quel systeme d`informations statistiques pour un pays a ressources

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QUEL SYSTEME D'INFORMATIONS
STATISTIQUES POUR UN PAYS A RESSOURCES
LIMITEES ?
par Septime MARTIN1
Le recours à l'information statistique comme moyen de connaissance statistique de la
situation socio-économique et comme moyen d'analyse prévisionnelle et décisionnelle est un
phénomène récent en Afrique.
De par son histoire, ses pratiques ancestrales et ses modèles traditionnels de
communication, l'Afrique, pendant de nombreuses années, a ignoré l'importance de l'outil statistique.
La tradition orale du continent n'y est pas neutre. L'héritage colonial également n'a laissé ni structures
ni capacités humaines à la dimension des besoins susceptibles de faire fonctionner de manière
efficace les services statistiques.
Le développement récent de nombreuses économies africaines, leur forte intégration
dans l'économie internationale, les fluctuations des cours des matières premières et leurs effets sur
les économies ont progressivement nécessité de nouveaux outils d'observation et de gestion.
Plusieurs efforts ont été faits au lendemain des indépendances par la coopération
bilatérale et multilatérale pour doter de nombreuses administrations africaines de systèmes
statistiques opérationnels.
Pour concrétiser ces objectifs, des écoles de statistiques ont été créées et soutenues
en moyens matériels. Des bourses d'études ont été également offertes à de nombreux étudiants en
statistique et une assistance directe a été fournie aux directions statistiques de nombreux pays
africains.
Si les actions de formation ont été un succès, il semble qu'il n'en est pas de même de
celles concernant les services statistiques africains.
Malgré l'assistance directe fournie à ces services statistiques, force est de constater
qu'ils remplissent encore aujourd'hui difficilement leurs objectifs. Plusieurs raisons sont souvent
évoquées.
Outre celles liées à l'insuffisance des moyens matériels, c'est à notre avis la faible
place réservée aux services statistiques dans les priorités des pays africains qui est la plus
déterminante.
1 Septime MARTIN est conseiller technique du Ministre des finances de Sao Tome e Principe. Les opinions exprimées
dans cet article le sont à titre personnel.
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Autres préoccupations récentes de nombreux services nationaux de statistique en
Afrique sont les demandes d'informations statistiques de plus en plus urgentes formulées par la
Banque Mondiale et le FMI dans le cadre des programmes d'ajustement structurel qu'ils négocient
avec ces pays.
Dans la suite, notre propos consistera essentiellement, compte tenu des contraintes
financières graves que connaissent les pays et compte tenu de la nécessité de répondre aux
demandes impératives d'informations statistiques des institutions de Bretton Woods, à apporter une
contribution au débat sur le socle minimum d'informations statistiques dans les pays en
développement.
Ainsi, sur la base de l'expérience vécue dans un pays insulaire à ressources limitées,
nous tenterons d'effectuer une réflexion sur la question suivante : quels systèmes d'informations
statistiques seraient souhaitables pour ces pays pauvres ?
I - BREF ETAT DES LIEUX DES APPAREILS STATISTIQUES NATIONAUX
Depuis quelques années, de nombreux appareils statistiques africains ne sont plus
en mesure de répondre aux demandes d'informations statistiques nécessaires à la mise en oeuvre
des politiques cohérentes de développement et particulièrement celles de plus en plus pressantes
émanant de la part des organismes internationaux.
En conséquence, ce sont les missions périodiques de la Banque Mondiale et du FMI
qui sont de plus en plus les facteurs déterminants dans l'organisation et la présentation des données
statistiques du pays. Il arrive même que ces missions se trouvent en concurrence avec les appareils
statistiques des pays en bâtissant leurs propres données, quitte à les discuter puis à les faire adopter
ensuite par les autorités nationales.
Actuellement, les PIB, en données provisoires comme en projections, calculés par les
missions du FMI constituent les seules données disponibles pour certains pays.
