dans les liens entre
migration et schizophrénie.
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(CC BY-NC-ND 2.0)
4. Perspectives étiopathogéniques
Les données épidémiologiques, par leur complexité, donnent lieu à un certain nombre
d’hypothèses possibles quant à l’étiopathogénie associée au risque de schizophrénie dans les
populations migrantes minoritaires. Pour proposer une synthèse des données actuelles, vingt-deux
nouveaux articles ont été retenus. Trois portaient sur la théorie de l’échec social (Gavonden et al., 2014;
Selten & Cantor-Graae, 2007; 2005), deux concernaient le modèle socio-développemental (Morgan et
al., 2012; 2011), tandis qu’un seul évoquait la théorie de la sensibilisation (Collip, Myin-Germeys &
van Os 2008) et quatre la théorie du capital social (Brechet & Jusot, 2009 ; Kirkbride, 2007; Drukker,
2006, De Silva et al., 2005). Sept articles évoquaient les connaissances actuelles sur les effets
neurocognitifs et neurobiologiques de l’exclusion sociale (Kawamoto, Ura & Nittono, 2015; Cristofori
et al., 2014; Twenge et al., 2007; 2002; DeWall & Baumeister, 2006; Eisenberger & Lieberman, 2004;
Twenge, Catanese & Baumeister, 2003; Baumeister, 2002) tandis que cinq portaient sur les liens entre
discrimination et troubles psychotiques (Akdeniz et al., 2014; Berg et al., 2011; Pascoe & Richman,
2009; Veling et al., 2007; Janssen et al., 2003). Les hypothèses neurodéveloppementales étaient
analysées en détail dans les revues de la littérature (Bourque et al, 2012; Baubet, 2009).
A. Hypothèses avancées
Au fil des travaux de recherche et des années, de nombreuses hypothèses étiologiques ont été
proposées pour tenter d’expliquer ce phénomène de sur-risque de schizophrénie chez les populations
migrantes. Nombres d’entre elles ont finalement été réfutées ou n’ont du moins pu prouver leur rôle
premier dans le processus de majoration du risque.
1. Migration sélective
La première hypothèse remonte à 1932, proposée par Ödegaard à la suite de son étude sur
l’augmentation du nombre de primo-hospitalisations en psychiatrie chez les migrants norvégiens aux
Etats-Unis. Ce dernier émettait l’hypothèse d’un phénomène de migration sélective, correspondant au
fait que les personnes choisissant de quitter leur pays d’origine pour l’exil aient une plus grande
prédisposition à la schizophrénie et que celle-ci entraîne une plus grande difficulté d’intégration dans la
société d’origine (célibat, chômage..) favorisant des velléités de départ. Cette première hypothèse a
depuis largement été réfutée, de nombreuses études, telle celle de Lundberg et al. menée en Ouganda,
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(CC BY-NC-ND 2.0)
ayant démontré l’absence d’incidence plus élevée de symptômes pré-psychotiques, voire psychotiques,
chez les personnes s’apprêtant activement à migrer (Lundberg et al., 2007). Une étude récente a tenté de
mettre à l’épreuve l’hypothèse de la migration sélective et a définitivement annulé l’idée qu’elle puisse
expliquer le risque de schizophrénie chez les populations migrantes (van der Ven et al., 2015). Portant
sur une cohorte de 50.000 militaires suédois, l’étude ne retrouvait aucune différence de prévalence de
symptômes psychotiques entre les deux groupes de militaires souhaitant émigrer ou non. De plus, de
manière pragmatique, les symptômes schizophréniques négatifs tels que l’apragmatisme, les troubles
cognitifs, ou la désorganisation psychique semblent peu compatibles avec le succès d’un long et difficile
parcours migratoire.
2. Hypothèses génétiques
Par la suite, les hypothèses génétiques ont été mises en avant, notamment la probabilité d’une
plus grande prédisposition chez certains groupes ethniques. Cependant, les incidences de schizophrénie
dans les pays d’origines n’ont jamais été retrouvées supérieures à celles des pays d’accueil (Hickling &
Rodgers-Johnson, 1995 en Jamaïque, Bhugra et al., 1996 à Trinidade et Tobago, Mahy et al., 1999 aux
Barbades). De même, deux études (Hutchinson et al., 1996; Sugarman & Craufurd, 1994) réalisées au
Royaume-Uni chez les apparentés (parents et jumeaux) de migrants caribéens blancs et noirs de peau
atteints de schizophrénie n’ont retrouvé aucune différence de risque de survenue de la pathologie entre
les deux populations. Si le rôle des facteurs génétiques dans la schizophrénie est aujourd’hui bien
connu, il semble qu’il ne puisse à lui seul expliquer cette majoration du risque chez les migrants, ce qui
nécessite de l’intégrer à un modèle d’interaction entre gènes et environnement pour définir une
explication valide.
3. Hypothèses neurodéveloppementales
Plusieurs étiologies neuro-développementales ont également été proposées, en lien avec les
recherches démontrant le rôle de facteurs neurotropes dans l’émergence de la schizophrénie.
a. Vitamine D
Le rôle de l’hypovitaminose D prénatale dans les pays tempérés a ainsi pu être mis en avant
(McGrath, 2010), du fait notamment de l’explication qu’il pourrait apporter à l’augmentation du risque
chez les migrants de seconde génération noirs de peau. Cela n’expliquerait cependant pas le risque pour
la première génération de migrant qui n’a pas été exposé à un manque précoce de vitamine D.
L’argument majeur porté contre le rôle de la vitamine D est la faible amplitude du taux de schizophrénie
retrouvé au sein des populations migrantes d’origine asiatique alors qu’elles présentent les taux les plus
importants de carence en vitamine D (Darling et al., 2013).
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b. Virus neurotropes
L’exposition à des virus neurotropes (rubellose, virus de la grippe, toxoplasmose) a été
démontrée comme facteur de risque reconnu de la schizophrénie (Nimgaonkar & Yolken, 2012). Il a
donc été émis l’hypothèse d’une exposition plus importante pour les migrants dans leurs pays d’origine,
notamment les pays en voie de développement, mais elle n’expliquerait pas la majoration du risque pour
la seconde génération de migrants. En ce sens, une étude récente évoquait le rôle possible de l’infection
à Toxoplasma Gondii pour expliquer le risque de schizophrénie liée à l’urbanicité et la migration, du fait
de l’importance du portage par les chats dans les milieux urbains ainsi qu’à à la possibilité de
réactivation d’une infection infantile à la faveur de la migration (Fuller Torrey & Yolken, 2014). Si
cette hypothèse possède une certaine valeur concernant la question de l’urbanicité (possibilité de
contamination par les enfants dans les bacs à sable des villes), elle demeure en revanche plus
approximative pour les populations migrantes.
c. Complications obstétricales
Les complications obstétricales sont un facteur également reconnu et ont également été
proposées comme étiologie possible. Cependant, des études anglaises menées auprès des populations
émigrées caribéennes n’ont démontré aucune diminution de l’incidence de ces complications au sein de
la population blanche comparée à la population noire (au sein de laquelle le risque est plus élevé), voire
un taux supérieur de complications dans la population blanche (Bughra et al., 2003).
d. Cannabis et abus de toxique
L’abus de toxique, et notamment de cannabis, facteur de risque majeur pour la pathologie
schizophrénique, a largement été étudié dans le cadre de la migration et il n’a encore une fois été
retrouvé aucune évidence d’un rôle prépondérant pour expliquer le lien entre migration et schizophrénie.
Ainsi deux études de McGuire et al. et de Cantwell et al., n’ont pas retrouvé de différence significative
pour la consommation cannabique entre les populations de schizophrènes caribéens noirs et blancs de
peau (McGuire et al., 1994; Cantwell et al., 1999). De plus, il n’est pas retrouvé dans les études
épidémiologiques de différence de risque entre hommes et femmes ce alors que la consommation
cannabique est connue comme étant significativement supérieure dans la population masculine
(Wetherill et al., 2015).
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4. Hypothèse psychosociale
Au total, les hypothèses génétiques et neuro-développementales, si elles ne peuvent
définitivement être écartées, ne sont pas parvenues à expliquer à elles seules l’incidence majorée de la
schizophrénie dans les populations migrantes de par le monde. Les résultats épidémiologiques de la
dernière décennie et l’incapacité des données génétiques, neurologiques et biologiques pour les
expliquer à elles-seules ont amené les chercheurs, tels qu’Elizabeth Cantor-Graae et Jean-Paul Selten ou
l’équipe de Craig Morgan, à se pencher sur les facteurs psychosociaux et le rôle de ces derniers dans
l’émergence des troubles psychotiques. Ce retard dans la prise en compte de la clinique psychosociale
semble pouvoir en partie être imputé au délai entre la migration et l’émergence des symptômes
schizophréniques, ayant tendu à faire rechercher des facteurs de biais à ce lien causal et à minimiser
l’impact direct du processus migratoire et de ses répercussions sociales.
B. Le modèle de l‘échec social (Selten & Cantor-Graae, 2005)
1. Arguments
a. Données épidémiologiques
Prenant appui sur l’importance du risque pour les populations noires de peau retrouvé dans leur
méta-analyse, ainsi que sur l’existence d’autres facteurs de risque potentiellement liés à un impact social
(urbanicité, déficience intellectuelle, trouble auditif handicapant, antécédents d’abus sexuel), Jean-Paul
Selten et Elizabeth Cantor-Graae ont proposé en 2005 une hypothèse étiopathogénique mettant au cœur
de ce modèle le rôle de l’échec social (social defeat), en le reliant à la sensibilisation dopaminergique
mésolimbique secondaire au stress d’origine social décrite chez les rongeurs et les primates.
L’expérience de la discrimination et de l’échec social (chômage, isolement, perte de
reconnaissance…) serait ainsi l’explication causale de l’émergence de la schizophrénie dans les
populations les plus touchées par l’adversité socio-économique. En effet, Selten et Cantor-Graae
évoquent la compétitivité existant en milieu urbain, le peu d’opportunités de carrière pour les personnes
déficientes intellectuelles, l’exclusion sociale expérimentée par les migrants et les malentendants ou
l’humiliation vécue dans les suites d’un abus sexuel comme autant de formes d’adversité sociale vécue
par ces populations à risque. Les auteurs citent ainsi le cas des populations du Groenland au Danemark,
qui se trouvent confrontées à un taux d’exclusion beaucoup plus important que les migrants originaires
d’autres pays du Nord (Cantor-Graae et al., 2003), et présentent un risque de schizophrénie bien plus
élevé que ces derniers (RR = 12.5; IC95% = 4,7-33,1). De même, les populations marocaines au PaysBas ou les migrants éthiopiens (les falashas) en Israël, confrontés à une discrimination sociale majeure,
présentent un risque élevée au regard de la population autochtone. Les différences inter-ethniques dans
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le degré de risque relatif s’expliqueraient ainsi par les différences de trajectoires sociales dans les pays
d’origine pour les différents groupes ethniques, les groupes les plus exposés à la discrimination et
l’exclusion présentant les risques les plus élevés. Le phénomène de densité ethnique, en soulignant le
rôle protecteur que jouerait le lien social (social support) dans les communautés mieux organisées car
plus conséquentes, apporte également un argument en faveur de l’hypothèse de l’échec social. La
différence observée entre hommes et femmes dans certaines populations, dans le sens d’un risque
moindre pour les femmes, quant au risque et aux conditions d’émergence de la pathologie
schizophrénique (population marocaine aux Pays-Bas, Veling et al., 2006) pourrait également
s’expliquer selon les auteurs par l’amélioration du statut social de ces dernières avec la migration.
b. Corrélats neurobiologiques
S’appuyant sur le modèle dopaminergique de la schizophrénie (Laruelle et al., 2013), les auteurs
citent des résultats d’expérimentations animales ayant porté sur l’effet du rang social chez des macaques
(Morgan & Nader, 2000). Ces travaux ont en effet montré que les singes dominés socialement
consommaient davantage de cocaïne lorsqu’il leur en était proposé, et que des différences apparaissaient
dans la disponibilité et la quantité de récepteurs D2 en fonction du rang social. Ainsi, après avoir vécu
seul séparément, le retour en groupe de macaques entraînait la mise en place d’une hiérarchie sociale
bien connue des travaux en éthologie. Les individus alpha (de haut rang social) voyaient leur nombre de
récepteurs D2 et la réceptivité de ces derniers augmenter de manière significative après le
rassemblement des individus, tandis qu’il n’était pas retrouvé de modification pour les singes dominés.
Ainsi, les singes soumis à l’isolement avaient de base un niveau relativement élevé de dopamine
synaptique (hyperactivité dopaminergique) et les individus dominants retournaient à un état d’activité de
base (activité dopaminergique normale), ce qui n’était pas le cas chez les dominés.
De même, chez les rats, une expérience d’intrusion a été menée, mettant en jeu un mâle
« intruseur », introduit dans la cage d’un autre mâle auquel il fait subir des comportements de
soumission (Tidey & Miczek, 1996). L’expérience de l’échec social chez le rat entraîne une
hyperactivité dopaminergique dans le système mésolimbique, effet médié par les conditions de vie postexpérimentales. L’isolement amplifie l’hyperactivité dopaminergique tandis que le retour au groupe
tend à la modérer (Isovich et al., 2001). La répétition des expériences d’intrusion entraîne une
sensibilisation comportementale à long-terme (Covington & Miczek, 2001) qui voit apparaître une
augmentation de la réponse comportementale et dopaminergique aux antagonistes dopaminergiques.
Ces résultats sur le rôle de l’intégration dans le groupe font bien évidemment écho aux travaux ayant
démontré le rôle de la densité ethnique dans la modération du risque de schizophrénie chez les
populations migrantes. Cantor-Graae et Selten émettent ainsi l’hypothèse de la transférabilité des
données expérimentales animales chez l’humain et proposent des perspectives de recherches en
neurobiologie humaine afin de tester l’hypothèse de l’échec social.
50
LEAUNE
(CC BY-NC-ND 2.0)
2.
Un modèle unificateur
a. Description du modèle
Afin d’étayer l’hypothèse de l’échec social, les deux auteurs s’attachent en 2007 à reprendre leur
modèle et à l’appliquer à d’autres facteurs de risque de schizophrénie que sont le retard mental, les
traumatismes infantiles, l’urbanicité, les pathologies psychiatriques et l’usage de drogue, en les reliant à
« l’expérience de l’exclusion vis-à-vis du groupe majoritaire » (Selten & Cantor-Graae, 2007)
L’hypothèse de l’échec social se trouverait selon eux médiée par un double phénomène d’exclusion
sociale (social exclusion) et d’échec social (social defeat). Selten et ses collaborateurs se référent aux
travaux de Collip et collaborateurs sur la « sensibilisation dopaminergique » (Collip et al., 2008) qui
postule qu’ « une exposition environnementale induit des effets psychologiques et physiologiques qui
peuvent mener à un psychopathologie finale commune de biais cognitif et/ou de de sensibilisation
dopaminergique, regroupé sous le terme de ‘sensibilisation’ (sensitization) qui peut favoriser
l’émergence ou la persistance de troubles psychotiques ». Le modèle de l’échec social vise ainsi à
synthétiser l’ensemble des résultats de recherches épidémiologiques menées chez l’homme et de
recherches neurobiologiques menées chez l’animal pour proposer un modèle étiopathogénique
unificateur. Il y est postulé que la grande majorité des facteurs environnementaux de schizophrénie sont
médiés par un vécu d’échec social ou d’exclusion sociale expérimenté par les individus et populations
qui y sont exposés, et que l’échec social entraîne en sensibilisation du système dopaminergique
mésolimbique. Il peut être schématisé de la sorte (Figure 2):
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(CC BY-NC-ND 2.0)
Figure 2 : Le modèle
modèle de l’échec
’échec social (adapté de Selten & CantorCantor-Graae, 2007)
b. Etude de la validité du modèle
Un article récent a ainsi visé à mettre en lumière le rôle de l’échec social dans une population de
jeunes adultes malentendants et de le corréler à l’activité dopaminergique mésolimbique, dans l’optique
de questionner la validité du modèle de l’échec social (Gevonden et al., 2014). En effet, l’utilisation
d’une population de malentendants tient sa pertinence dans le fait que les troubles auditifs sont reconnus
comme facteur de risque de schizophrénie (Stefanis et al., 2006). L’hypothèse était donc que ce risque
soit médié par un vécu d’échec social, responsable d’un trouble de l’activité dopaminergique mésolimbique. Portant sur 19 jeunes adultes atteints de surdité d’intensité variable, cette étude a comparé le
taux de libération de dopamine au niveau du striatum suite à l’injection de dexamphetamine avec celui
de 19 témoins sains. La mesure du taux de libération dopaminergique était corrélée à l’intensité de
symptômes psychotiques expérimentés par les sujets et les contrôles ainsi qu’au degré d’échec social
ressenti. Les résultats montraient un sentiment d’échec social, mesuré par le Social Defeat Scale, plus
élevé au sein de la population des malentendants (p= 0.04), mais il n’existait pas de différence quant aux
symptômes psychotiques expérimentés (p= 0.48). On retrouvait également un taux de libération de
dopamine striatale induite par les amphétamines plus élevé dans le groupe des malentendants (p= 0.04),
52
LEAUNE
(CC BY-NC-ND 2.0)
malgré un taux basal globalement identique entre sujets et contrôles. Il n’existait cependant pas de
corrélation statistique entre le taux de dopamine libérée et le degré d’échec social (p= 0.15).
Si elle tend à apporter des arguments en faveur du modèle l’échec social, sous la forme d’un
probable effet dopaminergique de l’échec social dans une population à risque de psychose, cette étude
demeure insuffisante pour le valider. En effet, si l’on retrouve une libération plus importante de
dopamine dans le groupe présentant un ressenti d’échec social plus important, il n’est cependant pas fait
la preuve dans cette étude d’un lien statistique entre ces deux phénomènes. De plus, échec social et
activité dopaminergique ne sont nullement liés à un taux plus important de symptômes psychotiques
dans la population touchée par l’adversité sociale. Si bien qu’il est impossible d’établir au vu de ces
résultats un schéma de causalité allant de l’échec social en direction des troubles psychotiques par le
biais de modifications de l’activité dopaminergique intracérébrale.
3. Intérêts et limites
Si les arguments avancés dans la construction de l’hypothèse de l’échec social ne manquent pas
de solidité scientifique dans leur ensemble, il convient de pointer certaines limites du modèle développé
par Selten et Cantor-Graae, qu’elles soient internes au modèle lui-même ou davantage en lien avec des
questionnements épistémologiques.
a. Intérêts
Tout d’abord, le modèle proposé par Selten et Cantor-Graae a l’avantage de mettre directement
en parallèle des données issues d’études épidémiologiques et neurobiologiques. En effet, l’hypothèse
dopaminergique, aujourd’hui bien documentée, sert de substrat physiopathologique au modèle, ce qui
apparaît comme le point fort de cette modélisation. Elle permet d’unifier un certain nombre de données
sociales qui ont pu être mis en avant dans l’étiopathogénie de la schizophrénie, tels que l’isolement
social, le célibat, le chômage et de les relier à une voie physiopathologique clairement reconnue comme
prépondérante dans l’émergence de la pathologie.
Ce modèle a également l’intérêt de mettre au cœur de l’étiopathogénie de la schizophrénie les
causes environnementales et sociales, dont l’importance ont tendu à être minimisées dans différents
modèles antérieurs. En rapportant un certain nombre de facteurs de risques à leurs effets sociaux, Selten
et Cantor-Graae insistent sur la part importante de l’environnement social dans l’émergence des troubles
psychotiques.
b. Unicité
D’un point de vue épistémologique, si l’intérêt d’unifier autour d’une inférence causale unique
est évident du point de vue de la modélisation, il paraît néanmoins en décalage avec les découvertes
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LEAUNE
(CC BY-NC-ND 2.0)
autour des liens entre schizophrénie et migration qui mettent en avant des disparités importantes quant
au degré de risque auquel sont exposés les différentes populations vulnérables au sein de la planète. Il
paraît ainsi assez peu efficient d’expliquer l’ensemble de ces différences de degré par une voie
étiopathogénique unique, vis-à-vis de laquelle une différence quantitative d’exposition pourrait rendre
compte.
Ainsi, les différents facteurs de risque évoqués ne représentent pas les mêmes types de causalité
étiopathogénique, certains étant des facteurs de risque indirects (urbanicité, migration…), tandis que
d’autres (cannabis notamment) possèdent des effets neurobiologiques directs aujourd’hui bien
documentés. Il devient alors contestable de les mettre sur le même plan de causalité et de leur inférer
une étiopathogénie identique. Enfin, certains facteurs de risque n’agissent pas au même moment de la
trajectoire développementale, ce qui laisse imaginer que leur mode d’action causal est en tout point
différent.
De même, il convient d’interroger la validité du fait de regrouper derrière une étiopathogénie
commune différents facteurs de risques environnementaux, en délaissant totalement la question de
l’interaction entre ces différents facteurs du point de vue de l’évolution vers un risque de psychose.
Ainsi, le modèle de l’échec social est un modèle de médiation causale, au sein duquel des facteurs de
risque indirects sont médiés par une cause directe qu’est l’échec social. Pour autant, ce type de
modélisation occulte totalement la possibilité de synergie entre les différents facteurs environnementaux
et entre ces facteurs et l’échec social lui-même.
De plus, le corrélat qui est proposé entre résultats d’études menés chez l’homme et l’animal
n’est en rien évidente et nécessite de rester prudent sur la transférabilité de l’effet dopaminergique de
l’exclusion sociale. Les auteurs soulignent eux-mêmes le nombre insuffisant d’études ayant porté sur le
fonctionnement dopaminergique chez les différents groupes à risque de psychose, si bien qu’il est
uniquement hypothétique d’envisager d’utiliser ces données chez l’homme et encore davantage de les
relier à la quasi-totalité des facteurs de risque environnementaux de psychose. L’étude de Gevonden et
al. citée plus haut n’apporte que des arguments ponctuels au modèle, sans permettre de le valider.
c. Type de facteur de risque
Derrière la notion d’échec social il s’avère finalement assez difficile de cerner précisément ce
que recoupe ce concept proposé par Cantor-Graae et Selten. En effet, il est décrit par les auteurs comme
un facteur de risque quantifiable du point de vue individuel, à l’aide d’échelles telles que le Social
Defeat Scale, le Social Comparison Scale, ou le Brief Core Schema Scale. Cependant, il n’existe à
l’heure actuelle aucune étude ayant démontré une quelconque corrélation entre les scores obtenus pour
ces échelles et un risque de psychose chez des individus ou des groupes. L’hétérogénéité entre les
différents groupes à risque retrouvée dans les études portant sur les liens entre schizophrénie et
migration s’expliquerait cependant par le niveau d’échec social subi au sein de ces groupes. Se pose
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(CC BY-NC-ND 2.0)
alors la question de la subjectivité qui entoure la notion de l’échec social. Gantor-Graae et Selten
expliquent ainsi que l’échec social peut autant toucher des individus aisés qui se trouvent confrontés à
l’échec du fait de déficits d’ordre individuel que des individus en situation d’exclusion du fait de leur
condition sociale, si bien que l’échec social vécu intervient comme une donnée subjective, certes
quantifiable, mais non nécessairement corrélée à la réalité d’un échec social. Comment, alors, ne pas
entendre le caractère excessivement qualitatif d’un tel facteur de risque? Au-delà d’une amplitude
quantitativement mesurable, il semblerait davantage répondre à un vécu personnel sans réalité sociale,
rendant alors difficile son extrapolation à des groupes d’individus.
Enfin, la question est posée par les auteurs eux-mêmes de savoir si l’échec social ne constitue
finalement pas un simple facteur de stress, au même titre que d’autres stress reconnus pour entraîner un
risque plus élevé de schizophrénie. En mettant ainsi en avant le stress d’origine sociale, il s’agirait en
réalité principalement de pointer le rôle du stress d’un point de vue neurobiologique (dysrégulation de
l’axe hypothalamo-hypophysaire, dysrégulation dopaminergique) et d’apporter un argument
supplémentaire au modèle stress-vulnérabilité décrit ultérieurement, en y déclinant une modalité socioéconomique. De plus, le modèle ne permet pas d’expliquer pourquoi la majorité des personnes subissant
un phénomène d’échec social n’expriment pas une schizophrénie secondaire à l’hyperdopaminergie
induite.
d. Evolution du facteur de risque
Le dernier questionnement qu’il convient de soulever concernant le modèle de l’échec social est
ainsi son caractère excessivement statique, qui ne s’intègre nullement dans une approche dynamique et
trajectorielle de la schizophrénie. Comme nous l’avons vu précédemment, il reste aujourd’hui difficile
de savoir à quelle période de la vie le facteur migratoire intervient le plus comme facteur de risque.
Inversement, il existe davantage de littérature sur la période préférentielle de pathogénicité des
traumatismes infantiles, de l’usage de cannabis ou encore de l’urbanicité. Se pose alors la question de
savoir quelle place prend le concept d’échec social dans une trajectoire développementale pouvant
mener vers la schizophrénie. Interviendrait-il davantage comme un facteur de risque précoce ou tardif?
Dans ce cas, il paraît peu évident qu’il puisse servir de voie étiopathogénique commune à des facteurs
de risques dont on sait qu’ils interviennent à des moments différents du développement. Inversement,
pourrait-il intervenir tout au long de la vie? Dans ce cas, existe-t-il un effet dose-réponse entre le taux
d’exposition et le degré de risque individuel à l’égard de la schizophrénie? L’absence totale d’étude
clinique sur l’ensemble de ces données ne permet pas de préciser les modalités d’exposition et
d’expression du facteur de risque que serait l’échec social.
Au total, le concept de l’échec social est un modèle qui a le double mérite de mettre au cœur de
la schizophrénie l’articulation entre des données issues de l’épidémiologie et de la neurobiologie, ainsi
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(CC BY-NC-ND 2.0)
que le rôle prépondérant des facteurs environnementaux et sociaux. Pour autant, il possède comme
principale limite son caractère trop statique et unificateur, qui ne lui permet pas de prendre en compte la
complexité de la voie étiopathogénique qui mène vers l’expression de troubles psychotiques. En effet,
l’articulation entre les différents facteurs de risque ainsi qu’entre les facteurs environnementaux et
génétiques n’y est pas prise en compte, ce qui lui confère un caractère nettement trop simpliste au regard
d’une voie causale pressentie comme étant bien plus complexe.
C. Le modèle sociodéveloppemental (Morgan et al., 2011)
Plus récemment, Morgan et ses collaborateurs ont proposé un modèle plus complexe, s’appuyant
sur les découvertes récentes en matière de santé mentale en situation migratoire. Intitulé « modèle
sociodéveloppemental », il fait l’hypothèse d’une causalité complexe s’érigeant tout au long du
développement de l’individu. La causalité temporelle, absente du modèle de l’échec social, se trouve ici
déployée au travers des différentes modalités connues qui agissent au cœur du surrisque de
schizophrénie. Les bases épistémologiques de ce modèle se trouvent dans le modèle stress-vulnérabilité
postulé depuis les années 1970 pour décrire la schizophrénie (Nuechterlein & Dawson, 1984; Zubin &
Spring, 1977) ainsi que dans le modèle neurodeveloppemental (Weinberger & Harrison, 2011).
1. Adversité sociale
Reprenant les travaux de Cantor-Graae et Selten, Morgan et ses collaborateurs tentent dans leur
article de proposer une modélisation plurifactorielle du lien entre schizophrénie et migration, en mettant
en avant le rôle central des facteurs sociaux. Leurs conclusions se basent ainsi sur les données
épidémiologiques concernant le retentissement pathogène d’évènements sociaux, comme par exemple
ceux d’une étude anglaise qui retrouvait comme variables différenciant les migrants caribéens des
contrôles au cours d’un premier épisode psychotique le chômage, le célibat et la séparation avec l’un
des parents pendant l’enfance (Mallett et al., 2002). Une seconde étude a validé le rôle de ces facteurs
dans l’étiopathogénie de la schizophrénie et démontré qu’ils étaient plus fréquemment retrouvés et
cumulés au sein des populations migrantes (Morgan et al., 2008). De plus, une autre étude retrouvait une
augmentation de la prévalence annuelle de la schizophrénie en cas d’antécédent d’attaque raciale (OR=
4,8), de racisme à l’emploi (OR= 2,9) ou de harcèlement moral (OR= 1,6) (Bhui et al., 2005).
Ainsi, un certain nombre de facteurs sociaux ont été retrouvés dans différentes études et
apparaissent comme majorant le risque de psychose, sans que ne soient connues les interactions qu’ils
peuvent entretenir entre eux. Là où le modèle de l’échec social propose une voie étiopathogénique
unique, la voie sociodéveloppementale cherche à proposer une modélisation interactionniste de ces
différents facteurs. Dans une étude datée de 2014, Morgan et ses collaborateurs ont tenté de préciser
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(CC BY-NC-ND 2.0)
l’interaction qui peut exister entre ces différents facteurs de risque (Morgan et al., 2014). En effet, trois
types d’interaction sont envisageables:
• la médiation : un facteur de risque reconnu de schizophrénie A (par exemple la séparation
avec un parent dans l’enfance) favorise l’exposition à un autre facteur de risque B (par exemple les
conditions sociales défavorables à l’âge adulte), qui lui-même entraîne un risque majoré de psychose
• la synergie : deux facteurs de risques reconnus A et B agissent de manière additive et se
cumulent pour augmenter le risque de présenter un trouble psychotique
• la médiation synergique : la relation entre deux facteurs de risque A et B peut prendre à la fois
la forme de la médiation et de la synergie
La figure 3 schématise ces trois types d’interaction possibles entre les facteurs de risques :
environnementaux.
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Figure 3 : Schématisation
Schématisation des différentes interactions possibles entre les facteurs
environnementaux de schizophrénie (interaction environnement x
environnement)(adapté de Morgan et al., 2014)
Les résultats de cette étude sont en faveur du modèle de la médiation synergique. En effet, les
auteurs ont étudiés le type d’interaction qui pouvait relier les facteurs de risque suivants : séparation
avec un parent dans l’enfance, mort d’un parent dans l’enfance, faible réussite scolaire, faible estime de
soi et désavantages sociaux. Il était retrouvé :
• Une fort effet de médiation entre la séparation avec un parent dans l’enfance et la psychose
via les désavantages sociaux et la faible réussite scolaire
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(CC BY-NC-ND 2.0)
• Un fort effet de synergie entre la séparation avec un parent dans l’enfance et les désavantages
sociaux à l’âge adulte
Ce double effet suggère que l’hypothèse de la médiation synergique est la plus à même de
rendre compte de l’interaction environnement x environnement (E x E) qui intervient dans le risque de
psychose. Cet effet de médiation synergique tend à apporter des arguments à l’encontre du modèle de
l’échec social, qui n’intègre nullement la prise en compte des interactions environnement x
environnement.
2. Théories neurocognitives associées
Les évènements sociaux précédemment cités seraient associés à des processus neurocognitifs
permettant d’expliquer le lien causal entre migration et schizophrénie. La théorie épigénétique,
correspondant à l’activation des gènes en fonction de l’environnement, pourrait ainsi prendre tout son
sens. Du point de vue neurobiologique, la sensibilisation du système dopaminergique mésolimbique ou
la dérégulation de l’axe hypothalamo-hypophysaire sont des hypothèses également apportées pour
comprendre l’effet des facteurs psychosociaux sur l’organisme. Du point de vue neurocognitif,
l’hypothèse d’apparition de schémas et de biais cognitifs dysfonctionnels est également citée par les
auteurs (Garety et al., 2001). L’apparition d’un style attributionnel de type paranoïde est ainsi décrite
comme mécanisme potentiellement mis en jeu du point de vue de la cognition sociale.
