ALFRED JARRY COMPAGNIE CHEEK BY JOWL MISE EN SCÈNE DECLAN DONNELLAN 2014/15 © JOHAN PERSSON UBU ROI 02 51 88 25 25 / leGrandT.fr 1 Licences spectacles 1-1075853 1-1075850 2-1075851 3-1075852 01 > 05 OCT - LE GRAND T UBU ROI LE GRAND T OCT ME JE VE SA DI 01 02 03 04 05 20:00 20:00 20:30 19:00 15:00 © JOHAN PERSSON DURÉE : 1h50 sans entracte SOMMAIRE CONTACTS PÔLE PUBLIC ET MÉDIATION Présentation 3 La pièce 4 Note d’intention 5 Entretien autour d’Ubu Roi 6 Declan Donnellan, metteur en scène 7 Alfred Jarry, auteur 8 Ubu Roi : extraits 9 La presse en parle... PUBLIC : à partir de la 2nde 10 Manon Albert [email protected] 02 28 24 28 08 Florence Danveau [email protected] 02 28 24 28 16 LE GRAND T 84, rue du Général Buat BP 30111 44001 NANTES Cedex 1 2 PRÉSENTATION Ubu Roi D’après Alfred Jarry Mise en scène Declan Donnellan Cheek by Jowl Avec Xavier Boiffier, Camille Cayol, Vincent de Boüard, Christophe Grégoire, Cécile Leterme, Sylvain Levitte Scénographie Nick Ormerod Collaborateur artistique Michelangelo Marchese Associée chorégraphie et mouvement Jane Gibson Lumières Pascal Noël Compositeur Davy Sladek Musiques complémentaires Paddy Cunneen Vidéo Benoit Simon, Quentin Vigier Costumes Angie Burns Assistant mise en scène Bertrand Lesca Coach voix Valérie Bezançon Maître d’armes François Rostain Direction de production Béatrice Catry (Théâtres et Compagnie) et Beth Byrne (Cheek by Jowl) Production Cheek by Jowl Coproduction Barbican à Londres, Les Gémeaux, scène nationale de Sceaux, Comédie de Béthune centre dramatique national Nord-Pas-de-Calais © JOHAN PERSSON LA PIÈCE Ubu Roi est une pièce de théâtre d’Alfred Jarry appartenant au cycle d’Ubu publiée le 25 avril 1896 dans Le Livre d’Art (revue de Paul Fort) et représentée pour la première fois le 10 décembre 1896. Il s’agit de la première pièce du cycle d’Ubu. Poussé par l’ambition de sa femme, Ubu décide de tuer le roi des Polonais, Vanceslas, pour s’emparer de son trône. Grâce à la complicité du capitaine Bordure, la famille royal est massacrée. Seul rescapé, le jeune Bougrelas vengera ses aïeux. Une fois installé sur le trône, Ubu règne sans aucun bon sens. Pour accroître ses richesses, il extermine les nobles, les magistrats et les financiers, avant de se charger de collecter lui-même les impôts. N’ayant pas reçu la récompense promise, Bordure rejoint le Tsar, qui déclare la guerre à l’usurpateur. Ubu part en campagne, après avoir confié la régence du royaume à la Mère Ubu. Cette dernière est chassée du pouvoir par Bougrelas qui s’est mis à la tête du peuple polonais. Elle rejoint son mari qui lui-même vaincu par l’armée russe et se cache dans une caverne. Poursuivis par Bougrelas, les deux époux s’enfuient vers de nouvelles contrées.. Source : L’Express Culture (http://fiches.lexpress.fr/livre/ ubu-roi_410877) EN IMAGES Visionnez un extrait de la pièce en cliquant sur le lien suivant : https://www.youtube.com/watch?v=uuf3k210k8Q 4 NOTE D’INTENTION « Nous sommes une espèce qui préfère évoquer l’innocence de l’enfance plutôt que se souvenir de sa cruauté potentielle. L’égoïsme et la violence de cette période considérée comme enfantine ? Des défauts à reléguer au passé une fois que la « civilisation » que nous offre la maturité est atteinte. Certains théoriciens ont même attribué l’absence de souvenirs d’enfance à un désir de protection contre des sentiments bouleversants, tellement négatifs que nous avons honte de les avoir en nous. un infantilisme menaçant, aussi vicieux qu’il est puéril. Ubu exprime ainsi le potentiel de violence qui existe au fond de nous tous. Ouvrage de génie ou travail de potache, produit d’un finde-siècle qui avait soif de nouvelles formes, Ubu fait preuve d’une simplicité inouïe en nous renvoyant à nos instincts les plus primitifs. » Declan Donnellan, metteur en scène, 2013 Qu’en est-il alors de nos sentiments moins civilisés ? La