Aussi, les données sur les statistiques monétaires et financières de certains pays
sont souvent difficiles à mettre à jour localement. Là aussi, ce sont des missions ponctuelles
extérieures ou celles du FMI qui permettent d'avoir quelque peu des données cohérentes avec
l'ensemble des indicateurs macroéconomiques des pays.
Quelles sont les principales raisons de cette défaillance des appareils statistiques
africains?
Plusieurs facteurs peuvent être cités. On distingue ceux qui sont de nature endogène
aux structures des Directions Statistiques, ceux qui relèvent des hautes autorités des pays, puis ceux
qui sont imputables aux bailleurs de fonds extérieurs.
Les services nationaux centraux de la statistique, dans certains pays et
particulièrement les plus pauvres d'entre eux, n'ont pas su se renouveler et surtout mettre en place
des structures fonctionnelles efficientes. La passivité observable face aux initiatives extérieures a été
un handicap de taille dans la capacité du personnel de ces services à s'approprier les réformes et
restructurations qui leur ont été proposées.
Quelques tentatives de réorganisation ont certes été esquissées au niveau local. Les
faibles motivations plus que les faibles qualifications du personnel, situation observable dans de
nombreux services statistiques en Afrique, ont renforcé l'oisiveté et la faible productivité du personnel.
L'amélioration des conditions matérielles du personnel a souvent été évoquée comme un préalable à
toute redynamisation des services.
Quoique justifiées, ces revendications considérées comme un préalable ont
malheureusement constitué un blocage à des restructurations profondes qui auraient été source de
productivité.
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La responsabilité des autorités du pays dans le passé a été de n'avoir pas
accordé dans les faits la place et l'autorité nécessaire indispensables à ces services statistiques pour
atteindre leurs objectifs.
Les budgets consacrés aux activités statistiques dans la plupart de ces pays ont
connu une évolution en termes réels négatifs aboutissant à une démotivation grave du personnel qui,
dans certains cas, est de haut niveau de qualification.
La faible priorité accordée à la statistique et à la valorisation du métier de statisticien
a nui aux pays concernés car elle a abouti à l'inexistence d'un système national efficient de la
statistique.
Les bailleurs de fonds, dans un souci de doter les pays d'appareils statistiques
fiables, ont apporté plusieurs appuis aux services nationaux centraux de la statistique dans le cadre
de projets, d'assistance technique directe ou de bourses de formation.
Globalement, le bilan en terme de services fournis par rapport au coût est
relativement faible. En effet, les nombreux projets financés par ces donateurs bilatéraux ou
multilatéraux n'ont pas permis à ces services de répondre correctement à leurs missions.
Une analyse critique de ces projets montre d'une part qu'une grande partie des fonds
est destinée aux missions d'experts qui sont chères, d'autre part que les actions poursuivies à travers
ces projets manquent de cohérence globale et donc deviennent inefficaces.
Dans certains cas, ce sont les ambitions démesurées des projets et donc l'incapacité
des nationaux à maîtriser leur exécution et leur suivi qui justifient leurs échecs.
A titre d'exemple, doit-on proposer à une Direction Statistique disposant de moyens
réduits en matériels, en ressources humaines et moyens financiers, la production d'une gamme
complète de données statistiques, quoique utile à la prise efficiente des décisions ?
Ne peut-on identifier les informations indispensables et essentielles susceptibles
d'être produites compte tenu de la situation particulière des pays?
Il s'agira alors d'organiser, de manière périodique et avec une fréquence moindre,
certaines collectes ou enquêtes pour la production des autres données, grâce éventuellement au
concours des bailleurs de fonds.
Les donateurs bilatéraux et multilatéraux, en optant pour des projets trop ambitieux,
ont couru le risque, une fois leur financement arrêté, de voir leurs projets s'arrêter. Par expérience, on
a noté dès la fin des projets et donc de l'arrêt du financement extérieur que les services centraux de
la statistique ne sont plus arrivés à fournir de façon satisfaisante les informations statistiques relevant
de leur compétence.
En réalité, le problème n'est pas seulement un problème financier mais également
celui du transfert effectif des compétences au sein des projets. Si on a souvent sous-estimé les
charges récurrentes découlant des équipements et moyens logistiques fournis dans le cadre des
projets, de nombreux problèmes sont également apparus du fait de l'échec d'une communication
réussie entre experts internationaux et cadres nationaux. Le transfert des connaissances en
conséquence n'a donc pu se faire de façon satisfaisante.
Une révision complète de l'approche de l'aide aux services nationaux de la statistique devra donc être
effectuée. Il est essentiel d'identifier un socle minimum d'informations statistiques nécessaires
à produire, de restructurer les services statistiques pour leur permettre de fournir de manière
continue ces informations et de mettre en place une réelle politique de formation et de
recyclage de leurs agents.
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II - COMMENT LES DIRECTIONS STATISTIQUES PEUVENT-ELLES
ASSURER LEURS MISSIONS DANS UN CONTEXTE DE PENURIE DE
RESSOURCES ?
La réorganisation des services nationaux centraux de la statistique de nombreux
pays africains ne peut se faire aujourd'hui en dehors du contexte d'ajustement structurel dans lequel
ils se trouvent. En effet, la production de l'information statistique ne peut être une fin en soi, mais doit
répondre à des besoins précis.
Il s'agit prioritairement de répondre aux besoins des utilisateurs potentiels identifiés et
ceci dans des délais raisonnables. A ceci vient s'ajouter une mission supplémentaire et spécifique en
Afrique, celle du développement d'une culture statistique auprès des administrations publiques et
privées afin qu'elles soient sensibilisées à l'usage d'informations statistiques et qu'elles puissent en
faire la demande en fonction de leurs besoins.
II.1. Les informations statistiques prioritaires à produire
Afin de permettre la prise de décision la plus efficiente ou celle limitant au minimum
les risques, deux principaux types d'information sont essentiels pour ces pays. Il s'agit d'une part des
données nécessaires à l'analyse conjoncturelle et d'autre part de celles relatives aux tendances
lourdes de l'économie nationale indispensables à des exercices de planification économique.
2.1.1. Les données nécessaires à l'analyse conjoncturelle doivent être
sélectionnées en fonction de la fréquence de leur demande par les utilisateurs nationaux et
internationaux.
A ce titre, plusieurs types d'informations sont demandées par les institutions de
Bretton Woods et doivent constituer une première base d'informations indispensables à satisfaire
avec la régularité souhaitée.
Cette base d'informations statistiques doit être complétée par d'autres types
d'informations nécessaires au niveau national pour une politique conjoncturelle dynamique. En effet,
l'analyse des aspects sociaux de l'ajustement structurel et la définition de politiques alternatives à ses
effets pervers supposent la disponibilité d'informations statistiques qui font aujourd'hui défaut aux
autorités du pays. Elles sont pourtant essentielles, voire constituent un préalable à toute initiative
dans le cadre de la dimension sociale de l'ajustement (D.S.A.).
