Les Collectivités territoriales dans l`Union européenne

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Nicolas Kada
Les Collectivités territoriales
dans l’Union européenne
Vers une Europe décentralisée ?
Presses universitaires de Grenoble
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La collection « Europa » est dirigée par Henri Oberdorff.
Dans la même collection
B. Lukaszewicz, H. Oberdorff (dir.), Le Juge administratif et l’Europe : le dialogue
des juges, 2004
H. Oberdorff (dir.), L’Européanisation des politiques publiques, 2008
H. Oberdorff, L’Union européenne, 2e édition, 2010 (1re édition 2007)
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Liste des principales abréviations utilisées
Al.
Alinéa
Art.
Article
ARE
Association des régions d’Europe
ATR
Administration territoriale de la République
CC
Conseil constitutionnel
CCRE
Conseil des communes et régions d’Europe
CdR
Comité des régions
CGCT
Code général des collectivités territoriales
CRPM
Conférence des régions périphériques maritimes d’Europe
CE
Conseil d’État
CGLU
Cités et gouvernements locaux unis
CJCE
Cour de justice des communautés européennes
DATARDélégation interministérielle à l’aménagement du territoire
et à l’attractivité régionale
DGF
Dotation globale de fonctionnement
DIACTDélégation interministérielle à l’aménagement et à la compétitivité
des territoires
EPCI Établissement public de coopération intercommunale
FEDER Fonds européen de développement régional
FEOGA Fonds européen d’orientation et de garantie agricole
GECT
Groupement européen de coopération territoriale
GEIE
Groupement européen d’intérêt économique
GIP
Groupement d’intérêt public
GLCT
Groupement local de coopération transfrontalière
JOCE
Journal officiel des communautés européennes
JORF Journal officiel de la République française
LOADT Loi d’orientation / aménagement et développement du territoire
NUTS
National units for territorial statistics
PCP
Politique commune de la pêche
SEML
Société d’économie mixte locale
SGAE
Secrétariat général aux affaires européennes
TUE
Traité sur l’Union européenne
UE Union européenne
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n Introduction n
L’idée de décentralisation a longtemps été associée à la seule institution communale.
Il suffit de relire les écrits d’Alexis de Tocqueville1, par exemple, pour s’en convaincre. Les débats autour des libertés communales ont en effet marqué la Révolution
française mais aussi d’autres pays européens, du Nord au Sud, tous concernés par le
développement des villes et l’exode rural, certes à des degrés divers et à des périodes
parfois différentes. « Ce n’est pas une singularité française, mais une donnée commune
à tous les États européens, de la Suède à l’Italie » constate ainsi le professeur Gérard
Marcou2. Pourtant, depuis maintenant une quarantaine d’années, un nouveau niveau
d’administration territoriale semble s’imposer comme référence en termes de décentralisation en Europe, et même détrôner la commune : la région. C’est ainsi qu’est
née et a été popularisée l’idée d’une Europe des régions. Or, il est temps désormais
de dépasser cette formule et d’explorer plus précisément ce qu’il en est d’une Europe
des collectivités locales… autrement dit, d’une Europe décentralisée.
Précisions terminologiques préalables
Poser la question de l’organisation du pouvoir au niveau local dans les différents
systèmes étatiques de l’Union européenne nécessite tout d’abord de préciser quelques
notions théoriques, avant d’en analyser les évolutions pratiques.
La centralisation
La centralisation signifie qu’il y a une unité dans l’élaboration des normes et une
uniformité dans leur exécution, comme dans la gestion des services. Il y a donc une
conception unique de la règle de droit sur l’ensemble du territoire. Aussi Chaptal,
futur ministre de l’intérieur de Napoléon Bonaparte, affirmait-il en l’an VIII : « Le
préfet, essentiellement occupé de l’exécution, transmet les ordres au sous-préfet,
celui-ci au maire des villes, bourgs et villages, de manière que la chaîne d’exécution
descende sans interruption du ministre à l’administré, et transmet la loi et les ordres
du gouvernement jusqu’aux dernières ramifications de l’ordre social, avec la rapidité
du fluide électrique »3. Dans ce cas, l’architecture générale des différents services de
l’État présente une structure très homogène, similaire d’un lieu à l’autre du territoire.
1.
Et notamment : A. de Tocqueville. L’Ancien régime et la Révolution. Paris, Flammarion, 2006, 411 p.
2.
G. Marcou. Les régions entre l’État et les collectivités locales. Étude comparative de cinq États européens à
autonomie régionale ou constitution fédérale. Rapport du GRALE pour le Ministère de l’Intérieur (CEP),
janvier 2003. p. 7.
3.
Propos extraits du discours de Chaptal devant le Corps Législatif à l’occasion de la présentation du
texte de la future loi du 28 pluviôse an VIII.
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Nombre d’États européens, au premier rang desquels se trouve assurément la France,
ont ainsi privilégié une organisation centralisée de leur administration, généralement
dans un but d’aménagement du territoire mais aussi de contrôle strict des libertés locales.
La décentralisation
La décentralisation4 permet d’accorder une certaine autonomie à des collectivités
territoriales, élues et libres de s’administrer comme elles le souhaitent, mais toujours
dans le cadre d’une unique loi nationale qui continue de s’imposer à elles. Dès lors,
les collectivités décentralisées ne sont pas dans une situation de dépendance à l’égard
du pouvoir central et peuvent évoluer de façon relativement diversifiée. Mais il y
a des limites à cette autonomie, clairement posées par la loi et la constitution, et
garanties par un contrôle étatique des actes de ces collectivités décentralisées. Tous
les États européens connaissent désormais, à des degrés bien évidemment divers,
une forme de décentralisation.
La déconcentration
La déconcentration5 peut apparaître comme une voie moyenne, intermédiaire entre
les deux précédents modèles d’organisation de l’État : il s’agit en effet d’une simple
délégation de compétences, au sein de l’État, en direction d’autorités territoriales
placées au plus près des citoyens mais toujours nommées par le pouvoir central. Il
s’agit donc avant tout d’une technique d’organisation administrative, consistant à
répartir les compétences, puis les moyens – matériels, financiers et humains – au
sein de cette unique personne morale qu’est l’État, en procédant à des délégations
d’une administration centrale vers ses services déconcentrés. Cette notion s’oppose
à celle de concentration qui est un système administratif dans lequel le pouvoir de
décision est concentré au sommet de l’appareil d’État.
