Audrey CAIRE / Laura COUSIN
Proposition pour un séminaire de l'Ecole doctorale (2016-2017)
Histoire des plaisirs
La notion de plaisir fait partie intégrante des sociétés et des cultures que chacun d'entre
nous étudie en tant qu'historien. Cependant, elle est peu étudiée pour elle-même. Le plaisir, vu
comme la satisfaction des pulsions humaines, semble relever plus de l'individu que du groupe,
davantage de l'instinct que de la culture. Toutefois, toutes les sociétés et les cultures
définissent leur propre ordre du plaisir, elles produisent un discours sur le plaisir, et
circonscrivent ses pratiques. Le plaisir devient alors un fait social et culturel que l'historien
peut prendre pour objet d'étude.
Le plaisir peut être défini comme l'état de contentement produit par la satisfaction d'un
besoin, d'un désir. L'historien peut tout d’abord s'intéresser à la définition de ces besoins et de
ces désirs, dont la satisfaction est censée produire le plaisir, qui reçoivent des formulations
différentes selon les époques et les lieux.
Il peut également s'interroger sur les moments et les lieux dédiés aux plaisirs. Le
plaisir est souvent perçu comme un facteur de dissolution sociale et morale. Par conséquent,
la satisfaction des pulsions individuelles remettrait en cause le bon fonctionnement du groupe.
Ainsi, et comme le plaisir ne peut pas être évacué, car il semble faire partie des espérances des
hommes, on cherche à le circonscrire dans des lieux et des temporalités bien encadrées. [Cela
conduit l’historien à étudier le plaisir condamné comme un élément récurrent des discours,
prenant des formes très diverses selon les sociétés et les cultures].
Mais aucune société ne rejette complétement le plaisir, et toutes proposent aussi des
formes de sublimation du plaisir, recentrées sur des besoins sociaux, esthétiques, ou religieux.
L'historien peut donc analyser ce discours sur la quête du plaisir, et les pratiques mises en
place pour l'atteindre.
Enfin, il faut travailler sur l'accès au plaisir comme un enjeu social, économique et
politique. Que l'on prône l'égalité, ou la restriction à un groupe social et économique bien
défini, il s'agit de définir quels sont les privilégiés et quels sont les exclus de cet ordre du
plaisir.
En somme, qu'il soit perçu comme un facteur de dissolution, ou un vecteur de lien, le
plaisir est un aspect essentiel de l'ordre social. En outre, les moyens d'expression et de
définition du plaisir font partie intégrante de la culture d'une société à une époque donnée, ils
en traduisent l'ordre des représentations et un rapport matériel et immatériel au
monde. Étudier le plaisir peut ainsi nous permettre d’analyser autrement les pratiques sociales
et culturelles que nous abordons d'ordinaire en termes de fonctions sociales, de système
culturel, d'enjeux économiques ou de rapports de pouvoir. //
Les plaisirs sont aujourd’hui reconnus comme des objets d’histoire à part entière, dans
toutes les périodes. La notion de plaisir elle-même et la manière dont elle est comprise par les
historiens doit beaucoup aux travaux de S. Freud (notamment Malaise dans la civilisation,
trad. fr. A. Weill, Payot & Rivages, Paris, 2010 [1930], où il cherche à comprendre le rapport
entre répression du principe de plaisir et processus de civilisation). [Dans cette optique, des
ouvrages comme celui de R. Munchembled (L’orgasme & l’Occident. Une histoire du plaisir
du XVIe siècle à nos jours, éd. du Seuil, Paris, 2005) proposent une histoire du plaisir sexuel
entre encadrement et répression où l’ordre social engendre un ordre culturel qui assimile ces
procédures de contrôle. D’autres historiens comme J.-N. Robert (Les plaisirs à Rome, Les
Belles Lettres, Paris, 2005) ne se contentent pas d’étudier la sexualité mais incluent tous les
plaisirs, ceux de la chair comme ceux de l’esprit, pour écrire une histoire culturelle.] D’autre