CLONAGES ET DIGNITÉ HUMAINE
par
Thibault LAHALLE
Docteur en droit
ATER à l’Université de Paris II
(Panthéon-Assas)
1. Du clonage, il ne s’écoule pas une semaine sans que les media
en traitent. Diabolisé ou encensé, le mot serait synonyme tout à la
fois de « copie conforme » et « d’espoir thérapeutique ». L’intérêt du
grand public est récent. Il est consécutif à la naissance de la brebis
Dolly en 1997 (
1
). La nature, elle, n’a pourtant jamais ignoré le clo-
nage. Jusqu’à l’apparition de la sexualité il y a un milliard d’an-
nées, la reproduction était exclusivement asexuée (
2
). Aujourd’hui
encore le clonage tient une place prépondérante dans l’apparition de
la vie de micro organismes unicellulaires tels que les bactéries et des
plantes. « Longtemps, le clonage fut affaire de jardiniers » (
3
). En
grec « Klôn » signifie « pousse ». Il se définit comme un « ensemble
d’individus génétiquement semblables provenant d’un organisme
unique par reproduction asexuée » (
4
). Le droit communautaire est
plus précis. Il s’agit de « tout procédé, y compris les techniques de
scission des embryons, ayant pour but de créer un être humain qui
aurait la même information génétique nucléaire qu’un autre humain
vivant ou décédé » (
5
).
2. Les enjeux (
6
) sont d’ordre scientifique, sanitaire, économique
et éthique. Scientifique dès lors que nul ne peut encore expliquer
(1) A. Millet et D. Poste-Vinay, « Comment ça va Dolly? Le clonage des mam-
mifères passe à la vitesse supérieure », La Recherche,n
o
297, avril 1997, pp. 51 et s.;
F. Jacob, La souris, le monde et l’homme, Paris, O. Jacob, 1997; Médecine et science
1997, n
o
3, pp. 426 et s.
(2) A. Khan, « Le mot du mois », Médecine et science, février 2002, n
o
2, p. 134.
(3) « Introduction », in Le clonage humain, ouvrage collectif sous la direction de
M. Olender, Seuil, 1999, p. 9.
(4) A. Khan, « Le mot du mois », op. cit., p. 134.
(5) Directive 98/44/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 juillet 1998 rela-
tive à la protection juridique des inventions biotechnologiques, considérant 41
(J.O.C.E. n
o
L 213, 30 juil., p. 13).
(6) La Recherche,n
o
334, sept. 2000, Dossier, « Clonage : la nature résiste », pp. 28 et s.
comment une cellule adulte peut se reprogrammer pour créer un
nouvel individu. Sanitaire dans la mesure où le clonage thérapeuti-
que laisse entrevoir des perspectives de guérison de maladies aujour-
d’hui incurables (
7
). Economique non seulement parce que le clo-
nage d’animaux domestiques ouvre un marché de plusieurs milliards
d’euros (
8
) mais aussi parce que les investissements réalisés pour le
développement d’entreprises biotechnologiques doivent être rentabi-
lisés. Ethique, enfin, puisque la science fiction devient réalité. « Le
meilleur des mondes »(
9
) est au bout des pipettes et éprouvettes.
L’instrumentalisation des corps s’accentue. La révolution scientifi-
que est une révolution charnelle.
3. Les principales religions suivent de près l’avancée scientifique
du clonage (
10
). Si le clonage reproductif est unanimement
condamné les positions divergent en revanche sur le clonage théra-
peutique. Juifs et chrétiens n’y sont pas opposés à condition d’effec-
tuer les prélèvements nécessaires sur des embryons morts. Les
musulmans et les bouddhistes y sont en revanche hostiles : même
après la mort, le corps est intouchable.
4. Si les normes internationales interdisant le clonage se sont
multipliées (
11
) après la naissance de Dolly, certaines ont été adop-
tées plusieurs années avant. Le clonage est l’un des rares domaines
où le droit précède la science. Dès les années 1980, le droit européen
et le droit communautaire bannissent le clonage. Dans une recom-
mandation de 1986 le Conseil de l’Europe interdit « la création
d’êtres humains identiques par clonage ou d’autres méthodes, à fin
de sélection de la race ou non » (
12
). En 1994, le Conseil confirme sa
442 Rev. trim. dr. h. (54/2003)
(7) Voy. n
o
14.
(8) B. Jordan, « Clonage : et maintenant, un chat... », Médecine et science,n
o
4,
Vol. 18, avril 2002, pp. 425 et s.
(9) « Tout le personnel d’une petite usine constitué par les produits d’un seul œuf
bokanovskifié », A. Huxley, Le meilleur des mondes, Pocket 1977, p. 25. Titre origi-
nal : Brave new world, 1932.
(10) G. Comeau, Le corps, ce qu’en disent les religions, éd. De L’atelier, 2001,
pp. 152 et s.
(11) Voy. n
o
18.
