CONGRÈS RÉUNION Table ronde sur les troubles de l’équilibre du sujet âgé SFORL, 16-18 octobre 2010, Paris M. François* 400 000 habitants de plus de 85 ans ; ce chiffre est passé à 1,2 million en 2010 et atteindra 2 millions en 2020 et probablement 4 millions en 2040. Le vieillissement n’est pas une maladie, c’est un phénomène naturel. Il s’accompagne d’une plus grande vulnérabilité à la maladie, très variable d’un individu à l’autre. Par ailleurs, l’âge chronologique n’est pas l’âge physiologique : à côté des personnes qui ont un vieillissement normal, certains auront un vieillissement réussi (“ils ne font pas leur âge”), alors que d’autres seront plus fragiles (“ils font plus vieux que leur âge”), voire subiront un vieillissement pathologique. La prévalence de certaines maladies, en particulier les démences, augmente avec l’âge. La plus fréquente et la plus connue des démences séniles est la maladie d’Alzheimer (tableau II), avec 225 000 nouveaux cas chaque année en France. C’est la première cause de perte d’autonomie et le premier motif d’entrée en institution. Le vieillissement s’accompagne d’une diminution des capacités fonctionnelles et adaptatives qui altère les performances posturales. La prévalence des déficits visuels susceptibles d’avoir un retentissement sur l’équilibre et sur l’autonomie des individus atteint 20 % chez les personnes de plus de 85 ans et 38 % chez les personnes de plus de 90 ans. Il s’agit, par Une table ronde du 117e congrès de la Société française d’oto-rhino-laryngologie et de chirurgie de la face et du cou, qui s’est tenu du 16 au 18 octobre 2010 au Palais des Congrès de Paris, a été consacrée aux troubles de l’équilibre du sujet âgé. Elle était modérée par les Prs Christian Dubreuil (Lyon) et Claude Beauvillain de Montreuil (Nantes), et a rassemblé des intervenants d’horizons différents. En effet, comme l’a souligné le Pr C. Dubreuil dans son introduction, la prise en charge des troubles de l’équilibre du sujet âgé ne peut être que multidisciplinaire. C hez un patient âgé qui vient consulter pour des troubles de l’équilibre, l’ORL commence par le recueil de l’anamnèse et l’examen clinique, à l’issue desquels il décide des explorations complémentaires les plus pertinentes à réaliser. Au vu des résultats de celles-ci, il va élaborer une synthèse et proposer une prise en charge. Quelques chiffres D’après une communication du Dr Arach Madjlessi, gériatre, Puteaux Du fait de l’allongement de l’espérance de vie (tableau I), les personnes âgées sont de plus en plus nombreuses. En 1960, la France comptait Tableau I. Espérance de vie (exprimée en années) en France. Individu de 85 ans Individu de 75 ans En 1950 En 2000 En 2020 Homme 4,5 5,2 5,9 Femme 4,4 6,5 7,6 Homme 7 10,1 11,6 Femme 8,4 13 14,9 Tableau II. Prévalence de la maladie d’Alzheimer en France, en fonction de l’âge. *Service ORL, hôpital Robert-Debré, Paris. Âge Prévalence 75-79 ans 80-84 ans 85-89 ans > 90 ans 6,5 % 15,1 % 27,6 % 47 % 6 | La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 323 - octobre-novembre-décembre 2010 CONGRÈS RÉUNION ordre de fréquence décroissante, de la cataracte, de la déficience maculaire liée à l’âge (DMLA), du glaucome et de la rétinopathie diabétique. Réactions inappropriées au déséquilibre Parmi les personnes de plus de 75 ans, 61 % des femmes et 37 % des hommes se plaignent de troubles de l’équilibre. Il s’agit rarement de vertiges, mais plus souvent d’instabilité et, surtout, de réactions inappropriées au déséquilibre, comme l’a montré la superbe vidéo du Pr Jean-Pierre Sauvage (Limoges). Quel bilan, quelles explorations ? D’après une communication du Pr Cécile Parietti-Winkler, ORL, Nancy L’interrogatoire médical d’une personne âgée est difficile ; il faut prendre son temps, reposer les questions, demander à voir les ordonnances. L’instabilité prédomine sur le vertige. Mais même s’il n’y a pas de vertige vrai, il faut effectuer un bilan vestibulaire, rechercher un nystagmus, faire une manœuvre de provocation. L’examen