Le risque suicidaire

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Vers une politique de prévention
des risques psychosociaux
pérenne et efficace
Huitième édition des Rencontres Psycho
Jeudi 23 juin 2011
Premiers résultats de l’étude
« Le risque suicidaire en milieu professionnel :
constat et moyens de prévention »
en partenariat avec l’université Rennes 2
Responsable Scientifique : Astrid HIRSCHELMANN
Maître de conférences en psychologie - Université Rennes 2
Co-Responsable Scientifique : Jean-Philippe Melchior
Maître de conférences en sociologie - Université du Maine, Le Mans
Co-Responsable Scientifique : Florence TERRADE
Maître de conférences en psychologie - Université Rennes 2
Ingénieur de Recherche : Anne Winter
Docteur en psychologie, IGR GIS CrimSo CSH - Université Rennes 2
Premiers résultats de l’étude « Le risque suicidaire en milieu
professionnel : constat et moyens de prévention »
Un partenariat de recherche entre Psya et l’Université Rennes 2 a été mis en œuvre l’année
dernière et a réuni des professionnels et des universitaires autour de deux projets : les
méthodes scientifiques d’évaluation du risque psychosocial et l’ERST, l’évaluation du risque
suicidaire au travail.
●
Astrid HIRSCHELMANN indique que l’étude sur l’ERST n'est pas achevée. Cette
enquête se propose d'aborder le problème du suicide au travail en essayant d'identifier ce
qu’il mobilise, ce qu’il révèle, ce qu’il implique.
●
Florence TERRADE indique qu'il est apparu dès le départ qu'il était très difficile
d'appréhender le suicide de façon séparée. La première réflexion a consisté donc à le
réinscrire dans le champ des risques psychosociaux, et les définitions du RPS retenues
étaient celles de l’INSERM et du ministère de Travail. Pour le premier, les facteurs
psychosociaux au travail désignent un vaste ensemble de variables, à l'intersection des
dimensions individuelles, collectives et organisationnelles de l'activité professionnelle, d'où
leur complexité et leur caractère souvent composite ; pour le second, les risques
psychosociaux recouvrent des risques professionnels qui portent atteinte à l'intégrité
physique et à la santé mentale des salariés : stress, harcèlement, épuisement professionnel,
violence au travail... Ils peuvent entraîner des pathologies professionnelles (dépressions,
maladies psychosomatiques, problèmes de sommeil), mais aussi générer des troubles
musculo-squelettiques, des maladies cardio-vasculaires, voire des accidents du travail.
L'étude ne s'est pas intéressée à la partie réelle du risque objectif, parce qu’elle relève
davantage de l'organisation et d'indicateurs disponibles, mais a porté plutôt sur le risque
perçu, en réfléchissant sur la différence qu'il y a entre un salarié qui va s'exposer à un risque
et être dans une situation de malaise, alors que son collègue qui fait exactement les mêmes
tâches ne se retrouve pas dans cette situation de malaise.
En psychologie sociale, on sait que le comportement du groupe n'est pas la somme des
comportements individuels, même si le comportement de l'individu va s'expliquer en relation
avec le monde du travail. Il s'agit donc de définir l'interaction entre l'individu de l'entreprise et
de comprendre les raisons pour lesquelles l'individu s'inscrit dans une architecture
particulière.
C'est à partir de ces points d'entrée que le reste du travail d'enquête a été mené, en
réfléchissant à trois niveaux : l'individuel, le collectif, l'interaction individu/travail.
●
Astrid HIRSCHELMANN indique que l'équipe est partie du postulat que les suicides
au travail ou en lien avec le travail constituent la dimension dramatique d'un malaise plus
général et que derrière les conflits et les difficultés d'ordre privé, il y a les difficultés vécues
au travail, et inversement.
Quand elle aborde la question du suicide, la philosophie donne souvent la représentation
d'un sujet faible, fragile, en tout cas d'un problème qui se situe au niveau de l'individu.
