Repères économiques JUIN 2013 QU’ARRIVERA-T-IL APRÈS L’ESSOR DU CRÉDIT EN CHINE? L’économie de la Chine a fait preuve d’une résistance enviable tout au long de la crise financière mondiale, surpassant le reste du monde. Ce résultat a donné du poids à l’opinion selon laquelle le capitalisme d’État unique de la Chine est d’une certaine façon plus robuste que le capitalisme de libre marché qui a cours en Occident. Nous sommes d’avis que cette explication est beaucoup trop simpliste. Nous croyons que deux autres facteurs contribuent bien davantage au succès relatif de la Chine. Premièrement, le fait que le système financier de la Chine soit encore à l’étape de l’adolescence lui a été profitable. Quand le système financier mondial s’est enrayé à la fin de 2008, la Chine a été moins touchée que d’autres pays parce que son système financier est relativement plus petit, moins élaboré et moins mondialisé. Deuxièmement, la Chine a lutté contre la crise mondiale en déclenchant un véritable tsunami de crédit. Il est très difficile d’évaluer l’effet de ces mesures, mais nous estimons que sans elles, la progression de l’économie chinoise aurait pu se limiter à 2 % en 2009, comparativement au taux de 7 % réellement atteint. Dans ce rapport, nous examinons les répercussions éventuelles de l’essor du crédit en Chine. Nous ferons une première évaluation du poids global du crédit là-bas, puis un examen du marché du logement de la Chine, de son financement parallèle, et de l’endettement des collectivités locales et du gouvernement central. Crédit privé en Chine Nous commençons cette analyse par un aperçu de la situation globale du crédit dans le secteur privé chinois. La tâche n’est pas aisée : les données sont difficiles à obtenir, car elles sont scindées de façon peu pratique et correspondent peu à celles des autres pays. Selon les données de la Banque des règlements internationaux (BRI), le niveau du crédit privé en Chine a maintenant atteint celui du monde développé – ce qui est un signe inquiétant puisque les pays pauvres sont généralement beaucoup moins endettés. À 161 % du PIB, ce degré d’endettement de la Chine dépasse désormais celui des autres pays d’Asie et présente une ressemblance inquiétante avec les excès de 1997, qui ont contribué à déclencher la crise financière asiatique. Une définition plus large du crédit privé est ce que la Chine appelle le « financement social total ». Plus librement, cette mesure ajoute le financement parallèle (y compris les actions) à la définition précédente du crédit privé. D’après cette mesure, le financement social total de la Chine est de 183 % du PIB. Bien que supérieur à celui de la première définition, ce résultat semble en fait assez faible par rapport à celui d’autres pays comme les États-Unis et le Royaume-Uni, dont les chiffres sont deux fois plus élevés. Une question de croissance, et non de nombre Malgré leur contradiction, les deux mesures du crédit convergent vers un même point essentiel : la Chine a connu une croissance du crédit considérable depuis la crise financière. Le crédit est monté en flèche, passant de 47 à 70 % du PIB au cours des cinq dernières années. Ce rythme effréné est supérieur à celui de tout autre pays que nous avons étudié. Le crédit a mauvaise presse Précisons qu’un levier modeste – quand la croissance du crédit est à peine supérieure à la croissance économique – est normal. Lorsque les pays s’enrichissent, ils peuvent généralement soutenir un élargissement des marchés financiers et octroyer davantage de crédit. Contrepoids propres à la Chine Certains facteurs importants réduisent aussi le risque de crédit en Chine. Premièrement, on note peu de signes de tensions évidentes dans les marchés du crédit chinois. Les prêts bancaires non rentables ont beaucoup diminué pendant la période même où la croissance du crédit s’est accélérée. Deuxièmement, en raison de moyens de contrôle efficaces sur les mouvements de capitaux, la majeure partie des emprunts de la Chine sont libellés dans sa propre monnaie et sont financés au pays. Troisièmement, la Chine est un épargnant net, et non un emprunteur (figure 1). Grâce à des années d’excédent du compte courant, le pays affiche