La Lettre du Psychiatre - vol. II - n° 2 - mars-avril 2006
Mise au point
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important dans le cas des troubles de l’humeur. En effet, il semble
que la diminution du désir sexuel soit plus fréquemment rappor-
tée par les hommes que par les femmes. Ainsi, la diminution de
la libido est rapportée chez plus de 80 % des patients déprimés
de sexe masculin, alors que seulement 53 % des femmes “dépri-
mées” rapportent ce type de trouble. Données qui renvoient pro-
bablement à des différences entre les hommes et les femmes dans
l’expression symptomatique des troubles dépressifs. Cependant,
dans la vie de couple ou la vie amoureuse, cette différence rela-
tive à l’importance des troubles de la libido entre les sexes peut
entretenir une sorte de malentendu, surtout lorsque le couple est
dans une situation de rupture.
Si l’existence d’une diminution de la libido est généralement
admise comme faisant partie du tableau clinique de l’état dépres-
sif, une augmentation de la libido est aussi constatée chez cer-
tains patients. On estime ainsi qu’environ 20 % des patients
déprimés signalent une augmentation de la libido au décours des
états dépressifs. Cet accroissement de la libido renvoie probable-
ment à un mécanisme “compensatoire” de la dysfonction orgas-
mique chez les déprimés ; une sorte de fuite en avant visant à
maintenir à distance l’impotence ressentie.
On peut rattacher à ce phénomène le rôle joué par l’anxiété dans
la survenue des troubles sexuels chez ces patients. En effet, plus
que le trouble de l’humeur, il semble que l’existence de troubles
anxieux associés à l’état dépressif soit importante dans la genèse
des plaintes “sexuelles”. On a pu montrer une corrélation signi-
ficative entre la présence d’anxiété et la diminution de la libido
(2). L’existence de troubles de la libido, bien avant l’apparition
d’un état dépressif, est une question depuis longtemps débattue.
Chez certains patients, ces troubles de la libido sont probable-
ment des facteurs de “vulnérabilité” à la dépression et renvoient
à ce qui est décrit dans certains types de personnalité sous le nom
d’anxiété de performance. Chez ces patients, la vie affective et
sexuelle est, en dehors de toute problématique de couple, un sujet
complexe et délicat ; point d’appel à l’expression de nombreux
conflits.
L’importance actuelle de l’expression de la dépression au travers
d’un “masque sexuel” est trop souvent négligée par les cliniciens,
ce qui n’est pas toujours sans conséquence pour les patients et
leur prise en charge (3). Si les troubles sexuels font partie inté-
grante de la symptomatologie dépressive, ils sont généralement
sous-estimés par les médecins. À cela plusieurs explications peu-
vent être avancées. Tout d’abord, le manque de formation actuelle
des médecins (somaticiens et psychiatres pour une fois à égalité)
à la médecine “sexuelle”. L’enseignement des troubles psychia-
triques, et plus particulièrement celui de la sémiologie des
troubles dépressifs, est aussi responsable de ce phénomène.
L’importance accordée à certains éléments sémiologiques comme
la tristesse ou le risque suicidaire au détriment de manifestations
considérées comme plus “fonctionnelles” (les troubles sexuels)
participe aussi à minimiser les problèmes sexuels chez le patient
déprimé. À l’inverse, cette vision de la sémiologie rend plus dif-
ficile le repérage de troubles psychiques derrière des plaintes
fonctionnelles essentiellement centrées sur la vie sexuelle. Enfin,
la culture médicale (et psychiatrique) vis-à-vis de la vie sexuelle
rend artificiellement délicate la question de l’évaluation de la vie
sexuelle en pratique quotidienne. L’abord de la vie sexuelle est
ainsi souvent considéré comme trop intrusif par bon nombre de
praticiens. Les patients sont parfois eux-mêmes “embarrassés”
d’évoquer avec leur médecin les difficultés de leur sexualité et
leurs retentissements sur leur vie sexuelle ou sur leur couple (4).
RÔLE DES ANTIDÉPRESSEURS
Face à la sous-évaluation des troubles sexuels chez le patient
dépressif et à leurs éventuelles conséquences sur la vie de couple,
la prescription de médicaments antidépresseurs n’est pas sans
poser certaines difficultés (5). La question est à la mode ! D’une
manière générale, les troubles sexuels s’estompent avec la guéri-
son de l’état dépressif. Toutefois, la récupération d’une sexualité
“satisfaisante” ou “épanouie” nécessite souvent beaucoup plus de
temps que le retour à l’euthymie (6). Le rôle joué par les traite-
ments antidépresseurs dans le maintien ou l’aggravation des
troubles de la sexualité et du désir chez le patient ayant traversé
un état dépressif n’est plus à souligner. Si les troubles de la libido
sont généralement sous-estimés chez les déprimés, l’apparition
d’effets indésirables affectant la libido est encore plus négligée.
Toutefois, pour les antidépresseurs de nouvelle génération (inhi-
biteurs de la recapture de la sérotonine, venlaflaxine, etc.), la
survenue d’effets secondaires sexuels tels que la diminution de
la libido et les troubles de l’orgasme constitue les troubles
iatrogènes les plus fréquents au décours du traitement (7). De
nombreuses études ont pu montrer que la survenue de ce type
d’effet indésirable altérait la qualité de vie des patients et était
source de mauvaise observance du traitement. D’une manière
générale, les antidépresseurs aggravent les troubles sexuels pré-
existants. Ils augmentent la survenue de troubles plus “méca-
niques” comme l’apparition d’éjaculation rétrograde ou la dimi-
nution du volume de l’éjaculation. Ces troubles ont un impact
particulièrement négatif sur l’image de soi des hommes dépri-
més. Cela souligne encore l’importance d’une médecine adaptée
au sexe. Des différences importantes sont signalées entre
hommes et femmes pour la survenue d’effets secondaires
“sexuels” liés aux antidépresseurs. Il est généralement admis que
les hommes souffrent plus souvent de ce type de troubles lors de
la prescription des médicaments antidépresseurs. Toutefois, les
femmes présentent plus fréquemment et plus intensément des
troubles de la libido et de l’orgasme. Les patients âgés sont ceux
qui rapportent le moins d’effets secondaires “sexuels” ; il semble
surtout que les sujets les plus âgés accordent moins d’importance
à ce type d’effet.
DYNAMIQUE SEXUELLE DU COUPLE
Toutes ces perturbations (trouble préexistant de la libido, troubles
sexuels de la dépression, troubles sexuels induits pas les antidé-
presseurs) modifient inévitablement la dynamique sexuelle du
couple. Si, actuellement, les psychiatres redécouvrent l’impor-