Permettant d’alléger la charge administrative qui incombe aux services centraux,
la déconcentration favorise à l’inverse une accélération de la prise de décision au
niveau local, à l’image de la célèbre formule que l’on doit à Odilon Barrot : « c’est le
même marteau qui frappe, mais on en a raccourci le manche ». Très largement utilisée
par les États unitaires, la déconcentration peut également l’être par les collectivités
territoriales ou les États fédérés qui s’assurent ainsi un meilleur circuit de décision
au niveau administratif sans pour autant renoncer au maintien d’un contrôle hiérarchique. Ainsi, l’unité de l’institution est préservée dans la mesure où les chefs de
service6 conservent leur traditionnel pouvoir d’instruction (pouvoir de donner des
4.
Pour aller plus loin en ce qui concerne les définitions, se reporter à : G. Cornu (sous la direction
de…). Vocabulaire juridique. Paris, PUF, 8e édition, 2007, 986 p.
5.
Voir aussi : N. Kada. Le préfet et la déconcentration sous la Cinquième République. Lille, Presses universitaires du Septentrion, 2000, 699 p. et A. Larangé. La déconcentration. Paris, LGDJ, 2000, 116 p.
6.
Par chefs de service, il faut entendre ici : ministres, préfets, exécutifs des collectivités territoriales ou
exécutifs des établissements publics.
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Introduction
ordres), de réformation (pouvoir de modifier une décision), d’annulation (pouvoir
de revenir rétroactivement sur une décision prise) et de sanction. La déconcentration permet donc à l’État ou à toute autre personne morale d’agir, tout au moins en
théorie, avec une plus grande efficacité et plus rapidement7.
Le fédéralisme
Il s’agit d’une organisation institutionnelle très différente des trois modèles précédents,
reposant sur le principe d’autonomie et de superposition d’un État fédéral et d’États
fédérés8. Il revient alors à la constitution de distinguer les rôles respectifs de chacun
(comme le montre l’exemple allemand depuis 1949) alors que cette distinction ne
nécessite qu’une simple loi dans les États unitaires, qu’ils soient décentralisés ou non.
La compétence de l’État fédéral est ainsi limitée, car précisée par la constitution ellemême. Par principe, les États fédérés sont libres d’agir à leur guise, dans le respect
bien sûr de leurs compétences et de la constitution fédérale.
Une fédération peut naître soit de la réunion de plusieurs États au sein d’une même
organisation fédérale, soit de la scission d’un État unitaire en différentes entités
fédérées. Qu’il s’agisse d’un fédéralisme par agrégation ou par dissociation, la forme
institutionnelle ainsi obtenue implique une double loyauté des citoyens à l’égard
de la Fédération et à l’égard de l’État fédéré. Ce dépassement du dogme de l’unité
absolue de l’État, qui demeure encore valable pour les États unitaires, a été théorisé
et promu par certains intellectuels américains, tel Alexander Hamilton9.
Cependant, au-delà même de cette typologie, l’Union européenne présente désormais
un paysage éclaté, où il est parfois difficile de classer, selon les catégories précédentes,
chacun des vingt-sept États membres. Des évolutions récentes montrent d’ailleurs la
fragilité de ces distinctions… ou tout au moins leur caractère toujours provisoire. Dès
lors, s’intéresser aux collectivités territoriales et aux États en Europe n’a de sens que
dans une optique comparatiste et dynamique. Ainsi apparaissent clairement deux
tendances de fond, éminemment liées, depuis une trentaine d’années : la montée en
puissance des collectivités décentralisées dans chacun des États européens et la prise en
compte de cette décentralisation par les institutions communautaires elles-mêmes.
Mais ce double constat est souvent mal interprété dans la mesure où il permet d’entretenir maladroitement une idée reçue – celle d’une Europe des régions, dont la
véritable consistance reste encore à démontrer – et d’illustrer une volonté récente de
décentralisation en Europe, presque concomitamment dans tous les États membres.
Enfin, il occulte également une diversité pourtant rassurante qui s’incarne dans l’idée
7.
Ainsi pouvait-on lire dans l’exposé des motifs du décret français du 28 mars 1852 : « On peut gouverner de loin mais on n’administre bien que de près ».
8.
Se reporter notamment à : O. Beaud. Théorie de la fédération. Paris, PUF, 2009, 447 p.
9.
A. Hamilton, J. Madison et J. Jay. Le fédéraliste (version française du Professeur Gaston Jèze). Paris,
Economica, 1988 (nouvelle édition), 788 p.
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d’une Europe décentralisée entendant défendre et promouvoir la démocratie locale,
sans imposer un quelconque modèle uniforme d’organisation territoriale.
Une idée reçue : l’Europe des régions
Alors que les États européens semblent affaiblis, le niveau administratif immédiatement
inférieur à l’État central apparaît quant à lui privilégié et de plus en plus pertinent.
L’affaiblissement des États-nations
Comme le soulignent nombre d’observateurs à l’instar d’Anne-Marie Le Gloannec10, on constate une évidente vulnérabilité de certaines nations européennes. En
effet, la nation est souvent mise à l’épreuve : l’Espagne et l’Italie sont régulièrement
menacées par des mouvements séparatistes, l’avenir de la Belgique est compromis,
la France et le Royaume-Uni approfondissent leur décentralisation. Dans le même
temps, apparaissent de nouvelles nations : la Slovaquie, la Slovénie, la Macédoine
ou encore l’Ukraine, au-delà des frontières européennes. Parallèlement, le principe
des nationalités se trouve dévoyé car il est invoqué pour justifier des désordres en
Europe ou manipulé par des partis politiques extrémistes.
Cette confusion autour de l’idée de nation s’explique de différentes manières. Ce
sont d’abord des raisons économiques et culturelles qui peuvent expliquer certaines
revendications régionalistes. De même, les inégalités géographiques dans le développement génèrent des frustrations pour les uns, et un certain égoïsme pour les
autres. Par ailleurs, la nostalgie demeure face à la disparition de certaines sociétés
paysannes, dialectes et langues minoritaires. Enfin, les excès d’une gestion technocratique de l’État central alimentent les protestations de la part des partisans de la
décentralisation.
Face à ce constat, les conséquences divergent. Dans certains cas, des négociations,
accommodements ou compromis permettent l’apaisement (à l’image de l’exemple
français). Mais, dans d’autres cas, les revendications autonomistes demeurent insatiables et entraînent l’État vers une rupture de l’unité, voire un risque de sécession,
comme en témoigne le cas de la Belgique.
La montée en puissance des régions en dépit de difficultés de définition
Il est incontestable que les institutions de l’Union européenne soutiennent les
collectivités décentralisées et, parmi elles, prioritairement les régions, pour deux
raisons principales. Tout d’abord, les pères fondateurs de l’Europe comme les grands
défenseurs actuels de l’Union sont d’incontestables partisans de la démocratie ; ils
restent convaincus que les libertés locales constituent de solides garanties contre les
10. A.-M. Le Gloannec (sous la direction de). Entre Union et nations, l’État en Europe. Paris, Presses de
Sciences Po, 1998, 295 p.