Spinoza affirme d'ailleurs que « ceux qui se donnent la mort ont l'âme impuissante et sont
entièrement vaincus par des causes extérieures qui sont contraires à leur propre nature. »
En revanche, si l'on prend en compte l'individu dans son cadre de travail, c'est-à-dire un
contexte collectif dans lequel il est un parmi d'autres, on va s'intéresser davantage à la
fonction de l'acte que Hegel envisage comme « une condition de la liberté d'esprit, de sa
capacité de dépasser toute limite, de se retrouver soi-même dans l'absolu déchirement ; ce
n'est pas la mort qui libère, mais la pensée de la mort ; nous mourons, mais nos œuvres
nous survivent et gardent la trace de notre esprit en même temps que d'autres se les
approprient. »
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Psya – Rencontres Psycho, 8 édition, 23 juin 2011
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Au-delà de la mort, il y aurait donc un message qui est véhiculé, ce qui amène plus
largement à se confronter à la condition humaine, à la vie sociale, et Montaigne affirme :
« La préméditation de la mort est préméditation de la liberté. Qui a appris à mourir, il a
désappris à servir. Le savoir mourir nous affranchit de toute sujétion et contrainte. Il n'y a rien
de mal en la vie pour celui qui a bien compris que la privation de la vie n'est pas mal. »
Paul Ricœur enfin donne une définition de la « vie bonne » qui est tout à fait à propos :
« vivre avec et pour autrui dans des institutions justes. »
Démarche méthodologique de la recherche
●
Anne WINTER rappelle que le cahier des charges de ce projet stipulait la mise en
place d'une étude portant sur les indicateurs pertinents de la problématique suicidaire,
depuis l'idée suicidaire elle-même jusqu'à sa mise en acte qui peut être ratée ou réussie
─ des indicateurs permettant de décrire un processus de fragilisation pouvant conduire au
passage à l’acte.
L'appréhension complexe du suicide a conduit à mettre en place une équipe pluridisciplinaire
de chercheurs groupant des spécialistes en sociologie des organisations, psychologie
clinique, psychopathologie, criminologie et psychologie de la santé.
Le travail se présente sous forme d'une recherche-action consistant en une coconstruction
théorique et praxéologique sur l'exploration du risque suicidaire au travail. Il s'agit
concrètement de définir des axes de compréhension, éventuellement des profils d'actes qui
peuvent être dégagés et des modalités d'orientation telles qu'elles sont possibles au sein des
réseaux constitués, de manière à sensibiliser les professionnels et favoriser une démarche
d'anticipation de ce risque. L'objectif est de mettre en place un outil pouvant servir aux
professionnels pour lire, comprendre et traiter le phénomène suicidaire de manière objective
et scientifique.
La question du suicide donne lieu à différentes approches théoriques qui peinent à
converger vers une articulation fine des dynamiques en jeu. Pour autant, elles s'accordent
toutes à mettre en évidence que le suicide lié au travail ne repose pas intégralement sur les
charges et les contraintes qui lui sont attenantes ; il y a en effet un rapport individu/travail qui
doit être privilégié et permettre de restituer plus largement les démarches d'action dans un
contexte d'altérité qui est lui-même fragilisé ou en risque de l'être. À cet effet, l'étude vise à
évaluer :
–
l'effet du traitement médiatique et politique participant à la construction de cet
« objet suicide » ;
–
la place qu'occupe le suicide au sein de l'entreprise et les conséquences qu'il
entraîne au niveau organisationnel ;
–
la part qui relève de l'individu et celle qui relève du travail.
Le protocole méthodologique se décline en trois temps :
–
le travail en ateliers groupant des professionnels du milieu de l'entreprise et du
secteur public, tous domaines confondus ; deux groupes ont été organisés à
raison de trois rencontres d'une demi-journée chacune, la trame étant la prise en
compte des RPS au travail, la qualité des relations sociales dans l'entreprise, le
contexte de changement de ces dernières années, les possibilités d'anticipation
des problèmes ;
–
constitution d'une banque d'étude, avec des vignettes cliniques, un recueil de
données et l’élaboration de modélisations pour repérer les dimensions en jeu et
procéder à un diagnostic différentiel permettant de considérer les espaces en
cause et leurs limites ;
–
mise en place d'un guide pratique pour essayer d'orienter les professionnels.
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La fin de ce travail est prévue pour décembre 2011.
Les premiers résultats
Jean Philippe MELCHIOR indique que la question sous-jacente lorsqu'on évoque le suicide
au travail, c'est la responsabilité pénale et civile de l’entreprise reconnue par les juridictions,
car cela pose, par-delà les coûts financiers de la réparation, le problème de l'image sociale
de l'entreprise qui peut en sortir ternie.
Il y a également la responsabilité morale de celles et ceux qui estiment qu'ils n'ont pas su
empêcher le passage à l'acte, alors que leurs fonctions ou leur proximité avec le suicidé
auraient dû les conduire à davantage de vigilance.
Le dernier niveau se réfère à la responsabilité sociale de l'entreprise à l'égard de l'ensemble
des salariés qui attendent globalement d'être mieux traités dans tous les sens du terme, pour
que ce qui est arrivé une fois ne se reproduise pas.
■
La fragilité de l'individu est reconnue et clairement identifiée par les collègues et la
hiérarchie depuis assez longtemps, mais on observe curieusement une grande élasticité du
temps et une grande tolérance à la souffrance constatée : en gros, personne ne bouge, et il
s'agit de savoir pourquoi.
