Repères économiques AOÛT 2013 LA CHINE : UNE PUISSANCE MONTANTE EN QUÊTE D’UN SECOND SOUFFLE L’économie de la Chine connaît un essor fulgurant depuis trois décennies et ce pays, qui ne jouait qu’un rôle mineur, est devenu un acteur de premier plan sur la scène internationale. Cet état de choses soulève deux séries de questions. Premièrement, quelle est aujourd’hui l’importance de la Chine dans le monde ? Deuxièmement, la Chine peut-elle maintenir son taux de croissance exceptionnel ? L’économie de la Chine connaît un essor fulgurant depuis trois décennies et ce pays, qui ne jouait qu’un rôle mineur, est devenu un acteur de premier plan sur la scène internationale. Cet état de choses soulève deux séries de questions. Premièrement, quelle est aujourd’hui l’importance de la Chine dans le monde ? Deuxièmement, la Chine peut-elle maintenir son taux de croissance exceptionnel ? Pour répondre brièvement à la première question, disons que la Chine est d’ores et déjà la première puissance économique de la planète selon certaines mesures, bien qu’elle ne fasse pas le poids sur le plan géopolitique. Les craintes que ce nouveau statut incite la Chine à agir de manière malveillante sont largement injustifiées. À l’échelle mondiale, le seul véritable risque est que la croissance de la Chine s’enraye. Cela dit, il sera question des apports historiques de la croissance des exportations et de celle du crédit, de l’incidence décroissante de la compétitivité, des dépenses en immobilisations et de la démographie, des apports constants de l’urbanisation, de l’effet de la convergence et de la réforme de la réglementation, de la menace grandissante que présente le piège des revenus intermédiaires et, en dernier lieu, des perspectives offertes par l’accroissement du bassin des consommateurs. Le poids grandissant de la Chine L’économie chinoise se classe maintenant au deuxième rang du classement mondial, son apport à la production mondiale s’élève à 15 % et, si elle poursuit sur la même voie, elle pourrait, selon toute vraisemblance, supplanter les États-Unis d’ici à 20181. L’apport de la Chine à la croissance 1 Ce calcul repose sur le taux de change assurant la parité des pouvoirs d’achat (PPA), qui intègre le volume de la production d’un pays par rapport à celui d’un autre pays. L’autre option – soit l’utilisation du taux de change courant – donnerait un PIB un peu moins élevé. économique mondiale constitue une mesure fort révélatrice de sa performance, puisqu’il est non seulement le plus important pour l’économie mondiale, mais aussi pas moins du triple de celui des États-Unis. Ce poids grandissant suscite de vives inquiétudes aux États-Unis et ailleurs dans le monde industrialisé. Toutefois, ces appréhensions sont largement injustifiées pour plusieurs raisons. Premièrement, le titre de première puissance mondiale n’est pas automatiquement attribué au pays qui possède l’économie dominante. En dépit de la suprématie économique de la Chine, le Chinois moyen gagne moins du cinquième du revenu de l’Américain moyen. Ce facteur a également de l’importance. Deuxièmement, le leadership mondial dépend également de facteurs non économiques tels que la profondeur des marchés financiers, la puissance militaire et le rayonnement culturel. Or, les États-Unis conservent une bonne longueur d’avance sur tous les plans. Troisièmement, même si la Chine s’impose un jour en tant que première puissance mondiale, compte tenu de ces divers paramètres, il se pourrait que ce titre ne soit pas ce qu’il est censé être. L’histoire nous a appris que le pays dominant – quel qu’il soit – assume traditionnellement des coûts militaires considérables en sa qualité de « police de la planète » et sert fréquemment de paratonnerre à la colère internationale. Quatrièmement, la probabilité de mesures malveillantes de la part de la Chine semble faible : Ce pays a une longue tradition de passivité sur la scène internationale. Les manchettes faisant état des efforts de la Chine pour absorber des entreprises étrangères ont beau abonder, la Chine ne fait pas grand-chose en ce sens, compte tenu de la taille de son économie. Contrairement aux inquiétudes des marchés obligataires, il est improbable que la Chine se départe massivement de ses avoirs énormes en valeurs du Trésor vu qu’ils servent à déverser l’excédent de son compte courant, ce qui maintient le renminbi à un niveau concurrentiel et procure une destination liquide et sécuritaire aux fonds chinois. Figure 1 : Dépendance mutuelle Produits chinois bon marché Main-d’œuvre chinoise bon marché Accès au grand bassin futur de consommateurs chinois Financement de la dette du gouvernement américain É.