une position extérieure globale positive de 1,8 billion de dollars US. Quatrièmement, les banques chinoises et les sociétés d’État sont extrêmement malléables. Si le crédit venait à subir un gel soudain, le gouvernement pourrait en atténuer l’impact en ordonnant aux institutions financières de poursuivre les prêts, de rééchelonner la dette et d’acheter plus d’obligations gouvernementales. Prudence à l’égard du crédit Au final, chose étonnante, il n’est pas certain que la dette privée de la Chine soit trop élevée, mais sa croissance a manifestement été trop rapide. Même si plusieurs facteurs atténuaient le coup porté par un ralentissement du crédit, les risques de recul sont anormalement élevés et le fait est que le crédit ne peut continuer d’augmenter au rythme actuel en Chine. Afin de mieux comprendre ces risques, nous examinons maintenant plusieurs des principales composantes du marché chinois du crédit. Surchauffe du logement Le marché chinois du logement a progressé par bonds, contribuant considérablement à la croissance du crédit en fournissant du financement aux constructeurs et des hypothèques. Un examen sommaire laisse croire qu’il y a matière à s’inquiéter. Nous estimons la construction de logements en zone urbaine à environ 20 millions de nouvelles unités par année, ce qui dépasse de loin la demande démographique, qui est de l’ordre de 9 à 16 millions d’unités. La construction a augmenté de façon considérable par rapport au PIB et les prix des maisons sont de nouveau en hausse. Ainsi, l’essor du secteur du logement en Chine présente bel et bien deux facettes. La demande pourrait se révéler durablement plus élevée qu’on ne l’estime de façon conventionnelle à cause d’un déplorable sous-investissement dans les logements existants. L’accès au logement pourrait également être moins inquiétant qu’il n’y paraît si l’on examine les coûts de logement des ménages. Par conséquent, nous restons profondément incertains quant à l’ampleur d’un excès quel qu’il soit. Il semble plus prudent de dire que l’investissement immobilier ne peut continuer de croître à son rythme récent. Il est passé de 2 % du PIB dans les années 1980 à 14 % aujourd’hui. Le taux d’inoccupation est peut-être bas, mais il augmente manifestement. La façon qu’ont les constructeurs de se financer eux-mêmes sur le marché des produits de gestion de patrimoine n’est pas durable. En outre, l’endettement des ménages, bien 2 REPÈRES ÉCONOMIQUES • June 2013 Figure 1 : Globalement, l’économie chinoise affiche une épargne (et non une dette) nette Turquie -52 Mexique -40 Indonésie -38 R.-U. -36 Brésil -30 É.-U. -28 Zone euro -12 Emprunteur net Inde Corée du Sud -11 -9 Chine Épargnant net 21 Japon 60 -60 -40 -20 0 20 40 Position extérieure globale nette en % du PIB 60 Nota : Graphique fondé sur la dernière année pour laquelle des données existent. Sources : Haver Analytics, FMI, RBC GMA qu’encore faible par rapport au PIB, n’est pas de beaucoup inférieur à celui des États-Unis en matière de part de la mesure la plus pertinente : le revenu disponible. Tapis dans l’ombre En Chine, l’industrie du financement parallèle a pris son essor pratiquement du jour au lendemain, créant une source de financement considérable et croissante pour l’économie. Selon une estimation prudente, le financement parallèle a bondi à un niveau colossal de 23 billions de yuans (3,8 billions de dollars US), l’équivalent de 43 % du PIB de la Chine. Une définition plus large lui attribue jusqu’à 63 % du PIB. Après un départ au pied levé il y a quelques années seulement, le financement parallèle représente maintenant près d’un tiers du crédit privé total et plus de la moitié du récent afflux. On peut comprendre que cette croissance ininterrompue suscite des doutes. Les diverses formes de financement parallèle L’expression « financement parallèle » ratisse large et comprend à peu près toute forme de prêt autre que le prêt bancaire conventionnel. La définition inclut donc des instruments assez rudimentaires (mais non sans risque) jusqu’aux véhicules de placement plus dangereux, comme les produits de gestion de patrimoine (PGP). Les PGP apparient un groupe d’investisseurs avec des occasions d’investissement