Cours de mathématiques PC : algèbre

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Chapitre
1
Espaces vectoriels et applications linéaires
Dans ce chapitre, nous rappelons, souvent sans démonstration, les définitions et résultats importants
du cours de première année.
Dans tout le chapitre, K désigne soit R, soit C.
1.1
Espaces vectoriels
1.1.1
Espaces vectoriels et sous-espaces vectoriels
Définition (espace vectoriel)
Un K-espace vectoriel est un ensemble E non vide muni d’une opération interne, notée +, et d’une
opération externe, notée · : K × E −→ E, vérifiant :
– l’opération + est associative
– l’opération + possède un élément neutre, noté 0E (ou plus simplement 0)
– l’opération + est commutative : pour tous x, y ∈ E, on a x + y = y + x
– chaque élément x ∈ E possède un opposé pour l’opération +, i.e. un élément y vérifiant x + y = 0E .
Cet élément est noté −x
(on dit que (E, +) est un groupe commutatif ), ainsi que
– pour tout x ∈ E, 1K · x = x
– pour tous λ, µ ∈ K et x ∈ E, (λµ) · x = λ · (µ · x)
– pour tous λ ∈ K et x, y ∈ E, λ · (x + y) = λ · x + λ · y
– pour tous λ, µ ∈ K et x ∈ E, (λ + µ) · x = λ · x + µ · x.
Dans la pratique, on note λx au lieu de λ · x, et 0 au lieu de 0E (c’est le vecteur nul de E).
Exemple 1. Pour tout entier n, Kn est un K-espace vectoriel ; le vecteur nul est le n-uplet (0, . . . , 0).
Exemple 2. Si I est un ensemble (par exemple un intervalle de R), l’ensemble F (I, R) des fonctions
définies sur I à valeurs dans R est un R-espace vectoriel ; le vecteur nul est la fonction nulle.
Il
–
–
–
–
résulte des définitions que, pour tout (λ, x) ∈ K × E, on a
0 · x = 0E
λ · 0E = 0E
(−1) · x = −x
λ · x = 0E =⇒ (λ = 0 ou x = 0E ).
Définition (sous-espace vectoriel)
Soit E un K-espace vectoriel. Un sous-espace vectoriel de E est une partie F de E telle que
– F est non vide
– ∀x, y ∈ F , x + y ∈ F
– ∀λ ∈ K, ∀x ∈ F , λx ∈ F .
Un sous-espace vectoriel de E est encore un espace vectoriel. C’est en général en l’identifiant comme
sous-espace vectoriel d’un espace vectoriel connu que l’on montre qu’un ensemble est un espace vectoriel.
1
Chapitre 1. Espaces vectoriels et applications linéaires
2
Exemple 3. L’ensemble C ∞ (R, R) des fonctions de classe C ∞ de R dans R est un R-espace vectoriel car
c’est un sous-espace vectoriel de F (R, R).
Remarque 1. Un sous-espace vectoriel de E contient toujours le vecteur nul 0E de E ! C’est en général
en vérifiant que 0E appartient à F que l’on montre que F est non vide.
Proposition
L’intersection de deux (ou d’une famille de) sous-espaces vectoriels de E est encore un sous-espace
vectoriel de E.
Définition (combinaison linéaire, cas fini)
Soit E un K-espace vectoriel et x1 , . . . , xn des vecteurs de E. Une combinaison linéaire des vecteurs
x1 , . . . , xn est un vecteur de la forme
x = λ1 x1 + · · · + λn xn ,
où λ1 , . . . , λn sont des scalaires.
Définition (combinaison linéaire, cas infini)
Soit E un K-espace vectoriel et (xi )i∈I une famille (éventuellement infinie) de vecteurs de E. Une
combinaison linéaire des vecteurs xi est un vecteur de la forme
X
x=
λi xi ,
i∈I
où (λi )i∈I est une famille à support fini (i.e. que les λi non nuls sont en nombre fini) de scalaires.
Il revient au même de choisir un nombre fini x1 , . . . , xp de vecteurs de la famille infinie (xi )i∈I et d’en
faire une combinaison linéaire.