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Introduction
gouvernements autoritaires ou dictatoriaux. Ensuite, partout s’installe une réelle
impatience face aux lenteurs de la construction européenne dues le plus souvent
aux souverainetés ou égoïsmes nationaux : l’idée s’impose donc de « contourner
l’obstacle » et de favoriser les instances infra-étatiques en organisant des relations
directes. Ceci est d’autant plus facile que d’importants financements européens sont
mis en place en direction des régions.
Mais le schéma tentant d’une Europe des régions11 construite contre une Europe des
nations constitue cependant une vision irréaliste et fausse, à l’image de la politique
de cohésion dont les programmes sont préparés sous l’autorité des États.
Cette montée en puissance des régions au niveau européen n’est pas sans poser tout
d’abord un problème de définition. En effet, même si la « région » est ici entendue
comme l’échelon administratif directement inférieur à celui de l’État souverain, le
terme n’en demeure pas moins trompeur, car équivoque. Aussi, à Bruxelles, préfèret-on employer la notion de « NUTS » (National units for territorial statistics) qui ne dépend
que de la taille géographique. En effet, la Commission européenne a subdivisé les
pays de l’Espace économique européen12 en unités territoriales. Celles-ci sont définies
uniquement pour les besoins statistiques et ne recouvrent pas forcément les unités
administratives officielles.
Pour faciliter et accompagner cette identification, chaque État européen reçoit ainsi
un code alphabétique13, puis est divisé en unités statistiques elles-mêmes structurées
en trois niveaux par pays14 :
– la catégorie NUTS-1 recouvre des unités territoriales généralement composées de
trois à sept millions d’habitants ;
– la catégorie NUTS-2 représente des unités de 800 000 à 3 000 000 habitants ;
– la catégorie NUTS-3 concerne enfin des unités composées, en moyenne, de 150 000 à
800 000 habitants15.
11. Nombreux sont pourtant les ouvrages ou articles qui cèdent à cette tentation. C’est notamment le
cas de : C. du Granrut. Europe, le temps des régions. Paris, LGDJ, 1998, 204 p ; G. Pierret. Europe des régions, la face cachée de l’Union. Paris, Apogée, 1998 ; J.-F. Drevet. La France et l’Europe des régions. Paris,
Syros, 2001.
12. C’est-à-dire l’Union européenne et les pays de l’Association européenne de libre-échange (AELE)
qui participent aussi à des programmes communs de développement.
13. Proche du code ISO 3166-1 officiel. La seule exception est le code du Royaume-Uni qui utilise traditionnellement le code UK depuis son adhésion progressive aux Communautés européennes.
14. Comme tous les pays n’ont pas des unités administratives correspondant à ces seuils, certains niveaux ne sont pas utilisés et se réduisent à un seul membre dans le niveau supérieur ou inférieur.
15. Cette définition, cependant, n’est pas toujours respectée par Eurostat. Par exemple, la région Îlede-France, avec 11,3 millions d’habitants, était traditionnellement considérée comme une région
NUTS-2 mais forme désormais une région NUTS-1 à elle seule (séparée des autres régions françaises
du bassin parisien qui forme une autre région NUTS-1). À l’inverse, le Land de Brême en Allemagne,
avec seulement 662 000 habitants, est classé comme une région NUTS-1, afin de conserver la délimitation fédérale des Länder, sans les regrouper, en raison de leur pertinence aux plans institutionnel
et constitutionnel.
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Afin de faciliter les comparaisons, de mesurer la réalité des planifications nationales et
régionales et d’assurer un suivi de l’intégration, cette nomenclature commune avait
été étendue aux pays candidats à l’adhésion à l‘Union européenne. Ce fut ainsi le cas
pour les douze nouveaux États qui ont rejoint l’Union européenne après 1995 : leur
nomenclature NUTS initialement transitoire a finalement été directement intégrée,
sans modification notable.
Concrètement, la définition recourt à la moyenne nationale des subdivisions administratives équivalentes, puisque le label NUTS entend privilégier les classifications
administratives nationales sans introduire de sous-découpage arbitraire, et vise ensuite
à les regrouper selon le même critère de seuils démographiques.
Les problèmes de classification
Au-delà des comparaisons statistiques et des définitions terminologiques, l’observation
de la genèse elle-même du fait régional aboutit à des analyses sensiblement divergentes
selon l’approche retenue16. Ainsi, une analyse essentiellement historique, géographique ou socio-économique n’aboutit pas exactement aux mêmes classifications.
Par exemple, selon les historiens, certaines régions, désormais intégrées dans des
ensembles politiques plus vastes, ont connu par le passé un statut d’indépendance
ou d’autonomie, ont présenté des institutions particulières et/ou ont été pendant
des siècles dirigées par leur propre dynastie. C’est notamment le cas, par exemple,
du duché de Bretagne, de l’Aquitaine, du royaume d’Écosse, du Pays de Galles, de la
Catalogne, du Bade-Wurtemberg, de Hanovre, de la Bavière, ou encore des provinces
des Pays-Bas. Il s’agit donc de territoires qui présentent un passé souvent prestigieux,
entretenu par les historiens eux-mêmes, qui soude la conscience collective. Sans passé
glorieux, d’autres régions présentent une langue régionale et une histoire (parfois
récente) forte, qui a fait naître un sentiment d’appartenance et d’identité. On peut
citer notamment les exemples de l’Alsace, du val d’Aoste ou encore du Pays basque
en Espagne. Enfin d’autres régions sont nées d’un simple découpage administratif
ou d’un compromis politique, mais cet état de fait n’interdit pas qu’y apparaissent
néanmoins des complémentarités, des solidarités ou des références communes.
Si l’on retient les analyses des géographes, il convient de distinguer tout d’abord
l’idée de « régions naturelles », qui apparaît dans la littérature géographique à la fin
du XVIIIe siècle, lors des premières tentatives d’élaboration de cartes géologiques. Ces
régions sont alors censées apporter une description raisonnable du territoire national. C’est l’approche française, couronnée par Vidal de la Blache, qui permet ainsi
d’identifier le Bassin parisien, les Ardennes, la Flandre, l’Alsace, la Lorraine, le Massif
Central, l’Ouest et le Sillon rhodanien, entre autres. Cette idée initiale s’accompagne
par la suite d’un complément administratif à la demande du président du Conseil,
16. Lire à ce propos : P. Deyon. Régionalismes et régions dans l’Europe des Quinze. Paris, Bruylant, éditions
locales de France, 1997, 158 p.