précises. En très grande majorité, ils sont assortis d’un taux de rendement fixe et d’une échéance de moins d’un an. L’agence de notation Fitch estime que les PGP ont gonflé d’un niveau presque nul au début de 2009 à près de 12 billions de yuans à la fin de 2012, ce qui constitue une part impressionnante de 50 % du financement parallèle Repères économiques Endettement des collectivités locales Jusqu’à tout récemment, les collectivités locales chinoises n’avaient pas le droit d’émettre de titres de créance. Il peut donc sembler étrange qu’elles aient réussi à accumuler une dette aussi importante. Les ratios d’endettement des collectivités locales ont doublé au cours des six dernières années pour atteindre un niveau considérable de 30 à 40 % du PIB. Ce chiffre est supérieur aux statistiques du gouvernement central. La principale menace n’est toutefois pas tant le niveau actuel de la dette – qui est quand même assez bas selon diverses mesures – que le fait qu’elle continue de croître aussi rapidement. Comment les collectivités locales ont-elles réussi cet exploit malheureux ? C’est le fruit d’un vide juridique, qui leur permet de créer des sociétés indépendantes qu’on appelle « mécanismes de financement des collectivités locales ». En revanche, ces mécanismes peuvent permettre l’emprunt auprès des banques, au moyen de PGP et sur le marché obligataire. L’inadéquation persistante découle du fait que les collectivités locales ont des obligations de dépenses structurelles qui dépassent de loin leur accès aux recettes fiscales. Ce problème a été en partie corrigé par le gouvernement central, qui a effectué d’importants transferts représentant près de la moitié des revenus des collectivités locales, mais même ces sommes additionnelles ont été insuffisantes. L’écart restant a été financé au moyen de créances. Éviter un désastre parmi les collectivités locales Heureusement, il existe quelques moyens pour les collectivités locales d’éviter la catastrophe. Premièrement, une part massive de leur dette qui devait échoir à la fin de 2012 a été refinancée de force sur l’ordre du gouvernement central, ce qui a repoussé l’échéance au moins jusqu’en 2016. Deuxièmement, il est modérément réconfortant qu’une part aussi importante des dépenses publiques locales vise les infrastructures. Cellesci offrent au moins un certain avantage tangible et durable. Figure 2 : Les produits de gestion de patrimoine affichent une forte croissance depuis quelques années 3200 Produits de gestion de patrimoine émis par les banques (nombre par mois) actuellement en cours (figure 2). Mais tout n’est pas si sombre – le financement parallèle représente une branche de capitalisme de libre marché dans le système autrement géré de la Chine et il a le pouvoir de distribuer des capitaux plus efficacement que ne peut le faire l’État. Cependant, en pratique, on peut s’inquiéter du peu de surveillance du secteur et les excès sont légion. Le gouvernement a récemment commencé à sévir contre les PGP et on peut raisonnablement s’attendre à de la turbulence au cours de l’année qui vient et une croissance beaucoup moindre du crédit provenant de cette source par la suite. 2800 2400 2000 1600 1200 800 400 0 2009 2010 2011 2012 2013 Sources : CASS, Haver Analytics, RBC GMA Troisièmement, et plus important encore, le gouvernement central appuie implicitement les collectivités locales, en particulier depuis que la majeure partie de cette dette a été relevée sur ordre du gouvernement central dans le but de relancer la demande au cœur de la crise financière. Perspectives locales Certes, la situation des collectivités locales est inquiétante et pourrait finir par nécessiter l’aide du gouvernement central à mesure que les profits du marché du logement diminuent et que les prêts s’approchent de l’échéance. De nouveaux systèmes pour surveiller la dette des collectivités locales et de nouvelles limites de prêts bancaires pour les sociétés indépendantes de financement sont mis en place. Même si ces mesures atténuent les risques à long terme, elles les accentuent vraisemblablement à court terme. Par conséquent, comme c’est le cas pour les PGP, la prochaine année sera possiblement une