LE TEMPS, 25 janvier 1892. Avant de parler de la musique de M

LETEMPS,25janvier1892.
AvantdeparlerdelamusiquedeM.Mascagni,j’aiàreleverun
détaildelapiècedesonopéra,détailquiéchappecomplètementau
public,parcequ’ilnecomprendpaslesparoles,maisquin’estpassans
importance.LuciainviteSantuzzaàentrerchezelle;lajeunefillerépond
qu’ellenelepeutpasparcequ’elleestexcommuniée.«Alors,ilfautlaisser
monfils!»répondLucia,quinecomprendpas.Plusloin,Santuzzaneveut
pasentreràl’égliseparcequ’elle«apéché».Ailleursencoreelleditqu’elle
estdamnée.Mais,d’ordinaire,quandunefilleafauté,pourmeservird’un
néologismerustique,elleneleditpasainsiàtoutinstant,surtoutquand
personneneleluidemande.NouspouvonsenconclurequeTuridduest
undrôlequinerespecterien,pasmêmesafiancée;aussiparaîtilenavoir
assezetvatilcourtiserunefemmemariée.Quandilestsurlepointde
recevoirlechâtimentmérité,sapenséesereporteenfinverscelleque,par
uneamèreabréviation,ilappellesaSanta,pourlarecommanderàsamère.
QueVergaaitvulesujetd’undramechampêtretoutautreque
ceuxdeM.deFlorian,celasecomprend;onpeutracontern’importe
quellehistoiresousformedramatique;maisqu’onenaitfaitunpoème
d’opéra,c’estpeuexcusable,àmoinsquetoutnepuisseserviràfournir
desprétextesàmusique.Qu’yatil?Unechansondecharretier,une
chansondecabaretier,deschœurscommeonentrouvepartout,dela
colère,delajalousie,unpeudedésespoir;lascènedeladisputeentre
TuridduetSantuzzanepeutpaspasserpourunduod’amour.
Enouvrantunconcours,M.Sonzognoagissaituniquementdans
l’intérêtdel’artitalien.En1889ilasacrifiéunefortjoliesommepourfaire,
pendantdeuxmois,unetentativederestaurationd’unthéâtreitalienà
Paris,tentativecondamnéed’avance,commetouteautredumêmegenre.
M.Sonzognoprévoyaitcertainementl’échecpossible,etilenavaitfaitson
deuild’avance.Puis,entendantlesjeunescompositeursentoutpaysse
plaindredesdifficultésqu’ilsontàsefaireconnaître,ilavoululeurvenir
enaideparunmoyenemployéaussicheznous.Qu’ilaitréservéle
concoursàdesartistesitaliensn’ayantencoreeuaucunouvrage
représentésurunthéâtre,c’étaitfortbien.Jecomprendsmoinslaqualité
d’obscurrequisedelapartdesconcurrents.Unmusicienquiaobtenuun
premierprixdecompositiondansunconservatoireestilobscur?Certes
non,carsonprixluisertdediplômepourprendrerangdanslemonde.
Onpeutendireautantd’unpremierprixdepiano.Etquandonaun
premierprixd’harmonie,estonencoreobscur?Celadépenddu
conservatoiredontonestsorti.
Enfin,leconcoursaabouti,etM.Sonzognoenaouvertunnouveau
pourcréertouteunepépinièredejeunesartistescapablesdeporterhautet
fermeledrapeaudel’artitalien.Jemetshorsdecauseaussilejuryquia
fixésonchoixsurCavalleriarusticana:onprendcequ’ontrouve;dansle
royaumedesaveugles,leborgneestroi,etlejuryapriscequ’ilatrouvé
demieuxoudemoinsmauvais,selonlamanièredevoir.EnFrance,
commeenItalie,touslesjurysdemusiquefontainsi.
Unjour,ilyadéjàuncertainnombred’années,jecausaisavecun
artistedel’Opéra.Jeluiparlaisdesbonschanteursitaliens:
LETEMPS,25janvier1892.
