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CLONAGES ET DIGNITÉ HUMAINE
par
Thibault LAHALLE
Docteur en droit
ATER à l’Université de Paris II
(Panthéon-Assas)
1. Du clonage, il ne s’écoule pas une semaine sans que les media
en traitent. Diabolisé ou encensé, le mot serait synonyme tout à la
fois de « copie conforme » et « d’espoir thérapeutique ». L’intérêt du
grand public est récent. Il est consécutif à la naissance de la brebis
Dolly en 1997 ( 1). La nature, elle, n’a pourtant jamais ignoré le clonage. Jusqu’à l’apparition de la sexualité il y a un milliard d’années, la reproduction était exclusivement asexuée ( 2). Aujourd’hui
encore le clonage tient une place prépondérante dans l’apparition de
la vie de micro organismes unicellulaires tels que les bactéries et des
plantes. « Longtemps, le clonage fut affaire de jardiniers » ( 3). En
grec « Klôn » signifie « pousse ». Il se définit comme un « ensemble
d’individus génétiquement semblables provenant d’un organisme
unique par reproduction asexuée » ( 4). Le droit communautaire est
plus précis. Il s’agit de « tout procédé, y compris les techniques de
scission des embryons, ayant pour but de créer un être humain qui
aurait la même information génétique nucléaire qu’un autre humain
vivant ou décédé » ( 5).
2. Les enjeux ( 6) sont d’ordre scientifique, sanitaire, économique
et éthique. Scientifique dès lors que nul ne peut encore expliquer
(1) A. Millet et D. Poste-Vinay, « Comment ça va Dolly ? Le clonage des mammifères passe à la vitesse supérieure », La Recherche, n o 297, avril 1997, pp. 51 et s.;
F. Jacob, La souris, le monde et l’homme, Paris, O. Jacob, 1997 ; Médecine et science
1997, n o 3, pp. 426 et s.
(2) A. Khan, « Le mot du mois », Médecine et science, février 2002, n o 2, p. 134.
(3) « Introduction », in Le clonage humain, ouvrage collectif sous la direction de
M. Olender, Seuil, 1999, p. 9.
(4) A. Khan, « Le mot du mois », op. cit., p. 134.
(5) Directive 98/44/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 juillet 1998 relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques, considérant 41
(J.O.C.E. n o L 213, 30 juil., p. 13).
(6) La Recherche, n o 334, sept. 2000, Dossier, « Clonage : la nature résiste », pp. 28 et s.
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comment une cellule adulte peut se reprogrammer pour créer un
nouvel individu. Sanitaire dans la mesure où le clonage thérapeutique laisse entrevoir des perspectives de guérison de maladies aujourd’hui incurables ( 7). Economique non seulement parce que le clonage d’animaux domestiques ouvre un marché de plusieurs milliards
d’euros ( 8) mais aussi parce que les investissements réalisés pour le
développement d’entreprises biotechnologiques doivent être rentabilisés. Ethique, enfin, puisque la science fiction devient réalité. « Le
meilleur des mondes » ( 9) est au bout des pipettes et éprouvettes.
L’instrumentalisation des corps s’accentue. La révolution scientifique est une révolution charnelle.
3. Les principales religions suivent de près l’avancée scientifique
du clonage ( 10). Si le clonage reproductif est unanimement
condamné les positions divergent en revanche sur le clonage thérapeutique. Juifs et chrétiens n’y sont pas opposés à condition d’effectuer les prélèvements nécessaires sur des embryons morts. Les
musulmans et les bouddhistes y sont en revanche hostiles : même
après la mort, le corps est intouchable.
4. Si les normes internationales interdisant le clonage se sont
multipliées ( 11) après la naissance de Dolly, certaines ont été adoptées plusieurs années avant. Le clonage est l’un des rares domaines
où le droit précède la science. Dès les années 1980, le droit européen
et le droit communautaire bannissent le clonage. Dans une recommandation de 1986 le Conseil de l’Europe interdit « la création
d’êtres humains identiques par clonage ou d’autres méthodes, à fin
de sélection de la race ou non » ( 12). En 1994, le Conseil confirme sa
(7) Voy. n o 14.
(8) B. Jordan, « Clonage : et maintenant, un chat... », Médecine et science, n o 4,
Vol. 18, avril 2002, pp. 425 et s.
(9) « Tout le personnel d’une petite usine constitué par les produits d’un seul œuf
bokanovskifié », A. Huxley, Le meilleur des mondes, Pocket 1977, p. 25. Titre original : Brave new world, 1932.
(10) G. Comeau, Le corps, ce qu’en disent les religions, éd. De L’atelier, 2001,
pp. 152 et s.
(11) Voy. n o 18.
(12) Recommandation 1046 du 24 septembre 1986 de l’Assemblée parlementaire
relative à « l’utilisation d’embryons et fœtus humains à des fins thérapeutiques,
scientifiques, industrielles et commerciales », point 14 A. iV al. 2., in R.M. Lozano,
La protection européenne des droits de l’homme dans le domaine de la biomédecine, La
documentation française, 2001, p. 296.
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position ( 13). En droit communautaire, le Parlement européen, en
1989 ( 14) et 1993 ( 15), adopte la même position.
5. En théorie, les scientifiques maîtrisent le procédé ( 16). Différentes techniques sont envisageables. La première divise un
embryon en deux pour obtenir deux être génétiquement identiques.
La seconde transfère le noyau d’une cellule somatique dans un ovule
énucléé. La cellule embryonnaire obtenue, deux solutions s’offrent :
interrompre le développement de l’embryon après quelques jours
pour prélever des cellules souches et les cultiver ou implanter l’embryon dans un utérus pour que naisse un enfant génétiquement
identique à l’adulte dont on a transféré un noyau. Dans le premier
cas, il s’agit de clonage thérapeutique. Pluripotentes, les cellules
souches pourront « fabriquer » des cellules de remplacement d’un
organe ou d’un produit du corps humain. Dans le second cas, il
s’agit d’un clonage reproductif. Ces procédés entraînent « l’instrumentalisation » de l’embryon et l’uniformité génétique de l’espèce
humaine. Le clonage est-il une atteinte à la dignité humaine ?
Répondre à cette question implique de s’interroger sur la qualification juridique de l’embryon puis sur la notion de dignité pour en
déduire que celle-ci protège celui-là.
L’embryon : une chose
6. Le sujet de droit se définit comme la faculté d’être titulaire de
droits et d’obligations. La société fait-elle de l’embryon une personne avec les conséquences qui en découlent : octroi d’un patrimoine, possibilité d’agir en justice, attribution d’un état civil... ?
Certains considérent la qualification de chose inacceptable. « La
(13) Recommandation 1240 de 1994 de l’Assemblée parlementaire relative à « la
brevetabilité des produits d’origine humaine », point 13 iii. b., id.
(14) Résolution sur les problèmes éthiques et juridiques de la manipulation génétique du 16 mars 1989, Parlement européen, Doc. A.L-327/88, J.O.C.E. 96 C du
17 avril 1989.
(15) Résolution sur le clonage de l’embryon humain du 28 oct. 1993, Parlement
européen, J.O.C.E. C 315/224 du 22 nov. 1993.
(16) Pour ne citer que quelques parutions récentes : L.M. Houdebine, « Le clonage et la transgenèse », in Forum Diderot, Faut-il vraiment cloner l’homme ?, P.U.F.,
1999, pp. 26 et s.; A. Khan, « Clonage humain : un non-évenement ? », Pour la
science, n o 291, janv. 2002, pp. 28 et s.; N. Chevassus-au-Louis, « Cellules souches :
ruée vers un eldorado incertain », La Recherche, n o 349, janv. 2002, pp. 64 et s.;
A. Jouneau et J.P. Renard, « Cellules souches embryonnaires et clonage thérapeutique », Médecine et science, n o 2, Vol. 18, fév. 2002, pp. 169 et s. ; H. Atlan, « Le ‘ clonage’ thérapeutique », Médecine et science, n o 5, Vol. 18, mai 2002, pp. 635 et s.
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thèse de la personnalité actuelle (...) est celle qui reflète le mieux la
réalité » ( 17). Cette position serait fondée si le droit positif français
se prononçait pour la qualification de personne. Mais à la différence
de l’article 70 du code civil argentin, il n’existe aucune disposition
pour affirmer que « L’existence des personnes commence dès la
conception dans le sein maternel... » ( 18). En 1983, le Parlement
rejeta une proposition de loi relative au statut de l’enfant conçu et
aux expérimentations et recherches concernant la création de la vie
humaine qui commençait par un article 1 er ainsi rédigé : « Dès le
moment de sa conception, l’enfant conçu est sujet de droit... » ( 19).
Lors de la discussion des lois bioéthiques, des amendements de
même nature ( 20) ont à nouveau été rejetés.
7. Les partisans de la personnification ne qualifient pas l’embryon de « personne ». Ils ajoutent toujours un adjectif qui témoigne
d’une position difficilement tenable. Ainsi le Comité consultatif
national d’éthique a-t-il qualifié l’embryon de « personne humaine
potentielle » ( 21), des juges de « personne en devenir » ( 22) ou « en virtualité » ( 23) et certains auteurs de « personne anticipée » ( 24). Toutes
ces formules démontrent le contraire de ce que leurs auteurs avancent : on ne devient personne que le jour où on naît vivant et
viable. Avant on n’est que chose. Le recours à l’expression « être
humain » le confirme. Les pouvoirs publics tiennent compte de la
distorsion entre vie biologique et vie sociale. L’homme peut avoir la
première sans la seconde. « Alors que l’homme biologique est une
continuité de la fécondation à la mort, l’homme juridique, au
(17) R. Andorno, La distinction juridique entre les personnes et les choses :
l’épreuve des procréations artificielles, thèse Paris XII, 1994, p. 153.
(18) Conclusions des XII e journées nationales de droit civil, Bariloches, 1989,
R. Andorno, op. cit., p. 157.
(19) Doc. Ass. nat., 1983-1984, n o 2158. C. Jacquinot, « Le projet de loi sur l’utilisation des fœtus humains », Gaz. Pal., 30/31 mars 1983, p. 7 ; Libération 27 mai
1983, p. 2 ; F. Meyer, « La protection juridique de la vie ante natale », R.D. sanit.
soc., 1987, p. 571, spéc. p. 579.
(20) J.O. Sénat, déb. 1994, pp. 352 et s.
(21) CCNE, Avis du 22 mai 1984 relatif aux « prélèvements de tissus d’embryons
ou de fœtus humains à des fins thérapeutiques, diagnostiques et scientifiques »,
G. Mémeteau, « Le premier avis du Comité consultatif national d’éthique », J.C.P.,
éd. G., 1985, I, 3191.
(22) T. corr. Bobigny, 22 nov. 1972, Gaz. Pal. 1972, 2, p. 890.
(23) C.A. Toulouse, 21 sept. 1987, D. 1988, 2, p. 184, note D. Huet-Weiller,
J.C.P. éd. G., 1988, II, 21036, obs. E. Sallé de la Marniere.
(24) Dictionnaire permanent « Bioéthique et biotechnologies », Embryon humain
in vitro, sept. 1997, p. 815, spéc. p. 821.
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contraire, est marqué par la discontinuité » ( 25). Tel est le sens des
lois de 1975 et 1994 relatives à l’avortement et à la bioéthique ( 26).
L’article 1 er de la loi Veil pose le principe du « respect de tout être
humain dès le commencement de la vie » ( 27) et l’article 16 du code
civil « garantit le respect de l’être humain dès le commencement de
sa vie ». Cette dernière disposition a été votée dans le cadre d’une
loi relative « au respect du corps humain » ( 28)... non de la personne.
Par deux fois, et à vingt ans d’intervalle, le législateur a préféré le
terme « être ». Conscient des débats que le choix de ce substantif
avait suscités après 1975, on ne peut mettre sur le compte du
hasard le fait qu’il le reprenne dans le cadre des lois bioéthiques.
L’affirmation selon laquelle « depuis l’abolition de l’esclavage et de
la mort civile, il est unanimement admis que les êtres humains ne
sont pas des choses, mais des personnes juridiques » ( 29) repose sur
une confusion des notions. Quant au code pénal, il n’entretient
qu’un semi doute. Ecrire que la qualification de personne est ambiguë « dans la mesure où le législateur (pénal) s’est ostensiblement
refusé à franchir le pas » ( 30) relève de l’euphémisme. La protection
de l’embryon humain ( 31) est insérée dans le livre cinquième relatif
« aux autres crimes et délits » qui traite par ailleurs « des sévices
graves ou actes de cruauté envers les animaux » ( 32). Protégé au
même titre que l’animal, il relève des choses. L’un comme l’autre
sont des « objets juridiquement sensibles » ( 33). « A l’instar de l’animal, (l’embryon) n’est pas une personne mais une chose dotée d’une
protection juridique » ( 34). En droit civil, la théorie « infans conceptus, pro nato habetur, quoties de commodis ejus agitur » ( 35) conforte
cette exclusion de la catégorie des personnes. La maxime ne s’appli-
(25) M. Herzog-Evans, « Homme, homme juridique et humanité de l’embryon »,
op. cit., p. 65.
(26) Dictionnaire permanent « Bioéthique et biotechnologie », Embryon humain in
vitro, 15 sept. 1997, p. 821.
(27) L. n o 75-17, 17 janv. 1975.
(28) L. n o 94-653 du 29 juil. 1994.
(29) D. Vigneau, « ‘Dessine-moi ’ un embryon », Petites affiches, n o spécial Bioéthique, les lois du 29 juillet 1994, 14 déc. 1994, n o 149, p. 63.
(30) J.M. Roux, « Un sujet toujours en quête de son personnage : l’embryon
humain », in Le droit de la biologie humaine, éd. Ellipses, 2000, chapitre 1.
(31) C. Pén. art. 511-15 et s.
(32) C. Pén. art. 521-1 et s.
(33) F. Laroche-Gisserot, Leçons de droit civil, Les personnes, Montchrestien,
1999, p. 7.
(34) P. Morvan, Le principe de droit privé, éd. Panthéon-Assas, 1999, p. 520.
(35) « L’enfant conçu est considéré comme né chaque fois que tel est son intérêt ».
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que rétroactivement que si l’enfant arrive à terme ( 36). S’il décède
avant, il ne bénéficiera d’aucun droit parce qu’il n’aura pas acquis
la personnalité ( 37). L’embryon n’a ni prénom, ni nom, ni nationalité, ni droit au respect de sa vie privée, ni droit à l’honneur... Il ne
supporte ni obligation ni devoir. La jurisprudence le confirme. Dès
le XIX e siècle, la Cour de cassation avait jugé que l’être « privé non
seulement de la vie mais des conditions organiques indispensables à
l’existence, ne constitue qu’un produit innomé et non un enfant dans
le sens que le législateur a attaché à cette expression » ( 38). Que,
pour des raisons de « sensibilité » ( 39), on préfère de nos jours la qualification de « chose mobilière » ne change rien à la qualification retenue.
La dignité
8. Parler de la « dignité de la personne humaine » est désormais
une formule de style. Elle marquerait un progrès du droit. Rares
sont les niveaux de la hiérarchie des normes qui l’ignorent ( 40).
Conventions internationales ( 41) et régionales ( 42), Conseil constitu(36) « La capacité juridique qu’il (l’adage) confère n’est que virtuelle. (...) C’est
pourquoi cette fiction juridique n’est d’aucun secours pour résoudre les problèmes
nouveaux qui se posent » (F. Meyer, « La protection juridique de la vie ante natale »,
op. cit., p. 578).
(37) J.M. Roux, « Un sujet toujours en quête de son personnage : l’embryon
humain », op. cit.
(38) Cass. crim. 7 août 1874, S. 1875, I, p. 41, D. 1875, I, p. 5.
(39) P. Murat, « Décès périnatal et individualisation juridique de l’être humain »,
R. D. sanit. soc. 1995, p. 457.
(40) Pour un panorama européen des sources de la dignité, B. Maurer, Le principe de respect de la dignité humaine, et la Convention européenne des droits de l’homme,
Coll. Monde européen et international dirigée par J. Bourrinet, Centre d’Etudes et de
Recherches Internationales et Communautaires, Université d’Aix-Marseille, La documentation française, 1999, pp. 30 et s.
