Suivre la transpiration de la vigne en temps réel : Une nouvelle
technique pour piloter l’irrigation au vignoble
Thibaut Scholasch, Œnologue, docteur en viticulture, www.fruitionsciences.com
Introduction
Une$ mauvaise$ gestion$ de$ l’eau$ au$ vignoble$ affecte$ négativement$ la$ production.$
L’excès$d’eau$pendant$la$saison$dégrade$la$qualité$de$la$vendange$(arômes$végétaux,$
maturité$ retardée)$ alors$ que$ la$ sècheresse$ excessive$ provoque$ des$ arrêts$ de$
maturation$ou$la$perte$de$rendement$avant$récolte$par$dessèchement$du$raisin.$Les$
conséquences$ de$ la$ mauvaise$ gestion$ de$ l’état$ hydrique$ pour$ un$ vignoble$ en$
conditions$arides$sont$illustrées$dans$la$figure$1.$La$relation$entre$l’état$hydrique$et$
le$vin$justifie$pourquoi$la$gestion$de$l’eau$au$vignoble$présente$un$enjeu$œnologique$
et$commercial.
!
Figure!1:!Une!mauvaise!gestion!de!l’état!hydrique!affecte!négativement!toute!la!chaine!de!production
L’état$hydrique$reflète$le$niveau$de$satisfaction$des$besoins$en$eau$de$la$plante.$
Les$besoins$en$eau$sont$définis$par$un$ensemble$de$facteurs$internes$et$externes$à$la$
plante.$ Les$ facteurs$ internes$ sont$ spécifiques$ au$ vignoble.$ Ils$ sont$ essentiellement$
déterminés$ par$ le$ porte$ greffe,$ le$ cépage,$ le$ stade$ de$ mûrissement,$ la$ densité$ de$
plantation$ et$ le$ type$de$palissage.$Les$facteurs$externes$sont$les$facteurs$
environnementaux$ qui$ régissent$ l’offre$ et$ la$ demande$ en$ eau.$ La$ demande$en$eau$
(ou$ demande$ climatique)$ résulte$ de$ l’effet$ combiné$ du$ soleil,$ du$ vent,$ de$ la$
température$et$de$l’humidité$de$l’air$sur$la$plante.$L’offre$résulte$de$la$disponibilité$
en$eau$du$sol.$
Pour$ satisfaire$ les$ besoins$hydriques$de$la$ vigne$ de$ l’eau$est$ absorbée$ par$ les$
racines,$ puis$ $ transportée$ dans$ la$ plante$ jusqu’aux$ feuilles$ ou$ elle$ s’évapore$ dans$
l’air.$ Un$ flux$ d’eau$ traverse$ donc$ en$ permanence$ la$ plante.$ Ce$ phénomène$
fondamental$s’appelle$la$transpiration$et$il$caractérise$la$consommation$en$eau$de$la$
plante.$$
Le$niveau$de$transpiration$est$donc$le$résultat$d’un$ensemble$de$facteurs$liés$au$
climat,$ au$ sol,$ à$ la$ plante$ et$ aux$ pratiques$ culturales.$ La$ transpiration$ est$ un$
phénomène$ essentiel$ pour$ le$ bon$ fonctionnement$ de$ la$ plante.$ En$ effet,$cest$en$
consommant$de$l’eau$que$la$plante$synthétise$et$distribue$les$éléments$$essentiels$
aux$cellules$de$chaque$organe$et$régule la température du feuillage.$
Quels outils pour optimiser l’état hydrique?