Oh!meréponditil,lesItalienschantentnaturellementainsi!
LapreuvedecequelesItaliensnechantentpasnaturellement
commeRubini,Mario,MmesGrisi,Persiani,Alboni,c’estqu’aujourd’hui
ilschantentgénéralementcommes’ilsétaientsortisduConservatoirede
Paris.Maisilfautavouerque,pourlescompositeurs,l’Italievadevenir
l’Eldoradorêvé.EnFrance,commeenAllemagne,uncompositeurdoit
fairedesétudeslonguesetsérieuses,quandmalgrécela,ilveutaborderle
théâtre,ilrencontredesobstaclessouventconstatés:si,pourfaire
connaîtresonnom,ilécritunpeudemusiquesymphoniqueetqu’ensuite
ilveutfairejouerunopéra,oncriedetoutesparts:«C’estunsymphoniste,
iln’enfautpasauthéâtre.»Bizet,M.Massenetetd’autresenontfait
l’expérience.Namouna,deM.Lalo,aététraitéed’abomination;
aujourd’huiencore,ilyadesgensqui,pournepassedonnerdedémenti,
répètentqueleRoid’Ysn’estpasunopéra,maisdelamusique
symphonique.
EnItalie,aucontraire,voyezcommec’estsimple.Onresteunpeu
detempsdansunconservatoirepourapprendreàdistinguerunaccord
parfaitd’unaccorddeseptième,àréaliserunebassechiffréesansfaire
tropdesuccessionsdequintesetd’octaves;puis,pourlesnécessitésdela
vie,onécritdesopérettesetautremusiquedemêmeimportance;unbeau
jour,onentendparlerd’unconcourspourunopéra;onn’apasdepoème
toutprêt,onn’aplusquedeuxmoispoursemettreenrègle;mais
qu’importe?UnItalien,Fiorentino,n’atilpas,dansundesesfeuilletons,
conseilléauxcompositeursfrançaisdesedonnermoinsdepeinequ’ils
n’enprenaient?
«Voyez,leurditil,lesItaliens:ilsfontviteetn’enfontquemieux!»
Puis,n’atonpassoutenusouventquelasciencenuitàl’inspiration?M.
Mascagniétaitdoncdanslesmeilleuresconditionsetnepouvaitmanquer
deréussir:ilaréussi.Levoilàcélèbresurlaplusbellemoitiéduglobe
terrestreetilfaitautoritédanssonpays.Unjour,onluiprésentales
musiciensfrançaispensionnésàlavillaMédicis;unautrejour,onles
invitaàentendredesfragmentsdel’AmiFritz[L’AmicoFritz].Ensortant
delà,ilssedirentquel’auteurn’étaitpasunpuitsdesciencemusicale;
maisc’étaitpurejalousiedeleurpart.
Uncompositeurmeraconta,cesjoursci,qu’ilavaitvuàVienne,en
Autriche,lafameuseCavalleria.«Ehbien?luidisje.Ilhaussal’épaule:
Cettemusiqueagitsurlepublic»,meréponditil.Al’OpéraComique,
cependant,jenemesuispasaperçuqu’elleagitbeaucoupsurlepublicde
larépétitiongénéraleetdelapremièrereprésentation.Onécoutait
attentivement,onattendaitcommesœurAnne,etl’onnevoyaitrienvenir
deréconfortant.MaisonavaittantvantéM.Mascagni!Onl’avait
proclamélesuccesseurdeVerdi!Parmisesproductionsonacitédes
symphonies:onignoraitdoncqu’enitalientouteouvertureoutout
préluded’opéraoud’opéretteestunesinfonia?Certes,lavéritable
symphonien’estpasinconnueenItalie;nousenavonsunedeM.