civilisation nous demande bien souvent de ne pas en tenir compte, de les nier. Nous souhaitons tous être civilisés, mais cela à un prix – et ce prix parfois c’est la déraison. © JOHAN PERSSON Mère et Père Ubu, excessifs, antisociaux, d’un dynamisme foudroyant mais sans autre but que l’accumulation du pouvoir, nous effraient peut-être autant qu’ils nous font rire. Nous rappellent-ils l’égoïsme et la violence de notre propre enfance? Voilà ce que cette pièce met en scène avant tout, ENTRETIEN AUTOUR D’UBU ROI Pourquoi choisir de mettre en scène Ubu Roi ? Ubu Roi est notre deuxième création avec notre troupe française : de même qu’Andromaque, c’est une œuvre qui correspond parfaitement aux talents de ces comédiens. Voilà un aspect du choix. D’autre part, comme Andromaque (et toute grande pièce, d’ailleurs), Ubu roi nous offre un champ d’exploration très ouvert, qui nous permet d’apporter des modifications à notre travail au fur et à mesure de nos découvertes. Nous vivons avec les pièces que nous montons pour de longues périodes dans le cadre d’une tournée, d’où notre souhait de travailler avec une œuvre qui représente un challenge, qui garde en elle cette vitalité que nous désirons récréer ; c’est un travail continu. D’autant plus qu’il existe davantage de similarités qu’on ne croirait entre Racine, bastion de la tragédie du Grand siècle, et Ubu, gamin précoce de l’avant-garde. Les deux pièces traitent, en quelque sorte, de ce qui se passe quand nous nous obstinons à poursuivre des choses que nous voulons, mais qui nous sont refusées. Les deux pièces s’intéressent à ce problème de la civilisation, à notre conception de ce qui constitue le comportement « civilisé », et à notre façon d’agir par rapport à cette structure. Nous voulons tous être civilisés – nous voulons que nos leaders le soient. Mais qu’en est-il des sentiments qui ne rentrent pas dans cette case ? La civilisation exige souvent que ces sentiments soient ignorés, voire niés. Or, il y a un prix à payer pour la civilisation, et ce prix, parfois, c’est la folie. Jarry situe sa pièce « en Pologne, c’est-à-dire nulle part ». Où allez-vous situer votre Ubu ? Y aura-t-il des références à des situations politiques particulières, historiques ou actuelles ? Toute grande pièce peut avoir des références politiques, contemporaines, d’une manière ou d’une autre ! Ou, du moins, est-il possible de les lire dans cette optique. Mais avant toute chose, ce qui est primordial pour nous, lorsque nous entamons une nouvelle pièce, c’est de nous assurer que le travail soit bien vivant. Voilà ce que nous recherchons dans un premier temps, que ce soit avec Jarry, Racine, Shakespeare ou Tchekhov. Tout notre travail se crée dans la salle de répétition, avec les comédiens, et notre tâche est simplement de retrouver les expériences fondamentales qui existent au cœur d’une pièce, de leur donner vie. Pour l’instant notre intention n’est pas de satiriser ou d’évoquer une époque ou une situation politique ou historique précise. Nous ne pouvons savoir à quoi ce « nulle part » ressemblera ; nous le saurons uniquement quand nous l’aurons atteint. Vous dites d’Ubu qu’il fait preuve d’un « infantilisme » menaçant, vicieux et puéril ». Vous parlez aussi du potentiel de violence que révèle ce personnage. Qui est Ubu ? Effectivement à travers leurs actions, Ma et Père Ubu évoquent un potentiel de violence qui existe au fond de nous tous : une violence qui provient de cette partie de nous-mêmes qui nous pousse, en tant qu’êtres humains, (et cela constamment) à la poursuite du pouvoir, parfois le pouvoir absolu. Nous avons tendance à traiter l’égoïsme de Ma et Père Ubu, le plaisir que leur donne la brutalité (la violence et le meurtre ne sont qu’un jeu pour eux) comme des choses puériles, qui n’ont aucun lien avec la vie adulte, c’est à dire civilisée. Mais que nous y faisions face ou non, ces