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Monsieur le Président,
Cher Bernard Thibault, Secrétaire général de la CGT,
Chers délégués et déléguées,
Chers amis des délégations syndicales des pays représentées ici,
Je voudrais tout d’abord remercier le Camarade Bernard Thibault pour l’aimable invitation qu’il m’a adressée
pour intervenir au nom du Bureau international du Travail devant ce congrès. Je voudrais également vous
adresser les salutations et meilleurs vœux de Guy Ryder, Directeur général du BIT. Il s’agit pour les
adhérents de la CGT d’un moment-clé dans la vie syndicale. Mais votre congrès se tient aussi à un moment
où la réaffirmation de l’engagement syndical, de la solidarité et des valeurs humaines et sociales revêt une
importance qui pour essentielle qu’elle soit en France, dépasse les frontières de l’hexagone. La présence ici
de camarades de près de 70 pays en témoigne.
Nous sommes réunis ici alors que le monde est entré dans la cinquième année consécutive d’une crise
profonde, prolongée et violente. Une crise que les travailleurs et travailleuses n’ont pas provoquée mais
dont ils paient doublement, voire triplement la facture. D’abord dans la perte d’emplois et l’absence de
perspective pour toute la jeune génération de travailleurs et travailleuses, ensuite dans l’érosion, le détricotage de la protection sociale, enfin dans l’austérité dans laquelle nombre de gouvernements se sont
enfermés, sous l’injonction des milieux financiers et des institutions internationales soutenant un modèle de
mondialisation axé sur la finance.
Un modèle de mondialisation, dont la dimension sociale est absente et qui a provoqué le krach de 2008, qui
s’est traduit par un chômage de masse et une sous-utilisation de la main-d’œuvre, qui a conduit à une
réduction des salaires et des prestations sociales dans de nombreux pays. Le bilan de ce modèle est pour le
moins sombre :
Les inégalités sociales et économiques sous toutes leurs formes s’accentuent.
Quelque 200 millions d’hommes et de femmes sont au chômage.
En outre, 870 millions de personnes – soit un quart de la population active mondiale – ont un emploi qui
ne permet pas à leur famille de se hisser au-dessus du seuil de pauvreté de 2 dollars des Etats-Unis par
personne et par jour.
Environ 74 millions de jeunes sont sans emploi. Le chômage des jeunes atteint des proportions énormes
dans plusieurs pays d’Europe. Les jeunes restent sans emploi pendant des périodes de plus en plus
longues et risquent d’en garder des séquelles à vie.
Et alors que tant de jeunes sont au chômage, le travail des enfants persiste.
Il en va de même du travail forcé : alors qu’elles cherchent à fuir la pénurie d’emplois et la pauvreté dans
leur pays d’origine, de nombreuses personnes tombent aux mains des trafiquants d’êtres humains et se
retrouvent piégées dans des formes modernes d’esclavage.
Quatre-vingts pour cent de la population mondiale ne bénéficie pas d’une couverture de sécurité sociale
suffisante, et plus de la moitié en est complètement privée.
La discrimination sous ses multiples formes empêche des centaines de millions de personnes, en
particulier les femmes, de réaliser leur potentiel en contribuant sur un pied d’égalité au développement
de la société et de l’économie.
Ce triste tableau serait incomplet si je n’évoquais pas ici, devant nos camarades français et ceux et celles
des autres pays représentés ici les attaques virulentes et sans précédent aux droits syndicaux qui
accompagnent cette crise. Au point qu’on ne peut plus se demander s’il s’agit-là d’une coïncidence.
Dans de nombreux pays, les travailleuses et travailleurs qui tentent, face à la crise, d’exercer leur droit de
s’organiser librement pour défendre la justice et la dignité au travail se voient interdire de fonder des
syndicats et de s’y affilier. La répression antisyndicale sévit partout dans le monde. Dans son dernier rapport
annuel, la Confédération syndicale internationale, recensait 76 morts de travailleurs et travailleuses
directement imputables à des activités syndicales : il faut compter aussi ceux et celles qui ont laissé la vie
lors des manifestations du printemps arabe. La CSI dénombrait 56 décès rien qu’en Amérique latine, dont 29
personnes tuées en Colombie et 10 autres au Guatemala, ces crimes étant commis dans une impunité quasi
totale.
