appris sur les bancs de la faculté. Mais le médecin n’est pas seulement médecin, il est aussi
un individu qui a ses propres expériences de maladies, sa sensibilité, son histoire, ses valeurs
et ses croyances.
On sait qu’il existe un modelage culturel de la maladie, et qu’il y a donc une différence dans la
discrimination des symptômes et l’expression de la plainte, marquées par la culture de
l’individu. Le regard anthropologique est en cela intéressant car il permet au médecin de
?décrypter les mots qui désignent les maux de notre société, ainsi que les représentations qui
les sous-tendent? [28]. Ainsi un irlandais et un italien n’exprimeront pas de la même façon une
baisse de l’acuité visuelle. L’irlandais dira : "je ne peux y voir pour enfiler une aiguille ou lire le
journal" quand un italien se plaindra d’un mal de tête perpétuel et de ses yeux rouges qui
pleurent sans cesse. Il existe même des maladies propres à des sociétés données, tel le susto
en Amérique latine, qui n’a aucun équivalent en Europe, ou la spasmophilie en France, qui est
angoisse ailleurs. La maladie est donc aussi à entendre comme un langage du rapport de
l’individu à la société [26].
Il est impossible au médecin de connaître les codes de chaque société, et d’avoir une
connaissance approfondie de la culture de chacun de ses patients. Il est cependant important
d’éviter d’avoir une vision trop "ethnocentrée". Il convient également de ne pas oublier qu’il
existe d’autres déterminants que les déterminants culturels : déterminants socioéconomiques,
familiaux… qui jouent parfois un rôle plus important dans le comportement du patient face à
sa maladie. L’importance d’avoir une approche globale du patient, de comprendre quel sens
et quelle interprétation il donne à ses symptômes ou sa maladie, va permettre de trouver une
base commune au médecin et au patient pour l’analyse des problèmes, la définition des buts
et des rôles de chacun afin d’arriver à une décision partagée (voir fiche n°34 : Décision
médicale partagée).
Illustration
Une jeune femme de 24 ans consulte pour des migraines violentes. Le médecin la voit pour la
première fois, entre deux rendez-vous, car elle insiste auprès du secrétariat. Elle est étudiante
et rentre chez elle le week-end. Elle s’excuse, veut juste des médicaments pour la soulager.
Le médecin la reçoit et l’interroge sur sa vie. Il apparaît que son père est mort d’une hémorragie
méningée quand elle avait 12 ans. Il apprendra un peu plus tard que les maux de tête ont
commencé à l'âge de… 12 ans. Sa mère, très affectée, n’a jamais voulu reparler de ce père,
ses deux sœurs non plus. En parlant, la jeune femme fait le lien pour la première fois entre
ses maux de tête, le décès de son père et le silence familial. Ses céphalées apparaissent alors
comme message, comme signifiant, que la médecine tente depuis des années de soulager
sans succès.