désirs existent en nous et continuent d’exister en nous. C’est un des points forts de la pièce de nous remettre en contact avec notre propre bassesse, et ainsi d’éclaircir ce que nous pensons pouvoir contrôler, nier ou refouler. Énergie et dynamisme ; scatologie, blagues potaches… Envisagez-vous Ubu Roi comme une comédie ou comme une tragédie ? Comme beaucoup de grandes pièces, Ubu Roi contient un peu des deux ! Et on risque par moments d’imposer trop de limites en se reposant sur les genres ; Shakespeare, notamment, mélangeait souvent les deux. Je pense que Ma et Père Ubu nous effraient, dans l’ensemble, mais nous rions pour nous sentir en sécurité. [...] Propos recueillis par Catherine Robert La Terrasse, octobre 2012 DECLAN DONNELLAN, METTEUR EN SCÈNE Declan Donnellan est né en Angleterre de parents irlandais en 1953. Il grandit à Londres et suit des études de lettres et de droit au Queen’s College de Cambridge. Il est inscrit au barreau en 1978, puis forme avec Nick Ormerod la compagnie Cheek by Jowl en 1981. Dans ce cadre, il a mis en scène plus de 50 spectacles qui ont été représentés sur les scènes du monde entier. En 1989, il est nommé metteur en scène associé au Royal National Theatre de Londres. Il y dirige Fuenteovenjuna de Felix Lope de Vega, Sweeney Todd de Stephen Sondheim, Le Mandat de Nikolaï Erdman et les deux parties d’Angels in America de Tony Kushner. Pour la Royal Shakespeare Company, il met en scène L’École de la médisance, Le Roi Lear et Les Grandes Espérances. Il monte également Le Cid au Festival d’Avignon, Falstaff à Salzbourg, le ballet Roméo et Juliette au Bolchoï de Moscou et Le Conte d’hiver au Théâtre Maly de Saint-Pétersbourg. En 2000, il rassemble une troupe de comédiens à Moscou sous l’égide du festival Tchekhov. Cette troupe a interprété La Tempête. Il est l’auteur d’une pièce, Lady Betty, qui a été montée par Cheek by Jowl en 1989. Il a par ailleurs notamment traduit On ne badine pas avec l’amour d’Alfred de Musset et Antigone de Sophocle. Declan Donnellan a reçu de nombreuses distinctions à Londres, Moscou, Paris ou New York, dont trois Laurence Olivier Awards (en 1987, 1990 et 1995). En 1992, il est nommé docteur honoris causa par l’université de Warwick et est fait Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres, en 2004 en France. D’abord publié en russe (2001), son livre L’Acteur et la Cible est ensuite paru en anglais, en français, en espagnol et en italien. La deuxième édition anglaise est sortie en 2005. Il est président du Chekhov International Theatre Festival (Moscou). Il réalise avec Nick Ormerod son premier film, Bel-Ami d’après la nouvelle de Maupassant, avec notamment Robert Pattinson, Christina Ricci, Kristin Scott- Thomas, Uma Thurman (2012). DR Boris Goudounov, La Nuits des rois, Les Trois Soeurs et 7 ALFRED JARRY, AUTEUR Poète, dramaturge et romancier français, Alfred Jarry est né le 8 septembre 1873 à Laval (Mayenne). Il fait des études brillantes au lycée de Rennes puis en khâgne au Lycée Henri-IV. Ce serait un de ses professeurs, M. Herbert, le « Père Heb », qui lui aurait inspiré Ubu. Le Mercure de France publie en 1894 ses Minutes de sable mémorial, un recueil de vers et de prose d’inspiration symboliste, puis en 1895 César-Antéchrist où apparaît pour la première fois le Père Ubu, qui lui apportera la gloire. Pourtant la représentation d’Ubu Roi en 1896 fait scandale dans la presse. Il publiera en 1898, Ubu cocu ou l’Archéoptéryx, en 1900 Ubu enchaîné, en 1906 Ubu sur la butte. Jarry écrit aussi de nombreux textes critiques dans lesquels il précise ses intentions. Œuvres. Paris : Laffont, 2004. 1367 p. (Bouquins) Œuvres complètes. Paris : Gallimard, 1988. (Bibliothèque de la Pléiade) Peintures, gravures et dessins d’Alfred Jarry / Collège de pataphysique ; préface et commentaire des œuvres par Michel Arrivé. Paris : Cercle français du livre ; Collège de pataphysique, 1968. 