3. Le modèle sociodéveloppemental
Partant de l’impossibilité à retrouver une étiopathogénie unique au sur-risque de schizophrénie
démontré chez les migrants et des conclusions des deux méta-analyses retrouvant une hétérogénéité
inter-groupes et inter-études significative, Morgan et ses collaborateurs proposent une modélisation
multifactorielle prenant en compte plusieurs facteurs de risque et leur interaction au cours des
différentes étapes pré-morbides pour apporter une théorie explicative potentielle, basée sur les résultats
précédemment évoqués, tant du point de vue génétique, que biologique, cognitif ou psychosocial.
L’accent est clairement porté sur l’importance que revêtent les facteurs psychosociaux, par les biais des
dysfonctionnements cognitifs et biologiques qu’ils entraînent.
L’hypothèse socio-développementale intrique un a) risque génétique présent à la naissance à b)
des facteurs environnementaux présents à la fois pendant l’enfance (traumatismes infantiles) et l’âge
adulte, eux-mêmes en lien avec un contexte donné au sein duquel le statut social prend toute son
ampleur. L’association de ces différents facteurs de risque entraînerait une vulnérabilité plus grande à la
psychose sous la forme de c) symptômes prodromiques (anxiété, dépression, expériences prépsychotiques) et de dysfonctionnements cognitifs et neurobiologiques, terrain sur lequel d) la réitération
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(CC BY-NC-ND 2.0)
de facteurs de stress environnementaux entraînerait une entrée dans la pathologie psychotique avérée.
L’hypothèse principale sous-tendue par cette modélisation est donc que ce sont les expériences sociales
et le contexte de vie qui font la différence, pouvant entraîner certains individus à risque dans des
groupes donnés vers la pathologie schizophrénique.
Figure 4 : Le modèle
modèle sociodéveloppemental
sociodéveloppemental (adapté
(adapté de Morgan et al., 2011)
4. Intérêts et limites
a. Intérêts
Tout comme le modèle de l’échec social, celui proposé par Craig Morgan et ses collaborateurs a
comme intérêt principal de mettre au cœur de l’étiopathogénie de la schizophrénie les facteurs
environnementaux et sociaux. L’importance du contexte social est ainsi clairement soulignée par les
auteurs et mise en exergue dans la modélisation de la voie étiopathogénique proposée. La vulnérabilité à
la psychose est ainsi décrite non pas comme la conséquence d’une cause uniquement génétique mais
comme l’interaction d’une double vulnérabilité à la fois génétique et environnementale, venant impacter
le développement psychomoteur et cérébral de l’individu au cours de son développement.
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(CC BY-NC-ND 2.0)
De plus, ce modèle a l’avantage de prendre en compte à la fois le caractère dynamique de
l’étiopathogénie de la schizophrénie et les interactions gène x environnement (G x E) ainsi
qu’environnement x environnement (E x E) qui peuvent exister dans la construction du risque au fil de
l’enfance, de l’adolescence puis de l’âge adulte. Si ces données épidémiologiques méritent d’être mieux
appréhendées à l’avenir, elles sont ici imaginées comme primordiales dans la compréhension du
phénomène.
Enfin, le modèle sociodéveloppemental prend en compte la complexité de l’étiopathogénie de la
schizophrénie dans l’ensemble de ses composantes. L’évolution temporelle des troubles sous la forme
de phases prodromiques progressivement plus intenses du point de vue symptomatique est ainsi prise en
compte, tout comme l’existence d’effets multiples, tant cognitifs, que neurobiologiques ou
phénoménologiques des facteurs sociaux délétères.
b. Limites
La limite principale du modèle sociodéveloppemental est son caractère pour l’heure heuristique,
puisqu’il n’existe actuellement aucune étude ayant démontré la validité du modèle en suivant une
méthodologie longitudinale, permettant de démontrer l’enchaînement causal des différents phénomènes
psychopathologiques évoqués. Si la construction du modèle repose sur un certain nombre de données
scientifiques solides, la validité de leur mise en corrélation demeure à prouver. L’effet précis des
facteurs sociaux reste ainsi peu documenté, tant du point de vue de la période d’effet, que des
conséquences précises qu’ils peuvent avoir sur l’individu. Le manque de données quantitatives sur
l’ensemble des éléments du modèle lui confère ainsi sa principale limite.
D. Théorie de la « sensibilisation »
Une autre concept permettant de modéliser la voie étiopathogénique entre facteurs
environnementaux et schizophrénie a été récemment proposé, sous le terme de « sensibilisation »
(sensitization) (Collip et al., 2008).
1. Arguments
Reprenant les découvertes récentes concernant le rôle des facteurs environnementaux dans la
schizophrénie, les auteurs postulent que l’ensemble de ces facteurs seraient liés par une voie
étiopathogénique commune. En effet, la disparité de l’incidence et de la prévalence des troubles
psychotiques selon les zones géographiques et les populations (McGrath, 2006) tend à souligner le poids
des facteurs environnementaux vis-à-vis des facteurs génétiques. De plus, leur multiplicité rend
difficilement probable l’hypothèse de l’existence d’autant de mécanismes étiopathogéniques sousjacents, laissant imaginer l’existence d’une voie finale commune, comprenant une sensibilisation
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(CC BY-NC-ND 2.0)
dopaminergique associée ou non à des biais cognitifs. Le fait que les facteurs environnementaux ne
soient ni nécessaires ni suffisants dans la trajectoire schizophrénique d’un individu est également en
faveur d’une voie physiopathologique générale pouvant s’exprimer sous l’effet d’autres facteurs
qu’environnementaux. Le concept de sensibilisation postule que des individus soumis sur une longue
période à une exposition environnementale répétée présentent une réponse croissante au fil du temps
résultant finalement dans une modification de l’amplitude de la réponse à ce facteur. Il a ainsi été fait
l’hypothèse que la sensibilisation puisse être le substrat de la vulnérabilité aux effets inducteurs de
psychose du stress et des agonistes dopaminergiques retrouvée dans la schizophrénie (Howes et al.,
2004; Lieberman et al., 1997).
2. Effets de sensibilisation
Les auteurs retiennent ainsi différents effets de sensibilisation potentiels :
• Effets cognitifs et émotionnels : l’adversité sociale pourrait entraîner l’apparition de schémas
cognitifs négatifs portant sur soi et les autres, sous la forme d’un défaut d’estime de soi qui pourrait
favoriser le développement d’un style attributionnel externe de type paranoïde pour les évènements
négatifs. Dans ce sens, des études ont démontré que la voie menant des abus et traumatismes infantiles
à la psychose était médiée par une représentation de soi défaillante et des sentiments négatifs sur les
autres, ainsi que des déficits en méta-cognition (Bak et al., 2005). Une étude a également montré que
les pensées de type paranoïde étaient exacerbées dans une population de personnes à risque de
schizophrénie par le fait d’être exposée à un environnement urbain défavorisé (Ellett, Freeman &
Garety, 2007). Ainsi, des modifications cognitives et émotionnelles pourraient résulter d’une
exposition environnementale intense et répétée, et majorer progressivement l’amplitude de la réponse
à cette même exposition.
• Sensibilité comportementale au stress : l’hyper-réactivité à des stress mineurs retrouvée dans
les populations de personnes à très haut risque de psychose (Myin-Germeys et al., 2001) pourrait
correspondre à un phénomène de sensibilisation, au cours duquel l’exposition antérieure à des stress
majeurs, tels que les traumatismes infantiles, augmenterait la sensibilité à de moindres facteurs de
stress ultérieurs.
• Effets dopaminergiques : si le rôle de la dopamine dans l’étiopathogénie de la schizophrénie
est aujourd’hui bien documenté, la manière dont elle pourrait agir au sein de la voie menant des
facteurs environnementaux à la schizophrénie demeure inconnue. Différents arguments laissent à
penser qu’elle puisse avoir un rôle primordial, qu’il s’agisse d’études animales ou humaines. Ainsi,
une étude a démontré que le taux de libération de dopamine mésolimbique en réponse à un stress
social dépendait du niveau de soins maternels reçus pendant l’enfance (Pruessner et al., 2004) et
l’étude récente de Gavenden et coll. effectuée chez des personnes malentendantes va dans ce sens.
62
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Le concept de sensibilisation peut être décrit à l’aide de la figure suivante (Figure 5). La
personne A présente une expression « normale » d’expériences psychotiques sub-cliniques qui
demeurent transitoires et de faible intensité. La personne B présente une expression de même intensité
mais persistante dans le temps, due à une exposition environnementale de moyenne intensité. La
personne C présente une persistance prolongée due à une exposition environnementale intense et répétée
à des facteurs de risque environnementaux.
Figure 5: Théorie
Théorie de la sensibilisation (adaptée de Collip. et al., 2008)
3.
Intérêts et limites
a. Intérêts
La théorie de la sensibilisation a comme intérêt de prendre en compte à la fois les données
neurobiologiques, cognitives et comportementales concernant les effets de l’exposition à des facteurs
environnementaux délétères. En effet, alors que le modèle de l’échec social se borne aux effets
dopaminergiques éventuels du vécu d’échec, la théorie de la sensibilisation s’étend à un ensemble de
phénomènes cognitivo-comportementaux et émotionnels qui jouent probablement un rôle tout aussi
important dans l’étiopathogénie des troubles psychotiques.
Elle permet également de faire le lien entre des facteurs environnementaux a priori fort
différents et dont il n’est pas aisé de voir au premier abord le point commun, tout en prenant en compte
le modèle de l’interaction synergique dans le risque global. En effet, les effets du stress social dans
l’enfance (traumatismes infantiles, harcèlement scolaire..) peuvent entraîner une réponse amplifiée à
d’autres formes d’adversité sociale (chômage, isolement…) à l’âge adulte (Will et al., 2015; van
Harmelen et al., 2014; Gonzalez et al., 2014). Cet effet de sensibilisation favoriserait alors la transition
vers la psychose à l’âge adulte par réitération de facteurs de stress dépassant les capacités d’adaptation
de l’individu par phénomène d’augmentation de la réponse neurobiologique et cognitivocomportementale.
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b. Limites
La théorie de la sensibilisation explique les effets neurobiologiques de l’exposition
environnementale par un accroissement progressif de l’activité de certaines aires cérébrales, ce qui ne
permet pas de prendre en compte les phénomènes d’hypofonctionnement que l’on peut retrouver dans la
schizophrénie. En effet, comme nous le verrons ultérieurement, certaines aires tendent à diminuer de
volume dans la schizophrénie ou a présenter un moindre degré de fonctionnement (Sheperd et al., 2014;
Moran et al., 2013). De plus, une étude retrouvait, plutôt qu’un effet de sensibilisation, une diminution
de la sécrétion de cortisol salivaire en réponse à un stress psychosocial chez des individus à haut risque
de psychose (Pruessner et al., 2013).
Ensuite, tout comme pour les deux modèles précédemment cités, il ne s’agit que d’une
formulation d’hypothèses demandant à être précisées et validées ou non par des études cliniques et
fondamentales dont la méthodologie s’avère complexe. En effet, il convient de proposer des méthodes
de suivi longitudinal d’un ensemble de facteurs complexes, tout en cherchant à valider l’existence d’une
corrélation statistique entre ces différents phénomènes.
E. La théorie du « capital social » : lien social et schizophrénie
Issu de la sociologie américaine, le concept de capital social (social capital) a été utilisé en
épidémiologie et santé publique à partir des années 90 dans l’optique de mieux appréhender les
inégalités de santé. Il s’agissait ainsi de décrire la cohésion sociale ainsi que la manière qu’ont les
individus de se situer vis-à-vis de leur environnement social immédiat afin de déterminer l’effet de ces
perceptions sur leur état de santé. Son intérêt a été étendu par la suite dans les études portant sur
l’étiopathogénie de la schizophrénie.
1. Un concept issu de la sociologie américaine
Peu diffusé dans la sociologie française, la concept de capital social trouve son origine dans la
sociologie américaine de la fin du XXème siècle, dans un contexte qui voit alors les Etats-Unis
confrontés à la montée du chômage et des inégalités sociales, à laquelle s’associe un désaveu à l’égard
des institutions sociales, notamment associatives, jusqu’alors prisées de la société américaine. Alexis de
Tocqueville, dans son ouvrage De la démocratie en Amérique soulignait ainsi la forte propension des
américains à s’investir dans la vie citoyenne à travers l’engagement dans des sociétés associatives
indépendantes, ce que le sociologue français avait alors considéré comme le ciment de la vigueur de la
démocratie aux Etats-Unis (Tocqueville, 1833). Robert Putman, dont la théorisation de la notion de
capital social a clairement marqué un tournant favorable dans l’essor qu’elle a pu connaître à partir des
années 90, reprend cette idée de Tocqueville dans l’optique de montrer qu’est advenu un déclin
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progressif de l’engagement citoyen aux Etats-Unis à la fin du XXème siècle, théorie qu’il expose dans
un article intitulé Bowling alone: America’s declining social capital et publié en 1995, étendant son
raisonnement à l’évolution de l’engagement social des américains au sein des associations civiles
(Putman, 1995). Putman se base ainsi sur les résultats concordants d’études sociologiques menées dans
le monde associatif américain qui retrouvent un déclin notable de la participation des citoyens aux
activités de la société civile auxquelles il impute un rôle essentiel « dans l’avènement et la consolidation
d’un système démocratique », phénomène contrastant avec un intérêt de plus en plus marqué pour le fait
d’aller faire du bowling seul (bowling alone). Ainsi, Putman retient le fort désengagement syndical
(32,5% de travailleurs syndiqués en 1953 contre 15,8% en 1992), religieux
(48% d’engagement
religieux à la fin des années 50 contre 41% à la fin des années 60) ou encore associatif (recul de 59%
des adhésions à la Fédération nationale des clubs de femmes entre 1964 et 1995, de 61% à la CroixRouge entre 1970 et 1995 ou de 26% chez les Scouts sur la même période) pour argumenter ce désaveu
progressif des citoyens à l’égard d’activités d’engagement social. Paradoxalement, Putman retient
qu’ « entre 1980 et 1993, le nombre de joueurs de bowling a augmenté de 10% aux Etats-Unis alors que
le nombre de personnes membres d’un club de bowling a chuté de 40% ». Paradigmatique du déclin de
ce qu’il appelle « l’engagement civique », le sociologue américain définit à travers le phénomène du
« bowling alone » le capital social comme « les caractéristiques de l’organisation sociale, telles que les
réseaux, les normes et la confiance qui facilitent la coordination et la coopération pour un bénéfice
mutuel ». Il s’agit ainsi de théoriser l’intérêt du capital social, en ce qu’il apporterait un « bénéfice »
pour l’individu mais aussi pour la société dont il fait partie, tout en y associant des caractéristiques
pratiques de mode d’interaction entre les individus.
Trois niveaux de capital social seraient à différencier selon Putman:
• le bonding social capital qui correspond à « la « colle » (social glue) qui cimente les réseaux
fondés sur le partage d’affinités et d’appartenance communes
• le linking social capital qui « permet de rassembler des individus porteurs d’identités sociales
et culturelles différentes »
• le bridging social capital qui « crée des liens entre la société civile et les appareils
institutionnels »
Du côté de la sociologie française, Pierre Bourdieu a également conceptualisé la notion de
capital social, dans une optique assez différente de celle défendue par la théorie putmanienne. La
naissance de l’idée même d’un capital social peut lui être attribuée puisqu’il fut le premier à le théoriser,
dans sa distinction des différentes formes de capital, qu’il organise en capital économique, capital
culturel et capital social (Bourdieu, 1980). Pour Bourdieu, le capital social se définit « comme
l’ensemble des ressources actuelles ou potentielles qui sont liées à la possession d’un réseau durable de
relations plus ou moins institutionnalisées d’interconnaissance et d’interreconnaissance; ou en d’autres
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termes à « l’appartenance à un groupe » ». Il est important de noter qu’il n’existe que peu de
perméabilité théorique entre les pensées putmanienne et bourdieusienne, le premier ne citant le
sociologue français que de manière sporadique, sans s’appuyer outre mesure sur la définition qu’en fait
Bourdieu. Cette absence de filiation entre deux concepts a priori identiques explique en partie le fait
que la théorie du capital social n’ait pas été importée dans la sociologie française.
Une des limitations de la théorie du capital social repose sur l’imprécision qui existe quant à la
manière de mesurer directement et quantitativement le quantum de capital social d’une région ou d’un
individu donné. Aucune recommandation n’existe en effet à l’heure actuelle quant à un outil de mesure
précis du capital social, rendant la synthèse des données rapportées au fil des années difficile, du fait de
l’hétérogénéité de mesure du capital social. Différentes échelles sont ainsi utilisées, tant au niveau
individuel que collectif, sans harmonisation autour des données précises permettant d’appréhender le
niveau de capital social d’un individu ou d’un groupe social. Ponthieux écrit en ce sens que « les
différentes dimensions identifiées pour mesurer le capital social appréhendent des phénomènes variées,
irréductibles en tous les cas à un unique objet latent » (Ponthieux, 2006).
2. Capital social et inégalités de santé : le « côté sombre du capital social »
Bien que la notion ait aussi peu diffusé dans la recherche médicale française, la médecine est
l’un des terrains sur lequel le concept de capital social a trouvé le plus d’écho, du fait de son intérêt pour
appréhender le rôle des inégalités sociales au cœur des inégalités de santé. On dénombre ainsi dans la
littérature médicale de nombreux articles cherchant à argumenter le rôle du capital social sur la santé
publique et individuelle, tant du point de vue de pathologies coronariennes (Sundquist et al., 2006) que
du risque de cancer ou de suicide (van Hooijdonk, 2008).
Dans une étude datée de 2009, deux chercheuses en économie, Caroline Brechet et Florence
Jusot utilisaient le concept de capital social, dans sa conception putmanienne, pour analyser la
différence de l’état de santé entre la population immigrée et la population autochtone en France. En
accord avec les résultats d’études internationales sur le sujet, Brechet et Jusot retrouvaient un état de
santé globalement plus dégradé dans la population immigrée. Ainsi, 34% des migrants déclaraient un
état de santé subjectivement dégradé contre 28% de la population française. Il est à noter que les auteurs
utilisaient dans cette étude la mesure de l’état de santé déclarée par les personnes, sa corrélation avec
l’état de santé objectif ayant été démontrée antérieurement (Chandola et al., 2000). L’analyse statistique
permettait de démontrer que 39% de cette différence dans l’état de santé étaient attribuables à la
différence de distribution des caractéristiques observables entre les deux populations. Plus précisément,
le capital social était le facteur le plus important, puisque il expliquait 54% de la différence de santé
attribuable aux caractéristiques observables, contre 42% pour le niveau de revenu et seulement 16%
pour la catégorie socioprofessionnelle. Le niveau de soutien social jouait pour 43% et l’engagement
civique pour 11%.
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Pour autant, les études de cohortes peinent à mettre en avant un effet fort du capital social sur la
santé des individus, tant au niveau collectif qu’individuel. En effet, les effets de risque ou de protection
sont le plus souvent minimes (0,92 pour le cancer et 0,90 pour le suicide dans l’étude de van Hooijdonk)
et les variables individuelles prennent le pas sur les données écologiques. De plus, il semblerait que ce
soit davantage la perception du capital social, que son existence concrète, qui influe sur la santé des
individus. A ce titre, la dernière étude en date sur les liens entre capital social et santé, datée de mai
2015, démontrait que la confiance individuelle était corrélée à un bon état de santé rapportée (OR=0,95;
IC95%= 0,94-0,96) au contraire de la confiance mesurée à l’échelle populationnelle. De plus, il existait
une forte corrélation (p<0,001) entre sentiment de confiance individuelle et collective, voulant que les
individus avec un bon niveau de confiance interpersonnelle rapportait un bon niveau de santé dans un
contexte de confiance collective locale tandis que, dans un même contexte de confiance collective
locale, les personnes avec un bas niveau de confiance individuelle reportaient un mauvais état de santé
(Campos-Matos et al., 2015). Ce phénomène est appelé dans la littérature le « côté sombre » (dark side)
du capital social, du fait que l’existence d’un capital social disponible dans un territoire donnée ne
suffise pas nécessairement à ce que ce capital soit protecteur du point de vue de la santé des individus
qui y vivent.
3. Capital social et santé mentale
En accord avec les travaux menés dans d’autres disciplines médicales, les chercheurs en santé
mentale se sont progressivement penchés sur le capital social, pour tenter de préciser le rôle qu’il
pouvait prendre dans l’épidémiologie et l’étiologie des troubles psychiatriques. Ainsi, en 2002,
McKenzie, Whitley et Weich publiait dans le British Journal of Psychiatry un article qui faisait pour la
première fois le lien entre différents travaux ayant démontré le rôle de données sociales, telles que le
niveau de cohésion sociale ou la densité ethnique, sur l’incidence ou la prévalence de troubles mentaux
comme la dépression, le suicide, l’anxiété ou encore la schizophrénie (McKenzie, Withley & Weich,
2002).
Une méta-analyse datée de 2005 a par la suite cherché à évaluer l’effet du capital social sur la
santé mentale (De Silva et al., 2005). Dans cette étude, De Silva et ses collaborateurs opéraient deux
distinctions au cœur de la notion de capital social, en opérant une double différenciation entre capital
social individuel et collectif (capital social écologique) d’un côté, capital social structurel (domaine
comportemental et actif du capital social) et cognitif (domaine perceptuel du capital social) de l’autre.
L’inclusion de 25 études conformes aux critères d’inclusion et portant sur différentes pathologies
mentales a permis de mettre en exergue des résultats divergents pour les différents types de capital
social. Ainsi, l’effet le plus significatif était retrouvé pour le capital social cognitif à l’échelle
individuel, sous la forme d’une corrélation négative entre niveau de capital social et de santé mentale.
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Inversement, il n’existait qu’un faible effet, voire l’absence de corrélation entre les trois autres formes
de capital social et la santé mentale. Différentes limitations méthodologiques peuvent être reprochées à
cette étude, l’une d’entre elles concernant notamment le fait que le capital social pourrait avoir un effet
sur certaines pathologies mentales davantage que sur d’autres, résultat qui serait sous-estimé par une
mesure de ses effets sur la santé mentale en générale. Dans cette optique, différentes études ont cherché
à préciser le rôle du capital social dans la schizophrénie.
4. Capital social et schizophrénie
Les recherches portant sur le rôle du capital social dans la schizophrénie trouvaient leur origine
au cœur des résultats retrouvés antérieurement sur le rôle de la densité ethnique, rapportée au bridging
capital, et de la cohésion sociale, pensée alors sous l’angle du bonding capital, dans l’étiopathogénie de
la schizophrénie. De plus, le fait que certaines études aient démontré l’existence d’un capital social plus
développé en milieu rural qu’urbain a amené les chercheurs spécialisés dans les liens entre urbanité et
schizophrénie à se pencher plus en détail sur ce concept.
Une première étude non publiée de Boydell en 2002 retrouvait une corrélation inverse entre le
niveau de cohésion sociale mesurée dans différents départements électoraux de la ville de Londres
(capital social cognitif écologique) et l’incidence de la schizophrénie dans ces mêmes districts. Cette
recherche était cependant une étude pilote dans laquelle les résultats n’étaient pas ajustés sur des
variables individuelles.
Une seconde étude (Drukker et al, 2006) menée dans la ville de Maastricht a cherché à
appréhender le rôle du capital social dans la schizophrénie en l’analysant sous deux dimensions
distinctes: le contrôle social informel (informal social control, ISC) et la confiance et la cohésion sociale
(trust and social cohesion, SC&T), à un niveau écologique. Ces deux dimensions étaient mesurées à
l’aide d’un questionnaire envoyé à un échantillon représentatif de la population de Maastricht au sein
des différents districts de cette ville de 120.000 habitants. L’objectif de l’étude était de valider
l’existence d’une corrélation statistique entre le niveau de capital social d’un district de la ville et le taux
d’incidence de la schizophrénie dans ce même territoire. Le premier résultat de l’étude était celui d’une
grande hétérogénéité de l’incidence de la schizophrénie selon les aires géographiques de la ville, variant
de 0,7 à 6 pour 1000. L’analyse directe retrouvait un effet significatif du défaut de capital social dans
l’épidémiologie de la schizophrénie, puisque l’odd ratio était de 1,29 pour l’ISC et de 1,35 pour le
SC&T (p<0,05). Ainsi, une déviation standard augmentée dans une variable de condition de voisinage
augmentait de 13 à 35% le taux d’incidence de schizophrénie dans ce quartier. Cependant, ces résultats
s’avéraient non significatifs lorsqu’ils étaient ajustés sur les variables individuelles. Le célibat et le
chômage apparaissaient ainsi comme les variables les plus importantes dans les variations d’incidence,
avec des odd ratio respectifs de 72 (p<0,001) et de 11 (p<0,001). Ainsi, cette étude hollandaise ne
permettait pas d’établir l’existence d’un lien de causalité significatif entre capital et social et incidence
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de la schizophrénie à un niveau écologique. Les facteurs socio-économiques individuels apparaissaient
ainsi comme les variables les plus significatives pour expliquer l’hétérogénéité des incidences
retrouvées dans la ville de Maastricht. Ces résultats tendraient à confirmer que le capital social jouerait
un rôle du point de vue de la santé mentale davantage au niveau individuel que collectif et dans sa
dimension cognitive davantage que structurelle. La petite taille de la ville et la faible ampleur des
différences sociales au sein de la ville ont sans doute été un frein statistique à la mise en exergue de
résultats significatifs du point de vue écologique.
En 2007, une seconde étude (Kirkbride et al, 2007) utilisait deux variables de mesure du capital
social, SC&T et SocD (social cohesion and dizorganisation), pour évaluer la corrélation entre capital
social et incidence de la schizophrénie dans la ville de Londres, à un niveau écologique. Les résultats
montraient une corrélation non-linéaire entre confiance et cohésion sociale et incidence de la
schizophrénie. En effet, les taux de schizophrénie étaient retrouvés plus élevés dans les quartiers de la
ville présentant les plus hauts (RR= 2,5, IC95%= 1,3-4,8) et les plus bas niveaux (RR= 2,0; IC95%=
1,2-3,3) de cohésion sociale. De manière cohérente avec les études antérieures, il était retrouvé une
incidence moindre dans les zones présentant une plus faible fragmentation ethnique (RR= 0,6, IC95%=
0,5-0,8), et le risque de schizophrénie dépendait de la densité ethnique, le risque étant d’autant plus
élevé que la densité ethnique est faible (RR= 6,6, IC95%= 3,0-14,2 dans les zones de plus faible densité
ethnique). Il n’existait pas de corrélation significative entre le niveau de cohésion et de désorganisation
sociale mesurée par le SocD, mais il existait une bonne corrélation entre les réponses données au SocD
et au ScT. Les résultats a priori contradictoires de cette étude apportent des pistes de réflexion sur le
mode de fonctionnement du capital social pour la schizophrénie. En effet, les résultats dans les zones de
haute cohésion sociale pourraient s’expliquer par le phénomène de « dark side » du capital social
évoqué plus haut, tandis que ceux dans les zones de faible cohésion sociale pourraient s’expliquer par la
difficulté rencontrée par les individus pour atténuer leur niveau de stress due à la vie urbaine par un
support social suffisant.
Les conclusions des différentes études portant sur les liens entre capital social et schizophrénie
sont assez concordantes quant au fait que les données ne permettent nullement pour l’heure de désigner
le fait de bénéficier d’un faible capital social comme un facteur de risque de schizophrénie. Ce constat
se doit cependant d’alimenter de futures recherches dans le domaine de l’épidémiologie mais aussi dans
celui de la délimitation précise du concept de capital social, d’un point de vue notamment sociologique
et économique. Si des auteurs comme Ponthieux soulignent les évidentes limites du concept et la
vacuité qui pourrait advenir en voulant à tout prix prouver empiriquement l’existence du social capital
à travers des mesures d’inégalités sociales dans différentes domaines de son application, il serait tout
aussi peu utile de l’abandonner définitivement et de ne pas investiguer davantage son possible rôle
étiopathogénique dans la schizophrénie. Outre la difficulté à disposer de résultats concluants, la notion
de capital social interroge sur les effets psychopathologiques possibles de l’exclusion sociale.
69
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F. Exclusion sociale et discrimination : une double signature cognitive et
neurobiologique
La notion de capital social ouvre en effet un débat qu’il convient de poursuivre sur les effets du
lien social, et dans un même temps de l’exclusion sociale, sur le fonctionnement neurocognitif,
comportemental et relationnel des individus, afin de comprendre au mieux comment peuvent s’articuler
le capital social dit structurel et le capital social cognitif. La première question qu’il convient de se poser
est de savoir s’il existe réellement un effet, voire, une « signature psychopathologique », qu’elle soit
cognitive, comportementale, émotionnelle, relationnelle ou neurobiologique du défaut de capital social,
sous la forme de l’exclusion sociale ou de la discrimination. Les travaux récents permettent d’avancer
en ce sens et de postuler l’existence de conséquences cérébrales et psychiques précises des phénomènes
de désocialisation et de discrimination sociale.
1.
Arguments épidémiologiques
Différentes études ont démontré, contrairement à l’idée généralement répandue, que la
schizophrénie n’est pas présente avec la même incidence et la même prévalence dans toutes les zones
géographiques données (Kirkbride et al., 2014; 2006; McGrath, 2006: Drukker et al., 2006). En effet, il
existe d’importantes disparités dans la répartition du trouble, avec une très forte présence dans les
quartiers défavorisés, au sein desquels on retrouve une forte fragmentation sociale et des désavantages
sociaux prépondérants.
Ces données mettent en avant le rôle majeur de l’adversité sociale, sous la forme de l’exclusion
sociale et de la discrimination dans la survenue des troubles psychotiques, en même temps qu’elles
interrogent le caractère cumulatif de différents facteurs au cours du temps. Une étude française menée
par l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes) a démontré que cette
hétérogénéité spatiale de répartition de l’incidence de la schizophrénie était en grande partie médiée par
des facteurs socio-économiques (Coldefy & Le Neindre, 2014). En utilisant un indice de fragmentation
sociale et un indice de défavorisation sociale, il était retrouvé que les zones géographiques les plus
défavorisées et fragmentées présentaient les plus hauts taux de recours aux soins pour un trouble
schizophrénique, résultats concordant avec les données de la littérature internationale.
2.
Une signature neurale de l’exclusion sociale
Récemment, la thématique de l’exclusion sociale est devenue un champ privilégié des
recherches en neurobiologie et plusieurs études ont en effet permis de démontrer l’existence d’un effet
neurobiologique de l’exclusion sociale, laissant à penser que le sentiment de discrimination ou de défaut
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de support social présente une influence notable sur le fonctionnement cérébral. Ces différents travaux
ont porté à la fois sur des modifications électro-physiologiques, neuroanatomiques ou physiologiques.
a. Données neuroanatomiques
Eisenberger et ses collaborateurs ont proposé l’existence d’un système neurobiologique commun
entre douleur physique (physical pain) et sociale (social pain), situé en partie au sein du cortex
cingulaire antérieur (CCA), plus spécifiquement dans sa partie dorsale (CCAd), et de l’insula antérieure
(IA). Les auteurs le considèrent comme un « système d’alarme neurale » (Eisenberger et al., 2004).
Eisenberger évoque deux phénomènes distincts dans le phénomène de douleur physique: a) une part
sensorielle qui code pour discriminer le type de douleur et b) une part affective qui code pour la part
désagréable de la douleur (Eisenberger, 2012). Selon l’auteure, les phénomènes de douleur sociale se
rapprocheraient du point de vue physiopathologique davantage de ceux mis en jeu dans la part affective
de la douleur physique. Alors que les travaux sur la douleur physique ont de longue date décrit le CCAd
et l’insula antérieure comme systèmes importants dans les phénomènes de douleur chronique, des
recherches plus récentes ont démontré qu’ils jouaient également un rôle clé dans les phénomènes
d’exclusion sociale.
Tout d’abord, il est important de noter que le CCA joue un rôle majeur dans les phénomènes
d’attachement et de lien social dans les relations parents-enfants. Des recherches en primatologie ont
ainsi démontré le rôle du CCA dans les cris de détresse de bébés macaques séparés de leurs parents.