Exemple
combinaison linéaire de la famille (X k )k∈N de polynômes est un vecteur de la forme
P 4. Une
k
P = k∈N λk X , où seul un nombre fini de λk sont non nuls (i.e. un polynôme).
Proposition
Si (xi )i∈I est une famille (finie ou non) de vecteurs de E, l’ensemble F des combinaisons linéaires de
ces vecteurs est un sous-espace vectoriel de E.
Définition (espace vectoriel engendré)
Le sous-espace vectoriel F de la proposition
précédente est appelé sous-espace vectoriel engendré par
la famille (xi )i∈I ; on le note Vect (xi )i∈I . On dit encore que la famille (xi )i∈I engendre l’espace F ,
ou que c’en est une famille génératrice.
Remarque 2. Dans le cas particulier où la famille ne contient aucun vecteur, on convient que le sous-espace
vectoriel engendré par cette famille est l’espace nul {0E }.
1.1.2
Bases
Définition (famille libre, cas fini)
Soit (x1 , . . . , xn ) une famille de vecteurs de E. On dit que la famille est libre si, et seulement si, l’unique
famille (λ1 , . . . , λn ) de scalaires vérifiant
λ1 x1 + · · · + λn xn = 0E
est la famille nulle (λ1 , . . . , λn ) = (0, . . . , 0). Dans le cas contraire, la famille est dite liée.
1.1. Espaces vectoriels
3
Pour démontrer qu’une famille est libre, on doit impérativement rédiger comme suit :
«Soient λ1 , . . . , λn ∈ K tels que λ1 x1 + · · · + λn xn = 0.» Puis on se débrouille pour démontrer que les λi
sont tous nuls.
Exemple 1. Dans le R-espace vectoriel E = F (R, R), considérons les fonctions
f1 : x 7→ 1,
f2 = cos
f3 = sin
et
et démontrons que cette famille est libre.
Soient λ1 , λ2 , λ3 trois réels tels que λ1 f1 + λ2 f2 + λ3 f3 = 0E (fonction nulle). Alors, pour tout réel x,
on a
λ1 + λ2 cos x + λ3 sin x = 0 (le réel 0).
C’est vrai en particulier pour x = 0, x = π2 et x = π. On en

λ1 + λ2
λ1
+ λ3

λ1 − λ2
déduit les trois équations
=
=
=
0
0,
0
d’où l’on tire immédiatement λ1 = λ2 = λ3 .
Définition (famille libre, cas infini)
Soit (xi )i∈I une famille de vecteurs de E. On dit que la famille est libre si, et seulement si, l’unique
famille (λi )i∈I à support fini vérifiant
X
λi xi = 0E
i∈I
est la famille nulle (∀i ∈ I, λi = 0). Dans le cas contraire, la famille est dite liée.
Il revient au même de dire que toute sous-famille finie de la famille (xi )i∈I est libre.
Exemple 2. Dans le R-espace vectoriel E = F (R, R), considérons la famille (fi )i∈N de fonctions définies
par :
∀i ∈ N, fi : x 7−→ xi
et démontrons que cette famille est libre.
P
Pour cela, choisissons une famille (λi )i∈N à support fini telle que
i∈I λi fi = 0 (fonction nulle).
La famille étant à support fini, il existe un entier n tel que, pour tout i > n, on ait λi = 0. L’égalité
précédente s’écrit alors
λ0 f0 + · · · + λn fn = 0,
i.e.
∀x ∈ R,
λ0 + λ1 x + · · · + λn xn = 0.
Le polynôme P = λ0 + λ1 X + · · · + λn X n admet une infinité de racines, donc c’est le polynôme nul, donc
les λi sont tous nuls.
Remarque 1. Une famille
– formée par un seul vecteur est libre si, et seulement si, ce vecteur est non nul
– formée par deux vecteurs est libre si, et seulement si, ces deux vecteurs ne sont pas colinéaires
– contenant le vecteur nul est toujours liée
– libre ne contient pas le vecteur nul
– extraite d’une famille libre est encore libre.
Remarque 2. On convient qu’une famille ne contenant aucun vecteur est une famille libre.
Définition (base)
Une base d’un K-espace vectoriel E est une famille libre et génératrice de E.
