Les nombres négatifs :
une longue aventure
Harry White
UQTR Queiclues faits histori<\ues rattachée à la mathémat\<\ue et
sa vision.
Une lacune inhérente à l'enseignement de la mathématique consiste à
présenter aux élèves des connaissances ou des résultats formalisés sans
référence au contexte dans lequel ces notions ont évolué. De, la perception
parfois «surréaliste» de la mathématique qu'ont les élèves en croyant que dans
ce domaine l'erreur n'existe pas. La mathématique est souvent perçue comme
une science achevée, dotée d'une exactitude absolue et d'une infaillibilité qui fait
peur, n serait important et fortement souhaitable de changer cette vision de la
mathématique en rappelant les faits historiques rattachés aux notions étudiées.
À titre d'exemple, l'évolution du concept de nombre (oiégatifi) est intéressante à
plus d'im point de vue.
À l'école, l'enseignement des nombres commence habituellement par les
nombres naturels suivi des nombres rationnels positifs. L'étude des nombres
entiers (2) représente une
difficulté
majeure lorsqu'il s'agit de trouver un repère
concret pour expliciter le produit d'un négatif par im négatif. Le problème est
souvent évité en ayant recours à la «règle des signes» qui joue un rôle de dogme
mathématique.
Le cheminement historique du concept de nombre négatif et des règles s'y
rapportant n'a pas été de tout repos. À l'école, les
difficultés
rencontrées lors de
l'apprentissage des nombres négatifs sont en quelque sorte le reflet des diffi-
cultés vécues par des mathématiciens et des mathématiciennes célèbres pour
qui l'existence même de ces nombres faisait problème. Rappelons quelques
faits.
Chez les Grecs, le nombre négatif n'existait pas même s'ils connaissaient
certains résultats obtenus à l'aide de représentations géométriques comme
(a
-
b)(a
+
b)
=
a^
- b^.
On a retrouvé chez les Chinois des indications relatives aux
nombres négatifs. Ils utilisaient des bâtonnets de couleur rouge pour les nom-
bres positifs et de couleur noire pour les nombres négatifs. Chez les Hindous,
Brahmagupta
(=
628) connaissait la ((règle des signes». Tout comme les Chinois,
les Hindous refusaient les nombres négatifs comme solutions d'une équation.
Durant plusieurs siècles, les nombres négatifs restèrent une énigme. Même
les spécialistes de la mathématique craignaient la présence des nombres néga-
tifs. Ainsi, Chuquet (1445-1500) et Stiffel (1487-1557) les appelaient des ((nom-
bres absurdes». Cardan (1501-1576) appelait les racines négatives des équations
des ((racines
fictives».
Descartes (1696-1650) parlait de ((faux nombres». Pour sa
part, Pascal (1623-1662) indic^uait que la soustraction (0 - 4) n'avait aucun sens.
Euler (1707-1783) croyait que les nombres négatifs étaient plus grands <ïue l'in-
fini. De Morgan (1806-1871) affirmait qu'il était absurde de considérer des nom-
bres plus petits que zéro. Ce n'est
(jue
deins la seconde partie du
XIX®
siècle que
les nombres négatifs sont vraiment intégrés aux autres ensembles de nombres
connus. Ce rapide survol histori(îue est assez révélateur des difficultés reliées
aux nombres négatifs et nous permet de mieux comprendre les complications
inhérentes à l'apprentissage de ces nombres.
ENVOL - AVRIL 96 51
Quand tout est négatif
Vous enseignez au secondaire (ou enseignez à de futurs maîtres au secon-
daire...) et vous abordez ou révisez les nombres entiers (Z) avec vos élèves. Tout
va bien sauf que vous appréhendez le moment où vous aurez à parler du produit
de deux négatifs. Vous vous interrogez sur un moyen de leur faire comprendre
le résviltat particulier que l'on obtient. Évidemment, vous connaissez l'expres-
sion (des ennemis de mes ennemis sont mes
aniisy>
(Pallasdo et Morin, 1993),
mais en même temps, vous pensez aux Serbes, aux Croates,... et vous en con-
cluez qu'il est peut-être risqué de s'aventurer de ce côté-là. Vous tenez à donner
ime explication mathématique (Balacheff, 1982, p. 263) au lieu de leiu- imposer
le dogme qui vous a toujours hanté depuis que vous étiez vous-même au secon-
daire.
Sachant que vos élèves ne sont peut-être pas en mesure de comprendre une
démonstration des plus formalisées, vous choisissez une approche très élémen-
taire, mais qui peut être à leur portée. Étant im adepte du constructivisme, vous
misez sur un principe demandant de partir du connu pour aller vers de l'incon-
nu. La situation se présente ainsi...
Problème
Montrer que le produit de deux nombres négatifs donne un résultat positif.
PRÉALABLES
1. Inverse additif"'
2. Un nombre + son inverse additif
=
0
3. Un nombre x 0 = 0 (élément absorbant)
4. Distributivité de la x sur + dans Z
5. Positif
X
positif
=
positif
6. Positif
X
négatif
=
négatif
7. Négatif
X
positif
=
négatif
8. Principes d'éqviivalence (équations)
1- On ne démontre pas ici
l'unicité, elle est eous-
entendue dans les
preuves.
Considérons un cas particulier...