Dans le rapport d’orientation qui est soumis à votre congrès, votre organisation souligne et je cite : « il
apparaît de plus en plus que l’Organisation internationale du Travail (OIT) et les normes internationales dont
elle est la garante, notamment la Convention no. 87 sur les libertés syndicales, constituent un rempart
protecteur et qu’elles gênent les gouvernements les plus engagés dans des logiques de déréglementations
» fin de citation. Le même rapport poursuit, je cite : « L’OIT apparaît aussi comme un danger pour le
patronat et pour les firmes multinationales, dans la mesure où les normes tendent de plus en plus à
l’universalité » fin de citation.
Je ne peux que confirmer la perspicacité de cette analyse. Aujourd’hui c’est tout le système normatif de
l’OIT, en particulier ses méthodes de contrôle de l’application des Conventions internationales du Travail qui
est dans le collimateur du patronat. Je dirais d’un certain patronat, pour lequel les normes internationales du
travail qui sont des normes minimales à vocation universelle représentent un fardeau. Un certain patronat
pour lequel un travailleur ou une travailleuse n’a pas de visage, ne représente pas une vie, une famille ou la
dignité humaine, mais constitue simplement un coût qu’il faut réduire à tout prix.
En juin dernier, lors de la conférence annuelle de l’OIT à Genève, le Groupe des employeurs a, pour la
première fois en plus de quatre-vingts ans, bloqué la discussion sur les pires cas de violations des droits des
travailleuses et des travailleurs. Depuis 1926, les délégué(e)s à la Conférence internationale du Travail
débattent chaque année et interpellent les gouvernements sur les cas les plus graves de violation repris
dans le rapport annuel de la Commission d’experts. En 2012, l’Organisation internationale des Employeurs
(OIE) a rompu cette pratique et a refusé de discuter le moindre cas. L’attaque des employeurs est
essentiellement dirigée contre le droit de grève. Mais c’est l’ensemble du système de contrôle de
l’application des normes qui est visé, surtout le mandat même de la Commission d’experts et ils n’en font
pas de secret.
Aujourd’hui, chers Camarades, la liberté syndicale et le dialogue social figurent parmi les premières victimes
de la crise. Le modèle social européen qui a longtemps inspiré l’activité normative de l’OIT s’est comme
essoufflé, encalminé voire retourné. L’Europe des arrêts Laval et Viking, n’est plus l’Europe des travailleurs,
n’est plus l’Europe de la justice sociale.
Chers Camarades,
Votre congrès, comme je l’ai dit, revêt d’une importance qui dépasse la France. L’Europe a besoin d’un
sursaut social, d’un retour aux valeurs de justice et de paix qui animaient ses fondateurs. Votre action au
plan national, votre action au sein et avec la CES, au sein de la CSI, au sein de l’OIT lors de la Conférence
régionale européenne qui aura lieu le mois prochain à Oslo, pourront être déterminantes. La France a été
une alliée historique des normes de l’OIT et d’une Europe sociale, même si les syndicats ont dû à plusieurs
reprises le rappeler en utilisant comme l’a fait la CGT les mécanismes de contrôle de notre organisation.
Mais l’appui de la France demain, pour faire face à l’offensive patronale, pour agir nationalement et plaider
internationalement en faveur d’une sortie de crise par la relance et le dialogue social, le respect des normes
du travail doit être une exigence que les organisations syndicales peuvent et doivent réclamer.
L’emploi, l’inclusion sociale et la croissance durable doivent être au cœur de l’action, dans l’UE et à l’échelle
mondiale.
Le FMI a lui-même reconnu finalement que le traitement d’austérité qu’il a préconisé est aujourd’hui au cœur
du problème. La bonne leçon à tirer est qu’il faut des mesures pour stimuler l’économie par la demande.
Cela passe par le maintien du pouvoir d’achat, le renforcement de la protection sociale, la défense des
services publics de qualité.
