http://portaildoc.univ-lyon1.fr Creative commons : Paternité - Pas d’Utilisation Commerciale Pas de Modification 2.0 France (CC BY-NC-ND 2.0) http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/2.0/fr LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) UNIVERSITE CLAUDE BERNARD –LYON 1 FACULTE DE MEDECINE LYON EST Année 2015 N°195 SCHIZOPHRENIE ET MIGRATION Perspectives épidémiologiques, étiopathogéniques et épistémologiques THESE Présentée A l’Université Claude Bernard Lyon 1 et soutenue publiquement le 30 Septembre 2015 pour obtenir le grade de Docteur en Médecine par Edouard-Marie Leaune Né le 9 Décembre 1986 à Lyon 3ème 1 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) UNIVERSITE CLAUDE BERNARD – LYON 1 ___________________ . Président de l'Université François-Noël GILLY . Président du Comité de Coordination François-Noël GILLY des Etudes Médicales . Secrétaire Général Alain HELLEU SECTEUR SANTE UFR DE MEDECINE LYON EST Doyen : Jérôme ETIENNE UFR DE MEDECINE LYON SUD – CHARLES MERIEUX Doyen : Carole BURILLON INSTITUT DES SCIENCES PHARMACEUTIQUES ET BIOLOGIQUES (ISPB) Directrice : Christine VINCIGUERRA UFR D'ODONTOLOGIE Directeur : Denis BOURGEOIS INSTITUT DES SCIENCES ET TECHNIQUES DE READAPTATION Directeur : Yves MATILLON DEPARTEMENT DE FORMATION ET CENTRE DE RECHERCHE EN BIOLOGIE HUMAINE Directeur : Pierre FARGE SECTEUR SCIENCES ET TECHNOLOGIES UFR DE SCIENCES ET TECHNOLOGIES Directeur : Fabien de MARCHI UFR DE SCIENCES ET TECHNIQUES DES ACTIVITES PHYSIQUES ET SPORTIVES (STAPS) Directeur : Claude COLLIGNON POLYTECH LYON Directeur : Pascal FOURNIER I.U.T. Directeur : Christian COULET INSTITUT DES SCIENCES FINANCIERES ET ASSURANCES (ISFA) Directeur : Véronique MAUMEDESCHAMPS I.U.F.M. Directeur : Régis BERNARD CPE Directeur : Gérard PIGNAULT 2 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) Faculté de Médecine Lyon Est Liste des enseignants 2014/2015 Professeurs des Universités – Praticiens Hospitaliers Classe exceptionnelle Echelon 2 Cochat Cordier Etienne Gouillat Guérin Pierre Jean-François Jérôme Christian Jean-François Mauguière Ninet François Jacques Peyramond Philip Raudrant Rudigoz Dominique Thierry Daniel René-Charles Pédiatrie Pneumologie ; addictologie Bactériologie-virologie ; hygiène hospitalière Chirurgie digestive Biologie et médecine du développement et de la reproduction ; gynécologie médicale Neurologie Médecine interne ; gériatrie et biologie du vieillissement; médecine générale ; addictologie Maladie infectieuses ; maladies tropicales Cancérologie ; radiothérapie Gynécologie-obstétrique; gynécologie médicale Gynécologie-obstétrique; gynécologie médicale Professeurs des Universités – Praticiens Hospitaliers Classe exceptionnelle Echelon 1 Baverel Blay Borson-Chazot Gabriel Jean-Yves Françoise Denis Finet Guérin Lehot Philippe Gérard Claude Jean-Jacques Lermusiaux Martin Mellier Patrick Xavier Georges Michallet Miossec Morel Mornex Neyret Ninet Ovize Ponchon Pugeat Mauricette Pierre Yves Jean-François Philippe Jean Michel Thierry Michel Revel Rivoire Thivolet-Bejui Vandenesch Zoulim Didier Michel Françoise François Fabien Physiologie Cancérologie ; radiothérapie Endocrinologie, diabète et maladies métaboliques ; gynécologie médicale Ophtalmologie Cardiologie Réanimation ; médecine d’urgence Anesthésiologie-réanimation; médecine d’urgence Chirurgie thoracique et cardiovasculaire Urologie Gynécologie-obstétrique ; gynécologie médicale Hématologie ; transfusion Immunologie Biochimie et biologie moléculaire Pneumologie ; addictologie Chirurgie orthopédique et traumatologique Chirurgie thoracique et cardiovasculaire Physiologie Gastroentérologie ; hépatologie ; addictologie Endocrinologie, diabète et maladies métaboliques ; gynécologie médicale Radiologie et imagerie médicale Cancérologie ; radiothérapie Anatomie et cytologie pathologiques Bactériologie-virologie ; hygiène hospitalière Gastroentérologie ; hépatologie ; addictologie 3 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) Professeurs des Universités – Praticiens Hospitaliers Première classe André-Fouet Barth Berthezene Bertrand Beziat Boillot Braye Xavier Xavier Yves Yves Jean-Luc Olivier Fabienne Breton Chassard Pierre Dominique Chevalier Claris Colin Philippe Olivier Cyrille Colombel Cottin D’Amato Delahaye Di Fillipo Disant Douek Ducerf Dumontet Durieu Marc Vincent Thierry François Sylvie François Philippe Christian Charles Isabelle Edery Fauvel Charles Patrick Jean-Pierre Gaucherand Pascal Guenot Gueyffier Marc François Guibaud Herzberg Honnorat Lachaux Lina Lina Mabrut Mertens Mion Morelon Moulin Négrier Négrier Nicolino Nighoghossian Obadia Picot Rode Laurent Guillaume Jérôme Alain Bruno Gérard Jean-Yves Patrick François Emmanuel Philippe Claude Marie-Sylvie Marc Norbert Jean-François Stéphane Gilles Cardiologie Chirurgie générale Radiologie et imagerie médicale Pédiatrie Chirurgie maxillo-faciale et stomatologie Chirurgie digestive Chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique ; brûlologie Chirurgie maxillo-faciale et stomatologie Anesthésiologie-réanimation; médecine d’urgence Cardiologie Pédiatrie Epidémiologie, économie de la santé et prévention Urologie Pneumologie ; addictologie Psychiatrie d’adultes ; addictologie Cardiologie Cardiologie Oto-rhino-laryngologie Radiologie et imagerie médicale Chirurgie digestive Hématologie ; transfusion Médecine interne ; gériatrie et biologie du vieillissement ; médecine générale ; addictologie Génétique Thérapeutique; médecine d’urgence; addictologie Gynécologie-obstétrique; gynécologie médicale Neurochirurgie Pharmacologie fondamentale ; pharmacologie clinique ; addictologie Radiologie et imagerie médicale Chirurgie orthopédique et traumatologique Neurologie Pédiatrie Bactériologie-virologie ; hygiène hospitalière Bactériologie-virologie ; hygiène hospitalière Chirurgie générale Anatomie Physiologie Néphrologie Nutrition Hématologie ; transfusion Cancérologie ; radiothérapie Pédiatrie Neurologie Chirurgie thoracique et cardiovasculaire Parasitologie et mycologie Médecine physique et de réadaptation 4 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) Rousson Roy Robert-Marc Pascal Ruffion Ryvlin Scheiber Schott-Pethelaz Alain Philippe Christian Anne-Marie Terra Tilikete Touraine Truy Turjman Vallée Vanhems Jean-Louis Caroline Jean-Louis Eric Francis Bernard Philippe Biochimie et biologie moléculaire Biostatistiques, informatique médicale et technologies de communication Urologie Neurologie Biophysique et médecine nucléaire Epidémiologie, économie de la santé prévention Psychiatrie d’adultes ; addictologie Physiologie Néphrologie Oto-rhino-laryngologie Radiologie et imagerie médicale Anatomie Epidémiologie, économie de la santé prévention Professeurs des Universités – Praticiens Hospitaliers Seconde Classe Allaouchiche Bernard Argaud Aubrun Laurent Frédéric Badet Bessereau Boussel Calender Charbotel Chapurlat Cotton Dalle Dargaud Devouassoux Dubernard Lionel Jean-Louis Loïc Alain Barbara Roland François Stéphane Yesim Mojgan Gil Dumortier Fanton Faure Fellahi Jérome Laurent Michel Jean-Luc Ferry Fourneret Gillet Girard Gleizal Guyen Henaine Hot Huissoud Tristan Pierre Yves Nicolas Arnaud Olivier Roland Arnaud Cyril Jacquin-Courtois Janier Javouhey Juillard Sophie Marc Etienne Laurent Anesthésiologie-réanimation ; médecine d’urgence Réanimation ; médecine d’urgence Anesthésiologie-réanimation ; médecine d’urgence Urologie Biologie cellulaire Radiologie et imagerie médicale Génétique Médecine et santé au travail Rhumatologie Radiologie et imagerie médicale Dermato-vénéréologie Hématologie ; transfusion Anatomie et cytologie pathologiques Gynécologie-obstétrique ; gynécologie médicale Gastroentérologie ; hépatologie ; addictologie Médecine légale Dermato-vénéréologie Anesthésiologie-réanimation ; médecine d’urgence Maladie infectieuses ; maladies tropicales Pédopsychiatrie ; addictologie Pédiatrie Pneumologie Chirurgie maxillo-faciale et stomatologie Chirurgie orthopédique et traumatologique Chirurgie thoracique et cardiovasculaire Médecine interne Gynécologie-obstétrique ; gynécologie médicale Médecine physique et de réadaptation Biophysique et médecine nucléaire Pédiatrie Néphrologie 5 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) et et Jullien Kodjikian Krolak Salmon Denis Laurent Pierre Lejeune Hervé Merle Michel Philippe Philippe Monneuse Mure Nataf Pignat Poncet Raverot Olivier Pierre-Yves Serge Jean-Christian Gilles Gérald Ray-Coquard Richard Rossetti Rouvière Saoud Schaeffer Souquet Vukusic Wattel Isabelle Jean-Christophe Yves Olivier Mohamed Laurent Jean-Christophe Sandra Eric Dermato-vénéréologie Ophtalmologie Médecine interne ; gériatrie et biologie du vieillissement ; médecine générale ; addictologie Biologie et médecine du développement et de la reproduction ; gynécologie médicale Gastroentérologie ; hépatologie ; addictologie Epidémiologie, économie de la santé et prévention Chirurgie générale Chirurgie infantile Cytologie et histologie Oto-rhino-laryngologie Chirurgie générale Endocrinologie, diabète et maladies métaboliques ; gynécologie médicale Cancérologie ; radiothérapie Réanimation ; médecine d’urgence Physiologie Radiologie et imagerie médicale Psychiatrie d’adultes Biologie cellulaire Gastroentérologie ; hépatologie ; addictologie Neurologie Hématologie ; transfusion Professeur des Universités - Médecine Générale Letrilliart Moreau Laurent Alain Professeurs associés de Médecine Générale Flori Lainé Zerbib Marie Xavier Yves Professeurs émérites Chatelain Bérard Boulanger Bozio Chayvialle Daligand Descotes Droz Floret Gharib Itti Kopp Neidhardt Petit Pierre Jérôme Pierre André Jean-Alain Liliane Jacques Jean-Pierre Daniel Claude Roland Nicolas Jean-Pierre Paul Rousset Bernard Pédiatrie Chirurgie infantile Bactériologie-virologie ; hygiène hospitalière Cardiologie Gastroentérologie ; hépatologie ; addictologie Médecine légale et droit de la santé Pharmacologie fondamentale ; pharmacologie Cancérologie ; radiothérapie Pédiatrie Physiologie Biophysique et médecine nucléaire Anatomie et cytologie pathologiques Anatomie Anesthésiologie-réanimation ; médecine d’urgence Biologie cellulaire 6 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) Sindou Trepo Trouillas Trouillas Viale Marc Christian Paul Jacqueline Jean-Paul Neurochirurgie Gastroentérologie ; hépatologie ; addictologie Neurologie Cytologie et histologie Réanimation ; médecine d’urgence Maîtres de Conférence – Praticiens Hospitaliers Hors classe Benchaib Mehdi Bringuier Davezies Germain Jarraud Jouvet Le Bars Normand Persat Pharaboz-Joly Piaton Rigal Sappey-Marinier Streichenberger Timour-Chah Pierre-Paul Philippe Michèle Sophie Anne Didier Jean-Claude Florence Marie-Odile Eric Dominique Dominique Nathalie Quadiri Voiglio Wallon Eric Martine Biologie et médecine du développement et de la reproduction ; gynécologie médicale Cytologie et histologie Médecine et santé au travail Physiologie Bactériologie-virologie ; hygiène hospitalière Anatomie et cytologie pathologiques Biophysique et médecine nucléaire Médecine et santé au travail Parasitologie et mycologie Biochimie et biologie moléculaire Cytologie et histologie Hématologie ; transfusion Biophysique et médecine nucléaire Anatomie et cytologie pathologiques Pharmacologie fondamentale ; pharmacologie clinique ; addictologie Anatomie Parasitologie et mycologie Maîtres de Conférence – Praticiens Hospitaliers Première classe Ader Barnoud Bontemps Chalabreysse Charrière Collardeau Frachon Cozon Dubourg Escuret Hervieu Kolopp-Sarda Laurent Lesca Maucort Boulch Florence Raphaëlle Laurence Lara Sybil Sophie Grégoire Laurence Vanessa Valérie Marie Frédéric Gaëtan Delphine Meyronet Peretti Pina-Jomir Plotton Rabilloud David Noel Géraldine Ingrid Muriel Ritter Roman Maladies infectieuses ; maladies tropicales Anatomie et cytologie pathologiques Biophysique et médecine nucléaire Anatomie et cytologie pathologiques Nutrition Anatomie et cytologie pathologiques Immunologie Physiologie Bactériologie-virologie ; hygiène hospitalière Anatomie et cytologie pathologiques Nathalie Immunologie Bactériologie-virologie ; hygiène hospitalière Génétique Biostatistiques, informatique médicale et technologies de communication Anatomie et cytologie pathologiques Nutrition Biophysique et médecine nucléaire Biochimie et biologie moléculaire Biostatistiques, informatique médicale et technologies de communication Epidémiologie, économie de la santé et prévention Physiologie Jacques Sabine 7 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) Tardy Guidollet Tristan Vlaeminck-Guillem Véronique Anne Virginie Biochimie et biologie moléculaire Bactériologie-virologie ; hygiène hospitalière Biochimie et biologie moléculaire Maîtres de Conférences – Praticiens Hospitaliers Seconde classe Casalegno Chêne Jean-Sébastien Gautier Duclos Antoine Phan Rheims Rimmele Alice Sylvain Thomas Schluth-Bolard Simonet Thibault Vasiljevic Venet Caroline Thomas Hélène Alexandre Fabienne Bactériologie-virologie ; hygiène hospitalière Gynécologie-obstétrique ; gynécologie médicale Epidémiologie, économie de la santé et prévention Dermato-vénéréologie Neurologie Anesthésiologie-réanimation ; médecine d’urgence Génétique Biologie cellulaire Physiologie Anatomie et cytologie pathologiques Immunologie Maîtres de Conférences associés de Médecine Générale Chanelière Marc Farge Thierry Figon Sophie 8 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) Le Serment d'Hippocrate Je promets et je jure d'être fidèle aux lois de l’honneur et de la probité dans l'exercice de la Médecine. Je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans discrimination. J'interviendrai pour les protéger si elles sont vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou leur dignité. Même sous la contrainte, je ne ferai pas usage de mes connaissances contre les lois de l'humanité. J'informerai les patients des décisions envisagées, de leurs raisons et de leurs conséquences. Je ne tromperai jamais leur confiance. Je donnerai mes soins à l'indigent et je n'exigerai pas un salaire au-dessus de mon travail. Admis dans l'intimité des personnes, je tairai les secrets qui me seront confiés et ma conduite ne servira pas à corrompre les mœurs. Je ferai tout pour soulager les souffrances. Je ne prolongerai pas abusivement la vie ni ne provoquerai délibérément la mort. Je préserverai l'indépendance nécessaire et je n'entreprendrai rien qui dépasse mes compétences. Je perfectionnerai mes connaissances pour assurer au mieux ma mission. Que les hommes m'accordent leur estime si je suis fidèle à mes promesses. Que je sois couvert d'opprobre et méprisé si j'y manque. 9 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) Remerciements A Mme le Professeur Saïda Douki-Dedieu Vous m‘avez fait l’immense honneur d’accepter de diriger ce travail de thèse. L’intérêt et le soutien que vous avez apportés à cette réflexion m’honore. Votre engagement clinique et scientifique tout au long de votre carrière est pour moi un exemple à suivre. Trouvez ici le témoignage de ma profonde estime. A Mr le Professeur Jean-Louis Terra Vous me faites l’honneur d’accepter de présider ce jury. La confiance, les conseils et la disponibilité que vous m’accordez depuis mon stage au sein de votre service m’honorent. Votre engagement en faveur de la prévention du suicide et de l’amélioration de l’accès aux soins, ainsi que la qualité de votre enseignement sont autant d’exemples à suivre. Veuillez trouver ici l’assurance de ma sincère reconnaissance. A Mr le Professeur Thierry D’Amato Je vous suis très reconnaissant d’avoir accepté de participer à ce jury. Votre engagement sans faille auprès des internes et en faveur de l’enseignement a très largement contribué à ériger au fil des années une formation de grande qualité à la psychiatrie sur la région lyonnaise. Soyez assuré de mon estime et de mon profond respect. A Mr le Professeur Emmanuel Poulet Je vous remercie de participer à ce jury de thèse. Votre accompagnement et votre soutien tout au long de la préparation de mon projet d’année Médaille d’Or ont renforcé l’envie de travailler à vos côtés et de mener des projets cliniques et de recherche au sein de votre service. Soyez assuré de ma grande considération. A Mme le Docteur Halima Zeroug-Vial Tu me fais l’honneur et le plaisir d’accepter de participer à ce jury. Ton engagement clinique et scientifique en tant que directrice de l’ORSPERE-SAMDARRA et chef de service est un exemple pour moi. La confiance que tu m’accordes depuis mon stage sur ton secteur m’amène à des réflexions et des rencontres professionnelles que j’ai toujours grand plaisir à mener. Cette thèse est l’occasion de te remercier autant qu’il se doit pour cette confiance et ce soutien. 10 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) Je dédie ce travail A l’ensemble des patients que j’ai pu rencontrer au cours de mon internat et à leurs familles. Que leur courage et leur abnégation respectifs face à la maladie soient ici salués. A toutes celles et ceux que l’adversité du monde oblige à quitter leur foyer, leur famille et leur quotidien, leur ici, pour un ailleurs et des lendemains incertains. A Sophia, qui a participé à sa manière à la réalisation de cette thèse, qu’elle lira peut-être un jour, et dont le sourire protège de tous les maux. A Justine, inspiration première de chacune de mes pensées et réflexions. A mes parents, qui ont su me transmettre le goût des autres et la curiosité d’apprendre. A mes grands-parents. A ma grand-mère Marie, pour son intarissable curiosité et sa vivacité d’esprit. A mon frère et à Laurianne. A Claire, Didier et Louis. A ma belle-famille, à mes neveux et nièces. A mes amis. A ceux de toujours, Pierre, Emilie, Jeremy, Alexandre, Eloi et Laura, dont l’indéfectible présence est un soutien sans commune mesure, l’humour un souffle d’air frais permanent. A Mathieu, Yann, Chloé, Charline et Nasta qui ont su rendre ces longues années d’étude fort hilarantes. A Léo et Héloïse, Emilien et Aurore, Marion et Dominique, Mathilde, Agnès et Alexandre, Sophie, Philippe, Alix, Mathéo, Félix, Florent, Sarah, Laélia, et Adeline, pour la chance inouïe que j’ai de les connaître. A la promotion 2011 des internes en psychiatrie lyonnais, avec qui ce fut un plaisir de traverser ces quatre années de formation. Aux membres des bureaux de la CLIP et du CNIPSY 2014, avec qui j’ai eu le plaisir et la joie de faire vivre au mieux le monde associatif lyonnais en psychiatrie. Aux différentes équipes médicales et paramédicales avec lesquelles j’ai eu le plaisir de travailler au cours de mon internat et qui ont progressivement forgé les trames de cette réflexion de fin d’étude. A l’équipe du SHU, pour la qualité de son travail quotidien, le partage de réflexions cliniques enrichissantes et son accueil toujours chaleureux. A l’équipe du SUR, pour son humanisme, son optimisme et son engagement dans un travail quotidien de grande qualité en faveur de la réhabilitation. 11 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) A l’équipe de l’ORSPERE-SAMDARRA, pour la qualité de ses travaux et de son action en faveur de la santé mentale des plus démunis, mais aussi pour son accueil toujours chaleureux. A toutes celles et ceux qui ont contribué, sans le savoir sans doute, à l’élaboration de ce travail. 12 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) Table des matières Introduction ........................................................................................................................................ 15 1. Définitions ....................................................................................................................................... 18 A. Migrants .................................................................................................................................................. 18 B. Phases de la migration ............................................................................................................................ 19 C. Concept d’ethnicité ................................................................................................................................. 19 2. Matériel et méthodes ....................................................................................................................... 21 A. Méthodologie de la synthèse narrative ................................................................................................... 21 B. Description de la méthode ...................................................................................................................... 22 3. Perspectives épidémiologiques......................................................................................................... 24 A. Migration et santé mentale...................................................................................................................... 24 B. Schizophrénie, la pathologie du migrant? ............................................................................................... 28 C. Données en France et résultats récents ................................................................................................... 31 D. Phénomène de densité ethnique ................................................................................................ 34 E. Limites et critiques des données ............................................................................................................. 36 F. La migration, un facteur de risque aux contours incertains..................................................................... 41 G. Conclusion.................................................................................................................................. 44 4. Perspectives étiopathogéniques ....................................................................................................... 46 A. Hypothèses avancées .............................................................................................................................. 46 B. Le modèle de l‘échec social (Selten & Cantor-Graae, 2005).................................................................. 49 C. Le modèle sociodéveloppemental (Morgan et al., 2011) ........................................................................ 56 D. Théorie de la « sensibilisation » ............................................................................................................. 61 E. La théorie du « capital social » : lien social et schizophrénie ................................................................. 64 F. Exclusion sociale et discrimination : une double signature cognitive et neurobiologique ...................... 70 G. Conclusion .............................................................................................................................................. 82 5. Perspectives épistémologiques ......................................................................................................... 87 A. Modèles de la schizophrénie et vulnérabilité.......................................................................................... 87 B. Epistémologie de la psychiatrie transculturelle .................................................................................... 107 C. Vers la psychiatrie sociale .................................................................................................................... 123 6. Discussion ..................................................................................................................................... 132 Conclusions ....................................................................................................................................... 137 13 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) « Nous avons perdu notre foyer, c’est-à-dire la familiarité de notre vie quotidienne. Nous avons perdu notre profession, c’est-à-dire l’assurance d’être de quelque utilité dans ce monde. Nous avons perdu notre langue maternelle, c’est-à-dire nos réactions naturelles, la simplicité des gestes et l’expression spontanée de nos sentiments. » Hannah Arendt, 1943 « Ce mythe, dans sa forme la plus marquée, suggère que la schizophrénie survient avec une égale incidence dans tous les pays du monde (riches et pauvres), dans tous les groupes ethniques et toutes les cultures, ainsi que chez les hommes et les femmes de manière égale. Si l’idée même que la schizophrénie puisse être respectueuse des droits de l’Homme possède une vague noblesse, elle s’avère surtout franchement bizarre. » John McGrath, 2006 « Seul, le contact direct des choses peut donner aux enseignements de la science la détermination qui leur manque. Une fois qu’on a établi l’existence du mal, en quoi il consiste et de quoi il dépend, quand on sait, par conséquent, les caractères généraux du remède et le point auquel il doit être appliqué, l’essentiel n’est pas d’arrêter par avance un plan qui prévoie tout; c’est de se mettre résolument à l’œuvre. » Emile Durkheim, 1897 14 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) Introduction Il existe aujourd’hui une augmentation exponentielle du nombre de recherches épidémiologiques portées sur le rôle de la migration dans l’étiopathogénie de la schizophrénie (Oh et al., 2015; Mezuk et al., 2015; Anderson et al., 2015; Kirkbride, 2015, Eilbracht et al., 2015; Adriaanse et al., 2015; 2015). Les résultats parfois contradictoires de ces différentes études et leur complexité indiquent la réalisation de synthèses régulières des données afin d’obtenir des connaissances cohérentes concernant cette littérature fournie et hétérogène. La problématique des liens entre santé mentale et migration confronte ainsi les sciences humaines et fondamentales à un défi d’envergure en ce début de XXIème siècle. En effet, alors que ce lien de causalité est observé depuis les années 1930, les recherches étiologiques, après s’être penchées sans grand succès sur l’étude des facteurs pré-migratoires pouvant expliquer l’extrême vulnérabilité psychique à laquelle sont confrontées les populations migrantes, en arrivent à investiguer plus en détail la période post-migratoire et les conditions d’accueil des immigrés et de leurs descendants dans les sociétés occidentales modernes, s’inscrivant dans un domaine prolifique de recherches concernant les facteurs environnementaux et sociaux de la schizophrénie. Plus précisément, les inégalités territoriales, sociales, mais aussi ethniques, de santé, amènent les chercheurs à se pencher sur le terrain de la schizophrénie, dont les causes environnementales sont à ce jour bien connues mais peu élucidées. Evoquant ainsi une « tragédie de santé publique » pour certains (Morgan & Hutchinson, 2010) ou une « épidémie de psychose » pour d’autres (Selten & Cantor-Graae, 2009), l’adversité psychique à laquelle font face les migrants de par le monde impose, d’un point de vue à la fois éthique et scientifique, que soit placée au coeur de la recherche en psychiatrie la compréhension fine des liens entre schizophrénie et migration. Les effets pathogènes des conditions environnementales et sociales se trouvent ainsi mises au premier plan depuis une dizaine d’années, ouvrant la voie à une multitude de recherches visant à mieux appréhender les liens entre société et individus, santé individuelle et vulnérabilité collective. Ce glissement amène à une nécessaire réflexion pluridisciplinaire autour de 15 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) considérations épidémiologiques, éthiopathogéniques et épistémologiques. Des notions telles que celles de « personne à risque de psychose » ou de vulnérabilité, par leur caractère parfois trop statique, ne permettent en effet que partiellement de mettre en lumière la réalité de processus d’entrée dans une voie psychopathologique telle que la schizophrénie. Pourquoi tel ou tel migrant développera préférentiellement à un autre des troubles psychotiques, ce alors que tous deux partagent à première vue les mêmes facteurs de risque? La question de la vulnérabilité génétique, aisément apportée comme réponse à cette question première a montré ses limites en matière de migration, si bien qu’il paraît nécessaire d’engager une réflexion plus poussée sur les processus d’entrée dans la maladie, à partir de données épidémiologiques, physiopathologiques, neurobiologiques et cognitives mais également apportées par la méthodologie des sciences humaines. Etonnamment, malgré la densité des travaux menés dans la littérature internationale, il semble être fait peu de cas dans les données françaises des connaissances récentes dans le domaine de la psychiatrie sociale et des recherches épidémiologiques en psychiatrie. Ce retard trouve une partie de son explication dans la place prépondérante prise par la psychiatrie transculturelle dans l’analyse psychopathologique de la migration en France, au point de remettre en question la validité même de l’idée selon laquelle la migration serait un facteur de risque significatif de schizophrénie. Si les arguments apportés par les tenants de cette approche centrée sur la compréhension des troubles psychiatriques sous l’angle culturel ne manquent pas d’intérêt pour comprendre au mieux la psychopathologie liée à la migration, force est de constater qu’elle peut parfois amener à nier la réalité qu’est celle de l’extrême vulnérabilité des migrants vis-à-vis de la psychose. Il conviendra dans ce travail de synthèse des données de faire part des résultats en matière d’ethnopsychiatrie, de discuter de leur pertinence dans le champ plus global de l’épidémiologie et l’étiopathogénie de la schizophrénie ainsi que de leurs limites et de l’intérêt qu’ils peuvent revêtir pour éclairer les données actuelles. La communication en français des données récentes sur le sujet apparaît ainsi comme un enjeu majeur de ce travail. Au-delà des liens entre schizophrénie et migration, la question des modèles environnementaux et socio-développementaux se trouve également posée, nécessitant que soit engagée une réflexion sur les modèles actuels de la schizophrénie. Le modèle stress-vulnérabilité, présidant en matière de compréhension de la pathologie schizophrénique depuis la fin des années 70, se trouvent grandement questionné par la migration, amenant la réflexion épistémologique à préciser davantage ce que recouvrent des termes aussi polysémiques que « stress » ou « vulnérabilité ». Les déterminants réciproques unissant les notions de vulnérabilité et de stress se trouvent ainsi nécessairement remis en question et réinterrogent en profondeur les modèles théoriques actuels. 16 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) Au-delà de ces nombreux questionnements, il s’agira également de discuter l’intérêt réciproque et l’articulation entre les travaux quantitatifs des sciences fondamentales et les approches davantage qualitatives des sciences humaines pour mieux appréhender la réalité d’un phénomène complexe. Une notion telle que celle de lien social ne saurait par exemple être envisagée uniquement d’un point de vue quantitatif dans l’optique d’appréhender totalement le phénomène complexe qui fait ressentir à un individu le fait de se sentir soutenu et reconnu dans un système d’appartenance sociale, culturelle ou communautaire. Ce travail de thèse visera ainsi à apporter une synthèse des connaissances actuelles concernant les liens entre schizophrénie et migration. A notre grande surprise, elle représentera le premier travail de synthèse méthodique en langue française des travaux scientifiques internationaux sur le sujet. 17 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) 1. Définitions Avant toute prise en compte des résultats, il convient de définir les termes utilisés dans les travaux de recherche épidémiologique ou clinique portant sur les questions de migration. Les termes de migrant ou d’ethnicité présents dans les études internationales posent en effet des problèmes de définition et de délimitation conceptuelle, en comparaison notamment avec la manière dont ils sont entendus dans les travaux en langue française. A. Migrants En effet, les études internationales distinguent les migrants de première et de seconde génération (Bourque et al., 2011; Selten & Cantor-Graae, 2005), là où la nomenclature française évoque préférentiellement les termes d’immigrés et de descendants d’immigrés (Enquête Trajectoire & Origines, 2008). Nous retiendrons dans ce travail de thèse les termes suivants, utilisés dans les travaux épidémiologiques internationaux: • Migrants de première génération: personnes nées à l’étranger de parents étrangers ayant migré dans le pays d’accueil depuis leur pays d’origine, elles sont définies en français par le terme d’immigrés • Migrants de seconde génération: personnes nées dans le pays d’accueil d’un ou deux parent né(s) à l’étranger, pour lesquelles la dénomination française serait celle de descendants d’immigré A noter que sera également utilisé la notion de migrant de troisième génération, terme présent dans un des travaux épidémiologiques (Amad et al., 2013), désignant les petits-enfants de migrants de première génération, nés dans le pays d’accueil et ayant donc un ou plusieurs grands-parents né(s) à l’étranger et deux parents nés dans le pays d’accueil. 18 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) B. Phases de la migration La distinction des différentes phases migratoires est primordiale d’un point de vue étiopathogénique car les études ont longtemps cherché à définir l’origine des liens entre migration et schizophrénie en se basant sur les données précédant la migration (vulnérabilité génétique, notamment) ou liées au stress de la migration en elle-même. En effet, certains travaux postulaient une causalité antérieure à la migration, d’autres l’identifiaient dans le processus de migration ou encore dans la phase postérieure à la migration. Il est aujourd’hui ainsi convenu de retenir trois phases dans le phénomène migratoire (Bughra & Jones, 2001): • pré-migratoire: phase durant laquelle la personne envisage de migrer, elle se déroule dans le pays d’origine • migratoire : processus qui voit la personne quitter son pays d’origine en direction du pays d’accueil, elle peut durer de quelques jours à plusieurs années • post-migratoire : phase suivant l’acte migratoire qui se déroule dans le pays d’accueil C. Concept d’ethnicité Le concept d’ethnicité est sans doute celui qui pose le plus problème du point de vue de la nomenclature française. Il est décrit dans la littérature anglo-saxonne comme « le sens d’appartenir à un groupe dont les membres sont considérés comme similaires d’un point de vue culturel et ethnique » (Fernando, 2010; Bhopal, 2014). On voit dès lors toute les questions que peuvent soulever une telle définition. La notion de communauté, davantage utilisée en langue française pourrait en partie se rapprocher de celle d’ethnicité. Pour autant, elle tend à être connotée négativement d’un point de vue politique et social, étant rapidement rapportée à la notion de « communautarisme », peu valorisée dans l’optique de la définition du lien social à la française. Il est à noter que la notion d’identité serait assez proche de celle d’ethnicité en ce qu’elle serait une part non négligeable de ce qui pourrait définir le sentiment d’identité d’une personne au sein d’une identité complexe (Descombes, 2013; Marchal, 2012). Ainsi, nous utiliserons en temps voulu ce concept d’ethnicité d’un point de vue scientifique. Une discussion sera menée sur la manière de le transposer dans le langage commun et le contexte français dans la discussion de la première partie de ce travail. Le terme de densité ethnique, dont nous discuterons la pertinence scientifique dans le chapitre consacré à l’épidémiologie, est un concept apparu précocement dans les travaux épidémiologiques en matière de migration (Faris & Dunham, 1939; Malzberg, 1964). Il désigne le taux de personnes issues d’une même communauté ethnique au regard de la population générale vivant dans une zone géographique donnée. Plus ce taux augmente au sein de la zone, plus la densité ethnique est considérée comme élevée. 19 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) La séparation ethnique est un concept corrélé à celui de densité ethnique, en ce qu’il s’intéresse à la répartition des minorités dans une zone géographique donnée (Kirkbride, 2014). Le schéma 1 représente la différence entre un quartier A où la séparation ethnique est forte, comparée à un quartier B au sein duquel elle est faible. Ce concept peut être rapproché de la notion française de mixité sociale, le quartier B représentant ainsi un exemple de haute mixité sociale, au contraire du quartier A. Quartier A Quartier B Figure 1: Modélisation Modélisation du concept de séparation ethnique (adapté de Kirkbride et al., 2014) Enfin, le terme d’identité ethnique est compris comme le sentiment personnel d’appartenance à sa communauté d’origine. Il se rapproche de la notion de capital social cognitif, qui désigne quant à lui les sentiments individuels de confiance vis-à-vis de son voisinage et de sa communauté, en y ajoutant, entre autres, la question culturelle. Pour des raisons pratiques de conformité aux données internationales, l’ensemble de ces termes sera utilisé tout au long de ce travail de thèse. Il ne s’agit en aucun cas de s’affranchir d’une réflexion quant à la pertinence de l’utilisation de ces concepts dans le contexte français, si bien que la discussion portera régulièrement sur leur transférabilité et le sens qu’ils peuvent revêtir dans notre société, dont les manières d’appréhender les phénomènes sociaux s’éloignent significativement du modèle anglo-saxon ou d’Europe du Nord. 20 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) 2. Matériel et méthodes A. Méthodologie de la synthèse narrative Ce travail de thèse utilisera la méthode de la synthèse bibliographique narrative (narrative review) décrite par différents auteurs (Rother, 2007; Green et al., 2006; Cipriani & Geddes, 2003). Elle est définie comme une « revue de la littérature non systématique visant à offrir une synthèse des connaissances scientifiques actuelles sur un sujet donné, notamment quand il ne s’agit pas d’obtenir une synthèse statistique de données quantitatives » (Green et al., 2006). La méthode de la synthèse narrative est particulièrement indiquée lorsqu’il s’agit d’offrir une mise en relief, à la fois théorique, historique et épistémologique, d’un sujet clinique ou de recherche, mais aussi de son contexte, pour lequel existent des points de vue divergents au sein de la communauté scientifique (Slavin, 1995). Elle permet ainsi d’apporter une synthèse de l’ensemble des arguments apportés par les différentes écoles, notamment lorsque des considérations philosophiques, épistémologiques ou éthiques par exemple, se trouvent mises en discussion autour de théories ou de contextes différents. Les auteurs tendent ainsi à indiquer l’introduction dans la synthèse narrative d’un examen critique des travaux cités (DePoy & Gitlin, 2011; Day et al., 1998), malgré des avis divergents à ce sujet (Heleva & Walker, 2000). Le Narrative Overview Rating Scale (NORS, Green et al., 2006; Annexe 1) offre les bases d’une structuration méthodologique à une synthèse narrative valide, en apportant un cadre de construction systématisée de la revue de la littérature. Cette échelle quantitative d’hétéro-évaluation permet de juger de la validité interne et externe d’une synthèse narrative, au travers de sa construction méthodologique structurelle et rédactionnelle. Ainsi, l’utilisation de bases de données bibliographiques multiples et bien identifiées lors de la rédaction apparaît comme une condition nécessaire à la validité de l’étude. Les critères d’inclusion ou d’exclusion des différents travaux et études se doivent d’être préalablement établis et définis. De même, la mise en forme des données se doit de répondre à un certain nombre d’exigences fondamentales, du point de vue de la construction rédactionnelle et du contenu des différentes parties. Il est important de noter que la synthèse narrative n’offre pas une méthode adéquate pour définir des recommandations de prise en charge pour le clinicien, en premier lieu parce qu’elle traite davantage des enjeux d’une problématique médicale et sanitaire que de discussions diagnostiques, pronostiques ou thérapeutiques. L’utilisation du NORS permet de diminuer au maximum le risque de biais et d’optimiser la validité scientifique de cette démarche méthodologique particulière. 21 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) B. Description de la méthode Dans notre travail, après avoir identifié la problématique précise des liens de causalité entre schizophrénie et migration, nous avons mené une recherche bibliographique en vue de proposer une synthèse la plus exhaustive possible des connaissances actuelles sur le sujet, mais aussi des débats et controverses qui y sont associés, notamment du point de vue des modèles actuels de la schizophrénie, des liens entre santé publique et individuelle et de l’épistémologie des disciplines s’intéressant à la psychopathologie de la migration. Une première ligne de recherche bibliographique a porté sur les données scientifiques ayant cherché à valider et préciser la caractérisation de la migration comme facteur de risque de schizophrénie, des années 2000 à 2015. La base de données utilisée était la database Medline, pour des articles comprenant les termes MeSH suivants: « migration », « migrant », « ethnicity », « psychose », ou « schizophrenia ». Les études épidémiologiques antérieures aux méta-analyses ont été exclues, au contraire de celles ayant été réalisées après 2011. Les travaux de synthèse les plus récents ont été conservés, de même que les études épidémiologiques réalisées après 2011, date de la dernière métaanalyse sur le sujet. Une seconde recherche bibliographique a visé à exhaustiver les connaissances et recherches en cours sur les mécanismes explicatifs potentiels du lien établi entre psychose et migration, à travers une recherche utilisant de nouveau la base MEDLINE autour des termes suivants: « discrimination », « ethnic density », « ethnic identity », « social exclusion », « social cohesion », « social capital », « social advsersity », « social defeat », « environment » corrélés aux termes MeSH suivants « mental health », « psychosis », « schizophrenia » et « migration ». Ces termes ont été choisis au regard des discussions étiologiques apportées à la fin des articles épidémiologiques utilisés dans la première partie de la synthèse. La période de recherche bibliographique concernait à nouveau les années 2000 à 2015. Etaient retenus les articles évoquant l’étiopathogénie de la littérature directement à partir des données concernant l’épidémiologie du risque de psychose dans les populations migrantes. Etaient exclus les articles évoquant l’étiopathogénie de la schizophrénie à partir d’autres facteurs de risque, sans référence aucune à la migration ou l’ethnicité. Le dernier chapitre de ce travail proposant des pistes de réflexions autour des différentes perspectives de recherche et de réflexion, tant du point de vue des sciences humaines que fondamentales, quant à la nécessaire précision des modèles actuels de la schizophrénie, aux implications pratiques des découvertes scientifiques sur les effets psychiques de la migration. La recherche bibliographique a alors porté sur plusieurs bases de données anglophones et francophones, telles que MEDLINE, CAIRN, WORDCAT ou SUDOC. La recherche s’est concentrée autour des termes suivants, rapportés ici en anglais et associés à leur traduction française: « model (modèle) », « schizophrénia 22 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) (schizophrénie) », « psychosis (psychose) » « environment (environnement) », « vulnerability (vulnérabilité) », « public health (santé publique) », « liability (vulnérabilité) », « social psychiatry (psychiatrie sociale) », « cross-cultural psychiatry (psychiatrie transculutrelle) ». La période de recherche était élargie aux années 1970 à 2015, tant pour les travaux francophones qu’anglophones, ce qui correspond aux dates d’apparition de réflexions scientifiques sur les modèles environnementaux de la schizophrénie. Les articles et ouvrage traitant principalement de la schizophrénie à partir de données environnementales ou culturelles ont été retenus. La réalisation de notre synthèse narrative a répondu aux exigences du Narrative Overview Rating Scale, tant du point de vue de la réalisation de la recherche bibliographique que de la rédaction. 23 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) 3. Perspectives épidémiologiques Depuis l’étude initiale d’Ödegaard datée de 1932, il semble établi que la migration est un facteur de risque de schizophrénie, aux côtés de l’urbanicité, des traumatismes infantiles, du cannabis ou encore des antécédents familiaux de trouble psychotique. Les travaux se sont ainsi succédés au fil des décennies, amenant les auteurs à apporter une validité croissante à la réalité mise en lumière par le psychiatre norvégien. Il convient de proposer une synthèse des travaux épidémiologiques menés sur le sujet en y intégrant les données récentes, afin de connaître la réalité de ce risque et d’en discuter les caractéristiques. Plus d’une vingtaine d’articles ont été identifiés au décours de la recherche bibliographique portant sur les années 2000 à 2015. Dix-sept ont été retenus pour cette première partie épidémiologique, parmi lesquels figurent cinq méta-analyses (Tortelli et al., 2015; Bousqui et al., 2013; Bourque, van der Wen & Malla, 2011; Swinnen & Selten, 2007; Cantor-Graae & Selten, 2005), dix études épidémiologiques, cinq rétrospectives (Pedersen & Cantor-Graae, 2013; Amad et al., 2013; Vinkers et al., 2013; Nielssen et al., 2013; Werbeloff et al., 2012) et cinq prospectives (Oh et al., 2015; Mezuk et al., 2015; Anderson et al., 2015; O’Donoghue et al., 2014; Tortelli et al., 2014), ainsi que deux articles de synthèse et de revue critique des données (Bourque et al., 2012; Baubet, 2009). A. Migration et santé mentale Dès l’entre-deux guerres, Ödegaard, psychiatre norvégien émigré aux Etats-Unis, observait chez ses compatriotes une incidence plus élevée de troubles psychotiques au regard de la population américaine autochtone, ce qu’il publia en 1932 dans une étude qui fit date, intitulée Emigration and Insanity (Ödegaard, 1932). Son étude retrouvait ainsi un taux deux fois plus élevé de schizophrénie chez les migrants norvégiens qu’au sein de la population native américaine et que pour les norvégiens dans leur pays d’origine. L’hypothèse de la migration sélective, dont nous discuterons plus tard la validité scientifique, y était proposée, basée sur l’idée que les personnes souffrant de troubles psychotiques présenteraient une inclinaison plus forte à migrer du fait de leur inadaptation dans leur pays d’origine. Dans le même temps, une étude anglaise (Faris & Dunham, 1939) démontrait que les personnes noires de peau présentaient un taux plus important d’hospitalisation en psychiatrie, sauf dans les quartiers de la ville où ils représentaient la communauté majoritaire. Ce travail fut le premier à proposer le concept de densité ethnique et à s’intéresser aux liens entre urbanicité, migration et 24 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) schizophrénie. Des travaux plus récents ont permis de préciser les liens de causalité existant entre migration et santé mentale. 