L’ablation du CCA élimine la production spontanée de cris de détresse, tandis que la stimulation du
CCA induit la production spontanée de ces cris (Robinson, 1967). De même, chez le rat, l’ablation du
CCA chez les mères diminue leur réponse aux cris de détresse de leurs enfants (Murphy et al., 1981).
Ainsi, différents arguments sont en faveur d’une voie neurobiologique commune entre douleur
physique et sociale. La première étude réalisée sur les effets neuroanatomiques de l’exclusion sociale
retrouvait en IRM fonctionnelle une augmentation de l’activité du CCAd et de l’insula antérieure chez
des personnes soumises à une expérience d’exclusion sociale via le ball-tossing game, expérience qui
vise à faire vivre un ressenti d’exclusion à travers un jeu de balle dirigé par ordinateur (Eisenberger,
2003). Ces résultats ont été répliqués dans différentes études (Masten et al., 2012; Bolling et al., 2011)
et il était retrouvé une corrélation significative entre le niveau d’activité de ces deux régions cérébrales
et le degré de détresse ressentie face au sentiment exclusion sociale (DeWall, 2012; Onada, 2009).
D’autres études ont démontré que des personnes présentant des facteurs protecteurs tels que le support
social ou le fait de passer plus de temps avec des amis présentaient une moindre activité du CCAd ou de
l’IA lors des expériences d’exclusion sociale (Masten et al., 2012; Eisenberger et al., 2007).
Inversement, les personnes présentant une estime d’eux même plus basse et relatant un moindre support
social avaient une activité plus élevée au niveau des régions impliquées dans la douleur sociale (Krill et
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al., 2009). Une étude plus récente a permis de valider définitivement l’existence d’une voie commune
entre douleur physique et sociale. Des individus ayant vécu une rupture sentimentale récente
participaient à une expérience au cours de laquelle ils devaient repenser à la personne les ayant quitté,
aidés en cela par une photo de la personne, ainsi qu’une stimulation douloureuse (Kross et al., 2011). Il
existait une analogie anatomique entre les régions cérébrales activées, à savoir comme attendu le CCAd
et l’insula antérieure. De plus, il a été démontré que les personnes présentant une sensibilité accrue à la
douleur sont également plus sensibles à l’exclusion sociale. Les personnes porteuses d’une mutation
allèlique des récepteurs opioïdes mu (OPM1) les rendant plus sensibles à la douleur physique le sont
également à l’exclusion et présentent une plus grande activité du CCAd et de l’IA lorsqu’ils sont soumis
expérimentalement à un vécu d’exclusion (Way, Taylor & Eisenberger, 2009).
b. Données électro-physiologiques
Cristofori et al. ont pu démontrer qu’il existait une « signature neurale » de l’exclusion sociale
sous la forme d’ondes thêta qui sont des ondes électroencéphalographiques de faible fréquence (de 3 à
7Hz), retrouvées lors d’expériences utilisant des logiciels informatiques permettant de mettre des
individus en situation expérimentale d’exclusion sociale (Cristofori et al., 2014). Le « parcours neural »
de l’exclusion se déploie ainsi à travers différentes aires cérébrales, parmi lesquels on retrouve l’insula
antérieure et postérieure, le cortex cingulaire antérieure sousgénuale (CCAs) ainsi que le gyrus
fusiforme, tous activés à des niveaux et des instants différents selon le degré et le type de sentiment
d’exclusion. L’insula notamment, jouerait un rôle primordial dans la neurobiologie de l’exclusion en
déclenchant les effets neuronaux de la douleur sociale et en permettant une détection de la situation de
douleur sociale, tandis que le CCAs aurait quant à lui un rôle d’apprentissage de l’exclusion sociale au
fil de l’expérience qui en est faite par l’individu.
Il est intéressant de noter qu’une étude récente retrouvait la présence prédominante d’ondes
thêta chez des patients schizophrènes (Chaychi et al., 2015). Cependant, ce résultat ne concernait que
12.5% de l’échantillon testé (12 patients sur 64), ce qui ne permet nullement d’avancer l’idée d’un rôle
prépondérant de ce type d’activité électrophysiologique dans la schizophrénie. Il est en revanche
intéressant de noter que les aires cérébrales concernées par les modifications électrophysiologiques
secondaires à l’exclusion sociale correspondent aux zones atteintes dans la schizophrénie, à savoir le
cortex préfrontal et notamment le CCA et l’insula. Ainsi, s’il est aujourd’hui démontré qu’il existe des
conséquences neurobiologiques spécifiques de l’exclusion sociale, la corrélation avec la schizophrénie
reste hypothétique. Il convient cependant d’ouvrir certaines perspectives étiopathogéniques en discutant
les résultats scientifiques concernant le rôle que prennent dans la schizophrénie les aires cérébrales
mises en jeu dans l’exclusion sociale.
72
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c. Rôle de l’insula et du CCA dans la schizophrénie
c.1. Insula et CCA : le réseau de la salience
Ainsi, alors que les recherches portant sur la neurobiologie de l’exclusion sociale ont permis de
pointer le rôle déterminant de régions cérébrales préfrontales telles que l’insula antérieure et le cortex
cingulaire antérieur, il convient de se référer aux données de la littérature sur le rôle de ces mêmes
régions dans la schizophrénie.
L’insula est une région du cerveau située dans le système limbique. Elle est divisée en une partie
antérieure, la plus volumineuse, et une partie postérieure. Elle joue un rôle prépondérant dans la gestion
des stimuli émotionnels et sensoriels intéroceptifs, soit la conscience de l’état corporel interne. Ainsi,
l’insula est activée lors de la perception de changements physiologiques tels que la fréquence cardiaque,
la douleur thermique ou la conductance épidermique (Damasio, 2003). L’insula joue ainsi un rôle dans
ces phénomènes intéroceptifs d’ordre émotionnels mais également dans le sentiment plus général du
« sens de soi », en permettant notamment de discriminer entre les stimuli provenant de l’état interne
(soi), via la conscience intéroceptive, et de l’extérieur (non-soi)(Critchley et al., 2004).
L’insula antérieure est spécialisée dans le traitement de la composante émotionnelle de la
conscience intéroceptive (Craig, 2003), l’anticipation et l’évaluation des stimuli émotionnels et la
conscience de soi (Lovero et al., 2009). Plus précisément, elle est impliquée dans la genèse de
l’empathie (Oschner et al., 2008) et l’identification des frontières entre soi et les autres (Iacoboni &
Dapretto, 2006), du fait notamment de la présence dans son architecture cellulaire de neurones miroirs.
L’insula postérieure est quant à elle spécialisée dans la gestion des stimuli sensori-moteurs (Lovero et
al., 2009).
Le cortex cingulaire est une aire cérébrale d’architecture complexe qui relie le système limbique
et le néocortex. Il est divisé en deux parties distinctes, le CCA, qui joue un rôle majeur dans les
phénomènes émotionnels, cognitifs (attentionnels notamment) et nociceptifs (Koo et al., 2008) et le
CCP, qui joue un rôle important dans les phénomènes douloureux et la conscience de soi (Leech &
Sharp, 2013).
L’insula antérieure et le CCA dorsal appartiennent à un réseau cérébral (brain network) appelé
Réseau de la Salience (RS), Salience Network dans la littérature anglophone, ou Système Réticulé
Activateur, dans la littérature francophone (Menon, 2011). Le modèle de la dysconnectivité décrit dans
la schizophrénie (White et al., 2010; Whitfield-Gabrieli et al., 2009; Zhou et al., 2007) distingue trois
réseaux neuronaux préférentiellement en jeu dans l’expression des troubles:
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(CC BY-NC-ND 2.0)
• le réseau de la Salience : il permet de sélectionner les signaux externes et intéroceptifs
pertinents (Seeley et al., 2007)
• le Réseau du Mode par Défault (RMD) ou Default Mode Network : composé du cortex
préfrontal dorsolatéral (CPDL), du lobe pariétal et des régions sous-corticales associées, il joue un
rôle prépondérant dans l’attention portée à l’environnement lors des tâches cognitives (Sridharan et
al., 2008; Seeley et al., 2007; Raichle, & Snyder 2007)
• le Réseau Exécutif Central (REC) ou Central Executive Network : composé du cortex
cingulaire postérieur, du cortex préfrontal médian, du cortex pariétal latéral et du gyrus
hippocampique est quant à lui désactivé durant les tâches cognitives (Sridharan et al., 2008)
Dans la schizophrénie, il est retrouvé des anomalies de fonctionnement de ces trois réseaux
cérébraux, ainsi que des troubles de la connectivité entre eux avec notamment un défaut de désactivation
du REC lors des tâches cognitives (Nygard et al., 2012; Whitfield-Gabrieli et al., 2009). Il est
intéressant de noter que le Réseau de la Salience (IA et CCAd) est précisément le réseau qui est mis en
jeu lors des phénomènes d’exclusion sociale, ce qui nécessite d’interroger une possible voie
étiopathogénique de la schizophrénie.
c.2. Rôle de l’insula dans la schizophrénie
Du fait de ses fonctions particulières, les chercheurs se sont penchés sur le rôle potentiel de
l’insula dans l’expression des troubles schizophréniques, si bien qu’il existe aujourd’hui une littérature
conséquente sur le sujet.
Ainsi, une diminution du volume de la matière grise au niveau de l’insula a été retrouvée chez
des personnes lors de premiers épisodes psychotiques (Ellison-Wright et al., 2008), dans la
schizophrénie (Shepherd et al., 2012) ou chez des personnes à haut risque de psychose (Takahashi et al.,
2009). Cette diminution est bilatérale et est corrélée aux symptômes positifs de la maladie (CrespoFacorro et al., 2000), notamment les hallucinations (Shapleske et al., 2002). Il est important de noter que
ces résultats ont été répliqués dans différentes études mais que d’autres n’ont pas nécessairement
retrouvé une telle corrélation entre symptômes positifs et diminution du volume insulaire (CrespoFacorro, 2010, Takahashi, 2005). La méta-analyse de Shepherd et coll. a cependant permis de valider
l’existence de cette diminution de volume, principalement située au niveau de l’insula antérieure.
Les études portant sur la dysconnectivité des réseaux cérébraux dans la schizophrénie ont permis
de mettre en lumière le rôle clé de l’insula antérieure droite (IAd) dans les connexions entre les
différents réseaux évoqués précédemment (Supekar & Menon, 2012; Uddin et al., 2011). En effet, cette
dernière module l’activité du RMD et du REC, en pouvant notamment faire alterner l’activité respective
de ces deux réseaux (Sridharan et al., 2009). La comparaison entre des sujets sains et des personnes
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(CC BY-NC-ND 2.0)
atteintes de schizophrénie retrouvait en IRM fonctionnelle un défaut d’activité de l’insula antérieure
droite et un hypoconnectivité des différents réseaux médiée par l’hypoactivité insulaire (Moran et al.,
2013). Ce trouble de la connectivité était significativement corrélé au déclin des performances
cognitives, à savoir dans le cas de l’étude un test d’attention soutenue.
L’insula jouerait ainsi un rôle dans différents symptômes de la schizophrénie tels que:
• le défaut de reconnaissance des émotions faciales: alors que la difficulté des personnes
atteintes de schizophrénie à distinguer les émotions faciales et aujourd’hui bien documentée (Bediou
et al., 2005) des études ont démontré un défaut d’activité insulaire lors de tâches de reconnaissance
des émotions faciales chez des patients schizophrènes (Phillips et al., 1999).
• les troubles du self: de nombreuses études ont fait la preuve de la prépondérance des troubles
du sens de soi au cœur de la schizophrénie (Parnas & Jansson, 2015; Nordgaard &Parnas, 2014). Au
vu de son rôle dans la conscience de soi, il est fait l’hypothèse d’un lien avec les troubles de l’activité
de l’insula (Arnfred et al., 2015).
• le trouble de la vocalisation et de la prosodie : alors qu’existe chez la très grande majorité des
patients schizophrènes des troubles de la prosodie (Ross et al., 2001), une étude a démontré
l’existence d’une hyperactivation de l’insula gauche lors d’exercices de vocalisation liés à la prosodie
(Mitchell et al., 2004).
• le défaut de perception douloureuse : la schizophrénie est également marquée par un
phénomène d’insensibilité à la douleur évoqué historiquement dès les premières descriptions de la
maladie et démontré plus récemment (Potvin & Marchand, 2008). S’il n’existe aucune étude
neurobiologique ayant étudié le rôle de l’insula sur ce phénomène dans la sensibilité, son rôle majeur
dans la nociception laisse penser que son altération en est en grande partie responsable.
• les phénomènes hallucinatoires : il existe une corrélation inverse entre volume de l’insula et
intensité des symptômes positifs et notamment des hallucinations, qui pourraient être médiés par les
phénomènes de troubles de la démarcation de soi et de l’expérience des phénomènes générés par le soi
ou l’extérieur. Différentes études ont démontré que les hallucinations auditives entrainaient une
hyperactivité insulaire (Jardri et al., 2009; Sommer et al., 2008).
• les troubles cognitifs : le rôle prépondérant de l’insula dans les tâches cognitives a été évoqué
précédemment, et l’étude de Moran et coll. a démontré le lien entre son hypofonctionnement et un
déficit cognitif chez des patients schizophrènes.
Ces différents phénomènes pathologiques sont liés à une composante émotionnelle (émotions
faciales, composante émotionnelle de la voix, composante émotionnelle de la douleur…) ainsi qu’à la
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LEAUNE
(CC BY-NC-ND 2.0)
conscience de soi (hallucinations, troubles du self…), qui correspondent précisément au champ
d’activité de l’insula.
c.3. Rôle du CCA dans schizophrénie
Les recherches en neurobiologie ont permis de démontrer que le CCA jouait un rôle majeur dans
un certain nombre de symptômes schizophréniques tels que les troubles des fonctions exécutives, de
l’attention sélective, de la détection d’erreur, de la génération de mots, de la mémoire de travail ainsi
que la compréhension émotionnelle des évènements vécus (Preda et al., 2009). Il a ainsi été retrouvé des
anomalies neuroanatomiques du CCA chez des patients schizophrènes, le plus souvent sous la forme
d’une réduction du volume de matière grise (Baiano et al., 2007).
Une étude publiée en 2014 retrouvait une diminution du volume de matière grise dans
l’ensemble du cortex cingulaire antérieur (Salgado-Pineda et al., 2014), ainsi qu’une corrélation
négative entre le volume de matière grise et de substance blanche chez 14 patients schizophrènes.
Au total, il existe un certain nombre d’arguments scientifiques quant au rôle majeur que
prennent l’insula antérieure et le cortex cingulaire antérieur dorsal à la fois dans la schizophrénie ainsi
que dans les phénomènes d’exclusion sociale. Pour autant, toute causalité reste à l’heure actuelle
purement hypothétique, aucune étude n’ayant permis de démontrer un continuum de dysfonctionnement
de l’insula entre exclusion sociale et schizophrénie. De plus, du fait de son rôle central du point de vue
de la gestion émotionnelle et sensorielle, on comprend aisément que le réseau de la salience puisse jouer
un rôle dans ces deux phénomènes fortement corrélés à la question du stress, si bien qu’il pourrait s’agir
d’une simple coïncidence sans substrat étiopathogénique sous-jacent ni causalité associée. De plus, alors
que l’hypothèse de la sensibilisation est aujourd’hui avancée, elle ne permettrait pas d’expliquer les
phénomènes d’hypofonctionnalité retrouvés principalement pour l’IA et le CCAd dans la schizophrénie.
Enfin, la schizophrénie en elle-même est vectrice d’exclusion sociale et de discrimination, si bien qu’il
est impossible de savoir si les troubles de l’activité du CCAd et de l’IA dans la schizophrénie ne sont
pas en réalité secondaires à ce phénomène.
3.
Effets cognitifs et comportementaux de l’exclusion: « l’état de déstructuration »
a. Effets généraux
Différents travaux ont porté sur les effets cognitifs, affectifs et comportementaux de l’exclusion
sociale. Du point de vue expérimental, deux méthodes étaient utilisées pour créer les conditions
expérimentales de l’exclusion. Il s’agissait soit du tossing-ball game, au cours duquel un joueur se voit
exclu d’un jeu de ballon sur ordinateur en ne recevant jamais la balle (Einsenberger, 2003), soit de la
méthode de la prédiction qui consiste à faire passer un faux test de personnalité qui amène à la
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(CC BY-NC-ND 2.0)
prédiction d’un avenir marqué par une exclusion sociale majeure et inévitable (Baumeister, 2002). Dans
le second cas, l’effet spécifique de l’exclusion sociale est vérifié par l’existence d’un groupe contrôle se
voyant prédire la survenue d’accidents ou d’évènements négatifs sans lien avec l’exclusion.
Ainsi, ces travaux ont démontré que l’exclusion sociale entraîne différents effets cognitifs et
comportementaux:
• Apparition d’un état de relative anesthésie émotionnelle et physique (DeWall & Baumeister,
2006): les personnes soumises à une brève expérience d’exclusion sociale se montrent moins sensibles
à la douleur physique (seuil de tolérance à la douleur plus élevé), ont une réponse émotionnelle plus
neutre face à des évènements tristes ou joyeux et présentent une diminution des capacités d’empathie
face à la douleur physique ou au malheur d’autrui
• Déclin des performances cognitives (Baumeister et al., 2002): les expériences d’exclusion
sociale permettent de retrouver chez les personnes exposées de moins bons résultats immédiats aux
tests de QI, de moins bonnes capacités mnésiques du point de vue du rappel de données, médiées par
de moindres capacités de raisonnement. Ce déclin se retrouve à la fois du point de vue du temps de
traitement des tâches que de l’efficacité dans leur réalisation et montre des écart-types relativement
importants au regard des groupes contrôle
• Majoration des comportements d’échec (Twenge et al., 2002) et diminution des comportement
prosociaux (Twenge et al., 2007): les personnes soumises à une condition expérimentale d’exclusion
sociale sont moins enclines à donner de l’argent pour une œuvre caritative, à s’engager dans de
nouvelles expérimentations au titre du volontariat, à apporter de l’aide à autrui ou à s’engager dans
une démarche de coopération, ce qui est associé à un moindre sentiment d’appartenance et de
confiance. En conditions expérimentales, ces personnes visent des gains plus rapides mais plus
incertains, avec un taux d’échec plus grand, adoptent des comportements moins bénéfiques pour leur
santé ainsi que des comportements de procrastination plus importants
A noter également qu’une des expériences retrouvait une tendance à écrire moins de mots pour
expliquer une métaphore complexe, ce qui pourrait traduire une perte de capacités narratives (Twenge et
al., 2007). Il est important de noter que l’ensemble de résultats retrouvés au cours des différentes
expériences menées par ces chercheurs américains ne dépendait nullement de l’état émotionnel des
personnes exposées, ce qui signifie que ce n’est pas l’expérience désagréable d’un sentiment de détresse
psychologique ou émotionnelle qui entraînait l’ensemble de ces phénomènes observés, mais bien celle
de se sentir exclu et rejeté.
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(CC BY-NC-ND 2.0)
b. L’état de « déstructuration »
L’ensemble de ces conséquences de l’exclusion sociale ont été résumées sous le terme d’état de
« déstructuration cognitive et affective » (deconstructed state) : l’ensemble des résultats retrouvés
semble associé à un état de relative « anesthésie affective et cognitive » (numbness state) qui voit les
personnes soumises à l’exclusion montrer moins d’émotion, être comme coupées de la douleur physique
ou morale, perdre la notion du temps ou le sens de la vie, en se montrant davantage léthargiques
(Twenge, Catanese & Baumeister, 2003). Sans mener à un état de détresse psychologique, l’exclusion
sociale mène ainsi à un état de déstructuration qui s’étend dans différentes sphères, qu’elles soient
cognitive, affective, phénoménologique ou encore physique. Les personnes exclues paraissent ainsi dans
une certaine incapacité à réagir face la situation, qu’il s’agisse de montrer de fortes émotions, des
comportements actifs pour s’en extirper ou d’utiliser des capacités de raisonnement adaptées et
efficaces. Cette déstructuration globale semble agir paradoxalement à l’encontre de leurs intérêts, en
privilégiant parfois des satisfactions immédiates pourtant peu intéressantes à plus long terme.
Il est d’autant plus intéressant de noter que ces comportements apparaissent très précocement
après une expérience d’exclusion sociale, laissant imaginer des effets encore plus importants lors d’une
exposition prolongée et répétée. Il est également intéressant de noter que l’ensemble de ces effets de
l’exclusion sociale se rapproche du syndrome « d’auto-exclusion », décrit par le psychiatre français Jean
Furtos (Furtos, 2009). Tiré de l’observation clinique d’un grand nombre de personnes précaires, le Dr
Furtos retient en effet un certain nombre de symptômes recoupant en très grande partie les observations
expérimentales menées en sciences cognitives. On retrouve en effet dans la description du syndrome
différents symptômes tels que l’hypoesthésie voire anesthésie corporelle, les désordres affectifs ou
l’inhibition intellectuelle qui recoupent l’anesthésie physique et émotionnelle ainsi que le déclin des
performances cognitives décrites par les expérimentations en sciences cognitives. Les signes
paradoxaux de non-demande ou de réaction thérapeutique négative décrits par Furtos correspondraient
en partie aux réactions paradoxales de diminution des comportements pro-sociaux et de majoration des
comportements d’échec.
c. Limites
On retrouve donc dans la description du syndrome d’auto-exclusion l’ensemble des effets
cognitifs, émotionnels et comportementaux décrits dans les travaux en sciences cognitives de
Baumeister, Twenge et DeWall. Cette concordance entre données expérimentales et cliniques apporte
un argument de poids à la théorie générale de l’exclusion sociale. Pour autant, elle n’apporte pas
d’arguments en faveur d’un rôle précis de l‘exclusion sociale dans l’étiopathogénie de la schizophrénie.
De plus, peu d’études ont porté jusqu’à présent sur les effets à long terme de l’exclusion sociale, ne
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(CC BY-NC-ND 2.0)
permettant pas de connaître les conséquences neurocognitives réelles de ce phénomène social. Enfin,
l’exclusion sociale est extrêmement partagée au sein des sociétés et la grande majorité des personnes en
faisant l’expérience ne déclare pas de trouble psychotique, si bien qu’il convient de comprendre plus en
détail comment les phénomènes neurobiologiques et cognitifs évoqués peuvent agir comme facteurs
vulnérabilisants.
4. Discrimination et schizophrénie
Dans ce sens, une autre piste étiopathogénique qu’il convient d’explorer est celle de la
discrimination. Si elle peut-être corrélée en partie à l’échec social, l’exclusion ou l’adversité sociale,
elle n’en demeure pas moins un phénomène qualitativement différent de ces derniers. Ainsi, différentes
études ont spécifiquement porté sur les effets de la discrimination en terme de santé mentale. Il convient
donc d’interroger dans ce travail la pertinence et l’intérêt de distinguer la discrimination et ses effets
psychopathologiques dans l’étiopathogénie de la schizophrénie.
a. Arguments sociologiques
Les résultats de l’enquête Trajectoire et Origine (TeO) sont en ce sens tout à fait éclairants et
permettent de mieux appréhender la réalité sociologique du lien social perçu par les immigrés et leurs
descendants en France (INED, 2008). Cette étude, réalisée en 2008 par l’Institut National d’Etudes
Démographiques (INED) a permis d’analyser en détail l’état actuel de la migration en France,
notamment du point de vue des difficultés sociales rencontrées par les immigrés et leurs descendants,
qu’il s’agisse de la problématique de l’accès au logement, à un emploi qualifié ou à un niveau de
formation élevé. Les résultats, démontrant la réalité des discriminations existant à l’encontre des
populations immigrées au cœur de la société française, ont également permis de pointer la difficulté qui
advient à évaluer précisément la discrimination, à travers l’apparition d’un écart significatif entre la
discrimination reportée et celle réellement subie. Ainsi, dans l’enquête TeO, les personnes qui avaient
connu moins de 10 situations discriminatoires déclaraient moins de 20% de ces discriminations, tandis
que celles qui avaient rencontré 10 situations et plus en déclaraient autour de 30%. Au total, alors que
37% des immigrés ont fait l’expérience d’au moins une discrimination réelle, ils ne sont que 26% à
considérer avoir été discriminés dans les 5 dernières années précédant l’enquête. Inversement, 5 à 7%
des enquêtés disaient se sentir discriminés sans parvenir à rapporter une situation discriminatoire
précise. D’un point de vue psychopathologique, la question de la perception de la discrimination est
donc majeure puisqu’il semble exister une disparité importante entre le ressenti discriminatoire et sa
réalité, mais également un effet cumulatif entre le vécu de discrimination réel et la perception qu’en a
l’individu, ce qui pourrait se rapprocher de la théorie de la sensibilisation qui postule l’existence d’une
amplification progressive de la réponse au stress. Les résultats ont alors montré que certaines
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(CC BY-NC-ND 2.0)
populations étaient plus à risque que d’autres de percevoir les situations discriminatoires comme telles.
Ainsi, la population majoritaire perçoit moins les situations discriminatoires que les immigrés, tandis
que les secondes générations d’immigrés, les perçoivent davantage que l’ensemble des autres souspopulations, peut-être parce qu’elles y sont confrontées depuis leur enfance.
b. Physiopathologie de la discrimination
La discrimination est reconnue comme étant un facteur de risque important du point de vue de la
santé individuelle et publique. Différentes études ont ainsi démontré les effets pathogènes du vécu de
discrimination à l’égard de différentes pathologies somatiques et psychiatriques, tels que l’hypertension,
le diabète ou la dépression.
Une méta-analyse récente a cherché à synthétiser les connaissances scientifiques quant au rôle
de la discrimination sur la santé des individus (Pascoe & Richman, 2009). Il était retrouvé un effet
délétère de la discrimination du point de vue à la fois de la santé physique et de la santé mentale. La
plupart des études utilisées pour la synthèse s’intéressaient aux effets de la discrimination ethnique
(66% des articles), contre 15% pour la discrimination liée au genre et 15% sans type de discrimination
spécifiée. Il était ainsi retrouvé un effet direct de la discrimination sur la santé mentale, sans qu’aucune
pathologie psychiatrique particulière ne puisse être distinguée des autres comme étant davantage à
risque. Il n’était pas retrouvé de différence d’effet selon l’origine ethnique. Il est intéressant de noter que
la discrimination récente semblait avoir un effet plus important sur la santé mentale que la
discrimination chronique. Il n’était pas retrouvé d’effet d’atténuation significatif du support social ou de
l’identification au groupe discriminé, bien que certaines études aient retenu un effet dans des conditions
particulières. De même, l’effet des stratégies de coping demeurait limité.
Il était retrouvé un même effet direct de la discrimination sur la santé physique, sous la forme
d’un moins bon état de santé. L’effet sur la santé physique semblait à première vue moins important
(42% des études atteignant un degré de significativité valide contre 69% pour la santé mentale). Pour
autant, il n’était retrouvé aucune différence significative dans l’effet de la discrimination sur la santé
physique ou mentale, malgré une positivité plus importante pour la santé mentale. Un second objectif de
cette méta-analyse était de savoir de quelle manière la discrimination peut influer sur la santé des
individus. En effet, différentes voies causales sont envisageables :
•
un effet direct de la discrimination sur la santé
•
un effet médié par une réponse émotionnelle et neurobiologique au stress créé par la
discrimination
•
un effet médié par des comportements à risque du point de vue de la santé, advenant
comme stratégie de coping face à l’adversité perçue
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(CC BY-NC-ND 2.0)
Une partie de la méta-analyse a ainsi porté sur l’effet indirect de la discrimination sur le niveau
de stress, en utilisant des études ayant analysé l’effet d’une discrimination non-vécue mais médiatisée
(vision d’un clip raciste, évocation de souvenirs, écriture d’articles, imagination de scènes
discriminatoires…) pour mesurer leur effet sur la pression artérielle, la fréquence cardiaque, l’estime de
soi, etc.. Les résultats retrouvaient un effet significatif de la discrimination perçue, et non vécue, sur le
degré de stress des individus (r= -.11, IC95% = -.18 à-.05). Enfin, la méta-analyse comprenait une étude
de l’effet comportemental de la discrimination, notamment concernant les comportements en lien avec
la santé. Etaient ainsi recherchés des comportements à risque (tabagisme, alcoolisme, mauvaise hygiène
de vie..). De nouveau, les résultats étaient faveur d’une corrélation significative entre discrimination et
diminution des comportements sains ou augmentation des comportements en défaveur de la santé (72%
des études atteignant un degré de significativité).
Au total, cette méta-analyse permettait de démontrer l’existence d’un effet négatif de la
discrimination portant à la fois sur la santé mentale et physique, effet médié par une réponse
psychologique et physique augmenté au stress, ainsi que par des comportements inadaptés du point de
vue de la santé.
c. Psychopathologie de la discrimination
D’un point de vue cognitif, Janssen et al. ont démontré que le vécu de discrimination était un
facteur majeur d’apparition d’idées délirantes chez les sujets y étant exposés de manière chronique
(Janssen et al., 2003). En effet, en étudiant pendant 3 ans le vécu de discrimination dans six champs de
leur existence (âge, genre, statut ethnique, statut professionnel, niveau d’éducation, célibat) au sein
d’une population de 3521 individus, les auteurs ont retrouvé un taux plus important d’idées délirantes
chez les personnes se disant victimes d’un des types de discrimination (0.9% contre 0.5%, p = 0.027).
Le taux s’avère encore plus élevé (2.7%) pour les personnes évoquant des discriminations touchant au
moins deux des domaines de leur existence. Une des hypothèses avancées et celle de l’apparition de
biais cognitifs favorisée par l’expérience de la discrimination, tels que le style d’attribution externe de
type paranoïde, qui revient à interpréter les évènements quotidiens à travers le prisme sélectif de
rationalisations se rapprochant des phénomènes schizophréniques paranoïdes. Ce phénomène de genèse
d’idées paranoïdes apparaitrait alors comme une signature cognitive de la discrimination perçue à
travers le temps.
Une étude hollandaise portant sur 424 personnes admises pour un épisode psychotique a quant à
elle démontré que le niveau de discrimination vécue était proportionnellement corrélé au risque de
schizophrénie (Veling et al., 2007). Ainsi, les personnes qui relataient un haut niveau de discrimination
perçue présentait un odd ratio de 4.0 (IC95% = 3.0 - 5.35) qui déclinait progressivement pour atteindre
1.58 (IC95% = 1.20 - 2.227) chez celles évoquant un bas niveau de discrimination perçue. Ainsi, la
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population la plus discriminée au Pays-Bas, à savoir les migrants originaires du Maroc, présentait la
plus haute incidence de cas de schizophrénie au cours de l’étude.
Une troisième étude (Berg et al., 2011) a également démontré que le vécu de discrimination était
positivement corrélé à l’intensité des symptômes positifs mais aussi de la composante anxio-dépressive
chez 90 patients schizophrènes migrants. En revanche, elle n’influait pas sur les symptômes négatifs,
comportementaux ou cognitifs.
d. Neurobiologie de la discrimination
Dans une autre étude, Akdeniz et ses collaborateurs se sont penchés sur les effets
neurobiologiques de la discrimination afin d’apporter un éclairage plus précis aux résultats concernant
le risque de psychose en situation de migration (Akdeniz et al., 2014). En créant des conditions
expérimentales de discrimination, ils ont ainsi pu mettre en avant une activation neuronale localisée au
sein du cortex cingulaire antérieur périgénual (CCAp), région régulatrice du stress ainsi qu’une
majoration de la réponse couplée entre le CCAp et le CCA dorsal. Ils ont également pu démontrer que
ce phénomène neurobiologique est altéré chez les minorités ethniques, dans le sens d’une
hyperactivation de la réponse neurale chez des individus confrontés de manière chronique à des
situations discriminatoires telles que les populations migrantes minoritaires, à savoir la population
turque en Allemagne dans le cas de cette recherche. Ce résultat est en faveur de la théorie de la
sensibilisation, puisqu’on retrouve une augmentation de l’amplitude de la réponse au stress chez des
individus y ayant déjà été exposés de manière répétée précédemment.
