RONFLEMENT ET SYNDROME D’APNEES OBSTRUCTIVES DU SOMMEIL SYNDROME D’APNEES OBSTRUCTIVES DU SOMMEIL: DEPISTAGEENCONSULTATION PRE-ANESTHESIQUE B. Gentil, Département d’Anesthésie-Réanimation, Hôpital Saint-Antoine, 184 rue du Faubourg Saint-Antoine, 75012 Paris. INTRODUCTION Le syndrome d’apnées obstructives du sommeil (SAOS), est défini par un nombre d’apnées [5] ou d’apnées + hypopnées [10] enregistré lors du sommeil. La consultation ne peut donc pas affirmer le diagnostic, mais permet d’estimer sa plus ou moins grande probabilité. 1. INTERROGATOIRE 1.1. SYMPTOMES NOCTURNES 1.1.1. ENTOURAGE Ils peuvent être détaillés par le sujet SAOS dans la mesure où un témoin lui en a fait part. Cette évidence implique que l’interrogatoire est peu rentable chez le célibataire ou le veuf et qu’il est riche d’enseignement lorsqu’il est mené en présence du conjoint. 1.1.2. RONFLEMENT Le ronflement est quasi constant. Il est ancien, sonore et gênant : le couple peut être contraint à faire chambre séparée du fait de l’intensité du bruit. Il est expliqué par une turbulence lors du passage de l’air et traduit une diminution du calibre des voies aériennes. Le bruit peut aller croissant au cours des cycles respiratoires successifs pour culminer, et être ensuite suivi d’un silence total, qui correspond à une apnée obstructive. Cet événement est suffisamment inquiétant pour marquer l’entourage et sera souvent mentionné à l’interrogatoire. 1.1.3. AGITATION MOTRICE L’agitation motrice peut représenter des tentatives pour trouver une position minorant l’obstruction des voies aériennes (position demi-assise), ou bien être réduite à des mouvements brusques des membres. Le somnambulisme est plus rare. 1.1.4. MORCELLEMENT DU SOMMEIL Le sommeil est morcelé par des éveils fréquents, parfois avec la sensation d’étouffement. Le lendemain, le patient peut ne pas se souvenir de ces événements. 279 280 MAPAR 1999 1.2. SYMPTOMES DIURNES 1.2.1. SOMNOLENCE La somnolence diurne est une envie irrépressible de dormir, apparaissant de façon incongrue et pouvant avoir des répercussions graves : le risque d’accident automobile est significativement plus important chez les sujets SAOS. 1.2.1.1. Facteurs favorisants La somnolence est favorisée par les moments de relaxation en atmosphère calme : lecture, spectacle, TV, conduite auto, réunions. C’est un motif fréquent de consultation pour les sujets actifs qui sont gênés dans leurs loisirs ou dans leur vie professionnelle. A l’inverse, les sujets inactifs pourront adapter leur vie quotidienne plus facilement, sans que la somnolence paraisse anormale (somnoler le jour quand on dort mal la nuit, quoi de plus naturel ?). 1.2.1.2. Echelle d’Epworth L’échelle d’Epworth est une mesure semi-quantitative de somnolence [2]. La probabilité de somnoler est évaluée comme nulle, faible, modérée ou élevée dans chacune des situations suivantes : • lecture, • télévision, • assis au spectacle, • assis en voiture pendant une heure, comme passager, • allongé pour une sieste, • assis et parlant à quelqu’un, • assis au calme après un repas (sans alcool), • assis dans une voiture, arrêtée quelques minutes du fait du trafic. Dans l’étude princeps, les sujets SAOS avaient un score de près de dix et les témoins de cinq. 1.2.2. REVEIL MATINAL DIFFICILE Le patient a la sensation d’avoir mal dormi, en quantité et en qualité. Il est fréquent que ces patients soit sous hypnotiques depuis de longues années pour insomnie. Le rôle délétère des benzodiazépines sur les obstructions respiratoires du sujet SAOS est connu [3]. La sensation de bouche sèche et la céphalée sont caractéristiques au réveil. 