physique commence par l’étude de l’équilibre statique, en station assise (l’antépulsion est-elle possible ?), puis en station debout bipodale puis monopodale (un patient qui ne peut pas tenir plus de 5 secondes sur un pied a un risque de chute multiplié par 2,5), puis lors de poussées déséquilibrantes. Ensuite vient l’examen de l’équilibre dynamique : passage de la position couchée à la position assise, puis debout, marche les yeux ouverts puis les yeux fermés, demi-tour, montée et descente d’escalier. Le bilan vestibulaire instrumental comporte un examen calorique (qui est anormal dans 20 % des cas), une vidéonystagmographie (VNG), mais surtout une posturographie, car l’étude des stratégies d’équilibration sera un guide précieux pour le kinésithérapeute. Il est normal d’observer une diminution du gain au VOR et au VVOR, sans corrélation avec les symptômes, et une baisse d’amplitude associée à une augmentation des latences N23 et P13 aux potentiels évoqués otolithiques (PEO) : c’est la presbyvestibulie. Le vertige positionnel paroxystique bénin (VPPB) est fréquent, et il peut être traité chez la personne âgée comme il l’est chez l’adulte jeune. Il n’est pas rare d’observer des aréflexies vestibulaires bilatérales (généralement à la suite de traitements ototoxiques). En fonction de l’anamnèse et des données de l’examen, il pourra être utile de demander : ➤ un examen ophtalmologique, à la recherche d’un glaucome ou d’une atteinte de la vision périphérique ; ➤ un examen neurologique, habituellement effectué par le gériatre et recherchant plus particulièrement une diminution de la proprioception des membres inférieurs, une ataxie-abasie et des troubles de la continence ; ➤ un examen orthopédique, qui s’attachera à rechercher ce qui est curable au niveau du rachis, des membres inférieurs (fonte musculaire, flessum), du déroulement des pieds et des membres supérieurs (qui jouent un rôle important dans la stratégie d’équilibration). Il faut alléger l’ordonnance et obtenir, si possible, que le patient prenne moins de 5 médicaments par jour, en limitant plus particulièrement les psychotropes et les produits qui ont un effet central comme certains antihistaminiques et certains antivertigineux. Dans tous les cas, il faut préconiser une activité physique régulière pour maintenir la trophicité musculaire et la souplesse articulaire (Taï-chi, gymnastique douce). Une rééducation vestibulaire pourra être indiquée pour que le patient apprenne ou retrouve des stratégies de rééquilibration. Indications et résultats des examens radiologiques D’après une communication du Dr Françoise Cyna-Gorse, radiologue, Paris Le but de l’imagerie est d’éliminer une cause organique pouvant nécessiter une thérapeutique spécifique telle qu’un schwannome du nerf vestibulocochléaire, un hématome sous-dural ou un accident vasculaire cérébral (AVC). Mais, dans la plupart des cas, l’examen sera normal, et il vaut mieux que les patients en soient informés par avance. Les indications de l’imagerie sont les vertiges atypiques ou avec symptômes associés, les vertiges d’apparition brutale et les vertiges survenant dans un contexte traumatique. L’examen de première intention est l’IRM. Le pacemaker est une contre-indication absolue (risque de mort). L’injection de gadolinium risque de provoquer une fibrose systémique néphrotoxique chez l’insuffisant rénal, mortelle dans 80 % des cas. Abonnezvous en ligne ! Bulletin d’abonnement disponible page 39 www.edimark.fr La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 323 - octobre-novembre-décembre 2010 | 7 CONGRÈS RÉUNION L’IRM est également contre-indiquée si la clairance de la créatinine est inférieure à 30 mg/mn. En l’absence d’injection de gadolinium, le risque est simplement de passer à côté d’un petit neurinome, ce qui, en pratique, a peu de conséquences chez le sujet âgé. Le Dr F. Cyna-Gorse a illustré son propos par 5 cas cliniques. Le premier est celui d’un homme de 77 ans, qui avait des antécédents d’artérite des