La biologie a-t-elle besoin de la philosophie

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Analyse d’ouvrage
mt Médecine de la Reproduction, Gynécologie Endocrinologie 2008 ; 10 (3) : 216-7
La biologie a-t-elle besoin
de la philosophie ?
doi : 10.1684/mte.2008.0159
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uand on considère le nombre
d’ouvrages qui se consacrent
à une interprétation philosophique
des résultats de la recherche scientifique, on conclut vite que la réflexion
philosophique affamée de substrat se
nourrit des données des chercheurs.
Pendant longtemps et en tout cas
pendant presque tout le XXe siècle,
c’est la physique qui a attiré l’attention des philosophes. La biologie
était négligée et l’on se limitait à quelques considérations sur la nature de
la mémoire ou l’existence de l’élan
vital (que Bergson me pardonne !).
Les plus courageux essayaient de se
demander jusqu’à quel point l’animal
ou l’homme étaient assimilables à
une machine. Depuis le dernier tiers
du dernier siècle, les philosophes
ont compris que les résultats exceptionnels obtenus par les biologistes
posaient des problèmes conceptuels
qu’il leur appartenait assurément de
déchiffrer, voire de résoudre. Le livre
édité par David Hull et Michael Ruse
The philosophy of biology est bien
représentatif de cette interaction. Il
réunit 23 essais sur des thèmes allant
des différents aspects de l’évolution
au réductionnisme sans oublier les
problèmes écologiques et moraux.
Essentiellement écrit par des philosophes, il offre au lecteur une bonne
vue de l’appropriation de la biologie
moderne par des non-scientifiques.
Que retenir de ces chapitres ? Le
biologiste est tenté de répondre
qu’il n’a guère besoin des approches philosophiques dans sa vie
quotidienne.
Mais on ne vit pas que de pipettes
et de Northern blots. Et il est utile,
parfois nécessaire, d’analyser les
contours de sa recherche et pour
cela, les textes d’analyse philosophiques sont un bon tremplin. Ils
peuvent prendre plusieurs aspects,
j’allais dire phénotypes. Le plus
simple est la réponse qu’apportent
Griffiths et Stotz sur la nature du
gène : « What is a gene ? the only way
to provide a truly philosophical answer
to that question is to outline the diversity of conceptions of the gene and the
reasons for this diversity ». Dans ce cas,
les auteurs se contentent d’analyser
finement l’évolution de la notion de
gène depuis Mendel qui ne distinguait pas le caractère héréditaire
de son substrat jusqu’à Morgan qui
nous apprit à aligner des gènes fonctionnels le long des chromosomes
et Müller qui le premier en a prédit
la nature chimique. Mais le gène
n’est pas qu’une unité de recombinaison ou de mutation et la génétique moderne se trouve incorporée
dans une transcription génomique
plus large. Dans cet exemple d’analyse, le commentateur se borne à un
recensement historique.
Dans un autre cas, l’analyse va plus
loin. Ariew aborde le problème de
la téléologie, base même du gouffre
qui sépare le créationnisme, qui
vise à prouver l’existence de Dieu,
le dessein intelligent (ID) qui est
théoriquement agnostique, et le
darwinisme. Revenant sur le texte
bicentenaire de William Palley
(« Une montre peut-elle exister sans
un horloger ? »), il montre l’actualité des critiques contre l’évolution
et surtout, il établit une distinction
intéressante entre la téléologie selon
Platon, dépendant d’une volonté
supérieure et la téléologie selon
Aristote, due à une congruence
interne des éléments d’un être
complexe. Ces considérations sont
toujours actuelles.
Il existe un niveau où la recherche
est en fait encadrée par un fort paradigme théorique : il s’agit de ce que
l’on appelle la « psychologie évolutionnaire », qui tend à remplacer
l’éthologie humaine de Konrad
Lorentz et la sociobiologie humaine
de Edward Osborne Wilson.
mt Médecine de la Reproduction, Gynécologie Endocrinologie, vol. 10, n° 3, mai-juin 2008
8/22/2008 5:48:42 PM
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Analyse d’ouvrage
La sociobiologie est l’« extension de
la biologie des populations et de la
théorie de l’évolution à l’organisation
de la société ». Au centre est l’idée que
le comportement humain a évolué,
s’est adapté, en fonction des sélections naturelle et sexuelle comme
n’importe quel trait du phénotype.
La
psychologie
évolutionnaire
corrige et complète le thème de
Wilson en mettant l’accent non sur
l’adaptation du comportement mais
sur les mécanismes psychologiques
qui le sous-tendent : l’adaptation
doit être recherchée non au niveau
du comportement mais à celui des
mécanismes. Ces mécanismes ayant
été sélectionnés pendant la longue
période du pléistocène pendant
laquelle nos ancêtres avaient essentiellement une activité de chasse et
de cueillette, ils n’ont pas pu être
modifiés pendant la courte période
récente (moins de 10 000 ans) qui
correspond à la découverte de
l’agriculture et au passage à l’économie industrielle. Pour ces chercheurs, notre cerveau de l’âge
de pierre hébergé dans un crâne
moderne ne s’est pas adapté à la vie
de nos sociétés. À l’inverse, l’école
de pensée qui fonde l’écologie du
comportement humain repose sur
une analyse du comportement où
coûts et bénéfices se compensent
et conduisent à des adaptations
indépendantes du fardeau génétique. Pour D. Buttler, ces deux paradigmes sont davantage compétitifs
que complémentaires. Ils orientent
et encadrent en tout cas tout un
aspect des recherches comportementales modernes.
A l’extrême, se pose le problème des
relations entre religion et biologie,
bien analysé par R. Pennock. Que
la religion s’oppose aux découvertes scientifiques ou qu’elle s’y
adapte, les exemples ne manquent
pas, depuis la théorie de l’évolution
jusqu’à la place de l’homme dans la
nature, entièrement recadrée par les
écologistes modernes. Mais inversement, le problème n’est-il pas celui
d’une origine purement psychologique de l’idée de Dieu, projection
pour certains des images infantiles
des parents ou reflet d’une activité particulière du lobe temporal.
Si Dieu n’a pas créé le cerveau,
celui-ci a-t-il créé Dieu ? Le cerveau
est-il biologiquement programmé
pour rechercher la divinité qui,
pour Newberg et D’Aguilli, « ne s’en
ira pas » ?
Comme on le voit, les interactions
entre biologie et philosophie sont
multiples, parfois triviales, parfois
utiles. Mais dans le cas des recherches consacrées au comportement
humain en société, le cadre théorique fourni par une réflexion philosophique est essentiel.
Jacques Hanoune
Référence
David L. Hull, Michael Ruse. The philosophy of biology, Cambridge University
Press, 2007, 516 pages.
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