(41) Préambule de la Charte des Nations Unies, préambule de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, les deux Pactes internationaux de décembre
1966, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le
10 décembre 1948, la Convention relative aux droits de l’enfant de 1989 fait un rappel de la Charte des Nations Unies (M. Benchikh, « La dignité de la personne
humaine en droit international », in La dignité de la personne humaine, Collection
Etudes juridiques, sous la direction de M.L. Pavia et T. Revet, Economica, 1999,
pp. 38 et s.; M.L. Pavia, « La dignité de la personne humaine », in Libertés et droits
fondamentaux, Dalloz, 2000, pp. 125 et s.).
(42) Article 1 er de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne;
préambule de la Déclaration américaine des droits et des devoirs adoptée en mai
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tionnel ( 43), droit communautaire ( 44), législateurs civil ( 45) et
pénal ( 46), règles déontologiques ( 47) y font expressément écho. Tout
ou presque est devenu atteinte à la dignité : l’irrespect du corps
(lancer de nain ( 48), convention de strip-tease ( 49), tatouage sur les
fesses ( 50)), les difficultés sociales (droit à un logement ( 51)), les problèmes économiques (le droit au minimum vital ( 52))... La notion
s’épuise dans la liste toujours plus longue des droits subjectifs. A
l’ère des religions, oppressive, dogmatique, où l’homme n’avait
d’autre choix que de vivre pour Dieu, aurait succédé celle de la
liberté, garante de l’autonomie individuelle et de l’émancipation de
la personne. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de
1789 en serait l’expression la plus achevée. A ces deux époques,
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1948 ; article 3 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples du 27 juin
1987 (M. Benchikh, « La dignité de la personne humaine en droit international », op.
cit., p. 40 ; M.L. Pavia, « La dignité de la personne humaine », op. cit., pp. 125 et 126).
(43) Cons. const., déc. 94-343-344 DC du 27 juil. 1994 : la dignité de la personne
humaine est un principe constitutionnel (D. 1995, 2, p. 237, note B. Mathieu,
R.F.D.A., 1994, p. 1021, chr. B. Mathieu et J.P. Duprat, Petites affiches, n o spécial
14 déc. 1994, n o 149, p. 34).
(44) Rec. n o 92/131/CEE du 27 nov. 1991 relative à la protection de la dignité des
femmes et des hommes au travail, J.O.C.E. n o L 49 du 24 fév. 1992, p. 1.
(45) C. civ. art. 16 : « La loi assure la primauté de la personne, interdit toute
atteinte à la dignité de celle-ci... ».
(46) Chapitre V du Titre II du Livre deuxième : « Des atteintes à la dignité de la
personne ».
(47) L’article 2 du code de déontologie médicale parle de dignité de la personne,
l’article 161 du décret 91-1197 du 27 nov. 1991 organisant la profession d’avocat
(J.O. du 28 nov. 1991, p. 15 502) parle de « dignité de la profession », le code de déontologie des pharmaciens, des infirmiers, l’article 7 de la Régie française de publicité
défend la dignité des femmes... (N. Molfessis, « La dignité de la personne humaine
en droit civil », in La dignité de la personne humaine, collection Etudes juridiques,
sous la direction de M.L. Pavia et T. Revet, Economica, 1999, p. 108).
(48) C.E. ass. 27 oct. 1995, D. 1996, 2, p. 177, note G. Lebreton ; J.C.P. éd. G.,
II, 22630, note F. Hamon ; R.F.D.A. 1995, p. 1204, concl. P. Frydman ; Rev. trim.
dr. h. 1996, p. 657, note N. Deffains.
(49) T.G.I. Paris, 8 nov. 1973, D. 1975, 2, p. 401, note Puech.
(50) T.G.I. Paris, 3 juin 1969, D. 1970, 2, p. 136, note J.P.
(51) Cons. const., n o 95-74 DC du 19 janv. 1995 : « La possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent » devient un nouvel objectif à valeur constitutionnelle (F. Zitouni, « Le Conseil constitutionnel et le logement des plus démunis », Petites affiches, 12 janv. 1996, n o 6 ; V. Godfrin, « Le droit au logement, un
exemple de l’influence des droits fondamentaux sur le droit de propriété », in Ethique,
droit et dignité de la personne, Mélanges C. Bolze, sous la direction de Ph. Pédrot, Economica, 1999, pp. 137 et s.).
(52) J.P. Laborde, « Garanties de ressources et dignité de la personne humaine »,
in Ethique, droit et dignité de la personne, op. cit., pp. 111 et s. ; N. Molfessis, « La
dignité de la personne humaine en droit civil », op. cit., p. 117.
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aurait succédé l’ère de l’égalité : égalité devant la loi, égalité des
hommes et des femmes, des père et mère, des étrangers et des nationaux. Le souci de protéger les faibles, oppressés par les excès de la
liberté, s’affirme : protection des salariés face à l’employeur, du
consommateur face au professionnel, du locataire face au bailleur...
La dernière étape en date serait, de nos jours, l’avènement de la
dignité, non celle des Grecs ( 53), liée aux vertus politiques et aux
fonctions les plus élevées, mais celle de Kant ( 54) pour qui l’homme
n’est pas moyen, mais fin. Ainsi, le géologue du droit met-il à jour
les différentes strates de la société ( 55) avant de constater l’entrée de
la dignité sur la scène juridique. Faut-il s’en féliciter, partager le
point de vue selon lequel la dignité exalte un idéal réparateur dans
un monde matérialiste où le corps devient toujours davantage
source de profits ? La « dignité » révèle l’appartenance de l’homme
au genre humain. Porter atteinte à l’individu, c’est nuire à l’espèce.
La notion de « dignité » est intrinsèquement comprise dans celle de
personne. Parler de la « dignité de la personne humaine » relève du
pléonasme. Son utilisation tous azimuts en a fait un concept mou.
L’absence de définition en a fait un concept dangereux alors que le
droit pénal exige des incriminations claires et précises ( 56). Le droit
n’a pas attendu son apparition pour protéger la personne. Les
notions d’ordre public, bonnes mœurs, intégrité physique, égalité,
abus de droit sanctionnent depuis longtemps les atteintes au sujet
de droit.
Au lieu d’être valorisée, la notion de dignité est galvaudée. La
seule solution pour la revivifier est d’en restreindre le champ d’application. Une double délimitation s’impose. La dignité ne doit être
affectée qu’à la protection du corps, à l’exclusion des domaines
sociaux, économiques, spirituels... Et elle doit être cantonnée aux
situations dans lesquelles le corps n’est pas qualifié de « personne » :
avant l’octroi de la personnalité juridique, après la mort et lorsqu’il
y a crime contre l’Humanité. Autrement dit, puisque l’expression
(53) C. Neirinck, « La dignité humaine ou le mauvais usage juridique d’une
notion philosophique », in Ethique, droit et dignité de la personne, Mélanges C. Bolze,
sous la direction de Ph. Pédrot, Economica, 1999, p. 39 ; J.F. Mattéi, « L’énigme de
la dignité ou le principe d’Antigone », in Ethique, droit et dignité de la personne, op.
cit., p. 3.
(54) R. Eisner, Kant-Lexikon, Gallimard, 1994, p. 280 ; Dictionnaire Robert, éd.
1978 : « principe selon lequel un être humain ne doit jamais être traité en même
temps comme une fin... » ; J.M. Lustiger, « La personne devant le cardinal-archevêque de Paris », D. 1995, 1, p. 6.
(55) C. Atias, Philosophie du droit, Thémis droit privé, P.U.F., 1999, pp. 199 et s.
(56) C. pén. art. 111-3.
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« dignité de la personne humaine » est un pléonasme, la notion ne
saurait s’appliquer qu’à la catégorie des choses « dignes » de protection.
L’embryon, une chose digne
9. A la fin des années 1980, le Conseil de l’Europe jugeait, dans
deux recommandations, la protection de l’embryon « urgente » ( 57).
La remarque est toujours d’actualité. A plusieurs reprises, le président de l’Association internationale contre l’exploitation des fœtus
humains a dénoncé des pratiques inadmissibles ( 58). Lors du vote de
la loi de 1975, le ministre de la Santé avait eu la faiblesse de déclarer inutile toute disposition relative à l’expérimentation sur
embryon, craignant qu’elle « jette un doute sur l’éthique respectée
par les médecins de notre pays » ( 59). Sans doute la question de principe est-elle d’ores et déjà résolue : « l’incontestable matérialité du
corps » ( 60) conduit à autoriser, par principe, l’intervention scientifique. Mais « par principe » seulement, sachant que les limites d’aujourd’hui devront rester celles de demain ( 61). Le droit des biens
peut assurer cette fonction protectrice. Se prononcer pour la qualification de chose ne signifie pas tout autoriser. « Serait-il si choquant
d’admettre qu’il (l’embryon) est une chose au sens juridique du
terme, dès lors que cette chose bénéficierait d’un statut à part, un
(57) Conseil de l’Europe, Assemblée parlementaire, Recommandation 1046 (1986)
relative à l’utilisation d’embryons et de fœtus humains à des fins diagnostiques, thérapeutiques, scientifiques, industrielles et commerciales ; Recommandation 1100
(1989) relative à l’utilisation des embryons et fœtus humains dans la recherche scientifique.
(58) C. Jacquinot, « Le débat parlementaire sur les cellules humaines », Gaz. Pal.,
20 juin 1996, 1, p. 661. C. Jacquinot, J. Delaye, Les trafiquants de bébés à naître,
éd. Favre, Lausanne, 1997. C. Jacquinot, H. Pialot, L’utilisation des fœtus
humains, éd. Médecine pratique. Les pratiques dénoncées sont édifiantes : diffusion
de programmes commerciaux destinés à fournir en embryons des industries de cosmétologie ou des cliniques de soins en rajeunissement, vente d’un produit de beauté
avec précision de la composition « aux embryons humains », banque américaine de
cellules qui, dans son dépliant publicitaire, propose des « embryons de race noire »...
(59) JOAN CR., 20 déc. 1974, p. 8130.
(60) J.P. Baud, « La voix du juriste dans le tintamarre de la bioéthique »,
Archives de philosophie du droit, Sirey, 1995, Tome 39, Le procès, p. 421, spéc. p. 428.
(61) A défaut, les dispositions laxistes devront être condamnées. Mais on ne peut
pas s’opposer à la recherche et l’expérimentation sur l’embryon au motif qu’« en
matière scientifique les limites d’un jour ne sont guère destinées à être fixées ne varietur » (Dictionnaire permanent, « Bioéthique et biotechnologies », Bull. 72bis, janv.
1999, p. 4).
450
Rev. trim. dr. h. (54/2003)
statut protecteur... ? » ( 62). Non. « C’est l’emploi du mot ‘chose ’ qui
épouvante » ( 63). Le législateur ( 64) et certains textes internationaux ( 65) lui ont donc préféré l’expression « être humain », l’Ordre
national des médecins, celle d’« être de nature humaine » ( 66). Leur
appartenance à l’espèce humaine justifie de ne pas les assimiler à
une chose classique. Leur protection passe par le respect de la vie
et par la notion de dignité ( 67). En d’autres termes, c’est parce que
le corps avant la naissance n’est pas n’importe quelle chose que le
concept de dignité doit s’appliquer. La Convention du Conseil de
l’Europe sur les droits de l’homme et la biomédecine l’utilise justement en son article 1 er : « Les parties à la présente Convention protègent l’être humain dans sa dignité » ( 68). Dès 1986, une recommandation du Conseil de l’Europe avait opportunément relevé : « L’embryon et le fœtus humains doivent bénéficier en toutes circonstances du respect dû à la dignité humaine » ( 69). Elle est donc, en
droit des biens, la notion charnière qui permet de trouver un juste
milieu entre la protection du corps avant la naissance et le recours
sans bornes à l’embryon et au fœtus. Son rôle n’est pas d’empêcher
la réification du corps ( 70) qui est déjà une chose mais d’élever ce
dernier à un rang « digne » de protection. La dignité permet ainsi de
(62) C. Neirinck, « L’embryon humain ou la question en apparence sans réponse
de la bioéthique », Petites affiches, 9 mars 1998, n o 29, p. 4, spéc. p. 10.
(63) X. Labbée, La condition juridique du corps avant la naissance et après la mort,
Presses universitaires de Lille, 1991, p. 277.
(64) Art. 1 er de la loi de 1975 ; art 16 du code civil.
(65) Convention du Conseil de l’Europe pour « la protection des droits de l’homme
et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la
médecine », signée le 4 avril 1997 à Oviedo, Série des traités européens/164. L’article 1 er dispose : « Les parties à la convention protégent l’être humain dans sa dignité
et son identité... ».
(66) Rapport du Conseil national de l’Ordre des médecins sur la procréation médicalement assistéee et l’évolution des techniques, in Dictionnaire permanent « Bioéthique et biotechnologies », Assistance médicale à la procréation, 15 sept. 2000, p. 109,
spéc. annexe II.
(67) C. Labrusse-Riou, B. Mathieu, N.J. Mazen, « La recherche sur l’embryon :
qualifications et enjeux », n o spécial, R.G.D.M., Les études hospitalières, 2000.
(68) Convention de Conseil de l’Europe sur les droits de l’homme et la biomédecine adoptée le 19 nov. 1996, Petites affiches, 23 oct. 1998, n o 127, p. 3, commentaire
de H. Chanteloup.
(69) Recommandation 1046 du 1 er sept. 1986 relative à l’utilisation d’embryons et
fœtus humains à des fins diagnostiques, thérapeutiques, scientifiques, industrielles et
commerciales, Commission des questions juridiques, M. Haase, rapporteur, Doc 5615,
§ 14.
(70) « Le principe de dignité s’oppose à la réification du corps humain », C. D’Autume, « Vers un encadrement international du développement des sciences de la vie »,
Gaz. Pal. 16 juil. 1996, 2, p. 784, spéc. p. 785.
Thibault Lahalle
451
protéger l’embryon non seulement pour sa valeur intrinsèque mais
également pour le danger potentiel qu’il représente à l’égard de l’espèce humaine en cas de manipulations scientifiques périlleuses.
Outre la diminution génétique qu’il entraînerait ( 71), le clonage
reproductif détruirait les structures sociales en bouleversant les
règles de la filiation ( 72).
10. La nature humaine de l’embryon est incontestable ( 73). Cette
spécificité justifie le « respect » ( 74) qui lui est dû. S’il ne s’applique
pas dans le cadre légal de l’avortement ( 75), l’article 1 er de la loi de
1975 protège en revanche l’embryon dans tous les autres
domaines ( 76). On ne peut effectivement pas « sans état d’âme, assimiler ces embryons à des tables, des voitures ou des bâtiments » ( 77).
Et si le droit ne connaît que deux catégories ( 78), il n’exclut pas que,
dans celle de chose, certaines soient plus protégées que d’autres. A
cet égard, la décision du Conseil constitutionnel rendue à propos des
lois bioéthiques le 27 juillet 1994 est regrettable. En décidant que
« le principe du respect de tout être humain dès le commencement
de la vie ne leur (embryons in vitro) était pas applicable » ( 79), le
Conseil assimile ces derniers à une chose commune. Il crée une distinction inexplicable avec l’embryon in utero, qu’il qualifie implicitement et a contrario d’être humain alors que la nature des uns et
des autres est identique. La plus grande disponibilité de l’embryon
in vitro ( 80) ne change en rien sa nature. Surtout, il donne « carte
(71) Voy. n o 23.
(72) Voy. n o 27.
(73) B. Mathieu, « La recherche sur l’embryon au regard des droits fondamentaux constitutionnels », D. 1999, 1, p. 451, spéc. p. 453.
(74) C. civ. art. 16; art. 1 er loi 1975.
(75) Toutes les autres dispositions de la loi sont au contraire tournées vers la destruction de l’embryon.