(12) Recommandation 1046 du 24 septembre 1986 de l’Assemblée parlementaire
relative à « l’utilisation d’embryons et fœtus humains à des fins thérapeutiques,
scientifiques, industrielles et commerciales », point 14 A. iV al. 2., in R.M. Lozano,
La protection européenne des droits de l’homme dans le domaine de la biomédecine,La
documentation française, 2001, p. 296.
position (
13
). En droit communautaire, le Parlement européen, en
1989 (
14
) et 1993 (
15
), adopte la même position.
5. En théorie, les scientifiques maîtrisent le procédé (
16
). Diffé-
rentes techniques sont envisageables. La première divise un
embryon en deux pour obtenir deux être génétiquement identiques.
La seconde transfère le noyau d’une cellule somatique dans un ovule
énucléé. La cellule embryonnaire obtenue, deux solutions s’offrent :
interrompre le développement de l’embryon après quelques jours
pour prélever des cellules souches et les cultiver ou implanter l’em-
bryon dans un utérus pour que naisse un enfant génétiquement
identique à l’adulte dont on a transféré un noyau. Dans le premier
cas, il s’agit de clonage thérapeutique. Pluripotentes, les cellules
souches pourront « fabriquer » des cellules de remplacement d’un
organe ou d’un produit du corps humain. Dans le second cas, il
s’agit d’un clonage reproductif. Ces procédés entraînent « l’instru-
mentalisation » de l’embryon et l’uniformité génétique de l’espèce
humaine. Le clonage est-il une atteinte à la dignité humaine?
Répondre à cette question implique de s’interroger sur la qualifica-
tion juridique de l’embryon puis sur la notion de dignité pour en
déduire que celle-ci protège celui-là.
L’embryon : une chose
6. Le sujet de droit se définit comme la faculté d’être titulaire de
droits et d’obligations. La société fait-elle de l’embryon une per-
sonne avec les conséquences qui en découlent : octroi d’un patri-
moine, possibilité d’agir en justice, attribution d’un état civil...?
Certains considérent la qualification de chose inacceptable. « La
Thibault Lahalle 443
(13) Recommandation 1240 de 1994 de l’Assemblée parlementaire relative à « la
brevetabilité des produits d’origine humaine », point 13 iii. b., id.
(14) Résolution sur les problèmes éthiques et juridiques de la manipulation géné-
tique du 16 mars 1989, Parlement européen, Doc. A.L-327/88, J.O.C.E. 96 C du
17 avril 1989.
(15) Résolution sur le clonage de l’embryon humain du 28 oct. 1993, Parlement
européen, J.O.C.E. C 315/224 du 22 nov. 1993.
(16) Pour ne citer que quelques parutions récentes : L.M. Houdebine, « Le clo-
nage et la transgenèse », in Forum Diderot, Faut-il vraiment cloner l’homme?, P.U.F.,
1999, pp. 26 et s.; A. Khan, « Clonage humain : un non-évenement? », Pour la
science, n
o
291, janv. 2002, pp. 28 et s.; N. Chevassus-au-Louis, « Cellules souches :
ruée vers un eldorado incertain », La Recherche,n
o
349, janv. 2002, pp. 64 et s.;
A. Jouneau et J.P. Renard, « Cellules souches embryonnaires et clonage thérapeuti-
que », Médecine et science,n
o
2, Vol. 18, fév. 2002, pp. 169 et s.; H. Atlan, « Le clo-
nage thérapeutique », Médecine et science,n
o
5, Vol. 18, mai 2002, pp. 635 et s.
thèse de la personnalité actuelle (...) est celle qui reflète le mieux la
réalité » (
17
). Cette position serait fondée si le droit positif français
se prononçait pour la qualification de personne. Mais à la différence
de l’article 70 du code civil argentin, il n’existe aucune disposition
pour affirmer que « L’existence des personnes commence dès la
conception dans le sein maternel... » (
18
). En 1983, le Parlement
rejeta une proposition de loi relative au statut de l’enfant conçu et
aux expérimentations et recherches concernant la création de la vie
humaine qui commençait par un article 1
er
ainsi rédigé : « Dès le
moment de sa conception, l’enfant conçu est sujet de droit... » (
19
).
Lors de la discussion des lois bioéthiques, des amendements de
même nature (
20
) ont à nouveau été rejetés.
7. Les partisans de la personnification ne qualifient pas l’em-
bryon de « personne ». Ils ajoutent toujours un adjectif qui témoigne
d’une position difficilement tenable. Ainsi le Comité consultatif
national d’éthique a-t-il qualifié l’embryon de « personne humaine
potentielle »(
21
), des juges de « personne en devenir »(
22
)oen vir-
tualité »(
23
) et certains auteurs de « personne anticipée »(
24
). Toutes
ces formules démontrent le contraire de ce que leurs auteurs avan-
cent : on ne devient personne que le jour où on naît vivant et
viable. Avant on n’est que chose. Le recours à l’expression « être
humain » le confirme. Les pouvoirs publics tiennent compte de la
distorsion entre vie biologique et vie sociale. L’homme peut avoir la
première sans la seconde. « Alors que l’homme biologique est une
continuité de la fécondation à la mort, l’homme juridique, au
444 Rev. trim. dr. h. (54/2003)
(17) R. Andorno, La distinction juridique entre les personnes et les choses :
l’épreuve des procréations artificielles, thèse Paris XII, 1994, p. 153.