Sgambatietquiesttrèshonorable.Maiscegenredesinfoniaaété,jusqu’à
présent,interditàM.Mascagni.Toutélèvequiaobtenuunprix
LETEMPS,25janvier1892.
d’harmonieauConservatoiredeParisestbienplushabilequelui.Le
colorisinstrumentalestpourluiunmythe,tandisque,cheznous,les
concurrentspourleprixdeRomenesontpasplusmaladroitsdans
l’orchestrationquedansl’artdefaireunefugue.Cen’estpastoutde
mettreuneflûte,ailleursuneclarinetteouuncor,defaireuneffetde
groupe,uneffetd’ensemble,uncrescendoouuntutticollamassimaforza.On
abeautraiterl’orchestrecommeunegrandeguitare,selonl’expression
connue:ilfautsavoirenjouer,etM.Mascagnin’estpasunvirtuose.Son
orchestreesttantôtterne,tantôtbruyantoubrutal;ilnebrillepasparles
qualitésexpressivesoupittoresques.Maisaussipourquoifairepasser
pourunmaîtreunsimplecommençant,unéchappéduConservatoirede
Milan?
OnasignalédanslapartitiondeM.Mascagnidesréminiscences
d’ouvragesquel’auteurn’apeutêtrepastousentendus,etpuisilavaitsi
peudetemps!Jenel’inquiéteraidoncpassurdessouvenirsoudes
ressemblancesinvolontaires.Maisvoiciunequestionplussérieuse.Amon
avis,l’actiond’undramedoitcommencerquandlatoileestlevée;estce
l’ouvertureduPardondePloërmelquiainduitenerreurM.Mascagni?Son
préludeinstrumentalestinterrompuparunechansonqueTuriddudit
derrièrelatoilebaissée.CettechansonestadresséeàLola;enytrouvedes
verscommelessuivants:
Celuiquipeutbaisertalèvrerose
Vittouteuneéternitésansunseuljour!
Lesecondversaonzesyllabes;maispeuimportepourlamusique.
FautilsupposerqueTuriddudonneunesérénadeàLola,sanscraintedu
charretier,quineplaisantepassurlechapitredel’honneurconjugal?
Toujoursestilquepasunpersonnagedelapièceneparaîtavoirentendu
lachansondeTuriddu,maistoutlemondel’avurôderautourdela
maisond’Alfio,tandisqu’ildevaitêtreàlaville.Sachansonestune
«sicilienne»;soit,maisl’effetenestnul;estcelerideauquisertd’étouffoir
àlavoixdel’imprudentcabaretier?Entoutcas,sachansonn’aaucune
raisond’êtrepourlapiècenipourl’agrémentdupublic.
Aprèslechœurd’introduction,l’actioncommenceparunescène
entreLuciaetSantuza.Onavucommentaétéfaitlelibretto:leshistoriens
lesplusfavorablesàl’ouvrageracontentqueletextefutenvoyéau
compositeurfragmentparfragmentetenpartiesurdescartespostales.Le
dramedeVergan’étaitpasdesmieuxchoisis;maisdeslibrettisteshabiles
l’auraientmodifiépourlerendreplusmusicaletdonnerplusd’intérêtaux
principauxpersonnages.Ilsauraientjugéaussiinutilequedéplacé
d’apprendreaupublicetmêmedeluidirequatrefoisqueSantuzzaa
oubliéleconseildelasagesse,aussibienqueceluideMéphistophélèsde
n’ouvrirsachambrequelabagueaudoigt.Elleseraitainsirestéeun
personnagesympathique,etTuridduseraitmoinsodieuxqu’ilnel’est.Au
lieudecela,Santuzzapassesontempsàdirequesonfiancélatrahit;ellele
ditàLucia,puisàTuridduluimême,puisaucharretierAlfio.C’estun
défautcapitaldulivret,etlamusiqueaensubirlesconséquences.
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Alfiofaitsonentréeavecaccompagnementdegrelotsetde
claquementsdefouet.Sachanson:«Piaffe,monchevalfringant,»ades
prétentionsassezdéplacées:jamaischarretiern’achantédecettefaçon,ni
àlavilleniàlacampagne,niàl’Opéra.
