L’INTRANSIGEANT,21janvier1892.
PietroMascagni,l’heureuxauteurdeCavalleriaRusticana,quivient
termineràParissatriomphantecarrièreàtraversl’Europe,étaitun
modestechefd’orchestre,quandvintletirerdel’obscuritéunconcours
organiséparlecélèbreéditeurmilanaisSonzogno,pourlareprésentation
d’unouvrageenunactesurl’undesprincipauxthéâtresdeRome,dont
M.Sonzognoétaitl’impresario.
Jamaissuccèsplusgrand,jamaisenthousiasmeplusdélirant
n’accueillitàsonapparitionuneœuvredeplusmincesproportions.Le
motde«secondVerdi»futprononcéaulendemaindelapremière,et
depuis,lesuccès,beaucoupplustempéré,del’AmiFritz[L’AmicoFritz],du
mêmeauteur,n’apasatténuélaprofondeimpressionlaisséeenItaliepar
l’auditiondecettefameuseCavalleriarusticana.Qu’est,ensomme,M.
Mascagni?Avanttoutuncompositeurdethéâtreconvaincuqu’ilfautaller
droitaucœurduspectateuretnonàsonespritpourl’entraîneret
l’émouvoir.Berliozaffirmait«quelesthéâtressontlesmauvaislieuxdela
musiqueetquelamusequel’onytraîneensorttoujourssouilléeet
amoindrie».Berliozauraitraison,sitouslesauditeursd’uneœuvre
musicaleavaientl’éruditionsuffisantepourenpénétrerlaprofondeur
d’inspiration,etytrouvercessuprêmesjouissancesquelesartistesseuls
peuventpleinementgoûter.Maisilnefautpasoublierquelepublic,au
théâtre,vientavanttoutchercherunedistractionetnonuneétude.
M.Mascagni,s’estdonctournérésolumentversl’anciennemélodie
italienne,rehausséed’uneharmoniepluspiquante,persuadéqu’elle
contenaitencoredanssesformulesquelqueslauriersàcueilliretsurtoutle
dond’émouvoirlesfoules.
LesujetdeChevalerierustique[Cavalleriarusticana]–tiréd’une
«nouvelle»deVergaquiadéjàfourniundrameenunactejouépar
AntoineauThéâtre‐Libre–peuttenirenquelqueslignes.Torrido
[Turiddu],enrevenantduservicemilitaire,atrouvésafiancéeLola
mariéeaucharretierAlfio.Pouroubliersonchagrin,Torrido[Turiddu]
s’estmisàcourtiserSantuzza.Malgrélesconsolationsqu’ilenareçues,
sonpremieramours’estréveillé,etlepauvreAlfioaétébienvitelemari
leplustrompédetoutelaSicile.Santuzza,audésespoird’êtreainsi
trompée,sevengeenrévélanttoutelavéritéàAlfio.Lesdeuxhommesse
provoquentàunduelàmortensemordantl’oreille,suivantl’usagedu
pays,etTorrido[Turiddu],aprèsavoirrecommandéSantuzzaàsamère,
esttuéparAlfio.
Danscetactebiencoupépourlamusique,M.Mascagniamistout
cequ’ilétaitpossibled’introduiredemorceauxdegenresdifférents:
Sicilienne,doublesettripleschœurs,prière,romances,brindisi:enunmot,
lasubstancehabituelled’ouvragesdepluslonguehaleine.
LamélodiecouleàpleinsbordsdansChevalerierustique[Cavalleria
rusticana].Est‐elletoujoursbienoriginaleetlesreminiscencesensont‐elles
bannies?
Ilfautfairequelquesréservessurcepoint.