Malgré des arguments scientifiques en faveur du rôle de la discrimination dans l’étiopathogénie
de la schizophrénie, relativement peu d’études ont finalement porté sur les effets précis de ce
phénomène social. Ceci est d’autant plus étonnant que les arguments sociologiques ne manquent pas
pour la placer au cœur de l’adversité sociale expérimentée par les migrants. L’existence d’effets
comportementaux, cognitifs et neurobiologiques de la discrimination tend à indiquer l’existence d’un
fonctionnement commun avec le phénomène d’exclusion sociale, dont les effets ont été plus largement
étudiés dans la littérature internationale.
G. Conclusion
Au total, les facteurs de risque sociaux de la schizophrénie posent la question de l’effet de
l’exclusion sociale et de la discrimination sur la santé des individus. Les modèles de la schizophrénie
proposés dans les suites des recherches sur les facteurs de risque sociaux pointent ainsi le rôle de
phénomènes tels que l’adversité sociale, l’échec social ou encore l’exclusion. Pour autant, le lien établi
d’un point de vue épidémiologique au travers de différentes études dont les résultats ont pu être
répliqués peine à trouver écho dans des recherches plus fondamentales. En effet, si les effets
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neurobiologiques, cognitifs ou comportementaux de l’exclusion sociale sont aujourd’hui bien
documentés, au point que certains auteurs en viennent à évoquer une « signature neurale de l’exclusion
sociale », il demeure pour l’heure hypothétique d’avancer l’idée d’un lien établi avec la schizophrénie.
Cette difficulté peut provenir d’une voie complexe, qui ne soit pas uniquement physiopathologique,
mais s’intègre dans la multiplicité des effets, notamment comportementaux, du vécu de discrimination
ou d’exclusion. Les connaissances actuelles sont ainsi en faveur d’une une voie étiopathogénique qui
comprenne à la fois:
• des effets neurobiologiques : différents effets son envisageables tels que des modifications
d’activation du réseau de la Salience (CCAd et IA), des effets sur l’axe hypothalamo-hypophysaire,
des modifications électro-physiologiques ou une sensibilisation dopaminergique
• des effets cognitifs : pourraient être retrouvés des troubles cognitifs en neurocognition et
cognition sociale, notamment une diminution des capacités d’attention et de raisonnement, des
moindres performances intellectuelles, des biais de cognition social tels qu’un style attributionnel
externe paranoïde. En ce sens, une étude hollandaise portant sur des personnes présentant un premier
épisode de psychose retrouvait des performances cognitives significativement moins bonnes chez
celles issues de minorités ethniques, sans que la barrière de la langue ne vienne expliquer ce
phénomène (Stouten et al., 2013)
• des effets phénoménologiques : des effets de distorsion du self, de troubles de la distinction
soi/non-soi, de distorsion du sens de soi, du sentiment d’appartenance identitaire ou des troubles de
l’identité narrative pourraient être retrouvés. Il est aujourd’hui reconnu que les troubles du self sont
présents dans les prodromes de la maladie et chez des personnes à haut risque de psychose (Parnas,
Carter & Nordgaard, 2014).
• des effets comportementaux : l’exclusion entraînerait un moindre recours aux soins, une
diminution des comportements proactifs en direction de l’environnement social, une difficulté à
s’engager dans des démarches en faveur de sa propre santé ainsi que des comportements d’échec. Une
étude italienne a ainsi démontré qu’en matière de santé mentale, les patients migrants avaient moins
recours aux soins ambulatoires et davantage aux services d’urgences, volontiers dans des contextes de
crise aiguë (Spinogatti et al., 2015). Ce résultat est en accord avec une méta-analyse antérieure qui
retrouvait un moindre recours aux médecins généraliste au profit d’une entrée plus coercitive dans les
soins pour les populations ethniques minoritaires (Anderson et al., 2014)
• des effets épigénétiques : l’expérience de l’adversité sociale pourrait entraîner une modulation
de l’expression génétique sous l’effet des facteurs environnementaux
Ces conséquences de l’exclusion pourraient interagir entre elles, pour amener à une vulnérabilité
plurimodale en constant remaniement. Ainsi, la perte cognitive pourrait agir en synergie avec les
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comportements de retard d’arrivée vers les soins lors de l’apparition de symptômes prodromiques
(anxiété, dépression, expériences psychotiques sub-cliniques..), tandis que les conséquences
neurobiologiques pourraient amener à la fois à des distorsions cognitives et phénoménologiques.
L’ensemble de ces effets néfastes pourrait à son tour favoriser l’exclusion sociale, sous la forme d’une
« auto-exclusion » liée à la diminution des comportements pro-sociaux, se majorant ainsi sous l’effet
des comportements d’échec et de repli sur soi.
La modération de l’effet de l’exclusion par des facteurs protecteurs tels que le support social,
l’identification à son groupe d’appartenance ou la prise en charge précoce a été finalement assez peu
étudiée ou a peiné à montrer des résultats probants. L’effet du capital social, bien que modéré, apporte
cependant des arguments en faveur d’une possible modulation de l’effet par d’autres facteurs
environnementaux. Force est de constater cependant qu’il agit davantage à l’échelon individuel que
collectif et que sa partie cognitive semble la plus importante, ce qui signifie que l’effet du capital social
est diminué chez des personnes présentant déjà des troubles cognitifs et et de l’intersubjectivité, mais
tend à valider l’idée d’effets complexes de l’exclusion sociale.
L’ensemble des connaissances actuelles sur les effets de l’exclusion sociale et de la
discrimination sont schématisés sur la Figure 6, que nous appelons « horloge de l’exclusion », afin de
marquer le caractère temporel et cumulatif de ces différentes conséquences. En effet, il est important de
noter que les vulnérabilités, qu’elles soient cognitives, neurobiologiques, phénoménologiques ou
comportementales semblent s’accumuler progressivement chez un même individu et au sein de
populations à risque. Cette « multivulnérabilité » peut entraîner un certain nombre de conséquences
psychopathologiques, qui elles-mêmes interagissent entre elles, avec les effets « primaires » de
l’adversité sociale mais aussi avec l’exclusion sociale elle-même, qui peut ainsi se pérenniser et se
majorer en l’absence de facteurs de résilience suffisants. Le modèle sous-jacent est donc celui de la
médiation synergique, associée à une amplification progressive des facteurs de vulnérabilité et,
potentiellement, de la réponse à ces facteurs de stress.
Le modèle général que nous présentons en conclusion de ce chapitre possède un certain nombre
d’intérêts. Ainsi, il permet de prendre en compte les effets précoces de l’exclusion, ainsi que les effets à
plus long terme, tout en prenant en compte la synergie qui marque leurs interactions. En effet,
différentes études ont montré que l’exposition précoce à des facteurs d’adversité sociale pouvait prédire
une amplification de la réponse neurobiologique, cognitive ou comportementale à l’âge adulte (Will et
al., 2015 ; Gonzalez et al., 2015 ; van Harmelen et al., 2014). L’interaction entre ces différents effets
donne lieu à un certain nombre de conséquences psychopathologiques et pathologiques (« effets
secondaires », en rouge sur la Figure 6), qui elles-mêmes interagissent entre elles ainsi qu’avec les effets
primaires et l’adversité sociale elle-même.
84
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(CC BY-NC-ND 2.0)
Ce modèle ne permet cependant pas d’expliquer totalement la voie étiopathogénique spécifique
menant à la schizophrénie. Il est en effet important de noter que les inégalités de santé dépassent
largement la question de la schizophrénie et de la santé mentale, et que les vécus d’exclusion ou de
discrimination majorent le risque de présenter d’autres pathologies, notamment somatiques. De plus, les
effets neurobiologiques ou cognitifs de l’adversité sociale ne sont pas nécessairement spécifiques de la
schizophrénie. Ainsi, une méta-analyse récente a démontré que les défauts d’activité de l’insula
antérieure était retrouvée dans l’ensemble des pathologies de l’Axe I (Goodkind et al., 2015), ce qui
interroge l’existence d’un continuum psychopathologique portant sur l’ensemble des pathologies
psychiatriques. Ceci invite à davantage de recherches sur les effets de l’exclusion sociale, mais
également à mieux appréhender les liens entre gènes et environnement. En effet, soumis à une même
vulnérabilisation environnementale, certaines personnes développeront telle ou telle pathologie,
possiblement sous l’effet de modulations épigénétiques complexes ou d’une vulnérabilité génétique
initiale. La problématique des modèles de la schizophrénie, étudiée dans le paragraphe suivant, nous
permettra de mieux appréhender ce lien entre vulnérabilité environnementale et génétique, en nous
amenant à discuter leurs parts respectives ainsi que leurs interactions dans l’apparition et l’évolution des
troubles psychotiques.
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(CC BY-NC-ND 2.0)
Figure 6: Modélisation heuristique des effets de l’exclusion sociale et de leurs
interactions réciproques
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(CC BY-NC-ND 2.0)
5. Perspectives épistémologiques
La mise en exergue du rôle de l’ethnicité et du statut ethnique minoritaire dans l’épidémiologie
et l‘étiopathogénie de la schizophrénie amène à des réflexions épistémologiques autour des modèles de
la schizophrénie. En effet, le rôle de l’environnement, notamment social, dans la genèse et l’évolution
des troubles se doit d’être réinterrogé à la lumière des résultats récents. De plus, la remise en causes des
résultats épidémiologiques concernant les liens entre schizophrénie et migration par la psychiatrie
transculturelle nécessite que soient analysés les fondements épistémiques de cette discipline singulière.
Enfin, nous évoquerons l’intérêt de la psychiatrie sociale pour appréhender l’ensemble des phénomènes
relatifs aux troubles psychiques dans les populations défavorisées. Onze articles portaient sur le modèles
d’interaction entre gène et environnement ou sur l’évolution de la schizophrénie (Kirkbride et al., 2014;
van Nierop et al., 2013; Linscott & van Os, 2013; Morgan et al., 2013; Jääskeläinen et al., 2013;
Wigman et al., 2011; van Os et al., 2009; 2008; 2003; Cougnard et al., 2007; Spauwen et al., 2006).
Trois articles évoquant la théorie de la vulnérabilité ont été utilisés (Nuechterlein & Dawson, 1984;
1982; Zubin & Spring, 1977). Six ouvrages évoquant l’épistémologie de la psychiatrie transculturelle et
de la psychiatrie sociale ont été utilisés pour l’analyse (Morgan & Bughra, 2011; Baubet & Moro, 2003;
Chanoit & de Verbizier, 1995; 1991; 1986; 1985), ainsi que quatre articles d’analyse épistémologique
de la psychiatrie transculturelle (Fassin, 2000; 1999; Rechtman, 2003; 1995).
A. Modèles de la schizophrénie et vulnérabilité
1. Diathèse stress-vulnérabilité
a. Modèle de Zubin & Spring
Au cours des années 70, le modèle stress-vulnérabilité a été proposé pour décrire la voie
d’entrée dans la schizophrénie, jusqu’alors décrite par différents modèles peu cohérents entre eux.
L’enjeu majeur était de mettre en avant le concept de « vulnérabilité » en postulant qu’elle puisse être
partagée par l’ensemble de la population, ce qui tendait à s’éloigner, entre autres, d’une vision
structuraliste de la psychose ou de celle d’une condition chronique et annonciatrice d’un progressif
déclin. En effet, le caractère épisodique de la schizophrénie est largement souligné dans l’article initial
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(CC BY-NC-ND 2.0)
de Joseph Zubin et Bonnie Spring, les auteurs écrivant par exemple que « ce qui est permanent dans la
schizophrénie est la vulnérabilité, davantage que les épisodes psychotiques » (Zubin & Spring, 1977).
Ce modèle fait suite à l’ère de désinstitutionnalisation qui est apparu dans l’après-guerre, offrant un
nouveau regard sur la pathologie psychiatrique et notamment la psychose. Ainsi, pour Zubin et Spring,
« avec le déclin de la prévalence des hospitalisations chroniques, un nouveau modèle commence à
émerger concernant les caractéristiques de la pathologie schizophrénique. Cette évolution semble
comprendre les épisodes brefs, la rémission, la rechute et le rétablissement. »
Lorsqu’ils proposent le modèle « stress-vulnérabilité » en 1977, les deux chercheurs évoquent
déjà les connaissances de l’époque sur le rôle de l’environnement dans l’étiologie de la schizophrénie.
Les auteurs posent alors la question de savoir si ces facteurs sont une cause ou une conséquence de la
vulnérabilité à la psychose. Ce qu’ils appellent alors des « niches écologiques », seraient-elles le terreau
d’une vulnérabilité naissante ou l’agrégat d’individus vulnérables, enclins à se retrouver dans des
conditions socio-économiques délétères du fait même de leur vulnérabilité ? C’est ici la problématique
du type de l’interaction gène x environnement, de type synergie ou médiation, qui se trouve déjà posée.
Le modèle stress-vulnérabilité apparait comme une modélisation à l’échelle individuelle. En
effet, il est fait appel aux notions « d’initiative » et de « compétence ». Dans le modèle de Zubin et
Spring, c’est donc la vulnérabilité initiale individuelle qui va moduler la réponse à l’environnement.
Pour ces deux auteurs, les compétences pré-morbides de l’individu ne sont pas directement en lien avec
son niveau de vulnérabilité, du fait de capacités d’adaptation qui peuvent, en revanche, être dépassées
sous l’effet d’un stress environnemental. La diathèse stress-vulnérabilité se présente ainsi comme un
modèle orthogonal, présentant en abscisse un continuum de vulnérabilité et en ordonnée des stress
d’intensité variable agissant inversement aux stratégies de coping et d’adaptation de l’individu. Il est
postulé l’existence d’individus hautement vulnérables, pour lesquels un stress de faible intensité suffira
à entraîner une entrée dans la psychose, alors que des individus peu vulnérables devront être exposés à
un stress de haute intensité pour entraîner l’entrée dans la pathologie. Dans l’exemple ci-dessous (Figure
7), l’individu A est ainsi hautement vulnérable, au contraire de l’individu B qui présente une faible
vulnérabilité.
Dans ce modèle initial, la vulnérabilité est donc pensée comme une donnée acquise et statique,
assez peu variable pour un individu donné. Le contenu précis de cette vulnérabilité reste assez peu
documenté puisqu’elle est décrite comme étant peu corrélée aux capacités de l’individu, notamment aux
stratégies de coping et d’adaptation qu’il peut mettre en oeuvre pour affronter en évènement stressant.
Zubin & Spring postulent alors qu’il existe un seuil de vulnérabilité propre à chaque individu par
rapport auquel va se situer l’évènement stressant, pouvant dépasser les capacités adaptatives
personnelles s’il venait à se situer au-delà, entraînant alors un épisode psychotique. Sous couvert de ce
modèle au sein duquel la pathologie schizophrénique est désignée par ses épisodes tandis que la
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(CC BY-NC-ND 2.0)
vulnérabilité apparaît comme un trait permanent mais évolutif seront ensuite introduites par les auteurs
les notions de « marqueurs de vulnérabilité ».
Premier modèle à prendre en compte l’interaction entre vulnérabilité génétique et
environnement, la diathèse stress-vulnérabilité pose les bases d’une réflexion en devenir concernant le
rôle respectif de l’inné et de l’acquis dans la survenue des troubles psychotiques et notamment de la
schizophrénie. Si la modélisation de cette interaction restait alors encore peu documentée, sa valeur
heuristique ne lui enlève pas son intérêt premier, à savoir affirmer le caractère épisodique de la
pathologie et la prévalence de la notion de vulnérabilité.
Figure 7 : Diathèse stressstress-vulnérabilité selon Zubin & Spring
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b. Modèle de Nuechterlein & Dawson
Prenant en partie appui sur le modèle proposé par Zubin et Spring, Keith Nuechterlein et
Michael Dawson le revisitent en 1984 en cherchant à préciser à la fois les indices de vulnérabilité à la
psychose mais aussi le contenu des facteurs environnementaux (Nuechterlein & Dawson, 1984; 1982).
Le principe fondateur demeure l’existence de facteurs individuels de vulnérabilité rencontrant des
facteurs de stress environnementaux pour précipiter l’entrée dans la pathologie et les épisodes de
rechutes.
Les auteurs tentent alors de préciser les différentes composantes possibles de cette vulnérabilité,
en distinguant trois marqueurs différents que sont les traits stables de vulnérabilité (marqueurs de traits),
les marqueurs médiateurs de vulnérabilité, et les marqueurs des épisodes. Les marqueurs de traits sont
présents selon une égale amplitude chez un individu donné à la fois lors et en dehors des épisodes, au
contraire des derniers qui sont nettement amplifiés au cours des épisodes aigus et des seconds qui le sont
dans une moindre mesure. Les marqueurs de trait pourraient permettre de diagnostiquer les individus à
risque de psychose, concept qui est à l’origine de celui des personnes dites HRP (High Risk of
Psychose), puisqu’ils représenteraient les indices de vulnérabilité. Les marqueurs médiateurs seraient
notamment amplifiés au cours de la période de transition. Enfin, les marqueurs d’épisode retrouvent
leur état de base lors des périodes de rémission. Parmi les potentiels marqueurs de trait de vulnérabilité,
les auteurs retiennent les déficits cognitifs en traitement de l’information et capacités attentionnelles,
une hyperréactivité du système nerveux autonome, un défaut de compétences sociales ainsi que des
stratégies de coping. Les facteurs de stress environnementaux comprennent les évènements de vie
stressants, très fréquemment retrouvés dans les semaines précédant une crise, ainsi que le manque de
support social.
Dawson et Nuechterlein ajoutent également au modèle la notion d’état transitoire, au cours
duquel apparaissent a minima les premiers symptômes psychotiques. Se crée alors un effet de feedback
entre facteurs de vulnérabilité et stress environnementaux, la majoration des uns entraînant un effet
d’amplification des autres. Les facteurs environnementaux cités sont d’ordre social, sous la forme
principalement de stress sociaux et d’absence de soutien social, l’un et l’autre étant décrits comme
pouvant interagir entre eux, sous la forme par exemple d’une modération de l’effet des évènements de
vie par un support social de qualité. L’état de transition apparaît alors comme une période de
potentialisation globale de l’ensemble des éléments mis en jeu - vulnérabilité et facteurs de stress. Les
auteurs écrivent ainsi que « cet état intermédiaire aggrave les conditions environnementales délétères
par effet de boucle de rétrocontrôle. Un individu expérimentant cet état de transition, présentant des
symptômes de désorganisation cognitive et d’irritabilité, est à risque de rencontrer davantage de
critiques de la part de sa famille et de rejet de la part de son milieu social ».
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(CC BY-NC-ND 2.0)
Cette seconde version du modèle stress-vulnérabilité tend à apporter l’idée d’une interaction
réciproque entre gène et environnement. La mise en avant d’une phase transitoire pré-morbide apparaît
comme le point principal, car elle permet de réfléchir à l’impact de l’interaction gène x environnement
dans cette période précise de vulnérabilité accrue. L’environnement agit alors moins de façon unilatérale
pour s’intégrer dans une interaction complexe avec la vulnérabilité initiale. Pour autant, l’absence de
connaissance plus précise sur l’épidémiologie des troubles et la prévalence des différentes phases de la
pathologie schizophrénique ne permettait pas à l’époque d’apporter davantage de réponses concrètes à
la validité du modèle, qui conserve une importante part heuristique.
La volonté d’intégrer et de comprendre les interactions gène x environnement dans
l’étiopathogénie de la schizophrénie remonte ainsi aux années 1970. L’absence d’études de cohortes
conséquentes n’a pas permis de décrire à l’époque plus en détail la réalité de ces interactions. Des
travaux prospectifs plus récents ainsi que les études sur les personnes à haut risque de psychose ont
permis de définir plus en détail les modalités d’évolution vers la schizophrénie à l’échelle individuelle et
populationnelle. L’ensemble des connaissances actuelles a amené à une conceptualisation revisitée du
modèle de la schizophrénie.
2. Modèle du continuum
La mise en exergue de l’importance des facteurs environnementaux dans l’étiopathogénie de la
schizophrénie et les données récentes sur la prévalence et l’incidence des troubles et des états prémorbides obligent en effet à repenser et redéfinir les modèles généraux de la schizophrénie. Le
hollandais Jim van Os, en collaboration avec de nombreuses équipes de recherche s’attache au fil des
études à décrire au mieux la réalité des liens entre gène et environnement, ainsi que les trajectoires
d’évolution de la maladie (van Os et al., 2009; 2008; 2003).
a. Modèles théoriques d’interaction Gène x Environnement
L’hypothèse d’une interaction gène-environnement, si elle est envisagée par les psychiatres
depuis de nombreuses années, nécessite d’être clairement analysée. Les études en écogénétiques,
discipline couplant les travaux en épidémiologie et génétique, permettent de retenir plusieurs modèles
d’interaction envisageables entre facteurs génétiques et environnementaux (van Os et al., 2008):
• Modèle de la corrélation gène-environnement (rGE)
Dans ce cas, l’exposition à des facteurs de risque environnementaux n’apparaît pas comme un
stress survenant « au hasard », mais est elle-même dépendante d’une vulnérabilité génétique initiale. Ce
modèle, souvent traduit sous le terme de causation, pourrait par exemple s’illustrer par le fait que les
personnes présentant une vulnérabilité génétique à la schizophrénie seraient plus en difficulté pour
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obtenir un statut social élevé et se regrouperaient alors dans des quartiers défavorisés, ou auraient du
mal à s’adapter à la vie en couple, ce qui expliquerait par exemple la forte prévalence du célibat dans la
période d’émergence de la schizophrénie clinique. De même, les personnes vulnérables pourraient avoir
davantage tendance à fumer du cannabis, ce qui expliquerait la corrélation entre cannabis et psychose.
Du point de vue de la migration, il correspondrait par exemple à l’hypothèse de la migration sélective
d’Ödegaard qui a été invalidée par différentes études épidémiologiques.
Le modèle rGE peut s’exprimer sous trois formes:
➢ le
rGE passif: influences environnementales extérieures à la personnes, tel que le
comportement parental qui va façonner en partie l’environnement de l’enfant
➢ le rGE actif: sélection d’un environnement social spécifique en fonction d’intérêts initiaux
(exemple de la sélection d’un environnement artistique ou sportif selon les centres d’intérêt)
➢ le rGE évocateur: impact du comportement d’un enfant sur son environnement social,
notamment sur les réponses des personnes autour de lui selon son attitude
Ainsi, l’action génétique dans le modèle rGE peut être indirecte et causale, lorsque le capital
génétique entraîne l’insertion dans un environnement favorisant l’apparition des troubles, ou directe et
non causale, en jouant à la fois sur les gènes et l’environnement, sans que ce dernier n’ait un réel
pouvoir de causalité.
• Modèle de l’interaction (G x E)
Ce second modèle revient au contraire à considérer l’interaction comme le fruit du hasard, la
synergie entre les deux facteurs n’étant pas influencée a priori par l’un des deux.
➢ Phénomène de modulation génétique de la sensibilité à l’environnent
Dans cet aspect de l’interaction, le capital génétique contrôle a priori la sensibilité individuelle à
l’environnement, sans favoriser pour autant l’exposition environnementale. Ce phénomène expliquerait
pourquoi dans un environnement donné identique, deux personnes ne présentent pas nécessairement les
mêmes effets psychopathologiques. Ce modèle correspond en partie au modèle stress-vulnérabilité tel
qu’il est généralement envisagé.
➢ Phénomène épigénétique
Dans ce type d’interaction gène x environnement, les facteurs environnementaux influent sur
l’expression du génome à travers des mécanismes épigénétiques aujourd'hui bien connus: la méthylation
de l’ADN ou des histones. Un exemple est donné par les effets de méthylation de l’ADN de gènes
impliqués dans la réactivité au stress en conséquence des comportements maternels précoces (Meaney &
Szyf, 2005).
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b. Modèles théoriques d’interaction environnement x environnement (E x E)
Comme nous l’avons vu dans le cas du modèle sociodéveloppemental, l’interaction gène x
environnement doit également prendre en compte les interactions possibles entre différents facteurs
environnementaux, qui peuvent prendre des formes diverses (Morgan et al., 2013).
• Médiation
Un facteur de risque environnemental précoce (abus sexuel dans l’enfance, séparation précoce
avec un parent..) est en réalité médié par un facteur environnemental plus tardif (difficultés sociales,
célibat, chômage..) qui représente le facteur causal.
• Synergie
Deux facteurs de risque présentent une action combinée et additive, pouvant intervenir à des
étapes différentes du développement, sans lien direct entre eux.
• Médiation synergique
Les deux types d’interaction se combinent, dans une proportion variable selon les facteurs de
risque. Ainsi, les traumatismes infantiles ont en effet direct sur le risque de schizophrénie, mais peuvent
aussi favoriser la présence de facteurs de désavantages sociaux à l’âge adulte, qui sont eux-mêmes des
facteurs de risque de schizophrénie. L’étude de Morgan et al. a ainsi démontré que dans le cas de
l’adversité sociale, le modèle dominant était celui de la médiation synergique.
c. Etudes de l’effet GxE
Au cours des dernières années, différentes études ont visé à préciser l’impact respectif de la
vulnérabilité génétique et de l’environnement dans la schizophrénie.
Dans le cas de la schizophrénie, les études permettent de postuler que la relation entre génétique
et environnement est de type interaction G x E, reléguant la dimension rGE a un bruit de fond sans rôle
significatif dans l’étiopathogénie de la maladie. Ainsi, les études ont démontré que l’effet du risque de
l’urbanicité est prépondérant pour les personnes ayant vécu en ville dans leur enfance ou leur
adolescence et non au moment de l’émergence de la schizophrénie (Krabbendam & van Os, 2005). Ce
n’est alors pas une vulnérabilité génétique particulière qui pousserait les individus vulnérables à
s’installer en zone urbaine. Au contraire, différentes études plaident en faveur de l’existence d’une
synergie entre gène et environnement de type GxE, telles les études de jumeaux monozygotes qui ne
montrent qu’une concordance de 50% pour les jumeaux de patients schizophrènes, ce qui tend à
indiquer la part prépondérante de l’environnement (Murray & van Os, 2003). De même, un étude
d’adoption d’enfant de mères schizophrènes a permis de démontrer l’impact important de
l’environnement au sein de la famille d’accueil pour ces enfants présentant une vulnérabilité génétique
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(OR= 10) qui n’était pas retrouvé chez les enfants sans vulnérabilité génétique (OR= 1)(Tienari et al.,
2004). Enfin, une étude de jumeaux caribéens a montré que, pour un taux de schizophrénie égale entre
afro-caribéens et caribéens blanc (8,9% vs 8,4%), les jumeaux des cas présentaient des taux de
schizophrénie significativement différents, à hauteur de 15,9% pour les afro-caribéens contre 1,8% pour
les caribéens blancs de peau (Sugarman & Craufurd, 1994).
Plus récemment, une étude néerlandaise publiée en 2013 a ainsi cherché à investiguer le rôle
respectif de la vulnérabilité génétique et de l’environnement dans les phénomènes d’entrée dans la
psychose chez des sujets sains (n=462) et des jumeaux de personnes atteinte de schizophrénie
(n=810)(van Nierop et al., 2013). L’étude retrouvait une exposition environnementale superposable
entre les deux groupes, avec l’exposition à au moins un facteur de risque chez 68% des jumeaux et 60%
des sujets sains. Alors que 100% des transitions étaient associées à une exposition environnementale, le
risque de transition n’était pas significativement plus important chez les jumeaux (OR= 2,2; IC95%:
0,5-10,3; NS). L’effet dans la transition des facteurs environnementaux étaient, par importance
décroissante, démontré pour les traumatismes infantiles (OR= 34,4; IC95%= 4,4-267,4), l’abus de
cannabis (OR= 4,1, IC95%= 1,1-15,4) et le statut minoritaire ethnique (OR= 3,8; IC95%= 1,2-12,8). Le
résultat était non significatif pour l’urbanicité, donné compatible avec les connaissances sur l’effet
précoce de ce facteur de risque.
Dans le cadre de la recherche d’une interaction G x E, il était retrouvé que 82% des transissions
étaient corrélées à une double exposition génétique et environnementales pour 18% seulement à une
exposition unique à une vulnérabilité génétique ou à au moins un facteur de risque environnemental.
43% des non-transitions étaient exposées à un double risque G et E (Tableau 2), mais aucune des
transitions ne s’est produite en l’absence de facteurs de risque génétiques ou environnementaux. Ces
résultats tendent à démontrer l’importance de l’environnement dans les transitions vers la psychose mais
aussi la nécessité d’une interaction entre vulnérabilité génétique et environnement défavorable dans la
grande majorité des cas. La répartition identique de l’exposition environnementale entre sujets sains et
jumeaux tend également à démontrer que la susceptibilité génétique à la psychose ne favorise pas
l’exposition à des facteurs de risque environnementaux de la schizophrénie (modèle rGE). Le faible
nombre de cas de transitions au cours de l’étude (n= 11) demeure une limite importante à l’extrapolation
des résultats, malgré un degré de significativité important. La part importante prise par les traumatismes
infantiles pose également la question de l’interaction précoce entre vulnérabilité et exposition
environnementale.
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Ni G ni E
G ou E
GxE
Transition
0% (n=0)
18,2% (n=2)
81,2% (n=9)
Absence de transition
14,6% (n=184)
42,7 % (n=539)
42,7% (n=539)
Tableau 2 : Taux de transition vers la psychose en fonction de l’exposition à des facteurs
de risque environnementaux ou génétiques (adapté de van Nierop et al., 2013)
Une seconde étude hollandaise s’est focalisée sur le rôle synergique des facteurs génétiques et
de l’urbanicité dans le risque de schizophrénie (van Os et al., 2003). La vulnérabilité génétique était
représentée par l’existence d’une histoire familiale de trouble psychotique. Les risques de présenter des
symptômes psychotiques étaient de 0,85% pour les personnes ne présentant aucune exposition, de
1,59% en cas d’exposition au milieu urbain seul, de 3,01% en cas de vulnérabilité génétique sans
exposition environnementale et de 9,72% en cas de double exposition. Une étude allemande (Spauwen
et al., 2006) retrouvaient dans les mêmes conditions expérimentales des taux respectifs de 4%, 12,1%,
14,9% et 29%. Des résultats similaires ont été retrouvés dans d’autres études (van Os et al., 2004 ;
Wieser et al., 2005).
ni G ni E
E
G
GxE
van Os et al.
0,85 %
1,59 %
3,01 %
9,72 %
Spauwen et al.
4%
12,1 %
14,9 %
29.2%
Tableau 3 : Taux de symptômes psychotiques en population générale en fonction
de l’exposition
l’exposition génétique et environnementale (adapté de van Os et al., 2008)
d. L’hypothèse du continuum
Différentes études ont démontré que chez la plupart des adolescents présentant des expériences
psychotiques, ces dernières disparaissent avec le temps et ne persistent pas à l’âge adulte (Hanssen et al.
2005; Dominguez et al. 2011). Il est également reconnu que des expériences sub-cliniques de
symptômes psychotiques précédent de quelques années le diagnostic clinique de trouble
schizophrénique (Werbeloff et al., 2012; Hanssen et al. 2005; Dominguez et al. 2011). Les études
épidémiologiques retrouvent une différence d’incidence entre les troubles psychotiques constitués (1%),
les symptômes psychotiques isolés (5%) et les expériences psychotiques (15%). Ces dernières sont
retrouvées davantage chez les sujets jeunes, et tendent à diminuer en fréquence avec le temps.
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(CC BY-NC-ND 2.0)
d.1. Cougnard et al.
Dans une étude datée de 2007, Cougnard et al. reprenaient les données issues de deux cohortes
longitudinales ayant permis de suivre l’évolution des troubles psychotiques en population général
(Cougnard et al., 2007). La cohorte NEMESIS, issue des Pays-Bas, comprenait 7076 personnes de 18 à
64 ans suivies prospectivement sur 3 ans entre 19996 et 1999, permettant des calculs d’incidence et de
prévalence des troubles psychotiques. La cohorte allemande EDSP comportait initialement 3021
personnes âgées de 14 à 24 ans suivis pendant 4 ans. L’objectif de l’étude était d’évaluer le rôle de
l’environnement dans la persistance de troubles psychotiques en population générale. Trois facteurs de
risques environnementaux étaient ainsi évalués : l’existence de traumatisme infantile, l’urbanicité et
l’usage de cannabis.