125 p. Saint-Brieuc des choux : poésies et comédies tirées d’Ontogénie. Paris : Mercure de France, 1964. 40 p. Siloques, superloques, soliloques et interloques de pataphysique / édition présentée par Patrick Besnier. Bégles : le Castor astral, 1992. 93 p. (Les inattendus ; 18) Il invente la Pataphysique qu’il définit comme « la science des solutions imaginaires, qui accorde symboliquement aux linéaments les propriétés des objets décrits par leur virtualité. » Son œuvre annonce le surréalisme. Le Surmâle [précédé de] Le Sur-mal ou Comment le roman vient au poète : roman moderne / par Christian Prigent. Paris : P.O.L., 1993. 150 p. (La collection) Alfred Jarry meurt à 34 ans en 1907 à Paris. Tout Ubu. Paris : Librairie générale française, 1985. 536 p. (Le livre de poche ; 838) ŒUVRES D’ALFRED JARRY Gestes et opinions du docteur Faustroll, pataphysicien [suivi de] L’Amour absolu / édition établie, présentée et annotée par Noël Arnaud et Henri Bordillon. Paris : Gallimard, 1980. 247 p. (Poésie ; 143) Les Jours et les Nuits : roman d’un déserteur. Paris : Gallimard, 1981. 213 p. (L’imaginaire ; 82) Le manoir enchanté : et quatre autres œuvres inédites / présentées par Noël Arnaud. Paris : La Table ronde, 1974. 247 p. Messaline : roman de l’ancienne Rome [suivi de] Madrigal / préface et notes de Thieri Foulc. Paris : Losfeld, 1977. 207 p. (Merdre) Ubu cocu : cinq actes. Genève : Éditions des Trois collines, 1944. 95 p. Ubu enchaîné [suivi de] Ubu sur la butte, des paralipomènes et d’essais sur le théâtre / préface de Jean Saltas. Paris : Fasquelle, 1938. 185 p. Ubu intime : pièce en un acte : et divers autres inédits autour d’Ubu / présentés et annotés par Henri Bordillon. Romillé : Folle avoine, 1985. 203 p. (Quarto) Ubu Roi ou les Polonais. Ubu enchaîné et les Paralipomènes d’Ubu / préface de J. Hugues Sainmont. Paris : le Club français du livre, 1950. 293 p. (le Club français du livre ; théâtre ; 6) Ubu Roi [suivi de] Ubu enchaîné / préface de Claude Bonnefoy. Paris : Livre du club du libraire, 1965. 240 p. (Livre du club du libraire ; 192) Les Minutes de sable mémorial : César-Antéchrist / édition présentée et annotée par Philippe Audoin. Paris : Gallimard, 1977. 249 p. (Poésie ; 119) 8 UBU ROI : EXTRAITS Acte 1 - Scène 1 Père Ubu. - Merdre ! Père Ubu. - Ah ! Je cède à la tentation. Bougre de merdre, merdre de bougre, si jamais je le rencontre au coin d’un bois, il passera un mauvais quart d’heure. Mère Ubu. - Oh ! Voilà du joli, Père Ubu, vous estes un fort grand voyou. Père Ubu. - Que ne vous assom’ je, Mère Ubu ! Mère Ubu. - Ce n’est pas moi, Père Ubu, c’est un autre qu’il fau- Acte 3 - Scène 2 (…) drait assassiner. Mère Ubu. - Tu es trop féroce Père Ubu Père Ubu. - De par ma chandelle verte, je ne comprends pas. Père Ubu. – Eh ! Je m’enrichis. Je vais me faire lire MA liste de Mère Ubu. - Comment, Père Ubu, vous estes content de votre MES biens. Greffier, lisez MA liste de MES biens. sort ? Le Greffier. – Comté de Sandomir. Père Ubu. - De par ma chandelle verte, merdre, madame, certes Père Ubu. – Commence par les principautés, stupide bougre ! oui, je suis content. On le serait à moins : capitaine de dragons, Le Greffier. – Principauté de Podolie, grand-duché de Posen, officier de confiance du roi Venceslas, décoré de l’ordre de l’Aigle duché de Courlande, comté de Sandomir, comté de Vitepsk, pala- Rouge de Pologne et ancien roi d’Aragon, que voulez-vous de tinat de Polock, margraviat de Thorn. mieux ? Mère Ubu. - Comment ! Après avoir été roi d’Aragon vous vous contentez de mener aux revues une cinquantaine d’estafiers Père Ubu. – Et puis après ? Le Greffier. – C’est tout. armés de coupe-choux, quand vous pourriez faire succéder sur Père Ubu. – Comment c’est tout ! Oh bien alors, en avant les votre fiole la couronne de Pologne à celle d’Aragon? Nobles, et comme je ne