Pour$ optimiser$ l’état$ hydrique$ de$ la$ plante,$ il$ est$ relativement$ difficile$ ou$
impossible$de$modifier$ les$facteurs$internes$du$ vignoble.$En$revanche,$les$ facteurs$
externes$ peuvent$ être$ plus$ facilement$ modifiés.$Sur$ un$ vignoble$ où$ l’eau$ est$
excessivement$ $ disponible,$ l’état$ hydrique$ est$ optimisé$ en$ limitant$ l’offre$
(enherbement,$ drainage)$ ou$ en$ augmentant$ la$ demande$ (exposition$ accrue$ du$
feuillage$ au$ soleil).$ Sur$ un$ vignoble$ aride,$ l’état$ hydrique$ est$ optimisé$ en$
augmentant$l’offre$(irrigation)$ou$en$limitant$la$demande$(ombrage$du$feuillage).$$
A$cause$du$réchauffement$climatique$ l’aridité$ des$vignobles$devient$de$plus$en$
plus$ fréquente$ et$ sévère.$ C’est$ donc$ en$ vignobles$ arides$ que$ le$ besoin$ d’optimiser$
l’état$ hydrique$ est$ le$plus$fort$ aujourd’hui.$ Comme$ il$ est$ plus$ pratique$ et$ plus$
économique$ d’augmenter$ l’offre$ que$ de$ limiter$ la$ demande$en$eau,$ le$ recours$ à$
l’irrigation$ est$ $ souvent$ pratiqué$ pour$ optimiser$ l’état$ hydrique.$ Pour$ décider$
«$quand$»$irriguer$et$«$combien$»$d’eau$doit$être$apportée$au$vignoble,$les$chefs$de$
culture$utilisent$$des$outils$pour$évaluer$le$déficit$hydrique.$$
Méthodes)traditionnelles))
Le$potentiel$foliaire$permet$de$caractériser$le$déficit$hydrique$au$moment$$de$la$
mesure$mais$cette$méthode$présente$une$précision$très$limitée$pour$optimiser$l’état$
hydrique.$ En$ effet,$ comme$ la$ méthode$est$destructive,$ le$ nombre$ de$ points$ de$
mesure$est$très$réduit$sur$la$saison$(en$général$une$fois$par$semaine)$alors$que$le$
déficit$hydrique$peut$devenir$très$sévère$en$quelques$jours.$La$mesure$du$potentiel$
foliaire$est$donc$trop$discontinue$pour$optimiser$jour$après$jour$l’état$hydrique$de$
la$plante.$
D’autres$ outils$ permettent$ de$ mesurer$ directement$ la$ teneur$ en$ eau$ du$ sol.$
Cependant,$même$s’ils$sont$ précis,$ces$outils$ne$renseignent$que$ partiellement$ sur$
l’état$ hydrique$ de$ la$ plante.$ En$ effet,$ l’eau$ dans$ le$ sol$ est$ distribuée$ de$ façon$ très$
hétérogène$et$donc$il$n’y$a$pas$toujours$de$correspondance$entre$l’humidité$du$sol$
perçue$par$le$système$racinaire$et$l’humidité$lue$par$un$capteur$en$un$point$du$sol.$$
L’analyse$ visuelle$ a$ également$ une$ valeur$ informative$ très$ limitée$ car$ elle$
dépend$du$cépage,$de$l’œil$de$l’observateur,$du$stade$de$développement$de$la$plante$
et$des$conditions$climatiques$ au$moment$de$l’observation.$En$conclusion$les$outils$
traditionnels$ont$une$valeur$informative$insuffisante$pour$optimiser$l’état$hydrique$
de$la$plante.$
Méthodes)nouvelles)
D’autres$ outils$ plus$ sophistiqués$ sont$ également$ disponibles$ comme$ le$
poromètre,$le$dendromètre$ou$le$capteur$de$flux$de$sève.$Le$poromètre$permet$de$
caractériser$ le$ degré$ d’ouverture$ des$ stomates.$ Les$ stomates$ sont$ les$ pores$ situés$
sur$la$face$inferieure$des$feuilles$et$par$lesquels$l’eau$s’évapore.$Les$stomates$sont$
largement$ ouverts$ lorsque$ beaucoup$ d’eau$ est$ disponible$ pour$ la$ plante$ ;$ ils$ se$
referment$ progressivement$ lorsque$ la$ disponibilité$ de$ l’eau$ diminue.$ Le$ niveau$
d’ouverture$ des$ stomates$ est$ donc$ un$ indicateur$ du$ déficit$ hydrique$ perçu$ par$ la$
