Les enjeux d'une sémiotique de la publicité
prédiction : alors que la visée première de la sémiologie était d'être fondamentalement « mytho-
claste », c'est-à-dire, de démanteler l'idéologie véhiculée par les mythes culturels, la sémiologie
est devenue un outil pour la création publicitaire, servant à accroître l'efficacité de ces même
mythes à des fins commerciales. Telle que Barthes la décrit, la critique sémiologique ne peut rien
faire pour endiguer ce processus d'appropriation et n'a d'autre choix que d'abandonner certains
terrains d'analyse traditionnels telles les études sur les phénomènes de connotation, pour les
laisser «à ceux qui baignent dans la vulgate sémiologique» (Barthes, 1971, p. 615).
Certains sémioticiens ont alors proposé une révision des concepts barthésiens. Trevor
Pateman prétend ainsi qu'en dépit de la définition « culturelle » de la connotation que donne
Barthes (opposée par exemple à une définition «textuelle»), ce dernier traite la publicité
comme un texte visuel et verbal dont le sens est immédiatement accessible. Ce sens est
immédiatement accessible dans le texte parce que Barthes ignore le contexte social dans lequel
s'insère l'usage fait du message publicitaire. Pateman voit ainsi dans le travail de Barthes « une
illusion sémantique qui veut que le
sens
soit présent dans le texte ou l'image » et prétend que cette
illusion a «dévoyé la sémiologie» (Pateman, 1983,
p.
198).
Pateman suggère en effet, que si l'analyste omet de tenir compte des contraintes situa-
tionnelles qui pèsent sur la compréhension du texte publicitaire, l'interprétation critique se
teinte d'un « caractère inutilement hasardeux », provoquant du même coup la question : « Qu'en
savez-vous
? » (ibid.,
p.
187).
Quiconque a déjà lu une étude sémiotique sur un texte publicitaire
reconnaîtra cette situation : une analyse indubitablement érudite laisse néanmoins songeur quant
à sa validité au regard des milliers de consommateurs qui rencontreront le texte analysé.
L'interprétation éventuelle du récepteur empirique pèse comme une épée de Damoclès sur
l'approche subjective et introspective qui caractérise l'analyse textuelle. Elle en ruine l'hypothèse
majeure
:
les significations idéologiques révélées par le travail de l'analyste seraient partagées par
l'ensemble des lecteurs et se retrouveraient donc, de façon quasi automatique, dans l'esprit du
consommateur où elles s'imprimeraient subtilement. On peut illustrer ce type d'analyse à l'aide
d'un travail de Larsen (1988) sur la publicité d'un parfum pour homme : Obsession. La
photographie utilisée représente une demi-douzaine de silhouettes humaines déshabillées et
placées dans des poses stylisées sur d'énormes socles blancs. L'interprétation de Larsen évoque
« une pyramide humaine montée sur un édifice dont les lignes brutales
rappellent
l'architecture
de
l'époque de Mussolini et les installations sportives nazies». Suivant Larsen, cette image est
l'expression du « culte du
Kraft-und-Schönheit
»
(la
force et la beauté), «
déclenchant
instantané-
ment toute une séné d'images historiques dans l'esprit du lecteur» (ibid.).
La première objection que l'on peut opposer à cette interprétation serait que la capacité
d'évoquer au nom de pareilles images, dépend fondamentalement de qui est ce lecteur. Même
sur le plan de la dénotation, ces blocs de marbre blanc peuvent représenter bien des choses : un
musée d'art moderne, une sculpture d'avant-garde, un praticable de théâtre. Et il en est
probablement plus d'un pour qui l'esthétique de la force et de la beauté ne renvoie pas
forcément au culte teutonique et semi-fasciste du Kraft-und-Schönheit.
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