Analyse d’ouvrage
mt Médecine de la Reproduction, Gynécologie Endocrinologie, vol. 10, n° 3, mai-juin 2008
La biologie a-t-elle besoin
de la philosophie ?
doi : 10.1684/mte.2008.0159
Quand on considère le nombre
d’ouvrages qui se consacrent
à une interprétation philosophique
des résultats de la recherche scienti-
fi que, on conclut vite que la réfl exion
philosophique affamée de substrat se
nourrit des données des chercheurs.
Pendant longtemps et en tout cas
pendant presque tout le XX
e
siècle,
c’est la physique qui a attiré l’atten-
tion des philosophes. La biologie
était négligée et l’on se limitait à quel-
ques considérations sur la nature de
la mémoire ou l’existence de l’élan
vital (que Bergson me pardonne !).
Les plus courageux essayaient de se
demander jusqu’à quel point l’animal
ou l’homme étaient assimilables à
une machine. Depuis le dernier tiers
du dernier siècle, les philosophes
ont compris que les résultats excep-
tionnels obtenus par les biologistes
posaient des problèmes conceptuels
qu’il leur appartenait assurément de
déchiffrer, voire de résoudre. Le livre
édité par David Hull et Michael Ruse
The philosophy of biology est bien
représentatif de cette interaction. Il
réunit 23 essais sur des thèmes allant
des différents aspects de l’évolution
au réductionnisme sans oublier les
problèmes écologiques et moraux.
Essentiellement écrit par des philo-
sophes, il offre au lecteur une bonne
vue de l’appropriation de la biologie
moderne par des non-scientifi ques.
Que retenir de ces chapitres ? Le
biologiste est tenté de répondre
qu’il n’a guère besoin des appro-
ches philosophiques dans sa vie
quotidienne.
Mais on ne vit pas que de pipettes
et de Northern blots. Et il est utile,
parfois nécessaire, d’analyser les
contours de sa recherche et pour
cela, les textes d’analyse philoso-
phiques sont un bon tremplin. Ils
peuvent prendre plusieurs aspects,
j’allais dire phénotypes. Le plus
simple est la réponse qu’apportent
Griffi ths et Stotz sur la nature du
gène : « What is a gene ? the only way
to provide a truly philosophical answer
to that question is to outline the diver-
sity of conceptions of the gene and the
reasons for this diversity ». Dans ce cas,
les auteurs se contentent d’analyser
fi nement l’évolution de la notion de
gène depuis Mendel qui ne distin-
guait pas le caractère héréditaire
de son substrat jusqu’à Morgan qui
nous apprit à aligner des gènes fonc-
tionnels le long des chromosomes
et Müller qui le premier en a prédit
la nature chimique. Mais le gène
n’est pas qu’une unité de recombi-
naison ou de mutation et la géné-
tique moderne se trouve incorporée
dans une transcription génomique
plus large. Dans cet exemple d’ana-
lyse, le commentateur se borne à un
recensement historique.
Dans un autre cas, l’analyse va plus
loin. Ariew aborde le problème de
la téléologie, base même du gouffre
qui sépare le créationnisme, qui
vise à prouver l’existence de Dieu,
le dessein intelligent (ID) qui est
théoriquement agnostique, et le
darwinisme. Revenant sur le texte
bicentenaire de William Palley
(« Une montre peut-elle exister sans
un horloger ? »), il montre l’actua-
lité des critiques contre l’évolution
et surtout, il établit une distinction
intéressante entre la téléologie selon
Platon, dépendant d’une volonté
supérieure et la téléologie selon
Aristote, due à une congruence
interne des éléments d’un être
complexe. Ces considérations sont
toujours actuelles.
Il existe un niveau où la recherche
est en fait encadrée par un fort para-
digme théorique : il s’agit de ce que
l’on appelle la « psychologie évolu-
tionnaire », qui tend à remplacer
l’éthologie humaine de Konrad
Lorentz et la sociobiologie humaine
de Edward Osborne Wilson.
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mt Médecine de la Reproduction, Gynécologie Endocrinologie 2008 ; 10 (3) : 216-7
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