L
a question de l’échange d’informations entre le méde-
cin traitant (qu’il soit généraliste ou spécialiste, libé-
ral ou hospitalier) et le médecin du travail se pose régu-
lièrement. Les demandes sont notamment motivées par des
questions d’aptitude à des postes physiques, et le médecin du tra-
vail a incontestablement besoin d’éléments objectifs pour prendre
ses décisions. Le secret médical, instauré dans l’intérêt du malade,
est donc en jeu dans cette demande de communication d’éléments
du dossier médical, certes à un confrère, mais hors du contexte
de partage du secret “à visée de soins dans l’intérêt du patient”.
DÉFINITION DU SECRET MÉDICAL
ET RAPPEL SUR SON APPLICATION
Simple extension de la notion d’ordre général de “secret profes-
sionnel”, et n’ayant à la base rien de spécifique, le secret médi-
cal est établi dans l’intérêt du patient. Il assure la confidentialité
des propos ou des éléments contenus dans la relation médicale.
Est concerné par la notion de secret “tout ce que, dans l’exercice
de notre profession, nous aurons vu, entendu ou compris”. Le
Code de déontologie rappelle, dans son article 4, que le secret
professionnel s’impose à tout médecin dans les conditions éta-
blies par la loi.
Le secret médical a, en fait, une triple signification.
Une signification morale, car un secret est un secret, et sa
divulgation équivaut à une violation de la confiance mise en
nous ; en outre, elle altère définitivement les possibilités de lien
étroit entre médecin et patient, la perte de ce lien étant la “sanc-
tion relationnelle” de cette violation.
Une signification déontologique, car cette notion est, bien
sûr, prévue dans notre code de rapports professionnels, et son
non-respect constitue une faute professionnelle.
Une signification pénale, car la violation du secret est un délit
puni par la loi. Il faut rappeler, en outre, que le délit est consti-
tué même en l’absence d’intention de nuire.
La violation du secret est en effet réglementée par les articles
223-10 à 223-12 du Nouveau Code pénal (NCP) : “La révélation
d’une information à caractère secret par la personne qui en est
dépositaire, par fonction ou par profession, soit en raison d’une
fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’empri-
sonnement et de 15 000
environ d’amende” (art. 226-13 NCP).
Les maladies à déclaration obligatoire, les sévices à mineur ou à
personne dépendante, etc., font partie des dérogations, au même
titre que les certificats de naissance ou de décès, la liste ne pou-
vant être intégralement détaillée ici. Il en est de même pour la
position du médecin expert, qui ne devra exposer, dans son rap-
port, que les éléments en relation directe avec sa mission. Enfin,
autre éventualité : la possibilité, pour un médecin poursuivi
devant une juridiction par un de ses patients, d’exposer pour sa
défense des faits relatifs à ses rapports avec ses malades, et donc
théoriquement couverts par le secret.
En dehors de ces situations, nul ne peut délier le médecin du
secret, pas même le patient lui-même :
d’une part, “car il ne sait pas précisément de quoi il délie son
médecin”,
d’autre part (raison “nettement plus juridique”), car le consen-
tement de la personne ne justifie pas la transgression de l’inter-
dit ; en pratique, la révélation d’un secret médical étant un délit,
le consentement de la “victime” n’empêche pas que cette révé-
lation constitue effectivement un délit.
STATUT DU MÉDECIN DU TRAVAIL
ET OBLIGATIONS RÉCIPROQUES
FACE AU SECRET
Le statut de médecin du travail a été instauré officiellement par
la loi du 28 juillet 1942. Les médecins du travail ont la charge
d’assurer la surveillance médicale des salariés d’une entreprise.
Ils sont volontiers “travailleurs indépendants”, ou sont regrou-
pés au sein d’un comité interentreprise. Bien qu’exerçant leur
activité au sein d’une entreprise, ils ont une indépendance totale
à l’égard de leur hiérarchie, notamment du chef d’entreprise. Le
Code de déontologie médicale rappelle à cet égard que “le médecin
ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque
forme que ce soit” (art. 10), malgré les sollicitations dont il pour-
rait être l’objet de la part du personnel d’encadrement.
La position du médecin – tant celle du médecin du travail que
celle du médecin traitant – vis-à-vis de l’employeur est donc très
claire et très simple, puisqu’il ne doit jamais y avoir transmis-
sion d’information de nature médicale à l’employeur. Il est en
VIE PROFESSIONNELLE
Le secret médical existe-t-il entre médecin traitant
et médecin du travail ?
M. Bernard*
87
La Lettre du Pneumologue - Volume VII - no2 - mars-avril 2004
* Expert près la cour d’appel de Paris, spécialisé en matière de Sécurité
sociale. E-mail : [email protected]
effet indispensable que le patient puisse placer dans le médecin
du travail le même niveau de confiance que dans tout autre méde-
cin dans le cadre de son suivi médical ou de révélations intimes,
même si ce médecin particulier qu’est le médecin du travail est
un peu un confident... imposé, et non librement choisi. La bar-
rière du secret vis-à-vis de l’employeur se doit donc d’être tota-
lement étanche.