-U. Enfin, les États-Unis et la Chine sont inextricablement liés par les mécanismes illustrés à la figure 1. Chine Accès au grand bassin actuel de consommateurs américains Taux de change moindre (grâce aux achats d’obligations) La Chine en mode de ralentissement Transfert de technologies américaines Malgré les sérieux doutes que soulève la véracité des données sur l’économie chinoise, nous souscrivons en gros au discours officiel voulant que la Chine connaisse véritablement une croissance économique exceptionnelle depuis plusieurs décennies. Accès à la sécurité des placements américains Cet essor incontestable a donné lieu à un foisonnement de nouvelles théories pour expliquer la réussite économique du pays. Elles font ressortir : l’importance de la réforme foncière2 ; des politiques sectorielles soigneusement ciblées ; un protectionnisme sélectif pour accompagner les industries naissantes dans leur passage à l’adolescence ; la volonté d’adapter les technologies existantes plutôt que d’en inventer de nouvelles ; la faiblesse des taux d’intérêt pour subventionner l’industrialisation ; la sous-évaluation du taux de change pour optimiser la compétitivité ; un encadrement du capital qui met la Chine à l’abri des crises financières étrangères ; des projets d’infrastructure de grande envergure dirigés par l’État qui atteignent des objectifs hors de la portée des entreprises privées. À des degrés variables, la Chine a mis en pratique toutes ces nouvelles théories. Tout compte fait, le dynamisme de ce pays n’est peut-être pas si mystérieux. Des stimulants spéciaux Malheureusement, le taux de croissance de la Chine est en train de diminuer. Cette baisse tient à quelques raisons. Certaines 2 La Chine s’est appliquée à rétablir les droits fonciers, d’abord par la voie de réformes rurales amorcées en 1978, puis par des réformes urbaines qui se sont étendues sur plusieurs décennies et se poursuivent encore. 2 REPÈRES ÉCONOMIQUES • Août 2013 Dépenses en immobilisations des É.-U. Source : RBC GMA de ces politiques économiques perdent de leur efficacité (ou deviennent même inopérantes) lorsque le pays commence à s’enrichir. Pareillement, la croissance de la Chine a longtemps été stimulée par quelques facteurs déterminants, mais temporaires, dont l’effet s’atténue à l’heure actuelle. L’ère de l’industrialisation et de la croissance axée sur les exportations s’est échelonnée sur les années 1990 et 2000. Puis, l’explosion du crédit a permis à l’économie chinoise de poursuivre son ascension au cours des cinq dernières années. La croissance des exportations de la Chine a toutefois ralenti, et une odeur suspecte émane du marché du crédit. Ni les exportations ni le crédit ne pourront pousser avec autant d’énergie à la roue dans l’avenir. En l’absence de ces stimulants spéciaux, la croissance économique menace de fléchir. Que reste-t-il pour combler le vide ? Nous allons examiner plusieurs déterminants clés de la croissance future de l’économie chinoise. Le fabricant numéro un de la planète Le moteur de la réussite économique de la Chine au cours des trois dernières décennies a été le secteur manufacturier, qui est orienté vers l’exportation. Les exportations chinoises ont fait un bond phénoménal de 17 % par année entre 1990 et 2012. Par conséquent, la part de la Chine dans le commerce mondial a bondi de 1,9 % seulement à 11,5 % pendant cette période. Toutefois, les exportations du pays devraient maintenant être proportionnelles à son poids économique, ce qui limite leurs possibilités de croissance. C’est pourquoi le commerce international croît à une cadence moins rapide que dans le passé. Repères économiques Une compétitivité en perte de vitesse Figure 2 : L’urbanisation de la Chine se poursuit La remarquable compétitivité de la Chine a longtemps été très favorable à l’expansion accélérée des entreprises de fabrication exportatrices. Une surabondance de capital ? La Chine affecte 48 % de son PIB aux dépenses en immobilisations, ce qui représente un taux faramineux et sans précédent. Même réduit de moitié, ce taux serait très élevé selon les normes internationales. Il faut bien admettre que ces dépenses contribuent largement à la vitalité de l’économie chinoise. De plus, elles font croître l’intensité capitalistique