Exemple 3. Dans Kn , notons, pour tout i ∈ [[1, n]], ei le vecteur ei = (0, . . . , 0, 1, 0, . . . , 0) (où l’unique
coefficient 1 est placé en position i). La famille (e1 , . . . , en ) est une base de Kn (dite base canonique).
Chapitre 1. Espaces vectoriels et applications linéaires
4
Exemple 4. La famille (1, X, . . . , X n ) est une base de Kn [X] (base canonique) ; la famille (X n )n∈N est
une base de K[X] (base canonique).
Proposition
Soit (ei )i∈I une base du K-espaceP
vectoriel E. Pour tout vecteur x ∈ E, il existe une unique famille à
support fini (λi )i∈I telle que x = i∈I λi ei .
Définition (coordonnées)
Sous les hypothèses de la proposition précédente, la famille (λi )i∈I est appelée la famille des coordonnées
du vecteur x dans la base (ei )i∈I .
Attention! On parle toujours de coordonnées d’un vecteur relativement à une base ; les coordonnées ne
sont jamais définies dans l’absolu !
Remarque 3. Dans le cas des vecteurs de Kn , on utilise en général la base canonique pour exprimer les
coordonnées des vecteurs. Mais ce n’est pas toujours le cas ! De même, les coordonnées d’un polynôme
sont en général exprimées dans la base canonique de l’espace des polynômes, mais il y a d’autres choix
possibles.
1.1.3
a)
Produit, sommes et sommes directes
Produit
Définition
Soient E1 , . . ., En des K-espaces vectoriels. Le produit des espaces Ei est l’ensemble
E1 × · · · × En =
n
Y
Ei = {(x1 , . . . , xn ) | x1 ∈ E1 , . . . , xn ∈ En }.
i=1
En termes d’ensembles, c’est donc le produit cartésien des ensembles Ei . Il est intéressant de noter que,
chacun de ces ensembles Ei étant muni d’une addition et d’une multiplication externe, on peut munir ce
produit d’une addition et d’une multiplication externe, de la façon suivante : pour tous x = (x1 , . . . , xn )
et y = (y1 , . . . , yn ) appartenant à E1 × · · · × En , on pose
déf
x + y = (x1 + y1 , . . . , xn + yn )
et
déf
λx = (λx1 , . . . , λxn ).
Proposition
L’ensemble E1 × · · · × En , muni de ces deux opérations, est un K-espace vectoriel.
Démonstration. Cette nouvelle opération + est associative et commutative car chacune des opérations +,
sur les espaces Ei , l’est déjà ; le n-uplet (0, . . . , 0) (noté 0) est élément neutre pour cette nouvelle addition,
et le vecteur (x1 , . . . , xn ) admet (−x1 , . . . , −xn ) pour opposé. Les propriétés des la multiplication externe
sont aussi toutes vérifiées car elles le sont déjà pour chacun des Ei .
Remarque 1. Noter que chaque vecteur x = (x1 , . . . , xn ) de E1 × · · · × En peut se décomposer sous la
forme
x = (x1 , 0, . . . , 0) + (0, x2 , . . . , 0) + · · · + (0, . . . , 0, xn ).
Dans le cas où l’on connaît une base finie de chacun des espaces Ei , on en connaît naturellement
une pour l’espace produit. Pour cela, examinons le cas où n = 2 et où les espaces sont de dimensions 3
et 2 respectivement (ce qui ne nuit en rien à la généralité du propos, mais permet d’éviter d’introduire
des notations lourdes qui masquent l’idée). Choisissons une base B1 = (e1 , e2 , e3 ) de E1 et une base
1.1. Espaces vectoriels
5
B2 = (ε1 , ε2 ) de E2 . Soit maintenant x = (x1 , x2 ) un vecteur de E = E1 × E2 . Les vecteurs x1 et x2
appartenant à E1 et E2 respectivement, on peut les écrire sous la forme
x1 = λ1 e1 + λ2 e2 + λ3 e3
x2 = µ1 ε1 + µ2 ε2 .