1. Incidence des pathologies mentales au Danemark Une étude danoise récente (Pedersen & Cantor-Graae, 2013) a permis de mettre en exergue les pathologies psychiatriques particulièrement favorisées par la migration. Ce travail épidémiologique rétrospectif d’envergure a ainsi porté sur 1.859.419 personnes résidant au Danemark entre Janvier 1971 et Décembre 2000. L’existence d’un diagnostic psychiatrique était recherchée parmi les personnes incluses, autour des huit pathologies suivantes : schizophrénie, pathologies du spectre schizophrénique, trouble schizoaffectif, trouble bipolaire, trouble de l’humeur, troubles anxieux et somatoformes, trouble de personnalité et addictions. Pour rechercher une corrélation entre ces différents diagnostics et la migration, les personnes incluses dans l’étude étaient identifiées selon huit types de parcours de vie et de rapport au phénomène migratoire : les personnes adoptées (n= 15 360), la première génération de migrants (n= 34 555), la seconde génération de migrants de mère née à l’étranger (n= 53 906), dont le père est né à l’étranger (n= 57 933), ou dont les deux parents sont nés à l’étranger (n= 71 340), les personnes nées à l’étranger de parents danois expatriés (n= 8 046), les danois avec une histoire de résidence à l’étranger (n= 21 280) et les danois sans antécédents de résidence à l’étranger (n= 1 576 369). Le risque relatif était calculé pour chacune des pathologies au sein de chaque cohorte. Les principaux résultats montraient que : ➢ les personnes adoptées présentent un risque augmenté pour l’ensemble des pathologies psychiatriques recherchées (RR= 1,65; IC95%= 1,58-1,73 ; p<0,0001), principalement pour la schizophrénie et les troubles du spectre, le trouble bipolaire et les troubles de personnalité ➢ les migrants de première génération présentent un risque augmenté uniquement pour la schizophrénie (RR= 2.10 ; p<0.0001) et les troubles du spectre schizophrénique (RR= 1.96 ; p<0.0001) ➢ les migrants de seconde génération ayant deux parents nés à l’étranger présentent un risque relatif significativement augmenté uniquement pour la schizophrénie (RR= 1.95, p<0.0001) et les pathologies du spectre schizophrénique (RR= 1,95 ; p<0,0001) ➢ les migrants de seconde génération ayant un seul parent né à l’étranger présentent un risque augmenté pour l’ensemble des pathologies psychiatriques, notamment la schizophrénie (RR = 1,54 s’il s’agit de la mère; RR = 1,69 s’il s’agit du père), les troubles du spectre schizophrénique, ainsi que le trouble bipolaire 25 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) ➢ les danois nés à l’étranger de parents expatriés présentent un risque augmenté uniquement pour les troubles du spectre schizophrénique (RR= 1,43; p<0,01) ➢ les danois ayant une histoire de résidence à l’étranger présentent un risque augmenté pour le trouble schizo-affectif, les troubles du spectre schizophrénique, le trouble bipolaire, les troubles de l’humeur et les troubles de personnalité Il ressort de cette étude que la schizophrénie apparaît comme le trouble psychiatrique le plus représenté au sein des différentes populations migrantes notamment chez les personnes adoptées, les migrants de première ou de deuxième génération. Le risque relatif varie ainsi de 1.63 à 2.52 selon les sous-populations à risque. Il est intéressant de noter différents points : • L’histoire de migration chez des personnes d’origine danoise et de parents danois (expatriés ou enfants d’expatriés) ne semble pas favoriser la schizophrénie, au contraire d’autres pathologies psychiatriques, notamment les troubles du spectre schizophrénique • Un point important est la vulnérabilité que représente l’adoption, qui apparaît comme un facteur de risque pour l’ensemble des pathologies psychiatriques recensées dans l’étude. • Le risque de schizophrénie est augmenté à la fois chez les migrants de première et de seconde génération Ces données tendent d’ores et déjà à avancer l’idée que ce n’est sans doute pas le fait de migrer en soi qui favorise les troubles psychiatriques, et notamment la schizophrénie, mais que d’autres déterminants, pré- ou post-migratoires, semblent entrer en compte. Ainsi, certaines populations apparaissent fragiles vis-à-vis de la schizophrénie uniquement tandis que d’autres en semblent protégées tout en présentant des facteurs de risque augmentés pour d’autres pathologies psychiatriques. Cette étude a également permis de catégoriser les populations les plus à risque et de calculer le risque cumulatif de présenter une pathologie psychiatrique de tout type entre l’âge de 10 ans et de 40 ans. Il ressort que les personnes adoptées sont les plus à risque de présenter une pathologie psychiatrique au cours de leur vie, avant les migrants de seconde génération ayant un seul parent né à l’étranger. Les migrants de première génération ou ayant deux parents nés à l’étranger présentent assez étonnamment un risque cumulatif moins élevé que la population autochtone. Il est à noter que dans la population masculine la fragilité psychique semble davantage marquée puisque l’ensemble des populations migrantes, à l’exception de la première génération, se trouvent plus à risque que la population autochtone de développer une pathologie psychiatrique avant l’âge de 40 ans. Cette étude exhaustive permet d’introduire la problématique des liens entre santé mentale et migration, en mettant en lumière la vulnérabilisation psychique que représente une histoire migratoire. Si les risques relatifs demeurent inégaux et variés selon le type de pathologie et le rapport à la 26 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) migration, ils n’en manquent pas moins de mettre en lumière la fragilisation que représente le vécu migratoire. La complexité de l’intrication entre le rapport précis à la migration (première ou seconde génération, un seul ou deux parents né(s) à l’étranger, etc.…) et les pathologies exprimées démontre l’hétérogénéité existante selon les groupes et la complexité du lien entre santé mentale et migration. Le dénominateur commun que semble représenter la schizophrénie et les troubles associés nécessite d’entamer une réflexion approfondie sur les déterminants partagés entre ces différents groupes qui pourraient concourir à la survenue de la maladie au cours de la vie. Une des limites évidente de ce travail est, qu’au-delà de sa validité scientifique au vue du nombre conséquent de personnes incluses, il reste difficile d’extrapoler les résultats dans un contexte socioéconomique et politique autre que le Danemark ou, du moins, en dehors d’un pays développé d’Europe. Une autre limite réside dans la temporalité de l’étude qui voit les calculs d’incidence s’arrêter après l’âge de 40 ans, ce qui tend à favoriser la mise en exergue de pathologies de développement précoce telles que la schizophrénie ou le trouble bipolaire. En effet, les troubles anxieux ou dépressifs pourraient être largement augmentés au-delà de la quarantaine, ce que l’étude ne permet pas de mettre en lumière, au risque d’appuyer artificiellement sur la place de la schizophrénie au sein de la psychopathologie liée à la migration. Pour autant les résultats tendant à concorder par-delà les frontières et les méta-analyses récentes portant sur les principaux troubles psychiatriques retrouvent une augmentation du risque de troubles psychiatriques pour les populations migrantes, au sein desquelles la schizophrénie occupe une place privilégiée. Avant de détailler les travaux en matière de schizophrénie, nous pouvons nous pencher sur une méta-analyse de Sanne, Swinnen et Selten concernant la place des troubles de l’humeur chez les populations migrantes, afin de discuter davantage le lien privilégié entre schizophrénie et migration que semble mettre en avant l’étude de Cantor-Graae. 2. Migration et troubles de l’humeur En 2007, Sanne, Swinnen et Selten réalisent une méta-analyse portant sur quatorze études analysant les liens entre troubles de l’humeur et migration (Sanne, Swinnen & Selten, 2007). Deux études portaient spécifiquement sur la dépression, cinq sur le trouble bipolaire, neuf sur le trouble de l’humeur non spécifié. La grande majorité des études avaient été menées en Angleterre - au total, neuf études sur les quatorze retenues. Les autres avaient été réalisées en Israël, en Suède, au Danemark, en Australie et aux Pays-Bas. Les résultats retrouvaient un risque relatif pour le trouble bipolaire de 2,47 (IC95%= 1,33-4,59) mais tombant à une tendance non significative en excluant les afro-caribéens (RR=1,75; IC95%= 0,943,28), population très présente au Royaume-Uni dont les risques de pathologie mentale sont excessivement élevés. A noter que le facteur de risque était non significatif pour les femmes mais présent pour les hommes (RR= 2,51; 1,34-4,72). Concernant les troubles de l’humeur de polarité non 27 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) spécifiée, le risque relatif calculé était de 1,25 (IC95%= 1,04-1,49). Enfin, concernant les troubles de l’humeur en général (any mood disorder) le risque était de 1,38 (IC95%= 1,17-1,62). Les auteurs concluent ainsi que l’augmentation du risque de présenter un trouble de l’humeur reste relativement peu élevé pour les populations migrantes. En tout cas, il apparaît a priori moindre que celui présenté du point de vue de la schizophrénie, ce qui pose la question de l’existence d’un lien privilégié entre migration et schizophrénie, et de fait de l’existence de déterminants étiopathogéniques spécifiquement impliqués dans cette vulnérabilisation psychopathologique ainsi que d’effets cognitifs ou neurobiologiques précis de la migration. B. Schizophrénie, la pathologie du migrant? Les résultats des études citées jusqu’ici tendent à donner à la schizophrénie une place privilégiée dans les troubles mentaux présentés par les migrants. En effet, la vulnérabilisation psychique observée ne semble pas atteindre aussi préférentiellement les troubles de l’humeur et le trouble bipolaire. Une analyse de travaux ayant porté spécifiquement sur la question de la psychose en contexte migratoire semble en ce sens primordiale. Deux méta-analyses récentes (Cantor-Graae & Selten, 2005; Bourque et al., 2011) permettront d’apporter des données quantitatives précises dans cette optique. 1. Méta-analyse de Cantor-Graae & Selten (2005) a. Résultats En 2005, plus de 70 ans après la première étude sur le sujet, Elizabeth Cantor-Graae et Jean-Paul Selten réalisent la première méta-analyse visant à préciser et valider la possibilité de désigner la migration en tant que facteur de risque de schizophrénie. Dix-huit études répondant aux critères d’inclusion de l’analyse ont ainsi été utilisées. Huit d’entre elles étaient des études de premier contact ambulatoire ou intrahospitalier, dix traitaient de primo-admission hospitalière en psychiatrie. L’ensemble des études avaient été réalisé dans cinq pays différents: Angleterre, Danemark, Suède, PaysBas et Australie, pour un total de 3704 patients migrants et de 27 090 témoins. Les résultats retrouvés étaient les suivants: • Risque relatif de schizophrénie pour la première génération de migrants : 2,7 (IC95%= 2,3- 3,2) • Risque relatif de schizophrénie pour la seconde génération de migrants : 4,5 (IC95%= 1,3- 13,1) • Risque relatif cumulé de schizophrénie pour l’ensemble des migrants de première et deuxième génération : 2,9 (IC95%= 2,5-3,4) 28 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) Le premier résultat de cette étude validait donc l’existence d’un lien de causalité entre la migration et la schizophrénie, présent pour les personnes ayant migré au cours de leur existence, mais également pour la seconde génération de migrants, n’ayant pas elle-même migré. Au-delà de ces résultats généraux pour chacune des générations, un calcul d’hétérogénéité mené pour toutes les analyses s’est avéré significatif, ce qui met en exergue l’existence de groupes différents ne pouvant être considérés comme présentant un niveau de risque identique et sans doute une étiologie commune à ce risque partagé. Ainsi, les niveaux de risque relatifs étaient différemment repartis selon certaines caractéristiques précises. Par exemple, il était de 2,3 (IC95%= 1,7-3,1) pour les migrants originaires de pays développés contre 3,3 (IC95%= 2,8-3,9) pour ceux originaires de pays en voie de développement. Les personnes noires de peau présentaient le risque le plus élevé, à hauteur de 4,8 (IC95%= 3,7-6,2), contre 2,3 (IC95%= 1,7-3,1) pour les personnes blanches et 2,2 (IC95%= 1,7-2,9) pour les personnes ayant un autre couleur de peau. A noter qu’il n’existait en revanche pas de différence de risque selon le genre (risque relatif de 2,4 contre 2,5), ce qui contraste avec l'épidémiologie habituelle de la schizophrénie pour laquelle le sexe masculin est un facteur de risque reconnu (Aleman, Kahn & Selten, 2003). Au total, la méta-analyse de Cantor-Graae et Selten a permis de valider en 2005 le fait de caractériser la migration comme un facteur de risque de schizophrénie. L’ampleur de ce risque se situe à hauteur de celui retrouvé pour le cannabis (RR= 2), le mode de vie urbain (RR= 2,37), les complications obstétricales (RR= 2) ou les traumatismes infantiles (RR compris entre 1,2 et 2,9). Ceci fait de la migration un facteur de risque majeur dans la genèse des troubles psychotiques. Une revue récente des facteurs de risque environnementaux de schizophrénie évalue ainsi le risque attribuable, c’est à dire le nombre de cas qui seraient évités en l’absence du facteur de risque, lié à la migration à hauteur de 15% (Vilain et al, 2012). Pour comparaison, le risque attribuable est de 34,5% pour l’urbanicité et de seulement 5,5% pour les antécédents familiaux de schizophrénie. b. Limites Cette première méta-analyse sur le sujet présente plusieurs limites méthodologiques qu'il convient de souligner. Tout d’abord, la plupart des études se focalisent sur un groupe ethnique particulier dans un pays donné et non pas sur les migrants en général dans ce même pays (par exemple, les Surinamais et Marocains aux Pays-Bas, les Caribéens en Angleterre), si bien qu’il est difficile d’extrapoler les résultats à d’autres minorités. De plus, l’ensemble des études a été réalisé dans un nombre restreint de pays développés, majoritairement européens, ce qui rend encore une fois difficile l’extrapolation des résultats. Cependant, l’amplitude de la taille d’effet et la convergence des résultats de chacune des études laissent peu de doute quant à la réalité des liens entre schizophrénie et migration. 29 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) Concernant les résultats pour la seconde génération de migrants, le faible nombre d’études portant spécifiquement sur cette population utilisée pour l’analyse, sept au total, amène à émettre des doutes quant à l’ampleur du risque. 2. Méta-analyse de Bourque, van der Wen & Malla (2011) En 2011, Bourque et ses collaborateurs réalisent une nouvelle méta-analyse, prenant en compte les études réalisées depuis 2005, dans l’optique notamment d’éclairer la réalité du risque pour la seconde génération de migrants. En effet, la taille d’effet s’avérait assez faible les concernant dans la méta-analyse de Cantor-Graae et Selten et le peu d’études portant spécifiquement sur les migrants de seconde génération ne pouvait amener à des preuves scientifiques définitives. Au total, vingt-et-une études remplissaient les critères d’inclusion, parmi lesquelles dix portaient sur la première génération de migrants, deux sur la seconde génération et neuf à la fois sur la première et la seconde génération de migrants, correspondant respectivement à 5508 patients de première génération et 4422 patients de seconde génération. Douze portaient sur des primo-admissions hospitalières, neuf sur des primo-consultations. Douze de ces études avaient été utilisées pour la méta-analyse de CantorGraae et Selten. Les études avaient été menées en Angleterre, en Suède, aux Pays-Bas, au Danemark, en Israël et au Canada. Le risque relatif calculé était le suivant : • Risque relatif pour les migrants de première génération : 2,3 (IC95%= 2,0-2,7; taille d’effet: 61) • Risque relatif pour les migrants de seconde génération: 2,1 (IC95%= 1,8-2,5; taille d’effet: 28) La différence de risque relatif retrouvée entre les deux générations n’était pas significative. Cette seconde méta-analyse a donc permis d’appuyer l’idée que la migration est un facteur de risque environnemental de schizophrénie à la fois pour les première et deuxième génération de migrants, à hauteur d’un risque relatif compris entre 2 et 3. Comme dans la méta-analyse de 2005, les calculs d’hétérogénéité parmi les deux générations étaient significatifs, soulignant de nouveau le fait qu’il ne s’agit sans doute pas d’appréhender la migration comme un facteur de risque homogène se basant sur un substrat étiopathogénique unique. Ainsi, Bourque et ses collaborateurs retrouvaient un risque très élevé pour les personnes noires de peau (RR= 4,0 pour la première génération et RR= 5,4 pour la seconde génération de migrants) au regard des populations asiatiques notamment (RR= 1,7; IC95%= 1,3-2,3). Il est intéressant de noter que les deux études réalisées en Israël (Corcoran et al., 2009; Weiser et al., 2008) retrouvent des résultats contradictoires quant à l’augmentation du risque de schizophrénie parmi les populations migrantes, notamment venues d’Europe, aussi bien pour la première que la 30 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) seconde génération. Il est cependant noté que le risque est augmenté (RR= 2,95) pour les migrants éthiopiens. Ce résultat interroge bien évidemment sur l’étiopathogénie des liens entre migration et schizophrénie, notamment du point de vue de la discrimination et du sentiment d’échec social, la migration vers Israël (l’Alya) n’ayant sans doute pas les mêmes effets psychopathologiques que celle de migrants en direction des pays développés d’Europe. De même, un possible vécu de discrimination motivant la migration ne semble pas avoir nécessairement d’effet d’augmentation du risque de psychose à l’arrivée dans le pays d’accueil. Cette seconde méta-analyse, en confirmant et précisant les résultats de celle effectuée par Cantor-Graae et Selten, a permis de valider définitivement la caractérisation de la migration comme facteur de risque de schizophrénie. Les limites méthodologiques restent identiques à la première métaanalyse et seront discutées plus en détail dans un chapitre ultérieur. C. Données en France et résultats récents Se pose la question de la transposabilité des résultats retrouvés dans les méta-analyses portant uniquement sur des populations précises dans des pays du Nord de l’Europe. En effet, peut-on les extrapoler à d’autres pays dans d’autres conditions socioéconomiques et culturelles? Deux études récentes menées en France ont cherché à vérifier l’existence d’un sur-risque de psychose pour les populations migrantes en France, tandis que différentes études récentes ont retrouvé des résultats divergents sur différents continents. 1. Amad & collaborateurs (2013) En 2013, Amad et collaborateurs réalisent une étude rétrospective portant sur le risque d’épisodes psychotiques aigus et récurrents chez les migrants de première, seconde et troisième générations dans le Nord de la France. L’analyse portait sur 37 063 personnes incluses entre 1999 et 2003 dans le Nord au sein d’une cohorte tirée de l’étude « Santé Mentale en Population Générale » (SMPG) réalisée par le CCOMS, parmi lesquelles 9821 étaient considérées comme migrantes. Le diagnostic de psychose était assuré par la passation d’une Mini International Neuropsychiatric Interview (MINI), qui permet de distinguer entre épisode psychotique unique et épisodes psychotiques récurrents. Sur l’ensemble de la cohorte, 1104 personnes étaient diagnostiquées avec un trouble psychotique (2,7%), comprenant 271 épisodes uniques (0,7%) et 743 épisodes récurrents (2.0%). Après ajustement pour le sexe, l’âge, le niveau d’éducation et l’abus de substance cannabique, les risques relatifs pour les épisodes psychotiques aigus et récurrents étaient majorés pour les migrants de première et de seconde génération à hauteur de risques relatifs compris entre 1,43 et 1,68 (Tableau 1). Pour la troisième génération, seul le risque d’épisodes psychotiques récurrents était majoré, à hauteur de 1,78 (IC95%= 1,45-2,18; p< 0,0001). 31 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) 1ère génération 2nde génération 3ème génération Episode unique 1,68 1,43 1,34 (NS) Episodes récurrents 1,57 1,43 1,78 Tableau 1: Prévalence et odds ratio d’épisodes d’épisodes psychotiques psychotiques uniques uniques et récurrents récurrents selon les génération de migrants dans le Nord de la France (adapté de Amad et al., 2013) Cette étude a donc permis de confirmer l’existence d’un risque élevé de schizophrénie pour les populations migrantes en France, et d’avancer, pour la première fois, la persistance de ce risque au sein de la troisième génération. L’utilisation du MINI pour le diagnostic d’épisode psychotique pose la question de sa validité dans le cas de la schizophrénie, ce alors que la PANSS est décrit comme l’outil psychométrique le plus efficace. 2. Tortelli & collaborateurs (2014) En 2014, Tortelli et collaborateurs ont publié une étude prospective réalisée sur les urgences psychiatriques du 20ème arrondissement de Paris visant à identifier le risque de psychose pour la population migrante (Tortelli et al., 2014). Les inclusions eurent lieu entre 2005 et 2009, pour l’ensemble des personnes quittant les urgences avec un diagnostic de psychose. Ainsi, 258 personnes furent incluses, parmi lesquelles étaient décomptés 122 migrants. Les résultats retrouvaient une forte tendance, pour autant non significative, de risque élevé de psychose chez l’ensemble des migrants (RR= 2,9; IC95%= 0,9-9,8). Les analyses de sous-groupes montraient un risque élevé uniquement pour les hommes migrants (RR= 3,2; IC95%= 1,1-9,3) et notamment d’origine subsaharienne (RR= 7,4; IC95%= 2,7-19,8). Les résultats, malgré des tendances, n’étaient pas significatifs pour l’ensemble des autres groupes. Cette étude, sans doute du fait d’un manque de puissance suffisante de l’échantillon, n’a permis de rapporter que des tendances, fortes mais pour autant non significatives, en soulignant comme dans la plupart des études une vulnérabilité particulière pour certains groupes ethniques. 32 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) 3. Résultats récents Différentes études récentes publiées au cours des derniers mois ont apporté un certain nombre de données nouvelles sur les liens entre schizophrénie et migration, n’allant pas nécessairement dans le sens des résultats antérieurs selon les cas. a. Données canadiennes Une étude canadienne publiée en juin 2015 (Anderson et al., 2015) a permis de préciser le risque de psychose pour différentes populations migrantes de première génération et réfugiées installées en Ontario. L’analyse retrouvait des niveaux de risque différents selon l’origine des personnes et leur statut socio-économique. Ainsi, il s’agit de la première étude qui retrouve un risque augmenté spécifiquement pour les personnes bénéficiant du statut de réfugié (RR= 1.27 ; IC95% = 1.04-1.56), qui constituait dans l’étude un facteur de risque indépendant d’autres variables. Du point de vue de l’origine, les réfugiés originaires d’Afrique de l’Est (RR= 1.95 ; IC95%= 1.44-2.65) et du Sud de l’Asie (RR= 1.51 ; IC95% = 1.08-2.12) présentaient les risques de schizophrénie les plus élevés avec les immigrés originaires des Caraïbes ou des Bermudes (RR= 1.60, IC95% = 1.29-1.98). En revanche, il n’était pas retrouvé de risque augmenté pour les personnes originaires d’Europe et d’Asie de l’Est (RR= 0.56 ; IC95%= 0.410.78). Cette étude tend donc à corroborer l’hypothèse d’existence de groupes ethniques à risques, différents selon le pays d’accueil et le pays d’origine, ainsi que le rôle majeur du statut socioéconomique dans le risque de psychose. b. Données australiennes, suédoises et américaines Deux études menées aux Etats-Unis et en Suède et publiées en 2015 ne retrouvaient pas d’augmentation du risque de schizophrénie pour différentes populations de migrants. Ainsi, une étude épidémiologique suédoise de Mezuk et al., ne retrouvait pas d’augmentation du risque pour la population irakienne (OR= 1.66, IC95%= 0.92-2.97) ni pour les autres populations migrantes présentes dans le pays (OR= 0.93 ; p<0.05)(Mezuk et al., 2015). Ce résultat, portant rétrospectivement sur une cohorte de 950 972 citoyens suédois, contraste avec une étude prospective menée en 2001 en Suède (Cantor-Graae, Zolkowska & McNeil, 2005) qui retrouvait un risque augmenté pour les personnes migrantes. De même, Oh et al. aux Etats-Unis ne retrouvent pas d’augmentation du risque de présenter des expériences psychotiques pour les populations immigrées, notamment les latinos-américains (Oh et al., 2015). Si cette étude portait sur les expériences psychotiques et non la schizophrénie, elle apporte cependant des résultats contradictoires à ceux retrouvés en Angleterre ou aux Pays-Bas notamment. Enfin, différentes études menées en Australie n’ont pas retrouvé d’augmentation du risque de psychose pour les populations migrantes dans le pays. En effet, une première étude de McGrath et al. en 33 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) 2001 avait retrouvé un risque moins élevé de psychose pour les populations migrantes de première et de seconde génération que pour la population native australienne (McGrath et al., 2001). De même, une étude portant sur les admissions hospitalières dans le secteur psychiatrique du New South Wales pendant une période d’une dizaine d’années ne retrouvait pas de différence de risque de psychose entre population autochtone et migrante (Nielssen et al., 2013). Plus récemment, une étude portant sur le risque de transition de psychose chez des personnes australiennes à haut risque de psychose ne retenait pas non plus le statut de migrant comme facteur de risque de transition (O’Donoghue et al., 2014). c. Données hollandaises et anglaises Les résultats ultérieurs à la méta-analyse de 2011 réalisés en Angleterre et aux Pays-Bas ont en revanche confirmé les données connues dans ces pays. Il est à noter que ces deux pays sont les plus actifs en matière de recherches portées sur les pathologies psychiatriques au sein des populations migrantes du fait des prévalences importantes de psychose dans la population caribéenne au RoyaumeUni et marocaine aux Pays-Bas. Ainsi, une méta-analyse récente portant sur dix-huit études réalisées entre 1950 et 2013 au Royaume-Uni retenait un facteur de risque global de 4.37 (IC95%= 3.9-5.7) pour la population afrocaribéenne (Tortelli et al, 2015). De même, une étude hollandaise publiée en 2013 portant sur les registres nationaux entre 2000 et 2006 retrouvait un odd ratio de 2.6 pour les populations migrantes (IC95%= 2.2-3.0), plus élevé pour les personnes originaires d’Afrique (OR= 5.2 ; IC95%= 3.7-7.4)(Vinkers et al., 2013). Au total, les études menées plus récemment sur le risque de psychose en situation migratoire ont apporté des données contradictoires. En effet, les résultats ont été répliqués dans les pays où ils semblaient les plus robustes (Angleterre, Pays-Bas), mais aussi dans d’autres contextes (France, Canada), tandis que d’autres études ont retrouvé des résultats contradictoires avec les données internationales (USA, Suède). D. Phénomène de densité ethnique Un des premiers résultats historique concernant les liens entre schizophrénie et migration a été la mise en exergue par Farris et Dunham d’un effet protecteur vis-à-vis du risque de psychose pour les communautés immigrées les moins minoritaires dans le pays d’accueil (Farris & Dunham, 1939). Ce phénomène appelé « densité ethnique » postule que plus un groupe ethnique représente une part importante de la population générale du pays d’accueil, moins le risque de schizophrénie est important pour les individus le constituant. Au fil des années, différentes études ont tenté d’appréhender et 34 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) d’analyser ce phénomène, dans l’optique d’étudier la possibilité de l’étendre à l’ensemble des minorités ethniques dans les pays d’accueil. Une méta-analyse menée en 2014 (Bousqui et al., 2014) a permis de synthétiser les résultats connus à ce sujet et de discuter la validité statistique de ce phénomène décrit depuis plus de soixante-dix ans. Portant sur un total de huit études, ayant retrouvé des résultats disparates, cette synthèse systématique a permis de valider la pertinence du phénomène de densité ethnique. Ces études réalisées majoritairement au Royaume-Uni démontraient dans leur ensemble l’existence d’un effet de protection pour les communautés les moins minoritaires. Différentes raisons peuvent concourir à cet effet protecteur. La notion de capital social, que nous évoquerons plus tard dans ce travail ou la modération des effets du racisme et de la discrimination par le support social sont des hypothèses de recherche intéressante. En effet, on peut imaginer que l’existence d’un réseau social communautaire fort puisse offrir la possibilité de partager ses expériences de discrimination et de les atténuer, de diminuer l’effet d’exclusion sociale ou encore d’éviter un retard d’accès au soin par l’existence d’un système de recours et de conseils efficace. Il convient également de discuter le rôle du sentiment personnel d’identification et d’appartenance culturelle et ethnique selon l’origine des individus, du fait de l’hétérogénéité dans la répartition du risque selon les communautés. A ce titre, une étude anglaise a porté sur la conformité avec les traditions de leur communauté chez des patients issus de deux communautés distinctes, à savoir les personnes originaires d’Asie du Sud-Est comparés à des afro-caribéens (Morgan & Bhugra, 2011). Il est en effet reconnu que les migrants d’origine asiatique présente un risque de psychose moins élevé que les afro-caribéens en Angleterre (Bhugra et al., 1997). L’identité ethnique était mesurée en comparant les idées des patients sur un certain nombre de sujets de société (rôles sociaux selon le genre, religion, habillage et habitudes alimentaires…) en fonction de celles de sujets contrôles issus de la même communauté. L’étude retrouvait un caractère plus traditionaliste associée à une moindre volonté d’intégration aux populations autochtones chez les patients asiatiques que chez les patients afrocaribéens, ce qui pourrait démontrer une identité ethnique à l’égard de leur communauté moins affirmée chez ces derniers. La marginalisation à l’égard du groupe d’origine pourrait alors avoir un rôle important dans la genèse des troubles psychotiques chez les afro-caribéens. Une étude belge a également démontré que l’identité ethnique dans l’enfance pouvait dépendre d’un certain nombre de facteurs sociaux, et notamment des résultats scolaires ou du sentiment d’estime sociale de soi (Felouzis & Fouquet-Chauprade, 2013). Ainsi, des enfants issus de quartiers très défavorisés présentaient une plus grande estime sociale d’eux-mêmes lorsque leur identité ethnique était forte tandis que cette identité ethnique tendait à se majorer avec le temps. Le sentiment d’appartenance culturelle ou ethnique apparaît ainsi comme un facteur d’intégration au groupe de pairs, notamment pour des enfants appartenant à des milieux discriminés et défavorisés, et se renforce avec le temps. On voit alors toute la complexité qui advient à appréhender une réalité aussi complexe que celle du 35 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) sentiment d’appartenance et ses rapports avec la santé mentale des individus. Cette problématique pose dès à présent la question du rapport entre facteurs populationnels et individuels dans la genèse et l’expression des troubles psychiatriques. E. Limites et critiques des données Les critiques apportées aux résultats épidémiologiques proviennent principalement des travaux en psychiatrie transculturelle, discipline qui interroge sur plusieurs points la question des diagnostics en situation transculturelle. Cependant, d’autres questionnements méthodologiques se posent également qu’il semble nécessaire de prendre en compte dans l’optique d’entrevoir plus précisément la réalité des liens psychopathologiques entre schizophrénie et migration. 1. Un facteur de risque “construit”? Une des premières questions posée par le niveau de risque lié à la migration est de savoir si cette dernière correspond à un facteur de risque indépendant ou plutôt à la coïncidence d’un ou plusieurs autres facteurs de risques confondants. Ainsi, le degré de risque, à savoir un risque relatif compris entre 2 et 3, correspond au niveau de risque d’autres facteurs environnementaux connus tels que la consommation de cannabis, le développement en milieu urbain, les antécédents de traumatismes infantiles ou les complications obstétricales. Un des arguments apporté à cette hypothèse et que le caractère composite du risque permettrait d’expliquer l’extrême hétérogénéité existant dans les résultats retrouvés pour les différents groupes de migrants. Il est aujourd’hui reconnu que le fait de grandir et de vivre en milieu urbain augmente le risque de présenter une pathologie schizophrénique au cours de la vie, à raison d’un risque relatif égal à 2.37 (Vassos et al., 2012). Il est ainsi soutenu que les migrants, tant de première que de deuxième génération, vivraient majoritairement en milieu urbain, volontiers défavorisé, si bien que la proportion d’augmentation de risque quasi-identique a amené à proposer l’hypothèse selon laquelle l’urbanicité serait un biais pouvant expliquer les résultats retrouvés. Cependant, aucune étude sociologique n’a démontré de lien statistique entre milieu urbain et migration, tandis que l’étude multicentrique AESOP n’a pas démontré de lien significatif entre lieu de résidence urbain ou rural et incidence du trouble pour les migrants (Kirkbride, 2006). De même, il a pu être proposé que la consommation de cannabis soit plus importante dans les populations migrantes, paupérisées et confrontées à de nombreux facteurs de risque d’addiction. Pour autant, les études menées auprès des populations caribéennes au Royaume-Uni retrouve un taux de consommation de cannabis identique entre les populations migrants et autochtones (Sharpley et al., 2001), résultat répliqué dans une étude hollandaise récente (Vinkers et al., 2013) . De plus, alors qu’il est connu que les hommes ont davantage tendance à consommer du cannabis que les femmes (Wetherill 36 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) et al., 2015), ceci n’expliquerait pas l’absence de différence entre le niveau de risque pour les femmes et les hommes migrants. Enfin, il a été proposé de la même manière que les migrants aient pu être confrontés davantage à des traumatismes infantiles ou des complications obstétricales dans leur prime enfance. De manière tout à fait superposables aux résultats concernant les autres facteurs de risque, il a été démontré que les complications lors de l’accouchement n’étaient pas plus fréquentes dans les populations migrantes, la tendance étant même plutôt dans le sens d’un moindre taux de complications chez ces populations (Hutchinson et al., 1997). Ceci peut sans doute être expliqué par le healthy migrant effect, phénomène de « bonne santé des migrants » décrit dans différentes études (Lu & Qin, 2014 ; Moullan & Jusot, 2014), qui veut qu’à leur arrivée dans le pays d’accueil, les migrants soient plus jeunes et aient une meilleure santé que la population autochtone. Ces différents résultats ont ainsi infirmé l’hypothèse du facteur de risque « construit » et des biais confondants, validant le fait de parler de la migration en soi comme facteur de risque de schizophrénie. 2. Définition des groupes Toute étude épidémiologique méthodologiquement satisfaisante nécessite une définition précise et valide des groupes étudiés dans l’optique d’offrir une base solide à l’apport des résultats retrouvés au décours de l’analyse. Dans le cas des travaux en matière de migration, force est de constater que la définition du concept de « migrant » demande à être discutée du fait de son manque de précision, ce d’autant plus pour des études pouvant avoir vingt-cinq ans d’écart. Il est en effet reconnu que les flux migratoires, les conditions et les types de migration se modifient au fil de l’Histoire, parfois de manière excessivement rapide, au grès des conditions socioéconomiques, politiques et géopolitiques ou encore climatiques tant dans les pays d’immigration que d’émigration. Pour Baubet et Moro, c’est principalement la définition des sous-groupes selon la couleur de peau ou « l’ethnicité » qui semble pouvoir être remise en cause, ces derniers rendant difficilement compte d’une réalité socio-économique ou d’un type précis de migration pouvant influer sur le psychisme, notamment en ce qui concerne l’exil et la migration forcée. Ainsi, alors que les deux métaanalyses insistent sur l’hétérogénéité du risque, il peut paraître étonnant de ne pas retrouver dans la majorité des études de catégorisation plus spécifique des migrants, la simple mention du lieu de naissance semblant peu à même de rendre compte d’une complexité d’un parcours migratoire et de ses effets psychopathologiques potentiels. Cette réserve légitime à l’égard des résultats récents se doit d’être nuancée par la volonté de distinguer la réalité du risque en fonction des sous-groupes de migrants dans les études épidémiologiques récentes. Les calculs d’hétérogénéité notamment mettent bien en avant la disparité des résultats, malgré des tendances toujours fortes à observer un risque augmenté dans une large majorité de 37 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) populations migrantes. En ce sens, l’étude récente d’Anderson et al. qui a démontré que le statut de réfugié était un facteur indépendant de risque de psychose (RR= 1.27) apporte de nouvelles données en initiant un cycle de recherches définissant plus précisément le statut de la migration observée. Ainsi, bien que la part importante prise par la phase post-migratoire dans la genèse des troubles tende à limiter l’impact de ce facteur limitant, les recherches futures se devront de spécifier au maximum la manière dont sont établis les sous-groupes, afin de coller autant que faire se peut à la réalité socio-économique de la migration (migrants originaires d’ex-colonies, migration forcée ou volontaire, etc.…). Cet argument avancé par les ethnopsychiatres ne semble cependant pas à même de remettre totalement en cause la validité des résultats. 3. Généralisation des résultats Comme nous l’avons souligné précédemment, les résultats retrouvés dans les différentes études concernent finalement en très grande majorité des populations migrantes précises dans des pays développés. Se pose alors la question de savoir s’il existe un réel lien causal entre schizophrénie et migration qui puisse être extrapolé à l’ensemble des populations migrantes de par le monde. Les résultats retrouvés en Israël, à savoir un risque moindre pour les migrants originaires d’Europe que pour les populations locales, posent ainsi la question de savoir s’il s’agit d’un type de migration particulière qui aurait une valeur étiopathogénique différente ou bien s’il s’agit davantage d’une remise en cause de l’idée même d’une généralisation des résultats à toutes les populations migrantes. De plus, les résultats d’Amad et al. en France retrouvent des risques relatifs plus faibles que les deux méta-analyses en ne prenant justement pas en compte des groupes de migrants en particulier. De même, les différents résultats australiens contradictoires avec le reste de la littérature internationale interrogent fortement la généralisation des résultats dans d’autres contextes. Il est intéressant cependant de noter que la réalité de la migration est bien différente en Australie, puisqu’elle correspond davantage à une migration venue de pays développés (Europe, Nouvelle-Zélande), sans contexte d’exclusion et de ségrégation aussi marqué qu’en Europe ou en Amérique du Nord, dans un contexte d’immigration historiquement valorisée. Ces résultats posent la question de savoir si le risque de psychose est augmenté pour l’ensemble des populations migrantes, ou bien s’il s’agit d’un risque relatif à certaines populations données dans un contexte socio-culturel d’accueil précis. En ce sens, les résultats contradictoires retrouvés dans les études récentes menées dans différents pays tendent à démontrer qu’il s’agit davantage d’un risque inhérent à certaines populations précises (afro-caribéens en Angleterre, marocains aux Pays-Bas, etc.. ) que partagé par l’ensemble des migrants. L’étude d’Andersen et al. au Canada corrobore également cette hypothèse, au vu de la différence de risque pour les populations européennes ou originaires d’Asie de l’Est au regard de celui des caribéens et des personnes originaires d’Asie du Sud. 38 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) Le nombre conséquent d’études et de résultats répliqués dans différents pays chez des migrants de différentes générations permet cependant d’avancer que de nombreuses populations migrantes se trouvent face à un risque plus élevé de psychose. Il est évident que davantage d’études épidémiologiques, et notamment dans des pays en voie de développement et sur d’autres continents sont nécessaires, afin de mieux comprendre la psychopathologie liée à la migration et de déterminer quels sont ces groupes à risque. 4. Validité transculturelle du diagnostic Les travaux menés en ethnopsychiatrie font état de différences à la fois dans l’expression symptomatologique de mêmes pathologies psychiatriques et du diagnostic posé en fonction de l’origine des patients (Baubet & Moro, 2003). Ainsi, en 1983, Mukherjee et al. ont montré qu’aux Etats-Unis les patients bipolaires afro-américains et hispano-américains encouraient un plus grand risque de se voir attribuer un diagnostic de schizophrénie, ce d’autant plus qu’ils étaient jeunes et souffraient d’hallucinations (Mukherjee et al., 1983). De même, une étude anglaise a démontré qu’en population générale, 9.8% des sujets caribéens présentaient des hallucinations contre seulement 4% des sujets caucasiens et 2,3% des sujets asiatiques (Johns et al., 2002). Après standardisation, seulement 25% des patients relatant la survenue d’hallucinations étaient atteints d’un trouble psychotique, la proportion étant plus importante pour les patients caucasiens (50%) que pour les caribéens et les asiatiques (20%). On voit bien ici comme une variabilité qualitative et quantitative d’expression de symptômes d’allure pathologique due à l’origine ethnique peut entraîner un sur-diagnostic erroné de trouble psychiatrique et notamment de psychose dans certaines populations. Sans en passer par les études épidémiologiques, il paraît intéressant de reprendre le questionnement de Tobie Nathan lorsqu’il souligne la difficulté qui peut advenir à définir la « bizarrerie » ou « l’étrangeté » lorsqu’on reçoit un patient Hmong du Vietnam à Paris, et donc à penser et diagnostiquer un trouble schizophrénique de manière assurée (Nathan, 1995). En 1977, Kleinmann a proposé la notion de category fallacy, terme désignant l’application à un groupe culturel donné de catégories diagnostiques définies au sein d’un autre et dont la validité transculturelle n’a pas été établie et mettant en exergue les erreurs diagnostiques qui peuvent en découler, notamment encore une fois en matière de trouble psychotique (Kleinmann, 1977). Dans ce cadre, une étude menée en 2007 par Zandi et al., portant sur le risque de psychose chez les migrants marocains aux Pays-Bas a fait grand bruit et porté un fort contre-argument aux résultats jusqu’alors retrouvés de majoration du risque de psychose chez les populations migrantes (Zandi et al., 2007). En effet, cette étude tenait à s’assurer de la validité transculturelle du diagnostic de schizophrénie, et donc de la réalité de l’existence d’un sur-risque en situation de migration, en utilisant deux échelles diagnostiques distinctes, la première (CASH) non standardisée à la culture, la seconde (CASH-SC) standardisée à la culture marocaine en matière de maladie mentale. Si les résultats avec la première échelle ont corroboré ceux antérieurs (majoration du risque évaluée à 7.9), ceux retrouvés avec 39 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) l’utilisation de la seconde n’ont montré aucune différence significative entre populations autochtones et migrantes en matière de schizophrénie, mettant en avant selon les auteurs un phénomène d’erreur diagnostique due à un biais diagnostique interculturel. Différentes nuances sont à apporter à ces deux études. Concernant celle de Johns et ses collaborateurs, ces résultats n’infirment nullement l’hypothèse de la vulnérabilité à la psychose chez les personnes migrantes. En effet, la présence d’un taux plus fréquent d’hallucinations ne valide en rien le caractère culturel du symptôme et il faudrait pour cela corréler avec le taux d’hallucinations dans le pays d’origine. Il pourrait au contraire s’agir d’expériences psychotiques prodromiques à un trouble constitué, lié à une vulnérabilisation d’origine environnementale. Ensuite, il convient de rapporter la limite méthodologique majeure à l’étude de Zandi et ses collaborateurs, à savoir que les différents cas de patients marocains étaient rapportés à un groupe d’« experts transculturels » par l’intervieweur luimême, sans contact direct avec le patient. L’histoire clinique du patient était ainsi cotée en aveugle une fois avec l’échelle CASH puis avec l’échelle CASH-CS par ce groupe d’expert. On peut dès lors interroger la neutralité des informations relatées aux experts et leur possible caractère orienté en direction d’un résultat attendu, ce d’autant que l’aveugle était sans doute rapidement levé par la découverte des éléments anamnétiques (Selten & Hoek, 2007). Enfin, une étude anglaise a démontré que lorsque le diagnostic était effectué en condition intraculturelle par un psychiatre jamaïquain, le surrisque de psychose existait toujours pour les caribéens au Royaume-Uni (Hickling et al., 1999). Rappelons également que la découverte initiale du phénomène l’a été en contexte intraculturel, par un psychiatre norvégien lui-même émigré, ayant observé chez ses concitoyens une tendance augmentée à présenter des troubles psychotiques (Ödegaard, 1932). De même, dans l’étude de Zandi et ses collaborateurs, des psychiatres marocains retrouvaient également un taux plus élevé de psychose dans la même cohorte de migrants originaires du Maroc et seule l’utilisation de la grille de CASH-CS, dont nous avons souligné les limites, annulait ce risque. De même, après que Selten et ses collaborateurs aient ôté de l’analyse les patients marocains présentant des symptômes psychotiques dans un contexte dépressif (Selten et al., 2002), le risque relatif restait élevé pour les personnes d’origine marocaine aux Pays-Bas (RR= 3,5; IC95%= 1,6-7,6). S’il est évident qu’il convient d’être prudent quant à la démarche diagnostique en condition transculturelle, le manque de validité méthodologique des rares études ayant tenté d’apporter des contrearguments d’ordre transculturel ne permet pas d’infirmer l’hypothèse du lien entre schizophrénie et migration. 