période de risque maximal. Néanmoins, la catastrophe est loin d’être assurée, et l’important est que le gouvernement central reste prêt et disposé à agir. Dette du gouvernement central Le salut de la Chine dans le contexte de tous ces excès de crédit tient à la situation financière de son gouvernement central. Même si apparemment tout le monde semble avoir fait le plein de crédit au buffet à volonté, le gouvernement central s’est prudemment abstenu, affichant un très faible ratio dette/PIB d’à peine 15 % en 2012. En toute franchise, une comptabilisation exhaustive inclurait aussi la dette des collectivités locales et quelques autres garanties implicites (comme la dette des sociétés ferroviaires et les obligations de sociétés financières politiques), ce qui porterait la dette à un niveau plus élevé de 3 72 % du PIB. Ce chiffre est encore inférieur à celui de la plupart des pays développés, mais n’est plus véritablement bas. Les actifs comptent également En revanche, la plupart des gouvernements détiennent peu d’actifs vendables en leur nom, alors que la Chine en a littéralement une multitude. Le gouvernement chinois possède des réserves de devises de quelque 3 billions de dollars US – ou 40 % du PIB – qui suffiraient à éliminer toute la dette des collectivités locales s’il le désirait. Par ailleurs, la participation du gouvernement central dans de nombreuses sociétés d’État s’élève, selon une estimation très prudente, à près de 5 billions de dollars US. En conclusion En conclusion, la situation du crédit de la Chine n’est pas aussi mauvaise qu’il y paraît à première vue et pas aussi mauvaise que nous l’avions craint. Mais elle n’est pas bonne non plus. L’Empire du Milieu a manifestement été propulsé dans une certaine mesure par des excès de crédit au cours des dernières années. Maintenant que les responsables de la réglementation répriment les excès et que, par conséquent, la marée redescend, nous verrons si – pour paraphraser Warren Buffett – la Chine nageait toute nue. En ce qui concerne la dette des collectivités locales et les produits de gestion de patrimoine, la réponse est vraisemblablement « oui », même s’il y a des circonstances atténuantes. Quant au marché du logement, il est plus prudent de répondre « peut-être ». Jusqu’à maintenant, la Chine s’est montrée très habile à surmonter les embûches. On peut encore supposer qu’il en demeurera ainsi. Toutefois, la Chine a maintenant devant elle une route anormalement parsemée d’embûches. Déjà, le taux de croissance de l’économie ralentit, malgré une accélération du taux de croissance du crédit. Si la croissance du crédit devait retomber au niveau de celle du PIB, l’économie pourrait perdre jusqu’à 4 points de pourcentage de croissance annuelle. Il est immensément important d’évaluer ce risque de façon précise, non seulement pour la Chine, mais aussi pour le reste du monde. La Chine est désormais la deuxième économie du globe, ce qui signifie qu’un ralentissement marqué dans ce pays aurait des répercussions mondiales. C’est pourquoi les excès de crédit de la Chine restent pour nous le deuxième plus grand risque pour l’économie mondiale, devancé seulement par l’instabilité fondamentale dans la zone euro. Pour obtenir la version complète de la présente publication, veuillez vous visiter notre site Web, au www.rbcgma.com/information-sur-les-placements/recherche-publications. 4 REPÈRES ÉCONOMIQUES • June 2013 Repères économiques Le présent rapport a été préparé par RBC Gestion mondiale d’actifs Inc. (RBC GMA Inc.) à titre d’information seulement et ne doit pas être reproduit, distribué ou publié sans le consentement écrit préalable de RBC GMA Inc. Aux États-Unis, ce rapport est fourni par RBC Global Asset Management (U.S.) Inc., un conseiller en placement agréé par le gouvernement fédéral et fondé en 1983. RBC Gestion mondiale d’actifs (RBC GMA), division de gestion d’actifs de la Banque Royale du Canada (RBC), regroupe RBC Gestion mondiale d’actifs Inc., RBC Global Asset Management (U.S.) Inc., RBC Alternative Asset Management Inc. et BlueBay Asset Management LLP, qui sont des entités juridiques distinctes et affiliées. 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