Il était retrouvé l’existence d’expériences psychotiques initiales dans la cohorte NEMESIS chez
768 personnes (10.8%) et dans EDSP chez 229 (9%). A T2, ces expériences persistent chez 200
personnes dans l’étude NEMESIS (26%) et 71 dans EDSP (31%). La recherche des facteurs de
pérennisation des troubles montrait des résultats concordants au sein des deux cohortes (Tableau 4).
T0
T2
NEMESIS
768 (10,8%)
200 (2,82%)
EDSP
229 (9%)
71 (2,35%)
Tableau 4 : Persistance des symptômes psychotiques dans deux cohortes
d’adolescents à 3 ans (NEMESIS) et 4 ans (EDSP) (adapté de Cougnard et al., 2007)
Ainsi, pour NEMESIS, le risque était plus important de présenter des symptômes psychotiques
chez les sujets qui en présentaient déjà à T0 (20.1% contre 1.9%) en l’absence d’exposition
environnementale, mais la différence de risque augmentait avec l’exposition environnementale, de
18,2% en l’absence d’exposition à 33.9% pour une exposition maximale. Le risque augmente avec
l’exposition environnementale à la fois pour les sujets sans signes initiaux (de 1.9% à 16.1%) et avec
signes initiaux (de 20.1% à 50%). Ainsi, le taux de troubles psychotiques en fin d’étude était de 2,6%
pour les personnes ne présentant ni exposition environnement ni expérience initiale, de 5,8% pour ceux
présentant une exposition environnementale forte sans expériences psychotiques initiales et de 23,6%
pour ceux présentant des expériences psychotiques initiales seules sans exposition environnementale
(Tableau 5). Le risque le plus important retrouvé l’était pour les personnes présentant à la fois une
exposition environnementale et une expérience psychotique initiale, mesuré à hauteur de 34,1%. Le
calcul du synergisme gène x environnement montrait que 21 à 83% des gens exposés à au moins deux
facteurs de risque environnementaux et à une expérience psychotique initiale présentent des symptômes
psychotiques à T2.
96
LEAUNE
(CC BY-NC-ND 2.0)
Pour la cohorte EDSP, le taux de troubles psychotiques à T2 était de 14.8% chez les personnes
non exposées sans expérience initiale, de 24,5% en cas d’exposition environnementale seule, de 20.7%
en cas d’expérience initiale seule et montait à 42.7% en cas de double exposition environnementale et à
des expériences psychotiques initiales (Tableau 5). Entre 29% et 51% des personnes ont ainsi présenté
une persistance des troubles du fait des effets synergiques entre gène et environnement.
ni G ni E
E seul
G seul
GxE
NEMESIS
2,6 %
5,8 %
23.6%
34.1 %
EDSP
14,8 %
24,5 %
20,7 %
42,7 %
Tableau 5 : Pourcentage de personnes présentant des expériences psychotiques à T2 selon
le degré d’exposition environnementale et génétique (adapté de Cougnard et al., 2007)
L’analyse statistique a permis de démontrer l’effet cumulatif des facteurs de risque
environnementaux, le taux de persistance augmentant corrélativement au nombre de facteurs auxquels
sont exposées les personnes (Tableau 6). Ainsi, le risque de persistance des troubles augmentait
corrélativement au nombre de facteurs environnementaux présents (usage de cannabis, urbanicité et
traumatismes infantiles).
Sans troubles
initiaux
Avec troubles
initiaux
Absence
1.9%
20.1%
1 facteur
3.5%
26.7%
2 facteurs
4.7%
31.1%
3 facteurs
16.1%
50.0%
Tableau 6 : Risque de présence de troubles psychotiques à T2 selon le degré d’exposition
environnementale et l’existence de troubles initiaux (adapté de Cougnard et al., 2007)
L’ensemble de ces résultats sont en faveur d’un synergisme gène x environnement (G x E),
puisque le risque maximal est atteint pour l’ensemble des cohortes lorsque les deux facteurs de risque
sont présents. Les données concernant le caractère cumulatif des facteurs environnementaux tendent
également à valider l’hypothèse d’une synergie environnement x environnement (E x E).
Il est à noter que cette étude ne permettait pas de prendre en compte la possible vulnérabilisation
environnementale à l’apparition initiale de troubles psychotiques. Pour autant, l’analyse post hoc montre
qu’une exposition environnementale importante tend à favoriser le risque d’expérience initiale, à
97
LEAUNE
(CC BY-NC-ND 2.0)
hauteur d’un odd ratio calculé à 1.95 (IC= 1.79-2.14, p<0.01) pour NEMESIS et de 1.49 (IC= 1.251.78, p<0.01) pour EDSP. On peut également regretter que la notion de statut minoritaire ethnique ou de
migration n’ait pas été prise en compte comme facteur environnemental de pérennisation des troubles.
d.2. Wigman et al.
En ce sens, une expérience similaire de suivi longitudinal d’une cohorte néerlandaise durant 6
ans a montré que la persistance des troubles psychotiques était préférentiellement associé au statut
minoritaire ethnique (OR= 3,29; IC95%= 1,68-6,45; p<0,001), tandis que les autres facteurs
environnementaux étaient associés à des amplitudes de risque moins élevées (Wigman et al., 2013). Le
risque était par exemple de 1,80 pour un usage important de cannabis ou une accumulation
d’évènements de vie difficiles. Cette étude s’intéressait à l’évolution de troubles psychotiques sur une
durée de 6 ans dans une cohorte de 2230 enfants de 10 et 11 ans ayant reporté des expériences
psychotiques au cours d’un auto-questionnaire (Youth Self Report, YSR). Quatre types d’évolutions
étaient désignées au sein de la cohorte : le groupe « bas seuil » (82%) chez lesquels le degré des troubles
étaient initialement bas et le restait au fil du temps, le groupe « décroissance » (9% des adolescents) au
sein duquel on observait une diminution de l’intensité des expériences psychotiques, le groupe
« croissant » (7%) chez lequel était retrouvé une augmentation de l’intensité et le groupe « persistance »
(2%) au sein duquel des troubles d’intensité initialement élevée se pérennisaient à une intensité égale. Il
était retrouvé une distribution statiquement comparable des troubles développementaux et des
traumatismes infantiles dans les groupes « croissance » et « décroissance », ce qui indiquait la nécessité
d’une exposition environnementale tardive pour qu’une vulnérabilité précoce en vienne à favoriser le
développement de troubles psychotiques persistants et apportait un nouveau contre-argument au modèle
de la corrélation de type rGE.
Ainsi, ces différentes études démontrent que le bon pronostic initial de rémission des
expériences psychotiques peut être grevé si les sujets sont exposés à des facteurs de risque
environnementaux additionnels tels que les traumatismes, l’usage de cannabis, l’urbanicité, ou le statut
ethnique minoritaire. Le développement transitoire de symptômes psychotiques peut se pérenniser et
devenir cliniquement significatif en fonction de l’importance de l’exposition environnementale auquel
les personnes sont soumises.
98
LEAUNE
(CC BY-NC-ND 2.0)
d. 3. Le modèle « proneness - persistence - impairment »
Ces dernières années, sous l’impulsion notamment de Jim van Os, une modélisation novatrice de
la schizophrénie a progressivement pris de l’ampleur dans la littérature scientifique. Ce modèle se base
sur la progression des connaissances concernant l’interaction gène x environnement et de
l’épidémiologie des troubles psychotiques sub-cliniques, et notamment du continuum des troubles
psychotiques. Le modèle « propension - persistance - trouble » (proneness - persistence - impairment),
ou modèle du continuum, s’appuie ainsi sur la répartition des phénomènes psychotiques en trois
dimensions distinctes.
Une méta-analyse datée de 2009 (van Os et al., 2009) a cherché à synthétiser l’ensemble des
données concernant la répartition des expériences psychotiques, définies comme des manifestations subcliniques sans retentissement fonctionnel avéré, des symptômes psychotiques, ne remplissant pas les
critères diagnostiques de troubles schizophréniques malgré un certain retentissement et l’existence d’un
trouble psychotique avéré. Les résultats retrouvaient une répartition correspondant à cette répartition en
trois phases distinctes (Figure 8).
Les expériences psychotiques pourraient ainsi se rapporter à un « état de propension »
(proneness) à la psychose. Partagées par environ 8 % de la population, elles seraient bien plus
fréquentes que ce que n’envisageaient les études antérieures.
Les symptômes psychotiques isolés sont corrélés à un « état de persistance » (persistence),
existant chez 4 à 5% de la population.
L’apparition d’un trouble psychotique clinique correspond enfin à un « état de handicap »
(impairment), dont la prévalence est connue de longue date et estimée de 1 à 3% environ.
Figure 8 : Le modèle du continuum (adapté de van Os et al., 2008)
99
LEAUNE
(CC BY-NC-ND 2.0)
Le modèle du continuum apparaît donc comme un modèle de résilience à l’échelon
populationnel, puisque la très grande majorité des individus vulnérables ne déclarent pas de trouble
psychotique et voient leurs expérience subcliniques s’amender ou ne jamais dépasser le seuil
pathologique. Il questionne en revanche, à l’échelle individuelle, sur les effets de potentialisation
progressive qui s’accumulent et interagissent avec une susceptibilité initiale.
La seconde partie de la méta-analyse à chercher à identifier le rôle des facteurs démographiques
et socio-économiques dans la répartition des expériences psychotiques subcliniques. L’objectif était de
déterminer si les facteurs environnementaux de schizophrénie agissaient tout au long du continuum en
favorisant l’existence d’état de propension à la psychose dans la population exposée. Il était retrouvé
une prévalence plus importante d’expériences psychotiques chez les hommes migrants, appartenant à
des minorités ethniques, sans emploi, célibataires et présentant un faible niveau d’éducation. De même,
l’urbanicité, l’usage de cannabis et les traumatismes infantiles apparaissaient comme des facteurs
majeurs de risque pour les expériences subcliniques de psychose.
Une nouvelle méta-analyse plus récente a cherché à définir plus précisément la notion de
continuum, qui peut s’entendre de plusieurs manières (Linscott & van Os, 2013). Tout d’abord, il
pourrait s’agir d’un continuum temporel, tributaire d’une continuité au fil du temps d’expériences
psychotiques initiales en direction des troubles psychotiques (continuité temporelle). Il pourrait
également s’agir d’une continuité phénoménologique, voulant que les expériences psychotiques ne
soient pas indépendantes des troubles psychotiques cliniques et varient quantitativement le long du
continuum. Enfin, cette continuité pourrait être d’ordre structurelle, c’est-a-dire qu’il existe soit un
même classe au sein de laquelle le phénotype varie quantitativement, ou bien plusieurs classes
correspondant à des variations qualitatives de phénotypes indépendants. Le modèle du continuum
envisage cette notion de continuité du point de vue temporel et phénoménologique, en postulant que les
expériences psychotiques précédent l’entrée dans la maladie et qu’elles sont partagées en population
générale selon un gradient quantitatif et non une différence phénotypique qualitative indépendante.
Cette seconde méta-analyse de 2013 présentait plusieurs objectifs:
•
intégrer des travaux plus récents effectués depuis l’étude de 2008
•
minimiser le risque d’inclure des études prenant en compte des phénomènes mineurs dans le
cadre des « expériences psychotiques » en restreignant les critères d’inclusion
•
exclure les phénomènes culturellement codés qui pourraient majorer indûment le taux
d’expériences psychotiques
Les résultats étaient en faveur d’une continuité temporelle et phénoménologique. Ainsi, le taux
d’expériences psychotique moyen était de 7.2% en population générale, taux largement supérieur aux
100
LEAUNE
(CC BY-NC-ND 2.0)
troubles schizophréniques avérés. Ce risque était plus élevé dans des conditions environnementales
reconnues comme facteurs de risque de schizophrénie (hommes, migrants, célibataires, vivant en milieu
urbain, sans emploi ou faiblement rémunérés, usagers de cannabis). Ces expériences psychotiques
étaient transitoires dans l’immense majorité des cas (80%) avec un taux de 7.4% seulement de troubles
psychotiques déclarés en fin de suivi, ce qui souligne le caractère probabiliste et non déterministe du
modèle du continuum.
Dans le sens d’une continuité phénoménologique, différentes études ont démontré l’existence
d’une corrélation entre augmentation des expériences psychotiques sub-cliniques et des troubles
psychotiques au sein d’une population donnée. Ainsi, une étude a cherché à analyser le lien entre
l’urbanicité et les différentes phases du continuum (van Os et al., 2001). Les résultats montraient une
augmentation proportionnelle des troubles psychotiques, des symptômes et des expériences
psychotiques en fonction de la densité des zones d’origine des personnes (Tableau 7).
Troubles psychotiques
Symptômes
psychotiques
Expériences
psychotiques
< 500
0.59%
2.36%
13.76%
500-999
0.93%
2.80%
13.85%
1000-1499
1.49%
4.48%
17.0%
1500-2499
1.87%
5.48%
20.24%
> 2500
2.74%
5.72%
23.03%
Densité urbaine
Tableau 7 : Taux de troubles psychotiques selon l’exposition à l’urbanicité en
population générale (adapté
(adapté de van Os et al., 2001)
L’importance du rôle de l’expérience individuelle est soulignée par cette même étude qui
retrouvait une différence de 37% entre les expériences psychotiques auto-reportées et celles qui étaient
retenues par les cliniciens. Malgré cette importante différence, le risque de présenter un trouble
psychotique est multiplié par 25 (OR= 27.5; IC95% = 4.5-123.4) pour les personnes ayant rapporté des
expériences psychotiques. Bien que cela reste en dessous du risque pour les cas où les cliniciens avaient
retenu la validité de cette expérience (OR= 46.1; IC95%= 4.6-236.5), ce résultat démontre un risque
suffisamment augmenté pour accorder du crédit à la fois au modèle du continuum et à l’expérience
ressentie par les personnes.
Ces résultats, s’ils démontrent la pertinence du modèle du continuum, permettent également une
lecture environnementale et sociale du modèle de la schizophrénie. En effet, l’environnement social
101
LEAUNE
(CC BY-NC-ND 2.0)
semble jouer un rôle à la fois dans la transition vers la psychose, mais également dans l’apparition de
phases prodromiques antérieures aux troubles. La continuité temporelle démontre que des taux plus
élevés de risque d’évolution péjorative sont retrouvés au sein de population cumulant différents facteurs
de risque (migration, chômage ou emploi peu rémunéré, faible niveau d’éducation, célibat, vie en milieu
urbain…), favorisant par là-même une évolution ultérieure vers un risque constitué. Cette double action
de l’environnement social, dans l’apparition puis la persistance des troubles, démontre tout le poids
qu’il prend dans l’épidémiologie, et sans doute l’étiopathogénie, de la schizophrénie. Plus récemment,
une étude menée en Angleterre (Kirkbride et al., 2014) au sein d’une unité d’intervention précoce pour
la psychose a permis de démontrer l’existence d’une hétérogénéité dans la répartition spatiale des
individus présentant une propension à la psychose (personnes à haut risque de psychose) ou un premier
épisode psychotique, selon les territoires. Les personnes étaient ainsi en majorité issues de quartiers
défavorisés, présentant des facteurs d’inégalités sociales plus marqués. L’étude ne permettait cependant
pas de démontrer s’il existait également un plus haut taux de transition dans les quartiers défavorisés. Ce
résultat démontre cependant que l’interaction gène x environnement ne joue certainement pas
uniquement dans la pérennisation des troubles, mais également dès l’apparition précoce d’indicateurs de
vulnérabilité. A ce titre, une étude hollandaise récente a ainsi retrouvé une prévalence plus importante
d’expériences psychotiques sub-cliniques dans des populations d’adolescents issus des minorités
marocaines et turques (Adriaanse et al., 2015).
e. Rétablissement
En parallèle des études menées sur l’étiopathogénie de la schizophrénie et les conditions de
pérennisation des troubles psychotiques, il existe une littérature de plus en plus fournie sur l’évolution
ultérieure des troubles, sous l’optique dite du rétablissement (recovery). Deux synthèses systématiques
des données retrouvaient ainsi des taux concordants de rétablissement dans la schizophrénie, à savoir
respectivement 40% (Hegarty et al., 1994) et 42% (Menezes et al., 2006). De nombreuses limitations
méthodologiques ont été soulignées au sein de ces deux travaux conséquents, parmi lesquels on retrouve
la trop grande hétérogénéité de mesure des indices de rétablissement entre les études incluses dans la
synthèse, notamment en ce qui concerne l’articulation entre la rémission symptomatique et le niveau de
fonctionnement social ou le ressenti subjectif de rétablissement. En 2009, Warner réalisait une synthèse
prenant compte de cette dichotomie entre rétablissement social et rétablissement dit « complet »
(rémission symptomatique associée à un bon niveau de fonctionnement social), retrouvant un taux de
rétablissement social compris entre 22 et 53%, pour un taux de rétablissement complet allant de 11 à
33% (Warner, 2009).
Une méta-analyse récente (Jääskeläinen et al., 2013) a tenté d’évaluer le taux de rétablissement
en prenant en compte à la fois la dichotomie rémission/fonctionnement social ainsi que la durée du
rétablissement, à savoir une durée de deux ans minimum. 50 études ont été incluses, permettant de
102
LEAUNE
(CC BY-NC-ND 2.0)
mettre en exergue un taux de rétablissement de 13,5%, identique pour les hommes et les femmes. En
revanche, il existait une différence significative de taux entre pays développés et pays en voie de
développement, estimé à 36%, ce qui tend à indiquer l’existence d’un rôle des conditions
environnementales dans les possibilités de rétablissement de la schizophrénie. Les hypothèses possibles
concernant les causes de cette différence selon le niveau de vie du pays restent non éludicées.
L’amélioration des thérapeutiques médicamenteuses depuis plusieurs décennies ne semble pas avoir eu
d’effet notable sur les taux de rétablissement, différentes études ayant démontré une relative stabilité
des taux depuis plusieurs dizaines d’années. Ceci tendrait également à souligner le fait que, dans
l’optique du rétablissement, l’amélioration de la prise en charge d’un point de vue purement
neurobiologique ne permet pas d’améliorer le pronostic.
La notion de rétablissement permet d’insister sur le caractère résilient du continuum de la
schizophrénie, qui offre la possibilité d’une rémission aux différentes étapes de la progression et de
l’évolution du trouble.
f. Philosophie de la vulnérabilité: la « capabilities theory « de Nussbaum
Alors que la question de la vulnérabilité, présente dans la modélisation de la schizophrénie
depuis les années 70, prend une part de plus en plus importante dans la philosophie sociale et politique
de ces dernières années, la question des inégalités, et bien sûr des inégalités de santé, s’y avère un point
crucial de réflexion. Si certaines théories libérales du droit ou de la politique promeuvent aisément
l’autonomie et l’auto-détermination dans l’évolution personnelle, notamment d’un point de vue social
ou financier, l’existence d’inégalités criantes de santé au sein même des pays développés pose une
problématique au cœur de laquelle les hypothèses avancées ne peuvent plus se résumer à des écarts de
volonté individuelle à l’égard de l’engagement civique ou de l’insertion socio-professionnelle. Certains
membres de la société, loin d’en représenter une infime minorité, se trouvent ainsi positionnés dans
l’incapacité d’accéder à un état de santé minimal équivalent à la moyenne nationale. En ce sens, les
travaux de Saïda Douki ont ainsi démontré le lourd tribut payé par les femmes de par le monde du point
de vue de la santé mentale (Douki, 2011). Philosophe du féminisme et des inégalités, l’américaine
Martha Nussbaum propose une théorie de la vulnérabilité qui peut permettre de repenser la question de
la vulnérabilité et de son lien à l’environnement social (Nussbaum, 2011).
La philosophie de Nussbaum paraît intéressante à un double niveau dans l’optique du modèle de
la schizophrénie. Tout d’abord, parce qu’elle permet de penser la vulnérabilité à partir des capacités
(capabilities) de l’individu, en insistant sur le rôle des conditions sociales et politiques qui permettent,
ou non, de développer ces ressources personnelles et d’engager un processus de résilience. Cette
approche permet également de penser les inégalités initiales qui peuvent exister dans les capacités des
individus, au-delà de la favorisation ou de l’empêchement que peut proposer l’environnement, sans pour
autant les rapporter à une sorte d’essentialisation de la précarité et des écarts sociaux. Ensuite, la théorie
103
LEAUNE
(CC BY-NC-ND 2.0)
des capabilités insiste, à travers la question du handicap mental, sur la vulnérabilité que confère à
l’individu l’existence même d’un trouble mental. Du point de vue de la théorie psychiatrique, cette
vision nous oblige à repenser le continuum, dont on peut s’étonner qu’il ne soit finalement que peu
pensé au-delà de l’apparition de la maladie, sans s’intéresser ni à la vulnérabilité qui s’y rapporte, ni les
capacités de rétablissement, pourtant bien documentés à l’heure actuelle.
Nussbaum distingue trois « capabilités » de base:
• la capabilité I ou capabilité interne : une personne est « capable I » de la fonction A au temps t
si et seulement si cette personne est constituée de telle sorte en t que, si les circonstances appropriées
se présentent, elle pourra choisir une action A
• la capabilité E ou capabilité extérieure : une personne est « capable E » de la fonction A au
temps t si et seulement si en t cette personne est capable I de A et qu’aucune circonstance présente
n’empêche ou ne gêne l’exercice de A
• la capabilité B ou capabilité de base : une personne est « capable B » de la fonction A si et
seulement si cette personne a une constitution individuelle organisée de telle sorte qu’elle puisse faire
A, à supposer qu’on lui fournisse l’entraînement, le temps convenable, ainsi que les autres conditions
instrumentales nécessaires
La force de la philosophie nussbaumienne de la vulnérabilité est de penser dans un même
mouvement la vulnérabilité individuelle qui peut advenir en fonction de conditions de patrimoine
éducatif ou génétique et la vulnérabilité sociale et politique, corrélées quant à elles aux conditions
environnementales dans lesquels l’individu est placé, en intégrant également l’articulation entre ses
conditions internes et externes de vulnérabilisation. Pierre Goldstein écrit en ce sens que « la
« capacité » est vulnérable puisqu’elle ne dépend pas seulement de l’agent lui-même pour son
actualisation, mais des « circonstances appropriées » » (Golstein, 2011). Pensé sous l’optique du capital
social, on pourrait ainsi dessiner derrière la distinction entre capabilité I et capabilité E, celles de
« capital social cognitif », en tant que capabilité interne, et de « capital social structurel », en tant que
capabilité externe, distinction insistant sur la différence qui advient entre le fait de se trouver en
possession d’un capital social a priori conséquent et celui de pouvoir totalement bénéficier des
avantages qu’il revêt.
Le second point d’intérêt de la philosophie nussbaumienne est qu’elle qui prend en compte la
vulnérabilité que représente le fait même de présenter un handicap mental. En ce sens, le continuum de
la schizophrénie précédemment décrit peut également s’entendre comme un continuum de vulnérabilité,
au cœur duquel on pourrait distinguer une vulnérabilité à la psychose et une vulnérabilité de la
psychose. La vulnérabilité cognitive par exemple peut être amenée à croître, lors de la transition d’un
état sub-clinique à un trouble psychotique constitué, mais également à diminuer si le traitement de la
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LEAUNE
(CC BY-NC-ND 2.0)
schizophrénie permet par une remédiation adaptée le renforcement des ressources cognitives de
l’individu. La manière qu’a Martha Nussbaum de théoriser la vulnérabilité permet également de définir
le caractère labile et évolutif qu’elle peut revêtir au cours du temps, sans enfermer l’individu dans une
incapacité irréductible, qui viendrait alors légitimer les inégalités sociales en les corrélant à une
insuffisance biologique première ou enfermer la personne souffrant de schizophrénie dans une
hétéronomie indépassable. S’arrêter à un continuum étiopathogénique causal semble ainsi en partie
insuffisant, notamment dans l’optique de l’interaction gène x environnement, car il ne permet pas
d’envisager directement l’évolution de la vulnérabilité et des capacités de l’individu au-delà de la
période antérieure aux troubles. En effet, d’un point de vue social, il existe une différence de qualitative
et non uniquement quantitative entre le statut de haut risque de psychose et de pathologie
schizophrénique déclarée, à l’égard ne serait-ce que de droits sociaux nouveaux (Allocation Adulte
Handicapé, accès à la MDPH, emplois protégés et Reconnaissance de Travailleur Handicapé…). En
revanche, comme le signalait dès 1977 Zubin et Spring, la vulnérabilité constitue la trame de ce
continuum entre normal et pathologique.
g. Un modèle de continuum « proneness - persistence - impairment - recovery »?
L’apport de la théorie des capabilités et des données concernant le rétablissement amène à
envisager un modèle de la schizophrénie assumant pleinement la question d’un continuum, en articulant
l’idée d’une interaction gène x environnement à celle de la vulnérabilité qui s’exercent toutes deux tout
au long de l’évolution des troubles. Il semble en effet assez limitant d’astreindre la notion de continuum
au développement de la pathologie, sans envisager les conséquences sur le fonctionnement social et
environnemental engendrés par l’expression clinique des troubles ainsi que celles du phénomène de
rétablissement.
La théorie des capabilités permet également de penser la « vulnérabilité à la psychose » ou la
« vulnérabilité de la psychose » non pas comme une entité monolithique, mais davantage comme un
« enchevêtrement » de vulnérabilités, parmi lesquelles pourraient se situer une vulnérabilité génétique et
biologique (capabilité I), une vulnérabilité environnementale et psychosociale (capabilité E) et une
vulnérabilité cognitive (capacité B), cette dernière médiant en partie les capacités internes de l’individu.
La vulnérabilité cognitive se décomposerait elle-même en différentes capacités cognitives comprenant
des ressources en neurocognition (mémoire, attention, traitement de l’information), des capacités
métacognitives, de cognition sociale (théorie de l’esprit, style attributionnel, etc…) ou encore d’un point
de vue narratif (mémoire autobiographique, voyage mental dans le temps, self narratif…). De même, la
vulnérabilité environnementale comprendrait l’ensemble des facteurs de risque environnementaux
connus de la schizophrénie (urbanicité, consommation de cannabis, traumatismes infantiles,
ethnicité,…) en y ajoutant la question de l’accès au soins, possiblement rendue difficile par une
105
LEAUNE
(CC BY-NC-ND 2.0)
condition sociale précaire ou un défaut de capital social, mais également médiée en partie par la
capabilité cognitive de base à savoir utiliser à bon escient le système de soin.
Du point de vue des effets de l’adversité sociale, il convient par exemple de penser l’articulation
entre les conditions de l’environnement social immédiat dans lequel est placé l’individu. L’analyse du
phénomène du point de vue de la théorie des capabilités pourrait ainsi s’entendre de la sorte :
• capabilité E : la personne est placée dans un contexte d’adversité sociale, au sein duquel elle
se voit isolée, bénéficiant d’un faible capital social et d’un accès aux soins limité
• capabilité I : la personne présente un état de santé mentale fragile, marquée par une détresse
psychologique fluctuante, potentiellement présente depuis l’enfance
• capabilité B : les effets cognitifs et comportementaux de l’exclusion (diminution des
comportements pro-actifs, déstructuration cognitive, déclin des performances cognitives…) affectent
ses capacités d’accès aux soins et situent la personne dans un état de vulnérabilité à l’égard du
système de soi
3. Conclusion
Au total, les travaux sur les facteurs environnementaux permettent de replacer aujourd’hui la
part respective et partagée de la vulnérabilité génétique et d’un environnement délétère dans les
modélisations de la schizophrénie. Si la vision apportée par le modèle de la vulnérabilité a permis
d’introduire cette notion d’interaction gène x environnement, les connaissances scientifiques de
l’époque étaient insuffisantes pour permettre de modéliser au mieux la réalité de cette action synergique.
Les données récentes ont permis de démontrer que le risque de schizophrénie augmentait
corrélativement au degré d’exposition environnementale, ce d’autant plus pour des personnes présentant
une vulnérabilité génétique initiale. Différents types de synergie, tels que les mécanismes épigénétiques
ou la sensibilisation génétique à l’environnement, jouent probablement un rôle conjoint dans ce modèle
général d’interaction.
Il convient ainsi d’envisager le modèle de la schizophrénie comme un modèle de résilience, visà-vis duquel la persistance d’une exposition environnementale défavorable semble agir à contre-courant
de cette capacité de résilience initiale. La philosophie nussbaumienne de la vulnérabilité permet de
modéliser d’un point de vue théorique et pratique le rôle respectif des différentes capabilités de
l’individu, comprises entre des facteurs individuels et des facteurs environnementaux limitants.
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(CC BY-NC-ND 2.0)
B. Epistémologie de la psychiatrie transculturelle
Comme nous l’avons vu antérieurement dans ce travail, une des critiques contemporaines des
énoncés scientifiques concernant le lien de causalité entre migration et schizophrénie provient en
majeure partie d’une école psychiatrique précise, à savoir la psychiatrie transculturelle. Cette école de
pensée, s’attachant à apporter une compréhension des troubles psychiques et de la psychopathologie
sous une optique culturelle, apporte en effet un certain nombre d’arguments visant à remettre en
question la validité des découvertes scientifiques récentes concernant les liens entre schizophrénie et
migration, à l’avant desquels la théorie de l‘erreur diagnostique (misdiagnosis) s’avère la plus
fréquemment utilisée. De par sa forte implantation en France dans les dispositifs thérapeutiques
destinées aux migrants, due notamment aux travaux du psychologue Tobie Nathan puis des psychiatres
Marie-Rose Moro et Thierry Baubet, cette pratique ne manque pas de prendre place dans les discussions
scientifiques autour de la psychopathologie de la migration dans l’Hexagone. A ce titre, il convient de
discuter en détail les positions scientifiques émises par la psychiatrie transculturelle, afin de connaître la
légitimité de cette discipline à contredire les résultats épidémiologiques internationaux.
1. Rappel historique
La réflexion ethnopsychiatrique prend son origine au début du XXème siècle dans les travaux du
psychiatre et anthropologue Georges Devereux, dont les théorisations autour des notions de culturalité
psychique remontent à son expérience aux Etats-Unis auprès d’une communauté indienne, les Mohave,
puis de la rencontre d’un patient originaire d’une autre tribu, les Pieds-Noirs. Alors que se pose à cette
époque la question de l’universalité du complexe d’Oedipe, remise en cause notamment par les travaux
de l’anthropologue Bronislaw Malinowski au sein d’une société matrilinéaire (Malinowski, 1922), deux
psychanalystes, Geza Roheim et Georges Devereux, engagent une recherche ethnopsychanalytique dans
l’optique de trancher définitivement l’existence d’une transculturalité du fonctionnement psychique
inconscient décrit par Freud (Devereux, 1996; Roheim, 1972). Fort de cette expérience, Devereux
instaure alors la notion de « complémentarisme », systématiquement citée comme concept de référence
dans la psychiatrie transculturelle. Théorie du décentrement, elle propose d’associer la connaissance
anthropologique à la technique psychanalytique pour appréhender les particularités du transfert et du
diagnostic en situation transculturelle.
Relativement oubliée dans l’après-guerre, la méthode ethnopsychiatrique a resurgi en France
sous l’impulsion du psychologue Tobie Nathan. Alors que la psychiatrie coloniale avait amené son lot
de catégorisations racistes des pathologies mentales chez les peuples colonisés, à travers les travaux de
Lucien Lévy-Bruhl et Maurice Leenhardt, le psychiatre Henri Collomb, médecin français en poste à
Dakar, est le premier à proposer une approche moins ethnocentrée, utilisant l’apport couplé de la
psychanalyse et des sciences humaines. L’école de Fann à Dakar, devient alors un terrain de réflexion
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concernant l’expression culturelle des troubles et les différences symptomatiques et diagnostiques entre
les différentes ethnies. Collomb travaille notamment sur la prévalence de la dépression chez les
populations sénégalaises et sur les différentes formes symptomatiques qu’elle peut prendre, décrites
comme différentes des syndromes habituellement décrits par la psychiatrie occidentale (forte prévalence
de symptômes somatiques ou psychotiques par exemple). L’autre partie de son travail a porté sur
l’adaptation des pratiques thérapeutiques, autour des « villages thérapeutiques » et de la place des
tradithérapies tels que le N’Doep.