Hyp. : soit les nombres -2 et -5
Con. : -2
X
-5 = +10
Explication
2 + (-2) = 0
[2 + (-2)](-5) = 0(-5) =
0
Nombre
+
inverse additif
=
0
Multiplication des deux membres
de
l'égalité par
(-5)
Élément absorbant
Distributivité à droite
de la x
sur
+
Car
2(-5)
=-10 [préalable
6]
(-2)(-5)
doit
être l'inverse
additif
de -10
car
la
somme
= 0
Nombre
+
inverse additif=0
D'où(-2)(-5)
= +10
Car+10 est l'inverse additif de-10
2(-5) + (-2)(-5) = 0
-10
+ (-2)(-5) =
0
52 ENVOL - AVRIL 96 52
Et si l'on formalisait un peu...
Lenune 1. Va, b
Z, on a : (-a)b = -(ab)
Preuve
a
+ (-a) = 0 Nombre +
son inverse additifs 0
[a +(-a)]b = 0
b
= 0
Multiplication des deux membres de l'équation par b
Élément absorbant
ab
+ (-a)b = 0
Distributivité à droite
de
la
x
sur
+
ab
+ (-a)b + [-(ab)] = 0 + Hab)]
Addition de l'inverse additif
de
ab
ab
+ Hab)] + (-a)b = [-(ab)]
Commutativité
de +
Élément neutre
de +
(-a)b
= -(ab)
Car
ab + [-(ab)] =
0
Théorème 1. Va, b
Z, si a < 0 et b > 0 ab < 0.
Preuve
a<0 Hypothèse
b>0 Hypothèse
^
-
a>0 Car a<0 (inverse
additif)
(-a)b>0 Produit
de
deux nombres positifs
(-a)b= -(ab) Lemmel
d'où
-
(ab)>0
Donc ab<0 Car -(ab) >0 (inverse
additif)
Vous vous approchez lentement de votre objectif concernant le produit d'un
négatif par un négatif, mais voilà que vous êtes confrontés à un texte de Courant
& Robbins (1978, p. 55) oij il est dit dans la langue de Shakespeare :
It took
a
long time for mathematicians to
realize
that the "rule
of signs", together with all the other definitions governing nega-
tive integers and fractions cannot be "proved". They are created
by us to
attain
freedom of operation while preserving the funda-
mental laws of arithmetic.
Mais vous tenez bon, et vous vous dites qu'il vaut mieux avoir une explica-
tion (un discours visant à rendre
intelligible
le caractère de vérité, acquis par le
locuteur, d'une proposition ou d'un
résultat)
selon le langage de Balacheff
(1982)
que rien du tout.
ENVOL - AVRIL 96 53
Théorème 2
Le produit de deux nombres négatifs est égal à un nombre positif.
Hyp. : soit a, b
Z et a < 0, b
<
0
Con. : ab > 0.
Explication
a
+ -a = 0
Nombre
+
inverse additif=0
(a + -a)(-b) = 0(-b) = 0
Multiplication des
deux membres de
l'équation par
(-b)
Élément absorbant
a(-b) + (-a)(-b) = 0
Distributivité à
droite
de
la x
sur
+
-ab
+ (-a)(-b) = 0 Lemme 1 : a(-b) =
-ab
^
(-a)(-b)
doit
être
l'inverse additif de-ab car
la somme = 0
Nombre
+
inverse additif
=
0
Puisque l'inverse additif de
-ab
est
+ab (-a)(-b) =
+ab
Sachant que a<0 (hypothèse) -i -a>0
(inv.
add.)
De même,
b<0 (hypothèse) ^ -b>0
(inv.
add.)
(-a)(-b)>0 Produit
de
deux nombres
positifs
Donc
(-a)(-b) = +ab >
0
N.D.LR. : Les références qui suivent concernent également l'article «Propos sur l'enseignement.» du numéro
précédent Ces 2 articles ne formaient qu'un seul texte à l'origine.
Références
Balacheff, N. (1982).
Preuves
et
démonstrations
en
mathématiques
au
collège.
Recherche en didac-
tique des mathématiques, 3. 261-304.
Comte, A. (1835). Cours de philosophie positive (troisième leçon). Présentation et notes par Michel
Serres, François Dagognet, Allai Sinaceur. Paris: Herman (1975).
Courant, R. & Robbins, H. (1978). What is mathematics? An elementary approach to ideas and
methods. New York: Oxford University Press.
D'Alembert, J. le Rond (1754). Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des Sciences, des Arts et
des Métiers (Diderot). Volume 10.
Davis, P. J. & Hersh, R. (1985). L'univers mathématique (traduit et adapté par L Chambadal), Paris,
France: Gauthier-Villars.
Descartes, R. (1628). Règles utiles et claires pour la direction de l'esprit en la recherche de la
vérité (règle IV). TVaduction selon le lexique cartésien et annotation conceptuelle par Jean-
Luc Marion avec des notes mathématiques de Pierre Castabel. Lattaye: Martinus Nijhoff
(1977).
Kine, M. (1972). Mathematical thought from ancient to modern times (vol. 1-2). New York:
Oxford.
Pallascio, R. & Morin-Chassagne, T. (1993). Les ennemis de mes ennemis sont mes amis (vidéo-
gramme). Le développement de la pensée mathématique et scientifique. Montréal:
CIRADE/Service audio-visuel de mQAM.
Sawyer, W.W. (1966). Introduction aux mathématiques. Paris, France: Petite bibliothèque Payot.
54 ENVOL - AVRIL 96 54
1 / 4 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !