ACTA ARITHMETICA
117.2 (2005)
Valeurs enti`eres de fractions rationnelles
par
Laurent Denis et Sophie Dion (Lille)
1. Introduction. Soient Qune clˆoture alg´ebrique de Qdans Cet
fQ(X) une fraction rationnelle `a une ind´etermin´ee. Si fprend des valeurs
enti`eres en un nombre infini d’entiers relatifs, alors fest un polynˆome (on
peut le voir en prenant le r´esultant du d´enominateur et du num´erateur de f).
Ce r´esultat ne tient ´evidemment plus si fest `a plusieurs variables. Cepen-
dant, si l’ensemble des points entiers en lesquels fprend des valeurs enti`eres
est suffisamment « grand », on pourra affirmer que fest un polynˆome. L’un
des premiers r´esultats en ce sens est celui de M. Yasumoto [Y]. Avant de
l’´enoncer, on donne une d´efinition.
Soient kun entier non nul et Eun sous-ensemble de Zk.Pour tout entier
positif M, on d´efinit
E(M) = {(n1,...,nk)E:i∈ {1,...,k},|ni| ≤ M}.
Th´
eor`
eme (M. Yasumoto). Soit EZkun ensemble v´erifiant
() lim sup
M+
card(E(M))
(2M+ 1)k>0.
Soit fQ(X1,...,Xk)une fraction rationnelle. Si pour tout (n1,...,nk)
dans E, f (n1,...,nk)est entier sur Zou n’est pas d´efini,alors fest un
´el´ement de Q[X1,...,Xk].
Dans le cas de deux variables, une premi`ere am´elioration de ce r´esultat
a ´et´e d´emontr´ee par J. C. Masseron ([M]) qui obtient la eme conclusion
en rempla¸cant la condition () par la suivante :
lim sup
M+
card(E(M))
(2M+ 1)3/2+ε>0,
o`u ε > 0 peut ˆetre choisi aussi petit que l’on veut. Il conjectura de plus que
l’exposant 3/2 + εpouvait ˆetre remplac´e par 1 + ε. Les r´esultats d´emontr´es
ici donneront une r´eponse positive `a cette conjecture.
2000 Mathematics Subject Classification: Primary 11C08; Secondary 11J72.
[149]
150 L. Denis et S. Dion
On s’int´eresse ici au probl`eme plus en´eral suivant : soit Kun corps
de nombres et Oson anneau d’entiers. Que peut-on dire si, dans l’´enonc´e
pr´ec´edent, on prend pour Eun sous-ensemble de Ok? L’un des probl`emes
qui apparaˆıt est le fait que l’ensemble des unit´es Ude Opeut ˆetre infini.
On note Zl’ensemble des ´el´ements de Qqui sont entiers sur Z.On
d´esigne par Nla norme associ´ee `a l’extension Kde Q.Ainsi, on a l’´egalit´e
U={z∈ O :|N(z)|= 1}.
Soit M1 un entier et Eun sous-ensemble de Ok.On d´efinit
E(M) = {(z1,...,zk)E:i∈ {1,...,k},|N(zi)| ≤ M}.
En particulier, l’ensemble Ok(M) n’est pas toujours fini. Il l’est uniquement
quand K=Qou quand Kest une extension quadratique imaginaire de Q.
Ainsi, si K=Qon a card(O1(M)) = 2M+ 1,et si Kest une extension
quadratique imaginaire de Q,alors on dispose d’une majoration du type
card(O1(M)) cM, o`u cest une constante ne d´ependant que de K. Avec
ces notations, on a le th´eor`eme suivant.
Th´
eor`
eme 1. Soit Kun corps qui est soit celui des rationnels,soit une
extension quadratique imaginaire de ce dernier. Soit fQ(X1,...,Xk)une
fraction rationnelle. Alors,il existe des constantes κ > 0, χ > 0et M0>0,
d´ependant de Ket de f, pour lesquelles pour tout sous-ensemble Ede Ok
v´erifiant
(∗∗)M > M0,card(E(M)) > κMk1+χ/log log(M),
on a l’implication suivante :
zE, f (z)Zou fn’est pas d´efinie en zfQ[X1,...,Xk].
Dans le cas d’une seule variable, la condition (∗∗) peut ˆetre remplac´ee
par « l’ensemble Eest infini ». Dans le cas de deux variables et quand Kest
le corps des rationnels, on peut am´eliorer la condition (∗∗) par la suivante :
M > M0,card(E(M)) > κM log(M)χ,
en utilisant des r´esultats de J. G. van der Corput (voir [VDC]) concernant
des moyennes de nombres de diviseurs d’entiers. Ce r´esultat sera d´evelopp´e
en annexe.
On donne maintenant un corollaire direct dont l’´enonc´e est ind´ependant
de la fraction f. Pour toute application g:NR+erifiant les propositions
suivantes :
(P1) lim
M+g(M) = 0,
(P2) lim
M+g(M) log log(M) = +,
on a le corollaire suivant, qui am´eliore le r´esultat de M. Yasumoto.
Valeurs enti`eres de fractions rationnelles 151
Corollaire 2. Soit Kun corps qui est soit celui des rationnels,soit
une extension quadratique imaginaire de ce dernier. Soit Eun sous-ensemble
de Okv´erifiant
lim sup
M+
card(E(M))
Mk1+g(M)>0.
Si fest une fraction rationnelle de Q(X1,...,Xk)v´erifiant
zE, f (z)Zou fn’est pas d´efinie en z,
alors fest un polynˆome de Q[X1,...,Xk].
On s’int´eresse ensuite au probl`eme de Yasumoto en´eralis´e pour des
fractions rationnelles en une variable, et pour tous les corps de nombres K.
Avant d’´enoncer le r´esultat obtenu, on donne quelques notations.
Soit Kun corps de nombres et Oson anneau des entiers. On note n
son degr´e sur Q.On d´esigne encore par sle nombre d’isomorphismes r´eels
de Kdans C,et par tcelui des isomorphismes complexes. On a clairement
n=s+ 2t. On pose alors
r(K) = s+t1.
Le th´eor`eme d´emontr´e dans la partie 4 est le suivant.
Th´
eor`
eme 3. Soit Kun corps dont on note Ol’anneau des entiers.
Soit fQ(X)une fraction rationnelle dont le d´enominateur n’est pas un
monˆome. Alors,il existe deux constantes κ > 0et M0>0,ependant de K
et de f, pour lesquelles pour tout sous-ensemble Ede Oerifiant
M > M0,card(E(M)) > κ log(M)r(K),
on a l’implication suivante :
zE, f (z)Zou fn’est pas d´efinie en zfQ[X].
De plus,l’exposant r(K)est optimal.
On remarque que si fest de la forme f(X) = 1/Xd,alors fprend des
valeurs enti`eres sur l’ensemble des unit´es. Ainsi, si r(K) est non nul (c’est-
`a-dire si Kn’est ni le corps des rationnels, ni une extension quadratique
imaginaire de ce dernier), il existe un nombre infini de zde norme ´egale
`a 1 pour lesquels f(z) est entier. L’hypoth`ese faite sur la fraction fdans
l’´enonc´e du th´eor`eme 3 n’est donc pas superflue.
Le corollaire suivant est une version du r´esultat pr´ec´edent, o`u l’´enonc´e
ne d´epend plus de la fraction fchoisie.
Corollaire 4. Soit Eun sous-ensemble de Ov´erifiant
lim sup
M+
card(E(M))
log(M)r(K)= +.
152 L. Denis et S. Dion
Pour toute fraction rationnelle fQ(X)dont le d´enominateur n’est pas un
monˆome,on a l’implication suivante :
zE, f (z)Zou fn’est pas d´efinie en zfQ[X].
On s’int´eresse enfin au cas le plus g´en´eral, o`u la fraction fest `a plusieurs
variables et `a coefficients dans un corps de nombres quelconque. Ici, le fait
que l’ensemble Upuisse ˆetre infini constitue un v´eritable obstacle. On ne
parvient pas `a ´ecarter une famille de fractions pour obtenir un r´esultat
ineressant.
On consid`ere par exemple les fractions
f1(X, Y ) = 2
X+Yet f2(X, Y ) = X+ 1
Y+ 1 ,
et l’ensemble E={(u, u) : u∈ U}.Il est clair que f1et f2prennent des
valeurs enti`eres sur E, et que E(1) est infini, d`es que r(K) est non nul.
On peut cependant obtenir un r´esultat convenable en n’utilisant non
pas la norme d’un nombre alg´ebrique zK, mais sa hauteur relative `a K,
d´efinie comme suit :
HK(z) = e[K:Q]h(z),
o`u h(z) d´esigne la hauteur logarithmique absolue de Weil de z. Cette fois, le
nombre d’´el´ements de Kde hauteur born´ee est fini. Soit Eun sous-ensemble
de Ok; on note
EhMi={(z1,...,zk)E:i∈ {1,...,k}, HK(zi)M}.
On remarque que cette efinition prolonge encore celle de M. Yasumoto, car
dans le cas o`u Kest le corps des rationnels, si zest un entier, alors on a
|N(z)|=HK(z) = |z|.
Avec ces notations, on a le th´eor`eme suivant, qui prolonge le th´eor`eme 1,
uniquement quand Kest le corps des rationnels.
Th´
eor`
eme 5. Soit fQ(X1,...,Xk)une fraction rationnelle. Alors,
il existe des constantes κ > 0, χ > 0et M0>0,ependant de Ket de f,
pour lesquelles pour tout sous-ensemble Ede Okv´erifiant
M > M0,card(EhMi)> κMk1+χ/log log(M),
on a l’implication suivante :
zE, f (z)Zou fn’est pas d´efinie en zfQ[X1,...,Xk].
Pour toute fonction g:NR+v´erifiant les propri´et´es (P1) et (P2),on
a le corollaire suivant.
Corollaire 6. Soit Kun corps de nombres. Soit Eun sous-ensemble
de Okv´erifiant
Valeurs enti`eres de fractions rationnelles 153
lim sup
M+
card(EhMi)
Mk1+g(M)>0.
Si fest une fraction rationnelle de Q(X1,...,Xk)v´erifiant
zE, f (z)Zou fn’est pas d´efinie en z,
alors fest un polynˆome de Q[X1,...,Xk].
Les d´emonstrations des th´eor`emes 3 et 5 sont beaucoup moins directes
que celle du th´eor`eme 1.eanmoins, contrairement `a celle de M. Yasumoto,
aucune d’elles ne fait appel `a l’axiome du choix. Avant de les commencer,
on d´etermine une majoration du nombre de diviseurs d’un ´el´ement de l’an-
neau O,o`u Kest quelconque.
2. Majoration du nombre de classes de diviseurs. Soit Kun corps
de nombres de degr´e nNsur Q,et Oson anneau des entiers. Soit zun
´el´ement de l’anneau O.Le but de ce paragraphe est de majorer le nombre
de diviseurs δ(z) (ou de classes de diviseurs modulo les unit´es δ(z)) de z
dans O.L’anneau On’´etant pas toujours factoriel, on est amen´e `a con-
sid´erer les d´ecompositions d’id´eaux en produits d’id´eaux premiers. D’apr`es
le th´eor`eme 3 page 60 de [S], tout id´eal Ide Oa une ecomposition unique
en produit d’id´eaux premiers. On a donc
I=Y
∈P
m(I)(m(I)N),
o`u Pd´esigne l’ensemble des id´eaux premiers de O,et o`u les m(z) sont nuls
sauf un nombre fini. On ´ecrit ´egalement ce produit pour l’id´eal (z) = zO:
(z) = Y
∈P
m(z)(m(z)N).
Soit a∈ O un diviseur de z. Alors,
(z)(a).
D’apr`es l’assertion 8 page 62 de [S], pour tout ∈ P,on a m(a)m(z).
Par cons´equent, il y a au plus e
δ(z) id´eaux (a) possibles, o`u
e
δ(z) = Y
∈P
(1 + m(z)).
On a toujours δ(z)e
δ(z).Par analogie, si Iest un id´eal de O,on pose
e
δ(I) = Y
∈P
(1 + m(I)).
On cherche maintenant une majoration de e
δ(z) `a la mani`ere de G. Tenen-
baum, qui obtient dans [T, Chap. I.5, paragraphe 5.2] un ordre maximal de
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