40 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) 5. Stabilité du diagnostic Les dix-huit études utilisées pour la méta-analyse de Cantor-Graae et Selten portent uniquement sur des primo-admissions hospitalières ou des premières demandes de consultation, questionnant ainsi l’évolution du trouble observé dans le temps, tant du point de vue de sa pérennisation que de sa validité. En effet, les paragraphes précédents ont rappelé qu’il pouvait être fréquent que des diagnostics soient posés à tort en situation transculturelle, et ce d’autant plus dans le cadre d’un premier contact avec la psychiatrie, tout comme il est parfois nécessaire en situation intra-culturelle de connaître l’évolution symptomatique pour valider définitivement un diagnostic, ce d’autant plus chez des patients jeunes. Une étude de Kirov et collaborateurs, menée en 1999 a ainsi démontré que les patients bipolaires caribéens noirs présentaient davantage de symptômes psychotiques et d’idées délirantes que leurs homologues blancs, au risque d’un diagnostic initial erroné (Kirov, 1999). Une étude plus récente de Zandi et al., reprenant l’échelle d’évaluation CASH-CS (Zandi et al., 2014), retrouvait un taux très faible de confirmation diagnostique à 30 mois pour les patients marocains qui avaient reçu un diagnostic initial de schizophrénie via l’échelle CASH non adaptée à la culture (27% vs 92%). Zandi et ses collaborateurs concluaient ainsi à une faible fiabilité et stabilité diagnostique de psychose en situation transculturelle. Cependant, les études de suivi au sein des populations migrantes ayant reçu un diagnostic initial de trouble psychotique ont démontré une bonne stabilité du diagnostic au sein de cohortes de patients migrants (Selten & Hoek, 2008). Au total, malgré d’évidentes limites que les recherches devront dans le futur tâcher de préciser, les arguments avancés ne bénéficient pas d’une validité suffisante pour remettre totalement en cause des résultats validés par deux méta-analyses successives. Les limites évoquées offrent en revanche d’intéressantes pistes pour préciser et améliorer les méthodes épidémiologiques utilisées dans le cadre de recherches portant sur des populations migrantes. F. La migration, un facteur de risque aux contours incertains Si les résultats des nombreuses études menées au fil des années ainsi que ceux des méta-analyses sont suffisamment concordants pour évoquer définitivement la migration comme facteur de risque de schizophrénie, force est de constater qu’il reste encore beaucoup à préciser pour comprendre précisément ce qui lie schizophrénie et migration. 1. Migration ou ethnicité? L’une des indécisions les plus marquantes revient à l’idée de conserver le terme de « migration » lorsque l’on désigne le facteur de risque précis de schizophrénie qui est en jeu. En effet, certains des 41 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) résultats plaideraient davantage en faveur de l’utilisation des termes d’« ethnicité » ou de « statut ethnique minoritaire ». En effet, les résultats de l’étude de Cantor-Graae au Danemark démontrent que les expatriés ou les enfants d’expatriés ne présentent pas un risque majoré de psychose tandis que celles menées en Israël démontrent que l’Alya est plutôt un facteur protecteur vis-à-vis de la schizophrénie. De même, il est aujourd’hui prouvé que ce risque persiste au sein des générations suivantes n’ayant pas elle-même connu la migration. Ainsi, l’acte migratoire en soi ne semble pas représenter un facteur de risque de schizophrénie, si bien qu’il semblerait que ce soit davantage le statut de migrant qui représente le cœur de la causalité psychopathologique en lien avec la migration. D’autres études ont également éliminé l’hypothèse selon laquelle des facteurs pré-migratoires à eux seuls pouvaient expliquer le sur-risque présenté par les populations migrantes. L’ensemble de ces données, en focalisant sur le rôle de la phase post-migratoire, invite à interroger la pertinence de conserver le terme précis de « migration » dans la description médicale des facteurs de risque environnementaux de schizophrénie. D’un côté, ce sont bien les populations migrantes qui se trouvent confrontées à ce risque majoré et aux effets individuels et familiaux d’une pathologie telle que la schizophrénie. De l’autre, d’un point de vue strictement terminologique, il est partiellement incorrect de conserver le terme de migration, au vue des données récemment objectivées. Dans ce contexte, les études anglo-saxonnes menées dans le champ de la psychiatrie sociale tendent à utiliser différents termes, tels que ceux de statut ethnique minoritaire, d’ethnicité ou encore d’identité ethnique, qui ne sont pas sans poser de problème de définition. Pour le philosophe Hervé Marchal, « l’ethnie désigne une communauté d’origine qui se trouve assez souvent partagée entre différents groupes en raison de phénomènes tels que l’émigration volontaire ou contrainte, le découpage des Etats, etc.. » (Marchal, 2012). Plus loin, Marchal note le pluralisme intrinsèque à la notion d’ethnicité en rappelant que « parmi les éléments culturels susceptibles de fonder le sentiment d’appartenance à un groupe ethnique, figurent la langue, la religion, le partage d’un territoire, la référence commune à des traits culturels, le respect d’institutions ou encore le sentiment partagé d’une différence raciale. » On voit ainsi que la définition de l’ethnicité est plutôt difficile à délimiter, ce d’autant qu’elle recouvre une réalité sociale complexe, différente selon les pays concernés. Pour autant, en insistant sur le fait que le phénomène migratoire peut exacerber, voire créer le sentiment ethnique d’un groupe donné, Marchal apporte un certain crédit à ce concept d’ethnicité. En France, le débat pour le moins hypocrite sur les statistiques ethniques (Douki, 2008) montrent bien l’ambivalence qui peut advenir à utiliser un terme en pratique courante tout en le mettant sur la scène publique. D’un point de vue purement scientifique le terme de statut ethnique minoritaire apparaît comme le plus juste pour décrire le facteur de risque lié à la migration. Il permet de retenir à la fois la notion de minorité, à savoir la confrontation avec une culture dominante potentiellement discriminante, tout en insistant sur la notion d’étrangeté lié au statut à risque. En effet, il n’existe aucune preuve scientifique en faveur d’un risque 42 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) accru pour d’autres minorités (sexuelles, religieuses etc.). Enfin, le terme de statut semble tout à fait opportun car il recoupe une réalité sociale qui peut lui être associée (statut de demandeur d’asile, statut de réfugié etc.), en soulignant la faible capacité de mobilité socio-économique à laquelle il confronte les personnes qui l’expérimentent. Les recherches portant sur les réfugiés ou les demandeurs d’asiles apporteront sans nul doute des arguments intéressants dans l’optique de trancher ce débat précis. 2. Période d’exposition Les données concernant la période d’exposition sont plutôt peu nombreuses et contradictoires, ce qui rend difficile la caractérisation précise de la période préférentielle pour entraîner un sur-risque de schizophrénie en situation migratoire. En effet, une première étude a trouvé une augmentation progressive du risque inversement proportionnelle à l’âge de la migration (Velling et al., 2011). Réalisée aux Pays-Bas, cette étude prospective menée sur une période de sept ans a porté sur 273 migrants de première génération, 119 de seconde génération et 226 hollandais natifs ayant présenté un trouble psychotique. Il était retrouvé un risque de schizophrénie d’autant plus important que l’âge d’arrivée aux Pays-Bas était précoce. Ainsi, le risque relatif était de 2,96 (IC95%= 2,10-4,17) pour les personnes arrivées entre la naissance et l’âge de quatre ans et décroissait progressivement avec l’âge, pour atteindre 2,31 (IC95%= 1,61-3,29) entre cinq et neuf ans, 1,51 (IC95%= 1,02-2,25) entre dix et quatorze ans. Il est à noter que les résultats pour les tranches allant au-delà de vingt ans n’étaient pas significatifs et que le risque relatif tendait à remonter légèrement (1,85, IC95%= 1,35-2,53). Cette étude laissait donc à penser que la migration serait un facteur de risque pour lequel existerait une relation dose-effet. Plus récemment, une étude israélienne retrouvait un taux plus élevé pour les migrants ayant migré avant l’âge de 15 ans (Werbeloff et al., 2012). Pour autant, cette hypothèse est assez peu compatible avec le fait que le risque relatif soit aussi élevé pour la seconde génération que la première. De plus, le risque semble finalement majoré principalement pour les personnes ayant migré avant l’âge de quatre ans, ce qui pourrait être favorisé par divers facteurs confondants tels que les séparations familiales précoces, les traumatismes précoces ou les infections infantiles. Une étude menée en Angleterre auprès d’enfants et d’adolescents de 5 à 16 ans a cherché à mesurer le taux de détresse psychologique au sein de deux cohortes de 17 000 jeunes de seconde génération d’origine irlandaise (Das Munchi et al., 2013). Les résultats ont démontré qu’aux différents âges de leur vie, les enfants d’origine irlandaise présentaient un plus bas niveau de santé mentale que leurs homologues autochtones, niveau directement corrélé aux conditions matérielles de précarité et d’adversité sociale (difficultés financières familiales, logement insalubre et surpeuplé, trouble du voisinage…). A noter que ce niveau populationnel élevé de détresse psychologique était également corrélé au degré de détresse psychologique maternelle dans les plus jeunes âges de la vie et qu’il tendait à augmenter avec l’âge, laissant imaginer un phénomène 43 dose-relation de l’exposition LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) environnementale. Ces données tendent à montrer que dès l’enfance et leur plus jeune âge, les migrants subissent les effets psychopathologiques d’une adversité psychosociale, les confrontant à une vulnérabilité psychologique majeure. En miroir de ces premiers résultats, Pedersen et ses collaborateurs ont fait part dans une lettre aux éditeurs de leurs résultats divergents quant au rôle de l’âge auquel les personnes ont migré (Pedersen & Cantor-Graae, 2012). En effet, leur étude portant sur un échantillon plus large de 1057 migrants schizophrènes ne retrouvait pas de corrélation statistique entre l’âge d’arrivée au Danemark et le degré de risque de développer un trouble psychotique. Il n’existait ainsi pas d’effet majoré lors des premières années de la vie, mais plutôt une tendance à l’augmentation progressive (augmentation annuelle par 1,02; IC95%= 1,00-1.05) du risque pour des personnes arrivées plus tardivement. Ainsi, si le risque relatif était élevé pour l’ensemble des migrants, il était pour les personnes arrivées avant l’âge de 2 ans de 1,66, (IC95%= 1,30-2,07), de 2,3 vers l’âge de 6-7 ans et de 2,6 pour celles arrivées vers 12 ans. Enfin, une étude sur la transition vers la pathologie schizophrénique en population générale a démontré que le statut ethnique minoritaire représentait le facteur de risque le plus associé à une transition chez des adolescents de 10 à 16 ans (Wigman et al., 2011). Ce résultat tendrait à argumenter l’hypothèse d’un facteur de risque d’expression plutôt tardive ou du moins à infirmer celle du rôle de l’exposition précoce. Il s’avère donc aujourd’hui difficile de déterminer une période d’exposition privilégiée, le degré de risque identique entre première et seconde génération tendant à montrer que la migration agit comme facteur de risque tout au long de la vie. Les résultats contradictoires des rares études menées sur la question de la période d’exposition ne permettent en effet pas de définir de manière valide une période de risque maximal et des études dans ce domaine apparaissent fondamentales. G. Conclusion Au total, les données de la littérature internationale sont aujourd’hui suffisamment robustes pour désigner le statut ethnique minoritaire comme facteur de risque de schizophrénie. L’existence de deux méta-analyses apportant des résultats cohérents à quelques années d’intervalle permet de situer le niveau de preuve comme élevé (Bourque et al., 2011; Cantor-Graae & Selten, 2005). Les résultats divergents selon les pays d’accueil et les pays d’origine tendent à indiquer l’existence d’un risque hétérogène selon les communautés ethniques et la société d’accueil (Mezuk et al., 2015; Oh et al., 2015; Anderson et al., 2014). Les résultats récents apportent des données intéressantes, notamment sur le risque présenté par les personnes réfugiées (Anderson et al., 2015) ou l’extension de la vulnérabilisation jusqu’aux troisièmes générations de migrants (Amad et al., 2013). Les premiers résultats français tendent à valider l’existence de ce sur-risque pour les populations immigrées dans l’Hexagone (Tortelli et al., 2014; Amad et al., 2013). Au contraire, les études australiennes qui ne retrouvent pas d’augmentation de 44 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) risque posent la question du lien entre risque de schizophrénie et lien historique et sociologique à la migration dans le pays d’accueil (O’Donoghue et al., 2014; Nielssen, 2013). Le phénomène de densité ethnique, validée par une méta-analyse de 2014 (Bosqui et al., 2014), est une donnée intéressante qui introduit le rôle des facteurs sociaux dans l’étiopathogénie du risque de schizophrénie chez les populations migrantes, qui apparaît en effet comme un réel enjeu de santé publique. Ainsi, une étude anglaise mesurait le taux de cas de psychose évitables à 22% en population générale si le facteur de risque lié au statut ethnique minoritaire était évité (Kirkbride et al., 2010), ce qui représente plus de 66% des cas évitables au sein de la population des minorités ethniques en Angleterre. De nombreuses questions de recherches en épidémiologie persistent, afin de désigner au mieux la réalité du risque de psychose auquel sont confrontées les populations migrantes, en fonction de caractéristiques socio-économiques ou culturelles notamment. Ces données épidémiologiques donnent en effet des pistes importantes pour l’élucidation de l’étiopathogénie en jeu dans les liens entre migration et schizophrénie. 45 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) 4. Perspectives étiopathogéniques Les données épidémiologiques, par leur complexité, donnent lieu à un certain nombre d’hypothèses possibles quant à l’étiopathogénie associée au risque de schizophrénie dans les populations migrantes minoritaires. Pour proposer une synthèse des données actuelles, vingt-deux nouveaux articles ont été retenus. Trois portaient sur la théorie de l’échec social (Gavonden et al., 2014; Selten & Cantor-Graae, 2007; 2005), deux concernaient le modèle socio-développemental (Morgan et al., 2012; 2011), tandis qu’un seul évoquait la théorie de la sensibilisation (Collip, Myin-Germeys & van Os 2008) et quatre la théorie du capital social (Brechet & Jusot, 2009 ; Kirkbride, 2007; Drukker, 2006, De Silva et al., 2005). Sept articles évoquaient les connaissances actuelles sur les effets neurocognitifs et neurobiologiques de l’exclusion sociale (Kawamoto, Ura & Nittono, 2015; Cristofori et al., 2014; Twenge et al., 2007; 2002; DeWall & Baumeister, 2006; Eisenberger & Lieberman, 2004; Twenge, Catanese & Baumeister, 2003; Baumeister, 2002) tandis que cinq portaient sur les liens entre discrimination et troubles psychotiques (Akdeniz et al., 2014; Berg et al., 2011; Pascoe & Richman, 2009; Veling et al., 2007; Janssen et al., 2003). Les hypothèses neurodéveloppementales étaient analysées en détail dans les revues de la littérature (Bourque et al, 2012; Baubet, 2009). A. Hypothèses avancées Au fil des travaux de recherche et des années, de nombreuses hypothèses étiologiques ont été proposées pour tenter d’expliquer ce phénomène de sur-risque de schizophrénie chez les populations migrantes. Nombres d’entre elles ont finalement été réfutées ou n’ont du moins pu prouver leur rôle premier dans le processus de majoration du risque. 1. Migration sélective La première hypothèse remonte à 1932, proposée par Ödegaard à la suite de son étude sur l’augmentation du nombre de primo-hospitalisations en psychiatrie chez les migrants norvégiens aux Etats-Unis. Ce dernier émettait l’hypothèse d’un phénomène de migration sélective, correspondant au fait que les personnes choisissant de quitter leur pays d’origine pour l’exil aient une plus grande prédisposition à la schizophrénie et que celle-ci entraîne une plus grande difficulté d’intégration dans la société d’origine (célibat, chômage..) favorisant des velléités de départ. Cette première hypothèse a depuis largement été réfutée, de nombreuses études, telle celle de Lundberg et al. menée en Ouganda, 46 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) ayant démontré l’absence d’incidence plus élevée de symptômes pré-psychotiques, voire psychotiques, chez les personnes s’apprêtant activement à migrer (Lundberg et al., 2007). Une étude récente a tenté de mettre à l’épreuve l’hypothèse de la migration sélective et a définitivement annulé l’idée qu’elle puisse expliquer le risque de schizophrénie chez les populations migrantes (van der Ven et al., 2015). Portant sur une cohorte de 50.000 militaires suédois, l’étude ne retrouvait aucune différence de prévalence de symptômes psychotiques entre les deux groupes de militaires souhaitant émigrer ou non. De plus, de manière pragmatique, les symptômes schizophréniques négatifs tels que l’apragmatisme, les troubles cognitifs, ou la désorganisation psychique semblent peu compatibles avec le succès d’un long et difficile parcours migratoire. 2. Hypothèses génétiques Par la suite, les hypothèses génétiques ont été mises en avant, notamment la probabilité d’une plus grande prédisposition chez certains groupes ethniques. Cependant, les incidences de schizophrénie dans les pays d’origines n’ont jamais été retrouvées supérieures à celles des pays d’accueil (Hickling & Rodgers-Johnson, 1995 en Jamaïque, Bhugra et al., 1996 à Trinidade et Tobago, Mahy et al., 1999 aux Barbades). De même, deux études (Hutchinson et al., 1996; Sugarman & Craufurd, 1994) réalisées au Royaume-Uni chez les apparentés (parents et jumeaux) de migrants caribéens blancs et noirs de peau atteints de schizophrénie n’ont retrouvé aucune différence de risque de survenue de la pathologie entre les deux populations. Si le rôle des facteurs génétiques dans la schizophrénie est aujourd’hui bien connu, il semble qu’il ne puisse à lui seul expliquer cette majoration du risque chez les migrants, ce qui nécessite de l’intégrer à un modèle d’interaction entre gènes et environnement pour définir une explication valide. 3. Hypothèses neurodéveloppementales Plusieurs étiologies neuro-développementales ont également été proposées, en lien avec les recherches démontrant le rôle de facteurs neurotropes dans l’émergence de la schizophrénie. a. Vitamine D Le rôle de l’hypovitaminose D prénatale dans les pays tempérés a ainsi pu être mis en avant (McGrath, 2010), du fait notamment de l’explication qu’il pourrait apporter à l’augmentation du risque chez les migrants de seconde génération noirs de peau. Cela n’expliquerait cependant pas le risque pour la première génération de migrant qui n’a pas été exposé à un manque précoce de vitamine D. L’argument majeur porté contre le rôle de la vitamine D est la faible amplitude du taux de schizophrénie retrouvé au sein des populations migrantes d’origine asiatique alors qu’elles présentent les taux les plus importants de carence en vitamine D (Darling et al., 2013). 47 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) b. Virus neurotropes L’exposition à des virus neurotropes (rubellose, virus de la grippe, toxoplasmose) a été démontrée comme facteur de risque reconnu de la schizophrénie (Nimgaonkar & Yolken, 2012). Il a donc été émis l’hypothèse d’une exposition plus importante pour les migrants dans leurs pays d’origine, notamment les pays en voie de développement, mais elle n’expliquerait pas la majoration du risque pour la seconde génération de migrants. En ce sens, une étude récente évoquait le rôle possible de l’infection à Toxoplasma Gondii pour expliquer le risque de schizophrénie liée à l’urbanicité et la migration, du fait de l’importance du portage par les chats dans les milieux urbains ainsi qu’à à la possibilité de réactivation d’une infection infantile à la faveur de la migration (Fuller Torrey & Yolken, 2014). Si cette hypothèse possède une certaine valeur concernant la question de l’urbanicité (possibilité de contamination par les enfants dans les bacs à sable des villes), elle demeure en revanche plus approximative pour les populations migrantes. c. Complications obstétricales Les complications obstétricales sont un facteur également reconnu et ont également été proposées comme étiologie possible. Cependant, des études anglaises menées auprès des populations émigrées caribéennes n’ont démontré aucune diminution de l’incidence de ces complications au sein de la population blanche comparée à la population noire (au sein de laquelle le risque est plus élevé), voire un taux supérieur de complications dans la population blanche (Bughra et al., 2003). d. Cannabis et abus de toxique L’abus de toxique, et notamment de cannabis, facteur de risque majeur pour la pathologie schizophrénique, a largement été étudié dans le cadre de la migration et il n’a encore une fois été retrouvé aucune évidence d’un rôle prépondérant pour expliquer le lien entre migration et schizophrénie. Ainsi deux études de McGuire et al. et de Cantwell et al., n’ont pas retrouvé de différence significative pour la consommation cannabique entre les populations de schizophrènes caribéens noirs et blancs de peau (McGuire et al., 1994; Cantwell et al., 1999). De plus, il n’est pas retrouvé dans les études épidémiologiques de différence de risque entre hommes et femmes ce alors que la consommation cannabique est connue comme étant significativement supérieure dans la population masculine (Wetherill et al., 2015). 48 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) 4. Hypothèse psychosociale Au total, les hypothèses génétiques et neuro-développementales, si elles ne peuvent définitivement être écartées, ne sont pas parvenues à expliquer à elles seules l’incidence majorée de la schizophrénie dans les populations migrantes de par le monde. Les résultats épidémiologiques de la dernière décennie et l’incapacité des données génétiques, neurologiques et biologiques pour les expliquer à elles-seules ont amené les chercheurs, tels qu’Elizabeth Cantor-Graae et Jean-Paul Selten ou l’équipe de Craig Morgan, à se pencher sur les facteurs psychosociaux et le rôle de ces derniers dans l’émergence des troubles psychotiques. Ce retard dans la prise en compte de la clinique psychosociale semble pouvoir en partie être imputé au délai entre la migration et l’émergence des symptômes schizophréniques, ayant tendu à faire rechercher des facteurs de biais à ce lien causal et à minimiser l’impact direct du processus migratoire et de ses répercussions sociales. B. Le modèle de l‘échec social (Selten & Cantor-Graae, 2005) 1. Arguments a. Données épidémiologiques Prenant appui sur l’importance du risque pour les populations noires de peau retrouvé dans leur méta-analyse, ainsi que sur l’existence d’autres facteurs de risque potentiellement liés à un impact social (urbanicité, déficience intellectuelle, trouble auditif handicapant, antécédents d’abus sexuel), Jean-Paul Selten et Elizabeth Cantor-Graae ont proposé en 2005 une hypothèse étiopathogénique mettant au cœur de ce modèle le rôle de l’échec social (social defeat), en le reliant à la sensibilisation dopaminergique mésolimbique secondaire au stress d’origine social décrite chez les rongeurs et les primates. L’expérience de la discrimination et de l’échec social (chômage, isolement, perte de reconnaissance…) serait ainsi l’explication causale de l’émergence de la schizophrénie dans les populations les plus touchées par l’adversité socio-économique. En effet, Selten et Cantor-Graae évoquent la compétitivité existant en milieu urbain, le peu d’opportunités de carrière pour les personnes déficientes intellectuelles, l’exclusion sociale expérimentée par les migrants et les malentendants ou l’humiliation vécue dans les suites d’un abus sexuel comme autant de formes d’adversité sociale vécue par ces populations à risque. Les auteurs citent ainsi le cas des populations du Groenland au Danemark, qui se trouvent confrontées à un taux d’exclusion beaucoup plus important que les migrants originaires d’autres pays du Nord (Cantor-Graae et al., 2003), et présentent un risque de schizophrénie bien plus élevé que ces derniers (RR = 12.5; IC95% = 4,7-33,1). De même, les populations marocaines au PaysBas ou les migrants éthiopiens (les falashas) en Israël, confrontés à une discrimination sociale majeure, présentent un risque élevée au regard de la population autochtone. Les différences inter-ethniques dans 49 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) le degré de risque relatif s’expliqueraient ainsi par les différences de trajectoires sociales dans les pays d’origine pour les différents groupes ethniques, les groupes les plus exposés à la discrimination et l’exclusion présentant les risques les plus élevés. Le phénomène de densité ethnique, en soulignant le rôle protecteur que jouerait le lien social (social support) dans les communautés mieux organisées car plus conséquentes, apporte également un argument en faveur de l’hypothèse de l’échec social. La différence observée entre hommes et femmes dans certaines populations, dans le sens d’un risque moindre pour les femmes, quant au risque et aux conditions d’émergence de la pathologie schizophrénique (population marocaine aux Pays-Bas, Veling et al., 2006) pourrait également s’expliquer selon les auteurs par l’amélioration du statut social de ces dernières avec la migration. b. Corrélats neurobiologiques S’appuyant sur le modèle dopaminergique de la schizophrénie (Laruelle et al., 2013), les auteurs citent des résultats d’expérimentations animales ayant porté sur l’effet du rang social chez des macaques (Morgan & Nader, 2000). Ces travaux ont en effet montré que les singes dominés socialement consommaient davantage de cocaïne lorsqu’il leur en était proposé, et que des différences apparaissaient dans la disponibilité et la quantité de récepteurs D2 en fonction du rang social. Ainsi, après avoir vécu seul séparément, le retour en groupe de macaques entraînait la mise en place d’une hiérarchie sociale bien connue des travaux en éthologie. Les individus alpha (de haut rang social) voyaient leur nombre de récepteurs D2 et la réceptivité de ces derniers augmenter de manière significative après le rassemblement des individus, tandis qu’il n’était pas retrouvé de modification pour les singes dominés. Ainsi, les singes soumis à l’isolement avaient de base un niveau relativement élevé de dopamine synaptique (hyperactivité dopaminergique) et les individus dominants retournaient à un état d’activité de base (activité dopaminergique normale), ce qui n’était pas le cas chez les dominés. De même, chez les rats, une expérience d’intrusion a été menée, mettant en jeu un mâle « intruseur », introduit dans la cage d’un autre mâle auquel il fait subir des comportements de soumission (Tidey & Miczek, 1996). L’expérience de l’échec social chez le rat entraîne une hyperactivité dopaminergique dans le système mésolimbique, effet médié par les conditions de vie postexpérimentales. L’isolement amplifie l’hyperactivité dopaminergique tandis que le retour au groupe tend à la modérer (Isovich et al., 2001). La répétition des expériences d’intrusion entraîne une sensibilisation comportementale à long-terme (Covington & Miczek, 2001) qui voit apparaître une augmentation de la réponse comportementale et dopaminergique aux antagonistes dopaminergiques. Ces résultats sur le rôle de l’intégration dans le groupe font bien évidemment écho aux travaux ayant démontré le rôle de la densité ethnique dans la modération du risque de schizophrénie chez les populations migrantes. Cantor-Graae et Selten émettent ainsi l’hypothèse de la transférabilité des données expérimentales animales chez l’humain et proposent des perspectives de recherches en neurobiologie humaine afin de tester l’hypothèse de l’échec social. 50 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) 2. Un modèle unificateur a. Description du modèle Afin d’étayer l’hypothèse de l’échec social, les deux auteurs s’attachent en 2007 à reprendre leur modèle et à l’appliquer à d’autres facteurs de risque de schizophrénie que sont le retard mental, les traumatismes infantiles, l’urbanicité, les pathologies psychiatriques et l’usage de drogue, en les reliant à « l’expérience de l’exclusion vis-à-vis du groupe majoritaire » (Selten & Cantor-Graae, 2007) L’hypothèse de l’échec social se trouverait selon eux médiée par un double phénomène d’exclusion sociale (social exclusion) et d’échec social (social defeat). Selten et ses collaborateurs se référent aux travaux de Collip et collaborateurs sur la « sensibilisation dopaminergique » (Collip et al., 2008) qui postule qu’ « une exposition environnementale induit des effets psychologiques et physiologiques qui peuvent mener à un psychopathologie finale commune de biais cognitif et/ou de de sensibilisation dopaminergique, regroupé sous le terme de ‘sensibilisation’ (sensitization) qui peut favoriser l’émergence ou la persistance de troubles psychotiques ». Le modèle de l’échec social vise ainsi à synthétiser l’ensemble des résultats de recherches épidémiologiques menées chez l’homme et de recherches neurobiologiques menées chez l’animal pour proposer un modèle étiopathogénique unificateur. Il y est postulé que la grande majorité des facteurs environnementaux de schizophrénie sont médiés par un vécu d’échec social ou d’exclusion sociale expérimenté par les individus et populations qui y sont exposés, et que l’échec social entraîne en sensibilisation du système dopaminergique mésolimbique. Il peut être schématisé de la sorte (Figure 2): 51 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) Figure 2 : Le modèle modèle de l’échec ’échec social (adapté de Selten & CantorCantor-Graae, 2007) b. Etude de la validité du modèle Un article récent a ainsi visé à mettre en lumière le rôle de l’échec social dans une population de jeunes adultes malentendants et de le corréler à l’activité dopaminergique mésolimbique, dans l’optique de questionner la validité du modèle de l’échec social (Gevonden et al., 2014). En effet, l’utilisation d’une population de malentendants tient sa pertinence dans le fait que les troubles auditifs sont reconnus comme facteur de risque de schizophrénie (Stefanis et al., 2006). L’hypothèse était donc que ce risque soit médié par un vécu d’échec social, responsable d’un trouble de l’activité dopaminergique mésolimbique. Portant sur 19 jeunes adultes atteints de surdité d’intensité variable, cette étude a comparé le taux de libération de dopamine au niveau du striatum suite à l’injection de dexamphetamine avec celui de 19 témoins sains. La mesure du taux de libération dopaminergique était corrélée à l’intensité de symptômes psychotiques expérimentés par les sujets et les contrôles ainsi qu’au degré d’échec social ressenti. Les résultats montraient un sentiment d’échec social, mesuré par le Social Defeat Scale, plus élevé au sein de la population des malentendants (p= 0.04), mais il n’existait pas de différence quant aux symptômes psychotiques expérimentés (p= 0.48). On retrouvait également un taux de libération de dopamine striatale induite par les amphétamines plus élevé dans le groupe des malentendants (p= 0.04), 52 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) malgré un taux basal globalement identique entre sujets et contrôles. Il n’existait cependant pas de corrélation statistique entre le taux de dopamine libérée et le degré d’échec social (p= 0.15). Si elle tend à apporter des arguments en faveur du modèle l’échec social, sous la forme d’un probable effet dopaminergique de l’échec social dans une population à risque de psychose, cette étude demeure insuffisante pour le valider. En effet, si l’on retrouve une libération plus importante de dopamine dans le groupe présentant un ressenti d’échec social plus important, il n’est cependant pas fait la preuve dans cette étude d’un lien statistique entre ces deux phénomènes. De plus, échec social et activité dopaminergique ne sont nullement liés à un taux plus important de symptômes psychotiques dans la population touchée par l’adversité sociale. Si bien qu’il est impossible d’établir au vu de ces résultats un schéma de causalité allant de l’échec social en direction des troubles psychotiques par le biais de modifications de l’activité dopaminergique intracérébrale. 3. Intérêts et limites Si les arguments avancés dans la construction de l’hypothèse de l’échec social ne manquent pas de solidité scientifique dans leur ensemble, il convient de pointer certaines limites du modèle développé par Selten et Cantor-Graae, qu’elles soient internes au modèle lui-même ou davantage en lien avec des questionnements épistémologiques. a. Intérêts Tout d’abord, le modèle proposé par Selten et Cantor-Graae a l’avantage de mettre directement en parallèle des données issues d’études épidémiologiques et neurobiologiques. En effet, l’hypothèse dopaminergique, aujourd’hui bien documentée, sert de substrat physiopathologique au modèle, ce qui apparaît comme le point fort de cette modélisation. Elle permet d’unifier un certain nombre de données sociales qui ont pu être mis en avant dans l’étiopathogénie de la schizophrénie, tels que l’isolement social, le célibat, le chômage et de les relier à une voie physiopathologique clairement reconnue comme prépondérante dans l’émergence de la pathologie. Ce modèle a également l’intérêt de mettre au cœur de l’étiopathogénie de la schizophrénie les causes environnementales et sociales, dont l’importance ont tendu à être minimisées dans différents modèles antérieurs. En rapportant un certain nombre de facteurs de risques à leurs effets sociaux, Selten et Cantor-Graae insistent sur la part importante de l’environnement social dans l’émergence des troubles psychotiques. b. Unicité D’un point de vue épistémologique, si l’intérêt d’unifier autour d’une inférence causale unique est évident du point de vue de la modélisation, il paraît néanmoins en décalage avec les découvertes 53 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) autour des liens entre schizophrénie et migration qui mettent en avant des disparités importantes quant au degré de risque auquel sont exposés les différentes populations vulnérables au sein de la planète. Il paraît ainsi assez peu efficient d’expliquer l’ensemble de ces différences de degré par une voie étiopathogénique unique, vis-à-vis de laquelle une différence quantitative d’exposition pourrait rendre compte. Ainsi, les différents facteurs de risque évoqués ne représentent pas les mêmes types de causalité étiopathogénique, certains étant des facteurs de risque indirects (urbanicité, migration…), tandis que d’autres (cannabis notamment) possèdent des effets neurobiologiques directs aujourd’hui bien documentés. Il devient alors contestable de les mettre sur le même plan de causalité et de leur inférer une étiopathogénie identique. Enfin, certains facteurs de risque n’agissent pas au même moment de la trajectoire développementale, ce qui laisse imaginer que leur mode d’action causal est en tout point différent. De même, il convient d’interroger la validité du fait de regrouper derrière une étiopathogénie commune différents facteurs de risques environnementaux, en délaissant totalement la question de l’interaction entre ces différents facteurs du point de vue de l’évolution vers un risque de psychose. Ainsi, le modèle de l’échec social est un modèle de médiation causale, au sein duquel des facteurs de risque indirects sont médiés par une cause directe qu’est l’échec social. Pour autant, ce type de modélisation occulte totalement la possibilité de synergie entre les différents facteurs environnementaux et entre ces facteurs et l’échec social lui-même. De plus, le corrélat qui est proposé entre résultats d’études menés chez l’homme et l’animal n’est en rien évidente et nécessite de rester prudent sur la transférabilité de l’effet dopaminergique de l’exclusion sociale. Les auteurs soulignent eux-mêmes le nombre insuffisant d’études ayant porté sur le fonctionnement dopaminergique chez les différents groupes à risque de psychose, si bien qu’il est uniquement hypothétique d’envisager d’utiliser ces données chez l’homme et encore davantage de les relier à la quasi-totalité des facteurs de risque environnementaux de psychose. L’étude de Gevonden et al. citée plus haut n’apporte que des arguments ponctuels au modèle, sans permettre de le valider. c. Type de facteur de risque Derrière la notion d’échec social il s’avère finalement assez difficile de cerner précisément ce que recoupe ce concept proposé par Cantor-Graae et Selten. En effet, il est décrit par les auteurs comme un facteur de risque quantifiable du point de vue individuel, à l’aide d’échelles telles que le Social Defeat Scale, le Social Comparison Scale, ou le Brief Core Schema Scale. Cependant, il n’existe à l’heure actuelle aucune étude ayant démontré une quelconque corrélation entre les scores obtenus pour ces échelles et un risque de psychose chez des individus ou des groupes. L’hétérogénéité entre les différents groupes à risque retrouvée dans les études portant sur les liens entre schizophrénie et migration s’expliquerait cependant par le niveau d’échec social subi au sein de ces groupes. Se pose 54 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) alors la question de la subjectivité qui entoure la notion de l’échec social. Gantor-Graae et Selten expliquent ainsi que l’échec social peut autant toucher des individus aisés qui se trouvent confrontés à l’échec du fait de déficits d’ordre individuel que des individus en situation d’exclusion du fait de leur condition sociale, si bien que l’échec social vécu intervient comme une donnée subjective, certes quantifiable, mais non nécessairement corrélée à la réalité d’un échec social. Comment, alors, ne pas entendre le caractère excessivement qualitatif d’un tel facteur de risque? Au-delà d’une amplitude quantitativement mesurable, il semblerait davantage répondre à un vécu personnel sans réalité sociale, rendant alors difficile son extrapolation à des groupes d’individus. Enfin, la question est posée par les auteurs eux-mêmes de savoir si l’échec social ne constitue finalement pas un simple facteur de stress, au même titre que d’autres stress reconnus pour entraîner un risque plus élevé de schizophrénie. En mettant ainsi en avant le stress d’origine sociale, il s’agirait en réalité principalement de pointer le rôle du stress d’un point de vue neurobiologique (dysrégulation de l’axe hypothalamo-hypophysaire, dysrégulation dopaminergique) et d’apporter un argument supplémentaire au modèle stress-vulnérabilité décrit ultérieurement, en y déclinant une modalité socioéconomique. De plus, le modèle ne permet pas d’expliquer pourquoi la majorité des personnes subissant un phénomène d’échec social n’expriment pas une schizophrénie secondaire à l’hyperdopaminergie induite. d. Evolution du facteur de risque Le dernier questionnement qu’il convient de soulever concernant le modèle de l’échec social est ainsi son caractère excessivement statique, qui ne s’intègre nullement dans une approche dynamique et trajectorielle de la schizophrénie. Comme nous l’avons vu précédemment, il reste aujourd’hui difficile de savoir à quelle période de la vie le facteur migratoire intervient le plus comme facteur de risque. Inversement, il existe davantage de littérature sur la période préférentielle de pathogénicité des traumatismes infantiles, de l’usage de cannabis ou encore de l’urbanicité. Se pose alors la question de savoir quelle place prend le concept d’échec social dans une trajectoire développementale pouvant mener vers la schizophrénie. Interviendrait-il davantage comme un facteur de risque précoce ou tardif? Dans ce cas, il paraît peu évident qu’il puisse servir de voie étiopathogénique commune à des facteurs de risques dont on sait qu’ils interviennent à des moments différents du développement. Inversement, pourrait-il intervenir tout au long de la vie? Dans ce cas, existe-t-il un effet dose-réponse entre le taux d’exposition et le degré de risque individuel à l’égard de la schizophrénie? L’absence totale d’étude clinique sur l’ensemble de ces données ne permet pas de préciser les modalités d’exposition et d’expression du facteur de risque que serait l’échec social. Au total, le concept de l’échec social est un modèle qui a le double mérite de mettre au cœur de la schizophrénie l’articulation entre des données issues de l’épidémiologie et de la neurobiologie, ainsi 55 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) que le rôle prépondérant des facteurs environnementaux et sociaux. Pour autant, il possède comme principale limite son caractère trop statique et unificateur, qui ne lui permet pas de prendre en compte la complexité de la voie étiopathogénique qui mène vers l’expression de troubles psychotiques. En effet, l’articulation entre les différents facteurs de risque ainsi qu’entre les facteurs environnementaux et génétiques n’y est pas prise en compte, ce qui lui confère un caractère nettement trop simpliste au regard d’une voie causale pressentie comme étant bien plus complexe. C. Le modèle sociodéveloppemental (Morgan et al., 2011) Plus récemment, Morgan et ses collaborateurs ont proposé un modèle plus complexe, s’appuyant sur les découvertes récentes en matière de santé mentale en situation migratoire. Intitulé « modèle sociodéveloppemental », il fait l’hypothèse d’une causalité complexe s’érigeant tout au long du développement de l’individu. La causalité temporelle, absente du modèle de l’échec social, se trouve ici déployée au travers des différentes modalités connues qui agissent au cœur du surrisque de schizophrénie. Les bases épistémologiques de ce modèle se trouvent dans le modèle stress-vulnérabilité postulé depuis les années 1970 pour décrire la schizophrénie (Nuechterlein & Dawson, 1984; Zubin & Spring, 1977) ainsi que dans le modèle neurodeveloppemental (Weinberger & Harrison, 2011). 1. Adversité sociale Reprenant les travaux de Cantor-Graae et Selten, Morgan et ses collaborateurs tentent dans leur article de proposer une modélisation plurifactorielle du lien entre schizophrénie et migration, en mettant en avant le rôle central des facteurs sociaux. Leurs conclusions se basent ainsi sur les données épidémiologiques concernant le retentissement pathogène d’évènements sociaux, comme par exemple ceux d’une étude anglaise qui retrouvait comme variables différenciant les migrants caribéens des contrôles au cours d’un premier épisode psychotique le chômage, le célibat et la séparation avec l’un des parents pendant l’enfance (Mallett et al., 2002). Une seconde étude a validé le rôle de ces facteurs dans l’étiopathogénie de la schizophrénie et démontré qu’ils étaient plus fréquemment retrouvés et cumulés au sein des populations migrantes (Morgan et al., 2008). De plus, une autre étude retrouvait une augmentation de la prévalence annuelle de la schizophrénie en cas d’antécédent d’attaque raciale (OR= 4,8), de racisme à l’emploi (OR= 2,9) ou de harcèlement moral (OR= 1,6) (Bhui et al., 2005). Ainsi, un certain nombre de facteurs sociaux ont été retrouvés dans différentes études et apparaissent comme majorant le risque de psychose, sans que ne soient connues les interactions qu’ils peuvent entretenir entre eux. Là où le modèle de l’échec social propose une voie étiopathogénique unique, la voie sociodéveloppementale cherche à proposer une modélisation interactionniste de ces différents facteurs. Dans une étude datée de 2014, Morgan et ses collaborateurs ont tenté de préciser 56 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) l’interaction qui peut exister entre ces différents facteurs de risque (Morgan et al., 2014). En effet, trois types d’interaction sont envisageables: • la médiation : un facteur de risque reconnu de schizophrénie A (par exemple la séparation avec un parent dans l’enfance) favorise l’exposition à un autre facteur de risque B (par exemple les conditions sociales défavorables à l’âge adulte), qui lui-même entraîne un risque majoré de psychose • la synergie : deux facteurs de risques reconnus A et B agissent de manière additive et se cumulent pour augmenter le risque de présenter un trouble psychotique • la médiation synergique : la relation entre deux facteurs de risque A et B peut prendre à la fois la forme de la médiation et de la synergie La figure 3 schématise ces trois types d’interaction possibles entre les facteurs de risques : environnementaux. 57 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) Figure 3 : Schématisation Schématisation des différentes interactions possibles entre les facteurs environnementaux de schizophrénie (interaction environnement x environnement)(adapté de Morgan et al., 2014) Les résultats de cette étude sont en faveur du modèle de la médiation synergique. En effet, les auteurs ont étudiés le type d’interaction qui pouvait relier les facteurs de risque suivants : séparation avec un parent dans l’enfance, mort d’un parent dans l’enfance, faible réussite scolaire, faible estime de soi et désavantages sociaux. Il était retrouvé : • Une fort effet de médiation entre la séparation avec un parent dans l’enfance et la psychose via les désavantages sociaux et la faible réussite scolaire 58 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) • Un fort effet de synergie entre la séparation avec un parent dans l’enfance et les désavantages sociaux à l’âge adulte Ce double effet suggère que l’hypothèse de la médiation synergique est la plus à même de rendre compte de l’interaction environnement x environnement (E x E) qui intervient dans le risque de psychose. Cet effet de médiation synergique tend à apporter des arguments à l’encontre du modèle de l’échec social, qui n’intègre nullement la prise en compte des interactions environnement x environnement. 2. Théories neurocognitives associées Les évènements sociaux précédemment cités seraient associés à des processus neurocognitifs permettant d’expliquer le lien causal entre migration et schizophrénie. La théorie épigénétique, correspondant à l’activation des gènes en fonction de l’environnement, pourrait ainsi prendre tout son sens. Du point de vue neurobiologique, la sensibilisation du système dopaminergique mésolimbique ou la dérégulation de l’axe hypothalamo-hypophysaire sont des hypothèses également apportées pour comprendre l’effet des facteurs psychosociaux sur l’organisme. Du point de vue neurocognitif, l’hypothèse d’apparition de schémas et de biais cognitifs dysfonctionnels est également citée par les auteurs (Garety et al., 2001). L’apparition d’un style attributionnel de type paranoïde est ainsi décrite comme mécanisme potentiellement mis en jeu du point de vue de la cognition sociale. 