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Introduction
Aristide Briand, en 1910. Il s’agit alors d’un projet de régionalisation administrative
de la France autour de métropoles économiques et industrielles régionales, dessinant
17 circonscriptions régionales. Avec les progrès de la planification, on note finalement
l’abandon de la géographie naturelle au profit d’une géographie plus dynamique,
puis au profit d’une géographie volontaire, c’est-à-dire tenant véritablement compte
du bassin de vie et des échanges de tous ordres qui s’y déroulent.
Enfin, une analyse socio-économique autorise encore d’autres classifications. C’est
l’intervention des économistes allemands et américains qui renouvelle l’approche,
ce qui est légitime au regard du développement industriel fulgurant de l’Allemagne à
partir de 1850 et du développement urbain des États-Unis d’Amérique. Les Allemands
développent ainsi l’idée de l’existence de réseaux de villes, dessinant de véritables
systèmes régionaux. Les économistes allemands rejoignent même leurs homologues
américains pour contester la légitimité de la délimitation d’espaces au niveau régional.
Cette conception est logique aux États-Unis en raison de l’absence d’histoire commune
et d’une extrême mobilité des personnes et des facteurs de production17. En revanche,
il s’agit d’une approche qui a du mal à s’imposer en Europe, où l’on reste persuadé
que la région est un bon cadre pour une action publique volontariste.
Pluralité des approches, absence de consensus, mais aussi diversité des régions, de
leur taille, de leur statut, de leurs compétences, de leur richesse, de leurs ressources
financières… autant de constats indéniables qui mettent à mal l’idée, a priori séduisante, d’une Europe des régions. Ainsi, certains Länder allemands sont quinze fois
plus grands en taille que des comtés anglais, alors que la population de RhénanieNord-Westphalie équivaut à 25 fois celle du Limousin ; de même les ressources du
Bade-Wurtemberg dépassent celles de plusieurs États de l’Union européenne et le
budget de la Catalogne avoisine la somme totale des budgets de toutes les régions
de France18. L’Europe des régions ne serait donc qu’une représentation illusoire et
réductrice de réalités locales très différentes d’un territoire à l’autre, néanmoins toutes
affectées par un mouvement politique commun depuis une trentaine d’années : la
décentralisation.
Une volonté récente : la décentralisation en Europe
Parée de nombreuses vertus, sans doute parfois d’ailleurs avec excès, la décentralisation plus encore que la régionalisation s’impose, en l’espace d’une trentaine d’années
seulement, comme une réforme administrative de grande ampleur dans la plupart
des pays européens.
17. C’est peu surprenant également aujourd’hui à l’heure de l’Organisation mondiale du commerce
(OMC), du Fonds monétaire international (FMI) et de la mondialisation des échanges de tout type.
18. Données issues notamment de : O. Belbéoch. Atlas géographique des régions de France et d’Europe. Paris,
PMF, 2002, 64 p.
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Des avantages incontestables
Les Trente Glorieuses ont été accusées d’avoir creusé les écarts de développement
entre territoires tout en exaspérant les revendications régionalistes. À son tour,
dans les années 1970, la crise économique fournit des arguments aux partisans de
la décentralisation : cette dernière est alors présentée comme devant permettre de
lutter contre la crise, de relancer la croissance, de mobiliser les initiatives locales, et
même de réduire les atteintes à l’environnement.
De ce fait, pour certains économistes, la centralisation étatique est synonyme de
coûts financier et humain excessifs. En effet, la désertification induit un fonctionnement des services publics plus onéreux. À l’inverse, la concentration des activités
en un seul lieu entraîne de fortes dépenses d’infrastructures ainsi que des atteintes
à l’environnement. Mais la centralisation est aussi génératrice de retard dans la
circulation de l’information, de comportements bureaucratiques, de corporatisme, de
négation des considérations locales, etc. La décentralisation est ainsi dotée de toutes
les qualités, y compris en matière de lutte contre le chômage ou de promotion de
l’investissement.
Une décentralisation concomitante en Europe
À partir des années 1970 en Europe occidentale, se développent presque simultanément de nombreuses réformes des administrations territoriales19. Elles n’ont bien
évidemment pas toutes la même signification, ni la même ampleur, mais leur simultanéité n’est pas innocente. De 1970 à 2000, ce sont donc près de trois décennies qui
marquent en quelque sorte l’âge d’or de la décentralisation en Europe, même si le
mouvement se perpétue par la suite, de façon plus diffuse (à l’exception de l’Italie
et de la France)20.
Il y a d’abord un certain nombre d’États européens21 où les structures administratives
et l’organisation générale ont été modifiées. C’est notamment le cas du Danemark,
où le gouvernement central procède à une division par deux du nombre de comtés et
par six du nombre de communes en 1970. Au Portugal, la régionalisation est annoncée par la Constitution dès 1976, et engagée véritablement à partir des années 1990.
En Espagne, l’autonomie des communautés et des régions est proclamée et mise en
œuvre dans la Constitution dès 1978. La Belgique assiste à sa propre transformation,
en passant du statut d’État unitaire simplement décentralisé en 1980 à celui d’État
19. Cf. Y Mény (sous la direction de). La Réforme des collectivités locales en Europe : stratégies et résultats. Paris,
La Documentation française, 1984, 191 p.
20. Cf. G. Marcou et H. Wollmann (sous la direction de). Annuaire 2004 des collectivités locales. Réforme de
la décentralisation, réforme de l’État, régions et villes en Europe. Paris, CNRS, 2004, 894 p.
21. Il va de soi que ce sont exclusivement les États de l’Europe occidentale qui sont concernés par ce
vaste de mouvement de décentralisation, les États d’Europe de l’Est ne pouvant alors prétendre au
statut de démocraties libérales.
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Introduction
fédéral en 1993. En France, après la mise en œuvre des grandes lois de décentralisation
en 1982, on assiste à la constitutionnalisation de l’organisation décentralisée de la
République et de la région en 2003. Aux Pays-Bas, la décentralisation est une réalité
depuis 1985. La Grèce se décentralise, quant à elle, certes de manière incomplète,
dès 1986. En Finlande, des régions sont mises en place en 1994. La Suède adopte la
régionalisation en 1995. L’Irlande procède à une régionalisation de ses structures à
partir de la même année. Le Royaume-Uni se lance à son tour dans la décentralisation, selon des modalités particulières, en mettant en œuvre une politique dite de
devolution à partir de 1998.
Par ailleurs, au-delà des évolutions structurelles, il s’agit dans certains cas d’une
réforme de la répartition des compétences entre administrations centrales et collectivités décentralisées ou fédérées. Aussi l’Autriche procède-t-elle très tôt au transfert de la compétence liée au logement de l’État central à ses Länder. Le Danemark
opte pour une municipalisation de la sécurité sociale dans les années 1970 et 1980.