a) Les informations statistiques de type monétaire, financier ou "réel" régulièrement
sollicitées par les institutions de Bretton Woods et les utilisateurs nationaux se résument comme suit:
- les informations sur les finances publiques à savoir les recettes courantes et
dépenses courantes de l'état avec leurs différentes rubriques et leurs évolutions,
et plus particulièrement le Tableau d'Opérations Financières de l'Etat (T.O.F.E.) ;
- les informations sur le programme annuel d'investissement public, sa
composition et la structure de son financement, le budget annuel
d'investissement public et ses composantes du point de vue financier ;
- les informations sur les statistiques monétaires et financières, à savoir le solde
de la position liquide du gouvernement auprès de la Banque Centrale, les crédits
à l'économie et les comptes d'actif et de passif de la Banque Centrale ;
- les informations sur l'évolution des prix internes et, particulièrement, ce qui
concerne l'indice des prix à la consommation (avec le détail des prix des
principaux groupes de produits et de services) et la variation des prix et tarifs
administrés (produits pétroliers, électricité et eau, etc.) ;
- les informations sur le secteur externe de l'économie, à savoir toutes les
rubriques regroupées au sein de la balance des paiements du pays. Il s'agit
principalement :
. du volume et de la valeur des principales exportations mensuelles, en
particulier les cultures de rente, les minerais ou les produits manufacturés ;
. du volume et de la valeur des principales importations ;
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. des paiements mensuels du service courant de la dette externe (détaillant
les intérêts et le principal par créancier) ;
. des paiements mensuels des arriérés de la dette externe par créancier ;
. des déboursements mensuels d'emprunts externes ou de dons par source
créditrice ;
- les données sur le taux de change officiel de la monnaie nationale et son
évolution avec le marché libre et parallèle ;
- les données estimatives sur le PIB et son évolution :
. les productions de biens et services ventilées par branche et
secteur ;
. la répartition par emplois de celles-ci.
b) Les informations de type social, indispensables à l'analyse des impacts négatifs de
l'ajustement structurel concernent par exemple les résultats d'enquêtes sur le niveau et l'évolution
des dépenses de consommation des ménages ruraux et urbains pauvres, et l'évolution des sans-
emplois dans les secteurs urbains et ruraux.
2.1.2. Les données nécessaires à l'analyse structurelle sont des données
reflétant les structures lourdes de la société nationale. Elles concernent à la fois des données
sociales (démographie, éducation, emploi, santé, etc.) et des données économiques (structures de la
production, composition et évolution de la structure de la consommation comme de l'épargne par
groupe social, évolution technologique, mutation des échanges internationaux et financiers).
Autres types d'informations structurelles importantes à produire sont les sensibilités
de variables économiques par rapport aux prix et aux revenus notamment. On peut citer les
élasticités des variables comme la consommation, l'investissement ou l'épargne par rapport au prix
ou au taux d'intérêt. Ces ratios sont essentiels dans la conception de mesures de politique
économique.
A ces informations, on peut rajouter les tableaux de cohérence globale comme les
tableaux entrées sorties (T.E.S.), les tableaux économiques d'ensemble (T.E.E.) et les tableaux
d'opérations financières (T.O.F.).
La question clé qui se pose est donc de savoir, dans cet ensemble d'informations
statistiques, lesquelles peuvent constituer le socle minimum incontournable nécessaire et susceptible
d'être produit sous la responsabilité directe ou indirecte des services nationaux centraux de la
statistique.
La réponse à une telle question passe par une réflexion sur les systèmes
statistiques viables pour les pays compte tenu de leurs besoins prioritaires et surtout de leurs
moyens. Une réflexion sur ces systèmes statistiques viables aura pour objectif de déterminer les
informations statistiques prioritaires et déterminantes susceptibles d'être produites ou collectées de
manière régulière étant donné les moyens humains et matériels limités.
Elle devra également analyser et proposer une structure efficiente de collecte de
l'information, réviser la nomenclature existante en optant pour une classification des activités
économiques adaptées aux réalités des pays mais normalisée à celle en vigueur dans le Système de
Comptabilité Nationale des Nations-Unies.(S.C.N.)
II.2. La stratégie de production des informations statistiques prioritaires dans un
environnement de pénurie de ressources
La politique économique requiert comme nous l'avons montré ci-dessus des données
statistiques à la fois de type conjoncturel comme de type structurel. Chacun de ces types
d'informations présente ses caractéristiques propres en termes de finalité comme de collecte. Ce
sont celles-ci, en fonction de leurs implications financières et de leur caractère incontournable pour la
politique économique, principalement le suivi des programmes d'ajustement structurel, qui guideront
leur sélection dans le système national d'informations statistiques.
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