finirai pas de m’enrichir, je vais faire exé- Père Ubu. - Ah ! Mère Ubu, je ne comprends rien de ce que tu dis. Mère Ubu. - Tu es si bête ! Père Ubu. - De par ma chandelle verte, le roi Venceslas est encore bien vivant ; et même en admettant qu’il meure, n’a-t-il pas cuter tous les Nobles, et ainsi j’aurai tous les biens vacants. Allez, passez les Nobles dans la trappe. On empile les Nobles dans la trappe. Dépêchez-vous, plus vite, je veux faire des lois maintenant. des légions d’enfants ? Plusieurs. – On va voir ça. Mère Ubu. - Qui t’empêche de massacrer toute la famille et de te Père Ubu. - Je vais d’abord réformer la justice, après quoi nous mettre à leur place ? procéderons aux finances. Père Ubu. – Ah ! Mère Ubu, vous me faites injure et vous aller Plusieurs magistrats.- Nous nous opposons à tout changement. passer tout à l’heure par la casserole. Mère Ubu. - Eh! Pauvre malheureux, si je passais par la casserole, qui te raccommoderait tes fonds de culotte ? Père Ubu. - Eh vraiment! Et puis après ? N’ai-je pas un cul comme les autres ? Mère Ubu. - À ta place, ce cul, je voudrais l’installer sur un trône. Tu pourrais augmenter indéfiniment tes richesses, manger fort Père Ubu.- Merdre. D’abord, les magistrats ne seront plus payés. Magistrats.- Et de quoi vivrons-nous ? Nous sommes pauvres. Père Ubu.- Vous aurez les amendes que vous prononcerez et les biens des condamnés à mort. Un magistrat.- Horreur. Deuxième.- Infamie. souvent de l’andouille et rouler carrosse par les rues. Troisième.- Scandale. Père Ubu. - Si j’étais roi, je me ferais construire une grande cape- Quatrième.- Indignité. line comme celle que j’avais en Aragon et que gredins d’Espagnols m’ont impudemment volée. Mère Ubu. - Tu pourrais aussi te procurer un parapluie et un grand caban qui te tomberait sur les talons. Tous.- Nous nous refusons à juger dans des conditions pareilles. Père Ubu.- A la trappe les magistrats ! (…) 9 LA PRESSE EN PARLE... T él éram a / Merc redi 13 févri er 2013 10 © JOHAN PERSSON L e F i garo / L u n di 18 févri er 2013 L es Éc h os / L u n di 18 févri er 2013 12 L es In roc ku pti bl es / Merc redi 20 févri er 2013 13 Le Monde / Vendredi 22 février 2013 14 Les Trois Coups / Mardi 26 février 2013 « Ubu roi », d’Alfred Jarry (critique de Léna Martinelli), Les Gémeaux à Sceaux Donnellan pointe notre animalité cachée Declan Donnellan s’empare du mythe d’« Ubu roi », pièce d’Alfred Jarry, gamin précoce de l’avant-garde. Plus d’un siècle après sa création, le grand metteur en scène anglais réactive cette farce dérangeante à souhait, où le sexe, la pourriture et le mensonge mènent la danse. Merdre alors ! Ubu roi, avec Christophe Grégoire et Camille Cayol Les Trois Coups © Johan Persson Caricature des puissants, la pièce raconte l’accession au pouvoir du Père Ubu poussé par sa femme au meurtre de Venceslas. Pour dénoncer la corruption et la bêtise humaine, Alfred Jarry n’hésite pas à dépasser les bornes de la bienséance. Vicieux, puérils, grossiers, Ubu et Mère Ubu se comportent comme des « sales gosses » prêts à tout pour accéder au trône et profiter de ses privilèges. La violence et le meurtre ne sont qu’un jeu pour eux, et ils s’amusent comme des petits fous à faire couler le sang. Pourtant, le spectacle commence par un long préambule bien loin de la Pologne et des guerres de clans. Dans un décor actuel, un couple B.C.B.G. termine de dresser la table, car ils attendent des convives. Mais y auraitil un changement de programme au théâtre de Sceaux ? Que nenni ! Il s’agit bien d’Ubu roi… Donc, dans cet appartement feutré, le fiston, un adolescent du genre « tête à claques » ne lâche pas sa caméra, filme en direct, s’attarde sur les détails qui font tache : la viande crue, écœurante, les draps froissés du lit avec un poil qui traîne, des traces douteuses dans les toilettes… Voyant ses parents minauder, il les imagine soudain