3. Le modèle sociodéveloppemental Partant de l’impossibilité à retrouver une étiopathogénie unique au sur-risque de schizophrénie démontré chez les migrants et des conclusions des deux méta-analyses retrouvant une hétérogénéité inter-groupes et inter-études significative, Morgan et ses collaborateurs proposent une modélisation multifactorielle prenant en compte plusieurs facteurs de risque et leur interaction au cours des différentes étapes pré-morbides pour apporter une théorie explicative potentielle, basée sur les résultats précédemment évoqués, tant du point de vue génétique, que biologique, cognitif ou psychosocial. L’accent est clairement porté sur l’importance que revêtent les facteurs psychosociaux, par les biais des dysfonctionnements cognitifs et biologiques qu’ils entraînent. L’hypothèse socio-développementale intrique un a) risque génétique présent à la naissance à b) des facteurs environnementaux présents à la fois pendant l’enfance (traumatismes infantiles) et l’âge adulte, eux-mêmes en lien avec un contexte donné au sein duquel le statut social prend toute son ampleur. L’association de ces différents facteurs de risque entraînerait une vulnérabilité plus grande à la psychose sous la forme de c) symptômes prodromiques (anxiété, dépression, expériences prépsychotiques) et de dysfonctionnements cognitifs et neurobiologiques, terrain sur lequel d) la réitération 59 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) de facteurs de stress environnementaux entraînerait une entrée dans la pathologie psychotique avérée. L’hypothèse principale sous-tendue par cette modélisation est donc que ce sont les expériences sociales et le contexte de vie qui font la différence, pouvant entraîner certains individus à risque dans des groupes donnés vers la pathologie schizophrénique. Figure 4 : Le modèle modèle sociodéveloppemental sociodéveloppemental (adapté (adapté de Morgan et al., 2011) 4. Intérêts et limites a. Intérêts Tout comme le modèle de l’échec social, celui proposé par Craig Morgan et ses collaborateurs a comme intérêt principal de mettre au cœur de l’étiopathogénie de la schizophrénie les facteurs environnementaux et sociaux. L’importance du contexte social est ainsi clairement soulignée par les auteurs et mise en exergue dans la modélisation de la voie étiopathogénique proposée. La vulnérabilité à la psychose est ainsi décrite non pas comme la conséquence d’une cause uniquement génétique mais comme l’interaction d’une double vulnérabilité à la fois génétique et environnementale, venant impacter le développement psychomoteur et cérébral de l’individu au cours de son développement. 60 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) De plus, ce modèle a l’avantage de prendre en compte à la fois le caractère dynamique de l’étiopathogénie de la schizophrénie et les interactions gène x environnement (G x E) ainsi qu’environnement x environnement (E x E) qui peuvent exister dans la construction du risque au fil de l’enfance, de l’adolescence puis de l’âge adulte. Si ces données épidémiologiques méritent d’être mieux appréhendées à l’avenir, elles sont ici imaginées comme primordiales dans la compréhension du phénomène. Enfin, le modèle sociodéveloppemental prend en compte la complexité de l’étiopathogénie de la schizophrénie dans l’ensemble de ses composantes. L’évolution temporelle des troubles sous la forme de phases prodromiques progressivement plus intenses du point de vue symptomatique est ainsi prise en compte, tout comme l’existence d’effets multiples, tant cognitifs, que neurobiologiques ou phénoménologiques des facteurs sociaux délétères. b. Limites La limite principale du modèle sociodéveloppemental est son caractère pour l’heure heuristique, puisqu’il n’existe actuellement aucune étude ayant démontré la validité du modèle en suivant une méthodologie longitudinale, permettant de démontrer l’enchaînement causal des différents phénomènes psychopathologiques évoqués. Si la construction du modèle repose sur un certain nombre de données scientifiques solides, la validité de leur mise en corrélation demeure à prouver. L’effet précis des facteurs sociaux reste ainsi peu documenté, tant du point de vue de la période d’effet, que des conséquences précises qu’ils peuvent avoir sur l’individu. Le manque de données quantitatives sur l’ensemble des éléments du modèle lui confère ainsi sa principale limite. D. Théorie de la « sensibilisation » Une autre concept permettant de modéliser la voie étiopathogénique entre facteurs environnementaux et schizophrénie a été récemment proposé, sous le terme de « sensibilisation » (sensitization) (Collip et al., 2008). 1. Arguments Reprenant les découvertes récentes concernant le rôle des facteurs environnementaux dans la schizophrénie, les auteurs postulent que l’ensemble de ces facteurs seraient liés par une voie étiopathogénique commune. En effet, la disparité de l’incidence et de la prévalence des troubles psychotiques selon les zones géographiques et les populations (McGrath, 2006) tend à souligner le poids des facteurs environnementaux vis-à-vis des facteurs génétiques. De plus, leur multiplicité rend difficilement probable l’hypothèse de l’existence d’autant de mécanismes étiopathogéniques sousjacents, laissant imaginer l’existence d’une voie finale commune, comprenant une sensibilisation 61 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) dopaminergique associée ou non à des biais cognitifs. Le fait que les facteurs environnementaux ne soient ni nécessaires ni suffisants dans la trajectoire schizophrénique d’un individu est également en faveur d’une voie physiopathologique générale pouvant s’exprimer sous l’effet d’autres facteurs qu’environnementaux. Le concept de sensibilisation postule que des individus soumis sur une longue période à une exposition environnementale répétée présentent une réponse croissante au fil du temps résultant finalement dans une modification de l’amplitude de la réponse à ce facteur. Il a ainsi été fait l’hypothèse que la sensibilisation puisse être le substrat de la vulnérabilité aux effets inducteurs de psychose du stress et des agonistes dopaminergiques retrouvée dans la schizophrénie (Howes et al., 2004; Lieberman et al., 1997). 2. Effets de sensibilisation Les auteurs retiennent ainsi différents effets de sensibilisation potentiels : • Effets cognitifs et émotionnels : l’adversité sociale pourrait entraîner l’apparition de schémas cognitifs négatifs portant sur soi et les autres, sous la forme d’un défaut d’estime de soi qui pourrait favoriser le développement d’un style attributionnel externe de type paranoïde pour les évènements négatifs. Dans ce sens, des études ont démontré que la voie menant des abus et traumatismes infantiles à la psychose était médiée par une représentation de soi défaillante et des sentiments négatifs sur les autres, ainsi que des déficits en méta-cognition (Bak et al., 2005). Une étude a également montré que les pensées de type paranoïde étaient exacerbées dans une population de personnes à risque de schizophrénie par le fait d’être exposée à un environnement urbain défavorisé (Ellett, Freeman & Garety, 2007). Ainsi, des modifications cognitives et émotionnelles pourraient résulter d’une exposition environnementale intense et répétée, et majorer progressivement l’amplitude de la réponse à cette même exposition. • Sensibilité comportementale au stress : l’hyper-réactivité à des stress mineurs retrouvée dans les populations de personnes à très haut risque de psychose (Myin-Germeys et al., 2001) pourrait correspondre à un phénomène de sensibilisation, au cours duquel l’exposition antérieure à des stress majeurs, tels que les traumatismes infantiles, augmenterait la sensibilité à de moindres facteurs de stress ultérieurs. • Effets dopaminergiques : si le rôle de la dopamine dans l’étiopathogénie de la schizophrénie est aujourd’hui bien documenté, la manière dont elle pourrait agir au sein de la voie menant des facteurs environnementaux à la schizophrénie demeure inconnue. Différents arguments laissent à penser qu’elle puisse avoir un rôle primordial, qu’il s’agisse d’études animales ou humaines. Ainsi, une étude a démontré que le taux de libération de dopamine mésolimbique en réponse à un stress social dépendait du niveau de soins maternels reçus pendant l’enfance (Pruessner et al., 2004) et l’étude récente de Gavenden et coll. effectuée chez des personnes malentendantes va dans ce sens. 62 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) Le concept de sensibilisation peut être décrit à l’aide de la figure suivante (Figure 5). La personne A présente une expression « normale » d’expériences psychotiques sub-cliniques qui demeurent transitoires et de faible intensité. La personne B présente une expression de même intensité mais persistante dans le temps, due à une exposition environnementale de moyenne intensité. La personne C présente une persistance prolongée due à une exposition environnementale intense et répétée à des facteurs de risque environnementaux. Figure 5: Théorie Théorie de la sensibilisation (adaptée de Collip. et al., 2008) 3. Intérêts et limites a. Intérêts La théorie de la sensibilisation a comme intérêt de prendre en compte à la fois les données neurobiologiques, cognitives et comportementales concernant les effets de l’exposition à des facteurs environnementaux délétères. En effet, alors que le modèle de l’échec social se borne aux effets dopaminergiques éventuels du vécu d’échec, la théorie de la sensibilisation s’étend à un ensemble de phénomènes cognitivo-comportementaux et émotionnels qui jouent probablement un rôle tout aussi important dans l’étiopathogénie des troubles psychotiques. Elle permet également de faire le lien entre des facteurs environnementaux a priori fort différents et dont il n’est pas aisé de voir au premier abord le point commun, tout en prenant en compte le modèle de l’interaction synergique dans le risque global. En effet, les effets du stress social dans l’enfance (traumatismes infantiles, harcèlement scolaire..) peuvent entraîner une réponse amplifiée à d’autres formes d’adversité sociale (chômage, isolement…) à l’âge adulte (Will et al., 2015; van Harmelen et al., 2014; Gonzalez et al., 2014). Cet effet de sensibilisation favoriserait alors la transition vers la psychose à l’âge adulte par réitération de facteurs de stress dépassant les capacités d’adaptation de l’individu par phénomène d’augmentation de la réponse neurobiologique et cognitivocomportementale. 63 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) b. Limites La théorie de la sensibilisation explique les effets neurobiologiques de l’exposition environnementale par un accroissement progressif de l’activité de certaines aires cérébrales, ce qui ne permet pas de prendre en compte les phénomènes d’hypofonctionnement que l’on peut retrouver dans la schizophrénie. En effet, comme nous le verrons ultérieurement, certaines aires tendent à diminuer de volume dans la schizophrénie ou a présenter un moindre degré de fonctionnement (Sheperd et al., 2014; Moran et al., 2013). De plus, une étude retrouvait, plutôt qu’un effet de sensibilisation, une diminution de la sécrétion de cortisol salivaire en réponse à un stress psychosocial chez des individus à haut risque de psychose (Pruessner et al., 2013). Ensuite, tout comme pour les deux modèles précédemment cités, il ne s’agit que d’une formulation d’hypothèses demandant à être précisées et validées ou non par des études cliniques et fondamentales dont la méthodologie s’avère complexe. En effet, il convient de proposer des méthodes de suivi longitudinal d’un ensemble de facteurs complexes, tout en cherchant à valider l’existence d’une corrélation statistique entre ces différents phénomènes. E. La théorie du « capital social » : lien social et schizophrénie Issu de la sociologie américaine, le concept de capital social (social capital) a été utilisé en épidémiologie et santé publique à partir des années 90 dans l’optique de mieux appréhender les inégalités de santé. Il s’agissait ainsi de décrire la cohésion sociale ainsi que la manière qu’ont les individus de se situer vis-à-vis de leur environnement social immédiat afin de déterminer l’effet de ces perceptions sur leur état de santé. Son intérêt a été étendu par la suite dans les études portant sur l’étiopathogénie de la schizophrénie. 1. Un concept issu de la sociologie américaine Peu diffusé dans la sociologie française, la concept de capital social trouve son origine dans la sociologie américaine de la fin du XXème siècle, dans un contexte qui voit alors les Etats-Unis confrontés à la montée du chômage et des inégalités sociales, à laquelle s’associe un désaveu à l’égard des institutions sociales, notamment associatives, jusqu’alors prisées de la société américaine. Alexis de Tocqueville, dans son ouvrage De la démocratie en Amérique soulignait ainsi la forte propension des américains à s’investir dans la vie citoyenne à travers l’engagement dans des sociétés associatives indépendantes, ce que le sociologue français avait alors considéré comme le ciment de la vigueur de la démocratie aux Etats-Unis (Tocqueville, 1833). Robert Putman, dont la théorisation de la notion de capital social a clairement marqué un tournant favorable dans l’essor qu’elle a pu connaître à partir des années 90, reprend cette idée de Tocqueville dans l’optique de montrer qu’est advenu un déclin 64 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) progressif de l’engagement citoyen aux Etats-Unis à la fin du XXème siècle, théorie qu’il expose dans un article intitulé Bowling alone: America’s declining social capital et publié en 1995, étendant son raisonnement à l’évolution de l’engagement social des américains au sein des associations civiles (Putman, 1995). Putman se base ainsi sur les résultats concordants d’études sociologiques menées dans le monde associatif américain qui retrouvent un déclin notable de la participation des citoyens aux activités de la société civile auxquelles il impute un rôle essentiel « dans l’avènement et la consolidation d’un système démocratique », phénomène contrastant avec un intérêt de plus en plus marqué pour le fait d’aller faire du bowling seul (bowling alone). Ainsi, Putman retient le fort désengagement syndical (32,5% de travailleurs syndiqués en 1953 contre 15,8% en 1992), religieux (48% d’engagement religieux à la fin des années 50 contre 41% à la fin des années 60) ou encore associatif (recul de 59% des adhésions à la Fédération nationale des clubs de femmes entre 1964 et 1995, de 61% à la CroixRouge entre 1970 et 1995 ou de 26% chez les Scouts sur la même période) pour argumenter ce désaveu progressif des citoyens à l’égard d’activités d’engagement social. Paradoxalement, Putman retient qu’ « entre 1980 et 1993, le nombre de joueurs de bowling a augmenté de 10% aux Etats-Unis alors que le nombre de personnes membres d’un club de bowling a chuté de 40% ». Paradigmatique du déclin de ce qu’il appelle « l’engagement civique », le sociologue américain définit à travers le phénomène du « bowling alone » le capital social comme « les caractéristiques de l’organisation sociale, telles que les réseaux, les normes et la confiance qui facilitent la coordination et la coopération pour un bénéfice mutuel ». Il s’agit ainsi de théoriser l’intérêt du capital social, en ce qu’il apporterait un « bénéfice » pour l’individu mais aussi pour la société dont il fait partie, tout en y associant des caractéristiques pratiques de mode d’interaction entre les individus. Trois niveaux de capital social seraient à différencier selon Putman: • le bonding social capital qui correspond à « la « colle » (social glue) qui cimente les réseaux fondés sur le partage d’affinités et d’appartenance communes • le linking social capital qui « permet de rassembler des individus porteurs d’identités sociales et culturelles différentes » • le bridging social capital qui « crée des liens entre la société civile et les appareils institutionnels » Du côté de la sociologie française, Pierre Bourdieu a également conceptualisé la notion de capital social, dans une optique assez différente de celle défendue par la théorie putmanienne. La naissance de l’idée même d’un capital social peut lui être attribuée puisqu’il fut le premier à le théoriser, dans sa distinction des différentes formes de capital, qu’il organise en capital économique, capital culturel et capital social (Bourdieu, 1980). Pour Bourdieu, le capital social se définit « comme l’ensemble des ressources actuelles ou potentielles qui sont liées à la possession d’un réseau durable de relations plus ou moins institutionnalisées d’interconnaissance et d’interreconnaissance; ou en d’autres 65 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) termes à « l’appartenance à un groupe » ». Il est important de noter qu’il n’existe que peu de perméabilité théorique entre les pensées putmanienne et bourdieusienne, le premier ne citant le sociologue français que de manière sporadique, sans s’appuyer outre mesure sur la définition qu’en fait Bourdieu. Cette absence de filiation entre deux concepts a priori identiques explique en partie le fait que la théorie du capital social n’ait pas été importée dans la sociologie française. Une des limitations de la théorie du capital social repose sur l’imprécision qui existe quant à la manière de mesurer directement et quantitativement le quantum de capital social d’une région ou d’un individu donné. Aucune recommandation n’existe en effet à l’heure actuelle quant à un outil de mesure précis du capital social, rendant la synthèse des données rapportées au fil des années difficile, du fait de l’hétérogénéité de mesure du capital social. Différentes échelles sont ainsi utilisées, tant au niveau individuel que collectif, sans harmonisation autour des données précises permettant d’appréhender le niveau de capital social d’un individu ou d’un groupe social. Ponthieux écrit en ce sens que « les différentes dimensions identifiées pour mesurer le capital social appréhendent des phénomènes variées, irréductibles en tous les cas à un unique objet latent » (Ponthieux, 2006). 2. Capital social et inégalités de santé : le « côté sombre du capital social » Bien que la notion ait aussi peu diffusé dans la recherche médicale française, la médecine est l’un des terrains sur lequel le concept de capital social a trouvé le plus d’écho, du fait de son intérêt pour appréhender le rôle des inégalités sociales au cœur des inégalités de santé. On dénombre ainsi dans la littérature médicale de nombreux articles cherchant à argumenter le rôle du capital social sur la santé publique et individuelle, tant du point de vue de pathologies coronariennes (Sundquist et al., 2006) que du risque de cancer ou de suicide (van Hooijdonk, 2008). Dans une étude datée de 2009, deux chercheuses en économie, Caroline Brechet et Florence Jusot utilisaient le concept de capital social, dans sa conception putmanienne, pour analyser la différence de l’état de santé entre la population immigrée et la population autochtone en France. En accord avec les résultats d’études internationales sur le sujet, Brechet et Jusot retrouvaient un état de santé globalement plus dégradé dans la population immigrée. Ainsi, 34% des migrants déclaraient un état de santé subjectivement dégradé contre 28% de la population française. Il est à noter que les auteurs utilisaient dans cette étude la mesure de l’état de santé déclarée par les personnes, sa corrélation avec l’état de santé objectif ayant été démontrée antérieurement (Chandola et al., 2000). L’analyse statistique permettait de démontrer que 39% de cette différence dans l’état de santé étaient attribuables à la différence de distribution des caractéristiques observables entre les deux populations. Plus précisément, le capital social était le facteur le plus important, puisque il expliquait 54% de la différence de santé attribuable aux caractéristiques observables, contre 42% pour le niveau de revenu et seulement 16% pour la catégorie socioprofessionnelle. Le niveau de soutien social jouait pour 43% et l’engagement civique pour 11%. 66 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) Pour autant, les études de cohortes peinent à mettre en avant un effet fort du capital social sur la santé des individus, tant au niveau collectif qu’individuel. En effet, les effets de risque ou de protection sont le plus souvent minimes (0,92 pour le cancer et 0,90 pour le suicide dans l’étude de van Hooijdonk) et les variables individuelles prennent le pas sur les données écologiques. De plus, il semblerait que ce soit davantage la perception du capital social, que son existence concrète, qui influe sur la santé des individus. A ce titre, la dernière étude en date sur les liens entre capital social et santé, datée de mai 2015, démontrait que la confiance individuelle était corrélée à un bon état de santé rapportée (OR=0,95; IC95%= 0,94-0,96) au contraire de la confiance mesurée à l’échelle populationnelle. De plus, il existait une forte corrélation (p<0,001) entre sentiment de confiance individuelle et collective, voulant que les individus avec un bon niveau de confiance interpersonnelle rapportait un bon niveau de santé dans un contexte de confiance collective locale tandis que, dans un même contexte de confiance collective locale, les personnes avec un bas niveau de confiance individuelle reportaient un mauvais état de santé (Campos-Matos et al., 2015). Ce phénomène est appelé dans la littérature le « côté sombre » (dark side) du capital social, du fait que l’existence d’un capital social disponible dans un territoire donnée ne suffise pas nécessairement à ce que ce capital soit protecteur du point de vue de la santé des individus qui y vivent. 3. Capital social et santé mentale En accord avec les travaux menés dans d’autres disciplines médicales, les chercheurs en santé mentale se sont progressivement penchés sur le capital social, pour tenter de préciser le rôle qu’il pouvait prendre dans l’épidémiologie et l’étiologie des troubles psychiatriques. Ainsi, en 2002, McKenzie, Whitley et Weich publiait dans le British Journal of Psychiatry un article qui faisait pour la première fois le lien entre différents travaux ayant démontré le rôle de données sociales, telles que le niveau de cohésion sociale ou la densité ethnique, sur l’incidence ou la prévalence de troubles mentaux comme la dépression, le suicide, l’anxiété ou encore la schizophrénie (McKenzie, Withley & Weich, 2002). Une méta-analyse datée de 2005 a par la suite cherché à évaluer l’effet du capital social sur la santé mentale (De Silva et al., 2005). Dans cette étude, De Silva et ses collaborateurs opéraient deux distinctions au cœur de la notion de capital social, en opérant une double différenciation entre capital social individuel et collectif (capital social écologique) d’un côté, capital social structurel (domaine comportemental et actif du capital social) et cognitif (domaine perceptuel du capital social) de l’autre. L’inclusion de 25 études conformes aux critères d’inclusion et portant sur différentes pathologies mentales a permis de mettre en exergue des résultats divergents pour les différents types de capital social. Ainsi, l’effet le plus significatif était retrouvé pour le capital social cognitif à l’échelle individuel, sous la forme d’une corrélation négative entre niveau de capital social et de santé mentale. 67 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) Inversement, il n’existait qu’un faible effet, voire l’absence de corrélation entre les trois autres formes de capital social et la santé mentale. Différentes limitations méthodologiques peuvent être reprochées à cette étude, l’une d’entre elles concernant notamment le fait que le capital social pourrait avoir un effet sur certaines pathologies mentales davantage que sur d’autres, résultat qui serait sous-estimé par une mesure de ses effets sur la santé mentale en générale. Dans cette optique, différentes études ont cherché à préciser le rôle du capital social dans la schizophrénie. 4. Capital social et schizophrénie Les recherches portant sur le rôle du capital social dans la schizophrénie trouvaient leur origine au cœur des résultats retrouvés antérieurement sur le rôle de la densité ethnique, rapportée au bridging capital, et de la cohésion sociale, pensée alors sous l’angle du bonding capital, dans l’étiopathogénie de la schizophrénie. De plus, le fait que certaines études aient démontré l’existence d’un capital social plus développé en milieu rural qu’urbain a amené les chercheurs spécialisés dans les liens entre urbanité et schizophrénie à se pencher plus en détail sur ce concept. Une première étude non publiée de Boydell en 2002 retrouvait une corrélation inverse entre le niveau de cohésion sociale mesurée dans différents départements électoraux de la ville de Londres (capital social cognitif écologique) et l’incidence de la schizophrénie dans ces mêmes districts. Cette recherche était cependant une étude pilote dans laquelle les résultats n’étaient pas ajustés sur des variables individuelles. Une seconde étude (Drukker et al, 2006) menée dans la ville de Maastricht a cherché à appréhender le rôle du capital social dans la schizophrénie en l’analysant sous deux dimensions distinctes: le contrôle social informel (informal social control, ISC) et la confiance et la cohésion sociale (trust and social cohesion, SC&T), à un niveau écologique. Ces deux dimensions étaient mesurées à l’aide d’un questionnaire envoyé à un échantillon représentatif de la population de Maastricht au sein des différents districts de cette ville de 120.000 habitants. L’objectif de l’étude était de valider l’existence d’une corrélation statistique entre le niveau de capital social d’un district de la ville et le taux d’incidence de la schizophrénie dans ce même territoire. Le premier résultat de l’étude était celui d’une grande hétérogénéité de l’incidence de la schizophrénie selon les aires géographiques de la ville, variant de 0,7 à 6 pour 1000. L’analyse directe retrouvait un effet significatif du défaut de capital social dans l’épidémiologie de la schizophrénie, puisque l’odd ratio était de 1,29 pour l’ISC et de 1,35 pour le SC&T (p<0,05). Ainsi, une déviation standard augmentée dans une variable de condition de voisinage augmentait de 13 à 35% le taux d’incidence de schizophrénie dans ce quartier. Cependant, ces résultats s’avéraient non significatifs lorsqu’ils étaient ajustés sur les variables individuelles. Le célibat et le chômage apparaissaient ainsi comme les variables les plus importantes dans les variations d’incidence, avec des odd ratio respectifs de 72 (p<0,001) et de 11 (p<0,001). Ainsi, cette étude hollandaise ne permettait pas d’établir l’existence d’un lien de causalité significatif entre capital et social et incidence 68 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) de la schizophrénie à un niveau écologique. Les facteurs socio-économiques individuels apparaissaient ainsi comme les variables les plus significatives pour expliquer l’hétérogénéité des incidences retrouvées dans la ville de Maastricht. Ces résultats tendraient à confirmer que le capital social jouerait un rôle du point de vue de la santé mentale davantage au niveau individuel que collectif et dans sa dimension cognitive davantage que structurelle. La petite taille de la ville et la faible ampleur des différences sociales au sein de la ville ont sans doute été un frein statistique à la mise en exergue de résultats significatifs du point de vue écologique. En 2007, une seconde étude (Kirkbride et al, 2007) utilisait deux variables de mesure du capital social, SC&T et SocD (social cohesion and dizorganisation), pour évaluer la corrélation entre capital social et incidence de la schizophrénie dans la ville de Londres, à un niveau écologique. Les résultats montraient une corrélation non-linéaire entre confiance et cohésion sociale et incidence de la schizophrénie. En effet, les taux de schizophrénie étaient retrouvés plus élevés dans les quartiers de la ville présentant les plus hauts (RR= 2,5, IC95%= 1,3-4,8) et les plus bas niveaux (RR= 2,0; IC95%= 1,2-3,3) de cohésion sociale. De manière cohérente avec les études antérieures, il était retrouvé une incidence moindre dans les zones présentant une plus faible fragmentation ethnique (RR= 0,6, IC95%= 0,5-0,8), et le risque de schizophrénie dépendait de la densité ethnique, le risque étant d’autant plus élevé que la densité ethnique est faible (RR= 6,6, IC95%= 3,0-14,2 dans les zones de plus faible densité ethnique). Il n’existait pas de corrélation significative entre le niveau de cohésion et de désorganisation sociale mesurée par le SocD, mais il existait une bonne corrélation entre les réponses données au SocD et au ScT. Les résultats a priori contradictoires de cette étude apportent des pistes de réflexion sur le mode de fonctionnement du capital social pour la schizophrénie. En effet, les résultats dans les zones de haute cohésion sociale pourraient s’expliquer par le phénomène de « dark side » du capital social évoqué plus haut, tandis que ceux dans les zones de faible cohésion sociale pourraient s’expliquer par la difficulté rencontrée par les individus pour atténuer leur niveau de stress due à la vie urbaine par un support social suffisant. Les conclusions des différentes études portant sur les liens entre capital social et schizophrénie sont assez concordantes quant au fait que les données ne permettent nullement pour l’heure de désigner le fait de bénéficier d’un faible capital social comme un facteur de risque de schizophrénie. Ce constat se doit cependant d’alimenter de futures recherches dans le domaine de l’épidémiologie mais aussi dans celui de la délimitation précise du concept de capital social, d’un point de vue notamment sociologique et économique. Si des auteurs comme Ponthieux soulignent les évidentes limites du concept et la vacuité qui pourrait advenir en voulant à tout prix prouver empiriquement l’existence du social capital à travers des mesures d’inégalités sociales dans différentes domaines de son application, il serait tout aussi peu utile de l’abandonner définitivement et de ne pas investiguer davantage son possible rôle étiopathogénique dans la schizophrénie. Outre la difficulté à disposer de résultats concluants, la notion de capital social interroge sur les effets psychopathologiques possibles de l’exclusion sociale. 69 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) F. Exclusion sociale et discrimination : une double signature cognitive et neurobiologique La notion de capital social ouvre en effet un débat qu’il convient de poursuivre sur les effets du lien social, et dans un même temps de l’exclusion sociale, sur le fonctionnement neurocognitif, comportemental et relationnel des individus, afin de comprendre au mieux comment peuvent s’articuler le capital social dit structurel et le capital social cognitif. La première question qu’il convient de se poser est de savoir s’il existe réellement un effet, voire, une « signature psychopathologique », qu’elle soit cognitive, comportementale, émotionnelle, relationnelle ou neurobiologique du défaut de capital social, sous la forme de l’exclusion sociale ou de la discrimination. Les travaux récents permettent d’avancer en ce sens et de postuler l’existence de conséquences cérébrales et psychiques précises des phénomènes de désocialisation et de discrimination sociale. 1. Arguments épidémiologiques Différentes études ont démontré, contrairement à l’idée généralement répandue, que la schizophrénie n’est pas présente avec la même incidence et la même prévalence dans toutes les zones géographiques données (Kirkbride et al., 2014; 2006; McGrath, 2006: Drukker et al., 2006). En effet, il existe d’importantes disparités dans la répartition du trouble, avec une très forte présence dans les quartiers défavorisés, au sein desquels on retrouve une forte fragmentation sociale et des désavantages sociaux prépondérants. Ces données mettent en avant le rôle majeur de l’adversité sociale, sous la forme de l’exclusion sociale et de la discrimination dans la survenue des troubles psychotiques, en même temps qu’elles interrogent le caractère cumulatif de différents facteurs au cours du temps. Une étude française menée par l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes) a démontré que cette hétérogénéité spatiale de répartition de l’incidence de la schizophrénie était en grande partie médiée par des facteurs socio-économiques (Coldefy & Le Neindre, 2014). En utilisant un indice de fragmentation sociale et un indice de défavorisation sociale, il était retrouvé que les zones géographiques les plus défavorisées et fragmentées présentaient les plus hauts taux de recours aux soins pour un trouble schizophrénique, résultats concordant avec les données de la littérature internationale. 2. Une signature neurale de l’exclusion sociale Récemment, la thématique de l’exclusion sociale est devenue un champ privilégié des recherches en neurobiologie et plusieurs études ont en effet permis de démontrer l’existence d’un effet neurobiologique de l’exclusion sociale, laissant à penser que le sentiment de discrimination ou de défaut 70 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) de support social présente une influence notable sur le fonctionnement cérébral. Ces différents travaux ont porté à la fois sur des modifications électro-physiologiques, neuroanatomiques ou physiologiques. a. Données neuroanatomiques Eisenberger et ses collaborateurs ont proposé l’existence d’un système neurobiologique commun entre douleur physique (physical pain) et sociale (social pain), situé en partie au sein du cortex cingulaire antérieur (CCA), plus spécifiquement dans sa partie dorsale (CCAd), et de l’insula antérieure (IA). Les auteurs le considèrent comme un « système d’alarme neurale » (Eisenberger et al., 2004). Eisenberger évoque deux phénomènes distincts dans le phénomène de douleur physique: a) une part sensorielle qui code pour discriminer le type de douleur et b) une part affective qui code pour la part désagréable de la douleur (Eisenberger, 2012). Selon l’auteure, les phénomènes de douleur sociale se rapprocheraient du point de vue physiopathologique davantage de ceux mis en jeu dans la part affective de la douleur physique. Alors que les travaux sur la douleur physique ont de longue date décrit le CCAd et l’insula antérieure comme systèmes importants dans les phénomènes de douleur chronique, des recherches plus récentes ont démontré qu’ils jouaient également un rôle clé dans les phénomènes d’exclusion sociale. Tout d’abord, il est important de noter que le CCA joue un rôle majeur dans les phénomènes d’attachement et de lien social dans les relations parents-enfants. Des recherches en primatologie ont ainsi démontré le rôle du CCA dans les cris de détresse de bébés macaques séparés de leurs parents. L’ablation du CCA élimine la production spontanée de cris de détresse, tandis que la stimulation du CCA induit la production spontanée de ces cris (Robinson, 1967). De même, chez le rat, l’ablation du CCA chez les mères diminue leur réponse aux cris de détresse de leurs enfants (Murphy et al., 1981). Ainsi, différents arguments sont en faveur d’une voie neurobiologique commune entre douleur physique et sociale. La première étude réalisée sur les effets neuroanatomiques de l’exclusion sociale retrouvait en IRM fonctionnelle une augmentation de l’activité du CCAd et de l’insula antérieure chez des personnes soumises à une expérience d’exclusion sociale via le ball-tossing game, expérience qui vise à faire vivre un ressenti d’exclusion à travers un jeu de balle dirigé par ordinateur (Eisenberger, 2003). Ces résultats ont été répliqués dans différentes études (Masten et al., 2012; Bolling et al., 2011) et il était retrouvé une corrélation significative entre le niveau d’activité de ces deux régions cérébrales et le degré de détresse ressentie face au sentiment exclusion sociale (DeWall, 2012; Onada, 2009). D’autres études ont démontré que des personnes présentant des facteurs protecteurs tels que le support social ou le fait de passer plus de temps avec des amis présentaient une moindre activité du CCAd ou de l’IA lors des expériences d’exclusion sociale (Masten et al., 2012; Eisenberger et al., 2007). Inversement, les personnes présentant une estime d’eux même plus basse et relatant un moindre support social avaient une activité plus élevée au niveau des régions impliquées dans la douleur sociale (Krill et 71 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) al., 2009). Une étude plus récente a permis de valider définitivement l’existence d’une voie commune entre douleur physique et sociale. Des individus ayant vécu une rupture sentimentale récente participaient à une expérience au cours de laquelle ils devaient repenser à la personne les ayant quitté, aidés en cela par une photo de la personne, ainsi qu’une stimulation douloureuse (Kross et al., 2011). Il existait une analogie anatomique entre les régions cérébrales activées, à savoir comme attendu le CCAd et l’insula antérieure. De plus, il a été démontré que les personnes présentant une sensibilité accrue à la douleur sont également plus sensibles à l’exclusion sociale. Les personnes porteuses d’une mutation allèlique des récepteurs opioïdes mu (OPM1) les rendant plus sensibles à la douleur physique le sont également à l’exclusion et présentent une plus grande activité du CCAd et de l’IA lorsqu’ils sont soumis expérimentalement à un vécu d’exclusion (Way, Taylor & Eisenberger, 2009). b. Données électro-physiologiques Cristofori et al. ont pu démontrer qu’il existait une « signature neurale » de l’exclusion sociale sous la forme d’ondes thêta qui sont des ondes électroencéphalographiques de faible fréquence (de 3 à 7Hz), retrouvées lors d’expériences utilisant des logiciels informatiques permettant de mettre des individus en situation expérimentale d’exclusion sociale (Cristofori et al., 2014). Le « parcours neural » de l’exclusion se déploie ainsi à travers différentes aires cérébrales, parmi lesquels on retrouve l’insula antérieure et postérieure, le cortex cingulaire antérieure sousgénuale (CCAs) ainsi que le gyrus fusiforme, tous activés à des niveaux et des instants différents selon le degré et le type de sentiment d’exclusion. L’insula notamment, jouerait un rôle primordial dans la neurobiologie de l’exclusion en déclenchant les effets neuronaux de la douleur sociale et en permettant une détection de la situation de douleur sociale, tandis que le CCAs aurait quant à lui un rôle d’apprentissage de l’exclusion sociale au fil de l’expérience qui en est faite par l’individu. Il est intéressant de noter qu’une étude récente retrouvait la présence prédominante d’ondes thêta chez des patients schizophrènes (Chaychi et al., 2015). Cependant, ce résultat ne concernait que 12.5% de l’échantillon testé (12 patients sur 64), ce qui ne permet nullement d’avancer l’idée d’un rôle prépondérant de ce type d’activité électrophysiologique dans la schizophrénie. Il est en revanche intéressant de noter que les aires cérébrales concernées par les modifications électrophysiologiques secondaires à l’exclusion sociale correspondent aux zones atteintes dans la schizophrénie, à savoir le cortex préfrontal et notamment le CCA et l’insula. Ainsi, s’il est aujourd’hui démontré qu’il existe des conséquences neurobiologiques spécifiques de l’exclusion sociale, la corrélation avec la schizophrénie reste hypothétique. Il convient cependant d’ouvrir certaines perspectives étiopathogéniques en discutant les résultats scientifiques concernant le rôle que prennent dans la schizophrénie les aires cérébrales mises en jeu dans l’exclusion sociale. 72 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) c. Rôle de l’insula et du CCA dans la schizophrénie c.1. Insula et CCA : le réseau de la salience Ainsi, alors que les recherches portant sur la neurobiologie de l’exclusion sociale ont permis de pointer le rôle déterminant de régions cérébrales préfrontales telles que l’insula antérieure et le cortex cingulaire antérieur, il convient de se référer aux données de la littérature sur le rôle de ces mêmes régions dans la schizophrénie. L’insula est une région du cerveau située dans le système limbique. Elle est divisée en une partie antérieure, la plus volumineuse, et une partie postérieure. Elle joue un rôle prépondérant dans la gestion des stimuli émotionnels et sensoriels intéroceptifs, soit la conscience de l’état corporel interne. Ainsi, l’insula est activée lors de la perception de changements physiologiques tels que la fréquence cardiaque, la douleur thermique ou la conductance épidermique (Damasio, 2003). L’insula joue ainsi un rôle dans ces phénomènes intéroceptifs d’ordre émotionnels mais également dans le sentiment plus général du « sens de soi », en permettant notamment de discriminer entre les stimuli provenant de l’état interne (soi), via la conscience intéroceptive, et de l’extérieur (non-soi)(Critchley et al., 2004). L’insula antérieure est spécialisée dans le traitement de la composante émotionnelle de la conscience intéroceptive (Craig, 2003), l’anticipation et l’évaluation des stimuli émotionnels et la conscience de soi (Lovero et al., 2009). Plus précisément, elle est impliquée dans la genèse de l’empathie (Oschner et al., 2008) et l’identification des frontières entre soi et les autres (Iacoboni & Dapretto, 2006), du fait notamment de la présence dans son architecture cellulaire de neurones miroirs. L’insula postérieure est quant à elle spécialisée dans la gestion des stimuli sensori-moteurs (Lovero et al., 2009). Le cortex cingulaire est une aire cérébrale d’architecture complexe qui relie le système limbique et le néocortex. Il est divisé en deux parties distinctes, le CCA, qui joue un rôle majeur dans les phénomènes émotionnels, cognitifs (attentionnels notamment) et nociceptifs (Koo et al., 2008) et le CCP, qui joue un rôle important dans les phénomènes douloureux et la conscience de soi (Leech & Sharp, 2013). L’insula antérieure et le CCA dorsal appartiennent à un réseau cérébral (brain network) appelé Réseau de la Salience (RS), Salience Network dans la littérature anglophone, ou Système Réticulé Activateur, dans la littérature francophone (Menon, 2011). Le modèle de la dysconnectivité décrit dans la schizophrénie (White et al., 2010; Whitfield-Gabrieli et al., 2009; Zhou et al., 2007) distingue trois réseaux neuronaux préférentiellement en jeu dans l’expression des troubles: 73 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) • le réseau de la Salience : il permet de sélectionner les signaux externes et intéroceptifs pertinents (Seeley et al., 2007) • le Réseau du Mode par Défault (RMD) ou Default Mode Network : composé du cortex préfrontal dorsolatéral (CPDL), du lobe pariétal et des régions sous-corticales associées, il joue un rôle prépondérant dans l’attention portée à l’environnement lors des tâches cognitives (Sridharan et al., 2008; Seeley et al., 2007; Raichle, & Snyder 2007) • le Réseau Exécutif Central (REC) ou Central Executive Network : composé du cortex cingulaire postérieur, du cortex préfrontal médian, du cortex pariétal latéral et du gyrus hippocampique est quant à lui désactivé durant les tâches cognitives (Sridharan et al., 2008) Dans la schizophrénie, il est retrouvé des anomalies de fonctionnement de ces trois réseaux cérébraux, ainsi que des troubles de la connectivité entre eux avec notamment un défaut de désactivation du REC lors des tâches cognitives (Nygard et al., 2012; Whitfield-Gabrieli et al., 2009). Il est intéressant de noter que le Réseau de la Salience (IA et CCAd) est précisément le réseau qui est mis en jeu lors des phénomènes d’exclusion sociale, ce qui nécessite d’interroger une possible voie étiopathogénique de la schizophrénie. c.2. Rôle de l’insula dans la schizophrénie Du fait de ses fonctions particulières, les chercheurs se sont penchés sur le rôle potentiel de l’insula dans l’expression des troubles schizophréniques, si bien qu’il existe aujourd’hui une littérature conséquente sur le sujet. Ainsi, une diminution du volume de la matière grise au niveau de l’insula a été retrouvée chez des personnes lors de premiers épisodes psychotiques (Ellison-Wright et al., 2008), dans la schizophrénie (Shepherd et al., 2012) ou chez des personnes à haut risque de psychose (Takahashi et al., 2009). Cette diminution est bilatérale et est corrélée aux symptômes positifs de la maladie (CrespoFacorro et al., 2000), notamment les hallucinations (Shapleske et al., 2002). Il est important de noter que ces résultats ont été répliqués dans différentes études mais que d’autres n’ont pas nécessairement retrouvé une telle corrélation entre symptômes positifs et diminution du volume insulaire (CrespoFacorro, 2010, Takahashi, 2005). La méta-analyse de Shepherd et coll. a cependant permis de valider l’existence de cette diminution de volume, principalement située au niveau de l’insula antérieure. Les études portant sur la dysconnectivité des réseaux cérébraux dans la schizophrénie ont permis de mettre en lumière le rôle clé de l’insula antérieure droite (IAd) dans les connexions entre les différents réseaux évoqués précédemment (Supekar & Menon, 2012; Uddin et al., 2011). En effet, cette dernière module l’activité du RMD et du REC, en pouvant notamment faire alterner l’activité respective de ces deux réseaux (Sridharan et al., 2009). La comparaison entre des sujets sains et des personnes 74 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) atteintes de schizophrénie retrouvait en IRM fonctionnelle un défaut d’activité de l’insula antérieure droite et un hypoconnectivité des différents réseaux médiée par l’hypoactivité insulaire (Moran et al., 2013). Ce trouble de la connectivité était significativement corrélé au déclin des performances cognitives, à savoir dans le cas de l’étude un test d’attention soutenue. L’insula jouerait ainsi un rôle dans différents symptômes de la schizophrénie tels que: • le défaut de reconnaissance des émotions faciales: alors que la difficulté des personnes atteintes de schizophrénie à distinguer les émotions faciales et aujourd’hui bien documentée (Bediou et al., 2005) des études ont démontré un défaut d’activité insulaire lors de tâches de reconnaissance des émotions faciales chez des patients schizophrènes (Phillips et al., 1999). • les troubles du self: de nombreuses études ont fait la preuve de la prépondérance des troubles du sens de soi au cœur de la schizophrénie (Parnas & Jansson, 2015; Nordgaard &Parnas, 2014). Au vu de son rôle dans la conscience de soi, il est fait l’hypothèse d’un lien avec les troubles de l’activité de l’insula (Arnfred et al., 2015). • le trouble de la vocalisation et de la prosodie : alors qu’existe chez la très grande majorité des patients schizophrènes des troubles de la prosodie (Ross et al., 2001), une étude a démontré l’existence d’une hyperactivation de l’insula gauche lors d’exercices de vocalisation liés à la prosodie (Mitchell et al., 2004). • le défaut de perception douloureuse : la schizophrénie est également marquée par un phénomène d’insensibilité à la douleur évoqué historiquement dès les premières descriptions de la maladie et démontré plus récemment (Potvin & Marchand, 2008). S’il n’existe aucune étude neurobiologique ayant étudié le rôle de l’insula sur ce phénomène dans la sensibilité, son rôle majeur dans la nociception laisse penser que son altération en est en grande partie responsable. • les phénomènes hallucinatoires : il existe une corrélation inverse entre volume de l’insula et intensité des symptômes positifs et notamment des hallucinations, qui pourraient être médiés par les phénomènes de troubles de la démarcation de soi et de l’expérience des phénomènes générés par le soi ou l’extérieur. Différentes études ont démontré que les hallucinations auditives entrainaient une hyperactivité insulaire (Jardri et al., 2009; Sommer et al., 2008). • les troubles cognitifs : le rôle prépondérant de l’insula dans les tâches cognitives a été évoqué précédemment, et l’étude de Moran et coll. a démontré le lien entre son hypofonctionnement et un déficit cognitif chez des patients schizophrènes. Ces différents phénomènes pathologiques sont liés à une composante émotionnelle (émotions faciales, composante émotionnelle de la voix, composante émotionnelle de la douleur…) ainsi qu’à la 75 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) conscience de soi (hallucinations, troubles du self…), qui correspondent précisément au champ d’activité de l’insula. c.3. Rôle du CCA dans schizophrénie Les recherches en neurobiologie ont permis de démontrer que le CCA jouait un rôle majeur dans un certain nombre de symptômes schizophréniques tels que les troubles des fonctions exécutives, de l’attention sélective, de la détection d’erreur, de la génération de mots, de la mémoire de travail ainsi que la compréhension émotionnelle des évènements vécus (Preda et al., 2009). Il a ainsi été retrouvé des anomalies neuroanatomiques du CCA chez des patients schizophrènes, le plus souvent sous la forme d’une réduction du volume de matière grise (Baiano et al., 2007). Une étude publiée en 2014 retrouvait une diminution du volume de matière grise dans l’ensemble du cortex cingulaire antérieur (Salgado-Pineda et al., 2014), ainsi qu’une corrélation négative entre le volume de matière grise et de substance blanche chez 14 patients schizophrènes. Au total, il existe un certain nombre d’arguments scientifiques quant au rôle majeur que prennent l’insula antérieure et le cortex cingulaire antérieur dorsal à la fois dans la schizophrénie ainsi que dans les phénomènes d’exclusion sociale. Pour autant, toute causalité reste à l’heure actuelle purement hypothétique, aucune étude n’ayant permis de démontrer un continuum de dysfonctionnement de l’insula entre exclusion sociale et schizophrénie. De plus, du fait de son rôle central du point de vue de la gestion émotionnelle et sensorielle, on comprend aisément que le réseau de la salience puisse jouer un rôle dans ces deux phénomènes fortement corrélés à la question du stress, si bien qu’il pourrait s’agir d’une simple coïncidence sans substrat étiopathogénique sous-jacent ni causalité associée. De plus, alors que l’hypothèse de la sensibilisation est aujourd’hui avancée, elle ne permettrait pas d’expliquer les phénomènes d’hypofonctionnalité retrouvés principalement pour l’IA et le CCAd dans la schizophrénie. Enfin, la schizophrénie en elle-même est vectrice d’exclusion sociale et de discrimination, si bien qu’il est impossible de savoir si les troubles de l’activité du CCAd et de l’IA dans la schizophrénie ne sont pas en réalité secondaires à ce phénomène. 