(76) « Ne pas l’admettre reviendrait à circonscrire son application à un domaine
d’où, précisément, il est écarté » (D. Vigneau, « Le transfert post mortem d’embryons
humains conçus in vitro », note sous Cass. civ. 1 re, 9 janv. 1996, Petites affiches,
15 mai 1996, n o 59, p. 15, spéc. p. 17).
(77) M.F. Callu, « Des rapports complexes du corps et du droit », Droit, déontologie et soins, Sept. 2001, Vol. 1, n o 1, p. 56, spéc. p. 58.
(78) Ibid.
(79) Cons. const. n o 94-343-344, J.O. 29 juil. 1994, p. 11024. B. Edelman, « Le
Conseil constitutionnel et l’embryon », D. 1995, 1, p. 205. B. Mathieu, « Bioéthique :
un juge constitutionnel réservé face aux défis de la science », R.F.D.A., 1994, p. 1019.
F. Luchaire, « Le Conseil constitutionnel et l’assistance médicale à la procréation »,
RD publ., 1994, n o 6. J.C.P. éd. G., 1995, I, 3837, n o 9.
(80) Dictionnaire permanent « Bioéthique et biotechnologies », Embryon humain
in vitro, 15 sept. 1997, p. 815, spéc. p. 820.
452
Rev. trim. dr. h. (54/2003)
blanche » au législateur pour autoriser son exploitation sans
limite ( 81), y compris le clonage. Puisque l’embryon in vitro ne bénéficie d’aucune protection constitutionnelle, les représentants du
peuple pouvaient, en 1994, accéder aux requêtes des scientifiques.
Mais là où le droit interne a failli, le droit international a partiellement ( 82) réussi. La Convention d’Oviedo du 4 avril 1997 relative à
la « protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain
à l’égard des applications de la biologie et de la médecine » assure
une protection supra légale de l’embryon in vitro et in utero ( 83).
11. L’autorité doit savoir traduire en règles de droit la morale
d’une société ( 84). S’il n’est pas question d’assurer le « primat de
l’éthique sur la technique » ( 85), il est en revanche nécessaire de trouver un équilibre entre le droit à la recherche et la protection de
l’embryon ( 86) et du genre humain. En se contentant d’être une juridiction d’enregistrement, le Conseil constitutionnel a déçu. Sans
doute le consensus éthique est-il inaccessible ( 87). Les réalités
sociales, religieuses, philosophiques sont à ce point complexes que la
quête de l’unanimité est un mythe. Mais tel est l’objet du droit de
la bioéthique : être la science de la décision ( 88) immédiatement
exploitable. Le juste milieu, s’il existe, doit être recherché de telle
sorte que les convictions et besoins de tous soient aussi satisfaits
que possibles. Deux contingences guident le juriste : « La biologie
dit ce qui est et s’en tient à l’indicatif ; la morale dit ce qui doit être
(81) « Lors du prochain examen de la loi, le législateur pourrait tirer tout le parti
de la liberté que lui concède le Conseil constitutionnel et estimer vraiment le principe
inapplicable à l’embryon in vitro pour en tirer toutes les conséquences » (Dictionnaire
permanent « Bioéthique et biotechnologies », Embryon humain in vitro, op. cit.,
p. 823). Lire également B. Mathieu, « La recherche sur l’embryon au regard des
droits fondamentaux constitutionnels », D. 1999, 1, p. 451, spéc. p. 453.
(82) Partiellement seulement dans la mesure où la Convention d’Oviedo n’a pas,
loin s’en faut, force obligatoire à l’égard de tous les Etats : son champ d’application
est limité aux Etats membres du Conseil de l’Europe qui l’ont signé ou ratifié.
(83) G. Fauré, « La vie prénatale et la Convention sur les droits de l’homme et
la biomédecine. A propos des recherches sur l’embryon in vitro », Petites affiches,
23 oct. 1998, n o 127, p. 9.
(84) B. Mathieu, « La difficile appréhension de la bioéthique par le droit constitutionnel », Petites affiches, 11 juin 1993, n o 70, p. 4.
(85) C. Jacquinot, « La responsabilité du scientifique », Gaz. Pal., 1984, 1, p. 260,
spéc. p. 261.
(86) P. Pédrot, « La dignité de la personne humaine à l’épreuve des techniques
biomédicales », in Ethique, droit et dignité de la personne, Litec, 1999, p. 62.
(87) P. Pédrot, « Le statut juridique de l’embryon et du fœtus humain en droit
comparé », J.C.P. éd. G., 1991, I, p. 26.
(88) Dictionnaire permanent « Bioéthique et biotechnologies », Bioéthique, 1 er oct.
1996, p. 191, spéc. p. 198.
Thibault Lahalle
453
et se conjugue à l’impératif » ( 89). Or la morale exige de ne pas créer
d’embryons voués à la mort. Elle exige en outre de ne pas attenter
à la richesse du patrimoine génétique du genre humain. Clonage thérapeutique (I) comme clonage reproductif (II) sont une atteinte à la
dignité humaine.
I. — Ne pas créer pour tuer :
le clonage thérapeutique, une atteinte
à la dignité humaine
12. Le droit à la vie est l’une des prérogatives essentielles de la
personne. A la différence de la torture, des traitements inhumains
ou dégradants ( 90), il n’est cependant pas un droit insusceptible de
dérogations. L’article 2, alinéa 2 de la Convention européenne de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales
admet des exceptions ( 91). A fortiori, à l’égard d’un être humain,
chose, ce droit devrait-il être plus restreint encore. Mais la nature
humaine de l’embryon ( 92) et l’importance de la vie comme « don de
Dieu » dans la civilisation judéo-chrétienne ( 93) expliquent l’attachement de la société au développement de l’embryon. Dénué de personnalité juridique, ce dernier doit bénéficier d’un respect de sa vie
qui, comme en Allemagne ( 94), soit un droit objectif et non, comme
en Irlande ( 95), un droit subjectif. Une éthique élémentaire doit
proscrire toute création suivie délibérément de mort.
13. « Le XXI e siècle sera, dans l’histoire de la médecine, celui de
la thérapie cellulaire » ( 96). Cent millions de personnes à travers le
(89) J.-B. d’Onorio, « Biologie, morale et droit », J.C.P. éd. G., 1986, I, 3261.
L’auteur ajoute : « Les jugements moraux sont des jugements de faits; les jugements
moraux sont des jugements de valeurs ».
(90) Conv. eur. dr. h., art. 3.
(91) Conv. eur. dr. h., art. 2. G. Guillaume, « Commentaire de l’article 2 », in La
Convention européenne des droits de l’homme, Commentaire article par article, dir.
L.E. Pettiti, E. Decaux, P.H. Imbert, Economica, 1999, pp. 143 et s. (peine de
mort — sauf ratification du protocole additionnel —, légitime défense, empêcher une
évasion, réprimer une émeute ou une insurrection...).
(92) B. Mathieu de s’interroger : « L’embryon est-il titulaire d’un droit au respect
de sa vie ? » (B. Mathieu, « La recherche sur l’embryon au regard des droits fondamentaux constitutionnels », op. cit., p. 452).
(93) G. Kalinowski, « Le droit à la vie chez Thomas d’Aquin », Archives de philosophie du droit, Tome 30, Sirey, 1985, pp. 315 et s.
(94) C. Autexier, Introduction au droit public allemand, P.U.F., 1997, pp. 117
et s.
(95) Art. 4 de la Constitution.
(96) Le Monde, 29 août 2001, p. 17.
454
Rev. trim. dr. h. (54/2003)
monde seraient concernées ( 97). Pourtant, et à juste titre, le mot
« clonage » est une puissante machine à fantasmes. Il a le pouvoir de
solliciter immédiatement l’imaginaire surtout lorsque les media ne
distinguent pas ( 98) entre clonage thérapeutique et clonage reproductif. Alors que le premier cherche à améliorer la santé publique,
le second a pour finalité la reproduction à l’identique d’un individu ( 99). Schématiquement le clonage thérapeutique consiste en la
création d’un embryon à partir duquel on prélèvera des cellules
dites « indifférenciées » pour constituer un organe susceptible d’être
implanté. Mais une fin louable ne rendant pas bonne une action
mauvaise en soi, le procédé doit être condamné. Le consensus
n’existe pas. Entre le Royaume-Uni qui autorise le financement
public du clonage thérapeutique ( 100), les Etats-Unis qui pour des
raions politiques ont choisi une voie médiane ( 101) et les pays latins
d’Europe occidentale qui hésitent ( 102), certains regrettent légitimement la prise de décisions unilatérales, sans concertation internationale ( 103). Sans doute le clonage thérapeutique présente-t-il des inté(97) Ibid.
(98) « L’an I du clonage humain », titrait Le Monde en première page (18 août
2000 p.1) sans spécifier qu’il s’agissait du clonage thérapeutique. Editorial, La
Recherche, mars 1999, p. 5.
(99) « L’utilisation du mot ‘ clonage ’ prête à confusion » (Le Monde, 11 juil. 2001,
p. 8). Le clonage a en effet une « finalité reproductive si l’embryon obtenu est transféré dans l’utérus, ou une finalité thérapeutique si l’on utilise les cellules de l’embryon au tout premier stade de son développement in vitro pour le traitement de
diverses pathologies » (Dictionnaire permanent « Bioéthique et biotechnologies »,
Bull. 88, 8 avril 2000, p. 7818). L.E. Pettiti, « Réflexions sur la bioéthique »,
Mélanges J.C. Soyer, L’honnête homme et le droit, L.G.D.J., 2000, p. 289, spéc. p. 311.
(100) Voy. n o 22.
(101) Le 9 août 2001 le président G. Bush acceptait le financement public des
recherches sur les lignées de cellules embryonnaires produites à ce jour mais le refusait pour les lignées produites après. Le président des Etats-Unis respectait ainsi son
engagement électoral de ne pas détruire de nouveaux embryons. N. Chevassus-auLouis, « Cellules souches, Ruée vers un eldorado incertain », La Recherche, n o 349,
janv. 2002, p. 64. Le Monde, 12 août 2001, p. 4. Le Monde, 11 août 2001, p. 24.
(102) La volte face du gouvernement dans le cadre de l’avant-projet de loi de la
révision des lois bioéthiques en témoigne. « L’embryon humain divise l’Union européenne », Le Monde, 15 sept. 2000, p. 19. J. Montagut, « Les législations européennes
concernant l’embryon », Science et avenir, hors série, « L’embryon est-il humain ? »,
avril 2002, p. 82.
(103) Professeur J.F. Mattei, Le Monde, 19 août 2000, p. 28. Le rapport sur « Le
clonage, la thérapie cellulaire et l’utilisation thérapeutique des cellules embryonnaires » présenté par le député A. Claeys et le sénateur C. Huriet pour le compte de
l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques le
23 février 2000 dresse lui aussi un panorama très contrasté entre les pays anglosaxons et les principaux Etats de l’Union Européenne (Rapp. AN n o 2198 et Sénat
n o 238, 1999-2000).
455
Thibault Lahalle
rêts sanitaires manifestes (A). Toutefois la création délibérée d’un
embryon suivie quelques jours après de sa destruction pose des problèmes éthiques essentiels (B), surtout lorsque d’autres voies permettent d’aboutir à des résultats similaires sans tuer (C).
A. — Intérêts sanitaires manifestes
14. L’amélioration de la santé publique n’est pas qu’un « inlassable alibi thérapeutique » ( 104). Il y a unanimité pour reconnaître
que le clonage thérapeutique présente un immense espoir de guérison de maladies jusqu’alors incurables ( 105). Les promesses des cellules souches concurrenceraient même celles du génome ( 106) ! En
isolant et cultivant ces cellules embryonnaires capables de se différencier ( 107), les médecins pourraient reconstituer n’importe lequel
des deux cents tissus humains ( 108). Récemment du muscle cardiaque ( 109) et des cellules sanguines ( 110) ont ainsi été fabriqués. Cette
médecine régénératrice, moyen d’obvier au manque de dons d’organes ( 111), a également fait ses preuves en matière de greffes de
peau ( 112). Le procédé est d’autant plus séduisant, qu’à la différence
des xénogreffes, il ne pose aucun problème de tolérance immunologique ( 113) puisqu’il s’agit d’une greffe autologue.
(104) L.E. Pettiti, « Réflexions sur la bioéthique », op. cit., p. 307.
(105) Certaines maladies neurodégénératives (Parkinson, Alzheimer...), certains
diabètes... (Le Monde, 18 août 2000, p. 16). Dictionnaire permanent « Bioéthique et
biotechnologies », Biotechnologies (généralités), 15 juin 2000, p. 201, spéc. p. 209.
A. Jankovski et A. Chédotal, « Des cellules qui font souche », Science et vie, La vie
au tout début, mars 2000, pp. 146 et s. La Recherche n o 334, sept. 2000, dossier Le
clonage, pp. 28 et s. ; Le Monde, 18 janv. 2002, p. 30 et 11 avril 2002, p. 28.
(106) Le Monde, 29 août 2001, p. 17.
(107) Le Monde, 2 août 2001, p. 15. Le Monde, 18 août 2000, p. 16. Le Monde,
30 juin 1999, p. 32. La Croix, 29 août 2000, p. 4.
(108) Le Monde, 2 août 2001, p. 15.
(109) Le Monde, 4 août 2001, p. 24.
(110) Le Monde, 5 sept. 2001, p. 34.
(111) Le Monde, 18 août 2000, p. 16.
(112) A. Claeys et C. Huriet, Rapport sur « le clonage, la thérapie cellulaire et
l’utilisation thérapeutique des cellules embryonnaires », op. cit.. Dictionnaire permanent « Bioéthique et biotechnologies », Bull. 88, 8 avril 2000, p. 7818, spéc. p. 7819.
(113) M. Gabolde et J. Hors, « Utilisation aux fins de greffe de cellules et tissus
humains d’origine fœtale ou embryonnaire », Médecine et droit, 2000, n o 44, p. 1. Le
Monde, 7 déc. 2000, p. 17. Pour certains l’enjeu est financier plus que sanitaire, Le
Monde 18 janv. 2002, p. 14, article collectif signé notamment par les professeurs
F. Bellivier et C. Labrusse-Riou.
456
Rev. trim. dr. h. (54/2003)
15. Les enjeux financiers représentent plusieurs dizaines de milliards de dollars ( 114). La compétition internationale est scientifique
mais aussi commerciale ( 115). Le consensus éthique est d’autant plus
difficile à traduire en droit international. En témoigne le silence
pesant de la Convention d’Oviedo quant à la qualification juridique
de l’embryon et du fœtus ( 116). Toute législation interne restrictive
est inévitablement limitée et risque d’encourager le « tourisme »
scientifique. De même que des délais brefs en matière d’interruption
volontaire de grossesse conduisent des femmes à avorter à l’étranger, des chercheurs s’expatrient dans des Etats plus libéraux pour
mener à bien leur projet ( 117). En autorisant, sous conditions ( 118), le
financement public du clonage humain à des fins thérapeutiques, le
gouvernement britannique fait de la Grande-Bretagne le « royaume
de l’embryologie » ( 119).
16. Dans ces conditions, le Comité consultatif national d’éthique
a jugé opportun de rendre un avis favorable en matière de clonage
thérapeutique ( 120). Arguant de la « mondialisation de la recherche »
et du « devoir de solidarité avec les personnes qui souffrent », le
Comité « considère qu’il est du devoir de la société de promouvoir
le progrès thérapeutique... » ( 121). Peu de temps auparavant, mais
sans jamais prononcer l’expression « clonage thérapeutique » ( 122), le
(114) C. Jacquinot, « Quelques considérations sur les nouveaux textes concernant
les embryons humains », Gaz. Pal. 7 sept. 2001, 1, p. 30 (l’auteur parle d’un marché
annuel de dix milliards de dollars). Le Monde 12 août 2001, p. 4 (10 à 50 milliards
de dollars dans les dix prochaines années).
(115) Dictionnaire permanent « Bioéthique et biotechnologies », Bull. n o 88, 8 avril
2000, p. 7818.
(116) G. Fauré, « La vie prénatale et la Convention sur les droits de l’homme et
la biomédecine. A propos des recherches sur l’embryon humain in vitro », op. cit., p. 8.