Face à l’afflux d’immigrés dans les consultations psychiatriques, l’abord culturel trouve un
regain d’intérêt dans l’Hexagone au cours des années 1980 et 1990. Elève de Georges Devereux, le
psychologue Tobie Nathan propose alors une ethnopsychiatrie continentale, mettant au cœur de la
souffrance des migrants les notions d’acculturation et de traumatisme migratoire, voulant que la
migration représente un choc traumatique majeur dont le déracinement culturel serait l’une des plus
violentes composantes. Nathan s’éloigne en partie de la méthode de Devereux pour apporter une touche
très personnelle à l’ethnopsychiatrie. Son principal fait d’arme revient à la création d’un dispositif
technique spécifique - le dispositif ethnopsychiatrique – implanté en 1993 à l’hôpital de Bobigny sous le
nom de Centre Georges Devereux. Il s’agit d’y rencontrer des individus ou des familles migrantes pour
apporter une interprétation culturelle des troubles et problématiques rencontrées par ces derniers,
interprétation portée par la culture d’origine et les croyances tradithérapeutiques qui lui sont associées.
Nathan propose une vision radicale de l’ethnopsychiatrie, en se positionnant en rupture avec la
psychanalyse classique, la biomédecine occidentale mais aussi une grande partie des sciences humaines.
Au cours des années 1990, la montée des préoccupations politiques et sociales autour des migrants offre
à l’ethnopsychiatrie française et à son fondateur une aura sans commune mesure. L’affiliation avec le
sociologue Bruno Latour et la philosophe Isabelle Stengers lui donne une certaine légitimité dans le
milieu des sciences humaines mais aussi un accès à des outils de publication à grande échelle pour les
ouvrages de Nathan et de ses disciples.
Au cœur de cette légitimité croissante, les premières critiques, issues de la philosophie des
sciences et de la sociologie, apparaissent vis-à-vis de l’objet scientifique, politique et social particulier
qu’est alors l’ethnopsychiatrie. En effet, les chercheurs en sciences humaines s’interrogent sur les
fondements épistémiques de cette clinique nouvelle, ainsi que sur ces conséquences réelles pour la prise
en charge des personnes migrantes.
2. La critique de Richard Rechtmann
L’anthropologue et psychiatre Richard Rechtmann est le premier à adresser des critiques d’ordre
épistémologique à l’ethnopsychiatrie française, autour notamment des modifications considérables
qu’elle apporte dans les fondements de la clinique. Son analyse questionne également l’ampleur sociale
et politique prise par cette discipline en expansion (Rechtman, 2003; 1995).
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Dans un article intitulé L’ethnicisation de la psychiatrie : de l’universel à l’international, publié
en 2003, il propose une analyse parallèle de la méthode ethnopsychiatrique et des révisions alors en
cours du manuel international des pathologies mentales, le DSM. En effet, la pratique
ethnospsychiatrique se décrit volontiers comme contre-réaction à « une volonté hégémonique
d’harmoniser la psychiatrie à un niveau planétaire », qui se ferait au prix d’un ethnocentrisme occidental
ne laissant plus aucune place aux particularités locales d’expression de la souffrance psychique. Pour
autant, il est intéressant de noter que la version IV du DSM a justement inclus dans sa description des
troubles un versant culturel, si bien que le crédit de la psychiatrie internationale et harmonisée semblait
devoir se construire autour d’un certain relativisme culturel. Cet état de fait n’est pas sans poser un
certain nombre de questions que souligne Rechtman, notamment le « risque de saper les fondements de
la démarche clinique », en insérant dans la pratique diagnostique une étape de « diagnostic culturel »,
dont la pertinence se doit d’être interrogée.
Rechtman souligne ainsi en premier lieu que les thérapeutes traditionnels, dont s’inspirent
clairement les ethnopsychiatres, n’inscrivent nullement de temps de diagnostic culturel ou ethnique dans
leur démarche clinique ou thérapeutique. Il écrit ainsi que « les médecines traditionnelles ne sont
absolument pas des médecins ethniques et […] [qu’elles] ont une vocation universelle ». L’intérêt actuel
pour la médecine traditionnelle chinoise, par exemple, démontre bien que la tradithérapie n’a nullement
délimité son champ d’action aux personnes chinoises ou même asiatiques. L’univers de croyance qu’elle
recoupe ne s’inscrit donc pas uniquement dans un champ culturel ou ethnique circonscrit, mais bien
dans un univers de représentations partagées et d’efficacité supposée de son action par le tradithérapeute
lui-même et la personne qui se réfère à lui. Cette « autorité clinique » fonde les médecines
traditionnelles, à partir de compétences issues d’un champ d’investigation et d’expérience propre à
chaque discipline.
En revanche, la démarche ethnopsychiatrique se formalise par l’insertion d’un premier temps
diagnostique, celui du diagnostic de l’origine ethnique ou culturelle du patient, avant de diagnostiquer le
trouble en fonction de ce diagnostic initial. Il s’agit donc de circonscrire initialement la souffrance à
l’origine du patient, ce qui fait dire à Rechtman qu’ici « l’autorité relève bien d’un champ distinct de
celui de la clinique » et tend à instaurer un hiatus entre cette souffrance et le traitement qui en est fait. Il
semblerait alors davantage s’agir d’une « caution anthropologique » que d’une autorité clinique
empirique. « Ethniciser la psychiatrie » derrière la volonté de lutter contre son défaut intrinsèque de
compréhension culturelle inverse alors la balance de manière bien trop caricaturale, au prix d’un
défaussement vis-à-vis de la démarche clinique, aussi bien biomédicale que traditionnelle.
Il est alors étonnant de voir que la psychiatrie transculturelle combat la prétendue hégémonie de
la psychiatrie internationale sur le terrain de la culture, là où cette dernière s’offre une « caution
anthropologique » en tout point superposable. En effet, la version IV du DSM a bénéficié de l’expertise
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d’ethnopsychiatres et anthropologues renommés tels qu’Arthur Kleinman, Byron Good ou Laurence
Kirmayer, apportant au relativisme culturel une place de choix dans la description des troubles mentaux.
Manière de légitimer l’universalité de la psychiatrie en lui offrant une expertise locale, ce changement
paradigmatique l’amène en effet à « se tourner vers de nouvelles formes d’autorité pour retrouver une
valeur universelle. » C’est bien cet écueil qui a amené l’ethnopsychiatrie française à une profonde
mutation au début des années 2000, la redéfinition des notions de relativisme culturel, d’universalisme
ou de culturalisme étant alors inévitables pour l’avenir et la pérennité de la discipline.
Le dernier point de critique de Richard Rechtman porte sur l’argument politique fréquemment
énoncé, qui voudrait que la défense des minorités passe nécessairement par « la reconnaissance de leurs
différences culturelles dans tous les espaces de l’action sociale ». D’un point de vue épistémologique,
c’est par exemple en luttant contre la théorie de la migration sélective, voulant que les individus étaient
malades antérieurement à leur migration, que la psychiatrie transculturelle a pu en partie se forger une
légitimité. Rechtman s’étonne alors que sous l’abord de ce combat légitime, l’on retrouve dans le
vocabulaire et le savoir-faire de la discipline un « conformisme social […] qui singe les nouveaux
modes de régulation et de contrôle politique des groupes minoritaires ». En installant des « cothérapeutes » faisant office d’experts culturels par exemple, s’instaure une certaine asymétrie de pouvoir
entre les différents acteurs du dispositif ethnopsychiatrique. Comme le résume Rechtman « c’est une
chose de reconnaître enfin la nécessaire représentativité des différents groupes ethniques qui composent
la société d’aujourd’hui […], c’en est une tout autre d’en déduire un égal besoin de représentativité au
sein du corpus théorique et clinique ». Autrement dit, il n’est pas certain que reconnaître le rôle d’une
malédiction familiale ancestrale dans les difficultés rencontrées par une jeune femme migrante, ce que
Rechtman désigne comme le « militantisme clinique » de Nathan, ne soit d’un grand secours à cette
dernière pour faire entendre sa voix ou faire respecter ses droits au sein de la société française.
3. La critique de Didier Fassin
Chez le sociologue Dider Fassin, la critique porte également sur l’abord sociopolitique de
l’ethnopsychiatrie, à travers la légitimité dont elle a rapidement joui du auprès des pouvoirs publics dans
les années 1990 (Fassin, 2000. 1999). Fassin observe ainsi avec crédulité l’influence grandissante auprès
du monde médical, universitaire et juridique de cette science renouvelée qui vise à apporter les outils
adéquats de compréhension des déviances comportementales et de la souffrance psychique
expérimentée par les populations immigrées et auxquelles les institutions hexagonales font alors face.
La réussite semble alors totale et Fassin note que « la compétence de l’ethnopsychiatrie paraît ainsi
devenue indispensable pour tout ce qui touche à l’immigration et même […] pour tout ce qui concerne
les différences socialement construites comme culturelles ». C’est donc une « sociologie de son
influence » que propose l’auteur, dans l’optique d’analyser les raisons de cette montée croissante de
« l’entreprise » ethnopsychiatrique.
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Fassin analyse tout d’abord les fondements profonds de l’ethnopsychiatrie prônée par Tobie
Nathan, retrouvant l’idée d’un « différentialisme radical qui fait de l’appartenance originelle, le plus
souvent énoncé en termes ethniques une dimension irréductible et immuable de la personne. » Le
réductionnisme culturel s’affirme en effet chez Tobie Nathan comme principe de base, lorsqu’il écrit par
exemple que « mettre un Soninké de trois ans né en France, bercé en Soninké, nourri au sein, massé à la
façon Soninké, le mettre à l’école et attendre de lui qu’il s’y adapte, c’est ne rien savoir du
fonctionnement psychique » (Nathan, 1994). Nathan milite en effet en faveur du cloisonnement des
cultures, ne croyant ni dans les capacités d’intégration, ni en celles de métissage, au point de se
positionner en faveur des ghettos : « dans les sociétés à forte émigration, il faut favoriser les ghettos,
afin de ne jamais contraindre une famille à abandonner son système culturel » (ibid). Dès lors, l’ordre de
compréhension du monde est assujetti à cette origine première, toute tentative de s’en départir signifiant
nécessairement une rupture identitaire insurmontable pour l’individu. Le relativisme culturel en matière
de diagnostique psychiatrique se forge donc sur un relativisme nettement plus global, touchant à
l’impossibilité même de s’affranchir de ses croyances et représentations originelles ou d’entamer un
dialogue entre deux cultures différentes.
Dans un second temps, Fassin évoque le réseau d’influence dont bénéficiait alors
l’ethnopsychiatrie, sous la forme d’un certain nombre d’alliances et de dispositifs d’action qui ont
concouru à
sa croissance. Sous couvert d’un discours de la « marginalité » soutenu par Nathan,
l’éthnopsychiatrie s’inscrit alors de plus en plus dans un réseau institutionnel et savant solide. Fassin
souligne ainsi que seulement 0,4% des consultations effectuées au Centre Georges Devereux en 1996
l’ont été du fait de la demande des personnes elle-mêmes. Loin de s’ancrer dans un élan éthique porté
par la demande des minorités, l’organe ethnopsychiatrique s’avère donc un excellent système de relai
pour les institutions confrontées à des situations complexes. On recense ainsi 44% de demandes venues
du Conseil général de Seine-Saint-Denis, 14% de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, 12% par l’Aide
Sociale à l’Enfance, 9% par des associations de prévention spécialisée ou encore 4% par les tribunaux.
La part importante prise notamment par les tribunaux, la protection de l’enfance ou la protection
judiciaire de la jeunesse démontre à quel point l’abord culturel proposé par l’ethnopsychiatrie se
positionne comme outil de lecture des souffrances ou déviances sociales et comme recours privilégié
pour une société malade de ses étrangers.
Fassin achève sa réflexion en s’arrêtant en détail sur la problématique politique et sociale posée
par l’existence de l’ethnopsychiatrie. En effet, selon l’auteur, la pratique transculturelle se positionne à
un endroit politiquement délaissé, celui des difficultés rencontrées par les minorités migrantes du point
de vue de l’accès au soin, de la représentation sociale de leur parole ou de leurs droits. Le sociologue
refuse cependant de penser que Nathan propose une « mauvaise réponse à une bonne question », sous la
forme du « culturalisme », soulignant le caractère tronqué de la question initiale. Alors que les premiers
ethnopsychiatriques tels que Devereux ou Roheim ont toujours clamé la différence existant entre
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psychisme et culture, mais aussi l’universalité qui préside au psychisme humain, Nathan réinvente un
modèle qui incorpore le psychisme dans la culture, au point de rendre le premier inobservable sans en
passer par la seconde. Ce « culturalisme radical » s’avère être le fondement principal de la pensée
ethnopsychiatrique et amène à ce que Fassin décrit comme quatre violences fondamentales faites aux
migrants : l’enfermement dans la culture qui prive les individus de leur universalité, l’interdit de la
diversité puisqu’une culture partagée viendrait nécessairement conformer des comportements et des
croyances individuelles, l’interdit de la rationalité et enfin l’effacement de la condition sociale. Le
migrant se voit ainsi relégué à une entité immuable et circonscrite à sa supposée culture, au sein de
laquelle se voit effacée la possibilité même de penser autrement que selon ses origines, de se départir
d’une matrice culturelle originelle portée sur l’ésotérisme et la pensée magique. Il convient alors de
suivre Fassin lorsqu’il interroge la nécessité de rappeler que « nombre de ces immigrés qui consultent au
Centre George Devereux vivent dans des logements surpeuplés et vétustes, sont confrontés à la précarité
de l’emploi et à l’incertitude des titres de séjour, font face à des situations de racisme ou de
discrimination ». Pour le sociologue, l’impossibilité de parler de sa condition sociale n’est pas
seulement niée par l’ethnopsychiatrie mais cette dernière représente une pratique « autour de laquelle
s’organise le silence », ce qui expliquerait sans doute en partie l’attrait des pouvoirs publics pour l’objet
ethnopsychiatrique.
Au total, Fassin rejoint Rechtman pour dénoncer l’organe politique influent que représente
l’ethnopsychiatrie de Tobie Nathan au cours des années 1990. Véritable lieu obligé lorsqu’il s’agit de
comprendre l’altérité et l’étrangeté des migrants dans le milieu des institutions publiques, cette pratique
abrite alors, sous un abord politiquement incorrect, un dispositif de contrôle et d’herméneutique de la
souffrance dont le fondement culturaliste occulte toute possibilité d’une prise en compte holistique de la
personne, réduite à son simple appareil culturel, dans sa version la plus caricaturale.
4. Critique du « mouvement des années 2000 »: de l’ethnopsychiatrie vers la
psychiatrie transculturelle
Il serait en tout point malvenu d’adresser à l’identique et quinze ans plus tard, les fortes critiques
qu’émettaient dans les années 1990 Didier Fassin et Richard Rechtman à l’égard de l’ethnopsychiatrie.
Force est de constater que les héritiers de Nathan, Marie-Rose Moro et Thierry Baubet en tête, se sont
largement affranchis de la parole d’un maître parfois trop envahissant, pour donner lieu à une pensée
nettement plus scientifique, et auréolée d’une volonté de réconciliation avec un certain nombre de
disciplines, parmi lesquelles la psychanalyse. Le libellé fut l’un des premières étapes du changement,
voyant la discipline passer du titre d’ethnopsychiatrie, ou ethnopsychanalyse, à celui de « psychiatrie
transculturelle ». Toute critique ne prenant pas en compte ce « mouvement des années 2000 », marqué
par une volonté de scientifisation, de refonte et de modernisation de la part des tenants de l’approche
culturelle des troubles psychiques apparaitrait ainsi scientifiquement inadéquate, voire malhonnête. Pour
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autant, il convient de noter qu’au-delà de la transmission d’une pensée vis-à-vis de laquelle
l’affranchissement n’est pas toujours aussi net que ce qu’il n’y paraît au premier abord, l’héritage d’un
réseau d’influence notable demeure la première force de la psychiatrie transculturelle, qui jouit d’une
possibilité d’écoute inégalée en France pour une théorie psychiatrique. Il convient donc de revisiter
l’observation critique, épistémologique et sociopolitique à l’égard de l’approche culturelle, en s’évitant
de lui reprocher des errements historiques qui ne correspondrait plus à son objet et sa pratique actuelle.
a. La rupture épistémologique : le complémentarisme réaffirmé
Au milieu des nombreuses publications signées par des membres du réseau de la psychiatrie
transculturelle depuis une quinzaine d’année, l’ouvrage collectif Psychiatrie et migrations, publié en
2003 sous la direction de Thierry Baubet et Marie-Rose Moro, offre le meilleur angle de vue pour
analyser ce renversement opéré au coeur de la discipline. Les fondements de la psychiatrie
transculturelle, décrite comme une « clinique de la modernité », y sont exposés par différents auteurs
comme principes de base de la discipline renouvelée (Baubet & Moro, 2003). L’un des enjeux premiers
des auteurs de l’ouvrage est de marquer les divergences radicales de points de vue avec Tobie Nathan et
sa vision particulière de l’ethnopsychiatrie, afin de décréter la naissance d’une discipline novatrice et
innovante. Pour Moro, « l’ethnopsychanalyse est une discipline nouvelle », si bien que « c’est pour
sortir du débat mal posé sur l’ethnopsychiatrie » qu’est proposé le terme de clinique transculturelle. Elle
écrit en ce sens à propos du Centre Georges Devereux et de Nathan : « nous sommes restés, nous nous
sommes appuyés sur ce que nous avions appris avec lui, puis nous avons progressivement modifié
certains paramètres théoriques et techniques ». Dès lors, la rupture est annoncée et un certain nombre de
concepts introduits par Nathan sont déconstruits au fil de l’ouvrage. Imprégnés des critiques émises par
les différents analystes de l’ethnopsychiatrie à la fin des années 1990, les psychiatres transculturels
s’attachent alors à se positionner clairement en contrepoint de ce dernier en ce qui concerne les
thématiques les plus polémiques.
Ainsi, la notion de « clôture culturelle », ce que Fassin désignait sous le terme de « culturalisme
radical », est clairement rejetée par ses élèves, si bien qu’il s’agit de proposer à l’exact inverse de ce que
prônait Nathan une « clinique du métissage ». Marie-Rose Moro évoque ainsi son « expérience clinique
tournée vers la seconde génération de migrants » pour introduire la nécessité du métissage. Point
d’achoppement important, puisqu’il s’agit alors de réfuter totalement l’immuabilité culturelle que
prônait l’ancien chef de service et qui apparaissait comme la clé de voûte de l’ensemble de sa pensée
clinique. Ainsi la critique du culturalisme est clairement énoncée, lorsque Moro par exemple écrit que
« la culture érigée en seul déterminant d’une manière d’être ou de penser conduit nécessairement à des
positions simplistes, décontextualisées dans le temps et l’espace et souvent à des préjugés qui ne
tiennent pas compte de l’aspect dynamique, mouvant et interactif de tout fait humain observé ». Pour
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autant, nous y reviendrons plus en détail, la critique inverse de l’universalité n’est jamais loin et la
crainte énoncée que la culture soit uniquement considérée comme « épiphénomène », « coloration
exotique sans valeur clinique voire épistémologique ».
Prise entre la nécessaire critique des positions de Nathan, qualifiées « d’excès », et le besoin de
se forger une identité renouvelée, la psychiatrie transculturelle se doit alors de réaffirmer ses racines
théoriques. Moro réaffirme en ce sens fortement la double appartenance de la psychiatrie transculturelle,
à la fois à la psychanalyse et à l’anthropologie médicale, lorsqu’elle écrit notamment que
« l’ethnopsychanalyse est […] une pratique d’orientation psychanalytique », une « perspective
complémentariste qui part de la psychanalyse et de l’anthropologie ». Le complémentarisme, prôné par
Devereux, s’écrit ainsi dans le dialogue entre ces deux disciplines phares. Encore une fois, on retrouve
une forte défiance à l’égard de Nathan, qui se positionnait justement à travers ce que Fassin dénommait
le « réseau négatif » contre les psychanalystes et, dans une moindre mesure, les anthropologues. Là où
Nathan construisait une discipline par rejet et marginalisation vis-à-vis de ces mêmes disciplines, les
psychiatres transculturels réaffirment une volonté forte d’affiliation à des corpus théoriques bien ancrés.
Les autres disciplines citées dans cet optique du complémentarisme transculturel sont la linguistique, la
philosophie, l’histoire ou encore la littérature. On peut d’ores et déjà s’étonner de ne pas y rencontrer la
sociologie et, dans une moindre mesure, explicable en partie par l’ancrage psychanalytique, d’autres
disciplines telles que les neurosciences.
Survient alors une première problématique épistémologique que Moro balaie au travers d’une
citation de Devereux, quant au statut de la psychanalyse dans la démarche transculturelle française. En
effet, comment ne pas envisager la psychanalyse comme une pratique culturelle traditionnelle, ce alors
que ses conditions d’émergence l’ont été dans un contexte culturel bien particulier à une époque donnée
et pourquoi lui donner une place privilégiée dans la prise en charge transculturelle? La Vienne de la fin
du XIXème et du début du XXème siècle semble pourtant représenter un cadre de naissance fortement
marqué par le milieu philosophique, on pense à la pensée de Nietschze, littéraire, les écrits de Schnitzler
ou de Zweig, médical ou encore politique de l’époque, sans qu’aucune certitude ne puisse être accordée
à la validité de la discipline dans d’autres cultures. Les critiques françaises lors de la naissance de la
psychanalyse fustigeaient d’ailleurs volontiers le caractère bien trop culturel de la « psycho-analyse »,
n’envisageant qu’avec ironie la possibilité qu’elle puisse correspondre aux esprits français (Régis &
Hesnard, 1914). L’universalité psychique, critiquée lorsqu’elle provient des tenants de la psychiatrie
biologique ou du DSM, sert alors de fer de lance à la légitimation de l’outil psychanalytique dans la
pratique transculturelle. Moro écrit en ce sens que la psychanalyse serait une sorte de « métathéorie »,
subsumant de par ce statut particulier l’ensemble des pratiques thérapeutiques traditionnelles. Il apparaît
ainsi étonnant de retrouver dans la littérature transculturelle une telle hiérarchisation des théories et
pratiques et une universalité prônée avec une telle assurance, ce alors que la problématique de
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l’universalité de l’inconscient a fait l’objet de débats importants au sein de la discipline. Ce d’autant que
la psychiatrie transculturelle base sa légitimité sur la prétendue inefficacité des dispositifs de soins
traditionnels pour la prise en charge psychothérapeutique des migrants. On peut lire ainsi que « dans le
dispositif en face à face, le matériel recueilli auprès des patients issus de société non occidentales, est
parfois pauvre » et que « l’alliance thérapeutique a du mal à se mettre en place », justement parce que le
« clinicien [est] pris dans ses propres cadres culturels » (ibid). Il faudrait tout d’abord interroger le fait
que l’argumentaire se base sur l’insuffisance de la technique psychanalytique, qui se verrait remise en
cause par la différence culturelle. Ceci devrait amener à discuter, sinon l’efficacité de la psychanalyse
de manière générale, du moins la pertinence de s’appuyer sur l’outil psychanalytique pour solutionner
un problème qui semble découler de la technique elle-même. On frôle ainsi l’argument tautologique en
décrétant dans un même mouvement l’inefficacité d’une technique et la solution adéquate,
correspondant à un simple remaniement de cette même technique.
L’ancrage théorique dans la psychanalyse et l’anthropologie, sous-tendue par un retour au
complémentarisme de Devereux dont Tobie Nathan s’était volontiers départi, s’accompagne d’un pas en
direction de la psychiatrie transculturelle américaine, éloignée à bien des égards de l’outil
psychanalytique. Entre ces deux inspirations divergentes et le difficile héritage de la technique
psychothérapeutique fondée par Nathan, le caractère hybride de la théorie proposée par Baubet et Moro
est à souligner. L’éclectisme de cette pensée « métissée et cosmopolite » inscrit la psychiatrie
transculturelle française comme un objet épistémologique inédit et singulier dont la multiplicité
théorique est affichée comme force principale. Reste cependant à interroger le caractère nécessairement
positif de cette volonté d’éclectisme au regard du risque de syncrétisme et d’incertitude qui peut
présider à une telle entreprise.
b. Un relativisme remanié mais toujours présent
Si la rupture épistémologique est bien réelle, du point de vue théorique tout au moins, l’héritage
de Nathan n’est en réalité pas complètement abandonné. La question du dispositif spécifique
notamment, qui n’était pas envisagé par Devereux, pourrait en effet faire débat, puisque l’abord
transculturel apparaît à première vue davantage comme un positionnement clinique à emprunter lors de
la thérapie que comme légitimation de création d’un dispositif d’action spécifique. Moro salue
cependant la création du dispositif ethnopsychiatrique de Bobigny, qu’elle dirige depuis plus d’une
dizaine d’années aujourd’hui. Au-delà des murs, la psychiatrie transculturelle a également hérité d’un
réseau fournie et d’une légitimité acquise dans l’espace publique et universitaire. Fort de ce legs, Baubet
et Moro peuvent aisément écrire que « la perspective transculturelle est en train de s’imposer comme un
passage nécessaire pour l’accueil et le soin des familles migrantes et de leurs enfants, mais aussi comme
un mode de réflexion sur la clinique générale de ce début de XXIème siècle, […] une clinique de la
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modernité. » Autoproclamée discipline d’avenir et incontournable, et force est de constater que son
empreinte en France lui donne raison, la psychiatrie transculturelle affiche des ambitions de grande
ampleur si bien que l’influence, que le discours plus scientifique rend moins aisément critiquable, se
veut toujours grandissante.
S’il s’agit à présent de dénoncer le culturalisme et l’idée même d’une « fixité culturelle », le
coeur de la théorie transculturelle conserve comme fondement principal le relativisme diagnostique,
appuyé sur celui remanié du relativisme culturel. La notion du relativisme survient assez rapidement
dans la pensée transculturelle, lorsque Thierry Baubet critique ainsi la tendance à « surestimer la
question de la fiabilité du diagnostic, en négligeant la question de sa validité transculturelle ».
L’argument provient du concept de category fallacy, proposé en 1977 par Arthur Kleinman, qui désigne
l’application à un groupe culturel de critères diagnostiques définis au sein d’une autre culture et dont la
validité transculturelle n’a pas été établie. Il ne s’agit plus tant de relativisme total, à l’égard des
catégories diagnostiques elle-même, que d’un relativisme superficiel qui interroge la fiabilité de l’acte
diagnostique en interrogeant ce « qu’une entreprise comme le DSM peut tolérer comme modifications et
comme relativisme ». Se mêlent alors diverses critiques, parmi lesquelles on retient celle portée contre
l’approche trop catégorielle prônée par le DSM ou une autre quant aux conditions dans lesquelles les
critères diagnostics ont été désignés. Pour Baubet encore, le constat est péremptoire lorsqu’il énonce
qu’« il est admis que le contexte peut invalider certains critères diagnostiques », si bien que « le
clinicien doit être bien conscient des biais introduits par sa propre appartenance culturelle en situation
d’examen, il n’est pas un être universel mais un homme singulier avec une identité individuelle ». On
oscille lors entre un rappel quelque peu naïf à l’individualité du thérapeute ainsi que de son patient et
une remise en cause assertive de la notion d’universalisme. Plus loin, « la culture intervient à la fois
dans la manière dont le patient va expérimenter ses symptômes, dans la manière dont il va les
communiquer au clinicien, dans la sélection de ceux qu’il va considérer comme graves ou bénins,
comme communicables ou devant rester cachés. ». On pourrait aisément remplacer le terme de
« culture » par celui de « personnalité », « d’histoire personnelle » ou encore « d’histoire familiale » et
tant d’autres encore sans faire perdre pour autant à cette phrase sa vérité première, qui veut que
l’expérience de la maladie, mentale ou non, soit toujours singulière et subjective. Les psychiatres
transculturels nous rappellent ainsi à la pensée de Canguilhem qui énonce qu’il n’existe pas de « science
sans conscience », que l’expérience du malade est avant tout ce qui prédomine dans tout phénomène
pathologique (Canguilhem, 1984). A maintes reprises est répétée l’idée que le diagnostic ne saurait être
universaliste, mais surtout, être déconnecté de l’expérience individuelle vécue par le sujet, ce en quoi
réintervient la pensée de Nathan. Pour Baubet les travaux ethnopsychiatriques amènent à considérer le
diagnostic comme un acte qui s’intéresse « à l’expérience du sujet demandant des soins ». Louable
prière que l’on peine cependant à entrevoir lorsqu’il s’agit d’évoquer dans la revue de référence par
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exemple « les cliniques de l’Asie », entités diagnostiques culturelles qui englobent d’un seul
mouvement l’ensemble de populations entières. Et encore faut-il interroger le poids à donner à la culture
dans ce qui relève de l’expérience de la maladie et du champ des « savoirs profanes » ainsi que la
signification de la mise en perspective unique de la représentation culturelle pour les populations
migrantes. La conscience et la connaissance qu’a le malade de sa maladie sont bien évidemment à
prendre en compte dans la prise en charge thérapeutique et la compréhension de l’individu que l’on
rencontre, peu de psychiatres se permettront de le nier. Ainsi, comme le dit Fassin,
« qu’en effet, il y ait, en France, comme dans tous les pays du monde, des étrangers et
des immigrés, et même des indigènes de plus ou moins longue généalogie nationale,
dont les référents culturels sont différents; que ces étrangers, ces immigrés, ces
étrangers et ces indigènes de diverses origines aient des manières distinctes d’exprimer
leurs symptômes, et dans une certaine mesure de se soigner, et qu’une attention à cette
diversité soit nécessaire, l’ethnopsychiatrie est appeler à le rappeler ».
Pour autant, il n’est pas certain que ce principe suffise à s’adonner à une remise en cause
profonde de données scientifiques validées et répétées et à nier en partie dans le même temps la
vulnérabilité psychique majeure à laquelle sont confrontées les migrants, en les assignant à une essence
culturelle qui viendrait expliquer leurs comportement individuels. Rappelons à nouveau qu’avant de
s’inscrire dans l’expérience individuelle du malade, la pratique transculturelle conserve sa forte
implantation dans un réseau de soin basé sur des orientations venues des institutions publiques (école,
tribunaux, aide sociale, services d’urgences…) mises en difficulté par l’altérité des migrants et de leurs
descendants. Il est alors assez étonnant de retrouver dans la rhétorique transculturaliste le discours
relativement itératif de la marginalité et de la vérité que certains ne voudraient pas voir, accusés de
refuser à tout prix au nom de « l’ethnocentrisme des nosologies occidentales ».