3. Effets cognitifs et comportementaux de l’exclusion: « l’état de déstructuration » a. Effets généraux Différents travaux ont porté sur les effets cognitifs, affectifs et comportementaux de l’exclusion sociale. Du point de vue expérimental, deux méthodes étaient utilisées pour créer les conditions expérimentales de l’exclusion. Il s’agissait soit du tossing-ball game, au cours duquel un joueur se voit exclu d’un jeu de ballon sur ordinateur en ne recevant jamais la balle (Einsenberger, 2003), soit de la méthode de la prédiction qui consiste à faire passer un faux test de personnalité qui amène à la 76 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) prédiction d’un avenir marqué par une exclusion sociale majeure et inévitable (Baumeister, 2002). Dans le second cas, l’effet spécifique de l’exclusion sociale est vérifié par l’existence d’un groupe contrôle se voyant prédire la survenue d’accidents ou d’évènements négatifs sans lien avec l’exclusion. Ainsi, ces travaux ont démontré que l’exclusion sociale entraîne différents effets cognitifs et comportementaux: • Apparition d’un état de relative anesthésie émotionnelle et physique (DeWall & Baumeister, 2006): les personnes soumises à une brève expérience d’exclusion sociale se montrent moins sensibles à la douleur physique (seuil de tolérance à la douleur plus élevé), ont une réponse émotionnelle plus neutre face à des évènements tristes ou joyeux et présentent une diminution des capacités d’empathie face à la douleur physique ou au malheur d’autrui • Déclin des performances cognitives (Baumeister et al., 2002): les expériences d’exclusion sociale permettent de retrouver chez les personnes exposées de moins bons résultats immédiats aux tests de QI, de moins bonnes capacités mnésiques du point de vue du rappel de données, médiées par de moindres capacités de raisonnement. Ce déclin se retrouve à la fois du point de vue du temps de traitement des tâches que de l’efficacité dans leur réalisation et montre des écart-types relativement importants au regard des groupes contrôle • Majoration des comportements d’échec (Twenge et al., 2002) et diminution des comportement prosociaux (Twenge et al., 2007): les personnes soumises à une condition expérimentale d’exclusion sociale sont moins enclines à donner de l’argent pour une œuvre caritative, à s’engager dans de nouvelles expérimentations au titre du volontariat, à apporter de l’aide à autrui ou à s’engager dans une démarche de coopération, ce qui est associé à un moindre sentiment d’appartenance et de confiance. En conditions expérimentales, ces personnes visent des gains plus rapides mais plus incertains, avec un taux d’échec plus grand, adoptent des comportements moins bénéfiques pour leur santé ainsi que des comportements de procrastination plus importants A noter également qu’une des expériences retrouvait une tendance à écrire moins de mots pour expliquer une métaphore complexe, ce qui pourrait traduire une perte de capacités narratives (Twenge et al., 2007). Il est important de noter que l’ensemble de résultats retrouvés au cours des différentes expériences menées par ces chercheurs américains ne dépendait nullement de l’état émotionnel des personnes exposées, ce qui signifie que ce n’est pas l’expérience désagréable d’un sentiment de détresse psychologique ou émotionnelle qui entraînait l’ensemble de ces phénomènes observés, mais bien celle de se sentir exclu et rejeté. 77 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) b. L’état de « déstructuration » L’ensemble de ces conséquences de l’exclusion sociale ont été résumées sous le terme d’état de « déstructuration cognitive et affective » (deconstructed state) : l’ensemble des résultats retrouvés semble associé à un état de relative « anesthésie affective et cognitive » (numbness state) qui voit les personnes soumises à l’exclusion montrer moins d’émotion, être comme coupées de la douleur physique ou morale, perdre la notion du temps ou le sens de la vie, en se montrant davantage léthargiques (Twenge, Catanese & Baumeister, 2003). Sans mener à un état de détresse psychologique, l’exclusion sociale mène ainsi à un état de déstructuration qui s’étend dans différentes sphères, qu’elles soient cognitive, affective, phénoménologique ou encore physique. Les personnes exclues paraissent ainsi dans une certaine incapacité à réagir face la situation, qu’il s’agisse de montrer de fortes émotions, des comportements actifs pour s’en extirper ou d’utiliser des capacités de raisonnement adaptées et efficaces. Cette déstructuration globale semble agir paradoxalement à l’encontre de leurs intérêts, en privilégiant parfois des satisfactions immédiates pourtant peu intéressantes à plus long terme. Il est d’autant plus intéressant de noter que ces comportements apparaissent très précocement après une expérience d’exclusion sociale, laissant imaginer des effets encore plus importants lors d’une exposition prolongée et répétée. Il est également intéressant de noter que l’ensemble de ces effets de l’exclusion sociale se rapproche du syndrome « d’auto-exclusion », décrit par le psychiatre français Jean Furtos (Furtos, 2009). Tiré de l’observation clinique d’un grand nombre de personnes précaires, le Dr Furtos retient en effet un certain nombre de symptômes recoupant en très grande partie les observations expérimentales menées en sciences cognitives. On retrouve en effet dans la description du syndrome différents symptômes tels que l’hypoesthésie voire anesthésie corporelle, les désordres affectifs ou l’inhibition intellectuelle qui recoupent l’anesthésie physique et émotionnelle ainsi que le déclin des performances cognitives décrites par les expérimentations en sciences cognitives. Les signes paradoxaux de non-demande ou de réaction thérapeutique négative décrits par Furtos correspondraient en partie aux réactions paradoxales de diminution des comportements pro-sociaux et de majoration des comportements d’échec. c. Limites On retrouve donc dans la description du syndrome d’auto-exclusion l’ensemble des effets cognitifs, émotionnels et comportementaux décrits dans les travaux en sciences cognitives de Baumeister, Twenge et DeWall. Cette concordance entre données expérimentales et cliniques apporte un argument de poids à la théorie générale de l’exclusion sociale. Pour autant, elle n’apporte pas d’arguments en faveur d’un rôle précis de l‘exclusion sociale dans l’étiopathogénie de la schizophrénie. De plus, peu d’études ont porté jusqu’à présent sur les effets à long terme de l’exclusion sociale, ne 78 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) permettant pas de connaître les conséquences neurocognitives réelles de ce phénomène social. Enfin, l’exclusion sociale est extrêmement partagée au sein des sociétés et la grande majorité des personnes en faisant l’expérience ne déclare pas de trouble psychotique, si bien qu’il convient de comprendre plus en détail comment les phénomènes neurobiologiques et cognitifs évoqués peuvent agir comme facteurs vulnérabilisants. 4. Discrimination et schizophrénie Dans ce sens, une autre piste étiopathogénique qu’il convient d’explorer est celle de la discrimination. Si elle peut-être corrélée en partie à l’échec social, l’exclusion ou l’adversité sociale, elle n’en demeure pas moins un phénomène qualitativement différent de ces derniers. Ainsi, différentes études ont spécifiquement porté sur les effets de la discrimination en terme de santé mentale. Il convient donc d’interroger dans ce travail la pertinence et l’intérêt de distinguer la discrimination et ses effets psychopathologiques dans l’étiopathogénie de la schizophrénie. a. Arguments sociologiques Les résultats de l’enquête Trajectoire et Origine (TeO) sont en ce sens tout à fait éclairants et permettent de mieux appréhender la réalité sociologique du lien social perçu par les immigrés et leurs descendants en France (INED, 2008). Cette étude, réalisée en 2008 par l’Institut National d’Etudes Démographiques (INED) a permis d’analyser en détail l’état actuel de la migration en France, notamment du point de vue des difficultés sociales rencontrées par les immigrés et leurs descendants, qu’il s’agisse de la problématique de l’accès au logement, à un emploi qualifié ou à un niveau de formation élevé. Les résultats, démontrant la réalité des discriminations existant à l’encontre des populations immigrées au cœur de la société française, ont également permis de pointer la difficulté qui advient à évaluer précisément la discrimination, à travers l’apparition d’un écart significatif entre la discrimination reportée et celle réellement subie. Ainsi, dans l’enquête TeO, les personnes qui avaient connu moins de 10 situations discriminatoires déclaraient moins de 20% de ces discriminations, tandis que celles qui avaient rencontré 10 situations et plus en déclaraient autour de 30%. Au total, alors que 37% des immigrés ont fait l’expérience d’au moins une discrimination réelle, ils ne sont que 26% à considérer avoir été discriminés dans les 5 dernières années précédant l’enquête. Inversement, 5 à 7% des enquêtés disaient se sentir discriminés sans parvenir à rapporter une situation discriminatoire précise. D’un point de vue psychopathologique, la question de la perception de la discrimination est donc majeure puisqu’il semble exister une disparité importante entre le ressenti discriminatoire et sa réalité, mais également un effet cumulatif entre le vécu de discrimination réel et la perception qu’en a l’individu, ce qui pourrait se rapprocher de la théorie de la sensibilisation qui postule l’existence d’une amplification progressive de la réponse au stress. Les résultats ont alors montré que certaines 79 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) populations étaient plus à risque que d’autres de percevoir les situations discriminatoires comme telles. Ainsi, la population majoritaire perçoit moins les situations discriminatoires que les immigrés, tandis que les secondes générations d’immigrés, les perçoivent davantage que l’ensemble des autres souspopulations, peut-être parce qu’elles y sont confrontées depuis leur enfance. b. Physiopathologie de la discrimination La discrimination est reconnue comme étant un facteur de risque important du point de vue de la santé individuelle et publique. Différentes études ont ainsi démontré les effets pathogènes du vécu de discrimination à l’égard de différentes pathologies somatiques et psychiatriques, tels que l’hypertension, le diabète ou la dépression. Une méta-analyse récente a cherché à synthétiser les connaissances scientifiques quant au rôle de la discrimination sur la santé des individus (Pascoe & Richman, 2009). Il était retrouvé un effet délétère de la discrimination du point de vue à la fois de la santé physique et de la santé mentale. La plupart des études utilisées pour la synthèse s’intéressaient aux effets de la discrimination ethnique (66% des articles), contre 15% pour la discrimination liée au genre et 15% sans type de discrimination spécifiée. Il était ainsi retrouvé un effet direct de la discrimination sur la santé mentale, sans qu’aucune pathologie psychiatrique particulière ne puisse être distinguée des autres comme étant davantage à risque. Il n’était pas retrouvé de différence d’effet selon l’origine ethnique. Il est intéressant de noter que la discrimination récente semblait avoir un effet plus important sur la santé mentale que la discrimination chronique. Il n’était pas retrouvé d’effet d’atténuation significatif du support social ou de l’identification au groupe discriminé, bien que certaines études aient retenu un effet dans des conditions particulières. De même, l’effet des stratégies de coping demeurait limité. Il était retrouvé un même effet direct de la discrimination sur la santé physique, sous la forme d’un moins bon état de santé. L’effet sur la santé physique semblait à première vue moins important (42% des études atteignant un degré de significativité valide contre 69% pour la santé mentale). Pour autant, il n’était retrouvé aucune différence significative dans l’effet de la discrimination sur la santé physique ou mentale, malgré une positivité plus importante pour la santé mentale. Un second objectif de cette méta-analyse était de savoir de quelle manière la discrimination peut influer sur la santé des individus. En effet, différentes voies causales sont envisageables : • un effet direct de la discrimination sur la santé • un effet médié par une réponse émotionnelle et neurobiologique au stress créé par la discrimination • un effet médié par des comportements à risque du point de vue de la santé, advenant comme stratégie de coping face à l’adversité perçue 80 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) Une partie de la méta-analyse a ainsi porté sur l’effet indirect de la discrimination sur le niveau de stress, en utilisant des études ayant analysé l’effet d’une discrimination non-vécue mais médiatisée (vision d’un clip raciste, évocation de souvenirs, écriture d’articles, imagination de scènes discriminatoires…) pour mesurer leur effet sur la pression artérielle, la fréquence cardiaque, l’estime de soi, etc.. Les résultats retrouvaient un effet significatif de la discrimination perçue, et non vécue, sur le degré de stress des individus (r= -.11, IC95% = -.18 à-.05). Enfin, la méta-analyse comprenait une étude de l’effet comportemental de la discrimination, notamment concernant les comportements en lien avec la santé. Etaient ainsi recherchés des comportements à risque (tabagisme, alcoolisme, mauvaise hygiène de vie..). De nouveau, les résultats étaient faveur d’une corrélation significative entre discrimination et diminution des comportements sains ou augmentation des comportements en défaveur de la santé (72% des études atteignant un degré de significativité). Au total, cette méta-analyse permettait de démontrer l’existence d’un effet négatif de la discrimination portant à la fois sur la santé mentale et physique, effet médié par une réponse psychologique et physique augmenté au stress, ainsi que par des comportements inadaptés du point de vue de la santé. c. Psychopathologie de la discrimination D’un point de vue cognitif, Janssen et al. ont démontré que le vécu de discrimination était un facteur majeur d’apparition d’idées délirantes chez les sujets y étant exposés de manière chronique (Janssen et al., 2003). En effet, en étudiant pendant 3 ans le vécu de discrimination dans six champs de leur existence (âge, genre, statut ethnique, statut professionnel, niveau d’éducation, célibat) au sein d’une population de 3521 individus, les auteurs ont retrouvé un taux plus important d’idées délirantes chez les personnes se disant victimes d’un des types de discrimination (0.9% contre 0.5%, p = 0.027). Le taux s’avère encore plus élevé (2.7%) pour les personnes évoquant des discriminations touchant au moins deux des domaines de leur existence. Une des hypothèses avancées et celle de l’apparition de biais cognitifs favorisée par l’expérience de la discrimination, tels que le style d’attribution externe de type paranoïde, qui revient à interpréter les évènements quotidiens à travers le prisme sélectif de rationalisations se rapprochant des phénomènes schizophréniques paranoïdes. Ce phénomène de genèse d’idées paranoïdes apparaitrait alors comme une signature cognitive de la discrimination perçue à travers le temps. Une étude hollandaise portant sur 424 personnes admises pour un épisode psychotique a quant à elle démontré que le niveau de discrimination vécue était proportionnellement corrélé au risque de schizophrénie (Veling et al., 2007). Ainsi, les personnes qui relataient un haut niveau de discrimination perçue présentait un odd ratio de 4.0 (IC95% = 3.0 - 5.35) qui déclinait progressivement pour atteindre 1.58 (IC95% = 1.20 - 2.227) chez celles évoquant un bas niveau de discrimination perçue. Ainsi, la 81 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) population la plus discriminée au Pays-Bas, à savoir les migrants originaires du Maroc, présentait la plus haute incidence de cas de schizophrénie au cours de l’étude. Une troisième étude (Berg et al., 2011) a également démontré que le vécu de discrimination était positivement corrélé à l’intensité des symptômes positifs mais aussi de la composante anxio-dépressive chez 90 patients schizophrènes migrants. En revanche, elle n’influait pas sur les symptômes négatifs, comportementaux ou cognitifs. d. Neurobiologie de la discrimination Dans une autre étude, Akdeniz et ses collaborateurs se sont penchés sur les effets neurobiologiques de la discrimination afin d’apporter un éclairage plus précis aux résultats concernant le risque de psychose en situation de migration (Akdeniz et al., 2014). En créant des conditions expérimentales de discrimination, ils ont ainsi pu mettre en avant une activation neuronale localisée au sein du cortex cingulaire antérieur périgénual (CCAp), région régulatrice du stress ainsi qu’une majoration de la réponse couplée entre le CCAp et le CCA dorsal. Ils ont également pu démontrer que ce phénomène neurobiologique est altéré chez les minorités ethniques, dans le sens d’une hyperactivation de la réponse neurale chez des individus confrontés de manière chronique à des situations discriminatoires telles que les populations migrantes minoritaires, à savoir la population turque en Allemagne dans le cas de cette recherche. Ce résultat est en faveur de la théorie de la sensibilisation, puisqu’on retrouve une augmentation de l’amplitude de la réponse au stress chez des individus y ayant déjà été exposés de manière répétée précédemment. Malgré des arguments scientifiques en faveur du rôle de la discrimination dans l’étiopathogénie de la schizophrénie, relativement peu d’études ont finalement porté sur les effets précis de ce phénomène social. Ceci est d’autant plus étonnant que les arguments sociologiques ne manquent pas pour la placer au cœur de l’adversité sociale expérimentée par les migrants. L’existence d’effets comportementaux, cognitifs et neurobiologiques de la discrimination tend à indiquer l’existence d’un fonctionnement commun avec le phénomène d’exclusion sociale, dont les effets ont été plus largement étudiés dans la littérature internationale. G. Conclusion Au total, les facteurs de risque sociaux de la schizophrénie posent la question de l’effet de l’exclusion sociale et de la discrimination sur la santé des individus. Les modèles de la schizophrénie proposés dans les suites des recherches sur les facteurs de risque sociaux pointent ainsi le rôle de phénomènes tels que l’adversité sociale, l’échec social ou encore l’exclusion. Pour autant, le lien établi d’un point de vue épidémiologique au travers de différentes études dont les résultats ont pu être répliqués peine à trouver écho dans des recherches plus fondamentales. En effet, si les effets 82 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) neurobiologiques, cognitifs ou comportementaux de l’exclusion sociale sont aujourd’hui bien documentés, au point que certains auteurs en viennent à évoquer une « signature neurale de l’exclusion sociale », il demeure pour l’heure hypothétique d’avancer l’idée d’un lien établi avec la schizophrénie. Cette difficulté peut provenir d’une voie complexe, qui ne soit pas uniquement physiopathologique, mais s’intègre dans la multiplicité des effets, notamment comportementaux, du vécu de discrimination ou d’exclusion. Les connaissances actuelles sont ainsi en faveur d’une une voie étiopathogénique qui comprenne à la fois: • des effets neurobiologiques : différents effets son envisageables tels que des modifications d’activation du réseau de la Salience (CCAd et IA), des effets sur l’axe hypothalamo-hypophysaire, des modifications électro-physiologiques ou une sensibilisation dopaminergique • des effets cognitifs : pourraient être retrouvés des troubles cognitifs en neurocognition et cognition sociale, notamment une diminution des capacités d’attention et de raisonnement, des moindres performances intellectuelles, des biais de cognition social tels qu’un style attributionnel externe paranoïde. En ce sens, une étude hollandaise portant sur des personnes présentant un premier épisode de psychose retrouvait des performances cognitives significativement moins bonnes chez celles issues de minorités ethniques, sans que la barrière de la langue ne vienne expliquer ce phénomène (Stouten et al., 2013) • des effets phénoménologiques : des effets de distorsion du self, de troubles de la distinction soi/non-soi, de distorsion du sens de soi, du sentiment d’appartenance identitaire ou des troubles de l’identité narrative pourraient être retrouvés. Il est aujourd’hui reconnu que les troubles du self sont présents dans les prodromes de la maladie et chez des personnes à haut risque de psychose (Parnas, Carter & Nordgaard, 2014). • des effets comportementaux : l’exclusion entraînerait un moindre recours aux soins, une diminution des comportements proactifs en direction de l’environnement social, une difficulté à s’engager dans des démarches en faveur de sa propre santé ainsi que des comportements d’échec. Une étude italienne a ainsi démontré qu’en matière de santé mentale, les patients migrants avaient moins recours aux soins ambulatoires et davantage aux services d’urgences, volontiers dans des contextes de crise aiguë (Spinogatti et al., 2015). Ce résultat est en accord avec une méta-analyse antérieure qui retrouvait un moindre recours aux médecins généraliste au profit d’une entrée plus coercitive dans les soins pour les populations ethniques minoritaires (Anderson et al., 2014) • des effets épigénétiques : l’expérience de l’adversité sociale pourrait entraîner une modulation de l’expression génétique sous l’effet des facteurs environnementaux Ces conséquences de l’exclusion pourraient interagir entre elles, pour amener à une vulnérabilité plurimodale en constant remaniement. Ainsi, la perte cognitive pourrait agir en synergie avec les 83 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) comportements de retard d’arrivée vers les soins lors de l’apparition de symptômes prodromiques (anxiété, dépression, expériences psychotiques sub-cliniques..), tandis que les conséquences neurobiologiques pourraient amener à la fois à des distorsions cognitives et phénoménologiques. L’ensemble de ces effets néfastes pourrait à son tour favoriser l’exclusion sociale, sous la forme d’une « auto-exclusion » liée à la diminution des comportements pro-sociaux, se majorant ainsi sous l’effet des comportements d’échec et de repli sur soi. La modération de l’effet de l’exclusion par des facteurs protecteurs tels que le support social, l’identification à son groupe d’appartenance ou la prise en charge précoce a été finalement assez peu étudiée ou a peiné à montrer des résultats probants. L’effet du capital social, bien que modéré, apporte cependant des arguments en faveur d’une possible modulation de l’effet par d’autres facteurs environnementaux. Force est de constater cependant qu’il agit davantage à l’échelon individuel que collectif et que sa partie cognitive semble la plus importante, ce qui signifie que l’effet du capital social est diminué chez des personnes présentant déjà des troubles cognitifs et et de l’intersubjectivité, mais tend à valider l’idée d’effets complexes de l’exclusion sociale. L’ensemble des connaissances actuelles sur les effets de l’exclusion sociale et de la discrimination sont schématisés sur la Figure 6, que nous appelons « horloge de l’exclusion », afin de marquer le caractère temporel et cumulatif de ces différentes conséquences. En effet, il est important de noter que les vulnérabilités, qu’elles soient cognitives, neurobiologiques, phénoménologiques ou comportementales semblent s’accumuler progressivement chez un même individu et au sein de populations à risque. Cette « multivulnérabilité » peut entraîner un certain nombre de conséquences psychopathologiques, qui elles-mêmes interagissent entre elles, avec les effets « primaires » de l’adversité sociale mais aussi avec l’exclusion sociale elle-même, qui peut ainsi se pérenniser et se majorer en l’absence de facteurs de résilience suffisants. Le modèle sous-jacent est donc celui de la médiation synergique, associée à une amplification progressive des facteurs de vulnérabilité et, potentiellement, de la réponse à ces facteurs de stress. Le modèle général que nous présentons en conclusion de ce chapitre possède un certain nombre d’intérêts. Ainsi, il permet de prendre en compte les effets précoces de l’exclusion, ainsi que les effets à plus long terme, tout en prenant en compte la synergie qui marque leurs interactions. En effet, différentes études ont montré que l’exposition précoce à des facteurs d’adversité sociale pouvait prédire une amplification de la réponse neurobiologique, cognitive ou comportementale à l’âge adulte (Will et al., 2015 ; Gonzalez et al., 2015 ; van Harmelen et al., 2014). L’interaction entre ces différents effets donne lieu à un certain nombre de conséquences psychopathologiques et pathologiques (« effets secondaires », en rouge sur la Figure 6), qui elles-mêmes interagissent entre elles ainsi qu’avec les effets primaires et l’adversité sociale elle-même. 84 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) Ce modèle ne permet cependant pas d’expliquer totalement la voie étiopathogénique spécifique menant à la schizophrénie. Il est en effet important de noter que les inégalités de santé dépassent largement la question de la schizophrénie et de la santé mentale, et que les vécus d’exclusion ou de discrimination majorent le risque de présenter d’autres pathologies, notamment somatiques. De plus, les effets neurobiologiques ou cognitifs de l’adversité sociale ne sont pas nécessairement spécifiques de la schizophrénie. Ainsi, une méta-analyse récente a démontré que les défauts d’activité de l’insula antérieure était retrouvée dans l’ensemble des pathologies de l’Axe I (Goodkind et al., 2015), ce qui interroge l’existence d’un continuum psychopathologique portant sur l’ensemble des pathologies psychiatriques. Ceci invite à davantage de recherches sur les effets de l’exclusion sociale, mais également à mieux appréhender les liens entre gènes et environnement. En effet, soumis à une même vulnérabilisation environnementale, certaines personnes développeront telle ou telle pathologie, possiblement sous l’effet de modulations épigénétiques complexes ou d’une vulnérabilité génétique initiale. La problématique des modèles de la schizophrénie, étudiée dans le paragraphe suivant, nous permettra de mieux appréhender ce lien entre vulnérabilité environnementale et génétique, en nous amenant à discuter leurs parts respectives ainsi que leurs interactions dans l’apparition et l’évolution des troubles psychotiques. 85 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) Figure 6: Modélisation heuristique des effets de l’exclusion sociale et de leurs interactions réciproques 86 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) 5. Perspectives épistémologiques La mise en exergue du rôle de l’ethnicité et du statut ethnique minoritaire dans l’épidémiologie et l‘étiopathogénie de la schizophrénie amène à des réflexions épistémologiques autour des modèles de la schizophrénie. En effet, le rôle de l’environnement, notamment social, dans la genèse et l’évolution des troubles se doit d’être réinterrogé à la lumière des résultats récents. De plus, la remise en causes des résultats épidémiologiques concernant les liens entre schizophrénie et migration par la psychiatrie transculturelle nécessite que soient analysés les fondements épistémiques de cette discipline singulière. Enfin, nous évoquerons l’intérêt de la psychiatrie sociale pour appréhender l’ensemble des phénomènes relatifs aux troubles psychiques dans les populations défavorisées. Onze articles portaient sur le modèles d’interaction entre gène et environnement ou sur l’évolution de la schizophrénie (Kirkbride et al., 2014; van Nierop et al., 2013; Linscott & van Os, 2013; Morgan et al., 2013; Jääskeläinen et al., 2013; Wigman et al., 2011; van Os et al., 2009; 2008; 2003; Cougnard et al., 2007; Spauwen et al., 2006). Trois articles évoquant la théorie de la vulnérabilité ont été utilisés (Nuechterlein & Dawson, 1984; 1982; Zubin & Spring, 1977). Six ouvrages évoquant l’épistémologie de la psychiatrie transculturelle et de la psychiatrie sociale ont été utilisés pour l’analyse (Morgan & Bughra, 2011; Baubet & Moro, 2003; Chanoit & de Verbizier, 1995; 1991; 1986; 1985), ainsi que quatre articles d’analyse épistémologique de la psychiatrie transculturelle (Fassin, 2000; 1999; Rechtman, 2003; 1995). A. Modèles de la schizophrénie et vulnérabilité 1. Diathèse stress-vulnérabilité a. Modèle de Zubin & Spring Au cours des années 70, le modèle stress-vulnérabilité a été proposé pour décrire la voie d’entrée dans la schizophrénie, jusqu’alors décrite par différents modèles peu cohérents entre eux. L’enjeu majeur était de mettre en avant le concept de « vulnérabilité » en postulant qu’elle puisse être partagée par l’ensemble de la population, ce qui tendait à s’éloigner, entre autres, d’une vision structuraliste de la psychose ou de celle d’une condition chronique et annonciatrice d’un progressif déclin. En effet, le caractère épisodique de la schizophrénie est largement souligné dans l’article initial 87 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) de Joseph Zubin et Bonnie Spring, les auteurs écrivant par exemple que « ce qui est permanent dans la schizophrénie est la vulnérabilité, davantage que les épisodes psychotiques » (Zubin & Spring, 1977). Ce modèle fait suite à l’ère de désinstitutionnalisation qui est apparu dans l’après-guerre, offrant un nouveau regard sur la pathologie psychiatrique et notamment la psychose. Ainsi, pour Zubin et Spring, « avec le déclin de la prévalence des hospitalisations chroniques, un nouveau modèle commence à émerger concernant les caractéristiques de la pathologie schizophrénique. Cette évolution semble comprendre les épisodes brefs, la rémission, la rechute et le rétablissement. » Lorsqu’ils proposent le modèle « stress-vulnérabilité » en 1977, les deux chercheurs évoquent déjà les connaissances de l’époque sur le rôle de l’environnement dans l’étiologie de la schizophrénie. Les auteurs posent alors la question de savoir si ces facteurs sont une cause ou une conséquence de la vulnérabilité à la psychose. Ce qu’ils appellent alors des « niches écologiques », seraient-elles le terreau d’une vulnérabilité naissante ou l’agrégat d’individus vulnérables, enclins à se retrouver dans des conditions socio-économiques délétères du fait même de leur vulnérabilité ? C’est ici la problématique du type de l’interaction gène x environnement, de type synergie ou médiation, qui se trouve déjà posée. Le modèle stress-vulnérabilité apparait comme une modélisation à l’échelle individuelle. En effet, il est fait appel aux notions « d’initiative » et de « compétence ». Dans le modèle de Zubin et Spring, c’est donc la vulnérabilité initiale individuelle qui va moduler la réponse à l’environnement. Pour ces deux auteurs, les compétences pré-morbides de l’individu ne sont pas directement en lien avec son niveau de vulnérabilité, du fait de capacités d’adaptation qui peuvent, en revanche, être dépassées sous l’effet d’un stress environnemental. La diathèse stress-vulnérabilité se présente ainsi comme un modèle orthogonal, présentant en abscisse un continuum de vulnérabilité et en ordonnée des stress d’intensité variable agissant inversement aux stratégies de coping et d’adaptation de l’individu. Il est postulé l’existence d’individus hautement vulnérables, pour lesquels un stress de faible intensité suffira à entraîner une entrée dans la psychose, alors que des individus peu vulnérables devront être exposés à un stress de haute intensité pour entraîner l’entrée dans la pathologie. Dans l’exemple ci-dessous (Figure 7), l’individu A est ainsi hautement vulnérable, au contraire de l’individu B qui présente une faible vulnérabilité. Dans ce modèle initial, la vulnérabilité est donc pensée comme une donnée acquise et statique, assez peu variable pour un individu donné. Le contenu précis de cette vulnérabilité reste assez peu documenté puisqu’elle est décrite comme étant peu corrélée aux capacités de l’individu, notamment aux stratégies de coping et d’adaptation qu’il peut mettre en oeuvre pour affronter en évènement stressant. Zubin & Spring postulent alors qu’il existe un seuil de vulnérabilité propre à chaque individu par rapport auquel va se situer l’évènement stressant, pouvant dépasser les capacités adaptatives personnelles s’il venait à se situer au-delà, entraînant alors un épisode psychotique. Sous couvert de ce modèle au sein duquel la pathologie schizophrénique est désignée par ses épisodes tandis que la 88 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) vulnérabilité apparaît comme un trait permanent mais évolutif seront ensuite introduites par les auteurs les notions de « marqueurs de vulnérabilité ». Premier modèle à prendre en compte l’interaction entre vulnérabilité génétique et environnement, la diathèse stress-vulnérabilité pose les bases d’une réflexion en devenir concernant le rôle respectif de l’inné et de l’acquis dans la survenue des troubles psychotiques et notamment de la schizophrénie. Si la modélisation de cette interaction restait alors encore peu documentée, sa valeur heuristique ne lui enlève pas son intérêt premier, à savoir affirmer le caractère épisodique de la pathologie et la prévalence de la notion de vulnérabilité. Figure 7 : Diathèse stressstress-vulnérabilité selon Zubin & Spring 89 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) b. Modèle de Nuechterlein & Dawson Prenant en partie appui sur le modèle proposé par Zubin et Spring, Keith Nuechterlein et Michael Dawson le revisitent en 1984 en cherchant à préciser à la fois les indices de vulnérabilité à la psychose mais aussi le contenu des facteurs environnementaux (Nuechterlein & Dawson, 1984; 1982). Le principe fondateur demeure l’existence de facteurs individuels de vulnérabilité rencontrant des facteurs de stress environnementaux pour précipiter l’entrée dans la pathologie et les épisodes de rechutes. Les auteurs tentent alors de préciser les différentes composantes possibles de cette vulnérabilité, en distinguant trois marqueurs différents que sont les traits stables de vulnérabilité (marqueurs de traits), les marqueurs médiateurs de vulnérabilité, et les marqueurs des épisodes. Les marqueurs de traits sont présents selon une égale amplitude chez un individu donné à la fois lors et en dehors des épisodes, au contraire des derniers qui sont nettement amplifiés au cours des épisodes aigus et des seconds qui le sont dans une moindre mesure. Les marqueurs de trait pourraient permettre de diagnostiquer les individus à risque de psychose, concept qui est à l’origine de celui des personnes dites HRP (High Risk of Psychose), puisqu’ils représenteraient les indices de vulnérabilité. Les marqueurs médiateurs seraient notamment amplifiés au cours de la période de transition. Enfin, les marqueurs d’épisode retrouvent leur état de base lors des périodes de rémission. Parmi les potentiels marqueurs de trait de vulnérabilité, les auteurs retiennent les déficits cognitifs en traitement de l’information et capacités attentionnelles, une hyperréactivité du système nerveux autonome, un défaut de compétences sociales ainsi que des stratégies de coping. Les facteurs de stress environnementaux comprennent les évènements de vie stressants, très fréquemment retrouvés dans les semaines précédant une crise, ainsi que le manque de support social. Dawson et Nuechterlein ajoutent également au modèle la notion d’état transitoire, au cours duquel apparaissent a minima les premiers symptômes psychotiques. Se crée alors un effet de feedback entre facteurs de vulnérabilité et stress environnementaux, la majoration des uns entraînant un effet d’amplification des autres. Les facteurs environnementaux cités sont d’ordre social, sous la forme principalement de stress sociaux et d’absence de soutien social, l’un et l’autre étant décrits comme pouvant interagir entre eux, sous la forme par exemple d’une modération de l’effet des évènements de vie par un support social de qualité. L’état de transition apparaît alors comme une période de potentialisation globale de l’ensemble des éléments mis en jeu - vulnérabilité et facteurs de stress. Les auteurs écrivent ainsi que « cet état intermédiaire aggrave les conditions environnementales délétères par effet de boucle de rétrocontrôle. Un individu expérimentant cet état de transition, présentant des symptômes de désorganisation cognitive et d’irritabilité, est à risque de rencontrer davantage de critiques de la part de sa famille et de rejet de la part de son milieu social ». 90 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) Cette seconde version du modèle stress-vulnérabilité tend à apporter l’idée d’une interaction réciproque entre gène et environnement. La mise en avant d’une phase transitoire pré-morbide apparaît comme le point principal, car elle permet de réfléchir à l’impact de l’interaction gène x environnement dans cette période précise de vulnérabilité accrue. L’environnement agit alors moins de façon unilatérale pour s’intégrer dans une interaction complexe avec la vulnérabilité initiale. Pour autant, l’absence de connaissance plus précise sur l’épidémiologie des troubles et la prévalence des différentes phases de la pathologie schizophrénique ne permettait pas à l’époque d’apporter davantage de réponses concrètes à la validité du modèle, qui conserve une importante part heuristique. La volonté d’intégrer et de comprendre les interactions gène x environnement dans l’étiopathogénie de la schizophrénie remonte ainsi aux années 1970. L’absence d’études de cohortes conséquentes n’a pas permis de décrire à l’époque plus en détail la réalité de ces interactions. Des travaux prospectifs plus récents ainsi que les études sur les personnes à haut risque de psychose ont permis de définir plus en détail les modalités d’évolution vers la schizophrénie à l’échelle individuelle et populationnelle. L’ensemble des connaissances actuelles a amené à une conceptualisation revisitée du modèle de la schizophrénie. 2. Modèle du continuum La mise en exergue de l’importance des facteurs environnementaux dans l’étiopathogénie de la schizophrénie et les données récentes sur la prévalence et l’incidence des troubles et des états prémorbides obligent en effet à repenser et redéfinir les modèles généraux de la schizophrénie. Le hollandais Jim van Os, en collaboration avec de nombreuses équipes de recherche s’attache au fil des études à décrire au mieux la réalité des liens entre gène et environnement, ainsi que les trajectoires d’évolution de la maladie (van Os et al., 2009; 2008; 2003). a. Modèles théoriques d’interaction Gène x Environnement L’hypothèse d’une interaction gène-environnement, si elle est envisagée par les psychiatres depuis de nombreuses années, nécessite d’être clairement analysée. Les études en écogénétiques, discipline couplant les travaux en épidémiologie et génétique, permettent de retenir plusieurs modèles d’interaction envisageables entre facteurs génétiques et environnementaux (van Os et al., 2008): • Modèle de la corrélation gène-environnement (rGE) Dans ce cas, l’exposition à des facteurs de risque environnementaux n’apparaît pas comme un stress survenant « au hasard », mais est elle-même dépendante d’une vulnérabilité génétique initiale. Ce modèle, souvent traduit sous le terme de causation, pourrait par exemple s’illustrer par le fait que les personnes présentant une vulnérabilité génétique à la schizophrénie seraient plus en difficulté pour 91 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) obtenir un statut social élevé et se regrouperaient alors dans des quartiers défavorisés, ou auraient du mal à s’adapter à la vie en couple, ce qui expliquerait par exemple la forte prévalence du célibat dans la période d’émergence de la schizophrénie clinique. De même, les personnes vulnérables pourraient avoir davantage tendance à fumer du cannabis, ce qui expliquerait la corrélation entre cannabis et psychose. Du point de vue de la migration, il correspondrait par exemple à l’hypothèse de la migration sélective d’Ödegaard qui a été invalidée par différentes études épidémiologiques. Le modèle rGE peut s’exprimer sous trois formes: ➢ le rGE passif: influences environnementales extérieures à la personnes, tel que le comportement parental qui va façonner en partie l’environnement de l’enfant ➢ le rGE actif: sélection d’un environnement social spécifique en fonction d’intérêts initiaux (exemple de la sélection d’un environnement artistique ou sportif selon les centres d’intérêt) ➢ le rGE évocateur: impact du comportement d’un enfant sur son environnement social, notamment sur les réponses des personnes autour de lui selon son attitude Ainsi, l’action génétique dans le modèle rGE peut être indirecte et causale, lorsque le capital génétique entraîne l’insertion dans un environnement favorisant l’apparition des troubles, ou directe et non causale, en jouant à la fois sur les gènes et l’environnement, sans que ce dernier n’ait un réel pouvoir de causalité. • Modèle de l’interaction (G x E) Ce second modèle revient au contraire à considérer l’interaction comme le fruit du hasard, la synergie entre les deux facteurs n’étant pas influencée a priori par l’un des deux. ➢ Phénomène de modulation génétique de la sensibilité à l’environnent Dans cet aspect de l’interaction, le capital génétique contrôle a priori la sensibilité individuelle à l’environnement, sans favoriser pour autant l’exposition environnementale. Ce phénomène expliquerait pourquoi dans un environnement donné identique, deux personnes ne présentent pas nécessairement les mêmes effets psychopathologiques. Ce modèle correspond en partie au modèle stress-vulnérabilité tel qu’il est généralement envisagé. ➢ Phénomène épigénétique Dans ce type d’interaction gène x environnement, les facteurs environnementaux influent sur l’expression du génome à travers des mécanismes épigénétiques aujourd'hui bien connus: la méthylation de l’ADN ou des histones. Un exemple est donné par les effets de méthylation de l’ADN de gènes impliqués dans la réactivité au stress en conséquence des comportements maternels précoces (Meaney & Szyf, 2005). 