(117) Depuis que les pouvoirs publics américains ont décidé de limiter le financement public des recherches sur les cellules souches embryonnaires aux lignées actuellement existantes, plusieurs sociétés de biotechnologies envisagent de s’installer en
Grande-Bretagne (Le Monde, 17 août 2001, p. 1). C’est l’une des raisons pour lesquelles certains scientifiques français se prononcent en faveur du clonage thérapeutique (J. Montagut, Libération, 19 fév. 1999, p. 21).
(118) Autorisation de la « Human Fertilisation and Embryology Authority » (Le
Monde, 18 août 2001, p. 15).
(119) Le Monde, 17 août 2001, p. 1. Lire également : Le Monde, 18 août 2001,
pp. 1, 10, 15, 16, 17. Le Monde, 15 août 2000, p. 24.
(120) Avis n o 67 du 18 janv. 2001, Dictionnaire permanent « Bioéthique et biotechnologies », Bull. 98, 6 fév. 2001, pp. 7629 et s. Le Monde, 8 fév. 2001, p. 36. Des
auteurs y sont également favorables : N. Le Douarin et C. Puigelier, « L’expérimentation à partir de cellules souches embryonnaires humaines », J.C.P. éd. G.,
2002, I, 127.
(121) Avis n o 67 du 18 janv. 2001, op. cit., p. 7631.
(122) Le Monde, 7 déc. 2000, p. 1.
457
Thibault Lahalle
Premier ministre s’était également prononcé en ce sens lors de
l’élaboration de l’avant-projet de loi sur la révision des lois bioéthiques ( 123). Ces prises de position ( 124) doivent être relativisées :
le Comité n’a admis le procédé qu’à 14 voix contre 12 ( 125) ; le
gouvernement est revenu sur sa décision quelques mois plus
tard ( 126). Ces hésitations traduisent, non un mépris à l’égard des
malades, mais un malaise légitime quant au statut de l’embryon ( 127).
B. — Difficulté éthique manifeste
17. Techniquement le clonage thérapeutique consiste en la fabrication d’un ou plusieurs embryons génétiquement identiques au
patient. En introduisant dans un ovule énucléé la cellule du donneur malade qui apporte ainsi tout son matériel génétique, les scientifiques peuvent cultiver l’embryon quelques jours — cinq ou six —
pour y puiser et multiplier en quantité suffisante les cellules totipotentes parfaitement compatibles, nécessaires à la réparation des tissus du patient ( 128). La difficulté éthique réside donc dans la création d’un être humain qui n’est pas destiné à achever son dévelop-
(123) Allocution du Premier ministre lors de la séance annuelle d’ouverture des
travaux du Comité consultatif national d’éthique le 28 novembre 2000 (Dictionnaire
permanent « Bioéthique et biotechnologies », Bull. 95, 10 déc. 2000, p. 7668). Le
ministre de la Recherche s’était également prononcé en ce sens, Le Monde, 13 nov.
2001, p. 12 et 16 nov. 2001, p. 25.
(124) Elles ont parfois suscité l’étonnement. Ex : R.M. Lozano, La protection
européenne des droits de l’homme dans le domaine de la biomédeine, La documentation
française, 2001, p. 299.
(125) Dictionnaire permanent « Bioéthique et biotechnologies », Bull. 98, 6 fév.
2001, p. 7621.
(126) Le Monde, 16 juin 2001, p. 11. Le Monde, 21 juin 2001, p. 5.
(127) G. Grillet et V. Grillet, « Réflexions sur le clonage humain », Bull. du
Conseil départemental de l’ordre des médecins de la ville de Paris, nov. 2001, n o 81,
pp. 7 et s.
(128) H. Atlan, « Possibilités biologiques, impossibilités sociales », Ouvrage collectif, Le clonage humain, H. Atlan, M. Augé, M. Delmas-Marty, R.-P. Droit,
N. Fresco, Seuil, 1999, p. 17, spéc. pp. 18 et s. ; A. Kahn, Et l’homme dans tout ça?,
éd. Nil, 2000 ; A. Claeys et C. Huriet, Rapport sur « le clonage, la thérapie cellulaire
et l’utilisation thérapeutique des cellules embryonnaires », op. cit. Dictionnaire permanent « Bioéthique et biotechnologies », Bull. 88, 8 avril 2000, p. 7820. Le Point,
30 janv. 1999, p. 35.
458
Rev. trim. dr. h. (54/2003)
pement ( 129) mais qui sera utilisé dans une perspective exclusivement thérapeutique et mourra. Il n’est moralement pas acceptable
de s’autoriser à créer à des fins thérapeutiques un ensemble de cellules qui, si on le laissait se développer dans un sein maternel,
conduirait à la naissance d’un enfant. Dans le cadre de la procréation médicalement assistée, les embryons, fussent-ils surnuméraires,
sont créés dans le but que naisse un enfant au « sein d’une famille
constituée » ( 130). La vie doit aboutir. Lorsqu’il y a avortement,
l’embryon n’a pas été voulu. La vie est « accidentelle ». Rien de tel
en revanche avec le procédé du clonage thérapeutique qui programme la mort avant même que la vie ne soit donnée. L’embryon
n’est plus qu’une source de matériel biologique, « un simple matériau de laboratoire » ( 131).
18. Ainsi s’expliquent les hésitations du gouvernement et des
députés ( 132) dans le cadre de l’avant-projet de loi relatif à la révision des lois bioéthiques et celles du Comité consultatif national
d’éthique dont une partie des membres a relevé qu’il s’agissait « en
réalité de créer des embryons en vue de la production de matériel
thérapeutique » ( 133). En estimant que le « développement sera interrompu précocement », la Commission nationale consultative des
droits de l’homme ( 134) retient la même approche, inspirée peut-être
en cela par le rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des
(129) « L’embryon est pris en ce cas non pour l’être humain qu’il est mais pour
une simple ‘ banque ’ de cellules ou de tissus compatibles dont la fabrication et le sort
ne dépendent que de son utilité immédiate » (Dictionnaire permanent « Bioéthique et
biotechnologies », Bull. 88, 8 avril 2000, p. 7821). « L’embryon est détourné de sa
finalité : son existence est mise en route puis interrompue » (Professeur D. Sicard,
Le Monde, 18 août 2000, p. 15). A ce titre la création puis la destruction de
110 embryons par une équipe de chercheurs américains est condamnable (Le Monde,
13 juil. 2001, p. 32). Dictionnaire permanent, « Bioéthique et biotechnologies », Biotechnologies (généralités), op. cit., p. 209. L. Degos, Cloner est-il immoral ?, éd. Le
Pommier, 2002 ; P. Fédida et D. Lecourt, Faut-il vraiment cloner l’homme ?, PUF,
2000.
(130) Pour reprendre l’expression de la Cour de cassation (c. Cass. civ. 1 re, 9 janv.
1996, D. 1996, 2, p. 376 note F. Dreiffus-Netter ; J.C.P. éd. G., 1996, II, 22666,
note C. Neirinck ; R.D. sanit. soc. 1996, p. 628 note A. Terrasson de Fougères).
(131) P. Pédrot, « Le clonage de l’être humain en droit européen », op. cit.
(132) Si des députés ne cachent pas leur enthousiasme devant le clonage thérapeutique (Le Monde 18 janv. 2002, p. 7), l’Assemblée nationale l’a finalement rejeté à
l’occasion de la révision des lois bioéthiques (Le Monde 19 janv. 2002, p. 8).
(133) Avis n o 67 du 18 janv. 2001, op. cit., p. 7631.
(134) CNCDH avis du 25 janvier 2001 portant sur l’avant-projet de loi tendant
à la révision des lois relatives à l’éthique biomédicale, Dictionnaire permanent « Bioéthique et biotechnologies », Bull. 98, 6 fév. 2001, p. 7635, spéc. p. 7637. Le Monde,
13 juil. 2001, p. 8.
Thibault Lahalle
459
choix scientifiques et technologiques ( 135). Dans le cadre européen,
les positions vont dans le même sens. Dans un avis du 14 novembre
2000, le Groupe européen d’éthique, malgré des perspectives prometteuses, rejette formellement le clonage à visée thérapeutique au
motif qu’il réduit l’embryon « à l’état de matériau de laboratoire » ( 136). Deux mois auparavant, le Parlement européen avait
voté une résolution demandant aux Etats membres de ne pas s’engager dans une voie impliquant que « la création d’embryons
humains aux seules fins de recherche pose un dilemme éthique profond » ( 137). Devant un tel consensus le commissaire européen à la
Recherche précisait que le cinquième programme cadre de recherche
de l’Union (1998 — 2002) excluait le financement communautaire
de tout travail relatif au clonage ( 138).
19. Une fois n’est pas coutume, la plupart des instances consultatives laïques ( 139) et l’Eglise catholique défendent une position similaire. En juin 2001, l’épiscopat se félicite de l’abandon du clonage
thérapeutique ( 140) dans l’avant-projet de loi relatif à la révision des
lois bioéthiques et deux mois plus tard, le Pape condamne une pratique qui conduit à « créer une vie avant de la détruire » ( 141). Doivent dès lors être contestés certains points de vue manifestement
contradictoires au regard des valeurs éthiques protégées. Après
avoir dénoncé le clonage thérapeutique, le rapport de l’Office parle(135) A. Claeys et C. Huriet, Rapport sur le « clonage, la thérapie cellulaire et
l’utilisation thérapeutique des cellules embryonnaires », op. cit., Dictionnaire permanent « Bioéthique et biotechnologies », Bull. 88, 8 avril 2000, p. 7820.
(136) Avis n o 15, Groupe européen d’éthique des sciences et des nouvelles technologies, D. 2001, Droit des biotechnologies, Somm., p. 1430, spéc. p. 1432. Le Monde,
16 nov. 2000, p. 11. Implicitement le Groupe européen d’éthique condamne l’autorisation accordée par les pouvoirs publics de pratiquer le clonage thérapeutique.
(137) Résolution, 7 sept. 2000, Dictionnaire permanent « Bioéthique et biotechnologies », Bull. 93, 6 oct. 2000, pp. 7721 et s. Le Monde, 9 sept. 2000, p. 5.
(138) Dictionnaire permanent « Bioéthique et biotechnologies », Bull. 98, 6 fév.
2001, p. 7621.
(139) Il existe également des instances consultatives religieuses. Ainsi l’Académie
pontificale pour la vie rend des avis consultatifs au nom de l’Eglise catholique. A ce
titre elle a publié une « Déclaration sur la production et l’usage scientifique et thérapeutique des cellules souches embryonnaires humaines » dans laquelle elle affirme :
« Tout type de clonage thérapeutique qui implique la production d’embryons
humains puis leur destruction, afin d’en extraire des cellules souches, est illicite », (La
Croix, 29 août 2000, p. 5).
(140) Le Monde, 27 juin 2001, p. 9.
(141) Le Monde, 31 août 2000, p. 29. Et l’archevêque de Paris, Mgr J.M. Lustiger,
de s’interroger : « Qui protégera les hommes de leurs violences et de leurs délires ? »,
(Le Monde, 27 nov. 2000, p. 10). Rien d’étonnant dans ces conditions à ce que le
Vatican condamne la décision britannique d’autoriser le clonage thérapeutique (Le
Monde, 19 août 2000, p. 26).
460
Rev. trim. dr. h. (54/2003)
mentaire des choix scientifiques et technologiques ne peut, sans se
contredire, encourager les recherches à la fois sur ce procédé et sur
celui des cellules souches adultes au motif que l’efficacité thérapeutique de celles-ci seraient moins certaines ( 142). Pareillement,
défendre l’idée selon laquelle le clonage thérapeutique ne devrait
être autorisé que si les autres méthodes (recherches sur embryons
surnuméraires, embryons issus d’avortements et recherches sur les
cellules souches adultes) ne font pas la preuve de leur efficacité présumée ( 143), recèle une contradiction. Si « ne pas créer pour tuer »
constitue une valeur éthique indérogeable aujourd’hui pourquoi ne
le serait-elle plus demain ? En d’autres termes, « si la légalisation est
envisageable, pourquoi ne pas y procéder dès à présent ? ( 144) ».
20. Parler de « transfert de noyau somatique » plutôt que de « clonage thérapeutique » ne change rien ( 145). Peu importe également le
vocabulaire utilisé pour désigner l’embryon : clonage d’un « zygote »,
de « cellules » ou d’un « pré-embryon ». Les termes ne changent pas
sa nature d’être humain ni l’indispensable protection dont il doit
être l’objet. A elle seule, l’interdiction du clonage thérapeutique est
insuffisante. C’est la raison pour laquelle, dans sa résolution du
7 septembre 2000, le Parlement européen insiste sur la nécessaire
limitation du nombre d’embryons à concevoir dans le cadre de la
procréation médicalement assistée ( 146). Les recommandations de
l’Ordre national des médecins, du Comité consultatif national
d’éthique, de l’Académie nationale de médecine, de l’INSERM ou
du Conseil d’Etat tendant à limiter à deux, voire trois, le nombre
d’embryons transférés vont dans ce sens. S’il doit y avoir embryons
(142) A. Claeys et C. Huriet, Rapport sur « le clonage, la thérapie cellulaire et
l’utilisation thérapeutique des cellules embryonnaires », op. cit.. Dictionnaire permanent « Bioéthique et biotechnologies », Bull. 88, 8 avril 2000, p. 7820.
(143) « Et si dans deux ans, dix ans ou vingt ans, il s’avérait que le recours à des
embryons humains clonés était finalement la seule solution possible, nous n’aurions
de toute façon pas perdu de temps, puisque cet important travail préalable aurait
déjà été accompli. Mais autoriser tout de suite le clonage thérapeutique serait
prendre un risque moral énorme sans justification », (A. Kahn, Valeurs mutualistes,
fév. 2001, p. 14, spéc. p. 15). La contradiction est d’autant plus flagrante que l’intéressé est « contre la recherche sur le clonage thérapeutique car elle nécessite la création d’embryons humains », (Libération, 19 fév. 1999, p. 19) ; A. Kahn, « Cellules
souches et médecine régénératrice », Médecine et science, vol. 18, avril 2002, pp. 503
et s., spéc. 506.
(144) J.P. Caverni, « Clonage thérapeutique : perplexité d’un citoyen », Le
Monde, 24 fév. 2001, p. 15.
(145) H. Atlan, « Le ‘ clonage ’ thérapeutique », Médecine et science, vol. 18, mai
2002, pp. 635 et s. ; Le Monde, 18 janv. 2002, pp. 1 et 14.
(146) Résolution 7 sept. 2000, Dictionnaire permanent « Bioéthique et biotechnologies », op. cit., p. 7711.
Thibault Lahalle
461
surnuméraires, c’est parce que la procréation a réussi dès la première tentative et que les embryons restant ne font plus l’objet d’un
projet parental. La création délibérée d’embryons surnuméraires à
des fins autres que reproductrices — clonage notamment — doit
être proscrite. La Commission nationale consultative des droits de
l’homme abonde également en ce sens ( 147). Les scientifiques ne doivent pas obtenir d’un côté ce que les pouvoirs publics leur refuseraient de l’autre, d’autant plus que l’utilisation des cellules souches
adultes permettrait d’arriver exactement au même résultat que
celui obtenu grâce au clonage thérapeutique, l’objection éthique en
moins.
C. — Procédé de substitution :
utilisation des cellules souches adultes
21. Si les perspectives thérapeutiques du clonage embryonnaire
sont prometteuses, sans être acquises ( 148), celles de l’utilisation des
cellules souches adultes le sont également.
« La solution de la thérapie cellulaire est peut-être en chacun
d’entre nous » ( 149). Présentes, sous forme de réserve, dans les tissus
humains ( 150), ces dernières permettent aux organes de se régénérer
si nécessaire ( 151). Les cellules en cause ont les mêmes caractéristiques que celles des cellules embryonnaires, aux premiers jours de
(147) CNCDH avis du 25 janvier 2001, op. cit., p. 7637.
