Myocardiopathie et hypothyroïdie

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cas clinique
c as clinique
Myocardiopathie et hypothyroïdie
IP F. Bernard*, **, T. Coton*, Y. Arafat*
observAtIon cLInIque
Mme O., Djiboutienne âgée de 53 ans, est hospitalisée pour un
tableau d’asthénie intense, dyspnée stade II-III NYHA évoluant
depuis plusieurs semaines. Elle se plaint d’une chute des cheveux,
d’une prise de poids anormale (90 kg pour 1,70 m), d’une voix
bitonale et d’une constipation opiniâtre. Elle n’a pas d’antécédents familiaux de cardiopathie. La tension artérielle est mesurée
à 135/75 mmHg avec un pouls bradycarde à 58 pulsations/mn.
Les bruits du cœur sont assourdis, sans souffle ni frottement
péricardique. L’auscultation pulmonaire est normale. La palpation de la loge thyroïdienne ne trouve pas de goitre. L’ECG inscrit
un rythme sinusal, hémibloc antérieur gauche, bloc auriculoventriculaire (BAV) du premier degré avec un espace PR mesuré
à 24/100 seconde, troubles de la repolarisation non spécifiques en
D1VL (figure 1). La radiographie pulmonaire montre un élargissement de la silhouette cardiaque. L’échocardiographie confirme
le diagnostic de cardiopathie révélant un aspect d’hypertrophie
ventriculaire gauche concentrique majeure, le septum et la paroi
inférieure étant mesurés respectivement à 21,5 et 23,5 mm, la
cavité ventriculaire étant de petite taille (37,5 mm). Il s’y associe
un épanchement péricardique de faible abondance (figure 2).
La fonction ventriculaire est conservée, supérieure à 60 %, sans
élévation des pressions de remplissage diastolique. La présentation
clinique évocatrice d’une hypothyroïdie est confirmée biologiquement avec une TSH dosée à 51,35 mU/l (N < 5), et un taux de T4
libre indosable. L’échographie cervicale retrouve un corps thyroïde
de taille normale. Le diagnostic de thyroïdite de Hashimoto est
confirmé par un taux élevé d’anticorps antithyroïdiens. Le suivi de
la patiente n’a pas été possible car elle a été perdue de vue.
Figure 1. Électrocardiogramme à l’admission de la patiente.
* Service de médecine interne et cardiologie, groupement médico-chirurgical Bouffard, Djibouti.
** Service de cardiologie, hôpital militaire Desgenettes, Lyon.
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La Lettre du Cardiologue - n° 402 - février 2007
A.D. Santos et MM. Shenoy rapportent aussi des observations
d’évolution favorable de l’hypertrophie ventriculaire sous traitement opothérapique (4-5).
2. La moins fréquente : la dilatation ventriculaire gauche avec
dysfonction systolique totalement comparable à l’authentique
myocardiopathie dilatée idiopathique. Elle se caractérise aussi
par sa guérison sous le seul effet du traitement de l’hypothyroïdie
(6). Une susceptibilité génétique a été évoquée par P.W. Ladenson
dans cette forme de cardiopathie (7).
Enfin, signalons que la patiente de notre observation présentait trois autres caractéristiques assez fréquentes de la cardiopathie du myxœdème : la bradycardie sinusale, l’anomalie de
conduction auriculo-ventriculaire (BAV 1), et l’épanchement
péricardique.
Figure 2. Échocardiographie coupe parasternale grand axe :
hypertrophie ventriculaire gauche majeure.
DIscussIon
Cette observation rapporte l’association d’une authentique
myocardiopathie hypertrophique (CMH) et d’une hypothyroïdie
périphérique. Certains auteurs considèrent que le lien entre
CMH et hypothyroïdie n’est pas formellement établi (1). Mais
cette association n’est pourtant pas fortuite, ainsi que d’autres
observations l’ont rapporté . L’hypothyroïdie peut en effet se
compliquer de deux formes d’atteinte myocardique :
1. La plus fréquente (et rapportée dans notre observation) :
l’hypertrophie ventriculaire gauche, caractérisée par un aspect
échographique en tout point superposable à celui de l’authentique CMH, où l’on note une fréquente asymétrie septale. La
pathogénie de l’hypertrophie n’est pas clairement établie : infiltration “myxœdémateuse” du myocarde ou réelle hypertrophie
“musculaire” ? Dans un suivi de 13 hypothyroïdies, R. Bernstein note une prévalence importante de 25 % d’hypertrophie
ventriculaire gauche (2). Cette hypertrophie est caractérisée
par l’épaisseur importante des parois du cœur, et surtout par sa
régression sous traitement hormonal de l’hypothyroïdie après six
mois de traitement. Dans une série de 20 patients, Gundersen
montre une quasi-normalisation du septum interventriculaire
régressant en moyenne de 19,4 mm à 12,1 mm en six mois (3).
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concLusIon
Cette observation rappelle, d’une part, la nécessité du dépistage
d’une dysthyroïdie en cas de découverte d’une cardiopathie quelle
qu’elle soit, et, d’autre part, l’intérêt de la recherche systématique
d’une complication cardiaque de l’hypothyroïdie : en effet, sa
présence conditionnera une mise en route et une augmentation
plus progressives des doses de thyroxine.
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RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1. Klein I, Ojamaa K. Mechanisms of disease: thyroid hormone and the cardio-
vascular system, N Engl J Med 2001;344:501-9.
2. Bernstein R, Midtbo K, Smith G et al. Incidence of hypertrophic cardiomyopathy in hypothyroïdism. Thyroid 1995;5(4): 277-81.
3. Gundersen T, Paulsen AQ, Gallefoss F, Aslaksen BB. Hypothyroid cardiomyopathy: an underdiagnosed cause of heart failure. Tidsskr Nor Laegeforen
1990;110:1948-51.
4. Santos AD, Miller RP, Mathew PK et al. Echocardiographic characterization
ot the reversible cardiomyopathy of hypothyroïdism. Am J Med 1980;68:675-82.
5. Shenoy MM, Goldman JM. Hypothyroid cardiomyopathy: echocardiographic
documentation of reversibility. Am J Med Sci 1987;294:1-9.
. De Andrade EJ, Castelar E, Carvalho F et al. Evaluation of cardiac manifestations in hypothyroïdism: documentation of reversibility. Arq Bras Cardiol
1990;55(6):167-70.
7. Ladenson PW, Sherman SI, Baughman KL, Ray PE and AMF. Reversible alterations in myocardial gene expression in a young man with dilated cardiomyopathy and hypothyroidism. Proc Natl Acad Sci USA 1992;89:5221-55.
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