L’Italie opère le transfert du pouvoir législatif aux régions en 2000 et promeut la
mise en place d’un « fédéralisme administratif ». La France transfère de nouvelles
compétences aux collectivités décentralisées en 2003-2004. L’Espagne décentralise
ses systèmes de santé et d’enseignement, puis autorise une autonomie accrue pour
la Catalogne en 2006.
La régionalisation ainsi observée de manière concomitante dans de nombreux pays
européens ne doit pas faire illusion pour autant. Les États de l’Union européenne
demeurent en effet organisés selon des modèles théoriques différents22, même si leur
évolution et leur mise en œuvre pratique présente d’intéressants rapprochements.
Au-delà de ces modèles de référence, chaque État européen développe ainsi sa propre
conception et sa propre mise en application, en tenant compte de ses spécificités
historiques, culturelles, géographiques ou socio-économiques.
En matière de fédéralisme, l’Allemagne se présente naturellement comme la référence
en Europe. Toutefois, d’autres États du continent s’y essaient également, à leur rythme
ou à leur manière (la Belgique), ou même, de manière plus limitée (l’Italie). Enfin,
on constate que des États traditionnellement très centralisés, s’engagent toujours
davantage sur la voie de la décentralisation, à l’image de la France par exemple. La
présentation succincte de ces différents modèles d’organisation territoriale témoigne
de la grande diversité qui prévaut en termes d’administration décentralisée en Europe.
L’alliance du fédéralisme et de la décentralisation : l’Allemagne
Avec ses seize Länder depuis la réunification (treize territoires et trois villes-États
que sont Brême, Berlin et Hambourg), l’Allemagne est l’exemple classique en droit
comparé d’un État fédéral. Le pays présente un appareil administratif à trois niveaux :
22. Se reporter notamment à : A.-M. Le Gloannec (sous la direction de). Entre Union et nations, l’État en
Europe. Paris, Presses de Sciences Po, 1998, 295 p.
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Les Collectivités territoriales dans l’Union européenne. Vers une Europe décentralisée ?
le niveau fédéral (Bund), le niveau des États fédérés (Länder) et le niveau local, qui
présente deux sous niveaux : l’arrondissement (Kreis) et la commune (Gemeinde).
Entre 1965 et 1977, une vaste réforme territoriale a visé le regroupement ou la fusion
de communes (dont le nombre a alors été divisé par trois environ à l’Ouest), mais les
Länder issus de l’Est présentent encore aujourd’hui un grand nombre de communes.
Au sein de chaque Land, on recense là aussi trois niveaux :
– les autorités du Land, chargées des responsabilités pour l’ensemble du territoire,
sous le contrôle politique et hiérarchique du ministre compétent ;
– parfois des autorités intermédiaires, qui remplissent des fonctions administratives
au sein de l’une des circonscriptions (« districts ») du Land, composées de fonctionnaires du Land ;
– des autorités subalternes, qui dépendent soit de l’administration du Land, soit des
autorités locales, mais agissant pour le compte du Land.
Il n’y a en tout cas aucune homogénéité et uniformité dans les découpages territoriaux et fonctionnels.
L’application des lois est déléguée par le niveau fédéral aux Länder : par conséquent, il
n’y a aucune représentation du gouvernement fédéral au niveau de chaque Land (sauf
dans des domaines restreints, où il y a compétence exclusive de l’État fédéral).
Länder et communes exercent leurs attributions de manière indépendante, sous leur
propre responsabilité et dans le cadre de lois définies par le Land. Par conséquent,
lorsque les autorités locales remplissent des tâches confiées par le Land, elles sont
soumises à un contrôle de légalité de la part du ministre de l’intérieur du Land… ou,
par délégation, de la part du chef d’arrondissement (Kreis).
Enfin, des tribunaux administratifs locaux et des tribunaux administratifs supérieurs
sont chargés de vérifier que les lois des Länder respectent bien les lois fédérales. De
même, il existe une Cour des comptes fédérale, mais aussi des cours des comptes
dans chaque Land.
De la décentralisation au fédéralisme : la Belgique
La fédération du royaume de Belgique est plus récente puisqu’elle date de la révision constitutionnelle du 5 mai 1993, soit plus de vingt ans après l’identification des
communautés wallonne et flamande au sein du Parlement, chacune étant alors dotée
d’une compétence législative en matière culturelle. Il s’agit donc d’un fédéralisme
plus culturel, sans lien direct avec l’histoire (à l’inverse de l’Allemagne), et encore
en cours d’évolution : les élections législatives au printemps 2007 ont montré une
nouvelle fois la volonté des Belges (principalement des Flamands) d’aller encore plus
loin sur la voie de la dissociation.
On recense désormais trois communautés, aux termes de l’article 2 de la Constitution,
selon deux critères territorial et linguistique : les communautés française, flamande
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et germanophone. Mais on distingue également en parallèle trois régions obéissant
à un critère uniquement territorial : la Wallonie (5 provinces, 262 communes), la
Flandre (5 provinces, 308 communes) et la région de Bruxelles-capitale (19 communes seulement).
Au-delà de ce découpage territorial, il existe un certain dédoublement fonctionnel. Ainsi les pouvoirs de l’État central et de l’État fédéral sont-ils assumés par les
gouverneurs de province et les bourgmestres des communes. Tous deux sont nommés
par le roi23 et président les assemblées provinciales et communales dont ils sont les
exécutifs (agissant donc aussi en leur nom propre), comme en France au niveau
départemental jusqu’en 1982.
Le recours à l’intercommunalité est possible pour gérer certains services publics. En ce
qui concerne le contrôle des actes, ce sont les régions qui s’en chargent, puisqu’elles
organisent et exercent la tutelle administrative sur les provinces, les communes et
les associations de communes, à quelques exceptions près pour lesquelles le contrôle
revient directement à l’autorité fédérale. Il s’agit d’un contrôle de légalité mais aussi
d’opportunité afin de vérifier la compatibilité de la décision locale avec l’intérêt
général.
Pour chaque niveau, il y a aussi un contrôle d’opportunité des dépenses, effectué
par les services de l’Inspection des finances. La Cour des comptes exerce quant à elle
son contrôle sur les comptes des collectivités, sauf ceux des communes. On est donc
face à un système relativement complexe.
De la régionalisation au fédéralisme : l’Italie
À la différence du fédéralisme (qu’il soit culturel ou non), il s’agit initialement en
Italie de régionalisation dans un sens politique et institutionnel. Dès 1948, la Constitution organise en effet un système d’administration à trois niveaux infranationaux :
régions, provinces et communes. Le caractère régionalisé a été sensiblement accentué
en 1990 et en 2002. Depuis 2006, l’Italie se rapproche néanmoins sensiblement d’un
système d’organisation fédéral.