1.2.3. TROUBLES DIVERS Des troubles divers peuvent encore être notés : impuissance, irritabilité, dépression. 2. SIGNES PHYSIQUES 2.1. DONNEES ANTHROPOMETRIQUES Le SAOS concerne typiquement le sujet de sexe masculin, à partir de la quarantaine. Il peut cependant être retrouvé chez le sujet plus jeune dans certaines conditions particulières : dysmorphies congénitales, hypertrophie amygdalienne, pathologies endocriniennes. Le grand âge augmente les risques d’obstruction respiratoire lors du sommeil, du fait de l’augmentation de la compliance des tissus. Dans cette tranche d’âge, le sex-ratio tend à s’égaliser. 2.2. OBESITE L’obésité peut être évaluée de façon globale par le calcul du Body Mass Index : poids (kg) 2 carré de la taille (m ) RONFLEMENT ET SYNDROME D’APNEES OBSTRUCTIVES DU SOMMEIL On parle d’obésité lorsque le BMI dépasse 28 kg.m-2 chez l’homme et 27 kg.m-2 chez la femme. L’obésité est dite morbide lordque le BMI dépasse 30 kg.m-2. La mesure de la circonférence du cou au niveau de l’os hyoïde serait un marqueur d’obstruction respiratoire plus précis que le BMI, car spécifique de l’infiltration des tissus de la région cervicale. 2.3. ANOMALIES MORPHOLOGIQUES 2.3.1. MORPHOLOGIE DES VAS Les études de la morphologie des voies aériennes dans le SAOS sont essentiellement fondées sur des explorations paracliniques. Les différentes études n’ont pas permis d’identifier une mesure pertinente ou d’incriminer une région anatomique précise. Les résultats sont disparates pour les raisons suivantes : 1-l’obstacle respiratoire peut siéger à différents niveaux du pharynx [4] ou peut être plutôt fonctionnel et ne pas s’accompagner d’anomalie morphologique nette à l’état de veille [5] ; 2-la position du patient varie selon les techniques utilisées : position assise (céphalométrie, réflection acoustique) ou décubitus dorsal (scanner et IRM) ; 3-les sujets SAOS sont comparés à des sujets non appariés pour le BMI ou l’âge, facteurs pourtant responsables de modifications morphologiques en l’absence de toute pathologie [6]. 2.3.2 EXAMEN CLINIQUE Il est nécessaire d’examiner le patient pour rechercher une diminution de l’espace pharyngé (grosse langue, hypertrophie des amygdales et de la luette, rétrognathie), et une atteinte des muqueuses, témoignant des microtraumatismes répétés dus au ronflement (œdème, hyperhémie, pétéchies). L’évaluation morphologique est peu rentable pour le dépistage par rapport aux données obtenues à l’interrogatoire [7]. 2.4. PATHOLOGIE CARDIOVASCULAIRE Une hypertension artérielle chez les patients ayant un SAOS est fréquente. La relation SAOS - hypertension artérielle est significative, même après élimination des facteurs confondants que sont l’obésité, l’âge et le sexe ratio [8]. 3. SYNTHESE 3.1. CRITERES DIAGNOSTIQUES Les différentes données de l’interrogatoire et de l’examen clinique ont été combinées dans des analyses multivariées pour affiner le diagnostic clinique de SAOS. Les critères utiles sont le ronflement habituel, les troubles de la vigilance et l’obésité sévère. Certaines études y adjoignent l’âge [9], l’hypertension artérielle [10], les apnées observées par le conjoint [11]. Pour l’«American sleep disorders association and sleep research society», un patient est suspect d’avoir un SAOS (et donc devrait subir une polysomnographie) si [7] : • il ronfle habituellement, • il se plaint de troubles de la vigilance, • il est affligé d’une obésité sévère (BMI > 35), • et si des apnées lors du sommeil ont été observées par le conjoint. 