Le médecin du travail est sollicité pour se prononcer sur une apti-
tude à un poste dans le cadre de la procédure d’engagement d’un
salarié, ou de surveillance de son état de santé au cours de sa car-
rière dans l’entreprise. Mais son statut particulier, s’il lui impose
de procéder à la surveillance et au dépistage de pathologies pré-
sentées par le patient, liées ou non aux conditions de travail, ne
lui permet ni acte d’investigation ni démarche thérapeutique. Il
se doit de transférer cette charge au médecin traitant.
Le concept du secret partagé entre médecins remonte à l’époque
de la création de la Sécurité sociale, les médecins exerçant dans
ce cadre et réglant les dossiers devant connaître un minimum
d’éléments médicaux concernant le patient pour en gérer l’aspect
“administrativo-financier”.
La règle est que le secret ne se partage que dans l’intérêt du
patient, pour améliorer sa prise en charge médicale et l’efficacité
de la démarche tant diagnostique que thérapeutique. Ce partage
a lieu tant à l’hôpital que dans un exercice libéral, intéressant éga-
lement le personnel paramédical, ou des médecins de compé-
tences complémentaires. Cependant, là aussi, le respect du secret
doit rester une préoccupation, et les seuls éléments divulgués
doivent être ceux indispensables à l’avancement du dossier
dans l’intérêt du patient, chaque acteur de cette relation étant
lié par cette notion.
Toutefois, malgré ces situations de fait, qui sont indispensables
à la bonne marche d’un dossier médical, cette notion de secret
partagé n’a pas de véritable support juridique.
Tout médecin, et notamment le médecin du travail, se doit de
respecter le secret médical, avec toutefois la réserve que le
médecin traitant peut être, comme l’indiquent L. Fournier et
J. Proteau, considéré comme “spécialiste des soins”, par opposi-
tion au médecin du travail, “spécialiste de la surveillance dans le
cadre professionnel”. Le médecin du travail n’a pas statutaire-
ment la possibilité de se livrer à des actes d’investigations ou de
soins, et cette charge échoit au médecin traitant. Ainsi, dans cette
direction, le partage de l’information est admis. Le médecin du
travail a la possibilité de communiquer des informations médi-
cales au médecin traitant, afin de lui permettre – dans la limite
des informations nécessaires – la mise en route d’investigations
ou de traitements sur des éléments anormaux constatés en méde-
cine du travail.
A contrario, les informations connues par le médecin traitant,
qui peuvent avoir des conséquences graves sur l’avenir pro-
fessionnel du salarié, ne doivent transiter que par l’intermé-
diaire du patient lui-même, à l’exclusion de tout contact direct
entre le médecin traitant et le médecin du travail. Cette position
est, certes, contraignante, mais elle répond à l’application du
principe de protection de la personne privée. Elle se contente, en
pratique, de respecter l’obligation de secret qui est faite à tout
médecin, et qui ne peut ici être “modulée” par la nécessité d’une
mise en commun des informations pour l’amélioration de la santé
du patient. Le médecin traitant se doit également, lors de la remise
des éléments de son dossier, de s’entretenir avec son patient sur
le caractère éventuellement dangereux pour son avenir profes-
sionnel de certaines pièces médicales et d’attirer spécifiquement
son attention sur ce point.
A fortiori, le médecin traitant ne devra pas donner d’avis sur
l’aptitude de son patient à un poste de travail dont il ne connaît
pas les impératifs et les contraintes, contrairement au médecin
du travail, qui doit consacrer un tiers de son temps à la visite des
lieux de travail de ses consultants.
CONCLUSION
La règle du secret médical est donc très stricte et doit faire
l’objet d’une grande prudence dans notre exercice quotidien.
Elle s’exerce également entre le médecin du travail et le médecin
traitant.
La transmission d’informations médicales du médecin du travail
vers le médecin traitant est admise, car elle correspond à la néces-
sité d’information du médecin qui sera en charge de la démarche
diagnostique et thérapeutique par le médecin qui a détecté une
anomalie, mais qui, statutairement, n’est pas autorisé à exercer
une action ultérieure.
En revanche, du fait de l’obligation de respect du secret en dehors
de la nécessité de transmission d’informations dans l’intérêt du
suivi médical du patient, la communication de données médicales
du médecin traitant vers le médecin du travail ne peut se conce-
voir directement. Elle n’existera que par l’intermédiaire du patient
lui-même, qui, averti par le médecin traitant des conséquences
éventuelles de la communication de certaines pièces, sera libre
de confier ou non ces éléments au médecin du travail, avec, en
arrière-plan, le risque d’être déclaré inapte.
POUR EN SAVOIR DAVANTAGE...
Fournier L, Proteau J. Secret médical et médecine du travail : le médecin
traitant ne peut et ne doit communiquer librement avec le médecin du travail.
Rev Prat - MG - 109-8/10/90-99/101.
Gromp S. Le secret médical : un concept menacé. Journal de médecine
légale - Droit médical 1995 ; 38 (7-8) : 565-9.
Hoerni B, Benezech M. Le secret médical : confidentialité et discrétion en
médecine. Paris : Masson, 1996.
Manaouil C , Doutrellot-Philippon C, Gabrion A, Jarde O. Le secret profes-
sionnel en médecine du travail. Journal de médecine légale - Droit médical
2000 ; 43 (II) : 137-44.
Thouvenin D. Le secret médical et l’information du malade. Presses univer-
sitaires de Lyon 1982 (d’après sa thèse de doctorat, Lyon, 1977).
© La Lettre du Cardiologue 2003 ; 369 : 33-4.
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