membres inférieurs et de pontage coronarien, venu consulter pour un vertige brutal ; l’examen neurologique était normal. Le problème dans ce contexte était d’éliminer un AVC. Un scanner a donc été effectué en urgence, qui a montré des hématomes sous-duraux d’âge varié, qui ont été pris en charge par les neurochirurgiens. Un homme de 82 ans vient consulter pour des troubles de l’équilibre aigus isolés. Du fait d’un antécédent d’infarctus du myocarde en 1997 et de signes déficitaires centraux à l’examen neurologique, une IRM a été réalisée, qui a montré un hypersignal du pédoncule cérébral droit et du cervelet. L’angio-IRM a révélé une thrombose de l’artère vertébrale droite. Il s’agissait d’un AVC de la fosse postérieure, qui a pu être pris en charge en urgence dans un centre spécialisé. Une femme de 73 ans, traitée pour hypertension artérielle et un diabète non insulinodépendant et qui avait été opérée d’un schwannome vestibulaire, se plaignait de vertiges et de céphalées. L’IRM montrait une leucoaraïose supratentorielle étendue, qui se manifestait par des hypersignaux diffus non spécifiques et de la substance blanche, et un petit neurinome intracanalaire. La leucoaraïose est fréquente après 50 ans et est découverte généralement de manière fortuite. Certains facteurs tels l’hypertension artérielle, les AVC, l’obésité, l’hypercholestérolémie et le tabagisme sont reconnus comme étant des facteurs favorisants. Il n’existe pas de traitement. La leucoaraïose infratentorielle, située au niveau du tronc cérébral, est plus fréquente chez les sujets vertigineux que chez les non-vertigineux. Chez une femme de 76 ans, venue consulter pour un VPPB atypique, car récidivant et imparfaitement guéri par les manœuvres libératoires, l’IRM a montré un petit schwannome vestibulaire intracanalaire. Dans cette situation, 3 attitudes sont à discuter, selon la taille du schwannome, son évolution et l’état 8 | La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 323 - octobre-novembre-décembre 2010 général du patient : surveillance avec une nouvelle IRM 6 mois plus tard, puis 1 fois par an, puis de plus en plus espacée ; radiothérapie ; exérèse chirurgicale. Chez une femme de 78 ans sous clonazépam, venue consulter pour des vertiges associés à une surdité de perception et des acouphènes gauches, l’IRM a montré un énorme schwannome de l’angle pontocérébelleux. Rééducation et prise en charge au domicile D’après une communication de Mme Stéphanie Couesnon, orthophoniste, membre de la Sofresc, Puteaux La prise en charge des patients âgés confrontés à des troubles de l’équilibre comporte 3 volets : la rééducation proprement dite, mais également la guidance, avec des recommandations sur l’environnement, et la lutte contre les facteurs favorisants et aggravants, qui sont tout aussi importants. La rééducation vestibulaire s’adresse généralement aux patients qui ont une préférence visuelle. Elle peut s’associer à une stimulation spécifique de la proprioception musculo-tendineuse. Elle est aussi utile chez les patients qui ont une perte du schéma moteur – ce qui est le cas par exemple dans la maladie de Parkinson –, qui n’exécutent plus les bons gestes ou qui n’enchaînent plus les séquences gestuelles appropriées lors de la marche. La guidance est adaptée à chaque patient. Elle consiste à faire accomplir des exercices de marche les yeux fermés, des demi-tours, des franchissements de petits obstacles, en apprenant au patient à se relever. Au domicile du patient, il faut s’assurer que l’éclairage est adéquat, tant en intensité qu’en accessibilité, que le sol n’est pas glissant, ni encombré de tapis ou de fils électriques, que les objets d’usage quotidien sont facilement accessibles, qu’il y a si nécessaire des équipements de sécurité tels que rampes et barres d’appui. Par ailleurs, il faut vérifier que le patient a un bon apport protéique et qu’il pratique une activité physique régulière. Le prochain congrès de la SFORL aura lieu à Paris, du 15 au 17 octobre 2011. ■