de la Chine – le ratio entre son stock de capital et la taille de son économie – à un point tel que ce ratio équivaut aujourd’hui à 3,1 fois son PIB. Ce phénomène n’est pas inédit – par exemple, le ratio comparable du Japon est plus élevé – mais le fait qu’un pays en développement comme la Chine dispose maintenant d’un capital plus abondant que les États-Unis et le Royaume-Uni, sans parler des autres pays émergents – suscite des craintes de surinvestissement. Nous estimons que l’efficacité des investissements de la Chine régresse et que les dépenses en immobilisations ne pourront tout simplement pas continuer à soutenir autant l’économie que dans le passé. La population à son apogée La démographie chinoise suscite beaucoup d’inquiétudes, et pour cause. Du fait de la politique de l’enfant unique, les perspectives démographiques médiocres de la Chine sont devenues abyssales. La population chinoise en âge de travailler culminera en 2015, après quoi elle commencera à décroître inexorablement. Ainsi, la Chine perdra 9 % de sa population en âge de travailler au cours du prochain quart de siècle, soit environ 88 millions de personnes. Par contre, il est important de noter que la démographie n’a jamais été un élément clé de la récente prospérité économique de la Chine. À peine un point de pourcentage sur le taux annuel de croissance de 10 % du PIB de la Chine au cours de la dernière décennie a été attribuable à la croissance de la population, le reste tenant aux gains de productivité. 800 Population (Millions) Il n’y a aucun doute que la Chine a augmenté considérablement sa productivité au fil des années et qu’elle devance largement ses homologues asiatiques. Les salaires en Chine ont toutefois progressé encore plus rapidement. Qui plus est, le renminbi a augmenté, lui aussi, à un point tel qu’il n’est plus particulièrement sous-évalué. Ces forces ont éliminé une part importante de l’atout concurrentiel de la Chine. 900 700 Rural 600 Urbain 500 a Chine s'est fixée une cible de 250 millions de migrants de plus d'ici 2025 400 300 200 100 1976 1981 1986 1991 1996 2001 2006 2011 2016 Sources : China National Bureau of Statistics, RBC GMA L’urbanisation en marche Heureusement, même si l’élan donné par la compétitivité, les dépenses en immobilisations et la démographie de la Chine s’affaiblit, quelques autres facteurs peuvent continuer d’être favorables à la productivité. L’urbanisation est l’un d’eux. Bien qu’il n’y ait pas grand-chose à faire pour remédier au déclin futur du nombre de travailleurs, l’urbanisation représente un excellent moyen ponctuel d’accroître rapidement la productivité de chaque travailleur. Il est à souligner que les travailleurs en milieu urbain sont en moyenne trois fois plus productifs que ceux des régions rurales. L’urbanisation est déjà en marche, la population urbaine de la Chine ayant récemment dépassé sa population rurale pour la première fois (figure2). Cette tendance n’est pas près de s’arrêter : les décideurs ciblent la migration vers les villes de 250 millions d’habitants des régions rurales au cours des 12 prochaines années. Effet de convergence L’« effet de la convergence » est un autre pilier de la croissance économique effrénée de la Chine. Il s’agit d’une théorie simple, mais élégante, qui repose sur le constat que les pays pauvres ont tendance à croître plus rapidement que les pays riches. À quoi cette disparité tient-elle ? En grande partie au fait que les pays pauvres ont tendance à emboîter le pas aux pays riches. Ils n’ont pas à fournir d’efforts pour inventer des technologies ou des procédés, car ils se bornent à copier ce qui existe déjà. Le revenu par habitant en Chine est tout juste équivalent à celui des États-Unis en 1938, soit à peine 18 % des niveaux de revenu actuels de ce dernier pays. L’effet de convergence peut donc encore se manifester amplement. 