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L'attribution des permis aux enchères :
une solution optimale?
W. Zantman (CREDEN)
1) Introduction
Mon intervention a pour objectif de proposer quelques éclaircissements quant à
l'utilisation des enchères dans le contexte de l'attribution des droits dits "à
polluer". Il s'agit de comprendre à la fois l'intérêt que peut représenter
l'utilisation des enchères mais également les nombreuses difficultés liées à la
spécificité du bien mis en vente, à savoir les permis de polluer.
La mise aux enchères des droits à polluer, comme d'ailleurs la mise en place de
taxes environnementales, a pour origine la volonté de faire prendre en compte
aux agents à l'origine de la pollution (entreprises mais aussi consommateurs) les
effets de leurs actions sur un bien commun, à savoir l'environnement. Il s'agit,
pour reprendre les termes classiques, de faire internaliser aux agents les
externalités qu'ils font subir aux autres. C'est donc au départ à la fois l'existence
d'un bien commun dont l'état dépend de l'action de tous et la volonté de
remplacer des mécanismes bureaucratiques par des mécanismes de marché, cad
financiers, qui expliquent l'intérêt croissant porté aux enchères comme aux
taxes. Bien sûr, l'intérêt financier de l'Etat est également une dimension
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importante mais elle n'est pas centrale dans la réflexion, les recettes n'étant qu'un
produit joint de ces instruments.
Si l'on se concentre sur les enchères des permis à polluer, il est vite devenu clair
non seulement que ce système nécessitait le développement d'un marc
secondaire, les marchés de droit sur lesquelles les utilisateurs pouvaient
échanger cet actif, mais également que ce système devait être limité aux cas où
les sources de pollution sont faciles à identifier. En ce sens, le cas du SO2 est
plus facile à régler que celui du CO2 généré par presque tous les agents
économiques. Comme on le verra, l'existence d'un marché secondaire est à la
fois une condition importante d'efficacité des permis de polluer mais également
une source de difficulté quand il s'agit de réfléchir au processus de vente initiale,
c’est-à-dire au mécanisme d'enchère.
Pour l'instant, les mécanismes d'enchères sont assez peu utilisés dans les
mécanismes d'attribution des droits. Dans le cas américain, seulement 2,8% des
droits sont vendus chaque année aux enchères par l'Environmental Protection
Agency (EPA, enchères en mars de chaque année). La directive européenne du
13 octobre 2003 privilégie également une attribution gratuite puisqu'elle doit
concerner au moins 95% des droits pendant les 3 premières années (2005-2007)
puis 90% pendant les 3 suivantes. Le système généralement adopté est celui dit
du grand fathering c'est-à-dire d'une attribution basée sur les niveaux de
pollution passés, avec éventuellement une correction à la baisse pour inciter les
agents à entreprendre des actions bénéfiques à la protection de l'environnement.
La volonté de protéger son industrie comme les réticences face à l'utilisation de
mécanisme de marché dans un domaine sensible peuvent expliquer la faible
utilisation des enchères. Pourtant, celles-ci sont généralement reconnues comme
un instrument à la fois puissant et flexible de régulation de l'activité
économique. Il s'agit donc de comprendre les difficultés économiques (au moins
quelques-unes) liées à l'utilisation de cet instrument dans le contexte
environnemental.
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Je me propose de procéder en deux étapes. Tout d'abord, je m'attacherai à
exposer les différentes possibilités liées en général à l'utilisation des enchères
comme mécanisme d'attribution. Il s'agira donc d'exposer les problématiques
habituelles liées à cet instrument, en montrant les différents aspects stratégiques
et informationnels des mécanismes d'enchère. Ensuite, je développerai l'idée que
l'utilisation d'une enchère dans un cadre où non seulement il existe des
possibilités de revente mais également une structure industrielle imparfaitement
concurrentielle peut poser certains problèmes et expliquer les réticences liées à
cet instrument.
2) Les enchères : présentation générales
Le cas des enchères pour l'attribution de droits peut être posé de façon
équivalente à n'importe quel mécanisme d'enchère. Il s'agit pour un vendeur,
dans notre cas l'Etat, de mettre en vente à un prix le plus élevé possible un ou
plusieurs biens dont il ne connaît pas la valeur pour les acheteurs potentiels. La
présence d'une asymétrie d'information entre acheteurs et vendeur empêche ce
dernier de transférer le bien à celui qui le désire le plus, ce qui serait la solution
optimale socialement, et au prix égal à la valuation du bien pour cet acheteur, ce
qui serait optimal pour le vendeur.