(148) « D’un point de vue médical, le clonage thérapeutique pourrait comporter
des risques importants » liés à d’éventuels effets pathologiques, (Dictionnaire permanent « Bioéthique et biotechnologies » Bull. 88, 8 avril 2000, p. 7820). Le rapport de
l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques soulignait le contraste entre la prudence affichée des scientifiques et les effets d’annonces
médiatiques faisant naître des espoirs prématurés (Ibid.) ; N. Chevassus-au-Louis,
« Cellules souches, Ruée vers un eldorado incertain », La Recherche, janv. 2002,
n o 349, pp. 64 et s. ; A. Kahn, « Clonage humain : un non-évenement ? », Pour la
science, n o 291, janv. 2002, pp. 28 et s. ; Le taux de réussite du clonage « reste faible »,
J.P. Renard et X. Vignon, « Le clonage : état de l’art », Pour la science, n o 279,
janv. 2001, pp. 40 et s. N. Chevassus-au-Louis, « Clonage thérapeutique : les scientifiques divisés », La Recherche, n o 345, sept. 2001, p. 55; D. Solter et J. Gearhart,
« Des cellules bonnes à tout faire ? », La Recherche, n o 320, mai 1999, pp. 32 et s.
(149) A. Kahn, « Cellules souches et médecine régénératrice », Médecine et science,
n o 4, vol. 18, avril 2002, pp. 503 et s., spéc. p. 505.
(150) A. Jankovski et A. Chédotal, « Des cellules qui font souche », op. cit.,
pp. 146 et s.. A. Khan, Valeurs mutualistes, fév. 2001, p. 14, spéc. p. 15.
(151) Dictionnaire permanent « Bioéthique et biotechnologies », Biotechnologies
(généralités), op. cit., p. 209. Ainsi la peau, le sang, le foie, le muscle peuvent-ils en
tout ou partie se régénérer d’eux-mêmes (Le Monde, 2 août 2001, p. 15). Le Monde,
28 nov. 2001, p. 26.
462
Rev. trim. dr. h. (54/2003)
son développement. Ainsi ont-elles la capacité de se multiplier et
d’engendrer des copies conformes du tissu en cause. En l’absence
d’incompatibilité immunologique, le transfert d’un organe nouvellement créé n’entraîne pas de rejet. Ce procédé a permis la réparation
du cœur d’un malade par ses propres cellules souches ( 152) et laisse
envisager la reconstitution d’organes affectés par une maladie (Parkinson, Alzheimer, conséquences de chimiothérapie...) ( 153). Surtout
les cellules souches adultes ont un fort potentiel de différenciation ( 154). Elles peuvent donc former un tissu autre que celui à partir duquel elles ont été prélevées ( 155). Les perspectives de thérapie
cellulaire sont d’autant plus larges.
22. A la différence du clonage thérapeutique, l’utilisation des cellules souches adultes ne soulève aucune objection éthique ( 156). Elle
ne détruit pas d’embryons et s’inscrit dans le cadre de la loi de 1988
relative à la protection des personnes qui se prêtent à des recherches
biomédicales ( 157). Le respect du consentement et l’évaluation des
risques et avantages permettent de garantir la liberté individuelle et
la santé de ceux qui se soumettent aux prélèvements. L’exploration
de cette voie ne pouvait qu’entraîner l’accord des autorités laïques
(152) Le Monde, 28 août 2001, p. 26. et 29 janv. 2001, p. 24.
(153) Dictionnaire permanent « Bioéthique et biotechnologies », Biotechnologies
(généralités), op. cit., p. 209.
(154) Dictionnaire permanent « Bioéthique et biotechnologies », Bull. 88, 8 avril
2000, p. 7820. Le Monde, 2 août 2001, p. 15. La différenciation des cellules souches
n’est pas propre à l’homme. Par exemple, la peau des souris contient des cellules
souches capables de produire d’autres tissus (Le Monde, 16 août 2001, p. 6).
(155) Ainsi peut-on obtenir des cellules de muscle, d’os et de cartilage à partir de
cellules souches trouvées dans du tissu graisseux. De même des scientifiques ont
obtenu des cellules de foie, muscle et peau notamment à partir de cellules souches
de la moelle osseuse et du système nerveux central (Le Monde, 2 août 2001, p. 15 et
28 nov. 2001, p. 26).
(156) « A l’abri des soupçons éthiques qui pèsent sur les cellules souches embryonnaires, les cellules souches adultes se révèlent tout aussi prometteuses », N. Chevassus-au-Louis, La Recherche, n o 349, janv. 2002, pp. 64 et s., spéc. p. 65.
« Il est regrettable que cette décision (autorisation du clonage thérapeutique par
les autorités britanniques) soit prise en dehors de tout consensus international alors
même que d’autres voies semblent s’ouvrir à partir de cellules indifférenciées prélevées chez l’adulte dont l’utilisation ne pose pas du tout les mêmes problèmes »,
(J.F. Mattei, Le Monde, 19 août 2000, p. 26). Actes « L’embryon », Colloque du droit
du vivant, organisé par le CERJUMA, Dijon, R.G.D. méd. N o 2/2000, pp. 113 et s. ;
L. Degos, « Le clonage humain », Science et avenir, op. cit., p. 45.
(157) J. Borricand, « Commentaire de la loi n o 88-1138 du 20 déc. 1988 relative
à la protection de personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales », D. 1989,
1, pp. 167 et s.
Thibault Lahalle
463
et religieuses ( 158). En France, l’avant-projet de loi sur la révision
des lois bioéthiques ( 159), la Commission nationale consultative des
droits de l’homme ( 160), l’Office parlementaire des choix scientifiques et techniques ( 161) et le Président de la République ( 162) se sont
prononcés en faveur de l’utilisation des cellules souches adultes. En
Europe, les autorités compétentes abondent également en ce sens :
le Groupe européen d’éthique ( 163) et le Parlement européen ( 164) ont
respectivement encouragé et donné priorité à ce procédé sur celui du
clonage thérapeutique. Quant au commissaire européen à la
recherche, il a indiqué que des fonds seraient débloqués dans cette
optique ( 165). Outre-Atlantique, le Président des Etats-Unis, à
défaut d’avoir autorisé le financement public du clonage thérapeutique sur de nouvelles lignées cellulaires ( 166), a insisté sur l’intérêt
thérapeutique et moral que représente le recours aux cellules
souches adultes ( 167). Si louable soit la perspective, le « respect dû à
l’être humain » posé en 1975 et 1994 impose de ne pas le créer pour
le détruire aussitôt. Il impose également d’interdire toute manipulation nuisible à l’espèce humaine.
II. — Ne pas créer pour copier :
le clonage reproductif, une atteinte
à la dignité humaine
23. « Les prochaines longues périodes de l’histoire seront des
périodes de choix en matière d’espèce » ( 168). Ces paroles du philosophe allemand P. Sloterdijk prononcées en 1999 à l’occasion d’une
(158) « La science laisse entrevoir d’autres possibilités d’interventions thérapeutiques qui ne nécessitent pas de clonage ou de prélèvements de cellules embryonnaires.
L’utilisation de cellules souche prélevées sur des organismes adultes est suffisante »,
(Le Pape, Le Monde, 31 août 2000, p. 29. Voy. également la position de l’épiscopat :
Le Monde, 27 juin 2001, p. 9 et 20 juil. 2001, p. 3).
(159) H. Gaumont-Prat, D. 2001, Somm. p. 1427, spéc. p. 1432.
(160) CNCDH avis du 25 janv. 2001, op. cit., p. 7637.
(161) A. Claeys et C. Huriet, Rapport sur « le clonage, la thérapie cellulaire et
l’utilisation thérapeutique des cellules embryonnaires », op. cit.. Dictionnaire permanent « Bioéthique et biotechnologies », Bull. 88, 8 avril 2000, p. 7820.
(162) Le Monde, 10 fév. 2001, p. 11.
(163) H. Gaumont-Prat, D. 2001, Somm. p. 1427, spéc. p. 1432.
(164) Résolution du Parlement européen, 7 sept. 2000, Dictionnaire permanent
« Bioéthique et biotechnologies », op. cit., p. 7711.
(165) Europe environnement, 5 janv. 2001, n o 581.
(166) Voy. n o 13.
(167) Le Monde, 11 août 2001, p. 24.
(168) Le Monde, 29 sept. 1999, p. 2.
464
Rev. trim. dr. h. (54/2003)
conférence sur les mutations à attendre du développement des biotechnologies pour l’Humanité, ont suscité une polémique dans un
pays où le thème de l’« espèce humaine » est particulièrement sensible. Elles ne constituent pourtant rien moins qu’une mise en garde
dont le législateur français a pris acte dès 1994 : « Nul ne peut porter atteinte à l’intégrité de l’espèce humaine » ( 169). Comme pour
l’embryon, il a surtout pris soin de ne pas définir ni qualifier la
notion. Qu’est-ce que l’« espèce humaine » ? Reprenant la summa
divisio des choses et des personnes, dans quelle catégorie faut-il la
classer? Un auteur ( 170) s’est prononcé pour un rattachement fort
séduisant aux « choses communes » de l’article 714 du code civil.
Protéger l’espèce, c’est protéger ses ressources génétiques. Ne seraitce que par leur structure biochimique, ces dernières sont
choses ( 171). C’est la raison pour laquelle, dans la Déclaration universelle sur le génome du 11 novembre 1997, l’UNESCO ( 172) considère celui-ci comme « patrimoine de l’Humanité » ( 173). Bien connu
du juriste, le terme « patrimoine » regroupe des biens et des obligations, autrement dit... des choses. Que ces choses soient celles de
l’Humanité, entité supérieure divine ou naturelle ( 174) selon les
convictions de chacun, « permet de comprendre pourquoi ‘ personne ’
ne peut ‘s’approprier ’ la chose commune » ( 175). Or en agissant sur
l’embryon, les scientifiques ont acquis le savoir et plus encore le
pouvoir ( 176) de modifier le génome et de réduire la diversité génétique de l’homme. Le rapport explicatif au Protocole additionnel de
la Convention du Conseil de l’Europe sur les droits de l’homme et
(169) C. civ. art. 16-4, al. 1.
(170) X. Labbée, « Esquisse d’une définition civiliste de l’espèce humaine », D.
1999, 1, p. 437.
(171) F. Bellivier et L. Boudouard-Brunet, Les ressources génétiques et les
concepts juridiques de patrimoine, ouvrage collectif (dir. C. Labrusse-Riou),
L.G.D.J., 1996, pp. 179 et s., spéc. p. 183.
(172) Le Monde, 13 nov. 1997, p. 21.
(173) A.-C. Kiss, La notion de patrimoine commun de l’humanité, Rec. Cours La
Haye, 1983, pp. 194 et s.
(174) « La théorie du patrimoine commun de l’humanité repose sur une conception téléologique du rapport de l’homme à son environnement », F. Bellivier et
L. Boudouart-Brunet, « Les ressources génétiques et les concepts juridiques de
patrimoine », ouvrage collectif (dir. C. Labrusse-Riou), L.G.D.J., 1996, pp. 179 et s.,
spéc. p. 222.
(175) X. Labbée, « Esquisse d’une définition civiliste de l’espèce humaine », op.
cit., p. 438.
(176) Savoir et pouvoir ne se confondent pas. Par le clonage reproductif les scientifiques espèrent connaître le mécanisme qui permet à une cellule adulte de redevenir
totipotente lorsqu’on l’introduit dans un ovule (Science et vie junior, Dossier hors
série, Demain le corps humain, janv. 1999, p. 70). La liberté de la recherche scientifique justifierait donc le droit de pratiquer le clonage reproductif.
Thibault Lahalle
465
la biomédecine de 1997 le rappelle : il faut éviter cette perte de
richesse ( 177). Les gènes constituent un capital pour les générations
futures. Deux actions sont à mener : ne pas modifier et ne pas créer
par copie le patrimoine génétique de l’embryon. Autrement dit, il
faut encadrer la thérapie génique germinale et interdire le clonage
reproductif. L’embryon est ainsi protégé des manipulations, non
seulement pour sa valeur intrinsèque mais aussi pour les dangers
potentiels qu’encourt l’espèce humaine.
24. Le Comité consultatif national d’éthique a défini le clonage
reproductif comme la « production d’une population d’individus
possédant tous un ensemble identique de gènes dans le noyau de
leurs cellules » ( 178). A la naissance de la brebis Dolly, un consensus
irréfléchi ( 179) s’était manifesté pour s’opposer à tout clonage
humain. Cinq ans plus tard, le débat permet désormais de connaître
précisément les dangers de ce procédé. Malgré des perspectives
désastreuses, des religions ( 180), des personnalités scientifiques ( 181)
(177) « Une recombinaison génétique naturelle est à même d’offrir à l’être humain
une plus grande liberté qu’une composition génétique prédéterminée. Il est dans l’intérêt de chacun de conserver le caractère essentiellement aléatoire de la composition
de ses propres génes. », Textes du conseil de l’Europe en matière de bioéthique,
point 2, p. 145. Petites affiches, 23 oct. 1998, n o 127, pp. 3 et s. « La diversité génétique qui fait la richesse des espèces animales ou végétales fait aussi celle de l’espèce
humaine... Pour l’espèce humaine, elle constitue un atout considérable. C’est cette
immense variété d’aptitudes physiques et mentales qui confére aux populations
humaines leur plasticité et leur faculté de répondre aux changements du milieu, qui
leur donne leur potentiel d’adaptation et de création... Cette diversité des êtres
humains, il faut donc la préserver soigneusement », Rapport Gros, Jacob et Royer,
Sciences de la vie et société, Documentation française, 1979, p. 277.
(178) CCNE avis n o 54, Réponse au Président de la République au sujet du clonage reproductif, Les cahiers du Comité consultatif national d’éthique, n o 12, 1997,
p. 29, spéc. p. 34.
(179) « D’emblée, nous sommes opposés à toute autorisation sans savoir exactement pour quelle raison, et nous sommes dans l’embarras lorsque nous tentons d’argumenter et de dire quels arguments justifient l’interdiction » (M. Augé, in Le clonage humain, ouvrage collectif, Seuil, 1999, p. 53).
(180) Ainsi des protestants (A. Kahn et F. Papillon, Copies conformes, Le clonage
en question, éd. Nil, 1998, p. 214) et de l’union bouddhiste de France (V. Crombé, in
Le Corps Ce qu’en disent les religions, ouvrage collectif, dir. G. Comeau, éd. de l’atelier, 2001, p. 159 ; Actualité des religions, n o 26, avril 2001). L’Eglise catholique en
revanche est hostile au clonage reproductif : la transmission de la vie doit advenir
dans le mariage, par un acte conjugal sexué (A. Kahn et F. Papillon, Copies
conformes, le clonage en question, éd. Nil, 1998, p. 215 ; Le Monde, 3 mars 1997, p. 18).
(181) R. Seed, généticien à l’université d’Harvard a annoncé sa volonté de cloner
sa femme (Le Monde, 3 avril 1999, p. 32). Quant au docteur italien Antinori, déjà
→
466
Rev. trim. dr. h. (54/2003)
et des sectes ( 182) prônent son application à l’espèce humaine. 10 %
des Français y seraient favorables ( 183) et 7 % des Américains ( 184)
seraient prêts à recourir au clonage. Une fois n’est pas coutume en
matière bioéthique : la technique n’étant pas encore applicable à
l’homme ( 185), le droit peut et doit précéder la science ( 186). Les pouvoirs publics doivent prendre les mesures nécessaires (A) pour éviter
des bouleversements identitaires (B). La boîte de Pandore doit rester close.
A. — Bouleversements identitaires
25. Dans son corps et sa conscience, l’individu est unique. Le
brassage génétique qui fait la particularité physique de chacun est
essentiel ( 187). Autoriser le clonage reproductif « serait miner la
valeur symbolique du corps et du visage humains » ( 188) (1). La
construction de l’homme repose également sur l’appartenance à une
←
célèbre pour avoir pratiqué des procréations médicalement assistées sur des femmes
ménopausées, il a lancé un programme de clonage humain reproductif sur 200
femmes (Le Monde, 7 août 2001, p. 24). A ses dires, trois femmes dans le monde
auraient porté en avril 2002 un clone (Le Monde, 25 avril 2002, p. 21, 8 avril 2002,
p. 1 et 10 avril 2002, p. 30).