On entrevoit également assez mal comment le biais diagnostique pourrait autant intervenir dans
les secondes, voire les troisièmes, générations de migrants, dont l’appartenance culturelle subit, par les
mouvements d’intégration et de discrimination, des remaniements complexes qui ne permettent plus
d’assigner l’individu à un essentialisme culturel aussi réducteur que celui auquel se voient réduites les
nouveaux arrivants. De plus, circonscrire les personnes à une culture ethnique, revient à omettre trop
aisément que la culture s’étend à un ensemble d’autres champs du patrimoine personnel. Les histoires
cliniques fréquemment citées de ces femmes burundaises, sénégalaises ou encore camerounaises se
retrouvent sans doute par certaines croyances ancestrales, mais aussi parce qu’elles sont femmes,
précaires, dans un environnement social volontiers hostile ou négligeant. Pour autant, rappeler à
l’individualité de chacune revient à dire que chacun subsume à sa manière cette appartenance commune,
sans ôter l’idée qu’une femme albanaise migrante en France partagera avec elles sa condition féminine
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et de migrante. Il convient ainsi de s’arrêter sur une remarque du philosophe Hervé Marchal qui écrit
que « les identités culturelles peuvent être considérés comme des ressources identitaires […] l’une
d’entre elle peut devenir quasi hégémonique dans les destinés personnelles, comme cela arrive parfois
dans des contextes sociaux spécifiques en pénurie d’alternatives identitaires… » (Marchal, 2012). La
précarisation et l’exclusion, comme le montre aisément les problématiques politiques et sociales
actuelles autour de la migration et de l’intégration, favorisent une certaine forme de raidissement
identitaire. S’attacher ainsi à mettre au coeur d’une problématique personnelle ou familiale complexe
cette identité culturelle précise, ne reviendrait-il alors pas à s’appuyer précisément sur ce phénomène, au
risque de le majorer et d’inscrire définitivement les relais identitaires autres à un inatteignable second
plan? Gageons que la pensée théorique autour du métissage suffise à éviter cet écueil, rendu saillante
par la grande difficulté qu’ont les psychiatres transculturels à intégrer la problématique sociale au cœur
de leur pensée, malgré la volonté affichée de ne pas la laisser de côté. Un regard analytique sur les
articles proposés dans la revue l’Autre montre qu’en plus de dix ans d’existence, les problématiques
sociales et politiques rencontrées par les migrants n’y ont jamais été traitées de manière approfondie,
autrement que sous l’angle de la culture ou d’une certaine psychologisation des phénomènes.
Autre remarque, d’ordre à la fois sociologique et épistémologique, quant à un certain
folklorisme transculturel qui semble s’intéresser avant tout aux cultures exotiques africaines, si bien
qu’il est souvent question dans les études de cas ou les questionnements théoriques de patients
originaires d’Afrique subsaharienne ou du Maghreb. Aminata, « femme wolof de Dakar », fait place à
Mme N., « d’origine burundaise », puis encore une « patiente camerounaise de 27 ans » ou une nouvelle
« patiente sénégalaise de 60 ans ». On s’étonne ainsi de n’entendre que très peu parler des migrants
issus d’Europe de l’Est et notamment des Balkans, qui représentent la majeure partie des personnes
immigrés arrivées en France au cours de la dernière décennie, dont les particularités culturelles semblent
moins intéressantes pour la psychiatrie transculturelle que celles des personnes originaires d’Afrique.
Cette manière d’opérer loin d’être anodine, répond en partie à l’histoire de l’ethnopsychiatrie, fondée
sur les travaux de l’école de Fann dans les années soixante, située à Dakar et dirigé par le Dr Collomb,
dans un contexte colonial établi. Fassin évoque ainsi une « ethnopsychiatrie post-coloniale » qui, si elle
s’est grandement démarquée de ses racines peu glorieuses, n’en demeure pas moins nécessairement
redevable aux travaux initiaux et à une manière de faire de la psychiatrie en contexte transculturel qui
lui a valu sa légitimité première. Car les travaux empiriques ou scientifiques sont finalement assez peu
nombreux, et les « découvertes » ethnopsychiatriques se doivent de rendre compte de réalité préénoncées, à savoir encore une fois que le diagnostic chez des patients migrants est incertain.
« L’influence qui grandit » comme la nomme Fassin semble se baser finalement davantage sur des
positions théoriques fermes, assorties de quelques résultats dont la validité n’est pas toujours assurée et
jamais répétée, que sur des découvertes innovantes qui amèneraient vers davantage de connaissances.
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L’écueil semble définitivement atteint, lorsqu’est proposé l’idée d’une construction sociale du trouble
mental, amenant certains à auteurs à postuler que les migrants étiquetés comme malades chez nous
seraient considérés comme sorciers ou guérisseurs dans leur pays. Réal et al. écrivent en ce sens qu’ « il
n’est pas rare que les guérisseurs traditionnels soient des psychotiques stabilisés : leur accession à cette
fonction est culturellement organisée et traitée en radicalisant leur altérité ». De la dépression cachée ou
du syndrome de stress post-traumatique complexe sous un abord de discussion diagnostique tout à fait
pertinente, à la maladie qui n’en est pas, sous le prisme d’un relativisme nettement plus général sur la
notion de maladie mentale et proche des travaux de Szasz (Szasz, 1974), le pas est parfois rapidement
franchi. Postuler un tel relativisme revient à s’éloigner non seulement de la souffrance et de l’expérience
des personnes rencontrées mais aussi à nier la réalité de nombreux malades mentaux dans un certain
nombre de pays en voie de développement, où la stigmatisation et la méconnaissance peuvent mener à
des tragédies telles que ces personnes enchaînées dans des villages reculés décrites par nombre de
psychiatres de pays en voie de développement.
Au total, la psychiatrie transculturelle se construit depuis une quinzaine d’années comme un
objet théorique et clinique singulier, dont les fondements ont correspondu à une rupture
épistémologique avec l’ethnopsychiatrie de Nathan, au prix d’affiliations renouvelées avec d’autres
disciplines. A s’amarrer à différents champs théoriques contradictoires, la psychiatrie transculturelle se
confronte au risque d’un syncrétisme majeur, camouflé sous les atours d’un éclectisme valorisé par ses
auteurs. Un exemple édifiant est le cas de l’ethnopsychopharmacologie (sic), à laquelle un chapitre
entier est consacré dans l’ouvrage fondateur de 2003 et qui se voit vertement critiquée dans un article
datée de 2008 dans la revue l’Autre. Cette anecdote démontre toute la difficulté qui advient lorsqu’il
s’agit de dénoncer à tout prix les préjugés et le « racisme institutionnel » dont serait gangrénée la
psychiatrie moderne sans tomber dans la catégorisation selon l’origine. Remettre pour se faire la culture
au coeur de la réflexion clinique peut amener à des écueils malheureux, liés au fait que prendre en
compte la différence culturelle confronte rapidement à la critique de l’universalisme et au retour d’une
classification ethnique pourtant rejetée. De même, construire une discipline sur un certain rejet de la
« science normale » (Kuhn, 1967) occidentale tout en s’offrant une caution scientifique universitaire,
amène à un grand écart difficilement soutenable sur le long terme. La critique de l’universalisme, accusé
de provenir de la psychiatrie biologique américaine, est l’occasion d’instaurer un relativisme culturel à
l’égard de tout ce qu’elle peut produire, sans imaginer un seul instant qu’elle puisse recourir des
conclusions proches de celles des psychiatres transculturels français.
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5. Problématique des liens entre schizophrénie et migration
Au coeur de cette refonte importante, la problématique des liens entre psychose et migration
demeure pour les ethnopsychiatres, notamment français, un point de critique majeure des travaux
internationaux menée par l’evidence based-medecine. En effet, l’on retrouve très fréquemment le refus
d’associer d’un point de vue causal psychose et migration, les travaux critiques à l’égard des données
des méta-analyses étant même le plus souvent cités comme vérités sur le sujet. On peut ainsi lire dans
différents articles co-écrits par Marie-Rose Moro qu’il existe une « surreprésentation d’hypothèses de
psychose pour des patients qui ne le sont pas » (Réal, Cohen, Koumentaki & Moro, 2014), ou dans un
autre que « les situations transculturelles […] sont sujettes à des erreurs diagnostiques avec une
surestimation des psychoses parmi les migrants ou les minorités » (Bouaziz et al., 2013).
Dans une revue de la problématique publiée en 2009 (Baubet et al., 2009) puis en 2012 dans un
ouvrage collectif (Daléry et al., 2012), les ethnopsychiatrie français distinguent trois critiques
principales aux études internationales:
• stabilité du diagnostic
• validité transculturelle
• simplification de la migration
Le discours initial est donc celui d’une critique, fondée en soi, des études internationales et des
résultats des deux méta-analyses, rapidement transformé en un relativisme diagnostique assez évident
lorsqu’ils écrivent que « la psychiatrie transculturelle nous enseigne qu’il n’y a aucune variable
mesurable naturelle connue à ce jour dans le champ de la psychiatrie ». Nous ne reviendrons pas dans
cette partie sur les limites à émettre quant aux critiques énoncées par les psychiatres transculturels, pour
s’attacher à comprendre les alternatives proposées par ces derniers.
Tout d’abord, le concept de « traumatisme migratoire » est fréquemment utilisé pour défendre
l’hypothèse de l’état de stress post-traumatique ou de la dépression. La particularité de la
symptomatologie dépressive chez les populations non-occidentales est ainsi rappelée, sous la forme de
référence aux travaux d’Henri Collomb notamment qui décrivait sous l’appellation « masque noire de la
dépression » l’existence de davantage de symptômes somatiques et psychotiques dans les dépressions au
Sénégal. Les psychiatres occidentaux verraient ainsi moins aisément les tableaux de trouble de l’humeur
et post-traumatiques chez les migrants, du fait de la coloration culturelle donnée aux symptômes, avec
une prépondérance de troubles d’ordre psychotique. Le syndrome de stress post-traumatique complexe
est ainsi cité du fait de sa symptomatologie protéiforme, comprenant des éléments dissociatifs ou
hallucinatoires, ainsi que des modifications profondes de la personnalité. Il s’agit alors d’insister sur la
phase pré-migratoire, période généralement liée à des traumatismes complexes, qu’il s’agisse de
traumatismes de guerre, sexuels ou encore familiaux, puis sur le caractère traumatique de la
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confrontation avec une culture d’accueil profondément différente. Si cet argument est recevable pour les
migrants de première génération et explique sans doute une part importante de la psychopathologie liée
à la migration, il s’avère nettement moins évident pour la seconde génération, qui n’a connu aucune de
ces deux phases. Ensuite, la disparité dans les résultats retrouvés indique que toutes les migrations ne
sont pas à risque et que davantage que les évènements antérieurs, sans nier nullement leur rôle, ce sont
les conditions post-migratoires qui agissent comme déterminants principaux du risque psychotique.
On s’étonnera de plus que dans les critiques faites aux travaux sur les liens entre schizophrénie
et migration, les ethnopsychiatrie français reprochent le manque de prise en compte des conditions de
migration (forcée ou choisie), ce alors que la théorie ethnopsychiatrique se détourne en grande partie des
questions psychosociales, puisqu’avant tout la culture interviendrait dans la question diagnostique. Une
étude de Johns, portant sur les hallucinations dans les différentes ethnies en Angleterre, est ainsi
systématiquement citée. Or ce dernier n’a nullement pris la peine d’ajuster d’autres facteurs de risque
tels que la discrimination ou l’exclusion sociale, dont plusieurs études ont montré les effets du point de
vue des symptômes hallucinatoires. Ainsi, alors qu’on pourrait proposer l’hypothèse que les afrocaribéens présentent davantage d’hallucinations du fait de leur condition discriminée, cette dernière
n’est nullement prise en compte, au prix d’une essentialisation des symptômes qui voudraient que les
afro-caribéens soit plus enclins à présenter des symptômes hallucinatoires, ce qui serait un fait d’ordre
culturel à connaître de la part des psychiatres occidentaux.
Ainsi Baubet écrit-il à la fois que « les épisodes psychotiques brefs et de bon pronostic sont
fréquents en situation transculturelle, et ils peuvent correspondre à une tentative de réaménagement
identitaire » mais propose « de ne pas assigner à ces patients un diagnostic de psychose dès le premier
épisode ». Il s’agit ainsi de valider l’idée d’une vulnérabilité à la psychose, fut-elle d’expression brève et
de bon pronostic, tout en la réfutant dans la phrase suivante. Les psychiatres trasnculturels se retrouvent
alors volontiers contradictoires au cœur d’un paradigme qui assène des vérités dont il devient difficile
de se départir.
6. Conclusion
Il convient donc de rejoindre les ethnopsychiatres sur un point en particulier, à savoir que la
maladie s’ancre avant tout dans l’expérience individuelle d’un sujet, qu’elle infiltre un réseau de savoirs
et de représentations propres à chacun. Pour ce faire, il convient de se porter sur la souffrance ressentie,
d’observer la vulnérabilité psychopathologique à laquelle font face les migrants, avec l’honnêteté
scientifique qui sied à un phénomène si inquiétant auquel Craig Morgan assigne volontiers le titre de
« tragédie de santé publique » ou Jean-Paul Selten « d’épidémie de psychose ». Nier l’idée même d’une
vulnérabilité psychique des migrants dans les sociétés occidentales, portée pour diverses raisons
étiopathogéniques, à l’endroit de la psychose, au nom d’un relativisme diagnostique finalement peu
argumenté scientifiquement, n’apparaît pas comme une position éthique ou déontologique d’un point de
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vue médical. Que la culture intervienne dans l’expérience du sujet, qu’elle teinte en partie les
symptômes observés, que les concepts d’ethnicité ou de migrants utilisés dans les études soient au
mieux à expliciter davantage, à questionner en profondeur, voire à abolir au profit de termes plus
adaptés à la réalité de ce qu’ils recoupent, notre travail est loin de le nier. Pour autant, l’introduction des
notions culturelles dans l’acte diagnostique ou thérapeutique, au nom de la prise en compte de
l’individualité, ne doit aucunement amener à recourir à un réductionnisme culturaliste qui nierait
justement l’expérience individuelle d’un sujet dont la culture ne représente qu’une part dynamique de
l’identité. De même, s’adonner à un relativisme scientifique, fut-il de surface, ne doit en aucun cas
annihiler, au nom de principes hérités d’une pratique professionnelle dont les assises sont hautement
contestables, la possibilité d’entendre et d’observer un phénomène de santé publique qu’il convient de
considérer comme ce qu’il est, à savoir en enjeu majeur pour les psychiatres et les pouvoirs publics
contemporains. Il n’existe aujourd’hui aucune preuve scientifique consistante que le phénomène du
biais diagnostique puisse expliquer à lui seul les risques relatifs de psychose observés chez les migrants,
tandis que les travaux menés depuis maintenant plus de soixante-dix ans concordent de manière
univoque pour désigner, et dénoncer, la vulnérabilité des migrants au sein des sociétés occidentales.
Comme le disent Selten et Hoek, tout se passe comme « s’il fallait que les migrants soit épargnés du
diagnostic stigmatisant de schizophrénie » en lui préférant celui de trouble bipolaire ou de trouble de
l’humeur (Selten & Hoek, 2008). Force est de constater au fil des études, qu’il existe une vulnérabilité
psychopathologique partagée par les migrants, d’autant plus marquée qu’existe un phénomène de bonne
santé à l’arrivée (le healthy immigrant effect précédemment cité), vulnérabilité qui tend à se porter du
côté de la psychose non-affective, et que partir de cette réalité scientifique n’empêche nullement
d’accéder à l’expérience individuelle et à l’identité culturelle de la personne. L’enjeu s’avère
aujourd’hui de mieux comprendre les causes précises de cette augmentation du risque de psychose au
sein des populations migrantes, afin de pouvoir lutter efficacement contre ce phénomène de santé
publique duquel la France n’est nullement épargnée (Amad et al., 2013). La critique de la psychiatrie
transculturelle française se doit alors d’être double, tant du point de vue des fondements
épistémologiques de la discipline, mais également des conséquences sociopolitiques qu’elle peut avoir
pour les personnes migrantes vulnérables dont elle a fait son terrain d’expertise et de recherche. Notre
travail a tenté de s’inscrire dans cette double critique, en tenant compte des modifications auxquelles la
discipline s’est astreinte dans les suites d’une première vague de critiques dans les années 1990.
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C. Vers la psychiatrie sociale
1. Histoire et concepts
Née au sortir de la seconde guerre mondiale au Royaume-Uni, la psychiatrie sociale trouve dans
la désinstitutionnalisation et le contexte particulier de l’après-guerre que connaît à l’époque la
psychiatrie européenne le terreau propice à son expansion et l’introduction d’idées novatrices au sein de
la discipline. Ainsi, dès 1946, l’Association Médico-Psychologique Royale comprend une section
intitulée « Psychothérapie et Psychiatrie Sociale ». Sous l’impulsion des psychiatres Maxwell Jones et
Tom Main, les premiers travaux s’intéressent à l’impact des types d’organisation sociale sur la santé
mentale des individus, amenant aux premières expériences de « communautés thérapeutiques ». C’est
donc en Angleterre que se mettent en place les principes de la psychiatrie sociale moderne, avec la
création en 1964 à Londres de l’Association Internationale de Psychiatrie Sociale, qui deviendra par la
suite l’actuelle Association Mondiale de Psychiatrie Sociale (World Association of Social Psychiatry WASP), sous l’impulsion de Joshua Bierer, psychiatre d’origine autrichienne ayant fui le nazisme pour
rejoindre l’Angleterre en 1938. Avec un certain nombre d’autres psychiatres européens, il organise le
premier Congrès mondial de psychiatrie sociale, qui est l’occasion de définir les enjeux de cette
discipline nouvelle. Bierer devient pour quatre ans le premier président de la WASP, suivi par Jules
Masseman, Vladimir Hudolin et George Vassilou, pionniers dans l’avènement de la psychiatrie sociale
au cours des années 1960-1970. Le second congrès de l’association se tient de nouveau à Londres en
1969, avant que les années 1970 ne le voit s’exiler dans d’autres pays européens puis sur d’autres
continents, ce qui favorise alors l’ouverture de la psychiatrie sociale en dehors du Royaume-Uni et du
monde anglo-saxon. Les différents congrès eurent en effet lieu en Croatie en 1970 et 1976, à Jérusalem
en 1972, à Athènes en 1974 ou encore à Lisbonne en 1978.
L’année 1973 voit la création de la section « Psychiatrie Sociale et Communautaire » du Collège
Royal de Psychiatrie, lui-même créé deux ans plus tôt. L’organisation de ce laboratoire inédit de
psychiatrie sociale se répartit alors en trois aspects principaux que sont : une unité dédiée à
l’organisation des soins communautaires, une seconde au développement d’un travail de partenariat
avec les professionnels du monde médico-social et du social dans une optique de prévention, ainsi
qu’une dernière section dédiée à la recherche et l’enseignement autour des aspects sociaux des
pathologies mentales, à des fins notamment épidémiologiques. Ce triptyque initial résume les concepts
généraux de la psychiatrie sociale qui s’intéresse dès ses débuts aux différentes modalités d’interactions
entre individu et environnement social dans le cadre de la santé mentale.
Malgré la pérennité de la WASP depuis plus d’une cinquantaine d’années, l’intérêt grandissant
pour la psychiatrie biologique au cours des années 1980 et 1990 a suffisamment impacté celui pour la
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psychiatrie sociale, notamment aux Etats-Unis, pour que le nombre de publications médicales sous
l’abord psychosocial ait plutôt tendu à diminuer à cette époque après une période d’expansion
croissante. La WASP a ainsi rencontré un certain nombre de difficultés, financières notamment, qui
l’ont amené à diminuer le nombre de congrès dans les années 1980 et, plus marquant encore, à devoir
annuler celui de 1988 par manque de budget. La légitimité de la psychiatrie sociale a été mise en péril
dans son berceau même, avec un appauvrissement croissant des moyens universitaire alloués aux unités
de recherche qui lui étaient affiliées en Angleterre. Malgré ces effets collatéraux, la psychiatrie anglaise
n’a pas été affectée aussi fortement que d’autres pays par l’arrivée des deux grandes révolutions qu’ont
été la psychanalyse puis la psychiatrie biologique, ce qui a permis à la psychiatrie sociale de conserver
une place à part entière dans la psychiatrie d’outre-Manche. Leff explique également cette vitalité par
l’approche clinique des unités psychiatriques du Royaume-Uni, qui ont toujours réservé aux
interventions à domicile et dans la communauté une place privilégiée au sein de leur pratique
quotidienne (Leff, 2010).
En France, la psychiatrie sociale n’est jamais parvenue à s’imposer comme une discipline de
haut rang au milieu d’autres courants. L’Association Française de Psychiatrie et de Psychopathologie
Sociales (AFPPS), créée en 1975 sous l’impulsion de Paul Sivadon, n’a ainsi jamais joui d’une écoute
aussi importante que d’autres courants et n’apparaît pas comme majeure dans l’histoire de la psychiatrie
française. Pour autant, la France n’a pas été totalement à l’écart du mouvement européen et mondial
autour de la psychiatrie sociale. Ainsi, le Neuvième Congrès Mondial de Psychiatrie s’est tenu en juillet
1982 à Paris, sous l’impulsion du psychiatre Pierre Jean et l’AFPPS a organisé en avril 1991 en Congrès
Européen de psychiatrie sociale à Toulouse puis en 1995 un second à Marseille. Sous l’impulsion des
psychiatres Jean de Verbizier et Pierre-François Chanoit, un certain nombre d’ouvrages sont édités entre
la fin des années 1980 et le début des années 1990 autour des problématiques questionnées par la
psychiatrie sociale, allant de l’épidémiologie psychiatrique, à la recherche en psychiatrie sociale, en
passant par la psychopathologie liées aux changements sociétaux (Chanoit & De Verbizier, 1995; 1991;
1986; 1985). L’ouvrage pionnier daté de 1985, Informatique et épidémiologie psychiatrique, visait
notamment à introduire l’intérêt de la démarche épidémiologique dans la recherche et la clinique
psychiatrique hexagonale. Force est de constater que l’article de Chanoit en 1995 titré L’avenir de la
psychiatrie sociale n’a pas donné lieu, avec l’entrée dans le XXIème siècle, à une pérennisation en
France de cette branche de la discipline à la hauteur de ce qu’espérait ces défenseurs au milieu des
années 90. Il est à noter cependant que l’Association Croix-Marine, regroupant un certain nombre
d’associations et d’institutions de la santé mentale, est porteuse depuis plusieurs décennies du courant
de la psychiatrie sociale en France (Arveiller et al., 2002). Le caractère non universitaire de cette
démarche clinique et associative démontre cependant toute la difficulté existante à faire entendre la
légitimité de la psychiatrie sociale dans la recherche en psychiatrie. De plus, la place prise dans la
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psychiatrie de secteur par la psychanalyse, notamment suite aux travaux de Jacques Lacan, la
psychothérapie institutionnelle, ou plus récemment l’ethnopsychiatrie et la psychiatrie transculturelle
ont toujours relégué le social à un déterminant réel mais non principal de la santé mentale, au profit
d’une « psychiatrie clinique » s’attachant davantage à la psychopathologie individuelle qu’à la santé
mentale des populations. De ce fait, la méthode épidémiologique a beaucoup été critiquée ou sousestimée par un certain nombre d’auteurs français, ce qui n’a pas favorisé l’apport de la psychiatrie
sociale dans la démarche psychiatrique hexagonale. Il est à ce titre intéressant de noter que l’actuelle
Association Française de Psychiatre Sociale est une branche de l’Association Françoise et Eugène
Minkowski, dont l’approche répond principalement aux théories psychanalytiques et transculturelles, ce
qui l’éloigne en grande partie de la psychiatrie sociale anglo-saxonne.
Les réflexions sur le lien social et ses effets psychopathologiques ne manquent cependant pas
dans la littérature française, si bien qu’il serait faux d’écrire que le social n’a jamais intéressé les
psychiatres
et
psychopathologues
français,
ce
d’autant
plus
que
le
mouvement
de
désinstitutionnalisation d’après-guerre a amené à d’importantes réflexions au sujet des liens entre
psychiatrie et société. Pour autant, l’abord du social a souvent concerné des réflexions générales sur la
manière de faire société, croisant des approches sociologiques, anthropologiques et psychodynamiques,
dont les troubles présentés par les patients seraient une sorte d’issue finale. La méthode
épidémiologique n’a presque jamais été favorisée dans l’approche psychiatrique française au profit
d’une conceptualisation empirique qui voit dans les trajectoires individuelles des patients rencontrées
une sorte de miroir grossissant des réalités sociales et des changements sociétaux observés au fil de
l’histoire. La thématique des « nouvelles pathologies » ou des « formes nouvelles de la souffrance
psychique » prend ainsi une place non négligeable dans la littérature française, dans un certain nombre
d’écoles de pensées différentes. Dans son analyse du phénomène Alain Ehrenberg, évoque une manière
de passer « du pathogène au normatif » qui voit les psychiatres s’octroyer des capacités dans l’analyse
des phénomènes sociaux, sans s’interroger pour autant quant à la méthode utilisée pour mener cet abord
sociologique (Ehrenberg, 2010).
Les auteurs contemporains définissent la psychiatrie sociale comme la discipline s’intéressant
aux « effets de l’environnement social sur la santé mentale des individus ainsi qu’aux effets de la
personne souffrant d’un trouble psychiatrique sur son environnement » (Leff, 2010). Conformément aux
fondements historiques, la psychiatrie conserve un triple abord de la problématique des liens entre
environnement social et santé mentale. Tout d’abord, il s’agit de caractériser le rôle des facteurs sociaux
dans l’épidémiologie psychiatrique, la genèse et l’apparition des pathologies mentales. Le second volet
concerne l’accès aux soins, les trajectoires de soins et les thérapies orientées en direction de
l’environnement social tels que les thérapies communautaires, tandis que le dernier volet s’intéresse à la
place donnée aux personnes atteintes de pathologie mentales dans la société, dans l’optique notamment
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de diminuer la stigmatisation. L’environnement social est ainsi envisagé comme un ensemble complexe,
comprenant les différents systèmes, institutions ou individus, présents autour de l’individu et pouvant
influer sur ses conduites, son accès aux soins ou son état de santé, allant de la culture, décrite comme la
part la plus externe, jusqu’à la famille proche, en passant par les collègues, les voisins ou encore le
cercle amical. Si la psychiatrie sociale n’est pas la seule à s’intéresser à l’environnement familial ou
social d’un individu, c’est davantage sa méthode de compréhension des phénomènes sociaux qui la
démarque de la psychologie sociale ou d’autres sciences de l’homme et de la société. En effet,
l’épidémiologie apparaît comme la méthode principale de la discipline, sous la forme d’études de
cohortes ou d’études cas-témoins notamment, laissant également la place aux méthodes qualitatives.
L’abord n’est en effet pas celui de l’étude de cas, comme peut le faire la psychanalyse, par exemple.
Cette particularité méthodologique n’empêche en rien la psychiatrie sociale d’interagir avec un certain
nombre de disciplines telles que la psychologie sociale, la sociologie, les sciences cognitives, les
neurosciences sociale ou encore l’anthropologie sociale. Le travail commun est encouragé, en vue
d’appréhender au mieux le rapport complexe existant entre environnement social et santé mentale. En
effet, si la dichotomie est souvent soulignée entre psychiatrie biologique et psychiatrie sociale, cette
dernière n’a pas vocation à remettre en causes les découvertes neurobiologiques en matière de santé
mentale. Sivadon écrivait en ce sens dès 1985 que « la psychiatrie sociale ne s’oppose pas à la
psychiatrie biologique: elle en est la contrepartie obligée. L’une sans l’autre se pervertirait rapidement »
(in Chanoit & De Verbizier, 1985).
2. Intérêts
Les arguments ne manquent pas pour souligner l’intérêt de la psychiatrie sociale dans l’optique
d’une meilleure compréhension des pathologies mentales et de leurs interactions avec l’environnement
social. Qu’il s’agisse du rôle de ce dernier dans la genèse et l’étiopathogénie des troubles, de son impact
sur leur évolution ou encore des conséquences de la prévalence des pathologies mentales sur la société
et le lien social, les perspectives de recherche et de réflexions sont excessivement nombreuses. Il serait
impossible de recenser dans ce travail l’ensemble des perspectives et challenges offert par la psychiatrie
sociale, dont l’ouvrage Principles of Social Psychiatry, coordonné par Craig Morgan et Dinesh Bughra
offre un aperçu exhaustif (Morgan & Bughra, 2010).
a.
Epidémiologie des troubles psychiatriques
Au-delà d’un prétendu déclin du lien social ou malaise dans la société, dont la réalité
sociologique a largement été contestée par Alain Ehrenberg notamment, les effets psychopathologiques
de l’environnement social s’avèrent être un passionnant terrain de recherche. En effet, il convient de
dépasser l’argumentaire, finalement assez peu documenté, d’une modification de la clinique
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psychiatrique apparue ces dernières années en lien avec un défaut ou une modification de structuration
de la société, pour s’intéresser davantage aux conséquences réelles de la précarité, de la pauvreté ou de
l’adversité sociale sur la santé mentale des individus.
Tout d’abord, la forte prévalence d’un certain nombre de pathologies mentales en fait une
problématique de société importante, en ce qu’elles représentent une morbidité majeure en terme de
coût humain et financier. La forme sociale d’une part non négligeable des symptômes psychiatriques et
leur forte prévalence suffiraient ainsi à légitimer l’intérêt d’une psychiatrie portée sur l’environnement
social des personnes atteintes de troubles mentaux.
Dans le domaine épidémiologique, un certain nombre de recherches ont apporté des pistes
concernant le rôle des facteurs socio-économiques dans différentes pathologies mentales, telles que la
schizophrénie, la dépression, les troubles anxieux ou addictifs mais aussi les troubles de personnalité.
Les effets pychopathologiques de l’adversité sociale sur la santé mentale apparaissent dès l’enfance et
l’adolescence, cette dernière étant responsable d’une moins bonne santé mentale chez les jeunes
appartenant à des populations précarisées. La problématique des liens entre facteurs socio-économiques
et santé mentale permet d’introduire le débat entre « théorie de la dérive sociale » (social drift theory) et
« théorie de la causalité sociale » (social causation theory)(Perry, 1996; Hurst, 1992). Le rapport
évident entre inégalités sociales et pathologies mentales pose en effet la question de savoir si les
pathologies mentales trouvent une partie de leurs causes dans des conditions de vie précaire ou si la
vulnérabilité psychique et les troubles mentaux favorisent le regroupement d’individus à risque dans des
zones géographiques défavorisées. Si les études épidémiologiques peinent à trancher cette question du
fait de la difficulté à analyser ces phénomènes dans leur composante temporelle, les travaux en
neurosciences tendent à apporter des arguments en faveur de la théorie de la causalité sociale, en
démontrant l’existence d’effets neurobiologiques et cognitifs de l’adversité sociale, marqueurs de risque
de morbidité ultérieure. Les effets neurocognitifs de l’adversité sociale sont aujourd’hui partiellement
connus et démontrent l’existence de conséquences objectivables des conditions socio-économiques des
individus et de leur famille sur leurs capacités cognitives et leur fonctionnement cérébral. De plus, les
travaux sur l’interaction environnement x environnement sont également en faveur de cette théorie, la
potentialisation précédant l’entrée dans la maladie des différents facteurs défavorables venant signifier
leur antériorité sur la survenue des troubles. Enfin, les études ayant démontré la prépondérance de cas de
personnes à haut risque de psychose dans des quartiers défavorisés (Kirkbride et al., 2014) sont en
défaveur de la théorie de la dérive sociale.
b. Méthodes de recherches
La volonté d’appréhender la complexité des liens entre santé mentale et environnement social a
démontré au cours des dernières décennies toute la difficulté qui advient lorsqu’il s’agit de circonscrire
ce dernier en vue d’analyser ses prétendus effets psychopathologiques. Les débats fournis autour de la
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notion de capital social (Hatch & March in Morgan & Bughra, 2010; Ponthieux, 2006) que nous avons
évoqué plus haut illustrent en partie la difficulté qui advient lorsqu’il s’agit de saisir la réalité de ce que
représentent réellement des concepts tels que ceux de support ou de lien social. S’intéresser aux effets
de l’environnement social invite nécessairement à discuter de la pertinence des outils disponibles pour
analyser la réalité des interactions sociales et de leurs conséquences sur les individus. L’apport combiné
de différentes méthodes et disciplines de recherches tels que l’épidémiologie, la sociologie, la
psychologie sociale, mais aussi la géographie, l’économie de la santé ou encore l’urbanisme apparaît
alors comme une nécessité absolue pour se donner les moyens d’analyser au mieux le phénomène
observé.
