Les AINS et l`intestin grêle - STA HealthCare Communications

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CONSULTATION DE COULOIR
EDITORIAL
Les AINS et l’intestin grêle
Par Ricardo Cartagena, M.D., FRCPC
Les études à répartition aléatoire, à double insu, avec témoin placebo n’ont pas fourni de
réponses définitives à certaines questions cliniques importantes. La rubrique «
Consultation de couloir » du Journal de la Société canadienne de rhumatologie cherchera à
résoudre vos plus épineux dilemmes par voie de consensus, en les soumettant à des experts.
Veuillez soumettre vos questions à l’adresse suivante : [email protected].
HISTOIRE DE CAS :
Ce patient de 49 ans prend un anti-inflammatoire en comprimé entérosoluble depuis près de 10 ans pour
soulager une dorsalgie chronique. Au coucher, il prend un anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS) à
libération prolongée au moins deux semaines sur quatre par mois pour soulager les symptômes de la
dorsalgie dont la fréquence et la gravité varient. Depuis peu toutefois, le patient souffre de symptômes
digestifs d’apparition nouvelle et il ressent une douleur abdominale environ une heure après le repas, et il
lui arrive souvent de vomir à ce moment. Il mange peu et il a maigri de 20 lb au cours des six dernières
semaines, mais les vomissements n’ont jamais l’aspect de marc de café. La recherche de sang occulte dans les
selles, effectuée à trois reprises, est négative; de même, les résultats de l’hémogramme et du dosage de la
ferritine et de l’albumine sériques sont normaux. Le patient a été soumis récemment à une endoscopie des
voies digestives hautes et à une coloscopie, sans que ces examens révèlent de pathologie. Le patient ne prend
plus d’AINS depuis six semaines et il a entrepris un traitement par un inhibiteur de la pompe à protons (IPP).
Les symptômes digestifs se sont atténués au cours des quatre dernières semaines.
Questions : Quelle est la fréquence d’une pathologie du grêle secondaire aux AINS? Quels autres examens
devraient être effectués pour établir clairement l’état de santé de ce patient? Quel est le rôle de l’endoscopie
par capsule? Outre l’abandon de l’anti-inflammatoire, devrait-on envisager un autre traitement spécifique?
DISCUSSION :
Le concept de l’entéropathie secondaire aux AINS a été proposé
en 1992 lorsque Allison et coll. eurent démontré que le taux de
prévalence d’ulcères du grêle était de 8,4 % dans les examens
autopsiques de sujets traités par des AINS au cours des six mois
précédant leur décès. Des études prospectives ont montré que
40 % des événements gastro-intestinaux graves touchaient la
partie distale du ligament de Treitz chez les patients atteints de
polyarthrite rhumatoïde qui prenaient des AINS.
Dans le grêle, une pathologie asymptomatique peut causer
une perte de sang occulte dans les voies digestives, ce qui
entraîne une déficience en fer, une anémie et une hypoalbuminémie inexpliquée.
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JSCR 2009 • Volume 19, Numéro 3
Des symptômes s’observent lorsque des voiles, des rétrécissements et des diaphragmes causés par les effets des AINS
obstruent le grêle et causent un saignement manifeste des
voies digestives et la perforation de l’intestin grêle. On croit
que le mécanisme à l’origine de ces lésions est relié à la déplétion en COX-2 dans la muqueuse du grêle et en ATP mitochondriale dans les entérocytes, ce qui aboutit à une perméabilité intestinale accrue, à un affaiblissement des défenses de
la muqueuse intestinale et à la formation d’ulcères.
La tomodensitométrie abdominale et pelvienne avec administration d’une substance de contraste neutre par voie orale a,
en grande partie, remplacé le transit du grêle, mais son taux de
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sensibilité pour détecter les lésions hémorragiques du grêle
est inférieur à 10 %. L’examen direct du grêle par entéroscopie
poussée (effectuée par la voie orale à l’aide d’un coloscope
pédiatrique) ne permet pas d’observer l’iléon.
Toutefois, l’endoscopie par vidéo capsule (EVC) a permis
de déceler jusqu’à 71 % des lésions du grêle chez des patients qui avaient pris des AINS pendant plus de trois mois.
L’EVC a également démontré que l’administration concomitante d’un inhibiteur de la pompe à protons (IPP) était inefficace pour prévenir l’atteinte du grêle par les AINS. En
outre, l’entéroscopie double ballon du grêle s’impose progressivement comme une modalité effractive pour traiter ces
patients.
Il semble par ailleurs que l’administration de misoprostol
(analogue de la PGE1) aide à prévenir l’entéropathie secondaire aux AINS; des résultats favorables ont en effet été
observés chez des patients porteurs de lésions du grêle
démontrées par endoscopie. En 2009, on a utilisé pour la
première fois l’endoscopie par vidéo capsule pour évaluer, au
cours d’une étude prospective avec précaution d’insu, l’effet
favorable du misoprostol dans le grêle. Dans le groupe recevant un AINS en association avec l’oméprazole, 53 % des
sujets étaient porteurs de lésions de la muqueuse, compara-
tivement à seulement 13 % dans le groupe traité par l’association AINS + PGE1.
Dans le cas de ce patient, on peut attendre avant d’ordonner d’autres examens, car les symptômes digestifs se sont
atténués depuis quatre semaines. Ce tableau clinique n’est
pas rare. Si le patient avait manifesté des signes de présence
de sang occulte au moment de la première consultation, une
endoscopie par vidéo capsule aurait permis d’évaluer toute
la muqueuse du grêle. Toutefois, ce mode d’endoscopie n’est
pas recommandé en cas de lésions suspectes causant une
certaine obstruction du grêle en raison du risque de rétention de la vidéo capsule. Dans ces cas, une entérographie par
tomodensitométrie, suivie d’une entéroscopie, pourrait être
envisagée.
Les recherches se poursuivent pour découvrir d’autres
modalités de traitement, car il n’existe pas beaucoup de données probantes montrant que les AINS à libération prolongée entraînent une fréquence moindre d’entéropathie.
À la lumière de cette information, on pourrait être tenté de
reprendre le traitement par les AINS chez ce patient en prescrivant également du misoprostol, après une période d’attente pour permettre à la muqueuse du grêle de cicatriser
pendant environ six semaines.
Le temps des récoltes, les Prairies canadiennes, 2009
Centre de santé régional de Brandon, Brandon, Manitoba
Le Dr Ricardo Cartagena est rhumatologue titulaire au Département de médecine de la Brandon Clinic Medical
Corporation et du Centre de santé régional Brandon, à Brandon, Manitoba.
Élaboré grâce à une subvention sans restriction
à visée éducative de Pfizer Canada.
Ensemble, vers un monde en meilleure santé MC
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