et
On a donc
x = (x1 , x2 ) = (x1 , 0) + (0, x2 )
= (λ1 e1 + λ2 e2 + λ3 e3 , 0) + (0, µ1 ε1 + µ2 ε2 )
= λ1 (e1 , 0) + λ2 (e2 , 0) + λ3 (e3 , 0) + µ1 (0, ε1 ) + µ2 (0, ε2 )
Ainsi la famille des 5 = 3 + 2 vecteurs (e1 , 0), (e2 , 0), (e3 , 0), (0, ε1 ), (0, ε2 ) est-elle génératrice de E. Elle
est aussi libre : en effet, choisissons λ1 , λ2 , λ3 , µ1 , µ2 tels que
λ1 (e1 , 0) + λ2 (e2 , 0) + λ3 (e3 , 0) + µ1 (0, ε1 ) + µ2 (0, ε2 ) = 0
(ce vecteur nul désignant bien sûr le couple (0, 0)). L’égalité s’écrit encore
λ1 e1 + λ2 e2 + λ3 e3 , µ1 ε1 + µ2 ε2 = (0, 0),
d’où l’on tire
λ1 e1 + λ2 e2 + λ3 e3 = 0
et
µ1 ε1 + µ2 ε2 = 0,
λ1 = λ2 = λ3 = 0
et
µ1 = µ2 = 0
puis
car les familles (e1 , e2 , e3 ) et (ε1 , ε2 ) sont libres.
Précisons maintenant le cas général. On suppose que les espaces E1 , . . . , En sont de dimensions finies
respectives d1 , . . . , dn . On choisit une base (e1,1 , . . . , e1,d1 ) de E1 , . . ., une base (en,1 , . . . , en,dn ) de En .
On forme ensuite une famille de d1 + · · · + dn vecteurs de E = E1 × · · · × En de la façon suivante :
– les d1 premiers vecteurs sont les (e1,j , 0, . . . , 0) pour 1 6 j 6 d1 ;
– les d2 suivants sont les (0, e2,j , 0, . . . , 0) pour 1 6 j 6 d2 ;
..
.
– les dn derniers sont les (0, . . . , 0, en,j ) pour 1 6 j 6 dn .
Proposition
La famille des vecteurs construite ci-dessus est une base de l’espace E1 × · · · × En .
b)
Somme
Examinons maintenant le cas particulier où tous les espaces Ei sont des sous-espaces vectoriels d’un
même espace vectoriel E. On peut alors former un nouvel espace vectoriel :
Proposition
Soient E1 , . . . , En des sous-espaces vectoriels de E. L’ensemble
E1 + · · · + En =
n
X
Ei = x1 + · · · + xn , x1 ∈ E1 , . . . , xn ∈ En
i=1
= x ∈ E | ∃(x1 , . . . , xn ) ∈ E1 × · · · × En , x = x1 + · · · + xn
est un sous-espace vectoriel de E.
Démonstration. Il est clair que le vecteur nul appartient à cet ensemble (on peut l’écrire sous la forme
0 = 0 + · · · + 0) et que, si x et y appartiennent à cet ensemble, il en est de même de x + λy pour tout λ :
en effet, on peut écrire les vecteurs x et y sous la forme
x = x1 + · · · + xn
et
y = y1 + · · · + yn
Chapitre 1. Espaces vectoriels et applications linéaires
6
(avec xi , yi ∈ Ei ), d’où l’écriture
x + λy = (x1 + λy1 ) + · · · + (xn + λyn )
(avec xi + λyi ∈ Ei pour tout i ∈ [[1, n]]).
Définition
L’espace vectoriel E1 + · · · + En est appelé somme des Ei .
C’est aussi l’ensemble des combinaisons linéaires des vecteurs des Ei .
La définition de la somme montre la
Proposition
L’application E1 × · · · × En
(x1 , . . . , xn )
−→
7−→
E1 + · · · + En est surjective.
x1 + · · · + xn
Attention ! La loi ∩ n’est pas distributive sur la loi + : si F, G, H sont
trois sous-espaces vectoriels de E, la propriété
G
F
F ∩ (G + H) = (F ∩ G) + (F ∩ H)
est en général fausse ! Penser par exemple, dans E = R2 , aux droites F
d’équation y = x, G d’équation x = 0 et H d’équation y = 0 : on a
G + H = R2 , donc F ∩ (G + H) = F , alors que F ∩ G = F ∩ H = {0}
(donc (F ∩ G) + (F ∩ H) = {0}).