La méthode épidémiologique s’avère excessivement pertinente pour connaître la répartition des
troubles mentaux selon les zones géographiques, les tranches d’âge, le sexe, la catégorie socioprofessionnelle ou d’autres données socio-démographiques. L’abord populationnel des facteurs de
risque et de la répartition géographique des troubles mentaux offre des pistes de prévention et d’action
et matière de santé publique. L’identification précise des populations à risque s’annonce comme un défi
majeur des recherches à venir pour définir et comprendre plus précisément dans les années futures
l’épidémiologie des troubles mentaux chez les migrants. Qu’il s’agisse de facteurs administratifs (statut
de réfugié, demande d’asile…), géographiques (zones urbaines sensibles, milieux urbains spécifiques..)
ou socio-culturels (populations particulièrement ostracisées, soutien communautaire…), la part précise
de chacun des différents déterminants se devra d’être spécifiée. L’exemple des liens entre urbanicité,
migration et schizophrénie démontre bien cependant le chemin de recherche qu’il reste ensuite à
parcourir pour comprendre les déterminants concrets qui construisent un tel rapport de causalité entre
des phénomènes aussi distincts, dont le champ d’étude se situe au carrefour de disciplines différentes.
Les psychiatres et chercheurs en santé mentale ne sauraient devenir soudain experts dans l’étude de la
ville et de son fonctionnement ou des flux migratoires tout comme les urbanistes, sociologues ou
philosophes spécialistes des milieux urbains et de la migration ne sauraient s’improviser acteurs de la
santé mentale.
L’écogénétique ou l’enviromique fonctionnelle correspondent à de nouvelles approches
couplant études épidémiologiques et génétiques (van Os, 2008). Elles apparaissent comme des
disciplines d’avenir pour une meilleure compréhension de la schizophrénie notamment, et des
interactions gène x environnement de manière plus générale.
L’intérêt des méthodes qualitatives s’inscrit également au coeur de la psychiatrie sociale, dans
l’optique d’appréhender cet objet si complexe et dynamique que représente l’environnement social. La
volonté d’analyser les effets de socialisation et les interactions individu-société dans le milieu naturel,
en minimisant la sélection des sujets ou les facteurs d’exclusion dans les études, offre une panoplie
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(CC BY-NC-ND 2.0)
d’outils pour la compréhension fine des phénomènes sociaux. En s’approchant ainsi au plus près des
conditions réelles sans s’attacher nécessairement à la validité uniquement statistique des résultats, ces
méthodes permettent d’obtenir une grille d’analyse de phénomènes complexes et une meilleure
granularité des données, là où les méthodes quantitatives offrent une plus grande validité statistique, au
prix d’un réductionnisme apportant des éléments nettement plus éparses sur un phénomène global.
L’utilisation couplée des méthodes qualitatives et quantitatives, sans hiérarchisation de l’une vis-à-vis
de l’autre, s’impose aujourd’hui comme perspective d’avenir pour la recherche clinique en permettant
d’articuler une approche « bottom-up » (approche qualitative) et « top-down » (approche quantitative).
Les débats autour de la notion d’ethnicité par exemple démontrent que l’apport des sciences humaines
est primordial pour permettre de mieux définir les facteurs constituant l’identité personnelle et son
rapport à une origine, à une communauté d’appartenance ou un pays d’accueil. Ceci permettra à l’avenir
de mieux définir les groupes étudiés et d’affiner l’étude des facteurs de risque.
c.
Thérapeutiques, parcours de soin et trajectoires sociales
Si l’impact des facteurs sociaux sur la santé mentale des individus est un enjeu majeur pour la
psychiatrie sociale, l’étude des conséquences des troubles mentaux sur les parcours sociaux de ces
mêmes personnes n’en demeure pas moins primordiale. Comprendre ainsi les déterminants socioculturels qui influencent en partie les trajectoires de soin ou les parcours de vie des personnes malades
s’avère tout aussi nécessaire. Ainsi, des questions telles que le retard dans l’accès au soin, la
discontinuité des parcours de soin, les ruptures thérapeutiques ou encore la place donnée aux personnes
atteintes d’un trouble mentale sévère au sein des sociétés modernes s’inscrivent dans des perspectives de
recherche tout à fait pertinentes.
Différentes études ont permis d’appréhender les facteurs déterminant la manière d’entrée dans
les soins selon les individus. Alors que les stratégies de coping individuelles agissent en premier lieu,
elles sont elles-mêmes modelées par les conseils donnés par les personnes formant l’environnement
social de l’individu, que l’ont peut schématiquement diviser en trois systèmes : le système non
professionnel (famille, amis, collègues), le système alternatif (médecins alternatives, membres
religieux…) et le système social (travailleurs sociaux, forces de l’ordre, enseignants…)(Anenhensel,
Phelan & Bierman, 2012). Ainsi, l’avis de la famille, des amis, des collègues ou du système social peut
jouer un rôle majeur dans les comportements des individus vis-à-vis du soin. Les différentes modalités
d’entrée dans le soin peuvent inclure ou non une interaction préalable avec une partie ou l’ensemble de
ces différentes personnes ressources, avant d’entraîner des consultations spécialisées, auprès du
généraliste ou d’un psychiatre, mais aussi l’absence de consultation, au profit de solutions trouvées
auprès de personnes ressources plus proximales. Une étude menée à Porto-Rico retrouvait ainsi un taux
élevé (40%) de parcours de soin n’aboutissant jamais à une consultation médicale auprès d’un
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(CC BY-NC-ND 2.0)
généraliste ou d’un psychiatre, malgré des discussions au sujet des symptômes rencontrés avec
différents membres du système social, alternatif ou non professionnel de l’individu (Bernice et al.,
1998). L’information auprès de l’ensemble de ces personnes ressources apparaît ainsi primordiale
lorsque l’on prend en considération le fait qu’une part non négligeable des personnes atteintes de
troubles mentaux sévères ne bénéficient pas de soins adaptés (treatment gap), du fait de ces parcours de
soin complexes (Wang et al., 2005). La question de la demande se positionne ainsi comme enjeu majeur
de santé publique, sa présence ne devant pas s’interposer comme nécessité pour engager un suivi en
psychiatrie. La « clinique de la non-demande » et l’accès aux soins en santé mentale des plus démunis
s’avèrent ainsi être des enjeux majeurs pour la psychiatrie sociale, nécessitant un abord
pluridisciplinaire pour les appréhender au mieux. On voit en effet aisément comme la pauvreté ou une
raréfaction des différents systèmes entourant l’individu peut mener à un isolement et un défaut de
recours au soin. En diminuant les comportements pro-sociaux et le sentiment de confiance, l’exclusion
sociale peut ainsi conduire à une défiance vis-à-vis de ces différents systèmes. Il est envisageable de
penser que le phénomène de densité ethnique répond à la mise à disposition d’un réseau non
professionnel et alternatif suffisamment solide et cohérent pour favoriser l’accès aux soins précoces des
personnes à risque de psychose. Les recherches sur le rôle protecteur du capital social et du support
communautaire ou social dans l’étiopathogénie de la schizophrénie apparaissent ainsi comme des pistes
d’étude pertinente, afin de mieux cerner le rôle précis des éléments de soutien dans la prévention des
troubles. L’abord quantitatif et qualitatif, porté par des disciplines diverses apparaît ici primordial pour
comprendre les effets du lien social sur la santé individuelle.
La suite et l’évolution des soins après un premier épisode de trouble psychique représentent
également une enjeu primordial. Une étude canadienne récente a ainsi démontré que la survenue d’un
premier épisode de psychose favorisait une instabilité résidentielle (Ngamini Ngui et al., 2013) qui peut
aisément conduire à des ruptures thérapeutiques et une discontinuité des soins, au risque d’un moins
bon pronostic et de rechutes. Ainsi, un tiers des personnes ayant présenté un premier épisode auront
déménagé dans un autre territoire de soin, six ans après ce diagnostic initial. En comparaison avec
d’autres diagnostics médicaux, tels que le diabète ou la population générale, ce chiffre démontre une
propension plus importante à s’inscrire dans une trajectoire spatiale marquée par une forte mobilité chez
les personnes ayant présenté un premier épisode psychotique. Sont davantage à risque de mobilité les
hommes, âgés de moins de 45 ans, ayant une histoire personnelle de migration et vivant dans des zones
socialement défavorisées. La première année suivant l’épisode est la plus à risque de mobilité avec 40%
des personnes ayant déménagé au cours de cette période, contre 20% la seconde, 14% la troisième et
10% et moins au cours des années suivantes. La majorité de cette mobilité est intra-urbaine, dans le sens
d’un déménagement pour des zones socialement plus défavorisées. De même, plusieurs études ont
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démontré que le statut ethnique minoritaire ou le chômage représentaient des facteurs favorisant la
discontinuité des soins et les ruptures thérapeutiques (O’Brien, 2009; Crawford et al., 2004).
Du point de vue thérapeutique, l’intérêt de la psychiatrie communautaire, présente dès l’origine
de la psychiatrie sociale, advient aujourd’hui encore comme perspective d’avenir pour le soin et
l’insertion des personnes malades. Les dispositifs tels que le housing first, la pair-aidance, le case
management, les soins communautaires dynamiques (Assertive Community Treatment), l’IPS
(Individual Placement & Support) ou encore les équipes mobiles rappellent l’absolue nécessité de placer
le soin psychiatrique au coeur de la cité et d’inscrire dans la démarche evidence-based medecine de si
puissants leviers d’amélioration clinique et d’insertion pour les personnes souffrant de troubles
mentaux. L’accès aux soins, de première ligne et plus spécialisés tels que la réhabilitation
psychosociale, se doit ainsi d’apparaître dans les objectifs premiers de la psychiatrie moderne.
Au total, la psychiatrie sociale s’inscrit dans une volonté d’appréhender la complexité des
phénomènes sociaux et de leur intrication avec la santé mentale des individus et des populations. Les
sociétés modernes multiculturelles obligent à complexifier à la fois le regard porté sur les phénomènes
observables mais également les outils de recherche utilisés en vue de les étudier. En redonnant à la
pathologie mentale son inscription sociale, culturelle, individuelle, cognitive, biologique ou encore
philosophique, ce courant psychiatrique offre la possibilité de penser et d’observer avec l’acuité
nécessaire ces inégalités de santé qui s’apparentent à une forme de ségrégation moderne. L’exigence
d’éclectisme, de transdisciplinarité et d’ouverture auquel confronte une volonté d’engager une « pensée
complexe » autour de la pathologie psychiatrique, de ses causes et de ses évolutions, trouve dans la
psychiatrie sociale les outils nécessaires à une telle entreprise. Discipline de réflexion mais aussi
d’action, elle s’impose en effet aujourd’hui comme la manière la plus pertinente d’accéder à une science
et une conscience des troubles mentaux souscrivant à la fois aux exigences du monde moderne et au
souci éthique qui se doit de gouverner la volonté de soigner des individus atteints de pathologies
mentales ainsi que la démarche de recherche qui l’accompagne.
131
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(CC BY-NC-ND 2.0)
6. Discussion
Ce travail de thèse constitue le premier ouvrage en langue française de synthèse méthodique des
données actuelles concernant les liens entre schizophrénie et migration. Si différents articles avaient
déjà proposé une revue des connaissances en français (Tortelli, 2009 ; Baubet, 2009) aucun n’avait pris
en compte de manière si exhaustive les données actuelles sur le sujet ni utilisé de méthode définie pour
préciser la manière de synthétiser les données. L’ensemble des problématiques posées par ce champ de
recherche n’y était pas analysée et le choix des articles ne reposait sur aucune méthode préalablement
décrite. De plus, l’augmentation du nombre d’études récentes sur le sujet indiquait la réalisation d’une
nouvelle synthèse permettant une réactualisation des données.
L’utilisation de la méthode de la synthèse narrative nous a permis d’aborder les trois principales
problématiques (épidémiologique, étiopathogénique et épistémologique) posées par les connaissances
concernant les liens entre schizophrénie et migration. Elle s’avère un excellent outil pour réaliser une
synthèse qualitative de données scientifiques non quantitatives, notamment lorsque des questions
théoriques, épistémologiques ou éthiques se posent, tel que c’est le cas dans le cadre de l’analyse du rôle
de la migration dans la schizophrénie (Green, Johnson & Adams, 2006). Elle permet également
d’utiliser des articles issus de corpus théoriques et de disciplines différents, ce qui a également été un
avantage majeur dans le cadre de ce travail. Elle permet également d’apporter une lecture critique des
différents articles et ouvrages traitant du sujet. Les résultats décrits dans ce travail sont en accord avec
une revue récente de la littérature effectuée en langue anglaise (Bourque et al., 2012) et possèdent un
niveau de preuve élevé, du fait notamment du nombre conséquent de méta-analyses portant à la fois sur
les données épidémiologiques, étiopathogéniques et épistémologiques.
Du point de vue épidémiologique, les résultats des deux méta-analyses décrivent un risque
relatif de psychose augmenté pour les migrants de première et seconde génération, compris entre 2 et 3
(Cantor-Graae &Selten, 2005 ; Bourque et al., 2011), supérieur au risque de trouble de l’humeur (Sanne,
Swinnen & Selten, 2007). Ces résultats ont été répliqués depuis les années 1930 dans différents pays
européens, aux Etats-Unis, au Canada, ainsi qu’en Israël. Les méta-analyses soulignent l’importance du
risque pour les populations les plus discriminées et les plus exclues dans les différents pays d’accueil
(éthiopiens en Israël, afro-caribéens en Angleterre, marocains aux Pays-Bas…). Le phénomène de
densité ethnique veut que plus la minorité ethnique est importante en pourcentage de la population
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(CC BY-NC-ND 2.0)
générale moins le risque de schizophrénie est élevé pour les individus qui la composent (Bosqui et al.,
2014). Ces résultats font du statut ethnique minoritaire un facteur de risque environnemental majeur de
schizophrénie, à part égale avec l’urbanicité, la consommation de cannabis ou encore les complications
obstétricales. Différentes limites sont à porter à ces travaux n’ayant été réalisés que dans des pays
occidentaux développés, majoritairement européens. Tout d’abord, les résultats n’ont pas été répliqués
dans d’autres contextes géographiques et socio-démographiques, les études australiennes ne retrouvant
par exemple pas de risque majoré pour les populations migrantes (O’Donoghue et al., 2014 ; Nielssen et
al., 2013 ; McGrath et al., 2001), tout comme deux études récentes menées en Suède (Mezuk et al.,
2015) et aux Etats-Unis (Oh et al., 2015). L’absence de définition précise des groupes en fonction du
type de migration ainsi que le peu de connaissance sur l’évolution à long terme des troubles représentent
également deux limites importantes (Baubet, Moro et Taleb, 2009). Cependant, les études récentes
commencent à prendre en compte le type de migration, une étude canadienne récemment publiée ayant
par exemple retrouvé que le statut de réfugié représentait un facteur de risque de psychose en soi
(Anderson et al., 2015). L’utilisation du terme de migrant est également à interroger, l’importance des
facteurs post-migratoires soulignant davantage le rôle du statut ethnique que du phénomène migratoire
per se. Le terme d’ethnicité ou de statut ethnique minoritaire semble mieux rendre compte de la réalité
des groupes à risque, mais pose un problème d’acceptabilité et de définition dans la littérature
francophone (Felouzis & Fouquet-Chauprade, 2013 ; Martiniello, 2013). De plus, la période
d’exposition la plus à risque demeure incertaine, les études sur le sujet ayant retrouvé des résultats
contradictoires (Cantor-Graae et al., 2011; Velling et al., 2011). L’hypothèse du biais diagnostique
(misdiagnosis) proposée par les psychiatres transculturels (Baubet et al., 2009 ; Zandi, et al. 2007) ne
suffit pas à invalider l’ensemble des résultats (Selten & Hoek, 2008). Le faible nombre d’études ayant
analysé le rôle des biais diagnostiques transculturels possède en effet un certain nombre de limites,
notamment l’absence de prise en compte d’autres variables confondantes, tels que les données socioéconomiques, dont l’importance est reconnue dans la genèse des troubles psychotiques (Morgan &
Hutchinson, 2011).
Du point de vue étiopathogénique, les facteurs sociaux tels que l’adversité sociale, l’exclusion
sociale ou encore l’échec social sont aujourd’hui placés au cœur de l’étiopathogénie de la schizophrénie
relative à la migration (Morgan et al., 2011; Selten & Cantor-Graae, 2007). En effet, l’insuffisance des
hypothèses neuro-développementales (infections neurotropes, complications obstétricales, abus de
toxiques, carence en vitamine D..) et génétiques pour expliquer l’effet de risque amène à interroger le
rôle des facteurs sociaux. L’hétérogénéité spatiale de répartition de l’incidence des troubles
psychotiques, plus fréquemment retrouvées dans les quartiers socialement défavorisés, est un argument
fort en direction du rôle des facteurs socio-économiques délétères (Kirkbride, 2014; McGrath, 2011).
Notre synthèse des travaux sur les effets neurocognitifs de l’exclusion sociale a rapporté l’existence de
133
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(CC BY-NC-ND 2.0)
conséquences complexes dont les effets et interactions apparaissent comme une voie d’entrée dans un
certain nombre de pathologies physiques et mentales, dont la schizophrénie. La potentialisation des
différents marqueurs de vulnérabilité entre eux (cognitifs, comportementaux, neurobiologiques et
phénoménologiques) entraîne un état de vulnérabilité multiple pouvant mener à la psychose, favorisée
par la pérennisation de l’exposition sociale délétère. Le rôle prépondérant de l’insula antérieure dans les
phénomènes d’exclusion sociale ainsi que dans la schizophrénie lui réserve une place de choix dans
l’avenir des recherches menées en neurobiologie de la schizophrénie. De même, le racisme subi au sein
des populations discriminées est avancé comme probable facteur étiopathogénique, du fait de sa
propension à favoriser les expériences psychotiques dans des populations adultes ou adolescentes
(Janssen et al., 2003). Au-delà d’effets neurobiologiques sur le système dopaminergique par effet du
stress, sont avancés l’apparition de distorsions cognitives ainsi que des comportements de retard d’accès
aux soins. Pour autant, aucune étude n’a pu montrer à ce jour l’existence d’un continuum entre adversité
sociale ou racisme et schizophrénie, si bien que les modèles proposés conservent une importante part
heuristique. De même, la théorie du capital social, soulignant le rôle protecteur d’un environnement
social bénéfique et du support social, en modérant par exemple les effets de la discrimination, n’a pas
fait la preuve suffisante de sa validité dans le cas de la schizophrénie (Kirkbride, 2012). Les facteurs
sociaux et leurs effets neurocognitifs ne sont pas spécifiques de la schizophrénie, mais sont retrouvés
dans d’autres pathologies mentales ou dans les comportements suicidaires, ce qui questionne sur le ou
les phénomènes spécifiques de la psychose. Leur caractère ni nécessaire ni suffisant pour induire un
trouble psychotique souligne le poids des facteurs de vulnérabilité génétique. Ainsi, les facteurs de
risques de suicide recoupent en partie ceux de la schizophrénie, tandis que le rôle de l’insula antérieure a
été démontré dans l’ensemble des pathologies mentales de l’Axe I du DSM (Goodkind et al., 2015). Les
hypothèses environnementales prenant en compte des facteurs non sociaux ne doivent de plus pas être
écartées des recherches sur le sujet des liens entre urbanicité, migration et schizophrénie. Une étude
récente a par exemple proposé que l’infection toxoplasmique puisse être la cause du lien de causalité
entre migration et schizophrénie (Fuller Torrey & Yolken, 2014).
Du point de vue épistémologique, les résultats concernant la migration et l’urbanicité amènent à
requestionner la place des facteurs environnementaux, et notamment sociaux, dans les modèles de la
schizophrénie. L’existence du healthy migrant effect, qui veut que les migrants jouissent d’un meilleur
état de santé que la population autochtone à leur arrivée tend à apporter un argument en défaveur du
poids de la vulnérabilité génétique dans l’étiopathogénie de la schizophrénie. Dans un même temps, les
facteurs sociaux ne sont ni suffisants ni nécessaires pour entraîner une transition vers un trouble
psychotique. Une étude a ainsi montré que plus de 80% des transitions des personnes à risque vers un
trouble psychotique nécessitait la présence concomitante d’une vulnérabilité génétique et de facteurs de
risque environnementaux (van Nierop, 2013). Le faible nombre de cas de transition dans la cohorte
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étudiée constituait une limite importante. Le modèle de la diathèse stress-vulnérabilité (Nuechterlein &
Dawson, 1984 ; Zubin & Spring ; 1977) paraît à ce titre insuffisant, malgré sa volonté de modéliser
l’interaction gène x environnement (GxE). En effet, il envisage l’environnement uniquement comme un
facteur de décompensation aigu au niveau individuel, sans envisager les interactions environnement x
environnement et le caractère temporel de l’exposition environnementale. Le modèle du continuum est
quant à lui plus efficient en ce sens, les études longitudinales ayant permis de démontrer le rôle clé de
l’interaction GxE dans la schizophrénie (van Os et al., 2009; 2008; 2003). Ce modèle, en soulignant le
caractère résilient de la vulnérabilité à la psychose et, en contrepoint, le rôle de la pérennisation de
l’exposition environnementale dans la transition vers la schizophrénie, rend mieux compte de la réalité
de l’interaction GxE. Il convient ainsi de distinguer deux modèles de la schizophrénie : un modèle de
résilience à l’échelle épidémiologique et un modèle socio-développemental à l’échelle individuelle
fonctionnant sur un mode d’accumulation progressive de facteurs de risque, associé à une pression
environnementale croissante. Le faible nombre de cas de transition vers la psychose dans les études de
cohorte demeure cependant un frein majeur à l’extrapolation des résultats et ne permet pour l’heure que
de proposer des hypothèses de travail. La perspective de la psychiatrie sociale, s’attachant à
appréhender le rôle des facteurs sociaux dans la genèse des troubles psychiatriques offre des voies de
recherche d’avenir pour mieux comprendre leur rôle dans différentes pathologies mentales, dont la
schizophrénie (Morgan & Bughra, 2011). Elle se doit de remettre en cause la psychopathologie de la
migration proposée par la psychiatrie transcuturelle, ne prenant en compte que les facteurs culturels
dans l’étiologie des troubles présentés par les populations immigrées (Baubet & Moro, 2003).
Du point de vue méthodologique, le caractère non systématique de la synthèse narrative
constitue son principal point faible. Tout d’abord, elle n’offre pas une méthode adéquate pour définir
des recommandations de prise en charge pour le clinicien, en premier lieu parce qu’elle traite davantage
des enjeux d’une problématique médicale et sanitaire que de discussions diagnostiques, pronostiques ou
thérapeutiques. Ensuite, elle présente un risque plus haut de biais que les revues systématiques, tels que
les méta-analyses, car le choix des articles et leur critique reste soumis à la subjectivité du ou des
auteurs. En effet, le risque majeur est que l’auteur d’une synthèse narrative se borne davantage à utiliser
les données recueillies pour légitimer une opinion orientée qu’au fait de s’appuyer sur une méthode
visant à construire un positionnement scientifique argumenté et synthétique. L’utilisation du Narrative
Overview Rating Scale a permis de diminuer au maximum le risque de biais et d’optimiser la validité
scientifique de cette démarche méthodologique particulière dans notre travail.
L’absence de référence clinique sous la forme d’une revue de cas ou d’une recherche clinique
apparaît comme une limite potentielle de ce travail. En effet, la revue de la littérature ne permet pas
d’apporter de réponses nouvelles à des questionnements pré-existants. L’enjeu demeure cependant de
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faire connaître l’ensemble de ces résultats en France, le poids de la psychiatrie transculturelle amenant
dans l’Hexagone à un relativisme majeur quant à la validité scientifique et clinique des données
épidémiologiques sur le rôle des facteurs sociaux de la schizophrénie dans les populations migrantes. Si
les limites des données actuelles de la science sont bien réelles, elles ne permettent pas d’invalider les
résultats de deux méta-analyses et les hypothèses en cours.
L’utilisation du terme de « perspective » tout au long de ce travail marque l’intérêt majeur que
revêtent les travaux portant sur la migration et les facteurs environnementaux de la schizophrénie pour
l’avenir de la recherche en santé mentale. Pour autant, elle désigne également le point faible principal de
cette problématique de santé, à savoir le caractère heuristique des modèles avancés. Il convient ainsi de
conserver à l’esprit les importantes limites qui demeurent à comprendre précisément les causes qui
amènent les populations migrantes minoritaires à expérimenter une telle adversité psychique sous la
forme d’un risque accru de psychose.
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(CC BY-NC-ND 2.0)
Conclusions
De nombreuses études ont désigné la migration comme facteur de risque de schizophrénie à
part entière. Nous avons utilisé dans cette thèse la méthode de la synthèse narrative, indiquée
lorsqu’il s’agit d’obtenir une synthèse qualitative des données non quantitatives de la littérature,
autour d’une problématique posant des enjeux théoriques, épistémologiques ou éthiques. Ce travail
constitue ainsi la première synthèse méthodique en langue française des données actuelles de la
science concernant les liens entre schizophrénie et migration. L’objectif était ainsi d’analyser et de
discuter les perspectives épidémiologiques, étiopathogéniques et épistémologiques qui se trouvent
mise en question à travers les connaissances à ce sujet.
Du point de vue épidémiologique, deux méta-analyses ont démontré que les migrants de
première génération, ou immigrés, ainsi que ceux de seconde génération, ou enfants d’immigrés,
présentent un risque relatif majoré de présenter une pathologie schizophrénique. Les études
retrouvent un risque plus élevé pour les personnes appartenant aux minorités les plus marginalisées
et discriminées. Un résultat important est le phénomène dit de densité ethnique qui veut que plus la
minorité ethnique est importante en pourcentage de la population générale moins le risque de
schizophrénie est élevé pour les individus qui la composent. Ces résultats font du statut ethnique
minoritaire un facteur de risque environnemental majeur de schizophrénie, à part égale avec
l’urbanicité, la consommation de cannabis ou encore les complications obstétricales. Les données
épidémiologiques sont en faveur du rôle prépondérant de la phase post-migratoire dans
l’étiopathogénie des troubles.
Du point de vue étiopathogénique, les hypothèses neurodéveloppementales ne sont pas
parvenues à expliquer ce sur-risque pour les populations migrantes. Ainsi, les complications
obstétricales, la consommation de cannabis, la carence en vitamine D, les infections neurotropes ou
l’urbanicité ne sont pas davantage retrouvées chez les populations migrantes. De même, les études
ont invalidé l’idée d’une prédisposition génétique plus importante dans certaines populations
ethniques, notamment chez les personnes noires de peau ou l’hypothèse de la migration sélective
qui voudrait que les personnes à risque de psychose soient plus enclines à migrer. Enfin, il est
important de souligner que l’hypothèse du biais diagnostique, proposée par les tenants de la
psychiatrie transculturelle, n’a pas fait la preuve de sa validité pour expliquer les résultats retrouvés.
Cette hypothèse voudrait qu’il existe une tendance à surdiagnostiquer la psychose en situation
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transculturelle due à un biais diagnostique existant chez les psychiatres occidentaux suffisamment
fréquent pour expliquer les résultats des différentes revues de la littérature.
Au vu de ces impasses, les facteurs environnementaux post-migratoires, et notamment
sociaux, ont été davantage investigués, mettant au cœur de l’étiopathogénie de la schizophrénie des
notions telles que l’échec social, l’exclusion ou encore l’adversité sociale. Il est en effet reconnu
qu’il existe des disparités territoriales pour l’incidence et la prévalence de la schizophrénie, plus
fréquemment retrouvée dans des zones de faible cohésion sociale et de forte fragmentation sociale,
et que l’adversité sociale entraîne des effets psychopathologiques délétères dès l’enfance pouvant se
répercuter à l’âge adulte. Les travaux récents portant sur les effets de l’exclusion sociale ou de la
discrimination ont permis de révéler différents effets neurocognitifs et comportementaux des
expériences de rejet social. Ainsi, il a été démontré que l’exclusion sociale entraînait des
modifications d’activité de deux régions cérébrales distinctes que sont le cortex cingulaire antérieur
dorsal et l’insula antérieure, regroupées sous le terme de Réseau neuronal de la Salience dont le
dysfonctionnement dans la schizophrénie est aujourd’hui bien documenté, notamment dans les
déficits cognitifs et les distorsions phénoménologiques retrouvés au cœur de la pathologie. Il a
également été démontré qu’un vécu discriminatoire majorait le risque de présenter des idées
délirantes, tandis que l’expérience de l’exclusion diminue les comportements proactifs en direction
du soin et entraîne des biais cognitifs, tant neurocognitifs qu’en cognition social. De plus, l’état de
stress vécu dans les phénomènes de discrimination et de rejet social pourrait entraîner une
sensibilisation du système dopaminergique mésolimbique et des dérégulations de l’axe
hypothalamo-hypophysaire.
L’ensemble
de
ces
distorsions
neurobiologiques,
cognitives,
phénoménologiques ou comportementales serait la cause d’une vulnérabilité majeure à la
schizophrénie et est retrouvé avec une plus grande amplitude chez les migrants présentant un
premier épisode psychotique. Nous avons proposé dans ce travail un modèle psychopathologique
intégrant les différents effets de l’adversité sociale ainsi que leurs interactions réciproques.
Du point de vue épistémologique, l’ensemble de ces résultats amène à repenser les modèles
de la schizophrénie utilisés depuis les années 1970. En effet, les études longitudinales permettent
aujourd’hui de mieux connaître les trajectoires d’entrée dans la pathologie, et notamment le rôle des
facteurs environnementaux, pour les personnes à haut risque de transition vers la psychose. Il
ressort que le « modèle stress-vulnérabilité » en postulant l’idée d’une vulnérabilisation à
l’environnement ne rend pas suffisamment compte des interactions complexes entre vulnérabilité
individuelle et inégalités populationnelles. Le « modèle du continuum », postulant l’existence d’une
interaction synergique entre patrimoine gènétique et environnement psychosocial délétère
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Annexes
Annexe 1 : Le Narrative Overview Rating Scale (Green et al., 2006)
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Leaune Edouard-Marie: Schizophrénie et migration. Perspectives épidémiologiques,
étiopathogéniques et épistémologiques
141 pages, 8 figures, 7 tableaux
Thèse de Médecine: Lyon 2015 n° 195
Résumé :
Objectif: Cette thèse vise à proposer une synthèse méthodique en langue française
réactualisant les données de la littérature internationale concernant les liens entre
schizophrénie et migration.
Méthode: Cette thèse a utilisé la méthode de la synthèse narrative, qui permet
d’effectuer une synthèse qualitative de données de la littérature non quantitatives,
lorsque se posent des problématiques théoriques, éthiques ou épistémologiques.
Résultats: Le statut ethnique minoritaire représente un facteur de risque de
schizophrénie pour un ensemble de minorités dans les pays développés, pour un
risque relatif compris entre 2 et 3. Ce risque dépend des conditions d’accueil des
populations migrantes dans les pays d’immigration. L’environnement social
défavorable joue ainsi un rôle majeur dans ce phénomène de vulnérabilisation à la
psychose, sous la forme de l’adversité sociale et de ses effets neurobiologiques,
cognitifs, phénoménologiques et comportementaux. L’hypothèse du biais
diagnostique (misdiagnosis) ne permet pas d’expliquer ce sur-risque retrouvé dans de
nombreuses études épidémiologiques.
Conclusions: Un niveau de preuve élevé est retrouvé pour désigner le statut
ethnique minoritaire comme facteur de risque de schizophrénie et souligner le poids
de l’environnement social dans les disparités territoriales, sociales et ethniques de
répartition de la prévalence de la schizophrénie dans le monde.
MOTS CLES : Schizophrénie, migration, adversité sociale, exclusion, discrimination,
psychiatrie sociale, psychiatrie transculturelle
JURY :
Président :
Monsieur le Professeur Jean-Louis Terra
Membres :
Monsieur le Professeur Thierry D’Amato
Monsieur le Professeur Emmanuel Poulet
Madame le Docteur Halima Zeroug-Vial
DATE DE SOUTENANCE : Mercredi 30 Septembre 2015
Adresse de l’auteur : [email protected]
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(CC BY-NC-ND 2.0)
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