■
Des initiatives sont quelques fois prises, mais elles ont tendance à isoler l'individu
fragile du reste du groupe, ce qui donne lieu à de la stigmatisation et à un phénomène de
bouc émissaire, et cela est valable autant pour ladite victime que pour lesdits agresseurs. Ce
problème doit donc être dépassé, et il faut savoir comment et quand intervenir.
■
La question qui est souvent posée est de savoir à quoi on accorde le plus
d’importance, à l'économique ou au salarié heureux. En fait, on sépare travail et travailleur et
on casse le collectif du travail qui est pourtant un facteur important de bien-être au travail.
Astrid HIRSCHELMANN signale qu’il a été beaucoup question de la prévention, mais qu’il
faut parler également de la postvention.
Jean Philippe MELCHIOR rappelle qu'en matière de prévention, on connaît un certain
nombre de techniques et de méthodes aisément utilisables et qui consistent à faire parler les
salariés pour connaître leur perception de leur réalité au travail. Cela passe notamment par
l’enquête par questionnaire, qui peut être réalisée par une expertise extérieure, mais le plus
souvent en étroite collaboration avec les IRP, notamment le CHSCT. Les indicateurs qu'on
arrive à dégager grâce à ce type d'enquête sur la qualité de vie au travail doivent être
complétés par des entretiens qualitatifs semi-directifs avec un certain nombre de salariés,
afin de mieux repérer les situations problématiques.
L'enquête par questionnaire a donc vocation à libérer la parole, y compris sur la question de
l'organisation du travail, et le principe de la libération de la parole doit être accepté par les
directions, sinon l'évaluation des RPS peut s'avérer impossible.
Astrid HIRSCHELMANN ajoute que la postvention (qui est souvent confondue avec la
prévention tertiaire) se réfère aux activités pouvant être mises en place, afin d’intervenir
auprès de personnes ayant été exposées au suicide d'une personne de leur entourage. Il
s'agit de prévenir les effets du suicide et ainsi prévenir la contagion, c'est-à-dire le processus
qui entraîne la reproduction du geste suicidaire.
Pour ce faire, les enquêteurs ne peuvent pas se limiter au discours de l'employeur, ils
doivent apprécier les moyens réels et la marge de manœuvre que l'entreprise va s'accorder
pour traiter les problèmes rencontrés, au besoin en réévaluant son organisation pour
améliorer l'ambiance générale au travail.
Afin de permettre justement aux entreprises d'adapter une posture de bienveillance,
plusieurs points ont été relevés par les enquêteurs :
–
interpréter le mieux possible les problèmes individuels ;
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–
faire le diagnostic différentiel des raisons privées ou professionnelles du suicide ;
–
repérer les signes cliniques, ce qui nécessite une bonne connaissance des
salariés ;
–
distinguer entre les maladies mentales éventuelles et les problèmes d'ordre
physique, notamment quand il s'agit de problèmes d'alcoolisme ou de formation
de situations de stress ;
–
définir l'articulation entre le singulier et le groupal pour rompre la loi du silence et
poser les bonnes interventions au bon moment ;
–
distinguer entre pénibilité du travail et bien-être ou mal-être au travail, car, plus le
travail est pénible, plus la dynamique de groupe est importante, et ce n'est pas
dans les situations où le travail est pénible que le salarié souffre le plus ;
La limite entre ces opposés est toujours floue, et il faut veiller à trouver un bon équilibre.
Les préconisations
Assurer au niveau de l'ensemble de l'entreprise la cohérence d’une politique RH en
matière de traitement des RPS.
Envisager la possibilité d'avoir un spécialiste RH hors hiérarchie qui soit en mesure
de traiter les problématiques de souffrance au travail.
Donner une cohérence aux différentes actions menées par l'entreprise.
La deuxième catégorie de préconisations concerne le rapport aux salariés.
Le suicide au travail n’est plus un sujet tabou, et il est tout à fait envisageable de
l'évoquer avec les salariés, notamment lors de leur intégration, en leur expliquant
que, sur une longue carrière professionnelle, les risques psychosociaux peuvent
survenir et qu'il faut alors en parler aux interlocuteurs clairement identifiés, les IRP,
mais aussi les médecins du travail, voire le cadre de proximité
La question de la communication est essentielle dans ce domaine, surtout
l'information ascendante, car elle permet de repérer les situations compliquées ; il
faut que les salariés puissent exprimer leur mal-être, et il serait indiqué pour favoriser
cette expression d'envisager des espaces dédiés.
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La communication horizontale est également importante, car le lien social entre les
salariés est important ; or, l'organisation du travail ces dernières décennies a conduit
très souvent à l'éroder.
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Les entreprises doivent prendre la mesure du désir de reconnaissance des salariés,
tant pour le travail qu’ils fournissent que pour les difficultés qu’ils rencontrent.
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La prise en compte et la valorisation par les entreprises du travail effectif, au-delà du
travail prescrit ou idéal.
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