3.2. SUJETS NON OBESES Une obésité sévère n’est cependant pas observée chez tous les sujets. Chez les sujets SAOS modérément obèses (ou de poids normal), des anomalies cranio-faciales prédisposent à l’obstruction [6, 12]. 281 282 MAPAR 1999 Un travail récent utilise les facteurs obésité et anomalies morphologiques pour mieux prévoir le risque de SAOS dans une population de patients adressés en consultation spécialisée pour troubles du sommeil [13]. Cette étude a le mérite de proposer des critères cliniques de dysmorphie faciale. La formule mathématique vaut d’être détaillée : [P + (Mx - Mm) + 3 x OJ] + [3 x (BMI - 25) x (NC / BMI)] Le premier membre de l’équation [P + (Mx - Mm) + 3 x OJ] concerne les anomalies morphologiques. La mesure de la hauteur du palais (P), de l’écartement intermolaire au niveau maxillaire (Mx) et mandibulaire (Mm) et de la protrusion dentaire (OJ) permet de quantifier la rétromandibulie et le palais ogival. Le second membre de l’équation [3 x (BMI - 25,0) x (NC / BMI)] concerne l’obésité. Si le Body Mass Index est inférieur à 25, la valeur considérée doit être la valeur et l’ensemble du second membre de l’équation devient nul. Pour les valeurs supérieure à 25, le BMI intervient en tant que tel et par le biais de la circonférence du cou (NC). La population des sujets SAOS est hétérogène : à côté des sujets très obèses à la présentation caricaturale, il y a les sujets maigres avec des anomalies de la morphologie crânio-faciale. 4. CONDUITE A TENIR FACE A UN SAOS 4.1. CONCERNANT L’ANESTHESIE 4.1.1. INTUBATION L’intubation devra être systématiquement considérée comme difficile [14]. Les caractéristiques morphologiques décrites chez les sujets SAOS sont identiques aux critères d’intubation difficile de nombreuses études : Cass [15] (cou court, retromandibulie, palais ogival, protrusion des dents), Mallampati [16] (hypertrophie relative de la base de langue) Wilson [17] (obésité, retromandibulie, protrusion des dents) et Rocke [18] (cou court, obésité, protrusion des dents, retromandibulie). 4.1.2. TYPE D’ANESTHESIE Les précautions pour prévenir les obstructions des voies aériennes supérieures : installation du patient demi-assis, titration des diazépines et des morphiniques si ces agents sont nécessaires, choix d’une analgésie locorégionale [19]. Eventuellement, le passage en unité de soins intensifs pour la période postopératoire sera prévu. 4.2. CONCERNANT LA POLYSOMNOGRAPHIE Pour les patients opérés d’un SAOS ou d’une ronchopathie chronique, une polysomnographie est recommandée de principe en préopératoire. Dans le cas plus général d’une chirurgie autre, il faudra discuter au cas par cas. CONCLUSION Lors de la consultation pré-anesthésique, le dépistage du SAOS est : • possible, à partir de quelques réponses à des questions simples et de quelques signes physiques ; • rentable, permettant de poser d’emblée les problèmes principaux de la prise en charge péri-opératoire. RONFLEMENT ET SYNDROME D’APNEES OBSTRUCTIVES DU SOMMEIL REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES [1] Guilleminault C. Clinical features and evaluation of obstructive sleep apnea. In: Kryger MH, Roth T, Dement WC, eds. Principles and practice of sleep medecine. Philadelphia: W B Sounders, 1994: 667-677 [2] Murray MW. A new method for measuring daytime sleepiness: the Epworth sleepiness scale. Sleep 1991;14:540-545 [3] Strollo PJ, Rogers RM. Obstructive sleep apnes. 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