92 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) b. Modèles théoriques d’interaction environnement x environnement (E x E) Comme nous l’avons vu dans le cas du modèle sociodéveloppemental, l’interaction gène x environnement doit également prendre en compte les interactions possibles entre différents facteurs environnementaux, qui peuvent prendre des formes diverses (Morgan et al., 2013). • Médiation Un facteur de risque environnemental précoce (abus sexuel dans l’enfance, séparation précoce avec un parent..) est en réalité médié par un facteur environnemental plus tardif (difficultés sociales, célibat, chômage..) qui représente le facteur causal. • Synergie Deux facteurs de risque présentent une action combinée et additive, pouvant intervenir à des étapes différentes du développement, sans lien direct entre eux. • Médiation synergique Les deux types d’interaction se combinent, dans une proportion variable selon les facteurs de risque. Ainsi, les traumatismes infantiles ont en effet direct sur le risque de schizophrénie, mais peuvent aussi favoriser la présence de facteurs de désavantages sociaux à l’âge adulte, qui sont eux-mêmes des facteurs de risque de schizophrénie. L’étude de Morgan et al. a ainsi démontré que dans le cas de l’adversité sociale, le modèle dominant était celui de la médiation synergique. c. Etudes de l’effet GxE Au cours des dernières années, différentes études ont visé à préciser l’impact respectif de la vulnérabilité génétique et de l’environnement dans la schizophrénie. Dans le cas de la schizophrénie, les études permettent de postuler que la relation entre génétique et environnement est de type interaction G x E, reléguant la dimension rGE a un bruit de fond sans rôle significatif dans l’étiopathogénie de la maladie. Ainsi, les études ont démontré que l’effet du risque de l’urbanicité est prépondérant pour les personnes ayant vécu en ville dans leur enfance ou leur adolescence et non au moment de l’émergence de la schizophrénie (Krabbendam & van Os, 2005). Ce n’est alors pas une vulnérabilité génétique particulière qui pousserait les individus vulnérables à s’installer en zone urbaine. Au contraire, différentes études plaident en faveur de l’existence d’une synergie entre gène et environnement de type GxE, telles les études de jumeaux monozygotes qui ne montrent qu’une concordance de 50% pour les jumeaux de patients schizophrènes, ce qui tend à indiquer la part prépondérante de l’environnement (Murray & van Os, 2003). De même, un étude d’adoption d’enfant de mères schizophrènes a permis de démontrer l’impact important de l’environnement au sein de la famille d’accueil pour ces enfants présentant une vulnérabilité génétique 93 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) (OR= 10) qui n’était pas retrouvé chez les enfants sans vulnérabilité génétique (OR= 1)(Tienari et al., 2004). Enfin, une étude de jumeaux caribéens a montré que, pour un taux de schizophrénie égale entre afro-caribéens et caribéens blanc (8,9% vs 8,4%), les jumeaux des cas présentaient des taux de schizophrénie significativement différents, à hauteur de 15,9% pour les afro-caribéens contre 1,8% pour les caribéens blancs de peau (Sugarman & Craufurd, 1994). Plus récemment, une étude néerlandaise publiée en 2013 a ainsi cherché à investiguer le rôle respectif de la vulnérabilité génétique et de l’environnement dans les phénomènes d’entrée dans la psychose chez des sujets sains (n=462) et des jumeaux de personnes atteinte de schizophrénie (n=810)(van Nierop et al., 2013). L’étude retrouvait une exposition environnementale superposable entre les deux groupes, avec l’exposition à au moins un facteur de risque chez 68% des jumeaux et 60% des sujets sains. Alors que 100% des transitions étaient associées à une exposition environnementale, le risque de transition n’était pas significativement plus important chez les jumeaux (OR= 2,2; IC95%: 0,5-10,3; NS). L’effet dans la transition des facteurs environnementaux étaient, par importance décroissante, démontré pour les traumatismes infantiles (OR= 34,4; IC95%= 4,4-267,4), l’abus de cannabis (OR= 4,1, IC95%= 1,1-15,4) et le statut minoritaire ethnique (OR= 3,8; IC95%= 1,2-12,8). Le résultat était non significatif pour l’urbanicité, donné compatible avec les connaissances sur l’effet précoce de ce facteur de risque. Dans le cadre de la recherche d’une interaction G x E, il était retrouvé que 82% des transissions étaient corrélées à une double exposition génétique et environnementales pour 18% seulement à une exposition unique à une vulnérabilité génétique ou à au moins un facteur de risque environnemental. 43% des non-transitions étaient exposées à un double risque G et E (Tableau 2), mais aucune des transitions ne s’est produite en l’absence de facteurs de risque génétiques ou environnementaux. Ces résultats tendent à démontrer l’importance de l’environnement dans les transitions vers la psychose mais aussi la nécessité d’une interaction entre vulnérabilité génétique et environnement défavorable dans la grande majorité des cas. La répartition identique de l’exposition environnementale entre sujets sains et jumeaux tend également à démontrer que la susceptibilité génétique à la psychose ne favorise pas l’exposition à des facteurs de risque environnementaux de la schizophrénie (modèle rGE). Le faible nombre de cas de transitions au cours de l’étude (n= 11) demeure une limite importante à l’extrapolation des résultats, malgré un degré de significativité important. La part importante prise par les traumatismes infantiles pose également la question de l’interaction précoce entre vulnérabilité et exposition environnementale. 94 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) Ni G ni E G ou E GxE Transition 0% (n=0) 18,2% (n=2) 81,2% (n=9) Absence de transition 14,6% (n=184) 42,7 % (n=539) 42,7% (n=539) Tableau 2 : Taux de transition vers la psychose en fonction de l’exposition à des facteurs de risque environnementaux ou génétiques (adapté de van Nierop et al., 2013) Une seconde étude hollandaise s’est focalisée sur le rôle synergique des facteurs génétiques et de l’urbanicité dans le risque de schizophrénie (van Os et al., 2003). La vulnérabilité génétique était représentée par l’existence d’une histoire familiale de trouble psychotique. Les risques de présenter des symptômes psychotiques étaient de 0,85% pour les personnes ne présentant aucune exposition, de 1,59% en cas d’exposition au milieu urbain seul, de 3,01% en cas de vulnérabilité génétique sans exposition environnementale et de 9,72% en cas de double exposition. Une étude allemande (Spauwen et al., 2006) retrouvaient dans les mêmes conditions expérimentales des taux respectifs de 4%, 12,1%, 14,9% et 29%. Des résultats similaires ont été retrouvés dans d’autres études (van Os et al., 2004 ; Wieser et al., 2005). ni G ni E E G GxE van Os et al. 0,85 % 1,59 % 3,01 % 9,72 % Spauwen et al. 4% 12,1 % 14,9 % 29.2% Tableau 3 : Taux de symptômes psychotiques en population générale en fonction de l’exposition l’exposition génétique et environnementale (adapté de van Os et al., 2008) d. L’hypothèse du continuum Différentes études ont démontré que chez la plupart des adolescents présentant des expériences psychotiques, ces dernières disparaissent avec le temps et ne persistent pas à l’âge adulte (Hanssen et al. 2005; Dominguez et al. 2011). Il est également reconnu que des expériences sub-cliniques de symptômes psychotiques précédent de quelques années le diagnostic clinique de trouble schizophrénique (Werbeloff et al., 2012; Hanssen et al. 2005; Dominguez et al. 2011). Les études épidémiologiques retrouvent une différence d’incidence entre les troubles psychotiques constitués (1%), les symptômes psychotiques isolés (5%) et les expériences psychotiques (15%). Ces dernières sont retrouvées davantage chez les sujets jeunes, et tendent à diminuer en fréquence avec le temps. 95 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) d.1. Cougnard et al. Dans une étude datée de 2007, Cougnard et al. reprenaient les données issues de deux cohortes longitudinales ayant permis de suivre l’évolution des troubles psychotiques en population général (Cougnard et al., 2007). La cohorte NEMESIS, issue des Pays-Bas, comprenait 7076 personnes de 18 à 64 ans suivies prospectivement sur 3 ans entre 19996 et 1999, permettant des calculs d’incidence et de prévalence des troubles psychotiques. La cohorte allemande EDSP comportait initialement 3021 personnes âgées de 14 à 24 ans suivis pendant 4 ans. L’objectif de l’étude était d’évaluer le rôle de l’environnement dans la persistance de troubles psychotiques en population générale. Trois facteurs de risques environnementaux étaient ainsi évalués : l’existence de traumatisme infantile, l’urbanicité et l’usage de cannabis. Il était retrouvé l’existence d’expériences psychotiques initiales dans la cohorte NEMESIS chez 768 personnes (10.8%) et dans EDSP chez 229 (9%). A T2, ces expériences persistent chez 200 personnes dans l’étude NEMESIS (26%) et 71 dans EDSP (31%). La recherche des facteurs de pérennisation des troubles montrait des résultats concordants au sein des deux cohortes (Tableau 4). T0 T2 NEMESIS 768 (10,8%) 200 (2,82%) EDSP 229 (9%) 71 (2,35%) Tableau 4 : Persistance des symptômes psychotiques dans deux cohortes d’adolescents à 3 ans (NEMESIS) et 4 ans (EDSP) (adapté de Cougnard et al., 2007) Ainsi, pour NEMESIS, le risque était plus important de présenter des symptômes psychotiques chez les sujets qui en présentaient déjà à T0 (20.1% contre 1.9%) en l’absence d’exposition environnementale, mais la différence de risque augmentait avec l’exposition environnementale, de 18,2% en l’absence d’exposition à 33.9% pour une exposition maximale. Le risque augmente avec l’exposition environnementale à la fois pour les sujets sans signes initiaux (de 1.9% à 16.1%) et avec signes initiaux (de 20.1% à 50%). Ainsi, le taux de troubles psychotiques en fin d’étude était de 2,6% pour les personnes ne présentant ni exposition environnement ni expérience initiale, de 5,8% pour ceux présentant une exposition environnementale forte sans expériences psychotiques initiales et de 23,6% pour ceux présentant des expériences psychotiques initiales seules sans exposition environnementale (Tableau 5). Le risque le plus important retrouvé l’était pour les personnes présentant à la fois une exposition environnementale et une expérience psychotique initiale, mesuré à hauteur de 34,1%. Le calcul du synergisme gène x environnement montrait que 21 à 83% des gens exposés à au moins deux facteurs de risque environnementaux et à une expérience psychotique initiale présentent des symptômes psychotiques à T2. 96 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) Pour la cohorte EDSP, le taux de troubles psychotiques à T2 était de 14.8% chez les personnes non exposées sans expérience initiale, de 24,5% en cas d’exposition environnementale seule, de 20.7% en cas d’expérience initiale seule et montait à 42.7% en cas de double exposition environnementale et à des expériences psychotiques initiales (Tableau 5). Entre 29% et 51% des personnes ont ainsi présenté une persistance des troubles du fait des effets synergiques entre gène et environnement. ni G ni E E seul G seul GxE NEMESIS 2,6 % 5,8 % 23.6% 34.1 % EDSP 14,8 % 24,5 % 20,7 % 42,7 % Tableau 5 : Pourcentage de personnes présentant des expériences psychotiques à T2 selon le degré d’exposition environnementale et génétique (adapté de Cougnard et al., 2007) L’analyse statistique a permis de démontrer l’effet cumulatif des facteurs de risque environnementaux, le taux de persistance augmentant corrélativement au nombre de facteurs auxquels sont exposées les personnes (Tableau 6). Ainsi, le risque de persistance des troubles augmentait corrélativement au nombre de facteurs environnementaux présents (usage de cannabis, urbanicité et traumatismes infantiles). Sans troubles initiaux Avec troubles initiaux Absence 1.9% 20.1% 1 facteur 3.5% 26.7% 2 facteurs 4.7% 31.1% 3 facteurs 16.1% 50.0% Tableau 6 : Risque de présence de troubles psychotiques à T2 selon le degré d’exposition environnementale et l’existence de troubles initiaux (adapté de Cougnard et al., 2007) L’ensemble de ces résultats sont en faveur d’un synergisme gène x environnement (G x E), puisque le risque maximal est atteint pour l’ensemble des cohortes lorsque les deux facteurs de risque sont présents. Les données concernant le caractère cumulatif des facteurs environnementaux tendent également à valider l’hypothèse d’une synergie environnement x environnement (E x E). Il est à noter que cette étude ne permettait pas de prendre en compte la possible vulnérabilisation environnementale à l’apparition initiale de troubles psychotiques. Pour autant, l’analyse post hoc montre qu’une exposition environnementale importante tend à favoriser le risque d’expérience initiale, à 97 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) hauteur d’un odd ratio calculé à 1.95 (IC= 1.79-2.14, p<0.01) pour NEMESIS et de 1.49 (IC= 1.251.78, p<0.01) pour EDSP. On peut également regretter que la notion de statut minoritaire ethnique ou de migration n’ait pas été prise en compte comme facteur environnemental de pérennisation des troubles. d.2. Wigman et al. En ce sens, une expérience similaire de suivi longitudinal d’une cohorte néerlandaise durant 6 ans a montré que la persistance des troubles psychotiques était préférentiellement associé au statut minoritaire ethnique (OR= 3,29; IC95%= 1,68-6,45; p<0,001), tandis que les autres facteurs environnementaux étaient associés à des amplitudes de risque moins élevées (Wigman et al., 2013). Le risque était par exemple de 1,80 pour un usage important de cannabis ou une accumulation d’évènements de vie difficiles. Cette étude s’intéressait à l’évolution de troubles psychotiques sur une durée de 6 ans dans une cohorte de 2230 enfants de 10 et 11 ans ayant reporté des expériences psychotiques au cours d’un auto-questionnaire (Youth Self Report, YSR). Quatre types d’évolutions étaient désignées au sein de la cohorte : le groupe « bas seuil » (82%) chez lesquels le degré des troubles étaient initialement bas et le restait au fil du temps, le groupe « décroissance » (9% des adolescents) au sein duquel on observait une diminution de l’intensité des expériences psychotiques, le groupe « croissant » (7%) chez lequel était retrouvé une augmentation de l’intensité et le groupe « persistance » (2%) au sein duquel des troubles d’intensité initialement élevée se pérennisaient à une intensité égale. Il était retrouvé une distribution statiquement comparable des troubles développementaux et des traumatismes infantiles dans les groupes « croissance » et « décroissance », ce qui indiquait la nécessité d’une exposition environnementale tardive pour qu’une vulnérabilité précoce en vienne à favoriser le développement de troubles psychotiques persistants et apportait un nouveau contre-argument au modèle de la corrélation de type rGE. Ainsi, ces différentes études démontrent que le bon pronostic initial de rémission des expériences psychotiques peut être grevé si les sujets sont exposés à des facteurs de risque environnementaux additionnels tels que les traumatismes, l’usage de cannabis, l’urbanicité, ou le statut ethnique minoritaire. Le développement transitoire de symptômes psychotiques peut se pérenniser et devenir cliniquement significatif en fonction de l’importance de l’exposition environnementale auquel les personnes sont soumises. 98 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) d. 3. Le modèle « proneness - persistence - impairment » Ces dernières années, sous l’impulsion notamment de Jim van Os, une modélisation novatrice de la schizophrénie a progressivement pris de l’ampleur dans la littérature scientifique. Ce modèle se base sur la progression des connaissances concernant l’interaction gène x environnement et de l’épidémiologie des troubles psychotiques sub-cliniques, et notamment du continuum des troubles psychotiques. Le modèle « propension - persistance - trouble » (proneness - persistence - impairment), ou modèle du continuum, s’appuie ainsi sur la répartition des phénomènes psychotiques en trois dimensions distinctes. Une méta-analyse datée de 2009 (van Os et al., 2009) a cherché à synthétiser l’ensemble des données concernant la répartition des expériences psychotiques, définies comme des manifestations subcliniques sans retentissement fonctionnel avéré, des symptômes psychotiques, ne remplissant pas les critères diagnostiques de troubles schizophréniques malgré un certain retentissement et l’existence d’un trouble psychotique avéré. Les résultats retrouvaient une répartition correspondant à cette répartition en trois phases distinctes (Figure 8). Les expériences psychotiques pourraient ainsi se rapporter à un « état de propension » (proneness) à la psychose. Partagées par environ 8 % de la population, elles seraient bien plus fréquentes que ce que n’envisageaient les études antérieures. Les symptômes psychotiques isolés sont corrélés à un « état de persistance » (persistence), existant chez 4 à 5% de la population. L’apparition d’un trouble psychotique clinique correspond enfin à un « état de handicap » (impairment), dont la prévalence est connue de longue date et estimée de 1 à 3% environ. Figure 8 : Le modèle du continuum (adapté de van Os et al., 2008) 99 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) Le modèle du continuum apparaît donc comme un modèle de résilience à l’échelon populationnel, puisque la très grande majorité des individus vulnérables ne déclarent pas de trouble psychotique et voient leurs expérience subcliniques s’amender ou ne jamais dépasser le seuil pathologique. Il questionne en revanche, à l’échelle individuelle, sur les effets de potentialisation progressive qui s’accumulent et interagissent avec une susceptibilité initiale. La seconde partie de la méta-analyse à chercher à identifier le rôle des facteurs démographiques et socio-économiques dans la répartition des expériences psychotiques subcliniques. L’objectif était de déterminer si les facteurs environnementaux de schizophrénie agissaient tout au long du continuum en favorisant l’existence d’état de propension à la psychose dans la population exposée. Il était retrouvé une prévalence plus importante d’expériences psychotiques chez les hommes migrants, appartenant à des minorités ethniques, sans emploi, célibataires et présentant un faible niveau d’éducation. De même, l’urbanicité, l’usage de cannabis et les traumatismes infantiles apparaissaient comme des facteurs majeurs de risque pour les expériences subcliniques de psychose. Une nouvelle méta-analyse plus récente a cherché à définir plus précisément la notion de continuum, qui peut s’entendre de plusieurs manières (Linscott & van Os, 2013). Tout d’abord, il pourrait s’agir d’un continuum temporel, tributaire d’une continuité au fil du temps d’expériences psychotiques initiales en direction des troubles psychotiques (continuité temporelle). Il pourrait également s’agir d’une continuité phénoménologique, voulant que les expériences psychotiques ne soient pas indépendantes des troubles psychotiques cliniques et varient quantitativement le long du continuum. Enfin, cette continuité pourrait être d’ordre structurelle, c’est-a-dire qu’il existe soit un même classe au sein de laquelle le phénotype varie quantitativement, ou bien plusieurs classes correspondant à des variations qualitatives de phénotypes indépendants. Le modèle du continuum envisage cette notion de continuité du point de vue temporel et phénoménologique, en postulant que les expériences psychotiques précédent l’entrée dans la maladie et qu’elles sont partagées en population générale selon un gradient quantitatif et non une différence phénotypique qualitative indépendante. Cette seconde méta-analyse de 2013 présentait plusieurs objectifs: • intégrer des travaux plus récents effectués depuis l’étude de 2008 • minimiser le risque d’inclure des études prenant en compte des phénomènes mineurs dans le cadre des « expériences psychotiques » en restreignant les critères d’inclusion • exclure les phénomènes culturellement codés qui pourraient majorer indûment le taux d’expériences psychotiques Les résultats étaient en faveur d’une continuité temporelle et phénoménologique. Ainsi, le taux d’expériences psychotique moyen était de 7.2% en population générale, taux largement supérieur aux 100 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) troubles schizophréniques avérés. Ce risque était plus élevé dans des conditions environnementales reconnues comme facteurs de risque de schizophrénie (hommes, migrants, célibataires, vivant en milieu urbain, sans emploi ou faiblement rémunérés, usagers de cannabis). Ces expériences psychotiques étaient transitoires dans l’immense majorité des cas (80%) avec un taux de 7.4% seulement de troubles psychotiques déclarés en fin de suivi, ce qui souligne le caractère probabiliste et non déterministe du modèle du continuum. Dans le sens d’une continuité phénoménologique, différentes études ont démontré l’existence d’une corrélation entre augmentation des expériences psychotiques sub-cliniques et des troubles psychotiques au sein d’une population donnée. Ainsi, une étude a cherché à analyser le lien entre l’urbanicité et les différentes phases du continuum (van Os et al., 2001). Les résultats montraient une augmentation proportionnelle des troubles psychotiques, des symptômes et des expériences psychotiques en fonction de la densité des zones d’origine des personnes (Tableau 7). Troubles psychotiques Symptômes psychotiques Expériences psychotiques < 500 0.59% 2.36% 13.76% 500-999 0.93% 2.80% 13.85% 1000-1499 1.49% 4.48% 17.0% 1500-2499 1.87% 5.48% 20.24% > 2500 2.74% 5.72% 23.03% Densité urbaine Tableau 7 : Taux de troubles psychotiques selon l’exposition à l’urbanicité en population générale (adapté (adapté de van Os et al., 2001) L’importance du rôle de l’expérience individuelle est soulignée par cette même étude qui retrouvait une différence de 37% entre les expériences psychotiques auto-reportées et celles qui étaient retenues par les cliniciens. Malgré cette importante différence, le risque de présenter un trouble psychotique est multiplié par 25 (OR= 27.5; IC95% = 4.5-123.4) pour les personnes ayant rapporté des expériences psychotiques. Bien que cela reste en dessous du risque pour les cas où les cliniciens avaient retenu la validité de cette expérience (OR= 46.1; IC95%= 4.6-236.5), ce résultat démontre un risque suffisamment augmenté pour accorder du crédit à la fois au modèle du continuum et à l’expérience ressentie par les personnes. Ces résultats, s’ils démontrent la pertinence du modèle du continuum, permettent également une lecture environnementale et sociale du modèle de la schizophrénie. En effet, l’environnement social 101 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) semble jouer un rôle à la fois dans la transition vers la psychose, mais également dans l’apparition de phases prodromiques antérieures aux troubles. La continuité temporelle démontre que des taux plus élevés de risque d’évolution péjorative sont retrouvés au sein de population cumulant différents facteurs de risque (migration, chômage ou emploi peu rémunéré, faible niveau d’éducation, célibat, vie en milieu urbain…), favorisant par là-même une évolution ultérieure vers un risque constitué. Cette double action de l’environnement social, dans l’apparition puis la persistance des troubles, démontre tout le poids qu’il prend dans l’épidémiologie, et sans doute l’étiopathogénie, de la schizophrénie. Plus récemment, une étude menée en Angleterre (Kirkbride et al., 2014) au sein d’une unité d’intervention précoce pour la psychose a permis de démontrer l’existence d’une hétérogénéité dans la répartition spatiale des individus présentant une propension à la psychose (personnes à haut risque de psychose) ou un premier épisode psychotique, selon les territoires. Les personnes étaient ainsi en majorité issues de quartiers défavorisés, présentant des facteurs d’inégalités sociales plus marqués. L’étude ne permettait cependant pas de démontrer s’il existait également un plus haut taux de transition dans les quartiers défavorisés. Ce résultat démontre cependant que l’interaction gène x environnement ne joue certainement pas uniquement dans la pérennisation des troubles, mais également dès l’apparition précoce d’indicateurs de vulnérabilité. A ce titre, une étude hollandaise récente a ainsi retrouvé une prévalence plus importante d’expériences psychotiques sub-cliniques dans des populations d’adolescents issus des minorités marocaines et turques (Adriaanse et al., 2015). e. Rétablissement En parallèle des études menées sur l’étiopathogénie de la schizophrénie et les conditions de pérennisation des troubles psychotiques, il existe une littérature de plus en plus fournie sur l’évolution ultérieure des troubles, sous l’optique dite du rétablissement (recovery). Deux synthèses systématiques des données retrouvaient ainsi des taux concordants de rétablissement dans la schizophrénie, à savoir respectivement 40% (Hegarty et al., 1994) et 42% (Menezes et al., 2006). De nombreuses limitations méthodologiques ont été soulignées au sein de ces deux travaux conséquents, parmi lesquels on retrouve la trop grande hétérogénéité de mesure des indices de rétablissement entre les études incluses dans la synthèse, notamment en ce qui concerne l’articulation entre la rémission symptomatique et le niveau de fonctionnement social ou le ressenti subjectif de rétablissement. En 2009, Warner réalisait une synthèse prenant compte de cette dichotomie entre rétablissement social et rétablissement dit « complet » (rémission symptomatique associée à un bon niveau de fonctionnement social), retrouvant un taux de rétablissement social compris entre 22 et 53%, pour un taux de rétablissement complet allant de 11 à 33% (Warner, 2009). Une méta-analyse récente (Jääskeläinen et al., 2013) a tenté d’évaluer le taux de rétablissement en prenant en compte à la fois la dichotomie rémission/fonctionnement social ainsi que la durée du rétablissement, à savoir une durée de deux ans minimum. 50 études ont été incluses, permettant de 102 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) mettre en exergue un taux de rétablissement de 13,5%, identique pour les hommes et les femmes. En revanche, il existait une différence significative de taux entre pays développés et pays en voie de développement, estimé à 36%, ce qui tend à indiquer l’existence d’un rôle des conditions environnementales dans les possibilités de rétablissement de la schizophrénie. Les hypothèses possibles concernant les causes de cette différence selon le niveau de vie du pays restent non éludicées. L’amélioration des thérapeutiques médicamenteuses depuis plusieurs décennies ne semble pas avoir eu d’effet notable sur les taux de rétablissement, différentes études ayant démontré une relative stabilité des taux depuis plusieurs dizaines d’années. Ceci tendrait également à souligner le fait que, dans l’optique du rétablissement, l’amélioration de la prise en charge d’un point de vue purement neurobiologique ne permet pas d’améliorer le pronostic. La notion de rétablissement permet d’insister sur le caractère résilient du continuum de la schizophrénie, qui offre la possibilité d’une rémission aux différentes étapes de la progression et de l’évolution du trouble. f. Philosophie de la vulnérabilité: la « capabilities theory « de Nussbaum Alors que la question de la vulnérabilité, présente dans la modélisation de la schizophrénie depuis les années 70, prend une part de plus en plus importante dans la philosophie sociale et politique de ces dernières années, la question des inégalités, et bien sûr des inégalités de santé, s’y avère un point crucial de réflexion. Si certaines théories libérales du droit ou de la politique promeuvent aisément l’autonomie et l’auto-détermination dans l’évolution personnelle, notamment d’un point de vue social ou financier, l’existence d’inégalités criantes de santé au sein même des pays développés pose une problématique au cœur de laquelle les hypothèses avancées ne peuvent plus se résumer à des écarts de volonté individuelle à l’égard de l’engagement civique ou de l’insertion socio-professionnelle. Certains membres de la société, loin d’en représenter une infime minorité, se trouvent ainsi positionnés dans l’incapacité d’accéder à un état de santé minimal équivalent à la moyenne nationale. En ce sens, les travaux de Saïda Douki ont ainsi démontré le lourd tribut payé par les femmes de par le monde du point de vue de la santé mentale (Douki, 2011). Philosophe du féminisme et des inégalités, l’américaine Martha Nussbaum propose une théorie de la vulnérabilité qui peut permettre de repenser la question de la vulnérabilité et de son lien à l’environnement social (Nussbaum, 2011). La philosophie de Nussbaum paraît intéressante à un double niveau dans l’optique du modèle de la schizophrénie. Tout d’abord, parce qu’elle permet de penser la vulnérabilité à partir des capacités (capabilities) de l’individu, en insistant sur le rôle des conditions sociales et politiques qui permettent, ou non, de développer ces ressources personnelles et d’engager un processus de résilience. Cette approche permet également de penser les inégalités initiales qui peuvent exister dans les capacités des individus, au-delà de la favorisation ou de l’empêchement que peut proposer l’environnement, sans pour autant les rapporter à une sorte d’essentialisation de la précarité et des écarts sociaux. Ensuite, la théorie 103 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) des capabilités insiste, à travers la question du handicap mental, sur la vulnérabilité que confère à l’individu l’existence même d’un trouble mental. Du point de vue de la théorie psychiatrique, cette vision nous oblige à repenser le continuum, dont on peut s’étonner qu’il ne soit finalement que peu pensé au-delà de l’apparition de la maladie, sans s’intéresser ni à la vulnérabilité qui s’y rapporte, ni les capacités de rétablissement, pourtant bien documentés à l’heure actuelle. Nussbaum distingue trois « capabilités » de base: • la capabilité I ou capabilité interne : une personne est « capable I » de la fonction A au temps t si et seulement si cette personne est constituée de telle sorte en t que, si les circonstances appropriées se présentent, elle pourra choisir une action A • la capabilité E ou capabilité extérieure : une personne est « capable E » de la fonction A au temps t si et seulement si en t cette personne est capable I de A et qu’aucune circonstance présente n’empêche ou ne gêne l’exercice de A • la capabilité B ou capabilité de base : une personne est « capable B » de la fonction A si et seulement si cette personne a une constitution individuelle organisée de telle sorte qu’elle puisse faire A, à supposer qu’on lui fournisse l’entraînement, le temps convenable, ainsi que les autres conditions instrumentales nécessaires La force de la philosophie nussbaumienne de la vulnérabilité est de penser dans un même mouvement la vulnérabilité individuelle qui peut advenir en fonction de conditions de patrimoine éducatif ou génétique et la vulnérabilité sociale et politique, corrélées quant à elles aux conditions environnementales dans lesquels l’individu est placé, en intégrant également l’articulation entre ses conditions internes et externes de vulnérabilisation. Pierre Goldstein écrit en ce sens que « la « capacité » est vulnérable puisqu’elle ne dépend pas seulement de l’agent lui-même pour son actualisation, mais des « circonstances appropriées » » (Golstein, 2011). Pensé sous l’optique du capital social, on pourrait ainsi dessiner derrière la distinction entre capabilité I et capabilité E, celles de « capital social cognitif », en tant que capabilité interne, et de « capital social structurel », en tant que capabilité externe, distinction insistant sur la différence qui advient entre le fait de se trouver en possession d’un capital social a priori conséquent et celui de pouvoir totalement bénéficier des avantages qu’il revêt. Le second point d’intérêt de la philosophie nussbaumienne est qu’elle qui prend en compte la vulnérabilité que représente le fait même de présenter un handicap mental. En ce sens, le continuum de la schizophrénie précédemment décrit peut également s’entendre comme un continuum de vulnérabilité, au cœur duquel on pourrait distinguer une vulnérabilité à la psychose et une vulnérabilité de la psychose. La vulnérabilité cognitive par exemple peut être amenée à croître, lors de la transition d’un état sub-clinique à un trouble psychotique constitué, mais également à diminuer si le traitement de la 104 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) schizophrénie permet par une remédiation adaptée le renforcement des ressources cognitives de l’individu. La manière qu’a Martha Nussbaum de théoriser la vulnérabilité permet également de définir le caractère labile et évolutif qu’elle peut revêtir au cours du temps, sans enfermer l’individu dans une incapacité irréductible, qui viendrait alors légitimer les inégalités sociales en les corrélant à une insuffisance biologique première ou enfermer la personne souffrant de schizophrénie dans une hétéronomie indépassable. S’arrêter à un continuum étiopathogénique causal semble ainsi en partie insuffisant, notamment dans l’optique de l’interaction gène x environnement, car il ne permet pas d’envisager directement l’évolution de la vulnérabilité et des capacités de l’individu au-delà de la période antérieure aux troubles. En effet, d’un point de vue social, il existe une différence de qualitative et non uniquement quantitative entre le statut de haut risque de psychose et de pathologie schizophrénique déclarée, à l’égard ne serait-ce que de droits sociaux nouveaux (Allocation Adulte Handicapé, accès à la MDPH, emplois protégés et Reconnaissance de Travailleur Handicapé…). En revanche, comme le signalait dès 1977 Zubin et Spring, la vulnérabilité constitue la trame de ce continuum entre normal et pathologique. g. Un modèle de continuum « proneness - persistence - impairment - recovery »? L’apport de la théorie des capabilités et des données concernant le rétablissement amène à envisager un modèle de la schizophrénie assumant pleinement la question d’un continuum, en articulant l’idée d’une interaction gène x environnement à celle de la vulnérabilité qui s’exercent toutes deux tout au long de l’évolution des troubles. Il semble en effet assez limitant d’astreindre la notion de continuum au développement de la pathologie, sans envisager les conséquences sur le fonctionnement social et environnemental engendrés par l’expression clinique des troubles ainsi que celles du phénomène de rétablissement. La théorie des capabilités permet également de penser la « vulnérabilité à la psychose » ou la « vulnérabilité de la psychose » non pas comme une entité monolithique, mais davantage comme un « enchevêtrement » de vulnérabilités, parmi lesquelles pourraient se situer une vulnérabilité génétique et biologique (capabilité I), une vulnérabilité environnementale et psychosociale (capabilité E) et une vulnérabilité cognitive (capacité B), cette dernière médiant en partie les capacités internes de l’individu. La vulnérabilité cognitive se décomposerait elle-même en différentes capacités cognitives comprenant des ressources en neurocognition (mémoire, attention, traitement de l’information), des capacités métacognitives, de cognition sociale (théorie de l’esprit, style attributionnel, etc…) ou encore d’un point de vue narratif (mémoire autobiographique, voyage mental dans le temps, self narratif…). De même, la vulnérabilité environnementale comprendrait l’ensemble des facteurs de risque environnementaux connus de la schizophrénie (urbanicité, consommation de cannabis, traumatismes infantiles, ethnicité,…) en y ajoutant la question de l’accès au soins, possiblement rendue difficile par une 105 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) condition sociale précaire ou un défaut de capital social, mais également médiée en partie par la capabilité cognitive de base à savoir utiliser à bon escient le système de soin. Du point de vue des effets de l’adversité sociale, il convient par exemple de penser l’articulation entre les conditions de l’environnement social immédiat dans lequel est placé l’individu. L’analyse du phénomène du point de vue de la théorie des capabilités pourrait ainsi s’entendre de la sorte : • capabilité E : la personne est placée dans un contexte d’adversité sociale, au sein duquel elle se voit isolée, bénéficiant d’un faible capital social et d’un accès aux soins limité • capabilité I : la personne présente un état de santé mentale fragile, marquée par une détresse psychologique fluctuante, potentiellement présente depuis l’enfance • capabilité B : les effets cognitifs et comportementaux de l’exclusion (diminution des comportements pro-actifs, déstructuration cognitive, déclin des performances cognitives…) affectent ses capacités d’accès aux soins et situent la personne dans un état de vulnérabilité à l’égard du système de soi 3. Conclusion Au total, les travaux sur les facteurs environnementaux permettent de replacer aujourd’hui la part respective et partagée de la vulnérabilité génétique et d’un environnement délétère dans les modélisations de la schizophrénie. Si la vision apportée par le modèle de la vulnérabilité a permis d’introduire cette notion d’interaction gène x environnement, les connaissances scientifiques de l’époque étaient insuffisantes pour permettre de modéliser au mieux la réalité de cette action synergique. Les données récentes ont permis de démontrer que le risque de schizophrénie augmentait corrélativement au degré d’exposition environnementale, ce d’autant plus pour des personnes présentant une vulnérabilité génétique initiale. Différents types de synergie, tels que les mécanismes épigénétiques ou la sensibilisation génétique à l’environnement, jouent probablement un rôle conjoint dans ce modèle général d’interaction. Il convient ainsi d’envisager le modèle de la schizophrénie comme un modèle de résilience, visà-vis duquel la persistance d’une exposition environnementale défavorable semble agir à contre-courant de cette capacité de résilience initiale. La philosophie nussbaumienne de la vulnérabilité permet de modéliser d’un point de vue théorique et pratique le rôle respectif des différentes capabilités de l’individu, comprises entre des facteurs individuels et des facteurs environnementaux limitants. 106 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) B. Epistémologie de la psychiatrie transculturelle Comme nous l’avons vu antérieurement dans ce travail, une des critiques contemporaines des énoncés scientifiques concernant le lien de causalité entre migration et schizophrénie provient en majeure partie d’une école psychiatrique précise, à savoir la psychiatrie transculturelle. Cette école de pensée, s’attachant à apporter une compréhension des troubles psychiques et de la psychopathologie sous une optique culturelle, apporte en effet un certain nombre d’arguments visant à remettre en question la validité des découvertes scientifiques récentes concernant les liens entre schizophrénie et migration, à l’avant desquels la théorie de l‘erreur diagnostique (misdiagnosis) s’avère la plus fréquemment utilisée. De par sa forte implantation en France dans les dispositifs thérapeutiques destinées aux migrants, due notamment aux travaux du psychologue Tobie Nathan puis des psychiatres Marie-Rose Moro et Thierry Baubet, cette pratique ne manque pas de prendre place dans les discussions scientifiques autour de la psychopathologie de la migration dans l’Hexagone. A ce titre, il convient de discuter en détail les positions scientifiques émises par la psychiatrie transculturelle, afin de connaître la légitimité de cette discipline à contredire les résultats épidémiologiques internationaux. 1. Rappel historique La réflexion ethnopsychiatrique prend son origine au début du XXème siècle dans les travaux du psychiatre et anthropologue Georges Devereux, dont les théorisations autour des notions de culturalité psychique remontent à son expérience aux Etats-Unis auprès d’une communauté indienne, les Mohave, puis de la rencontre d’un patient originaire d’une autre tribu, les Pieds-Noirs. Alors que se pose à cette époque la question de l’universalité du complexe d’Oedipe, remise en cause notamment par les travaux de l’anthropologue Bronislaw Malinowski au sein d’une société matrilinéaire (Malinowski, 1922), deux psychanalystes, Geza Roheim et Georges Devereux, engagent une recherche ethnopsychanalytique dans l’optique de trancher définitivement l’existence d’une transculturalité du fonctionnement psychique inconscient décrit par Freud (Devereux, 1996; Roheim, 1972). Fort de cette expérience, Devereux instaure alors la notion de « complémentarisme », systématiquement citée comme concept de référence dans la psychiatrie transculturelle. Théorie du décentrement, elle propose d’associer la connaissance anthropologique à la technique psychanalytique pour appréhender les particularités du transfert et du diagnostic en situation transculturelle. Relativement oubliée dans l’après-guerre, la méthode ethnopsychiatrique a resurgi en France sous l’impulsion du psychologue Tobie Nathan. Alors que la psychiatrie coloniale avait amené son lot de catégorisations racistes des pathologies mentales chez les peuples colonisés, à travers les travaux de Lucien Lévy-Bruhl et Maurice Leenhardt, le psychiatre Henri Collomb, médecin français en poste à Dakar, est le premier à proposer une approche moins ethnocentrée, utilisant l’apport couplé de la psychanalyse et des sciences humaines. L’école de Fann à Dakar, devient alors un terrain de réflexion 107 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) concernant l’expression culturelle des troubles et les différences symptomatiques et diagnostiques entre les différentes ethnies. Collomb travaille notamment sur la prévalence de la dépression chez les populations sénégalaises et sur les différentes formes symptomatiques qu’elle peut prendre, décrites comme différentes des syndromes habituellement décrits par la psychiatrie occidentale (forte prévalence de symptômes somatiques ou psychotiques par exemple). L’autre partie de son travail a porté sur l’adaptation des pratiques thérapeutiques, autour des « villages thérapeutiques » et de la place des tradithérapies tels que le N’Doep. Face à l’afflux d’immigrés dans les consultations psychiatriques, l’abord culturel trouve un regain d’intérêt dans l’Hexagone au cours des années 1980 et 1990. Elève de Georges Devereux, le psychologue Tobie Nathan propose alors une ethnopsychiatrie continentale, mettant au cœur de la souffrance des migrants les notions d’acculturation et de traumatisme migratoire, voulant que la migration représente un choc traumatique majeur dont le déracinement culturel serait l’une des plus violentes composantes. Nathan s’éloigne en partie de la méthode de Devereux pour apporter une touche très personnelle à l’ethnopsychiatrie. Son principal fait d’arme revient à la création d’un dispositif technique spécifique - le dispositif ethnopsychiatrique – implanté en 1993 à l’hôpital de Bobigny sous le nom de Centre Georges Devereux. Il s’agit d’y rencontrer des individus ou des familles migrantes pour apporter une interprétation culturelle des troubles et problématiques rencontrées par ces derniers, interprétation portée par la culture d’origine et les croyances tradithérapeutiques qui lui sont associées. Nathan propose une vision radicale de l’ethnopsychiatrie, en se positionnant en rupture avec la psychanalyse classique, la biomédecine occidentale mais aussi une grande partie des sciences humaines. Au cours des années 1990, la montée des préoccupations politiques et sociales autour des migrants offre à l’ethnopsychiatrie française et à son fondateur une aura sans commune mesure. L’affiliation avec le sociologue Bruno Latour et la philosophe Isabelle Stengers lui donne une certaine légitimité dans le milieu des sciences humaines mais aussi un accès à des outils de publication à grande échelle pour les ouvrages de Nathan et de ses disciples. Au cœur de cette légitimité croissante, les premières critiques, issues de la philosophie des sciences et de la sociologie, apparaissent vis-à-vis de l’objet scientifique, politique et social particulier qu’est alors l’ethnopsychiatrie. En effet, les chercheurs en sciences humaines s’interrogent sur les fondements épistémiques de cette clinique nouvelle, ainsi que sur ces conséquences réelles pour la prise en charge des personnes migrantes. 2. La critique de Richard Rechtmann L’anthropologue et psychiatre Richard Rechtmann est le premier à adresser des critiques d’ordre épistémologique à l’ethnopsychiatrie française, autour notamment des modifications considérables qu’elle apporte dans les fondements de la clinique. Son analyse questionne également l’ampleur sociale et politique prise par cette discipline en expansion (Rechtman, 2003; 1995). 108 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) Dans un article intitulé L’ethnicisation de la psychiatrie : de l’universel à l’international, publié en 2003, il propose une analyse parallèle de la méthode ethnopsychiatrique et des révisions alors en cours du manuel international des pathologies mentales, le DSM. En effet, la pratique ethnospsychiatrique se décrit volontiers comme contre-réaction à « une volonté hégémonique d’harmoniser la psychiatrie à un niveau planétaire », qui se ferait au prix d’un ethnocentrisme occidental ne laissant plus aucune place aux particularités locales d’expression de la souffrance psychique. Pour autant, il est intéressant de noter que la version IV du DSM a justement inclus dans sa description des troubles un versant culturel, si bien que le crédit de la psychiatrie internationale et harmonisée semblait devoir se construire autour d’un certain relativisme culturel. Cet état de fait n’est pas sans poser un certain nombre de questions que souligne Rechtman, notamment le « risque de saper les fondements de la démarche clinique », en insérant dans la pratique diagnostique une étape de « diagnostic culturel », dont la pertinence se doit d’être interrogée. Rechtman souligne ainsi en premier lieu que les thérapeutes traditionnels, dont s’inspirent clairement les ethnopsychiatres, n’inscrivent nullement de temps de diagnostic culturel ou ethnique dans leur démarche clinique ou thérapeutique. Il écrit ainsi que « les médecines traditionnelles ne sont absolument pas des médecins ethniques et […] [qu’elles] ont une vocation universelle ». L’intérêt actuel pour la médecine traditionnelle chinoise, par exemple, démontre bien que la tradithérapie n’a nullement délimité son champ d’action aux personnes chinoises ou même asiatiques. L’univers de croyance qu’elle recoupe ne s’inscrit donc pas uniquement dans un champ culturel ou ethnique circonscrit, mais bien dans un univers de représentations partagées et d’efficacité supposée de son action par le tradithérapeute lui-même et la personne qui se réfère à lui. Cette « autorité clinique » fonde les médecines traditionnelles, à partir de compétences issues d’un champ d’investigation et d’expérience propre à chaque discipline. En revanche, la démarche ethnopsychiatrique se formalise par l’insertion d’un premier temps diagnostique, celui du diagnostic de l’origine ethnique ou culturelle du patient, avant de diagnostiquer le trouble en fonction de ce diagnostic initial. Il s’agit donc de circonscrire initialement la souffrance à l’origine du patient, ce qui fait dire à Rechtman qu’ici « l’autorité relève bien d’un champ distinct de celui de la clinique » et tend à instaurer un hiatus entre cette souffrance et le traitement qui en est fait. Il semblerait alors davantage s’agir d’une « caution anthropologique » que d’une autorité clinique empirique. « Ethniciser la psychiatrie » derrière la volonté de lutter contre son défaut intrinsèque de compréhension culturelle inverse alors la balance de manière bien trop caricaturale, au prix d’un défaussement vis-à-vis de la démarche clinique, aussi bien biomédicale que traditionnelle. Il est alors étonnant de voir que la psychiatrie transculturelle combat la prétendue hégémonie de la psychiatrie internationale sur le terrain de la culture, là où cette dernière s’offre une « caution anthropologique » en tout point superposable. En effet, la version IV du DSM a bénéficié de l’expertise 109 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) d’ethnopsychiatres et anthropologues renommés tels qu’Arthur Kleinman, Byron Good ou Laurence Kirmayer, apportant au relativisme culturel une place de choix dans la description des troubles mentaux. Manière de légitimer l’universalité de la psychiatrie en lui offrant une expertise locale, ce changement paradigmatique l’amène en effet à « se tourner vers de nouvelles formes d’autorité pour retrouver une valeur universelle. » C’est bien cet écueil qui a amené l’ethnopsychiatrie française à une profonde mutation au début des années 2000, la redéfinition des notions de relativisme culturel, d’universalisme ou de culturalisme étant alors inévitables pour l’avenir et la pérennité de la discipline. Le dernier point de critique de Richard Rechtman porte sur l’argument politique fréquemment énoncé, qui voudrait que la défense des minorités passe nécessairement par « la reconnaissance de leurs différences culturelles dans tous les espaces de l’action sociale ». D’un point de vue épistémologique, c’est par exemple en luttant contre la théorie de la migration sélective, voulant que les individus étaient malades antérieurement à leur migration, que la psychiatrie transculturelle a pu en partie se forger une légitimité. Rechtman s’étonne alors que sous l’abord de ce combat légitime, l’on retrouve dans le vocabulaire et le savoir-faire de la discipline un « conformisme social […] qui singe les nouveaux modes de régulation et de contrôle politique des groupes minoritaires ». En installant des « cothérapeutes » faisant office d’experts culturels par exemple, s’instaure une certaine asymétrie de pouvoir entre les différents acteurs du dispositif ethnopsychiatrique. Comme le résume Rechtman « c’est une chose de reconnaître enfin la nécessaire représentativité des différents groupes ethniques qui composent la société d’aujourd’hui […], c’en est une tout autre d’en déduire un égal besoin de représentativité au sein du corpus théorique et clinique ». Autrement dit, il n’est pas certain que reconnaître le rôle d’une malédiction familiale ancestrale dans les difficultés rencontrées par une jeune femme migrante, ce que Rechtman désigne comme le « militantisme clinique » de Nathan, ne soit d’un grand secours à cette dernière pour faire entendre sa voix ou faire respecter ses droits au sein de la société française. 