(182) La plus célèbre est la secte des raëliens. Celle-ci a monté aux Bahamas une
société commerciale destinée à cloner des individus (Le Monde, 21 avril 1997, p. 14).
Elle aurait des chances de réussir (Le Monde, 8 juin 2001, p. 26) et proposerait déjà
un « service clonage » par lequel elle proposerait pour 300 000 francs l’échantillonnage
et le stockage des cellules d’un enfant vivant afin de pouvoir en créer un clone dans
le cas de son décès (Le Monde, 1 er fév. 2001, p. 12). (M. Bruschu et M. BoudotRicœur, « Procréation médicalement assistée et assistance médicale à la procréation :
perspectives techniques, prospectives juridiques ? », in Le droit de la biologie humaine,
éd. Ellipses 2000, ch. 3 ; S. Laurant, « Chérie j’ai fait cloner les gosses », in Science
& vie junior, Dossier hors série, Demain le corps humain, janv. 1999, p. 74).
(183) Le Monde, 14 août 2001, p. 6.
(184) V. Grillet, « L’Europe face au clonage humain : problèmes et perspectives
juridiques », Méd. & Droit, 2001, n o 49, p. 1. N. Fresco, « Protestations, acclimatation », in Le clonage humain, ouvrage collectif, Seuil, 1999, p. 179.
(185) Malgré les annonces médiatiques du docteur Antinori selon lequel au printemps 2002, trois femmes auraient été enceintes d’embryons clonés, Le Monde
25 avril 2002, p. 21 ; 8 avril 2002, p. 1 ; 10 avril 2002, p. 30.
(186) CCNE avis n o 54, op. cit., p. 30. H. Atlan, in Le clonage humain, op. cit.,
pp. 13 et 14.
(187) A.J. Gray, « Une génétique bien gênante », La Recherche, n o 333 juil-août
2001, pp. 102 et s.; A. Jacquard, « Nous sommes tous des produits du hasard »,
Valeurs Mutualistes, n o 217 mars 2002, pp. 26 et s.
(188) CCNE avis n o 54, op. cit., p. 31. « L’image — le visage, le corps — est tout
de même ce qui en premier lieu manifeste que chaque être humain est unique. Vouloir maîtriser l’apparence de son enfant n’est pas anodin » (A. Kahn, in Science & vie
junior, « Demain le corps humain », op. cit., p. 75).
Thibault Lahalle
467
chaîne généalogique. Perturbant la filiation, le clonage reproductif,
même à titre exceptionnel, est à proscrire (2) sauf à chercher un
« bouleversement de la condition humaine » ( 189).
1. Identité corporelle
26. Différentes manipulations embryonnaires permettent de créer
un enfant génétiquement identique à un individu déjà né ( 190). Schématiquement il s’agit de transférer le noyau d’une cellule embryonnaire dans un ovule énucléé. Appliquée comme mode de procréation
médicalement assistée, cette technique présenterait l’avantage
d’éviter le recours à un tiers donneur ( 191) en cas d’échec d’une procréation médicalement assistée homologue. L’enfant cloné resterait
biologiquement celui des deux membres du couple ( 192), dont la
liberté individuelle serait sauvegardée ( 193). Surtout, la ressemblance
physique ainsi obtenue permettrait d’assouvir les rêves humains de
réincarnation et d’immortalité, pour soi comme pour ses proches. Le
jeune enfant, le conjoint serait ressuscité ( 194) comme si le génome
était doué des attributs de l’âme. Pour le Comité consultatif national d’éthique, il s’agit d’un « acharnement procréatique poussé à
l’absurde » ( 195). La confusion règne à double titre. Biologiquement,
un individu produit par transfert de noyau n’a en commun que les
ADN de ses chromosomes et les autres constituants du noyau mais
(189) CCNE avis n o 54, op. cit., p. 31. « Toucher à l’espèce, c’est toucher à l’œuvre
du Créateur qui est soumise à d’autres lois qu’aux normes humaines » (X. Labbée,
« Esquisse d’une définition civiliste de l’espèce humaine », op. cit., p. 442).
(190) CCNE avis n o 54, op. cit., p. 34. M. Bruschi et M. Boudot-Ricœur, « Procréation médicalement assistée et assistance médicale à la procréation : perspectives
techniques, prospectives juridiques? », op. cit. ch. 3. H. Atlan, « Possibilités biologiques, impossibilités sociales », in Le clonage humain, op. cit., p. 18. Dictionnaire permanent « Bioéthique et biotechnologies », Assistance médicale à la procréation,
15 sept. 2000, p. 109, spéc. pp. 115 et s.; « Editorial, Vous avez dit : clonage
humain? », La Recherche, n o 328, mars 1999, p. 5.
(191) Mieux, « La technique pourrait éviter le doute adultère », M. Revel, « La
reproduction par clonage : un nouveau défi pour l’éthique génétique », in Les cahiers
du CCNE, 1997, n o 13, p. 12. Science & vie junior, Demain le corps humain, op. cit.,
p. 74.
(192) H. Atlan, Le clonage humain, op. cit., pp. 164 et 165.
(193) V. Grillet, « L’Europe face au problème du clonage humain : problèmes et
perspectives juridiques », op. cit., p. 1.
(194) CCNE avis n o 54, op. cit., p. 33. Science & vie junior, Demain le corps
humain, op. cit., p. 68. M. Revel, « La reproduction par clonage : un nouveau défi
pour l’éthique », op. cit., p. 12.
(195) CCNE avis n o 54, op. cit., p. 33. « Le clone serait en vérité la prothèse d’un
désir fantasmagorique où il n’aurait nulle place ».
468
Rev. trim. dr. h. (54/2003)
pas le cytoplasme ( 196). Le parallèle entre le clone et les jumeaux est
donc erroné. La photocopie corporelle est imparfaite ( 197). Culturellement une copie génétique n’implique pas une copie de la
conscience. La vie psychique n’est pas codée dans le matériel génétique. Le corps n’est pas la personne. Dans son rapport de 1998 sur
la bioéthique et le droit, le Conseil d’Etat ( 198) le relève : chacun se
construit par l’expérience, la pensée, les rencontres, réussites et
échecs ( 199). « Je me clone donc je suis pourrait être le contenu d’un
nouveau cogito génétique annonçant un être sui generis » ( 200). « Si
mon code génétique perdure, alors le Moi que je crois être le mien,
mon Je, va perdurer aussi ! Ce qui est évidemment d’une bêtise
monstrueuse » ( 201). Ni le corps, ni la conscience ne sont immortels.
Caractériser le clone par l’uniformité, le modèle produit industriellement, le stéréotype relève de l’imaginaire social dont la publicité est
en partie responsable ( 202). « Ressemblance et reproduction à l’identique sont deux choses différentes » ( 203). L’argument de l’unicité du
corps et de la personne ne tient pas. La reproduction d’individus à
l’« identique est une illusion » ( 204). Aucun mort ne ressuscitera et
aucun enfant cloné ne sera pareillement la copie exacte de l’original.
(196) Le Monde, 3 mars 1997, p. 19.
(197) Pour des explications scientifiques plus complètes lire H. Atlan, in Le clonage humain, op. cit., p. 26. Science & vie junior, Demain le corps humain, op. cit.,
p. 72 et 73. Parler de « photocopies vivantes » est donc une erreur (R. Martin, « Les
premiers jours de l’embryon, A propos du projet de loi relatif à la bioéthique »,
J.C.P. éd. G., 2002, I, 115, p. 383, spéc. p. 386).
(198) « Ce n’est pas parce que deux êtres seraient composés lors de la création des
mêmes gènes qu’il deviendraient nécessairement des personnes identiques. L’influence de leur environnement humain et matériel, de même que le libre arbitre de
leur conscience, conduirait ces clones à se différencier progressivement pour devenir
des personnes autonomes » (CE, Rapport public 1998, Bioéthique et droit, Doc. fr.,
1998, p. 282).
(199) « L’ultime aberration serait la duplication d’individus pour leurs qualités
psychiques ou intellectuelles, supposant que la génétique détermine ces qualités plus
que ne le font l’éducation et l’environnement » (M. Revel, « La reproduction par clonage : un nouveau défi pour l’éthique », Les cahiers du CCNE, 1997, n o 13, p. 13).
« Que serait cet autre moi-même reproduisant image et silhouette mais ayant perdu
la mémoire, l’expérience et tout ce qui constitue la conscience ? Un autre moi qui ne
serait pas moi. », J.F. Mattei, Le Monde, 5 mars 1997, p. 12. Science & vie junior,
Demain le corps humain, op. cit., pp. 68 et 74.
(200) E. Jaffelin, Le Monde, 2 juil. 1999, p. 15.
(201) Roger-Pol Droit, in Le clonage, op. cit., p. 131.
(202) « A quoi bon recruter des consultants qui donneraient tous le même
conseil? » (publicité représentant trois brebis, Le Monde, 17 mars 1999, p. XVI).
(203) M. Augé, « Des individus sans filiation », in Le clonage humain, op. cit.,
p. 149.
(204) M. Revel, « La reproduction par clonage : un nouveau défi pour l’éthique
génétique », op. cit. p. 10. Lire également CCNE avis n o 54, p. 31.
Thibault Lahalle
469
Ces croyances doivent être d’autant plus rejetées que le clonage
reproductif conduit à une diminution de la diversité génétique ( 205).
La reproduction asexuée ( 206) supprime la loterie de l’hérédité. Les
scientifiques parlent de « spirale de l’extinction » ( 207). Or cette
diversité biologique permet l’adaptation de l’espèce humaine à son
environnement ( 208). Le diagnostic préimplatatoire participe également de cette évolution. Mais l’analogie est fallacieuse. Alors que le
clonage reproductif permet une sélection positive des gènes, le diagnostic préimplantatoire conduit à une sélection négative, dans des
hypothèses rares de maladies graves justifiant une interruption
médicale de grossesse. La comparaison avec la thérapie germinale
serait plus pertinente. Mais outre que celle-ci ne doit être autorisée
qu’à titre exceptionnel, le clonage reproductif implique des problèmes majeurs d’identité sociale.
2. Identité sociale
27. « L’identité suppose la filiation » ( 209). Asexué, le clonage
reproductif bouleverse les règles de la reproduction naturelle et
prive l’individu de son passé et de toute référence à un « père » et
à une « mère » ( 210). Naturelle ou légitime, la filiation se construit à
partir de la relation d’un homme et d’une femme. En France, les
lois de 1994 ont veillé à ce que la procréation médicalement assistée
imite la nature ( 211). L’homme, pour sa construction personnelle, a
besoin de cette double référence. Autoriser le clonage reproductif
(205) F. Bellivier et L. Boudouard-Brunet, « Les ressources génétiques et les
concepts juridiques de patrimoine », op. cit., pp. 222, 223 et 230. V. Grillet, « L’Europe face au clonage humain : problèmes et perspectives juridiques », op. cit., p. 2.
(206) « Le clonage reproductif est l’aboutissement d’une dissociation complète
entre la sexualité et la reproduction » (M. Bruschi et M. Boudot-Ricœur, « Procréation médicalement assistée et assistance médicale à la procréation : perspectives techniques, prospectives juridiques? », op. cit., ch. 3).
(207) A.J. Gray, « Une génétique bien gênante », La Recherche n o 333, juil./août
2000, pp. 102 et s.
(208) H. Atlan, in Le clonage humain, op. cit., p. 48. M. Revel, « La reproduction
par clonage : un nouveau défi pour l’éthique génétique », op. cit., p. 13.
(209) M. Augé, in Le clonage humain, op. cit., p. 61.
(210) « Les qualificatifs ‘ paternel’ et ‘ maternel ’ perdraient toute pertinence »
(M. Augé, in Le clonage humain, op. cit., p. 60). « Les structures de la parenté sont
mises en cause » (A. Teissier, in M. Bruschi et M. Boudot-Ricœur, « Procréation
médicalement assistée et assistance médicale à la procréation : perspectives techniques, prospectives juridiques ? », op. cit., ch. 3). V. Grillet, « L’Europe face au clonage humain : problèmes et perspectives juridiques », op. cit., p. 2.
(211) C. santé publique, art. L. 2141-2, al. 3. Le législateur exige un couple vivant
composé d’un homme et d’une femme en âge de procréer.
470
Rev. trim. dr. h. (54/2003)
implique de « créer un individu nouveau dont la seule appartenance
lignagère serait celle de l’acquéreur » ( 212). Par ailleurs, les clones
peuvent être produits avec un décalage temporel contraire à la
superposition des générations. Rien n’empêche de transférer le
noyau d’une cellule d’un organisme adulte, âgé de soixante-dix ou
quatre-vingt ans, dans un ovocyte énucléé. L’enfant sera alors le
fruit d’un homme ou d’une femme qui aurait dû être son grandparent ( 213). Les repères humains sont désorganisés. Un clone pourrait être le fils de son frère jumeau ou la fille de sa sœur jumelle !
La descendance par clonage conduit à la destruction du système
symbolique fondé sur la parenté et à de graves problèmes d’identité ( 214). Le Comité consultatif national d’éthique ne pouvait que
stigmatiser le principe même du clonage reproductif ( 215).
28. Pour certains ( 216) cette objection n’est pas rédhibitoire. Les
Etats occidentaux ont déjà commencé le processus de dépersonnalisation que l’introduction du clonage reproductif ne ferait qu’accélérer. Au Royaume-Uni une femme célibataire peut demander une
procréation médicalement assistée ( 217). En France des revendications sociales se manifestent en faveur d’un droit à l’adoption au
profit des couples homosexuels ( 218). La cassure dans la filiation
entre le couple hétérosexuel et l’enfant est une réalité. « Les clones
ne seraient qu’une goutte d’eau dans l’océan » ( 219). Le droit doit
s’adapter en autorisant le clonage au profit des célibataires et des
homosexuels ( 220) et en proposant de nouveaux modes de filiation.
« Par exemple, si la différence d’âge entre la source du clone et le
cloné était inférieure à dix-huit ans ils seraient frère ou sœur, si elle
(212) Marc Augé, « Des individus sans filiation », in Le clonage humain, op. cit.,
p. 154.
(213) H. Atlan, « Possibilités sociales, impossibilités biologiques », in Le clonage
humain, op. cit., p. 28.
(214) Dictionnaire permanent, « Bioéthique et biotechnologies », Biotechnologies
(généralités), op. cit., p. 209.
(215) « Asexuée dans son principe la clonage reproductif inaugurerait un mode de
filiation très hautement problématique. (...) Il viderait de sens l’idée même de filiation » (C.C.N.E., avis n o 54, op. cit., p. 32).
(216) H. Atlan, in Le clonage humain, op. cit., p. 166.
(217) J. Flauss-Diem, « Filiation et accès à l’aide médicale à la procréation :
points de vue des droits français et anglais », Petites affiches, 16 oct. 1996, n o 125,
pp. 16 et s.
(218) M.T. Calais-Auloy, « Pour une définition claire de l’institution familiale »,
Petites affiches, 24 mars 2000, n o 60, pp. 4 et 5 ; Le Monde 3 mai 2001, p. 10.
(219) H. Atlan, in Le clonage humain, op. cit., p. 166.
(220) M. Revel, « La reproduction par clonage : un nouveau défi pour l’éthique
génétique », op. cit., p. 12. B. Banga, « Clonage entre espoirs et inquiétudes », Valeurs
mutualistes, oct. 1997, p. 30.
471
Thibault Lahalle
était supérieure ils seraient père ou mère » ( 221). En d’autres termes
il appartient à la loi de dire si le clone est enfant ou frère selon des
critères débattus par la collectivité.