Il y a 20 régions en Italie, avec une distinction jusqu’en 2002 entre quinze régions
à statut ordinaire et cinq à statut spécial : la Sicile, la Sardaigne et les régions frontalières, qui disposent toutes de pouvoirs législatifs et administratifs très larges. Elles
ont été instituées entre 1946 et 1948 pour éviter tout séparatisme. De même, on
recense également 100 provinces à statut ordinaire et 2 autres (Trente et Bolzano)
qui disposent de pouvoirs spécifiques, par délégation de leur région de rattachement
(Trentin-Haut-Adige) : on peut dès lors parler de provinces autonomes. Dans chaque
province, on trouve également un préfet de la République, nommé en Conseil des
ministres, dépendant du ministère de l’Intérieur, et représentant le gouvernement
23. Le bourgmestre est néanmoins choisi – sauf quelques exceptions – parmi les élus du conseil communal.
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dans la province. Moins important depuis la régionalisation, il a surtout un rôle de
garant de l’ordre public.
Enfin, on dénombre 8 104 communes, ainsi que d’autres collectivités créées par la
loi : les communautés montagnardes, les autorités sanitaires locales, les structures
intercommunales, voire des unions de communes constituées dans l’optique d’une
fusion, etc.
Le contrôle des actes des autorités locales fait appel à différentes procédures, du fait
que les régions disposent d’un pouvoir législatif. Ainsi, le contrôle des lois régionales
par rapport à la Constitution est exercé par le Conseil des ministres. Le contrôle des
textes administratifs pris par les régions est quant à lui assuré par une commission de
contrôle, présidée par le commissaire du gouvernement ; toutefois le nombre d’actes
soumis à ce contrôle est en forte baisse. Le président de la République peut dissoudre,
après avis de la commission parlementaire pour les affaires régionales, un conseil
régional qui prendrait un acte contraire à la Constitution ou à la loi nationale. Enfin,
le président du Conseil peut suspendre par décret un président de conseil régional
ou l’un de ses membres pour des faits très graves.
Au niveau des communes et des provinces, le contrôle de légalité des actes est exercé
par un comité régional de contrôle. Le président de la République peut dissoudre par
décret une assemblée locale en cas de violation grave à la Constitution ou à la loi. De
son côté, le ministre de l’Intérieur peut destituer par décret un maire, un président
de province, ou un membre des assemblées, pour des faits très graves.
En ce qui concerne le contrôle des comptes, à l’instar de ce qu’il se pratique en
France, la Cour des comptes italienne intervient pour vérifier les comptes de toutes
les administrations nationales ou locales.
Nation et autonomie des nationalités : l’Espagne
Ni État totalement fédéral, ni État centralisé, l’Espagne se veut « l’État des autonomies ». C’est le résultat d’une histoire longue, parfois violente, et de la volonté du
constituant de faire coexister toutes les nationalités qui composent l’Espagne. Il s’agit
donc d’un objectif éminemment politique, que l’on retrouve jusque dans le serment
constitutionnel prononcé par le souverain, qui s’engage à « respecter les droits des
citoyens et des communautés autonomes ».
Ainsi, l’article 2 de la Constitution de 1978 proclame l’unité de la nation espagnole ; il
« reconnaît et garantit le droit à l’autonomie des nationalités et des régions dont elle est
composée »24. C’est ainsi que domine en effet en Espagne l’idée d’un compromis politique.
24. On est ici très loin de la conception française telle que développée dans la décision du Conseil
constitutionnel français sur le statut de la Corse (DC n° 91-290 du 9 mai 1991 – JORF 14 mai 1991,
p. 6350).
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Introduction
Il existe trois niveaux d’administration locale en Espagne : 8 097 communes (municipe),
50 départements (provinces), 17 régions (communautés autonomes) créées entre 1978
et 1983, selon deux catégories (à voie lente et à voie rapide).
Dans les communautés, le degré d’autonomie et les compétences dévolues sont à
géométrie variable. Sous une appellation uniforme, il s’agit donc de collectivités
très diverses dans leur organisation et dans leur fonctionnement. Il y a néanmoins
un même schéma d’organisation dans chaque communauté, avec un gouvernement responsable devant un parlement et un représentant de l’État (le délégué du
gouvernement avec un sous-délégué responsable des forces de sécurité, dans chaque
province). Soulignons à ce propos que les villes de Ceuta et Melilla ont leurs propres
statuts et sont dotées de pouvoirs identiques à ceux des communautés autonomes.
Les provinces ressemblent aux départements français : à la fois collectivités décentralisées et circonscriptions d’action pour l’État, elles sont le résultat d’un découpage
souvent artificiel dont les limites sont définies par une loi organique. Elles sont
généralement peu développées.
Les communes, dotées d’un nombre d’habitants très variable (jusqu’à plus de 3 millions)
mais le plus souvent peu peuplées puisque 60 % d’entre elles ont moins de mille
habitants, sont toutes organisées autour d’un conseil élu au suffrage universel direct à
la proportionnelle, d’un maire élu par les conseillers et d’un commissaire du gouvernement, qui assiste le maire dans les communes de plus de 3 000 habitants. Madrid
et Barcelone sont néanmoins régies par une charte spéciale.
L’État est représenté sur le territoire au niveau régional par le délégué du gouvernement. Il est chargé de diriger l’administration d’État présente dans la communauté
autonome et de veiller, le cas échéant, à la coordination des interventions publiques.
L’État manifeste en outre sa présence, dans chaque province, par l’intermédiaire du
sous-délégué du gouvernement.
En ce qui concerne l’intercommunalité, la structuration des communes est une
compétence des communautés autonomes, qui peuvent aussi modifier les limites
administratives communales.
Enfin, le contrôle des actes nécessite l’intervention de différentes juridictions ou
institutions. C’est le cas du Tribunal constitutionnel pour les actes législatifs des
communautés autonomes, de la Cour des comptes pour les comptes des communautés
autonomes, du gouvernement central (après avis du Conseil d’État) pour les actes
administratifs des communautés autonomes et des Cours des comptes régionales
pour les comptes des collectivités inférieures.
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Unité et décentralisation : la France
En France, les premières véritables lois de décentralisation remontent à la loi du
10 août 187125 et à la loi du 5 avril 188426. Ces lois ont respectivement organisé
l’administration du département en mettant en place le conseil général et déterminé
le régime d’administration communale autour de deux autorités : le maire et le conseil
municipal. À cette époque, les compétences des départements et des communes étaient
très limitées ; le préfet détenait alors le pouvoir exécutif. De ce fait, jusqu’en 1982,
il exerçait un contrôle très étroit, qualifié de véritable « tutelle », sur les actes des
collectivités territoriales (pouvoir d’autorisation, d’approbation et d’annulation).