Lechœurdansl’égliseestpourfaireuncontrastesurlequelle
compositeurparaîtavoircomptébeaucoup;c’estjourdePâques;mais
pourquoiPâquesplutôtqu’unautrejour?Lepublicsemblaitsefairela
mêmequestion.
Sousletitrede«romance»,SantuzzafaitàLucial’histoiredes
amoursdeTuridduavecLola,puisavecellemême.Lapauvrefillene
réussitpasànoustoucher:lamauvaisechancelapoursuit.Maisvoicila
scènecapitale,celleentreSantuzzaetTuriddu.
«D’oùvienstu?ditlajeunefille.Delaville!Cen’estpasvrai!
Ah!tum’épies!Cen’estpasmoi:c’estAlfioquit’avu!Crainsmon
justecourroux!»Sevoyantdémasqué,lemisérablemenacededevenir
brutal.Lolapasseetchanteun«refrain».Unrefraind’unechansondont
ellenousfaitgrâce.MmeAlfioaeutortdesedéranger:ellen’afait
qu’augmenterlaragedeTuriddu.Santuzzanesedoutepasqu’ellefait
unelugubreparodiedeZerline[Zerlina]chantant:«Batti,battiobelMazetto
[Masetto]»;maisellechanteparexemple:«Jesuccombeàmasouffrance
(semprefortissimo)surlamêmephrasesurlaquelleTuriddual’impudence
dedire:«Jenesupporteraipaslavainejalousie!»AprèsledépartdeLola,
laquerellecontinuedeplusbelleetdanslemêmesystèmede
composition;lascènedevienttoutàfaitodieuse;Turiddu,aucombledela
colère,jetteSantuzzaparterreetlamaudit,luiquiatouslestorts.Jene
connaispasd’opéral’ontrouveunescènedemêmegenreetaussi
repoussante.
AprèslaragedeTuridduvientlajustecolèred’AlfioàquiSantuzza
débitesonantienne,etcettefoisavecplusdesuccèsqu’ellenevoudrait.
Maisilesttempsdefinir.Dansquelquesopérasbouffescommele
Barbier[IlbarbierediSiviglia]etlaCenerentola,l’orchestrereprésenteun
oragecommeintermèdeetsansquecetorageait,d’ailleurs,aucuneraison
d’être.L’intermèdeinstrumentaldeM.Mascagnin’estpasorageux,au
contraire;maisiln’apasderaisond’êtrenonplus.LebrindisideTuriddu
estundesmorceauxlesmoinsheureux.Lasuitenecomprendguèreque
desconversationsplusoumoinsbiendéclaméesetuncourtpassage
mélodiquerépété,quandTuriddurecommandeSantuzzaàsamère.
MlleCalvérendd’unefaçonassezdramatiquel’ingratetmonotone
rôledeSantuzza.Jeluirecommandedenepasattaquerlesnoteshautesen
dessous,commecelaluiestarrivéplusieursfois.Gibertafaitdeson
mieuxdansleméchantpersonnagedeTuriddu,àquilecompositeurn’a
mêmepasréussiàdonnerunechansonàboiresupportable.Bouvetaété
meilleurdanslasecondepartiedesonrôlequedanslapremière.Savoix
étaitsourdedanslachansonducharretier,puiselles’estéclaircie.
LETEMPS,25janvier1892.
JournalTitle:LETEMPS
JournalSubtitle:None
DayofWeek:Monday
CalendarDate:25JANVIER1892
PrintedDateCorrect:Yes
TitleofArticle:CRITIQUEMUSICALE
SubtitleofArticle:Chevalerierustique[Cavalleriarusticana],drame
lyriqueenunacte,parolesdeMM.Targioni
TozzettietMenasci,d’aprèsVerga,traduction
françaisedeM.P.Milliet,musiquedeM.P.
Mascagni.
Signature:J.WEBER
Pseudonym:None
Author:JohannesWeber
Layout:Internalfeuilleton
Crossreference:None
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