3. La critique de Didier Fassin Chez le sociologue Dider Fassin, la critique porte également sur l’abord sociopolitique de l’ethnopsychiatrie, à travers la légitimité dont elle a rapidement joui du auprès des pouvoirs publics dans les années 1990 (Fassin, 2000. 1999). Fassin observe ainsi avec crédulité l’influence grandissante auprès du monde médical, universitaire et juridique de cette science renouvelée qui vise à apporter les outils adéquats de compréhension des déviances comportementales et de la souffrance psychique expérimentée par les populations immigrées et auxquelles les institutions hexagonales font alors face. La réussite semble alors totale et Fassin note que « la compétence de l’ethnopsychiatrie paraît ainsi devenue indispensable pour tout ce qui touche à l’immigration et même […] pour tout ce qui concerne les différences socialement construites comme culturelles ». C’est donc une « sociologie de son influence » que propose l’auteur, dans l’optique d’analyser les raisons de cette montée croissante de « l’entreprise » ethnopsychiatrique. 110 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) Fassin analyse tout d’abord les fondements profonds de l’ethnopsychiatrie prônée par Tobie Nathan, retrouvant l’idée d’un « différentialisme radical qui fait de l’appartenance originelle, le plus souvent énoncé en termes ethniques une dimension irréductible et immuable de la personne. » Le réductionnisme culturel s’affirme en effet chez Tobie Nathan comme principe de base, lorsqu’il écrit par exemple que « mettre un Soninké de trois ans né en France, bercé en Soninké, nourri au sein, massé à la façon Soninké, le mettre à l’école et attendre de lui qu’il s’y adapte, c’est ne rien savoir du fonctionnement psychique » (Nathan, 1994). Nathan milite en effet en faveur du cloisonnement des cultures, ne croyant ni dans les capacités d’intégration, ni en celles de métissage, au point de se positionner en faveur des ghettos : « dans les sociétés à forte émigration, il faut favoriser les ghettos, afin de ne jamais contraindre une famille à abandonner son système culturel » (ibid). Dès lors, l’ordre de compréhension du monde est assujetti à cette origine première, toute tentative de s’en départir signifiant nécessairement une rupture identitaire insurmontable pour l’individu. Le relativisme culturel en matière de diagnostique psychiatrique se forge donc sur un relativisme nettement plus global, touchant à l’impossibilité même de s’affranchir de ses croyances et représentations originelles ou d’entamer un dialogue entre deux cultures différentes. Dans un second temps, Fassin évoque le réseau d’influence dont bénéficiait alors l’ethnopsychiatrie, sous la forme d’un certain nombre d’alliances et de dispositifs d’action qui ont concouru à sa croissance. Sous couvert d’un discours de la « marginalité » soutenu par Nathan, l’éthnopsychiatrie s’inscrit alors de plus en plus dans un réseau institutionnel et savant solide. Fassin souligne ainsi que seulement 0,4% des consultations effectuées au Centre Georges Devereux en 1996 l’ont été du fait de la demande des personnes elle-mêmes. Loin de s’ancrer dans un élan éthique porté par la demande des minorités, l’organe ethnopsychiatrique s’avère donc un excellent système de relai pour les institutions confrontées à des situations complexes. On recense ainsi 44% de demandes venues du Conseil général de Seine-Saint-Denis, 14% de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, 12% par l’Aide Sociale à l’Enfance, 9% par des associations de prévention spécialisée ou encore 4% par les tribunaux. La part importante prise notamment par les tribunaux, la protection de l’enfance ou la protection judiciaire de la jeunesse démontre à quel point l’abord culturel proposé par l’ethnopsychiatrie se positionne comme outil de lecture des souffrances ou déviances sociales et comme recours privilégié pour une société malade de ses étrangers. Fassin achève sa réflexion en s’arrêtant en détail sur la problématique politique et sociale posée par l’existence de l’ethnopsychiatrie. En effet, selon l’auteur, la pratique transculturelle se positionne à un endroit politiquement délaissé, celui des difficultés rencontrées par les minorités migrantes du point de vue de l’accès au soin, de la représentation sociale de leur parole ou de leurs droits. Le sociologue refuse cependant de penser que Nathan propose une « mauvaise réponse à une bonne question », sous la forme du « culturalisme », soulignant le caractère tronqué de la question initiale. Alors que les premiers ethnopsychiatriques tels que Devereux ou Roheim ont toujours clamé la différence existant entre 111 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) psychisme et culture, mais aussi l’universalité qui préside au psychisme humain, Nathan réinvente un modèle qui incorpore le psychisme dans la culture, au point de rendre le premier inobservable sans en passer par la seconde. Ce « culturalisme radical » s’avère être le fondement principal de la pensée ethnopsychiatrique et amène à ce que Fassin décrit comme quatre violences fondamentales faites aux migrants : l’enfermement dans la culture qui prive les individus de leur universalité, l’interdit de la diversité puisqu’une culture partagée viendrait nécessairement conformer des comportements et des croyances individuelles, l’interdit de la rationalité et enfin l’effacement de la condition sociale. Le migrant se voit ainsi relégué à une entité immuable et circonscrite à sa supposée culture, au sein de laquelle se voit effacée la possibilité même de penser autrement que selon ses origines, de se départir d’une matrice culturelle originelle portée sur l’ésotérisme et la pensée magique. Il convient alors de suivre Fassin lorsqu’il interroge la nécessité de rappeler que « nombre de ces immigrés qui consultent au Centre George Devereux vivent dans des logements surpeuplés et vétustes, sont confrontés à la précarité de l’emploi et à l’incertitude des titres de séjour, font face à des situations de racisme ou de discrimination ». Pour le sociologue, l’impossibilité de parler de sa condition sociale n’est pas seulement niée par l’ethnopsychiatrie mais cette dernière représente une pratique « autour de laquelle s’organise le silence », ce qui expliquerait sans doute en partie l’attrait des pouvoirs publics pour l’objet ethnopsychiatrique. Au total, Fassin rejoint Rechtman pour dénoncer l’organe politique influent que représente l’ethnopsychiatrie de Tobie Nathan au cours des années 1990. Véritable lieu obligé lorsqu’il s’agit de comprendre l’altérité et l’étrangeté des migrants dans le milieu des institutions publiques, cette pratique abrite alors, sous un abord politiquement incorrect, un dispositif de contrôle et d’herméneutique de la souffrance dont le fondement culturaliste occulte toute possibilité d’une prise en compte holistique de la personne, réduite à son simple appareil culturel, dans sa version la plus caricaturale. 4. Critique du « mouvement des années 2000 »: de l’ethnopsychiatrie vers la psychiatrie transculturelle Il serait en tout point malvenu d’adresser à l’identique et quinze ans plus tard, les fortes critiques qu’émettaient dans les années 1990 Didier Fassin et Richard Rechtman à l’égard de l’ethnopsychiatrie. Force est de constater que les héritiers de Nathan, Marie-Rose Moro et Thierry Baubet en tête, se sont largement affranchis de la parole d’un maître parfois trop envahissant, pour donner lieu à une pensée nettement plus scientifique, et auréolée d’une volonté de réconciliation avec un certain nombre de disciplines, parmi lesquelles la psychanalyse. Le libellé fut l’un des premières étapes du changement, voyant la discipline passer du titre d’ethnopsychiatrie, ou ethnopsychanalyse, à celui de « psychiatrie transculturelle ». Toute critique ne prenant pas en compte ce « mouvement des années 2000 », marqué par une volonté de scientifisation, de refonte et de modernisation de la part des tenants de l’approche culturelle des troubles psychiques apparaitrait ainsi scientifiquement inadéquate, voire malhonnête. Pour 112 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) autant, il convient de noter qu’au-delà de la transmission d’une pensée vis-à-vis de laquelle l’affranchissement n’est pas toujours aussi net que ce qu’il n’y paraît au premier abord, l’héritage d’un réseau d’influence notable demeure la première force de la psychiatrie transculturelle, qui jouit d’une possibilité d’écoute inégalée en France pour une théorie psychiatrique. Il convient donc de revisiter l’observation critique, épistémologique et sociopolitique à l’égard de l’approche culturelle, en s’évitant de lui reprocher des errements historiques qui ne correspondrait plus à son objet et sa pratique actuelle. a. La rupture épistémologique : le complémentarisme réaffirmé Au milieu des nombreuses publications signées par des membres du réseau de la psychiatrie transculturelle depuis une quinzaine d’année, l’ouvrage collectif Psychiatrie et migrations, publié en 2003 sous la direction de Thierry Baubet et Marie-Rose Moro, offre le meilleur angle de vue pour analyser ce renversement opéré au coeur de la discipline. Les fondements de la psychiatrie transculturelle, décrite comme une « clinique de la modernité », y sont exposés par différents auteurs comme principes de base de la discipline renouvelée (Baubet & Moro, 2003). L’un des enjeux premiers des auteurs de l’ouvrage est de marquer les divergences radicales de points de vue avec Tobie Nathan et sa vision particulière de l’ethnopsychiatrie, afin de décréter la naissance d’une discipline novatrice et innovante. Pour Moro, « l’ethnopsychanalyse est une discipline nouvelle », si bien que « c’est pour sortir du débat mal posé sur l’ethnopsychiatrie » qu’est proposé le terme de clinique transculturelle. Elle écrit en ce sens à propos du Centre Georges Devereux et de Nathan : « nous sommes restés, nous nous sommes appuyés sur ce que nous avions appris avec lui, puis nous avons progressivement modifié certains paramètres théoriques et techniques ». Dès lors, la rupture est annoncée et un certain nombre de concepts introduits par Nathan sont déconstruits au fil de l’ouvrage. Imprégnés des critiques émises par les différents analystes de l’ethnopsychiatrie à la fin des années 1990, les psychiatres transculturels s’attachent alors à se positionner clairement en contrepoint de ce dernier en ce qui concerne les thématiques les plus polémiques. Ainsi, la notion de « clôture culturelle », ce que Fassin désignait sous le terme de « culturalisme radical », est clairement rejetée par ses élèves, si bien qu’il s’agit de proposer à l’exact inverse de ce que prônait Nathan une « clinique du métissage ». Marie-Rose Moro évoque ainsi son « expérience clinique tournée vers la seconde génération de migrants » pour introduire la nécessité du métissage. Point d’achoppement important, puisqu’il s’agit alors de réfuter totalement l’immuabilité culturelle que prônait l’ancien chef de service et qui apparaissait comme la clé de voûte de l’ensemble de sa pensée clinique. Ainsi la critique du culturalisme est clairement énoncée, lorsque Moro par exemple écrit que « la culture érigée en seul déterminant d’une manière d’être ou de penser conduit nécessairement à des positions simplistes, décontextualisées dans le temps et l’espace et souvent à des préjugés qui ne tiennent pas compte de l’aspect dynamique, mouvant et interactif de tout fait humain observé ». Pour 113 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) autant, nous y reviendrons plus en détail, la critique inverse de l’universalité n’est jamais loin et la crainte énoncée que la culture soit uniquement considérée comme « épiphénomène », « coloration exotique sans valeur clinique voire épistémologique ». Prise entre la nécessaire critique des positions de Nathan, qualifiées « d’excès », et le besoin de se forger une identité renouvelée, la psychiatrie transculturelle se doit alors de réaffirmer ses racines théoriques. Moro réaffirme en ce sens fortement la double appartenance de la psychiatrie transculturelle, à la fois à la psychanalyse et à l’anthropologie médicale, lorsqu’elle écrit notamment que « l’ethnopsychanalyse est […] une pratique d’orientation psychanalytique », une « perspective complémentariste qui part de la psychanalyse et de l’anthropologie ». Le complémentarisme, prôné par Devereux, s’écrit ainsi dans le dialogue entre ces deux disciplines phares. Encore une fois, on retrouve une forte défiance à l’égard de Nathan, qui se positionnait justement à travers ce que Fassin dénommait le « réseau négatif » contre les psychanalystes et, dans une moindre mesure, les anthropologues. Là où Nathan construisait une discipline par rejet et marginalisation vis-à-vis de ces mêmes disciplines, les psychiatres transculturels réaffirment une volonté forte d’affiliation à des corpus théoriques bien ancrés. Les autres disciplines citées dans cet optique du complémentarisme transculturel sont la linguistique, la philosophie, l’histoire ou encore la littérature. On peut d’ores et déjà s’étonner de ne pas y rencontrer la sociologie et, dans une moindre mesure, explicable en partie par l’ancrage psychanalytique, d’autres disciplines telles que les neurosciences. Survient alors une première problématique épistémologique que Moro balaie au travers d’une citation de Devereux, quant au statut de la psychanalyse dans la démarche transculturelle française. En effet, comment ne pas envisager la psychanalyse comme une pratique culturelle traditionnelle, ce alors que ses conditions d’émergence l’ont été dans un contexte culturel bien particulier à une époque donnée et pourquoi lui donner une place privilégiée dans la prise en charge transculturelle? La Vienne de la fin du XIXème et du début du XXème siècle semble pourtant représenter un cadre de naissance fortement marqué par le milieu philosophique, on pense à la pensée de Nietschze, littéraire, les écrits de Schnitzler ou de Zweig, médical ou encore politique de l’époque, sans qu’aucune certitude ne puisse être accordée à la validité de la discipline dans d’autres cultures. Les critiques françaises lors de la naissance de la psychanalyse fustigeaient d’ailleurs volontiers le caractère bien trop culturel de la « psycho-analyse », n’envisageant qu’avec ironie la possibilité qu’elle puisse correspondre aux esprits français (Régis & Hesnard, 1914). L’universalité psychique, critiquée lorsqu’elle provient des tenants de la psychiatrie biologique ou du DSM, sert alors de fer de lance à la légitimation de l’outil psychanalytique dans la pratique transculturelle. Moro écrit en ce sens que la psychanalyse serait une sorte de « métathéorie », subsumant de par ce statut particulier l’ensemble des pratiques thérapeutiques traditionnelles. Il apparaît ainsi étonnant de retrouver dans la littérature transculturelle une telle hiérarchisation des théories et pratiques et une universalité prônée avec une telle assurance, ce alors que la problématique de 114 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) l’universalité de l’inconscient a fait l’objet de débats importants au sein de la discipline. Ce d’autant que la psychiatrie transculturelle base sa légitimité sur la prétendue inefficacité des dispositifs de soins traditionnels pour la prise en charge psychothérapeutique des migrants. On peut lire ainsi que « dans le dispositif en face à face, le matériel recueilli auprès des patients issus de société non occidentales, est parfois pauvre » et que « l’alliance thérapeutique a du mal à se mettre en place », justement parce que le « clinicien [est] pris dans ses propres cadres culturels » (ibid). Il faudrait tout d’abord interroger le fait que l’argumentaire se base sur l’insuffisance de la technique psychanalytique, qui se verrait remise en cause par la différence culturelle. Ceci devrait amener à discuter, sinon l’efficacité de la psychanalyse de manière générale, du moins la pertinence de s’appuyer sur l’outil psychanalytique pour solutionner un problème qui semble découler de la technique elle-même. On frôle ainsi l’argument tautologique en décrétant dans un même mouvement l’inefficacité d’une technique et la solution adéquate, correspondant à un simple remaniement de cette même technique. L’ancrage théorique dans la psychanalyse et l’anthropologie, sous-tendue par un retour au complémentarisme de Devereux dont Tobie Nathan s’était volontiers départi, s’accompagne d’un pas en direction de la psychiatrie transculturelle américaine, éloignée à bien des égards de l’outil psychanalytique. Entre ces deux inspirations divergentes et le difficile héritage de la technique psychothérapeutique fondée par Nathan, le caractère hybride de la théorie proposée par Baubet et Moro est à souligner. L’éclectisme de cette pensée « métissée et cosmopolite » inscrit la psychiatrie transculturelle française comme un objet épistémologique inédit et singulier dont la multiplicité théorique est affichée comme force principale. Reste cependant à interroger le caractère nécessairement positif de cette volonté d’éclectisme au regard du risque de syncrétisme et d’incertitude qui peut présider à une telle entreprise. b. Un relativisme remanié mais toujours présent Si la rupture épistémologique est bien réelle, du point de vue théorique tout au moins, l’héritage de Nathan n’est en réalité pas complètement abandonné. La question du dispositif spécifique notamment, qui n’était pas envisagé par Devereux, pourrait en effet faire débat, puisque l’abord transculturel apparaît à première vue davantage comme un positionnement clinique à emprunter lors de la thérapie que comme légitimation de création d’un dispositif d’action spécifique. Moro salue cependant la création du dispositif ethnopsychiatrique de Bobigny, qu’elle dirige depuis plus d’une dizaine d’années aujourd’hui. Au-delà des murs, la psychiatrie transculturelle a également hérité d’un réseau fournie et d’une légitimité acquise dans l’espace publique et universitaire. Fort de ce legs, Baubet et Moro peuvent aisément écrire que « la perspective transculturelle est en train de s’imposer comme un passage nécessaire pour l’accueil et le soin des familles migrantes et de leurs enfants, mais aussi comme un mode de réflexion sur la clinique générale de ce début de XXIème siècle, […] une clinique de la 115 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) modernité. » Autoproclamée discipline d’avenir et incontournable, et force est de constater que son empreinte en France lui donne raison, la psychiatrie transculturelle affiche des ambitions de grande ampleur si bien que l’influence, que le discours plus scientifique rend moins aisément critiquable, se veut toujours grandissante. S’il s’agit à présent de dénoncer le culturalisme et l’idée même d’une « fixité culturelle », le coeur de la théorie transculturelle conserve comme fondement principal le relativisme diagnostique, appuyé sur celui remanié du relativisme culturel. La notion du relativisme survient assez rapidement dans la pensée transculturelle, lorsque Thierry Baubet critique ainsi la tendance à « surestimer la question de la fiabilité du diagnostic, en négligeant la question de sa validité transculturelle ». L’argument provient du concept de category fallacy, proposé en 1977 par Arthur Kleinman, qui désigne l’application à un groupe culturel de critères diagnostiques définis au sein d’une autre culture et dont la validité transculturelle n’a pas été établie. Il ne s’agit plus tant de relativisme total, à l’égard des catégories diagnostiques elle-même, que d’un relativisme superficiel qui interroge la fiabilité de l’acte diagnostique en interrogeant ce « qu’une entreprise comme le DSM peut tolérer comme modifications et comme relativisme ». Se mêlent alors diverses critiques, parmi lesquelles on retient celle portée contre l’approche trop catégorielle prônée par le DSM ou une autre quant aux conditions dans lesquelles les critères diagnostics ont été désignés. Pour Baubet encore, le constat est péremptoire lorsqu’il énonce qu’« il est admis que le contexte peut invalider certains critères diagnostiques », si bien que « le clinicien doit être bien conscient des biais introduits par sa propre appartenance culturelle en situation d’examen, il n’est pas un être universel mais un homme singulier avec une identité individuelle ». On oscille lors entre un rappel quelque peu naïf à l’individualité du thérapeute ainsi que de son patient et une remise en cause assertive de la notion d’universalisme. Plus loin, « la culture intervient à la fois dans la manière dont le patient va expérimenter ses symptômes, dans la manière dont il va les communiquer au clinicien, dans la sélection de ceux qu’il va considérer comme graves ou bénins, comme communicables ou devant rester cachés. ». On pourrait aisément remplacer le terme de « culture » par celui de « personnalité », « d’histoire personnelle » ou encore « d’histoire familiale » et tant d’autres encore sans faire perdre pour autant à cette phrase sa vérité première, qui veut que l’expérience de la maladie, mentale ou non, soit toujours singulière et subjective. Les psychiatres transculturels nous rappellent ainsi à la pensée de Canguilhem qui énonce qu’il n’existe pas de « science sans conscience », que l’expérience du malade est avant tout ce qui prédomine dans tout phénomène pathologique (Canguilhem, 1984). A maintes reprises est répétée l’idée que le diagnostic ne saurait être universaliste, mais surtout, être déconnecté de l’expérience individuelle vécue par le sujet, ce en quoi réintervient la pensée de Nathan. Pour Baubet les travaux ethnopsychiatriques amènent à considérer le diagnostic comme un acte qui s’intéresse « à l’expérience du sujet demandant des soins ». Louable prière que l’on peine cependant à entrevoir lorsqu’il s’agit d’évoquer dans la revue de référence par 116 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) exemple « les cliniques de l’Asie », entités diagnostiques culturelles qui englobent d’un seul mouvement l’ensemble de populations entières. Et encore faut-il interroger le poids à donner à la culture dans ce qui relève de l’expérience de la maladie et du champ des « savoirs profanes » ainsi que la signification de la mise en perspective unique de la représentation culturelle pour les populations migrantes. La conscience et la connaissance qu’a le malade de sa maladie sont bien évidemment à prendre en compte dans la prise en charge thérapeutique et la compréhension de l’individu que l’on rencontre, peu de psychiatres se permettront de le nier. Ainsi, comme le dit Fassin, « qu’en effet, il y ait, en France, comme dans tous les pays du monde, des étrangers et des immigrés, et même des indigènes de plus ou moins longue généalogie nationale, dont les référents culturels sont différents; que ces étrangers, ces immigrés, ces étrangers et ces indigènes de diverses origines aient des manières distinctes d’exprimer leurs symptômes, et dans une certaine mesure de se soigner, et qu’une attention à cette diversité soit nécessaire, l’ethnopsychiatrie est appeler à le rappeler ». Pour autant, il n’est pas certain que ce principe suffise à s’adonner à une remise en cause profonde de données scientifiques validées et répétées et à nier en partie dans le même temps la vulnérabilité psychique majeure à laquelle sont confrontées les migrants, en les assignant à une essence culturelle qui viendrait expliquer leurs comportement individuels. Rappelons à nouveau qu’avant de s’inscrire dans l’expérience individuelle du malade, la pratique transculturelle conserve sa forte implantation dans un réseau de soin basé sur des orientations venues des institutions publiques (école, tribunaux, aide sociale, services d’urgences…) mises en difficulté par l’altérité des migrants et de leurs descendants. Il est alors assez étonnant de retrouver dans la rhétorique transculturaliste le discours relativement itératif de la marginalité et de la vérité que certains ne voudraient pas voir, accusés de refuser à tout prix au nom de « l’ethnocentrisme des nosologies occidentales ». On entrevoit également assez mal comment le biais diagnostique pourrait autant intervenir dans les secondes, voire les troisièmes, générations de migrants, dont l’appartenance culturelle subit, par les mouvements d’intégration et de discrimination, des remaniements complexes qui ne permettent plus d’assigner l’individu à un essentialisme culturel aussi réducteur que celui auquel se voient réduites les nouveaux arrivants. De plus, circonscrire les personnes à une culture ethnique, revient à omettre trop aisément que la culture s’étend à un ensemble d’autres champs du patrimoine personnel. Les histoires cliniques fréquemment citées de ces femmes burundaises, sénégalaises ou encore camerounaises se retrouvent sans doute par certaines croyances ancestrales, mais aussi parce qu’elles sont femmes, précaires, dans un environnement social volontiers hostile ou négligeant. Pour autant, rappeler à l’individualité de chacune revient à dire que chacun subsume à sa manière cette appartenance commune, sans ôter l’idée qu’une femme albanaise migrante en France partagera avec elles sa condition féminine 117 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) et de migrante. Il convient ainsi de s’arrêter sur une remarque du philosophe Hervé Marchal qui écrit que « les identités culturelles peuvent être considérés comme des ressources identitaires […] l’une d’entre elle peut devenir quasi hégémonique dans les destinés personnelles, comme cela arrive parfois dans des contextes sociaux spécifiques en pénurie d’alternatives identitaires… » (Marchal, 2012). La précarisation et l’exclusion, comme le montre aisément les problématiques politiques et sociales actuelles autour de la migration et de l’intégration, favorisent une certaine forme de raidissement identitaire. S’attacher ainsi à mettre au coeur d’une problématique personnelle ou familiale complexe cette identité culturelle précise, ne reviendrait-il alors pas à s’appuyer précisément sur ce phénomène, au risque de le majorer et d’inscrire définitivement les relais identitaires autres à un inatteignable second plan? Gageons que la pensée théorique autour du métissage suffise à éviter cet écueil, rendu saillante par la grande difficulté qu’ont les psychiatres transculturels à intégrer la problématique sociale au cœur de leur pensée, malgré la volonté affichée de ne pas la laisser de côté. Un regard analytique sur les articles proposés dans la revue l’Autre montre qu’en plus de dix ans d’existence, les problématiques sociales et politiques rencontrées par les migrants n’y ont jamais été traitées de manière approfondie, autrement que sous l’angle de la culture ou d’une certaine psychologisation des phénomènes. Autre remarque, d’ordre à la fois sociologique et épistémologique, quant à un certain folklorisme transculturel qui semble s’intéresser avant tout aux cultures exotiques africaines, si bien qu’il est souvent question dans les études de cas ou les questionnements théoriques de patients originaires d’Afrique subsaharienne ou du Maghreb. Aminata, « femme wolof de Dakar », fait place à Mme N., « d’origine burundaise », puis encore une « patiente camerounaise de 27 ans » ou une nouvelle « patiente sénégalaise de 60 ans ». On s’étonne ainsi de n’entendre que très peu parler des migrants issus d’Europe de l’Est et notamment des Balkans, qui représentent la majeure partie des personnes immigrés arrivées en France au cours de la dernière décennie, dont les particularités culturelles semblent moins intéressantes pour la psychiatrie transculturelle que celles des personnes originaires d’Afrique. Cette manière d’opérer loin d’être anodine, répond en partie à l’histoire de l’ethnopsychiatrie, fondée sur les travaux de l’école de Fann dans les années soixante, située à Dakar et dirigé par le Dr Collomb, dans un contexte colonial établi. Fassin évoque ainsi une « ethnopsychiatrie post-coloniale » qui, si elle s’est grandement démarquée de ses racines peu glorieuses, n’en demeure pas moins nécessairement redevable aux travaux initiaux et à une manière de faire de la psychiatrie en contexte transculturel qui lui a valu sa légitimité première. Car les travaux empiriques ou scientifiques sont finalement assez peu nombreux, et les « découvertes » ethnopsychiatriques se doivent de rendre compte de réalité préénoncées, à savoir encore une fois que le diagnostic chez des patients migrants est incertain. « L’influence qui grandit » comme la nomme Fassin semble se baser finalement davantage sur des positions théoriques fermes, assorties de quelques résultats dont la validité n’est pas toujours assurée et jamais répétée, que sur des découvertes innovantes qui amèneraient vers davantage de connaissances. 118 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) L’écueil semble définitivement atteint, lorsqu’est proposé l’idée d’une construction sociale du trouble mental, amenant certains à auteurs à postuler que les migrants étiquetés comme malades chez nous seraient considérés comme sorciers ou guérisseurs dans leur pays. Réal et al. écrivent en ce sens qu’ « il n’est pas rare que les guérisseurs traditionnels soient des psychotiques stabilisés : leur accession à cette fonction est culturellement organisée et traitée en radicalisant leur altérité ». De la dépression cachée ou du syndrome de stress post-traumatique complexe sous un abord de discussion diagnostique tout à fait pertinente, à la maladie qui n’en est pas, sous le prisme d’un relativisme nettement plus général sur la notion de maladie mentale et proche des travaux de Szasz (Szasz, 1974), le pas est parfois rapidement franchi. Postuler un tel relativisme revient à s’éloigner non seulement de la souffrance et de l’expérience des personnes rencontrées mais aussi à nier la réalité de nombreux malades mentaux dans un certain nombre de pays en voie de développement, où la stigmatisation et la méconnaissance peuvent mener à des tragédies telles que ces personnes enchaînées dans des villages reculés décrites par nombre de psychiatres de pays en voie de développement. Au total, la psychiatrie transculturelle se construit depuis une quinzaine d’années comme un objet théorique et clinique singulier, dont les fondements ont correspondu à une rupture épistémologique avec l’ethnopsychiatrie de Nathan, au prix d’affiliations renouvelées avec d’autres disciplines. A s’amarrer à différents champs théoriques contradictoires, la psychiatrie transculturelle se confronte au risque d’un syncrétisme majeur, camouflé sous les atours d’un éclectisme valorisé par ses auteurs. Un exemple édifiant est le cas de l’ethnopsychopharmacologie (sic), à laquelle un chapitre entier est consacré dans l’ouvrage fondateur de 2003 et qui se voit vertement critiquée dans un article datée de 2008 dans la revue l’Autre. Cette anecdote démontre toute la difficulté qui advient lorsqu’il s’agit de dénoncer à tout prix les préjugés et le « racisme institutionnel » dont serait gangrénée la psychiatrie moderne sans tomber dans la catégorisation selon l’origine. Remettre pour se faire la culture au coeur de la réflexion clinique peut amener à des écueils malheureux, liés au fait que prendre en compte la différence culturelle confronte rapidement à la critique de l’universalisme et au retour d’une classification ethnique pourtant rejetée. De même, construire une discipline sur un certain rejet de la « science normale » (Kuhn, 1967) occidentale tout en s’offrant une caution scientifique universitaire, amène à un grand écart difficilement soutenable sur le long terme. La critique de l’universalisme, accusé de provenir de la psychiatrie biologique américaine, est l’occasion d’instaurer un relativisme culturel à l’égard de tout ce qu’elle peut produire, sans imaginer un seul instant qu’elle puisse recourir des conclusions proches de celles des psychiatres transculturels français. 119 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) 5. Problématique des liens entre schizophrénie et migration Au coeur de cette refonte importante, la problématique des liens entre psychose et migration demeure pour les ethnopsychiatres, notamment français, un point de critique majeure des travaux internationaux menée par l’evidence based-medecine. En effet, l’on retrouve très fréquemment le refus d’associer d’un point de vue causal psychose et migration, les travaux critiques à l’égard des données des méta-analyses étant même le plus souvent cités comme vérités sur le sujet. On peut ainsi lire dans différents articles co-écrits par Marie-Rose Moro qu’il existe une « surreprésentation d’hypothèses de psychose pour des patients qui ne le sont pas » (Réal, Cohen, Koumentaki & Moro, 2014), ou dans un autre que « les situations transculturelles […] sont sujettes à des erreurs diagnostiques avec une surestimation des psychoses parmi les migrants ou les minorités » (Bouaziz et al., 2013). Dans une revue de la problématique publiée en 2009 (Baubet et al., 2009) puis en 2012 dans un ouvrage collectif (Daléry et al., 2012), les ethnopsychiatrie français distinguent trois critiques principales aux études internationales: • stabilité du diagnostic • validité transculturelle • simplification de la migration Le discours initial est donc celui d’une critique, fondée en soi, des études internationales et des résultats des deux méta-analyses, rapidement transformé en un relativisme diagnostique assez évident lorsqu’ils écrivent que « la psychiatrie transculturelle nous enseigne qu’il n’y a aucune variable mesurable naturelle connue à ce jour dans le champ de la psychiatrie ». Nous ne reviendrons pas dans cette partie sur les limites à émettre quant aux critiques énoncées par les psychiatres transculturels, pour s’attacher à comprendre les alternatives proposées par ces derniers. Tout d’abord, le concept de « traumatisme migratoire » est fréquemment utilisé pour défendre l’hypothèse de l’état de stress post-traumatique ou de la dépression. La particularité de la symptomatologie dépressive chez les populations non-occidentales est ainsi rappelée, sous la forme de référence aux travaux d’Henri Collomb notamment qui décrivait sous l’appellation « masque noire de la dépression » l’existence de davantage de symptômes somatiques et psychotiques dans les dépressions au Sénégal. Les psychiatres occidentaux verraient ainsi moins aisément les tableaux de trouble de l’humeur et post-traumatiques chez les migrants, du fait de la coloration culturelle donnée aux symptômes, avec une prépondérance de troubles d’ordre psychotique. Le syndrome de stress post-traumatique complexe est ainsi cité du fait de sa symptomatologie protéiforme, comprenant des éléments dissociatifs ou hallucinatoires, ainsi que des modifications profondes de la personnalité. Il s’agit alors d’insister sur la phase pré-migratoire, période généralement liée à des traumatismes complexes, qu’il s’agisse de traumatismes de guerre, sexuels ou encore familiaux, puis sur le caractère traumatique de la 120 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) confrontation avec une culture d’accueil profondément différente. Si cet argument est recevable pour les migrants de première génération et explique sans doute une part importante de la psychopathologie liée à la migration, il s’avère nettement moins évident pour la seconde génération, qui n’a connu aucune de ces deux phases. Ensuite, la disparité dans les résultats retrouvés indique que toutes les migrations ne sont pas à risque et que davantage que les évènements antérieurs, sans nier nullement leur rôle, ce sont les conditions post-migratoires qui agissent comme déterminants principaux du risque psychotique. On s’étonnera de plus que dans les critiques faites aux travaux sur les liens entre schizophrénie et migration, les ethnopsychiatrie français reprochent le manque de prise en compte des conditions de migration (forcée ou choisie), ce alors que la théorie ethnopsychiatrique se détourne en grande partie des questions psychosociales, puisqu’avant tout la culture interviendrait dans la question diagnostique. Une étude de Johns, portant sur les hallucinations dans les différentes ethnies en Angleterre, est ainsi systématiquement citée. Or ce dernier n’a nullement pris la peine d’ajuster d’autres facteurs de risque tels que la discrimination ou l’exclusion sociale, dont plusieurs études ont montré les effets du point de vue des symptômes hallucinatoires. Ainsi, alors qu’on pourrait proposer l’hypothèse que les afrocaribéens présentent davantage d’hallucinations du fait de leur condition discriminée, cette dernière n’est nullement prise en compte, au prix d’une essentialisation des symptômes qui voudraient que les afro-caribéens soit plus enclins à présenter des symptômes hallucinatoires, ce qui serait un fait d’ordre culturel à connaître de la part des psychiatres occidentaux. Ainsi Baubet écrit-il à la fois que « les épisodes psychotiques brefs et de bon pronostic sont fréquents en situation transculturelle, et ils peuvent correspondre à une tentative de réaménagement identitaire » mais propose « de ne pas assigner à ces patients un diagnostic de psychose dès le premier épisode ». Il s’agit ainsi de valider l’idée d’une vulnérabilité à la psychose, fut-elle d’expression brève et de bon pronostic, tout en la réfutant dans la phrase suivante. Les psychiatres trasnculturels se retrouvent alors volontiers contradictoires au cœur d’un paradigme qui assène des vérités dont il devient difficile de se départir. 6. Conclusion Il convient donc de rejoindre les ethnopsychiatres sur un point en particulier, à savoir que la maladie s’ancre avant tout dans l’expérience individuelle d’un sujet, qu’elle infiltre un réseau de savoirs et de représentations propres à chacun. Pour ce faire, il convient de se porter sur la souffrance ressentie, d’observer la vulnérabilité psychopathologique à laquelle font face les migrants, avec l’honnêteté scientifique qui sied à un phénomène si inquiétant auquel Craig Morgan assigne volontiers le titre de « tragédie de santé publique » ou Jean-Paul Selten « d’épidémie de psychose ». Nier l’idée même d’une vulnérabilité psychique des migrants dans les sociétés occidentales, portée pour diverses raisons étiopathogéniques, à l’endroit de la psychose, au nom d’un relativisme diagnostique finalement peu argumenté scientifiquement, n’apparaît pas comme une position éthique ou déontologique d’un point de 121 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) vue médical. Que la culture intervienne dans l’expérience du sujet, qu’elle teinte en partie les symptômes observés, que les concepts d’ethnicité ou de migrants utilisés dans les études soient au mieux à expliciter davantage, à questionner en profondeur, voire à abolir au profit de termes plus adaptés à la réalité de ce qu’ils recoupent, notre travail est loin de le nier. Pour autant, l’introduction des notions culturelles dans l’acte diagnostique ou thérapeutique, au nom de la prise en compte de l’individualité, ne doit aucunement amener à recourir à un réductionnisme culturaliste qui nierait justement l’expérience individuelle d’un sujet dont la culture ne représente qu’une part dynamique de l’identité. De même, s’adonner à un relativisme scientifique, fut-il de surface, ne doit en aucun cas annihiler, au nom de principes hérités d’une pratique professionnelle dont les assises sont hautement contestables, la possibilité d’entendre et d’observer un phénomène de santé publique qu’il convient de considérer comme ce qu’il est, à savoir en enjeu majeur pour les psychiatres et les pouvoirs publics contemporains. Il n’existe aujourd’hui aucune preuve scientifique consistante que le phénomène du biais diagnostique puisse expliquer à lui seul les risques relatifs de psychose observés chez les migrants, tandis que les travaux menés depuis maintenant plus de soixante-dix ans concordent de manière univoque pour désigner, et dénoncer, la vulnérabilité des migrants au sein des sociétés occidentales. Comme le disent Selten et Hoek, tout se passe comme « s’il fallait que les migrants soit épargnés du diagnostic stigmatisant de schizophrénie » en lui préférant celui de trouble bipolaire ou de trouble de l’humeur (Selten & Hoek, 2008). Force est de constater au fil des études, qu’il existe une vulnérabilité psychopathologique partagée par les migrants, d’autant plus marquée qu’existe un phénomène de bonne santé à l’arrivée (le healthy immigrant effect précédemment cité), vulnérabilité qui tend à se porter du côté de la psychose non-affective, et que partir de cette réalité scientifique n’empêche nullement d’accéder à l’expérience individuelle et à l’identité culturelle de la personne. L’enjeu s’avère aujourd’hui de mieux comprendre les causes précises de cette augmentation du risque de psychose au sein des populations migrantes, afin de pouvoir lutter efficacement contre ce phénomène de santé publique duquel la France n’est nullement épargnée (Amad et al., 2013). La critique de la psychiatrie transculturelle française se doit alors d’être double, tant du point de vue des fondements épistémologiques de la discipline, mais également des conséquences sociopolitiques qu’elle peut avoir pour les personnes migrantes vulnérables dont elle a fait son terrain d’expertise et de recherche. Notre travail a tenté de s’inscrire dans cette double critique, en tenant compte des modifications auxquelles la discipline s’est astreinte dans les suites d’une première vague de critiques dans les années 1990. 