Les lois promulguées le 2 mars 198227 par le gouvernement de Pierre Mauroy sont
considérées comme l’acte I de la décentralisation28, dans la mesure où elles lui donnent
effectivement toute sa portée en apportant trois innovations majeures. Tout d’abord,
il s’agit de la suppression de la tutelle administrative exercée a priori par le préfet,
remplacée par un contrôle de légalité a posteriori exercé par le tribunal administratif
et la chambre régionale des comptes. Ensuite, il y a eu transfert de l’exécutif départemental du préfet au président du conseil général. Enfin, la région a été érigée en
une collectivité territoriale de plein exercice.
Suite à ces lois dites « Defferre », du nom du ministre de l’Intérieur de l’époque, la
loi du 7 janvier 198329 et la loi 22 juillet 198330 ont précisé la répartition des compétences entre l’État et les collectivités territoriales ; elles ont également instauré des
transferts de ressources.
Le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a remis sur l’agenda politique la réforme
de la décentralisation entre 2002 et 2004 donnant naissance à ce qu’il convient de
désigner comme « l’acte II » de la décentralisation, notamment avec la loi constitutionnelle du 28 mars 200331. Cette révision constitutionnelle a posé le principe de
l’autonomie financière des collectivités territoriales et inclus les termes « région » et
25. Loi du 10 août 1871 relative aux conseils généraux – JORF, 29 août 1871, p. 3041.
26. Loi du 5 avril 1884 relative à l’organisation municipale – JORF, 6 avril 1884, p. 1557.
27. Loi n° 82-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, départements et régions – JORF, 3 mars 1982, p. 730. Loi n° 82-214 du 2 mars 1982 portant statut particulier de la
région Corse – JORF, 3 mars 1982, p. 748 et Loi n° 82-215.
28. Ces différentes lois font suite à la première tentative, manquée, du général De Gaulle d’instituer la
régionalisation (échec du référendum d’avril 1969). Mais la décentralisation de 1982-1983 prend
également en compte les préconisations du rapport « Vivre ensemble » d’Olivier Guichard, mais
surtout le nouveau contexte politique de 1977, date des élections municipales remportées par une
nouvelle génération politique et par le parti socialiste.
29. Loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition des compétences entre les communes, les
départements et les régions – JORF, 9 janvier 1983, p. 215.
30. Loi n° 83-663 du 22 juillet 1983 complétant la précédente – JORF, 23 juillet 1983, p. 2286.
31. Loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République – JORF, 29 mars 2003, p. 5568.
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« décentralisation » dans la Constitution. Elle a également instauré le référendum
décisionnel local et un droit de pétition.
Une diversité rassurante : l’Europe décentralisée
Le continent européen est donc concerné dans son ensemble par la décentralisation,
dont les diverses conceptions et déclinaisons nationales sont davantage appréhendées comme une source de richesse démocratique que comme une contrainte à
combattre. À cet égard, l’action de l’ensemble des institutions européennes privilégie
et encourage cette diversité. C’est d’abord le cas du Conseil de l’Europe, à travers la
Charte de l’autonomie locale et régionale signée le 15 octobre 1985. Mais c’est aussi
le cas de l’Union européenne, par la création en 1988 d’un Conseil consultatif des
collectivités régionales et locales, par la révision en profondeur du fonctionnement
des fonds structurels via notamment l’augmentation sensible de la dotation allouée
à ces fonds pour la période 1993-1997 ainsi que par la mise en place, grâce au traité
sur l’Union européenne du 7 février 1992, d’un Comité des régions, certes consultatif
mais appelé à jouer un rôle croissant.
La reconnaissance des spécificités locales
Il semble ainsi que l’Union européenne ne désire pas non plus aller trop loin dans
l’organisation territoriale et administrative de ses États-membres, d’autant plus que
ceux-ci sont dans des situations fort différentes, comme les quelques exemples précités en témoignent. À côté des États fédéraux, on trouve en effet des États à régions
autonomes, des États unitaires mais décentralisés et des États unitaires peu ou pas
du tout décentralisés. Pourtant, sans que cela ne soit porteur de contradictions mais
tout simplement de nuances, il est indéniable que l’Union européenne promeut un
certain nombre de règles communes qui, à défaut de constituer un modèle unique
d’organisation étatique, façonnent nos différents modèles nationaux. Ceux-ci ont
d’ailleurs tendance à s’affranchir des frontières théoriques traditionnelles pour esquisser de nouveaux modèles d’administration, empreints d’hybridité.
Ainsi, en théorie, la différence entre un État unitaire fortement décentralisé et un
État fédéral tient dans la source du pouvoir. Dans un État décentralisé, il est délégué
par l’État aux collectivités territoriales à l’aide d’une loi. L’État peut donc théoriquement reprendre à tout moment ce pouvoir. Dans un État fédéral, cette délégation de
compétences est prévue par la constitution et ne peut être modifiée aussi facilement.
Or, en pratique, les États européens ne respectent pas toujours cette vision théorique
par trop cloisonnée et esquissent de nouveaux modèles intermédiaires d’organisation,
que l’on peut qualifier d’hybrides.
L’Espagne par exemple demeure nominalement unitaire mais s’apparente à un État
fédéral en accordant de larges autonomies à toutes ses communautés, en particulier à la Catalogne et au Pays basque. La Constitution de 1978 va même jusqu’à
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établir les domaines de compétence de l’État espagnol d’une part mais aussi des
communautés autonomes d’autre part. Un titre leur est consacré, ce qui alimente
l’idée selon laquelle, dans la forme et le fond, l’Espagne s’est constitutionnellement
constituée en fédération. Cependant, pour des raisons de terminologie, le mot est
absent des textes officiels : cela est dû à la volonté politique et culturelle de vouloir
faire de l’Espagne un pays uni dans la diversité, c’est-à-dire un État unitaire formé
de plusieurs cultures.
De surcroît, l’Espagne réunit dans les faits aussi bien des caractéristiques fédéralistes
que confédéralistes. Ainsi, par exemple, le Pays basque et la Catalogne entretiennent
avec l’État une relation sensiblement plus confédérale que les autres Communautés.
C’est une différentiation notable, qui n’est en général pas tolérée dans une fédération par souci d’égalité entre toutes les entités fédérées32. L’Espagne constitue donc,
à l’image de l’Union européenne, un système territorial hybride qui ne connaît pas
d’équivalent dans le monde33.
L’Italie évolue aussi progressivement vers le fédéralisme. Une réforme constitutionnelle
proposée en 2006 avait pour objectif de transformer juridiquement la République
unitaire décentralisée en une vraie République fédérale.