Les asymétries d'information permettent aux acheteurs potentiels de conserver
une rente, un surplus dû à leur information, rente qui disparaîtrait dans un
contexte d'information complète et symétrique. La mise aux enchères du bien
permet au vendeur de mettre en concurrence les acheteurs, de façon non
seulement à ce que le bien soit transféré à celui qui en retire la plus grande
satisfaction mais également à limiter le montant des rentes dues au différentiel
informationnel. Notons ici que l'enchère n'a de sens que dans un cadre où il y a
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un rationnement, ce qui est bien le cas des permis. Plus généralement, dans le
cas où il y aurait un problème de capacité (les réseaux ferroviaires, liaisons
électriques internationales), les enchères présentent un grand intérêt à la fois du
point de vue de l'efficacité et celui de l'équité. Notons encore que dans le cas des
permis, la variable d'asymétrie d'information majeure est liée au coût marginal
de l'effort d'abattement de pollution.
Mais les enchères doivent être conçues précisément en fonction des
caractéristiques du bien mis en vente. On distingue généralement deux cas
polaires. Le premier cas, dit de valeur privée, est celui où les satisfactions
(encore appelées valuations) que les différents acheteurs retirent du bien sont
indépendantes. Par exemple, si je décide d'acheter un tableau pour mon plaisir
sans intention de le revendre, le prix que je suis prêt à payer ne dépend que de
mes propres préférences, aucunement de ce que je peux imaginer de celles des
autres. Comment les agents se comportent-ils dans ce cas? Les procédures
d'enchères sont multiples (enchère orale ou écrite, au premier prix ou au second
prix) mais de façon générale, chaque agent a intérêt à miser de telle sorte que le
prix payé soit bien sûr inférieur à son évaluation du bien. Il doit arbitrer entre
proposer un prix élevé pour augmenter ses chances d'acquérir le bien et proposer
un prix faible pour augmenter son surplus s'il remporte l'enchère. De façon
optimale, chaque acheteur potentiel a intérêt à faire comme si son évaluation
était la plus forte parmi l'ensemble des enchérisseurs (sinon, il a peu de chances
de remporter le bien) et, par exemple dans le cas d'enchère au premier prix, à
miser la valeur espérée de la deuxième évaluation la plus forte,
conditionnellement à cette hypothèse. En fait, quelle que soit la procédure
d'enchère (ou presque), le paiement espéré d'un acheteur vainqueur d'une
enchère est égal à l'espérance de la valuation juste en dessous de la sienne.
Le deuxième cas, dit de valeur commune, correspond à une situation où les
agents retirent tous la même satisfaction du bien mis en vente (ou au moins les
satisfactions sont liées), mais où chacun n'a qu'une idée bien imparfaite de cette
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satisfaction. Pensez par exemple à une enchère pour les droits d'extraction de
pétrole. Chaque entreprise a le droit de faire des forages tests pour se donner une
idée de la valeur du champ pétrolifère mais comme aucun test n'est semblable à
un autre, les informations sont différentes entre les acheteurs potentiels, et aucun
n'ayant toutes les informations, la vraie valeur du champ, commune à tous, est
inconnue au moment de l'enchère. Ce cas de valeur commune doit générer des
comportements d'enchère différents du cas de valeur privée. En particulier, les
agents doivent éviter l'effet dit de "la malédiction du vainqueur". Reprenons
notre exemple du champ pétrolifère et supposons que deux entreprises sont en
concurrence. Chacune reçoit un signal indépendant sur la valeur du champ,
signal non biaisé cad de moyenne inconnue mais égale à la valeur réelle de ce
champ. Supposons encore que l'acheteur 1 reçoit le signal le plus haut. Au
moment de soumettre son offre, il peut naïvement penser que le signal étant non
biaisé, il doit proposer un prix proche de ce signal. Mais s'il gagne le bien, c'est
probablement parce qu'il a reçu un signal plus favorable que les autres acheteurs
potentiels. Or le signal le plus élevé lors d'une suite de tirages indépendants est
en moyenne au-dessus de la valeur moyenne. Donc, en misant naïvement, sans
tenir compte du fait que son signal est le plus élevé, un acheteur peut finalement
acheter le bien à un prix supérieur à sa valeur réelle. C'est la malédiction du
vainqueur. Rationnellement, nos acheteurs doivent en fait diminuer leurs
propositions, non seulement comme dans le cas de valeur privée pour conserver
un surplus mais également pour tenir compte du fait que, s'ils gagnent l'enchère,
c'est que leur signal a probablement surévalué la valeur du bien.
Il est probable que presque tous les biens ont un aspect de valeur
commune, en particulier lorsqu'il existe un marché de revente. Pour un agent, la
valeur commune est alors le prix futur qui prévaudra sur ce marché. En théorie,
celui-ci va dépendre les actions des différents participants, elles-mêmes générées
par leurs caractéristiques, c’est-à-dire dans le cas des permis, leur coût marginal
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