29. Cette position n’est guère satisfaisante. L’argument de la
« dépersonnalisation déjà engagée » doit être relativisé. Elle est, en
Grande-Bretagne, extrêmement marginale et n’est pas de droit positif en France. Le législateur a pris soin, en 1994, de cantonner la
procréation médicalement assistée à une imitation de la nature ( 222)
et la jurisprudence refuse l’adoption par des couples homosexuels ( 223). L’introduction du clonage reproductif ne serait pas
qu’une accélération d’un processus de dissociation entre parents et
enfant. Il serait une véritable rupture d’autant plus inacceptable
que la société n’est pas prête à intégrer des clones. Le risque d’une
marginalisation, relevé par le Comité consultatif national d’éthique ( 224), est en effet manifeste. Bien que l’identité génétique n’entraîne pas une identité de conscience, les clones seraient perçus
comme des personnes à part, si tant est qu’ils soient assimilés à une
personne. Pour beaucoup, ils ne seraient pas sujets mais objets de
droit, des robots. Au pire une nouvelle forme d’esclavage naîtrait ;
au mieux il n’y aurait qu’apparition d’un racisme génétique. La
représentation sociale serait ainsi la principale objection à la légalisation du clonage reproductif ( 225). Les clones seraient les nouveaux
bâtards de la filiation. Si l’interprétation des textes de droit positif
conduit à son interdiction, reste qu’une intervention expresse des
pouvoirs publics s’impose.
B. — Insuffisances juridiques
30. Nul ne peut reprocher au législateur de ne pas s’être prononcé sur le clonage en général, et le clonage reproductif en particulier, à l’occasion du vote des lois bioéthiques en 1994. L’application
(221) H. Atlan, in Le clonage humain, op. cit., p. 63. Il n’est pas sûr cependant
que cette solution règle tous les problèmes. Le clonage de Dolly aurait permis de
démontrer que la brebis a l’âge chromosomique de sa mère. Autrement dit le clone
subirait un vieillissement prématuré. Agée de deux ans à « l’état civil », Dolly compterait huit ans au compteur biologique. La perspective est peu réjouissante pour
l’homme (Le Monde, 25 mai 1999, p. 19, 30 mai 1999, p. 21).
(222) C. santé publique, art. L. 2141-2. Le législateur exige un couple vivant composé d’un homme et d’une femme en âge de procréer.
(223) Ex : CAA de Nancy, 21 déc. 2000, D. 2001, 2, p. 1575, note R. Piastra ;
R.T.D. civ. 2001, p. 346, obs. J. Hauser.
(224) Le Comité parle de « risque incalculable de nouvelles discriminations »
(C.C.N.E., avis n o 54, op. cit., p. 32).
(225) H. Atlan, in Le clonage humain, op. cit., pp. 54 et s.
472
Rev. trim. dr. h. (54/2003)
de ce procédé à l’homme n’est devenu sérieusement envisageable
qu’avec la naissance de la brebis Dolly en 1997. La révision des lois
bioéthiques devrait être l’occasion de prononcer l’interdiction
escomptée. Contrairement aux allégations du Comité consultatif
national d’éthique, la loi française n’est pas « rigoureuse » ( 226) (1). A
juste titre en revanche, le Comité prône une interdiction stricte en
droit international ( 227) (2).
1. Insuffisances du droit interne
31. Implicitement le droit positif interdit le clonage reproductif ( 228). Mais pour arriver à cette conclusion, le raisonnement, en
droit civil comme en droit pénal, est plus tortueux que ne l’affirme
le Comité d’éthique dans sa réponse au Président de la République
en 1997.
La transmission de l’intégralité du patrimoine génétique d’un seul
individu à un autre modifie l’espèce humaine et porte atteinte à son
intégrité. La référence à l’article 16-4 du code civil est donc opportune ( 229). Elle est toutefois limitée à l’hypothèse d’une « organisation de la sélection » ( 230). Elle ne s’applique pas lorsque le clonage
procède d’une décision individuelle. Pour contourner la difficulté le
Comité se réfère notamment à l’article L. 152-2 du code de la santé
publique ( 231). Cette disposition cantonne la procréation médicalement assistée à un couple composé d’un homme et d’une femme en
âge de procréer. Autrement dit, le législateur limite l’application de
la science à la seule imitation de la nature ( 232). Seule la rencontre
des gamètes masculines et féminines permet le renouvellement des
générations, à l’exclusion de tout autre procédé. Les lois bioéthiques
interdisent donc le clonage reproductif. Ce raisonnement serait correct s’il ne procédait pas d’une confusion entre procréation et reproduction. La première est sexuée, la seconde ne l’est pas. Or l’espèce
humaine procrée. Elle ne se reproduit pas ( 233). En d’autres termes
(226) C.C.N.E. avis n o 54, op. cit., p. 37.
(227) Ibid.
(228) « Les textes de 1994 constituent l’assurance que le clonage ne peut être
appliqué chez l’homme dans notre pays » (J.F. Mattei, Le Monde, 5 mars 1997,
p. 12).
(229) R.M. Lozano, « La protection européenne des droits de l’homme dans le
domaine de la biomédecine », La documentation française, 2001, p. 292.
(230) C. civ., art. 16-4, al. 2.
(231) C. santé publ. art. L. 2141-2.
(232) CCNE avis n o 54, op. cit., p. 36.
(233) J. Testart, « Procréer ou reproduire? », Le Monde, 18 mars 1997, p. 16.
Thibault Lahalle
473
les textes relatifs à la procréation médicalement assistée sont inapplicables au clonage reproductif. L’amalgame du Comité est d’autant plus surprenant qu’en définissant le clonage reproductif il
reprend lui-même le terme « produire » ( 234) et non « procréer ». Dans
une déclaration commune du 15 mai 1997, les académies de médecine, de pharmacie et des sciences, le Comité consultatif national
d’éthique, le Conseil national de l’Ordre des médecins et celui des
pharmaciens ont condamné « toute méthode tendant à la reproduction (...) c’est-à-dire tout clonage à visée reproductive » ( 235). Dans
son rapport de 1998 sur la bioéthique et le droit, le Conseil
d’Etat ( 236) emploie également le terme « production » à l’exclusion
de « procréation ». « Admettre aujourd’hui que le clonage puisse
constituer une procréation médicalement assistée serait bouleverser
le concept même de procréation » ( 237).
32. D’autres textes permettent de proscrire le clonage reproductif. L’article 16 du code civil, selon lequel « la loi assure la primauté
de la personne », est le plus solennel d’entre eux. Le clone est instrumentalisé ( 238). Il n’est pas reproduit pour ce qu’il est mais pour ce
qu’il a : un patrimoine génétique identique à celui du proche décédé,
celui du vivant dont il est la copie ou celui du malade qu’il permettra de guérir après prélèvement d’organes ou de moelle osseuse. Certains ( 239) vont jusqu’à souhaiter le retour au sacrifice humain par
la fabrication de clones sans cerveau, simples sacs d’organes pourvoyeurs de pièces de rechange totalement compatibles avec le
greffé. La production d’un clone « impliquant toujours une fin dans
laquelle l’être en question est pensé comme un simple moyen » ( 240),
le Comité consultatif national d’éthique ne pouvait que s’y oppo-
(234) CCNE avis n o 54, op. cit., p. 34.
(235) Déclaration commune des instances éthiques et professionnelles, 15 mai
1997, Cahiers du C.C.N.E., 1997, n o 12.
(236) C.E., Rapport public 1998, Bioéthique et droit, op. cit., p. 282.
(237) M. Bruschi et M. Boudot-Ricœur, « Procréation médicalement assistée et
assistance médicale à la procréation : perspectives techniques, prospectives juridiques? », in Le droit de la biologie humaine, éd. Ellipses, 2000, ch. 3.
(238) V. Grillet, « L’Europe face au clonage humain : problèmes et perspectives
juridiques », op. cit., p. 2.
(239) H. Atlan, « Le clonage humain », op. cit., p. 113. Science & vie junior,
Demain le corps humain, op. cit., p. 75.
(240) N. Fresco, « Protestations, acclimatation », in Le clonage humain, op. cit.,
p. 179.
474
Rev. trim. dr. h. (54/2003)
ser ( 241). Quant au code de la santé publique son article L. 2141-3
interdit implicitement le clonage reproductif. « Un embryon ne pouvant être conçu in vitro que dans le cadre et selon les finalités d’une
assistance médicale à la procréation », a contrario, la production
d’un clone est interdite.
33. Reste qu’une intervention législative interdisant le clonage
reproductif aurait l’avantage de la clarté. Le Comité consultatif
national d’éthique le souhaite avec une hésitation : la disposition
doit-elle figurer dans le code civil ou dans le code de la santé publique? Outre que le texte « trouverait son expression la plus solennelle en prenant place dans des dispositions juridiques fondamentales » ( 242), il n’a pas à figurer dans un code qui « regroupe la réglementation relative aux différentes techniques de procréation » ( 243)
puisqu’il porte sur une technique de reproduction. Intégrée dans le
code civil, la disposition pourrait trouver place soit dans un alinéa
de l’article 16-4 puisqu’il s’agit de protéger la diversité génétique de
l’espèce humaine ( 244), soit dans le titre relatif à la filiation, dès lors
que le procédé porte atteinte à celle-ci.
34. En droit pénal les insuffisances du droit positif sont plus
criantes encore. L’exigence d’interprétation stricte de la loi pénale
ne conduit qu’à la mise à jour de lacunes inquiétantes. Sans doute
l’article 511-1 du code pénal interdit-il la « sélection des personnes ».
Mais, au même titre que l’article 16-4 du code civil, cette disposition
ne s’applique qu’à la condition d’une « organisation » de ladite sélection. Le texte ne trouverait donc pas à s’appliquer lorsqu’un individu déciderait, sans contrainte, de pratiquer un clonage reproductif. Procédé expérimental, la reproduction d’un individu pourrait
être sanctionnée par l’article 511-18 du code pénal qui sanctionne
« la conception d’embryon in vitro à des fins de recherche ou d’expérimentation ». Satisfaisant dans l’immédiat, le texte deviendra inefficient lorsque le clonage sera une technique rodée. Il perdra en effet
son caractère « expérimental » pour devenir un procédé confirmé.
(241) Le Comité parle de « pur et simple sacrifice d’une personne à venir aux intérêts ou aux illusions d’autres personnes ». Il cite deux exemples : les clones comme
« réservoirs d’organes » et la « main d’œuvre génétiquement sélectionnée ». Il en
déduit que le clonage reproductif lui « paraît fondamentalement irrecevable » (CCNE
avis n o 54, op. cit., p. 33).
(242) CCNE avis n o 54, op. cit., p. 37.
(243) H. Gaumont-Prat, commentaire de CCNE avis n o 54 du 22 avril 1997, D.
1998, somm. commentés, p. 167, spéc. p. 168.
(244) Dans sa dernière mouture, le projet de loi relatif à la révision des lois bioéthiques se prononce en ce sens, R. Martin, « Les premiers jours de l’embryon », op.
cit., p. 386.
Thibault Lahalle
475
Dès lors l’intervention du législateur est encore plus impérieuse
qu’en droit civil ( 245). Dans sa dernière mouture le projet de loi relatif à la révision des lois bioéthiques qualifie la réalisation d’un clonage reproductif de crime et le sanctionne de 20 ans d’emprisonnement ( 246).
35. Depuis la naissance de Dolly pourtant, seul le Royaume-Uni
a légiféré pour autoriser le clonage thérapeutique et refuser le clonage reproductif. Les autres Etats n’ont adopté aucun texte spécifique ( 247). En France, dès 1998, le Conseil d’Etat indiquait cependant « qu’il pourrait se révéler opportun (...) que la loi édicte une
interdiction expresse et solennelle » ( 248). Quelques mois plus tôt,
une proposition de loi interdisant « la réalisation de clonage et de
chimères » était déposée, sans suite, à l’Assemblée nationale ( 249).
L’interdiction formelle du clonage reproductif est insuffisante. Ses
techniques étant les mêmes que celles du clonage thérapeutique ( 250), autoriser celui-ci ouvrirait les portes à celui-là. Le risque
de voir l’embryon obtenu transféré dans un utérus malgré l’interdit
n’est pas une hypothèse d’école. Les membres du Comité consultatif
national d’éthique qui s’étaient opposés au clonage thérapeutique
n’avaient pas manqué de mentionner la porte ainsi ouverte à son
équivalent reproductif ( 251). Toute autorisation de créer des
embryons à des fins thérapeutiques doit être interprétée comme la
(245) M. Bruschi et M. Boudot-Ricœur, « Procréation médicalement assistée et
assistance médicale à la procréation : perspectives techniques, prospectives juridiques? », op. cit., ch. 3.
(246) D. 2002, Dernière actualité, pp. 336 et 337.
(247) Le Monde, 21 août 2001, p. 12.
(248) CE Bioéthique et droit, op. cit., p. 282.
(249) N. Fresco, « Protestations, acclimatation », in Le clonage humain, op. cit.,
pp. 175 et 176. Elle aurait complétée l’article 16-4 du code civil : « Est et demeure
interdite toute pratique visant à la reproduction de tout être humain par clonage »
(M. Bruschi et M. Boudot-Ricœur, « Procréation médicalement assistée et assistance médicale à la procréation : perspectives techniques, prospectives juridiques ? »,
op. cit., ch. 3)
(250) Rapport sur « le clonage, la thérapie cellulaire et l’utilisation thérapeutique
des cellules embryonnaires » présenté par le député A. Claeys et le sénateur C. Huriet
pour le compte de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques le 23 février 2000, Dictionnaire permanent « Bioéthique et biotechnologies », 8 avril 2000, Bull. 88, p. 7821. V. Grillet, « L’Europe face au clonage
humain : problèmes et perspectives juridiques », op. cit., p. 1. H. Atlan, in Le clonage
humain, op. cit., p. 43.
(251) CCNE, avis n o 67 du 18 janv. 2001 sur l’avant-projet de révision des lois
bioéthiques, Dictionnaire permanent « Bioéthique et biotechnologies », 6 fév. 2001,
Bull. 98, p. 7629, spéc. p. 7631. A. Kahn, Le Point, n o 1438, 7 avril 2000, p. 48; Le
Monde, 30 oct. 1999, p. 36; Le Monde, 7 déc. 2000, p. 17.
476
Rev. trim. dr. h. (54/2003)
dernière étape avant une légalisation du clonage reproductif ( 252).
Les deux techniques sont interdépendantes. Certains ont vu dans la
« condamnation ostensible du clonage reproductif une stratégie pour
faire accepter le clonage thérapeutique » ( 253). Reste que le seul droit
interne est insuffisant à protéger l’espèce humaine, par essence universelle. Des personnalités politiques et scientifiques ( 254) et le
Comité consultatif national d’éthique en 1997 ( 255) se sont prononcés pour une interdiction mondiale du clonage reproductif par
une résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies. Les résultats obtenus sont insuffisants.
2. Insuffisances du droit international
36. Quelques semaines après la naissance de la brebis Dolly,
Madame Lenoir, présidente des comités d’éthique de la Commission
européenne et de l’Unesco, plaidait en faveur d’une interdiction
internationale du clonage reproductif ( 256). Cinq ans plus tard l’appel pourrait être à nouveau lancé. Des textes incitatifs ont été
publiés : avis du groupe des conseillers pour l’éthique de la biotechnologie auprès de la Commission européenne rendu le 28 mai
1997 ( 257), avis du groupe européen d’éthique du 14 novembre
2000 ( 258), appel lancé à l’occasion du Sommet du G8 le 21 juin
1997 ( 259). Des textes déclaratifs ont également été adoptés : résolution de l’Organisation mondiale de la santé du 14 mai 1997 et
Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de
(252) « Le jour où la technique aura été mise au point pour les besoins du clonage
thérapeutique (...) il ne faudra pas attendre longtemps avant que l’on annonce que
des femmes enceintes portent des fœtus clonés », A. Kahn, « Cellules souches et médecine régénératrice », Médecine et science, n o 4, vol. 18, avril 2002, p. 503 ; « Clonage
humain : un non-événement ? », Pour la science, n o 291, janv. 2002, pp. 28 et s., spéc.
p. 30. Pour un point de vue opposé, H. Atlan, « Le ‘clonage ’ thérapeutique », Médecine et science, n o 5, vol. 18, mai 2002, pp. 635 et s., spéc. p. 636.
(253) C. Sureau, colloque Science et conscience, le clonage, Menton, 2 oct. 1999,
Rev. générale dr. méd., 2000, fasc. 3.