Le Royaume-Uni a accordé des compétences à l’Écosse, au Pays de Galles et à l’Irlande du Nord. L’Angleterre qui réunit l’essentiel de la population du pays n’aspire
cependant pas à l’autonomie. C’est là une nouvelle illustration de ce qu’il convient
de dénommer l’asymétrie institutionnelle, promise à un bel avenir dans les Étatsmembres de l’Union européenne.
Un nouveau modèle de gouvernance européenne locale ?
S’affranchir des modèles théoriques, s’écarter des modes uniformes d’organisation
territoriale, mais aussi se libérer tout simplement des frontières étatiques traditionnelles : telle semble être la volonté des collectivités décentralisées en Europe.
C’est notamment le cas avec l’avènement des eurorégions. En effet, alors même que
le terme regio provient du latin regere, c’est-à-dire littéralement tracer une ligne ou
une limite34, ces eurorégions et autres formes de structures de coopération transfrontalière n’entendent certainement pas créer une nouvelle délimitation territoriale, ni
même un nouveau type d’administration au niveau transfrontalier. Elles ne sont en
effet pas dotées de pouvoirs politiques et leurs activités se limitent aux compétences
32. Ainsi, une disposition particulière de la Constitution espagnole à toute communauté de pouvoir
jouir des mêmes traitements déjà reconnus à une autre Communauté : c’est ainsi que la Murcie s’est
alors détachée de la Castille-Manche.
33. Il est pourtant un système privilégié par les nouveaux États en formation : l’Australie notamment ou
encore certains ex-pays de l’URSS ont invité ou envoyé des émissaires chargés d’étudier les possibles
adoptions du système espagnol afin de les appliquer à leur pays.
34. Dans la Rome antique, la regio évoquait plutôt la délimitation d’une zone que son administration.
Elle ne correspondait en rien à une institution législative ou gouvernementale, comme le terme le
signifie couramment aujourd’hui.
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des collectivités locales et régionales qui les composent. En revanche, ces structures
transfrontalières permettent à des administrations de différents niveaux situées de
part et d’autre de la frontière de collaborer pour défendre des intérêts communs et
améliorer les conditions de vie des populations limitrophes.
À ce propos, l’Association des régions frontalières européennes (ARFE) tente de définir
des critères pour l’identification des eurorégions. Il s’agit selon elle d’une association
d’autorités locales et régionales d’un côté ou de l’autre d’une frontière nationale,
parfois avec une assemblée parlementaire. Cette association transfrontalière est dotée
d’un secrétariat permanent et d’une équipe technique et administrative avec ses
propres ressources. Elle est d’une nature juridique relevant du droit privé, basée sur
des associations à but non lucratif ou de fondations d’un côté ou de l’autre de la frontière en accord avec les juridictions nationales en vigueur ; mais elle peut aussi relever
du droit public, basée sur des accords interétatiques, qui s’occupe, parmi d’autres,
de la participation des collectivités territoriales. En un mot, l’eurorégion désigne un
nouveau mode d’organisation de l’action publique sur un territoire pertinent, en
s’affranchissant des frontières administratives traditionnelles et en esquissant de ce
fait les contours d’un nouveau modèle de gouvernance locale européenne35.
Ainsi, l’Union européenne connaît en son sein une grande diversité à la fois dans le
type de structures décentralisées, dans les compétences exercées par des administrations locales, mais aussi dans les conceptions de la décentralisation développées
par chacun des États-membres. Loin d’être une lacune ou de nourrir un quelconque
regret, cette diversité souligne simplement tout d’abord la dimension largement
mythique d’une Europe des régions. Elle s’impose en effet aux observateurs, aux
États membres ainsi qu’aux institutions européennes, qui ne peuvent que constater
cette diversité institutionnelle tant dans les États unitaires que dans les États fédéraux.
Dès lors, cette diversité permet de tempérer la rigidité des organisations étatiques
existantes et d’inciter les collectivités territoriales à expérimenter de nouvelles formes
de décentralisation et de coopération.
35. S. Cassese et V. Wright (sous la direction de). La recomposition de l’État en Europe. Paris, La Découverte,
1996, 239 p.
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Première partie
Un mythe : L’Europe des régions
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« L’Europe des régions » est donc une formule a priori séduisante qu’il convient néanmoins de nuancer d’emblée. En effet, si la notion peut sembler tentante, car imagée
et simple à saisir, qu’en est-il de sa réelle signification et surtout de sa mise en œuvre
au plus près des citoyens de l’Union ? Certes, la régionalisation semble effectivement
être une tendance commune de l’évolution de l’organisation territoriale des États
européens depuis une trentaine d’années. Mais peut-on pour autant parler d’une
« Europe des régions » dans laquelle les régions pourraient représenter la collectivité
publique de niveau intermédiaire ? Est-ce toujours le niveau régional qui répond le
mieux aux besoins de la territorialisation des politiques communautaires, allant jusqu’à
constituer les prémices d’une convergence institutionnelle entre États membres ?
Certains indicateurs pourraient le suggérer, à l’image de la résolution du Parlement
européen du 18 novembre 1998 invitant les États à régionaliser leurs structures
administratives en respectant une « Charte communautaire de la régionalisation »36.
Néanmoins, le professeur Gérard Marcou37 a certainement raison de nuancer un tel
enthousiasme uniformisateur : « Bien que certains auteurs continuent de s’y référer,
l’idée d’une Europe des régions a perdu aujourd’hui une grande partie de son crédit
et n’est plus guère soutenue, en raison des problèmes de définition que soulève la
notion de région et de la position que conservent les États, dont, notamment, continue de dépendre l’essentiel des moyens dont disposent les collectivités territoriales,
y compris les régions les plus fortes et les États fédérés ». D’ailleurs, la Charte précitée n’a eu finalement qu’un faible écho et n’a certainement pas constitué la source
d’inspiration d’une quelconque régionalisation.
Cette idée mythique d’une Europe des régions ne cesse néanmoins d’alimenter
les débats, tant elle semble prendre vie à travers le droit communautaire et les
institutions européennes. Les traités comme le droit dérivé ont en effet cherché à
susciter ou amplifier le rôle des régions dans la construction européenne. Ils sont
même parvenus à leur reconnaître officiellement une place au sein des institutions
communautaires.
Mais cette idée se heurte cependant à une réalité incontestable : le respect des souverainetés étatiques, qui demeure un principe fondamental en dépit de l’adoption par les
collectivités territoriales de stratégies – plus ou moins efficaces – de contournement.
36. Résolution sur la politique régionale communautaire et le rôle des régions – 18 novembre
1998 – JOCE, n°C326, p. 289.
37. G. Marcou. La régionalisation en Europe – Rapport au Parlement européen (réf. PE 168.498). Paris, GRALE,
1999, 170 p.
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