3 Piège des revenus intermédiaires En revanche, le soi-disant piège des revenus intermédiaires menace sérieusement une accession facile de la Chine au statut de pays riche. Les taux de croissance économique ralentissent fréquemment une fois que le revenu annuel par habitant franchit le cap des 12 500 $ à 17 500 $3. Que cela signifie-t-il pour la Chine ? Heureusement, le piège des revenus intermédiaires ne présente pas une menace imminente pour la Chine, le revenu par habitant frôlant tout juste les 9 161 $. La Chine dispose peut-être de cinq ans ou davantage avant d’être prise dans le piège des revenus intermédiaires. Ces pays ne sont pas pour autant condamnés à attendre passivement que cela se produise. Plusieurs possibilités s’offrent à la Chine pour qu’elle poursuive une croissance rapide. Premièrement, elle doit concentrer ses efforts sur les régions les plus aptes à soutenir une croissance économique rapide pendant plus longtemps. Deuxièmement, la Chine doit donner un coup de pouce aux fabricants pour qu’ils se hissent dans la courbe de la valeur ajoutée de façon à être moins vulnérables aux scénarios de rechange aux bas salaires. Troisièmement, la Chine doit réduire sa dépendance à l’égard des sociétés d’État improductives en misant sur l’innovation et l’efficacité du secteur privé. Quatrièmement, la Chine doit continuer d’aller de l’avant dans la libéralisation de ses marchés financiers, la réduction de la bureaucratie et la lutte anti-corruption. Cet ensemble de facteurs contribuera à atténuer l’effet négatif du piège des revenus intermédiaires, mais il ne le neutralisera sans doute pas complètement. Il y a donc fort à parier que la croissance de l’économie chinoise passera en mode de décélération au cours de la prochaine décennie. L’espoir de la consommation Dans un contexte où la croissance du secteur manufacturier et des exportations s’essouffle et où le crédit n’est plus un moteur économique aussi puissant, la Chine se cherche de nouvelles sources de croissance. L’option la plus évidente, c’est la consommation. Les ménages chinois ne consomment qu’une très faible part de la production économique du pays, et celle-ci commence enfin à grimper après des années de recul. Les dépenses de consommation peuvent certes augmenter considérablement. La part de leurs revenus que les ménages chinois épargnent est dix fois supérieure à celle des consommateurs américains. Cette propension à l’épargne excessive subsiste, mais on observe plusieurs catalyseurs d’un changement à venir, notamment la croissance rapide des salaires, une classe moyenne en expansion et l’augmentation de la proportion de participants à des régimes de retraite. Conclusion L’économie de la Chine connaît un essor rapide depuis trois décennies. Plusieurs forces sont encore présentes dans l’économie chinoise, soit les réformes structurelles en cours, l’urbanisation, l’effet de convergence et l’émergence de la consommation. En revanche, l’influence de plusieurs autres facteurs favorables à l’essor de la Chine s’est atténuée. Parmi les aspects négatifs figurent la décélération de la croissance des exportations, l’essoufflement de la croissance du crédit, la diminution de la compétitivité, le ralentissement probable des dépenses en immobilisations et la détérioration de la croissance démographique. Entre-temps, le piège des revenus intermédiaires plane à l’horizon (même si cette menace n’est pas imminente). Comme ce rapport l’a mis en lumière, la plupart de ces éléments ne sont pas aussi menaçants qu’ils semblent l’être, mais ils freinent la croissance économique de la Chine. Par conséquent, nous prévoyons une croissance économique de l’ordre de 4,5 % à 7,5 % au cours de la prochaine décennie, ce qui est nettement inférieur au rythme moyen de 10 % enregistré au cours de la dernière décennie. Il s’agit d’une baisse marquée de régime, mais la Chine continuera néanmoins de se classer parmi les économies les plus dynamiques à l’échelle mondiale. 3 In fonction des taux de change assurant la parité des pouvoirs d’achat et en dollars constants de 2012. Pour obtenir la version complète de la présente publication, veuillez vous visiter notre site Web, au www.rbcgma.com/information-sur-les-placements/recherche-publications. 4 REPÈRES ÉCONOMIQUES • Août 2013 Repères économiques Le présent rapport a été préparé par RBC Gestion mondiale d’actifs Inc. (RBC GMA Inc.) à titre d’information seulement et ne doit pas être reproduit, distribué ou publié sans le consentement écrit préalable de RBC GMA Inc. Aux États-Unis, ce rapport est fourni par RBC Global Asset Management (U.S.) Inc., un conseiller en placement agréé par le gouvernement fédéral et fondé en 1983. RBC Gestion mondiale d’actifs (RBC GMA), division de gestion d’actifs de la Banque Royale du Canada (RBC), regroupe RBC Gestion mondiale d’actifs Inc., RBC Global Asset Management (U.S.) Inc., RBC Alternative Asset Management Inc. et BlueBay Asset Management LLP, qui sont des entités juridiques distinctes et affiliées. 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