soumis à des pulsions et devient le maître du jeu. On comprend alors rapidement où veut en venir Declan Donnellan : pointer notre animalité cachée, celle que nous tentons bien de dominer depuis toujours et qui ressurgit à la moindre occasion. Problématique universelle que la transposition de la pièce dans notre quotidien réactive fort à propos. Contrastes En effet, la mise en scène effectue d’incessants allers-retours entre la société bien lisse d’aujourd’hui, dans laquelle se déroule ce repas très « smart », et celle des temps anciens, où des barbares s’entre-tuent. Le décor beige immaculé se transforme alors en champ de foire où le feu d’artifice verbal de Jarry prend tout son sens. Entre les amuse-gueules et l’entrée, le couple machiavélique s’accapare la couronne. Vite fait, bien fait. Ensuite, vient le temps des réformes : les trois ordres défilent, mais militaires, magistrats et financiers sont aussitôt enfermés dans la cuisine, où, passés à la Moulinette, les personnages ressurgissent par l’autre porte, de nouveau prêts à en découdre. Avant le gigot – et donc la bataille sanglante –, le ketchup gicle. Entre la poire et le fromage, 15 Au gré des changements de lumière et des univers sonores, les comédiens caméléons basculent donc d’un monde à l’autre avec une facilité déconcertante. Du salon tout droit sorti d’Habitat, on plonge dans un univers surréaliste proche de l’absurdité des Monty Python. Mais dans quelle dimension sommes-nous donc ici ? Cauchemar ou fantasme, c’est comme si cet adolescent en crise exorcisait ses propres démons en imaginant ses parents transformés en monstres, de grands enfants qui auraient tout oublié du monde civilisé. Ce démiurge mène le bal – ou plutôt le théâtre des opérations – comme ce jeune révolté qu’était Alfred Jarry, lequel a signé là, d’une plume trempée dans le vitriol, une des plus grandes pièces anarchistes. Farce truculente Lors de sa création en 1896, la scatologie et les blagues potaches étaient des ingrédients inhabituels au théâtre. En outre, l’auteur ambitionnait de faire exploser le cadre traditionnel. Normal que cela ait créé un scandale à l’époque : « Merdre ! ». Sitôt le premier mot lâché, la salle avait sifflé, hué, protesté. Aujourd’hui, difficile de la monter, cette pièce, avec tous ses excès et son humour bien gras, d’autant qu’elle a perdu de sa force subversive. Mais Declan Donnellan a su relever le défi, orchestrant avec maestria ce jeu de contrastes, jonglant entre noirceur et grotesque, tablant sur l’inventivité, celle de grands enfants qui jouent à « faire comme si ». Comme au théâtre. Mais c’est loin d’être régressif. Cette pièce dans la pièce qui permet en permanence un double jeu est une idée vraiment pertinente pour éclaircir ce que nous pensons contrôler, nier ou refouler. Jarry n’a-t-il pas vécu à l’époque de l’avènement de la psychanalyse ? Du coup, le metteur en scène met le paquet pour révéler le formidable potentiel de violence qui nous pousse à la quête du pouvoir. Il joue des conventions, projette ses comédiens dans une nouvelle dimension, emmène les spectateurs dans l’envers du décor, recycle brosse à chiottes et robot mixeur en armes désopilantes, abat-jour en couronne de pacotille. Bref, fait preuve d’une hauteur de vue pour mieux révéler nos bas instincts. Ce fameux metteur en scène anglais, régulièrement programmé en France, notamment aux Gémeaux qui coproduit ce spectacle, travaille avec des comédiens français pour la seconde fois. Ces derniers sont d’ailleurs remarquables de bout en bout, d’une précision extrême et d’un engagement total. L’exceptionnel travail physique est doublé d’une interprétation du texte au cordeau. Ce théâtre vivant, débordant d’énergie, est revigorant en diable. Indéniablement, cet Ubu roi à la sauce Donnellan est à dévorer sans modération. Léna Martinelli Les Trois Coups www.lestroiscoups.com 16