Des politiques sociales intelligentes – comme les programmes qui accompagnent les chômeurs dans leur
recherche d’emploi ou les systèmes qui ouvrent la sécurité sociale aux membres les plus vulnérables de
notre société – ne peuvent être considérées seulement comme un coût. C’est un investissement pour
l’avenir.
L’UE doit donner davantage de substance à la dimension sociale, notamment au dialogue social, comme le
prévoyait la feuille de route destinée à compléter l’Union économique et monétaire européenne. Elle devrait
aider les Etats Membres à instaurer des systèmes de garanties jeunes, améliorer la diversification et
l’innovation industrielles, renforcer l’efficacité des services du marché du travail, accroître la création
d’emplois et renforcer l’investissement social.
Le dialogue social est un atout majeur de l’Union européenne. Malheureusement, les systèmes de
négociation collective qui sont le fondement du dialogue social ont été affaiblis dans plusieurs pays de l’UE.
A tel point qu’il va devenir plus difficile de faire évoluer les salaires au rythme de la productivité. Doit-on
accepter une telle fatalité.
Chers Camarades,
Il est temps de construire une nouvelle ère de justice sociale fondée sur des emplois de qualité et sur le
travail décent pour tous. La crise ici, les événements dans d’autres parties du monde en particulier le monde
arabe, ont mis en exergue des revendications – pour certaines demeurées jusque-là enfouies dans les
cœurs de populations opprimées: l’aspiration à mener une vie décente et à un avenir décent fondé sur la
justice sociale.
Les grandes failles de l’économie mondiale, perceptibles depuis longtemps, sont apparues au grand jour,
révélant avec violence incertitudes et fragilités, sentiments d’exclusion et d’oppression, ainsi qu’un déficit
d'opportunités et d’emplois, une précarisation croissante aggravée par la crise économique mondiale.
Pour les hommes et les femmes qui sont sans emploi ni moyens de subsistance, les discours ne suffisent
plus. Avec leurs syndicats, ils sont concernés par la capacité des dirigeants et des sociétés à promouvoir
des politiques porteuses d’emploi et de justice sociale, des politiques qui leur laissent la liberté d’exprimer
leurs besoins, leurs espoirs d’avenir pour leurs enfants.
En réalité, les populations jugent ce que la société, l’économie et la politique leur apportent à l’aune du
travail. S’ils ont ou non un emploi, quelle qualité de vie ce travail leur confère, quel sort leur est réservé
quand ils sont au chômage, malades ou ne peuvent pas travailler ? Quel avenir leur apporte ce travail pour
eux et pour les familles qui en dépendent ?
De bien des manières, la qualité du travail, pas seulement sa quantité, déterminera demain la qualité de la
société. Aujourd’hui, le monde du travail est dévasté.
Dans le même temps, les inégalités mondiales se creusent. La crise a tronqué de moitié les augmentations
de salaires, réduit la mobilité sociale par le travail et confiné de plus en plus de personnes dans des emplois
précaires et mal rémunérés.
Les disparités de revenus s’accentuent dans certains pays. Les jeunes, quelle que soit leur formation, sont
de plus en plus souvent confrontés à la probabilité de ne jamais trouver un emploi décent – la perspective
d’une génération perdue menace.
Pour réaliser une mondialisation équitable, nous avons besoin d’une autre vision de la société et de
l’économie. Cette vision existe : fondée sur des droits, sur la démocratie, la justice sociale, la répartition
équitable des richesses, une solidarité, la liberté syndicale et le dialogue sociale, y compris la négociation
collective.
Notre action doit aller au-delà d’une simple reprise de la croissance – nous ne sortirons pas de la crise si
nous conservons les politiques qui nous y ont précipités. C’est pourquoi la voix des travailleurs et
travailleuses et de leurs organisations syndicales doit être entendue et écoutée.
C’est à cette vision que croit l’OIT. Aujourd’hui le combat que vous menez dans vos pays en tant que
syndicalistes est intimement lié à la campagne de l’OIT pour le travail décent dans le monde.
Je vous souhaite des travaux fructueux et un plein succès du programme d’action que vous allez adopter.
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