122 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) C. Vers la psychiatrie sociale 1. Histoire et concepts Née au sortir de la seconde guerre mondiale au Royaume-Uni, la psychiatrie sociale trouve dans la désinstitutionnalisation et le contexte particulier de l’après-guerre que connaît à l’époque la psychiatrie européenne le terreau propice à son expansion et l’introduction d’idées novatrices au sein de la discipline. Ainsi, dès 1946, l’Association Médico-Psychologique Royale comprend une section intitulée « Psychothérapie et Psychiatrie Sociale ». Sous l’impulsion des psychiatres Maxwell Jones et Tom Main, les premiers travaux s’intéressent à l’impact des types d’organisation sociale sur la santé mentale des individus, amenant aux premières expériences de « communautés thérapeutiques ». C’est donc en Angleterre que se mettent en place les principes de la psychiatrie sociale moderne, avec la création en 1964 à Londres de l’Association Internationale de Psychiatrie Sociale, qui deviendra par la suite l’actuelle Association Mondiale de Psychiatrie Sociale (World Association of Social Psychiatry WASP), sous l’impulsion de Joshua Bierer, psychiatre d’origine autrichienne ayant fui le nazisme pour rejoindre l’Angleterre en 1938. Avec un certain nombre d’autres psychiatres européens, il organise le premier Congrès mondial de psychiatrie sociale, qui est l’occasion de définir les enjeux de cette discipline nouvelle. Bierer devient pour quatre ans le premier président de la WASP, suivi par Jules Masseman, Vladimir Hudolin et George Vassilou, pionniers dans l’avènement de la psychiatrie sociale au cours des années 1960-1970. Le second congrès de l’association se tient de nouveau à Londres en 1969, avant que les années 1970 ne le voit s’exiler dans d’autres pays européens puis sur d’autres continents, ce qui favorise alors l’ouverture de la psychiatrie sociale en dehors du Royaume-Uni et du monde anglo-saxon. Les différents congrès eurent en effet lieu en Croatie en 1970 et 1976, à Jérusalem en 1972, à Athènes en 1974 ou encore à Lisbonne en 1978. L’année 1973 voit la création de la section « Psychiatrie Sociale et Communautaire » du Collège Royal de Psychiatrie, lui-même créé deux ans plus tôt. L’organisation de ce laboratoire inédit de psychiatrie sociale se répartit alors en trois aspects principaux que sont : une unité dédiée à l’organisation des soins communautaires, une seconde au développement d’un travail de partenariat avec les professionnels du monde médico-social et du social dans une optique de prévention, ainsi qu’une dernière section dédiée à la recherche et l’enseignement autour des aspects sociaux des pathologies mentales, à des fins notamment épidémiologiques. Ce triptyque initial résume les concepts généraux de la psychiatrie sociale qui s’intéresse dès ses débuts aux différentes modalités d’interactions entre individu et environnement social dans le cadre de la santé mentale. Malgré la pérennité de la WASP depuis plus d’une cinquantaine d’années, l’intérêt grandissant pour la psychiatrie biologique au cours des années 1980 et 1990 a suffisamment impacté celui pour la 123 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) psychiatrie sociale, notamment aux Etats-Unis, pour que le nombre de publications médicales sous l’abord psychosocial ait plutôt tendu à diminuer à cette époque après une période d’expansion croissante. La WASP a ainsi rencontré un certain nombre de difficultés, financières notamment, qui l’ont amené à diminuer le nombre de congrès dans les années 1980 et, plus marquant encore, à devoir annuler celui de 1988 par manque de budget. La légitimité de la psychiatrie sociale a été mise en péril dans son berceau même, avec un appauvrissement croissant des moyens universitaire alloués aux unités de recherche qui lui étaient affiliées en Angleterre. Malgré ces effets collatéraux, la psychiatrie anglaise n’a pas été affectée aussi fortement que d’autres pays par l’arrivée des deux grandes révolutions qu’ont été la psychanalyse puis la psychiatrie biologique, ce qui a permis à la psychiatrie sociale de conserver une place à part entière dans la psychiatrie d’outre-Manche. Leff explique également cette vitalité par l’approche clinique des unités psychiatriques du Royaume-Uni, qui ont toujours réservé aux interventions à domicile et dans la communauté une place privilégiée au sein de leur pratique quotidienne (Leff, 2010). En France, la psychiatrie sociale n’est jamais parvenue à s’imposer comme une discipline de haut rang au milieu d’autres courants. L’Association Française de Psychiatrie et de Psychopathologie Sociales (AFPPS), créée en 1975 sous l’impulsion de Paul Sivadon, n’a ainsi jamais joui d’une écoute aussi importante que d’autres courants et n’apparaît pas comme majeure dans l’histoire de la psychiatrie française. Pour autant, la France n’a pas été totalement à l’écart du mouvement européen et mondial autour de la psychiatrie sociale. Ainsi, le Neuvième Congrès Mondial de Psychiatrie s’est tenu en juillet 1982 à Paris, sous l’impulsion du psychiatre Pierre Jean et l’AFPPS a organisé en avril 1991 en Congrès Européen de psychiatrie sociale à Toulouse puis en 1995 un second à Marseille. Sous l’impulsion des psychiatres Jean de Verbizier et Pierre-François Chanoit, un certain nombre d’ouvrages sont édités entre la fin des années 1980 et le début des années 1990 autour des problématiques questionnées par la psychiatrie sociale, allant de l’épidémiologie psychiatrique, à la recherche en psychiatrie sociale, en passant par la psychopathologie liées aux changements sociétaux (Chanoit & De Verbizier, 1995; 1991; 1986; 1985). L’ouvrage pionnier daté de 1985, Informatique et épidémiologie psychiatrique, visait notamment à introduire l’intérêt de la démarche épidémiologique dans la recherche et la clinique psychiatrique hexagonale. Force est de constater que l’article de Chanoit en 1995 titré L’avenir de la psychiatrie sociale n’a pas donné lieu, avec l’entrée dans le XXIème siècle, à une pérennisation en France de cette branche de la discipline à la hauteur de ce qu’espérait ces défenseurs au milieu des années 90. Il est à noter cependant que l’Association Croix-Marine, regroupant un certain nombre d’associations et d’institutions de la santé mentale, est porteuse depuis plusieurs décennies du courant de la psychiatrie sociale en France (Arveiller et al., 2002). Le caractère non universitaire de cette démarche clinique et associative démontre cependant toute la difficulté existante à faire entendre la légitimité de la psychiatrie sociale dans la recherche en psychiatrie. De plus, la place prise dans la 124 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) psychiatrie de secteur par la psychanalyse, notamment suite aux travaux de Jacques Lacan, la psychothérapie institutionnelle, ou plus récemment l’ethnopsychiatrie et la psychiatrie transculturelle ont toujours relégué le social à un déterminant réel mais non principal de la santé mentale, au profit d’une « psychiatrie clinique » s’attachant davantage à la psychopathologie individuelle qu’à la santé mentale des populations. De ce fait, la méthode épidémiologique a beaucoup été critiquée ou sousestimée par un certain nombre d’auteurs français, ce qui n’a pas favorisé l’apport de la psychiatrie sociale dans la démarche psychiatrique hexagonale. Il est à ce titre intéressant de noter que l’actuelle Association Française de Psychiatre Sociale est une branche de l’Association Françoise et Eugène Minkowski, dont l’approche répond principalement aux théories psychanalytiques et transculturelles, ce qui l’éloigne en grande partie de la psychiatrie sociale anglo-saxonne. Les réflexions sur le lien social et ses effets psychopathologiques ne manquent cependant pas dans la littérature française, si bien qu’il serait faux d’écrire que le social n’a jamais intéressé les psychiatres et psychopathologues français, ce d’autant plus que le mouvement de désinstitutionnalisation d’après-guerre a amené à d’importantes réflexions au sujet des liens entre psychiatrie et société. Pour autant, l’abord du social a souvent concerné des réflexions générales sur la manière de faire société, croisant des approches sociologiques, anthropologiques et psychodynamiques, dont les troubles présentés par les patients seraient une sorte d’issue finale. La méthode épidémiologique n’a presque jamais été favorisée dans l’approche psychiatrique française au profit d’une conceptualisation empirique qui voit dans les trajectoires individuelles des patients rencontrées une sorte de miroir grossissant des réalités sociales et des changements sociétaux observés au fil de l’histoire. La thématique des « nouvelles pathologies » ou des « formes nouvelles de la souffrance psychique » prend ainsi une place non négligeable dans la littérature française, dans un certain nombre d’écoles de pensées différentes. Dans son analyse du phénomène Alain Ehrenberg, évoque une manière de passer « du pathogène au normatif » qui voit les psychiatres s’octroyer des capacités dans l’analyse des phénomènes sociaux, sans s’interroger pour autant quant à la méthode utilisée pour mener cet abord sociologique (Ehrenberg, 2010). Les auteurs contemporains définissent la psychiatrie sociale comme la discipline s’intéressant aux « effets de l’environnement social sur la santé mentale des individus ainsi qu’aux effets de la personne souffrant d’un trouble psychiatrique sur son environnement » (Leff, 2010). Conformément aux fondements historiques, la psychiatrie conserve un triple abord de la problématique des liens entre environnement social et santé mentale. Tout d’abord, il s’agit de caractériser le rôle des facteurs sociaux dans l’épidémiologie psychiatrique, la genèse et l’apparition des pathologies mentales. Le second volet concerne l’accès aux soins, les trajectoires de soins et les thérapies orientées en direction de l’environnement social tels que les thérapies communautaires, tandis que le dernier volet s’intéresse à la place donnée aux personnes atteintes de pathologie mentales dans la société, dans l’optique notamment 125 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) de diminuer la stigmatisation. L’environnement social est ainsi envisagé comme un ensemble complexe, comprenant les différents systèmes, institutions ou individus, présents autour de l’individu et pouvant influer sur ses conduites, son accès aux soins ou son état de santé, allant de la culture, décrite comme la part la plus externe, jusqu’à la famille proche, en passant par les collègues, les voisins ou encore le cercle amical. Si la psychiatrie sociale n’est pas la seule à s’intéresser à l’environnement familial ou social d’un individu, c’est davantage sa méthode de compréhension des phénomènes sociaux qui la démarque de la psychologie sociale ou d’autres sciences de l’homme et de la société. En effet, l’épidémiologie apparaît comme la méthode principale de la discipline, sous la forme d’études de cohortes ou d’études cas-témoins notamment, laissant également la place aux méthodes qualitatives. L’abord n’est en effet pas celui de l’étude de cas, comme peut le faire la psychanalyse, par exemple. Cette particularité méthodologique n’empêche en rien la psychiatrie sociale d’interagir avec un certain nombre de disciplines telles que la psychologie sociale, la sociologie, les sciences cognitives, les neurosciences sociale ou encore l’anthropologie sociale. Le travail commun est encouragé, en vue d’appréhender au mieux le rapport complexe existant entre environnement social et santé mentale. En effet, si la dichotomie est souvent soulignée entre psychiatrie biologique et psychiatrie sociale, cette dernière n’a pas vocation à remettre en causes les découvertes neurobiologiques en matière de santé mentale. Sivadon écrivait en ce sens dès 1985 que « la psychiatrie sociale ne s’oppose pas à la psychiatrie biologique: elle en est la contrepartie obligée. L’une sans l’autre se pervertirait rapidement » (in Chanoit & De Verbizier, 1985). 2. Intérêts Les arguments ne manquent pas pour souligner l’intérêt de la psychiatrie sociale dans l’optique d’une meilleure compréhension des pathologies mentales et de leurs interactions avec l’environnement social. Qu’il s’agisse du rôle de ce dernier dans la genèse et l’étiopathogénie des troubles, de son impact sur leur évolution ou encore des conséquences de la prévalence des pathologies mentales sur la société et le lien social, les perspectives de recherche et de réflexions sont excessivement nombreuses. Il serait impossible de recenser dans ce travail l’ensemble des perspectives et challenges offert par la psychiatrie sociale, dont l’ouvrage Principles of Social Psychiatry, coordonné par Craig Morgan et Dinesh Bughra offre un aperçu exhaustif (Morgan & Bughra, 2010). a. Epidémiologie des troubles psychiatriques Au-delà d’un prétendu déclin du lien social ou malaise dans la société, dont la réalité sociologique a largement été contestée par Alain Ehrenberg notamment, les effets psychopathologiques de l’environnement social s’avèrent être un passionnant terrain de recherche. En effet, il convient de dépasser l’argumentaire, finalement assez peu documenté, d’une modification de la clinique 126 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) psychiatrique apparue ces dernières années en lien avec un défaut ou une modification de structuration de la société, pour s’intéresser davantage aux conséquences réelles de la précarité, de la pauvreté ou de l’adversité sociale sur la santé mentale des individus. Tout d’abord, la forte prévalence d’un certain nombre de pathologies mentales en fait une problématique de société importante, en ce qu’elles représentent une morbidité majeure en terme de coût humain et financier. La forme sociale d’une part non négligeable des symptômes psychiatriques et leur forte prévalence suffiraient ainsi à légitimer l’intérêt d’une psychiatrie portée sur l’environnement social des personnes atteintes de troubles mentaux. Dans le domaine épidémiologique, un certain nombre de recherches ont apporté des pistes concernant le rôle des facteurs socio-économiques dans différentes pathologies mentales, telles que la schizophrénie, la dépression, les troubles anxieux ou addictifs mais aussi les troubles de personnalité. Les effets pychopathologiques de l’adversité sociale sur la santé mentale apparaissent dès l’enfance et l’adolescence, cette dernière étant responsable d’une moins bonne santé mentale chez les jeunes appartenant à des populations précarisées. La problématique des liens entre facteurs socio-économiques et santé mentale permet d’introduire le débat entre « théorie de la dérive sociale » (social drift theory) et « théorie de la causalité sociale » (social causation theory)(Perry, 1996; Hurst, 1992). Le rapport évident entre inégalités sociales et pathologies mentales pose en effet la question de savoir si les pathologies mentales trouvent une partie de leurs causes dans des conditions de vie précaire ou si la vulnérabilité psychique et les troubles mentaux favorisent le regroupement d’individus à risque dans des zones géographiques défavorisées. Si les études épidémiologiques peinent à trancher cette question du fait de la difficulté à analyser ces phénomènes dans leur composante temporelle, les travaux en neurosciences tendent à apporter des arguments en faveur de la théorie de la causalité sociale, en démontrant l’existence d’effets neurobiologiques et cognitifs de l’adversité sociale, marqueurs de risque de morbidité ultérieure. Les effets neurocognitifs de l’adversité sociale sont aujourd’hui partiellement connus et démontrent l’existence de conséquences objectivables des conditions socio-économiques des individus et de leur famille sur leurs capacités cognitives et leur fonctionnement cérébral. De plus, les travaux sur l’interaction environnement x environnement sont également en faveur de cette théorie, la potentialisation précédant l’entrée dans la maladie des différents facteurs défavorables venant signifier leur antériorité sur la survenue des troubles. Enfin, les études ayant démontré la prépondérance de cas de personnes à haut risque de psychose dans des quartiers défavorisés (Kirkbride et al., 2014) sont en défaveur de la théorie de la dérive sociale. b. Méthodes de recherches La volonté d’appréhender la complexité des liens entre santé mentale et environnement social a démontré au cours des dernières décennies toute la difficulté qui advient lorsqu’il s’agit de circonscrire ce dernier en vue d’analyser ses prétendus effets psychopathologiques. Les débats fournis autour de la 127 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) notion de capital social (Hatch & March in Morgan & Bughra, 2010; Ponthieux, 2006) que nous avons évoqué plus haut illustrent en partie la difficulté qui advient lorsqu’il s’agit de saisir la réalité de ce que représentent réellement des concepts tels que ceux de support ou de lien social. S’intéresser aux effets de l’environnement social invite nécessairement à discuter de la pertinence des outils disponibles pour analyser la réalité des interactions sociales et de leurs conséquences sur les individus. L’apport combiné de différentes méthodes et disciplines de recherches tels que l’épidémiologie, la sociologie, la psychologie sociale, mais aussi la géographie, l’économie de la santé ou encore l’urbanisme apparaît alors comme une nécessité absolue pour se donner les moyens d’analyser au mieux le phénomène observé. La méthode épidémiologique s’avère excessivement pertinente pour connaître la répartition des troubles mentaux selon les zones géographiques, les tranches d’âge, le sexe, la catégorie socioprofessionnelle ou d’autres données socio-démographiques. L’abord populationnel des facteurs de risque et de la répartition géographique des troubles mentaux offre des pistes de prévention et d’action et matière de santé publique. L’identification précise des populations à risque s’annonce comme un défi majeur des recherches à venir pour définir et comprendre plus précisément dans les années futures l’épidémiologie des troubles mentaux chez les migrants. Qu’il s’agisse de facteurs administratifs (statut de réfugié, demande d’asile…), géographiques (zones urbaines sensibles, milieux urbains spécifiques..) ou socio-culturels (populations particulièrement ostracisées, soutien communautaire…), la part précise de chacun des différents déterminants se devra d’être spécifiée. L’exemple des liens entre urbanicité, migration et schizophrénie démontre bien cependant le chemin de recherche qu’il reste ensuite à parcourir pour comprendre les déterminants concrets qui construisent un tel rapport de causalité entre des phénomènes aussi distincts, dont le champ d’étude se situe au carrefour de disciplines différentes. Les psychiatres et chercheurs en santé mentale ne sauraient devenir soudain experts dans l’étude de la ville et de son fonctionnement ou des flux migratoires tout comme les urbanistes, sociologues ou philosophes spécialistes des milieux urbains et de la migration ne sauraient s’improviser acteurs de la santé mentale. L’écogénétique ou l’enviromique fonctionnelle correspondent à de nouvelles approches couplant études épidémiologiques et génétiques (van Os, 2008). Elles apparaissent comme des disciplines d’avenir pour une meilleure compréhension de la schizophrénie notamment, et des interactions gène x environnement de manière plus générale. L’intérêt des méthodes qualitatives s’inscrit également au coeur de la psychiatrie sociale, dans l’optique d’appréhender cet objet si complexe et dynamique que représente l’environnement social. La volonté d’analyser les effets de socialisation et les interactions individu-société dans le milieu naturel, en minimisant la sélection des sujets ou les facteurs d’exclusion dans les études, offre une panoplie 128 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) d’outils pour la compréhension fine des phénomènes sociaux. En s’approchant ainsi au plus près des conditions réelles sans s’attacher nécessairement à la validité uniquement statistique des résultats, ces méthodes permettent d’obtenir une grille d’analyse de phénomènes complexes et une meilleure granularité des données, là où les méthodes quantitatives offrent une plus grande validité statistique, au prix d’un réductionnisme apportant des éléments nettement plus éparses sur un phénomène global. L’utilisation couplée des méthodes qualitatives et quantitatives, sans hiérarchisation de l’une vis-à-vis de l’autre, s’impose aujourd’hui comme perspective d’avenir pour la recherche clinique en permettant d’articuler une approche « bottom-up » (approche qualitative) et « top-down » (approche quantitative). Les débats autour de la notion d’ethnicité par exemple démontrent que l’apport des sciences humaines est primordial pour permettre de mieux définir les facteurs constituant l’identité personnelle et son rapport à une origine, à une communauté d’appartenance ou un pays d’accueil. Ceci permettra à l’avenir de mieux définir les groupes étudiés et d’affiner l’étude des facteurs de risque. c. Thérapeutiques, parcours de soin et trajectoires sociales Si l’impact des facteurs sociaux sur la santé mentale des individus est un enjeu majeur pour la psychiatrie sociale, l’étude des conséquences des troubles mentaux sur les parcours sociaux de ces mêmes personnes n’en demeure pas moins primordiale. Comprendre ainsi les déterminants socioculturels qui influencent en partie les trajectoires de soin ou les parcours de vie des personnes malades s’avère tout aussi nécessaire. Ainsi, des questions telles que le retard dans l’accès au soin, la discontinuité des parcours de soin, les ruptures thérapeutiques ou encore la place donnée aux personnes atteintes d’un trouble mentale sévère au sein des sociétés modernes s’inscrivent dans des perspectives de recherche tout à fait pertinentes. Différentes études ont permis d’appréhender les facteurs déterminant la manière d’entrée dans les soins selon les individus. Alors que les stratégies de coping individuelles agissent en premier lieu, elles sont elles-mêmes modelées par les conseils donnés par les personnes formant l’environnement social de l’individu, que l’ont peut schématiquement diviser en trois systèmes : le système non professionnel (famille, amis, collègues), le système alternatif (médecins alternatives, membres religieux…) et le système social (travailleurs sociaux, forces de l’ordre, enseignants…)(Anenhensel, Phelan & Bierman, 2012). Ainsi, l’avis de la famille, des amis, des collègues ou du système social peut jouer un rôle majeur dans les comportements des individus vis-à-vis du soin. Les différentes modalités d’entrée dans le soin peuvent inclure ou non une interaction préalable avec une partie ou l’ensemble de ces différentes personnes ressources, avant d’entraîner des consultations spécialisées, auprès du généraliste ou d’un psychiatre, mais aussi l’absence de consultation, au profit de solutions trouvées auprès de personnes ressources plus proximales. Une étude menée à Porto-Rico retrouvait ainsi un taux élevé (40%) de parcours de soin n’aboutissant jamais à une consultation médicale auprès d’un 129 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) généraliste ou d’un psychiatre, malgré des discussions au sujet des symptômes rencontrés avec différents membres du système social, alternatif ou non professionnel de l’individu (Bernice et al., 1998). L’information auprès de l’ensemble de ces personnes ressources apparaît ainsi primordiale lorsque l’on prend en considération le fait qu’une part non négligeable des personnes atteintes de troubles mentaux sévères ne bénéficient pas de soins adaptés (treatment gap), du fait de ces parcours de soin complexes (Wang et al., 2005). La question de la demande se positionne ainsi comme enjeu majeur de santé publique, sa présence ne devant pas s’interposer comme nécessité pour engager un suivi en psychiatrie. La « clinique de la non-demande » et l’accès aux soins en santé mentale des plus démunis s’avèrent ainsi être des enjeux majeurs pour la psychiatrie sociale, nécessitant un abord pluridisciplinaire pour les appréhender au mieux. On voit en effet aisément comme la pauvreté ou une raréfaction des différents systèmes entourant l’individu peut mener à un isolement et un défaut de recours au soin. En diminuant les comportements pro-sociaux et le sentiment de confiance, l’exclusion sociale peut ainsi conduire à une défiance vis-à-vis de ces différents systèmes. Il est envisageable de penser que le phénomène de densité ethnique répond à la mise à disposition d’un réseau non professionnel et alternatif suffisamment solide et cohérent pour favoriser l’accès aux soins précoces des personnes à risque de psychose. Les recherches sur le rôle protecteur du capital social et du support communautaire ou social dans l’étiopathogénie de la schizophrénie apparaissent ainsi comme des pistes d’étude pertinente, afin de mieux cerner le rôle précis des éléments de soutien dans la prévention des troubles. L’abord quantitatif et qualitatif, porté par des disciplines diverses apparaît ici primordial pour comprendre les effets du lien social sur la santé individuelle. La suite et l’évolution des soins après un premier épisode de trouble psychique représentent également une enjeu primordial. Une étude canadienne récente a ainsi démontré que la survenue d’un premier épisode de psychose favorisait une instabilité résidentielle (Ngamini Ngui et al., 2013) qui peut aisément conduire à des ruptures thérapeutiques et une discontinuité des soins, au risque d’un moins bon pronostic et de rechutes. Ainsi, un tiers des personnes ayant présenté un premier épisode auront déménagé dans un autre territoire de soin, six ans après ce diagnostic initial. En comparaison avec d’autres diagnostics médicaux, tels que le diabète ou la population générale, ce chiffre démontre une propension plus importante à s’inscrire dans une trajectoire spatiale marquée par une forte mobilité chez les personnes ayant présenté un premier épisode psychotique. Sont davantage à risque de mobilité les hommes, âgés de moins de 45 ans, ayant une histoire personnelle de migration et vivant dans des zones socialement défavorisées. La première année suivant l’épisode est la plus à risque de mobilité avec 40% des personnes ayant déménagé au cours de cette période, contre 20% la seconde, 14% la troisième et 10% et moins au cours des années suivantes. La majorité de cette mobilité est intra-urbaine, dans le sens d’un déménagement pour des zones socialement plus défavorisées. De même, plusieurs études ont 130 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) démontré que le statut ethnique minoritaire ou le chômage représentaient des facteurs favorisant la discontinuité des soins et les ruptures thérapeutiques (O’Brien, 2009; Crawford et al., 2004). Du point de vue thérapeutique, l’intérêt de la psychiatrie communautaire, présente dès l’origine de la psychiatrie sociale, advient aujourd’hui encore comme perspective d’avenir pour le soin et l’insertion des personnes malades. Les dispositifs tels que le housing first, la pair-aidance, le case management, les soins communautaires dynamiques (Assertive Community Treatment), l’IPS (Individual Placement & Support) ou encore les équipes mobiles rappellent l’absolue nécessité de placer le soin psychiatrique au coeur de la cité et d’inscrire dans la démarche evidence-based medecine de si puissants leviers d’amélioration clinique et d’insertion pour les personnes souffrant de troubles mentaux. L’accès aux soins, de première ligne et plus spécialisés tels que la réhabilitation psychosociale, se doit ainsi d’apparaître dans les objectifs premiers de la psychiatrie moderne. Au total, la psychiatrie sociale s’inscrit dans une volonté d’appréhender la complexité des phénomènes sociaux et de leur intrication avec la santé mentale des individus et des populations. Les sociétés modernes multiculturelles obligent à complexifier à la fois le regard porté sur les phénomènes observables mais également les outils de recherche utilisés en vue de les étudier. En redonnant à la pathologie mentale son inscription sociale, culturelle, individuelle, cognitive, biologique ou encore philosophique, ce courant psychiatrique offre la possibilité de penser et d’observer avec l’acuité nécessaire ces inégalités de santé qui s’apparentent à une forme de ségrégation moderne. L’exigence d’éclectisme, de transdisciplinarité et d’ouverture auquel confronte une volonté d’engager une « pensée complexe » autour de la pathologie psychiatrique, de ses causes et de ses évolutions, trouve dans la psychiatrie sociale les outils nécessaires à une telle entreprise. Discipline de réflexion mais aussi d’action, elle s’impose en effet aujourd’hui comme la manière la plus pertinente d’accéder à une science et une conscience des troubles mentaux souscrivant à la fois aux exigences du monde moderne et au souci éthique qui se doit de gouverner la volonté de soigner des individus atteints de pathologies mentales ainsi que la démarche de recherche qui l’accompagne. 131 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) 6. Discussion Ce travail de thèse constitue le premier ouvrage en langue française de synthèse méthodique des données actuelles concernant les liens entre schizophrénie et migration. Si différents articles avaient déjà proposé une revue des connaissances en français (Tortelli, 2009 ; Baubet, 2009) aucun n’avait pris en compte de manière si exhaustive les données actuelles sur le sujet ni utilisé de méthode définie pour préciser la manière de synthétiser les données. L’ensemble des problématiques posées par ce champ de recherche n’y était pas analysée et le choix des articles ne reposait sur aucune méthode préalablement décrite. De plus, l’augmentation du nombre d’études récentes sur le sujet indiquait la réalisation d’une nouvelle synthèse permettant une réactualisation des données. L’utilisation de la méthode de la synthèse narrative nous a permis d’aborder les trois principales problématiques (épidémiologique, étiopathogénique et épistémologique) posées par les connaissances concernant les liens entre schizophrénie et migration. Elle s’avère un excellent outil pour réaliser une synthèse qualitative de données scientifiques non quantitatives, notamment lorsque des questions théoriques, épistémologiques ou éthiques se posent, tel que c’est le cas dans le cadre de l’analyse du rôle de la migration dans la schizophrénie (Green, Johnson & Adams, 2006). Elle permet également d’utiliser des articles issus de corpus théoriques et de disciplines différents, ce qui a également été un avantage majeur dans le cadre de ce travail. Elle permet également d’apporter une lecture critique des différents articles et ouvrages traitant du sujet. Les résultats décrits dans ce travail sont en accord avec une revue récente de la littérature effectuée en langue anglaise (Bourque et al., 2012) et possèdent un niveau de preuve élevé, du fait notamment du nombre conséquent de méta-analyses portant à la fois sur les données épidémiologiques, étiopathogéniques et épistémologiques. Du point de vue épidémiologique, les résultats des deux méta-analyses décrivent un risque relatif de psychose augmenté pour les migrants de première et seconde génération, compris entre 2 et 3 (Cantor-Graae &Selten, 2005 ; Bourque et al., 2011), supérieur au risque de trouble de l’humeur (Sanne, Swinnen & Selten, 2007). Ces résultats ont été répliqués depuis les années 1930 dans différents pays européens, aux Etats-Unis, au Canada, ainsi qu’en Israël. Les méta-analyses soulignent l’importance du risque pour les populations les plus discriminées et les plus exclues dans les différents pays d’accueil (éthiopiens en Israël, afro-caribéens en Angleterre, marocains aux Pays-Bas…). Le phénomène de densité ethnique veut que plus la minorité ethnique est importante en pourcentage de la population 132 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) générale moins le risque de schizophrénie est élevé pour les individus qui la composent (Bosqui et al., 2014). Ces résultats font du statut ethnique minoritaire un facteur de risque environnemental majeur de schizophrénie, à part égale avec l’urbanicité, la consommation de cannabis ou encore les complications obstétricales. Différentes limites sont à porter à ces travaux n’ayant été réalisés que dans des pays occidentaux développés, majoritairement européens. Tout d’abord, les résultats n’ont pas été répliqués dans d’autres contextes géographiques et socio-démographiques, les études australiennes ne retrouvant par exemple pas de risque majoré pour les populations migrantes (O’Donoghue et al., 2014 ; Nielssen et al., 2013 ; McGrath et al., 2001), tout comme deux études récentes menées en Suède (Mezuk et al., 2015) et aux Etats-Unis (Oh et al., 2015). L’absence de définition précise des groupes en fonction du type de migration ainsi que le peu de connaissance sur l’évolution à long terme des troubles représentent également deux limites importantes (Baubet, Moro et Taleb, 2009). Cependant, les études récentes commencent à prendre en compte le type de migration, une étude canadienne récemment publiée ayant par exemple retrouvé que le statut de réfugié représentait un facteur de risque de psychose en soi (Anderson et al., 2015). L’utilisation du terme de migrant est également à interroger, l’importance des facteurs post-migratoires soulignant davantage le rôle du statut ethnique que du phénomène migratoire per se. Le terme d’ethnicité ou de statut ethnique minoritaire semble mieux rendre compte de la réalité des groupes à risque, mais pose un problème d’acceptabilité et de définition dans la littérature francophone (Felouzis & Fouquet-Chauprade, 2013 ; Martiniello, 2013). De plus, la période d’exposition la plus à risque demeure incertaine, les études sur le sujet ayant retrouvé des résultats contradictoires (Cantor-Graae et al., 2011; Velling et al., 2011). L’hypothèse du biais diagnostique (misdiagnosis) proposée par les psychiatres transculturels (Baubet et al., 2009 ; Zandi, et al. 2007) ne suffit pas à invalider l’ensemble des résultats (Selten & Hoek, 2008). Le faible nombre d’études ayant analysé le rôle des biais diagnostiques transculturels possède en effet un certain nombre de limites, notamment l’absence de prise en compte d’autres variables confondantes, tels que les données socioéconomiques, dont l’importance est reconnue dans la genèse des troubles psychotiques (Morgan & Hutchinson, 2011). Du point de vue étiopathogénique, les facteurs sociaux tels que l’adversité sociale, l’exclusion sociale ou encore l’échec social sont aujourd’hui placés au cœur de l’étiopathogénie de la schizophrénie relative à la migration (Morgan et al., 2011; Selten & Cantor-Graae, 2007). En effet, l’insuffisance des hypothèses neuro-développementales (infections neurotropes, complications obstétricales, abus de toxiques, carence en vitamine D..) et génétiques pour expliquer l’effet de risque amène à interroger le rôle des facteurs sociaux. L’hétérogénéité spatiale de répartition de l’incidence des troubles psychotiques, plus fréquemment retrouvées dans les quartiers socialement défavorisés, est un argument fort en direction du rôle des facteurs socio-économiques délétères (Kirkbride, 2014; McGrath, 2011). Notre synthèse des travaux sur les effets neurocognitifs de l’exclusion sociale a rapporté l’existence de 133 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) conséquences complexes dont les effets et interactions apparaissent comme une voie d’entrée dans un certain nombre de pathologies physiques et mentales, dont la schizophrénie. La potentialisation des différents marqueurs de vulnérabilité entre eux (cognitifs, comportementaux, neurobiologiques et phénoménologiques) entraîne un état de vulnérabilité multiple pouvant mener à la psychose, favorisée par la pérennisation de l’exposition sociale délétère. Le rôle prépondérant de l’insula antérieure dans les phénomènes d’exclusion sociale ainsi que dans la schizophrénie lui réserve une place de choix dans l’avenir des recherches menées en neurobiologie de la schizophrénie. De même, le racisme subi au sein des populations discriminées est avancé comme probable facteur étiopathogénique, du fait de sa propension à favoriser les expériences psychotiques dans des populations adultes ou adolescentes (Janssen et al., 2003). Au-delà d’effets neurobiologiques sur le système dopaminergique par effet du stress, sont avancés l’apparition de distorsions cognitives ainsi que des comportements de retard d’accès aux soins. Pour autant, aucune étude n’a pu montrer à ce jour l’existence d’un continuum entre adversité sociale ou racisme et schizophrénie, si bien que les modèles proposés conservent une importante part heuristique. De même, la théorie du capital social, soulignant le rôle protecteur d’un environnement social bénéfique et du support social, en modérant par exemple les effets de la discrimination, n’a pas fait la preuve suffisante de sa validité dans le cas de la schizophrénie (Kirkbride, 2012). Les facteurs sociaux et leurs effets neurocognitifs ne sont pas spécifiques de la schizophrénie, mais sont retrouvés dans d’autres pathologies mentales ou dans les comportements suicidaires, ce qui questionne sur le ou les phénomènes spécifiques de la psychose. Leur caractère ni nécessaire ni suffisant pour induire un trouble psychotique souligne le poids des facteurs de vulnérabilité génétique. Ainsi, les facteurs de risques de suicide recoupent en partie ceux de la schizophrénie, tandis que le rôle de l’insula antérieure a été démontré dans l’ensemble des pathologies mentales de l’Axe I du DSM (Goodkind et al., 2015). Les hypothèses environnementales prenant en compte des facteurs non sociaux ne doivent de plus pas être écartées des recherches sur le sujet des liens entre urbanicité, migration et schizophrénie. Une étude récente a par exemple proposé que l’infection toxoplasmique puisse être la cause du lien de causalité entre migration et schizophrénie (Fuller Torrey & Yolken, 2014). Du point de vue épistémologique, les résultats concernant la migration et l’urbanicité amènent à requestionner la place des facteurs environnementaux, et notamment sociaux, dans les modèles de la schizophrénie. L’existence du healthy migrant effect, qui veut que les migrants jouissent d’un meilleur état de santé que la population autochtone à leur arrivée tend à apporter un argument en défaveur du poids de la vulnérabilité génétique dans l’étiopathogénie de la schizophrénie. Dans un même temps, les facteurs sociaux ne sont ni suffisants ni nécessaires pour entraîner une transition vers un trouble psychotique. Une étude a ainsi montré que plus de 80% des transitions des personnes à risque vers un trouble psychotique nécessitait la présence concomitante d’une vulnérabilité génétique et de facteurs de risque environnementaux (van Nierop, 2013). Le faible nombre de cas de transition dans la cohorte 134 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) étudiée constituait une limite importante. Le modèle de la diathèse stress-vulnérabilité (Nuechterlein & Dawson, 1984 ; Zubin & Spring ; 1977) paraît à ce titre insuffisant, malgré sa volonté de modéliser l’interaction gène x environnement (GxE). En effet, il envisage l’environnement uniquement comme un facteur de décompensation aigu au niveau individuel, sans envisager les interactions environnement x environnement et le caractère temporel de l’exposition environnementale. Le modèle du continuum est quant à lui plus efficient en ce sens, les études longitudinales ayant permis de démontrer le rôle clé de l’interaction GxE dans la schizophrénie (van Os et al., 2009; 2008; 2003). Ce modèle, en soulignant le caractère résilient de la vulnérabilité à la psychose et, en contrepoint, le rôle de la pérennisation de l’exposition environnementale dans la transition vers la schizophrénie, rend mieux compte de la réalité de l’interaction GxE. Il convient ainsi de distinguer deux modèles de la schizophrénie : un modèle de résilience à l’échelle épidémiologique et un modèle socio-développemental à l’échelle individuelle fonctionnant sur un mode d’accumulation progressive de facteurs de risque, associé à une pression environnementale croissante. Le faible nombre de cas de transition vers la psychose dans les études de cohorte demeure cependant un frein majeur à l’extrapolation des résultats et ne permet pour l’heure que de proposer des hypothèses de travail. La perspective de la psychiatrie sociale, s’attachant à appréhender le rôle des facteurs sociaux dans la genèse des troubles psychiatriques offre des voies de recherche d’avenir pour mieux comprendre leur rôle dans différentes pathologies mentales, dont la schizophrénie (Morgan & Bughra, 2011). Elle se doit de remettre en cause la psychopathologie de la migration proposée par la psychiatrie transcuturelle, ne prenant en compte que les facteurs culturels dans l’étiologie des troubles présentés par les populations immigrées (Baubet & Moro, 2003). Du point de vue méthodologique, le caractère non systématique de la synthèse narrative constitue son principal point faible. Tout d’abord, elle n’offre pas une méthode adéquate pour définir des recommandations de prise en charge pour le clinicien, en premier lieu parce qu’elle traite davantage des enjeux d’une problématique médicale et sanitaire que de discussions diagnostiques, pronostiques ou thérapeutiques. Ensuite, elle présente un risque plus haut de biais que les revues systématiques, tels que les méta-analyses, car le choix des articles et leur critique reste soumis à la subjectivité du ou des auteurs. En effet, le risque majeur est que l’auteur d’une synthèse narrative se borne davantage à utiliser les données recueillies pour légitimer une opinion orientée qu’au fait de s’appuyer sur une méthode visant à construire un positionnement scientifique argumenté et synthétique. L’utilisation du Narrative Overview Rating Scale a permis de diminuer au maximum le risque de biais et d’optimiser la validité scientifique de cette démarche méthodologique particulière dans notre travail. L’absence de référence clinique sous la forme d’une revue de cas ou d’une recherche clinique apparaît comme une limite potentielle de ce travail. En effet, la revue de la littérature ne permet pas d’apporter de réponses nouvelles à des questionnements pré-existants. L’enjeu demeure cependant de 135 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) faire connaître l’ensemble de ces résultats en France, le poids de la psychiatrie transculturelle amenant dans l’Hexagone à un relativisme majeur quant à la validité scientifique et clinique des données épidémiologiques sur le rôle des facteurs sociaux de la schizophrénie dans les populations migrantes. Si les limites des données actuelles de la science sont bien réelles, elles ne permettent pas d’invalider les résultats de deux méta-analyses et les hypothèses en cours. L’utilisation du terme de « perspective » tout au long de ce travail marque l’intérêt majeur que revêtent les travaux portant sur la migration et les facteurs environnementaux de la schizophrénie pour l’avenir de la recherche en santé mentale. Pour autant, elle désigne également le point faible principal de cette problématique de santé, à savoir le caractère heuristique des modèles avancés. Il convient ainsi de conserver à l’esprit les importantes limites qui demeurent à comprendre précisément les causes qui amènent les populations migrantes minoritaires à expérimenter une telle adversité psychique sous la forme d’un risque accru de psychose. 136 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) Conclusions De nombreuses études ont désigné la migration comme facteur de risque de schizophrénie à part entière. Nous avons utilisé dans cette thèse la méthode de la synthèse narrative, indiquée lorsqu’il s’agit d’obtenir une synthèse qualitative des données non quantitatives de la littérature, autour d’une problématique posant des enjeux théoriques, épistémologiques ou éthiques. Ce travail constitue ainsi la première synthèse méthodique en langue française des données actuelles de la science concernant les liens entre schizophrénie et migration. L’objectif était ainsi d’analyser et de discuter les perspectives épidémiologiques, étiopathogéniques et épistémologiques qui se trouvent mise en question à travers les connaissances à ce sujet. Du point de vue épidémiologique, deux méta-analyses ont démontré que les migrants de première génération, ou immigrés, ainsi que ceux de seconde génération, ou enfants d’immigrés, présentent un risque relatif majoré de présenter une pathologie schizophrénique. Les études retrouvent un risque plus élevé pour les personnes appartenant aux minorités les plus marginalisées et discriminées. Un résultat important est le phénomène dit de densité ethnique qui veut que plus la minorité ethnique est importante en pourcentage de la population générale moins le risque de schizophrénie est élevé pour les individus qui la composent. Ces résultats font du statut ethnique minoritaire un facteur de risque environnemental majeur de schizophrénie, à part égale avec l’urbanicité, la consommation de cannabis ou encore les complications obstétricales. Les données épidémiologiques sont en faveur du rôle prépondérant de la phase post-migratoire dans l’étiopathogénie des troubles. Du point de vue étiopathogénique, les hypothèses neurodéveloppementales ne sont pas parvenues à expliquer ce sur-risque pour les populations migrantes. Ainsi, les complications obstétricales, la consommation de cannabis, la carence en vitamine D, les infections neurotropes ou l’urbanicité ne sont pas davantage retrouvées chez les populations migrantes. De même, les études ont invalidé l’idée d’une prédisposition génétique plus importante dans certaines populations ethniques, notamment chez les personnes noires de peau ou l’hypothèse de la migration sélective qui voudrait que les personnes à risque de psychose soient plus enclines à migrer. Enfin, il est important de souligner que l’hypothèse du biais diagnostique, proposée par les tenants de la psychiatrie transculturelle, n’a pas fait la preuve de sa validité pour expliquer les résultats retrouvés. Cette hypothèse voudrait qu’il existe une tendance à surdiagnostiquer la psychose en situation 137 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) transculturelle due à un biais diagnostique existant chez les psychiatres occidentaux suffisamment fréquent pour expliquer les résultats des différentes revues de la littérature. Au vu de ces impasses, les facteurs environnementaux post-migratoires, et notamment sociaux, ont été davantage investigués, mettant au cœur de l’étiopathogénie de la schizophrénie des notions telles que l’échec social, l’exclusion ou encore l’adversité sociale. Il est en effet reconnu qu’il existe des disparités territoriales pour l’incidence et la prévalence de la schizophrénie, plus fréquemment retrouvée dans des zones de faible cohésion sociale et de forte fragmentation sociale, et que l’adversité sociale entraîne des effets psychopathologiques délétères dès l’enfance pouvant se répercuter à l’âge adulte. Les travaux récents portant sur les effets de l’exclusion sociale ou de la discrimination ont permis de révéler différents effets neurocognitifs et comportementaux des expériences de rejet social. Ainsi, il a été démontré que l’exclusion sociale entraînait des modifications d’activité de deux régions cérébrales distinctes que sont le cortex cingulaire antérieur dorsal et l’insula antérieure, regroupées sous le terme de Réseau neuronal de la Salience dont le dysfonctionnement dans la schizophrénie est aujourd’hui bien documenté, notamment dans les déficits cognitifs et les distorsions phénoménologiques retrouvés au cœur de la pathologie. Il a également été démontré qu’un vécu discriminatoire majorait le risque de présenter des idées délirantes, tandis que l’expérience de l’exclusion diminue les comportements proactifs en direction du soin et entraîne des biais cognitifs, tant neurocognitifs qu’en cognition social. De plus, l’état de stress vécu dans les phénomènes de discrimination et de rejet social pourrait entraîner une sensibilisation du système dopaminergique mésolimbique et des dérégulations de l’axe hypothalamo-hypophysaire. L’ensemble de ces distorsions neurobiologiques, cognitives, phénoménologiques ou comportementales serait la cause d’une vulnérabilité majeure à la schizophrénie et est retrouvé avec une plus grande amplitude chez les migrants présentant un premier épisode psychotique. Nous avons proposé dans ce travail un modèle psychopathologique intégrant les différents effets de l’adversité sociale ainsi que leurs interactions réciproques. Du point de vue épistémologique, l’ensemble de ces résultats amène à repenser les modèles de la schizophrénie utilisés depuis les années 1970. En effet, les études longitudinales permettent aujourd’hui de mieux connaître les trajectoires d’entrée dans la pathologie, et notamment le rôle des facteurs environnementaux, pour les personnes à haut risque de transition vers la psychose. Il ressort que le « modèle stress-vulnérabilité » en postulant l’idée d’une vulnérabilisation à l’environnement ne rend pas suffisamment compte des interactions complexes entre vulnérabilité individuelle et inégalités populationnelles. Le « modèle du continuum », postulant l’existence d’une interaction synergique entre patrimoine gènétique et environnement psychosocial délétère 138 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) 139 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) Annexes Annexe 1 : Le Narrative Overview Rating Scale (Green et al., 2006) 140 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) 141 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0) Bibliographie Adriaanse, M., van Domburgh, L., Hoek, H. W., Susser, E., Doreleijers, T. a. H., & Veling, W. (2015). Prevalence, impact and cultural context of psychotic experiences among ethnic minority youth. Psychological Medicine, 45(3), 637–646. Adriaanse, M., van Domburgh, L., Zwirs, B., Doreleijers, T., & Veling, W. (2015). School-based screening for psychiatric disorders in Moroccan-Dutch youth. Child and Adolescent Psychiatry and Mental Health, 9, 13. Akdeniz, C., Tost, H., Streit, F., Haddad, L., Wüst, S., Schäfer, A., … Meyer-Lindenberg, A. (2014). 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Ce risque dépend des conditions d’accueil des populations migrantes dans les pays d’immigration. L’environnement social défavorable joue ainsi un rôle majeur dans ce phénomène de vulnérabilisation à la psychose, sous la forme de l’adversité sociale et de ses effets neurobiologiques, cognitifs, phénoménologiques et comportementaux. L’hypothèse du biais diagnostique (misdiagnosis) ne permet pas d’expliquer ce sur-risque retrouvé dans de nombreuses études épidémiologiques. Conclusions: Un niveau de preuve élevé est retrouvé pour désigner le statut ethnique minoritaire comme facteur de risque de schizophrénie et souligner le poids de l’environnement social dans les disparités territoriales, sociales et ethniques de répartition de la prévalence de la schizophrénie dans le monde. MOTS CLES : Schizophrénie, migration, adversité sociale, exclusion, discrimination, psychiatrie sociale, psychiatrie transculturelle JURY : Président : Monsieur le Professeur Jean-Louis Terra Membres : Monsieur le Professeur Thierry D’Amato Monsieur le Professeur Emmanuel Poulet Madame le Docteur Halima Zeroug-Vial DATE DE SOUTENANCE : Mercredi 30 Septembre 2015 Adresse de l’auteur : [email protected] 154 LEAUNE (CC BY-NC-ND 2.0)