plante.$L’inconvénient$$de$la$ mesure$ au$ poromètre$est$d’imposer$l’échantillonnage$
d’un$ nombre$ important$ de$ feuilles1T2.$ En$ effet,$ l’ouverture$ des$ stomates$ présente$
une$forte$variabilité$d’une$feuille$à$l’autre$en$fonction$de$l’exposition$de$la$feuille$au$
soleil.$
Le$dendromètre$permet$de$mesurer$le$niveau$d’hydratation$de$la$vigne,$mais$la$
sensibilité$de$la$mesure$diminue$fortement$sur$la$période$qui$s’étend$de$la$véraison$
jusqu’$ à$ la$ récolte3$ (période$ pendant$ laquelle$ la$ croissance$ végétative$ diminue$
fortement).$Comme$le$pilotage$du$statut$hydrique$doit$être$continu$du$début$à$la$fin$
du$ cycle$ de$ production,$ le$ dendromètre$ ne$ présente$ qu’un$ intérêt$ limité$ pour$
optimiser$ l’irrigation.$ Le$ capteur$ de$ flux$ de$ sève$ permet$ de$ mesurer$ le$ niveau$ de$
transpiration$ de$ la$ plante$ en$ temps$ réel.$ Cette$ mesure$ est$ “intégrative”$ car$ elle$
reflète$ à$ la$ fois$ les$ effets$ du$ climat,$ du$ sol,$ des$ pratiques$ culturales$ et$ du$ matériel$
végétal$ sur$ la$ consommation$ hydrique.$ La$ mesure$ de$ la$ transpiration$ est$
aujourd’hui la$plus$pertinente$pour$optimiser$l’état$hydrique.$
Transpiration et déficit hydrique
$Il$ existe$ un$ lien$ direct$ entre$ la$ transpiration$ et$ le$ déficit$ hydrique.$ Le$ déficit$
hydrique$ caractérise$ la$ différence$ entre$ la$ transpiration$ réelle$ d’une$ part$ (c’estTàT
dire$directement$mesurée$sur$la$plante),$et$la$transpiration$théorique$d’autre$ part$
(c’est$ à$ dire$ la$ quantité$ d’eau$ totale$ que$ la$ plante$ consommerait$ si$ le$ système$
racinaire$ ne$ subissait$ aucune$ restriction$ hydrique).$ Le$ déficit$ hydrique$ est$ faible$
lorsque$la$différence$entre$les$transpirations$réelle$et$théorique$est$faible.$Le$déficit$
hydrique$est$élevé$lorsque$cette$différence$est$élevée.
Comment utiliser la mesure de transpiration dans un contexte de production?
Dans$ la$ parcelle,$ quelques$ souches$ sont$ sélectionnées$ pour$ représenter$ toutes$
les$ autres.$ Sur$ ces$ vignes,$ des$ capteurs$ de$ flux$ de$ sève$ sont$ installés$ d’avril$ à$
novembre.$ Les$ capteurs$ mesurent$ le$ débit$ d’eau$ qui$ parcourt$ la$ plante$ à$ chaque$
moment$ de$ la$ journée$ (toutes$ les$ 15$ minutes).$ Le$ volume$ d’eau$ consommée$
quotidiennement$par$la$plante$est$calculé$en$cumulant$la$quantité$d’eau$qui$traverse$
la$plante$à$chaque$heure$de$la$journée.$L’information$est$immédiatement$recueillie$
sur$ la$ plante$ et$ transférée$ par$ ondes$ radios.$ Les$ données$ sont$ alors$ analysées$ et$
présentées$ en$ temps$ réel$ sur$ un$ site$ internet$ dédié.$Ce$pilotage$est$aujourdhui$
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Irrig.Sci.)*JKKZH*JNH[PO\P,$
utilisé$ en$ Californie$ et$ en$ France$ par$ des$ caves$ qui$ ont$ effectué$ l’installation$ du$
matériel$sur$leur$vignoble$(figure$2).$
Figure!2:!Vigne!équipée!d’un!capteur!de!flux!de!sève!pour!mesurer!la!transpiration
Comme$la$transpiration$théorique$est$proportionnelle$à$la$demande$climatique,$
la$présentation$sur$un$même$graphe$de$la$demande$climatique$et$de$la$transpiration$
réelle$permet$d’évaluer$le$déficit$hydrique$perçu$par$la$plante$(figure$3).