(18) Conclusions des XII
e
journées nationales de droit civil, Bariloches, 1989,
R. Andorno, op. cit., p. 157.
(19) Doc. Ass. nat., 1983-1984, n
o
2158. C. Jacquinot, « Le projet de loi sur l’uti-
lisation des fœtus humains », Gaz. Pal., 30/31 mars 1983, p. 7; Libération 27 mai
1983, p. 2; F. Meyer, « La protection juridique de la vie ante natale », R.D. sanit.
soc., 1987, p. 571, spéc. p. 579.
(20) J.O. Sénat, déb. 1994, pp. 352 et s.
(21) CCNE, Avis du 22 mai 1984 relatif aux « prélèvements de tissus d’embryons
ou de fœtus humains à des fins thérapeutiques, diagnostiques et scientifiques »,
G. Mémeteau, « Le premier avis du Comité consultatif national d’éthique », J.C.P.,
éd. G., 1985, I, 3191.
(22) T. corr. Bobigny, 22 nov. 1972, Gaz. Pal. 1972, 2, p. 890.
(23) C.A. Toulouse, 21 sept. 1987, D. 1988, 2, p. 184, note D. Huet-Weiller,
J.C.P. éd. G., 1988, II, 21036, obs. E. Sallé de la Marniere.
(24) Dictionnaire permanent « Bioéthique et biotechnologies », Embryon humain
in vitro, sept. 1997, p. 815, spéc. p. 821.
contraire, est marqué par la discontinuité » (
25
). Tel est le sens des
lois de 1975 et 1994 relatives à l’avortement et à la bioéthique (
26
).
L’article 1
er
de la loi Veil pose le principe du « respect de tout être
humain dès le commencement de la vie » (
27
) et l’article 16 du code
civil « garantit le respect de l’être humain dès le commencement de
sa vie ». Cette dernière disposition a été votée dans le cadre d’une
loi relative « au respect du corps humain » (
28
)... non de la personne.
Par deux fois, et à vingt ans d’intervalle, le législateur a préféré le
terme « être ». Conscient des débats que le choix de ce substantif
avait suscités après 1975, on ne peut mettre sur le compte du
hasard le fait qu’il le reprenne dans le cadre des lois bioéthiques.
L’affirmation selon laquelle « depuis l’abolition de l’esclavage et de
la mort civile, il est unanimement admis que les êtres humains ne
sont pas des choses, mais des personnes juridiques » (
29
) repose sur
une confusion des notions. Quant au code pénal, il n’entretient
qu’un semi doute. Ecrire que la qualification de personne est ambi-
guë « dans la mesure où le législateur (pénal) s’est ostensiblement
refusé à franchir le pas » (
30
) relève de l’euphémisme. La protection
de l’embryon humain (
31
) est insérée dans le livre cinquième relatif
« aux autres crimes et délits » qui traite par ailleurs « des sévices
graves ou actes de cruauté envers les animaux » (
32
). Protégé au
même titre que l’animal, il relève des choses. L’un comme l’autre
sont des « objets juridiquement sensibles » (
33
). « A l’instar de l’ani-
mal, (l’embryon) n’est pas une personne mais une chose dotée d’une
protection juridique » (
34
). En droit civil, la théorie « infans concep-
tus, pro nato habetur, quoties de commodis ejus agitur »(
35
) conforte
cette exclusion de la catégorie des personnes. La maxime ne s’appli-
Thibault Lahalle 445
(25) M. Herzog-Evans, « Homme, homme juridique et humanité de l’embryon »,
op. cit., p. 65.
(26) Dictionnaire permanent « Bioéthique et biotechnologie », Embryon humain in
vitro, 15 sept. 1997, p. 821.
(27) L. n
o
75-17, 17 janv. 1975.
(28) L. n
o
94-653 du 29 juil. 1994.
(29) D. Vigneau, « ‘Dessine-moi un embryon », Petites affiches,n
o
spécial Bioé-
thique, les lois du 29 juillet 1994, 14 déc. 1994, n
o
149, p. 63.
(30) J.M. Roux, « Un sujet toujours en quête de son personnage : l’embryon
humain », in Le droit de la biologie humaine, éd. Ellipses, 2000, chapitre 1.
(31) C. Pén. art. 511-15 et s.
(32) C. Pén. art. 521-1 et s.
(33) F. Laroche-Gisserot, Leçons de droit civil, Les personnes, Montchrestien,
1999, p. 7.
(34) P. Morvan, Le principe de droit privé, éd. Panthéon-Assas, 1999, p. 520.
(35) « L’enfant conçu est considéré comme chaque fois que tel est son intérêt ».
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