Analyse d’ouvrage mt Médecine de la Reproduction, Gynécologie Endocrinologie 2008 ; 10 (3) : 216-7 La biologie a-t-elle besoin de la philosophie ? doi : 10.1684/mte.2008.0159 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Q 216 jlemte00274_cor1.indd 1 uand on considère le nombre d’ouvrages qui se consacrent à une interprétation philosophique des résultats de la recherche scientifique, on conclut vite que la réflexion philosophique affamée de substrat se nourrit des données des chercheurs. Pendant longtemps et en tout cas pendant presque tout le XXe siècle, c’est la physique qui a attiré l’attention des philosophes. La biologie était négligée et l’on se limitait à quelques considérations sur la nature de la mémoire ou l’existence de l’élan vital (que Bergson me pardonne !). Les plus courageux essayaient de se demander jusqu’à quel point l’animal ou l’homme étaient assimilables à une machine. Depuis le dernier tiers du dernier siècle, les philosophes ont compris que les résultats exceptionnels obtenus par les biologistes posaient des problèmes conceptuels qu’il leur appartenait assurément de déchiffrer, voire de résoudre. Le livre édité par David Hull et Michael Ruse The philosophy of biology est bien représentatif de cette interaction. Il réunit 23 essais sur des thèmes allant des différents aspects de l’évolution au réductionnisme sans oublier les problèmes écologiques et moraux. Essentiellement écrit par des philosophes, il offre au lecteur une bonne vue de l’appropriation de la biologie moderne par des non-scientifiques. Que retenir de ces chapitres ? Le biologiste est tenté de répondre qu’il n’a guère besoin des approches philosophiques dans sa vie quotidienne. Mais on ne vit pas que de pipettes et de Northern blots. Et il est utile, parfois nécessaire, d’analyser les contours de sa recherche et pour cela, les textes d’analyse philosophiques sont un bon tremplin. Ils peuvent prendre plusieurs aspects, j’allais dire phénotypes. Le plus simple est la réponse qu’apportent Griffiths et Stotz sur la nature du gène : « What is a gene ? the only way to provide a truly philosophical answer to that question is to outline the diversity of conceptions of the gene and the reasons for this diversity ». Dans ce cas, les auteurs se contentent d’analyser finement l’évolution de la notion de gène depuis Mendel qui ne distinguait pas le caractère héréditaire de son substrat jusqu’à Morgan qui nous apprit à aligner des gènes fonctionnels le long des chromosomes et Müller qui le premier en a prédit la nature chimique. Mais le gène n’est pas qu’une unité de recombinaison ou de mutation et la génétique moderne se trouve incorporée dans une transcription génomique plus large. Dans cet exemple d’analyse, le commentateur se borne à un recensement historique. Dans un autre cas, l’analyse va plus loin. Ariew aborde le problème de la téléologie, base même du gouffre qui sépare le créationnisme, qui vise à prouver l’existence de Dieu, le dessein intelligent (ID) qui est théoriquement agnostique, et le darwinisme. Revenant sur le texte bicentenaire de William Palley (« Une montre peut-elle exister sans un horloger ? »), il montre l’actualité des critiques contre l’évolution et surtout, il établit une distinction intéressante entre la téléologie selon Platon, dépendant d’une volonté supérieure et la téléologie selon Aristote, due à une congruence interne des éléments d’un être complexe. Ces considérations sont toujours actuelles. Il existe un niveau où la recherche est en fait encadrée par un fort paradigme théorique : il s’agit de ce que l’on appelle la « psychologie évolutionnaire », qui tend à remplacer l’éthologie humaine de Konrad Lorentz et la sociobiologie humaine de Edward Osborne Wilson. mt Médecine de la Reproduction, Gynécologie Endocrinologie, vol. 10, n° 3, mai-juin 2008 8/22/2008 5:48:42 PM Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Analyse d’ouvrage La sociobiologie est l’« extension de la biologie des populations et de la théorie de l’évolution à l’organisation de la société ». Au centre est l’idée que le comportement humain a évolué, s’est adapté, en fonction des sélections naturelle et sexuelle comme n’importe quel trait du phénotype. La psychologie évolutionnaire corrige et complète le thème de Wilson en mettant l’accent non sur l’adaptation du comportement mais sur les mécanismes psychologiques qui le sous-tendent : l’adaptation doit être recherchée non au niveau du comportement mais à celui des mécanismes. Ces mécanismes ayant été sélectionnés pendant la longue période du pléistocène pendant laquelle nos ancêtres avaient essentiellement une activité de chasse et de cueillette, ils n’ont pas pu être modifiés pendant la courte période récente (moins de 10 000 ans) qui correspond à la découverte de l’agriculture et au passage à l’économie industrielle. Pour ces chercheurs, notre cerveau de l’âge de pierre hébergé dans un crâne moderne ne s’est pas adapté à la vie de nos sociétés. À l’inverse, l’école de pensée qui fonde l’écologie du comportement humain repose sur une analyse du comportement où coûts et bénéfices se compensent et conduisent à des adaptations indépendantes du fardeau génétique. Pour D. Buttler, ces deux paradigmes sont davantage compétitifs que complémentaires. Ils orientent et encadrent en tout cas tout un aspect des recherches comportementales modernes. A l’extrême, se pose le problème des relations entre religion et biologie, bien analysé par R. Pennock. Que la religion s’oppose aux découvertes scientifiques ou qu’elle s’y adapte, les exemples ne manquent pas, depuis la théorie de l’évolution jusqu’à la place de l’homme dans la nature, entièrement recadrée par les écologistes modernes. Mais inversement, le problème n’est-il pas celui d’une origine purement psychologique de l’idée de Dieu, projection pour certains des images infantiles des parents ou reflet d’une activité particulière du lobe temporal. Si Dieu n’a pas créé le cerveau, celui-ci a-t-il créé Dieu ? Le cerveau est-il biologiquement programmé pour rechercher la divinité qui, pour Newberg et D’Aguilli, « ne s’en ira pas » ? Comme on le voit, les interactions entre biologie et philosophie sont multiples, parfois triviales, parfois utiles. Mais dans le cas des recherches consacrées au comportement humain en société, le cadre théorique fourni par une réflexion philosophique est essentiel. Jacques Hanoune Référence David L. Hull, Michael Ruse. The philosophy of biology, Cambridge University Press, 2007, 516 pages. mt Médecine de la Reproduction, Gynécologie Endocrinologie, vol. 10, n° 3, mai-juin 2008 jlemte00274_cor1.indd 2 217 8/22/2008 5:48:43 PM