Figure!3!:!Pilotage!du!déficit!hydrique!grâce!au!!suivi!simultané!de!la!transpiration!et!de!la!demande!
climatique!(ETref).!
Généralement,$ la$ teneur$ en$ eau$ du$ sol$ diminue$ progressivement$ pendant$ la$
saison,$particulièrement$en$zones$arides$lorsque$les$précipitations$sont$très$réduites$
au$ cours$ du$ cycle.$ Au$ fur$ et$ à$ mesure$ que$ la$ teneur$ en$ eau$ du$ sol$ diminue,$ la$
transpiration$ réelle$ diminue.$ Le$ déclin$ progressif$ de$ la$ transpiration,$ alors$ que$ la$
demande$ climatique$est$constante$ou$augmente,$ est$ la$ conséquence$ directe$ du$
déficit$hydrique$perçu$par$la$plante.$La$caractérisation$du$déclin$de$la$transpiration$
permet$donc$de$quantifier$le$déficit$hydrique$comme$le$montre$la$figure$4.
Figure!4:!Courbes!de!transpiration!mesurées!avant,!après!ou!entre!deux!irrigations!pour!une!demande!
climatique!constante
Le suivi de la transpiration permet de décider « quand » irriguer
En$fonction$des$objectifs$de$production,$des$spécificités$du$vignoble$et$du$stade$
de$développement$du$raisin,$le$seuil$du$déficit$hydrique$maximal$est$plus$ou$moins$
poussé.$ C’est$ donc$ aux$ responsables$ de$ la$ production$ de$ fixer$ la$ valeur$ du$ seuil$ à$
atteindre.$A$chaque$fois$que$le$déficit$hydrique$atteint$le$seuil$fixé,$une$irrigation$est$
déclenchée.$ La$ fréquence$ de$ l’irrigation$ est$ donc$ déterminée$ par$ l’intensité$ du$
déficit$hydrique$recherché.$De$nombreux$articles$scientifiques$ont$démontré$que$le$
déficit$hydrique$précoce$stimule$ la$ synthèse$ de$composés$phénoliques$et$réduit$le$
rendement$ en$ réduisant$ la$ taille$ des$ baies$ 4T5T6.$ Par$ conséquent,$ sur$ un$ vignoble$
destiné$ à$ une$ production$ «$haut$ de$ gamme$»$ la$ transpiration$ doit$ être$ pilotée$ de$
façon$à$optimiser$l’intensité$du$déficit$hydrique,$particulièrement$avant$la$véraison.$
Le$seuil$fixé$pour$le$déficit$hydrique$correspond$à$un$niveau$de$transpiration$faible.$
En$revanche,$sur$un$vignoble$ayant$pour$objectif$la$production$d’un$vin$«$moyen$de$
gamme$»,$la$transpiration$est$pilotée$pour$maintenir$le$déficit$hydrique$à$un$niveau$
modéré$ afin$ de$ ne$ pas$ compromettre$ le$ rendement.$ Le$ seuil$ fixé$ pour$ le$ déficit$
hydrique$ correspond$ à$ un$ niveau$ de$ transpiration$ modéré$ et$ des$ irrigations$
d’appoint$sont$plus$fréquemment$nécessaires.
Le suivi de la transpiration permet de raisonner le volume d’eau à appliquer
Immédiatement$après$irrigation,$la$transpiration$augmente$même$si$la$demande$
climatique$ est$ constante.$ L’augmentation$ de$ la$ transpiration$ est$ la$ conséquence$
directe$de$l’augmentation$de$la$teneur$en$eau$du$sol$en$contact$avec$les$racines.$La$
transpiration$se$maintient$à$un$niveau$élevé$pendant$plusieurs$jours$jusqu'à$ce$que$
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