(254) J.F. Mattei, Le Monde, 5 mars 1997, p. 12.
(255) CCNE avis n o 54, op. cit., p. 38.
(256) Le Monde, 4 mars 1997, p. 13.
(257) H. Gaumont-Prat, D. 1998, somm. commentés, p. 167.
(258) Avis n o 15, Groupe européen d’éthique des sciences et des nouvelles technologies, D. 2001, Droit des biotechnologies, Somm., p. 1430. Le Monde, 1 er fév. 2001,
p. 12.
(259) « Nous sommes convenus de la nécessité d’une législation nationale appropriée et d’une étroite coopération internationale afin d’interdire les transferts de
noyaux cellulaires pour concevoir un enfant », (M. Bruschi et M. Boudot-Ricœur,
« Procréation médicalement assistée et assistance médicale à la procréation : perspectives techniques, prospectives juridiques ? », op. cit.).
Thibault Lahalle
477
l’homme ( 260). Aucun n’a force obligatoire ( 261), pas plus que la
Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne proclamée à
Nice le 7 décembre 2000 ( 262) et dont l’article 3 interdit le « clonage
reproductif des êtres humains ». Des textes contraignants s’imposent ( 263). Le 4 avril 1997 était signée, sous l’égide du Conseil de
l’Europe, la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine.
Le 12 janvier 1998 un Protocole additionnel interdisant le clonage
humain reproductif était adopté ( 264). Ces dispositions ne sont
qu’une ébauche de l’interdiction universelle à laquelle il faut parvenir. La protection génétique de l’espèce humaine ne se cantonne pas
aux pays membres du Conseil de l’Europe ( 265). Parler de « protection » est d’ailleurs utopique. A la différence de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, les textes en cause ne sont porteurs d’obligations qu’à
l’égard des Etats ( 266). L’absence des textes requis en droit interne
(260) Déclaration universelle sur le génome humain adoptée par l’UNESCO le
11 nov. 1997. L’article 2 dispose : la « dignité impose de ne pas réduire les individus
à leurs caractéristiques génétiques et de respecter le caractère unique de chacun et
leur diversité ». L’article 11 conclut : « Des pratiques qui sont contraires à la dignité
humaine, telles que le clonage à des fins de reproduction d’êtres humains, ne doivent
pas être permises » (Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de
l’homme, Dictionnaire permanent « Bioéthique et biotechnologies », Thérapies génique et cellulaire, op. cit., p. 2456 ; M. Bruschi et M. Boudot-Ricœur, « Procréation
médicalement assistée et assistance médicale à la procréation : perspectives techniques, prospectives juridiques? », op. cit., ch. 3 ; Le Monde, 13 nov. 1997, p. 21). Dans
son rapport de 1998, le Conseil d’Etat a rappelé ces deux dispositions (C.E., rapport
public 1998, « Bioéthique et droit », Doc. fr., 1998, p. 282).
(261) V. Grillet, « L’Europe face au clonage humain : problèmes et perspectives
juridiques », op. cit., p. 3. Le Monde, 10 août 2001, p. 5.
(262) Charte n o 2000/C 634/01 du 18 déc. 2000, D. 2001, Lég. p. 183 ; J.O.C.E.
C 364, 18 déc. 2000, p. 1. Cette charte n’a pas force obligatoire (F. Benoît-Rohmer,
D. 2001, doctr., p. 1483).
(263) La directive de 1998 relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques interdisant la brevetabilité des procédés de clonage d’êtres humains
ne suffit pas. Ce n’est pas seulement le brevet qui doit être contraire à l’ordre public
et aux bonnes mœurs. C’est le procédé en lui-même. (Dir. 98/44/CE du 6 juil. 1998,
J.O.C.E. n o L 213, 30 juillet 1998).
(264) L’article 1 er dispose : « Est interdite toute intervention ayant pour but de
créer un être humain génétiquement identique à un autre être humain vivant ou
mort ». Son article 2 proscrit toute dérogation. (H. Chanteloup, « Présentation générale de Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine », op. cit., pp. 3 et s.;
V. Grillet, « L’Europe face au clonage humain : problèmes et perspectives juridiques », op. cit., p. 3 ; Le Monde, 13 janv. 1998, pp. 1 et 2).
(265) Il ne faut pas s’étonner de ce que la secte des raëliens puisse monter une
société de clonage reproductif aux Bahamas et que le docteur italien Antinori se
déclare prêt à cloner « sur un navire croisant dans les eaux internationales » (Le
Monde, 9 août 2001, p. 5).
(266) Ibid.
478
Rev. trim. dr. h. (54/2003)
prive les particuliers de tout recours devant le juge. En d’autres
termes, le Conseil de l’Europe s’est doté d’une Convention dont l’effectivité est soumise à la bonne volonté des Etats. Dans son avis
remis en 1997 au Président de la République, le Comité consultatif
national d’éthique n’a pas relevé ce point pourtant essentiel ( 267).
Un traité international, à l’exclusion d’une résolution de l’assemblée
générale des Nations Unies ( 268), doit interdire le clonage reproductif. Il doit être considéré comme un crime contre l’humanité ( 269)
passible du tribunal pénal international entré en fonction depuis le
1 er juillet 2002 ( 270). Ce crime n’est pas une atteinte à la personne
mais à l’homme. Sa portée n’est pas circonstancielle mais universelle.
37. En France, législateur et jurisprudence ont élaboré l’incrimination de crime contre l’Humanité sur le fondement du droit naturel ( 271). Grotius affirmait : « Une chose est de droit naturel parce
qu’elle est regardée comme telle parmi toutes les nations, ou du
moins les nations civilisées » ( 272), expression reprise en partie par
des textes internationaux ( 273) et la Cour de cassation ( 274). Le
concept de genre humain est l’un des acquis essentiels du
(267) CCNE avis n o 54, op. cit., p. 38.
(268) Tel est l’appel lancé en ce sens par les autorités françaises et allemandes (Le
Monde, 10 août 2001, p. 5).
(269) M. Delmas-Marty, « Certitude et incertitude du droit », in Le clonage
humain, op. cit., p. 95 et 99.; J.F. Seuvic, « Variations sur l’humain, comme valeurs
pénalement protégées », in Ethique, droit et dignité de la personne, op. cit., p. 351.
(270) F. Szpiner, « La CPI », D. 2002, interview, pp. 1685 et s. Sur la CPI :
W. Bourdon, « La cour pénale internationale », Points-Seuil, 2000 ; Ph. Weckel,
« La Cour pénale internationale, présentation générale », R.G.D.I.P. 1998, p. 993 ;
M.P. Besson de Vezac, « La Cour pénale internationale et le code des crimes contre
la paix et la sécurité de l’humanité », Petites affiches, 6 juill. 1999, n o 133, pp. 21
et s.; M.C. Roberge, « La nouvelle cour pénale internationale : évolution préliminaire », Rev. Int. Croix-Rouge, déc. 1998, n o 832, pp. 726 et s.
(271) C. Atias, Philosophie du droit, Thémis, droit privé, P.U.F., 1999, pp. 150
et s. ; B. Oppetit, Philosophie du droit, 1999, pp. 44 et s. ; Ph. Jestaz, « L’avenir du
droit naturel ou le droit de seconde nature », R.T.D. civ., 1983, p. 233.
(272) H. Grotius, Le droit de la guerre et de la paix, 1625, trad. J. Barbeyrac en
1729, Amsterdam, L. I, chap. I, § XII, 1, p. 71.
(273) Ainsi de l’article 15, § 2, du Pacte international sur les droits civils et politiques adopté à New York le 16 décembre 1966, entré en vigueur le 23 mars 1976 :
« Rien dans le présent article ne s’oppose au jugement ou à la condamnation de tout
individu en raison d’actes ou d’omissions qui, au moment où ils ont été commis,
étaient tenus pour criminels d’après les principes généraux reconnus par l’ensemble
des nations ».
(274) Les pillages commis en temps de guerre sont « réprouvés et condamnés par
les lois de toutes les nations civilisées », (Cass. crim. 15 déc. 1871, S. 1872, 1,
p. 44).
Thibault Lahalle
479
XX e siècle ( 275). Les atrocités du régime nazi ont provoqué cette
prise de conscience même si les crimes contre l’Humanité sont
ancestraux et banals ( 276). Désormais, la destruction de l’homme par
l’homme viole le droit naturel. Le droit positif rejoint le droit divin.
38. Mais ce droit est malaisé à définir ( 277) en dépit de caractères
communs ( 278) : invariable, le droit naturel est, selon les termes de
l’article 1 er du projet du code civil de l’An VIII, « universel et
immuable » ( 279). Il ne connaît de limite ni temporelle ni spatiale,
comme le sous-entendait une décision de 1948. Sur une question
d’applicabilité de l’ordre international, la Cour de cassation parla de
« justice universelle » ( 280). Or le crime contre l’Humanité entraîne
une compétence universelle et il est imprescriptible. Le droit naturel
est également transcendant aux volontés humaines. Il est l’idéal
vers lequel le pouvoir normatif et les comportements doivent « naturellement » tendre. Enfin, il est incontestable. Son évidence saute
aux yeux du bon père de famille. Le droit positif sert à le rendre
effectif, non à le révéler. Il est la référence qui permet de distinguer
« entre le bien et le mal, le juste et l’injuste, le droit et le
tordu » ( 281). La référence au droit naturel dans l’élaboration du
crime contre l’Humanité, est patente. A plusieurs reprises, législateur et jurisprudence utilisent le terme « nature ». Ainsi la loi du
26 décembre 1964 « tendant à constater l’imprescriptibilité des
crimes contre l’Humanité » ( 282) décide qu’ils sont « imprescriptibles
par leur nature ». Quant à la Cour de cassation, elle juge que la
procédure d’extradition est inapplicable aux auteurs de crimes
contre l’Humanité « en raison de leur nature » ( 283) et lorsqu’il eût à
statuer, le Tribunal militaire international de Nuremberg parla de
(275) C. Atias, Philosophie du droit, Thémis droit privé, P.U.F., 1999, p. 203.
(276) M. Dobkine, « Permanence et banalité du crime contre l’humanité », D.
2000, Point de vue, p. III. R. Ourdan, Après-guerres, éd. Autrement, 2000.
(277) A. Dufour, « Droit naturel et droit positif », Arch. phil. dr., t. 35, « Vocabulaire fondamental du droit », Sirey, 1990, p. 59.
(278) P. Morvan, « Le principe de droit privé », op. cit., pp. 108 et s.
(279) « Il existe un droit universel et immuable, source de toutes les lois positives :
il n’est que la raison universelle en tant qu’elle gouverne tous les hommes », article 1 o du projet de code civil de l’An VIII, B. Oppetit, « Philosophie du droit », op.
cit., p. 47.
(280) Cass. civ. 25 mai 1948, J.C.P. 1948, éd. G., II, 4542, note M. Vasseur.
(281) A. Sériaux, Le droit naturel, Paris, coll. « Que sais-je ? », n o 2896, 1999, p. 7.
(282) L. n o 64-1326 du 26 décembre 1964.
(283) Cass. crim. 6 oct. 1983 (affaire Barbie), J.C.P. 1983, éd. G., II, 20107, rapp.
Ch. Le Gunehec, concl. H. Dontenwille ; D. 1984, 2, p. 113, rapp. Ch. Le Gunehec.
480
Rev. trim. dr. h. (54/2003)
« conscience du monde » ( 284). Ces opportunes références donnent
tout leur sens à la protection du genre humain dès lors qu’est visé
le droit naturel, non les droits naturels. Le crime contre l’Humanité
n’est pas centré sur la personne mais sur l’humain. C’est le groupe,
l’espèce qui sont visés, non l’individu. Le droit naturel, et avec lui
la dignité, charnière indispensable à son applicabilité, est un droit
objectif ( 285), non une « collection de prérogatives individuelles » ( 286). A chaque notion son domaine d’intervention. Au
droit pénal des personnes, la protection du sujet ; au droit naturel
par la dignité, celle de l’Humanité. Parce qu’il est une incrimination
hors du commun, le crime contre l’Humanité ne peut pas être régi
par le droit commun des personnes. Sa « nature » justifie les règles
dérogatoires d’imprescriptibilité et d’universalité. Parce que la victime est la civilisation, personnifier l’Humanité c’est « restreindre,
intellectuellement, l’ampleur du crime » ( 287). Invariable, transcendant et incontestable, le clonage reproductif relève naturellement
des crimes contre l’Humanité. Il est une atteinte à l’espèce
humaine.
39. Si l’interdiction du clonage thérapeutique doit être motivée
par le refus de constituer un embryon délibérément destiné à la destruction ( 288), celle du clonage reproductif doit l’être par le refus de
toute manipulation génétique de l’espèce humaine. Dans l’une et
l’autre hypothèse, c’est l’instrumentalisation de l’humain qu’il faut
proscrire. Dans le premier cas, l’embryon ne doit pas être créé pour
ce qu’il est. On ne donne pas la vie pour tuer. Dans le second il ne
doit pas l’être pour ce qu’il induit au nom de la dignité de l’Humanité, dont chacun est un représentant. Si l’interdiction de la mort
protège la vie, la dignité protège la diversité génétique et l’unicité
(284) P. Reuter, « Le jugement du Tribunal militaire international de Nuremberg », D. 1946, 1, p. 77.
(285) C’est la raison pour laquelle les deux tribunaux pénaux internationaux de
La Haye pour juger des crimes commis dans l’ex-Yougoslavie et d’Arusha en Tanzanie pour juger des crimes commis au Rwanda excluent toute partie civile (J. Pradel, « Vers une mondialisation du droit pénal », op. cit., p. 327). La solution est logique puisque la victime d’un crime contre l’humanité n’est pas la « personne » mais
« l’humanité ».
(286) C. Atias, « Philosophie du droit », op. cit., p. 156.
(287) Concl. de M. l’Avocat général, Dontenwille, sous Cass. crim. 20 déc. 1985,
J.C.P. 1986, éd. G., II, 20655.
(288) Voy. n o 17.
481
Thibault Lahalle
de chaque membre de l’espèce humaine ( 289). Le corps humain est
une chose ; mais il n’est pas une chose de genre. La dignité n’est pas
celle de la personne mais celle d’une entité supérieure, de nature
divine, biologique ou naturelle selon les convictions de chacun, illimitée dans l’espace et dans le temps ( 290). Que l’on crée un seul
clone pour pallier la stérilité d’un couple ou une multitude dans la
perspective maladive d’une race physiquement supérieure ( 291) ou
d’une reprise démographique ( 292), le risque est fondamentalement
le même : bouleverser la condition humaine et introduire un pouvoir
scientifique qui cesserait d’imiter la nature pour la contrecarrer.
L’homme a le droit de se déplacer, penser, croire, s’exprimer... Il n’a
pas celui de supprimer l’aléa génétique, ce rempart intouchable
contre la dépersonnalisation et l’interchangeabilité des individus.
L’unicité de l’homme c’est l’unicité de l’espèce. Là est le fondement
de la dignité. Le Conseil d’Etat le note : le clonage reproductif
« constituerait une atteinte à la dignité et à la liberté de l’homme
plus radicale encore que ne le fut l’esclavage. Ce n’est pas seulement
l’agir de l’homme qui serait irrémédiablement brisé mais aussi son
être » ( 293).
✩
(289) M. Delmas-Marty, « Certitude et incertitudes du droit », in Le clonage
humain, op. cit., pp. 81, 89 et 103. A contrario la jurisprudence a pu décider que l’autopsie n’est pas une atteinte à l’espèce humaine. Chercher les causes d’un décès sur
une dépouille ne change en rien la condition biologique du genre humain (T.A.
Nantes, 6 janv. 2000, D. 2000, I.R., p. 101).
(290) F. Bellivier et L. Boudouart-Brunet, « Les ressources génétiques et les
concepts juridiques de patrimoine », op. cit., p. 223.
(291) J. Lederberg (prix Nobel de médecine), in La Recherche, n o 297, p. 61.
(292) E. Jaffelin, Le Monde, 2 juil. 1999, p. 15.
(293) C.E., Rapport public, 1998, Bioéthique et droit, op. cit., p. 282.
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