De même, la propriété
H
F + (G ∩ H) = (F + G) ∩ (F + H)
est également fausse (même contre-exemple).
Proposition
Si, pour tout i ∈ [[1, n]], la famille Gi engendre le sous-espace Fi , alors la famille G = G1 ∪ · · · ∪ Gn
engendre le sous-espace vectoriel F1 + · · · + Fn .
c)
Somme directe
Définition (somme directe)
P
P
La somme i Fi est dite directe si, et seulement si, chaque vecteur x ∈ i Fi s’écrit de façon unique
sous la forme
x = x1 + · · · + xn ,
x1 ∈ F1 , . . . , xn ∈ Fn .
On note alors
n
M
Fi
i=1
l’espace vectoriel
P
i
Fi .
C’est-à-dire si, et seulement si, pour tout x ∈
tel que x = x1 + · · · + xn .
P
i
Fi , il existe un unique n-uplet (x1 , . . . , xn ) ∈ F1 ×· · ·×Fn
Exemple 1. Dans l’espace E = Rn , notons Fi le sous-espace vectoriel formé par les vecteurs dont toutes les
coordonnées, sauf peut-être la ième, sont nulles (i.e. le sous-espace vectoriel engendré par le ième vecteur
de la base canonique de Rn ). Alors Rn = ⊕ni=1 Fi . En effet, considérons un vecteur x = (x1 , . . . , xn ) ∈ Rn .
1.1. Espaces vectoriels
7
– Ce vecteur peut s’écrire sous la forme
x = (x1 , 0, . . . , 0) + (0, x2 , 0, . . . , 0) + · · · + (0, . . . , 0, xn ),
donc on peut l’écrire comme somme de vecteurs des Fi .
– Une telle décomposition est unique : en effet, si x = u1 + · · · + un est une autre décomposition de
ce vecteur x comme somme de vecteurs des Fi , alors chaque vecteur ui est de la forme
ui = (0, . . . , 0, λi , 0, . . . , 0)
et l’égalité x = u1 + · · · + un fournit x = (λ1 , . . . , λn ), d’où l’on tire que pour tout i, on a λi = xi ,
donc que le vecteur ui est en fait le vecteur (0, . . . , 0, xi , . . . , 0).
Proposition
Pn
La somme i=1 Ei est une somme directe si, et seulement si, l’application
E1 × · · · × En
(x1 , . . . , xn )
−→
7−→
E1 + · · · + En
x1 + · · · + xn
est un isomorphisme.
Démonstration. Il est clair que cette application est linéaire. Nous avons déjà dit qu’elle était, dans tous
les cas, surjective. L’unicité de la décomposition exigée dans la définition de la somme directe traduit
exactement le fait que cette application est injective.
On en déduit un moyen simple de vérifier qu’une somme est directe :
Proposition
Pn
Pour qu’une somme i=1 Ei soit directe, il suffit que l’unique n-uplet (x1 , . . . , xn ) ∈ E1 × · · · × En
vérifiant x1 + · · · + xn = 0 soit le n-uplet (0, . . . , 0).
Démonstration. Si cette condition vérifiée, le noyau de l’application de la proposition précédente est
réduit à l’espace nul, donc celle-ci est injective, donc bijective (car elle est toujours surjective). La somme
est donc directe.
Définition
Si deux sous-espaces vectoriels E1 et E2 de E vérifient E = E1 ⊕ E2 , on dit que E1 et E2 sont
supplémentaires dans E. On dit encore que E2 est un supplémentaire de E1 dans E (ou que E1 est un
supplémentaire de E2 dans E).
Attention! On dit un supplémentaire et non le supplémentaire car il n’y pas pas unicité d’un tel
supplémentaire. Par ailleurs, supplémentaire ne signifie par complémentaire (le complémentaire d’un
sous-espace vectoriel de E ne peut jamais être un sous-espace vectoriel de E car il ne contient pas le
vecteur nul).
Exemple 2. Dans R3 , considérons le plan vectoriel P d’équation x1 + x2 + x3 = 0 et la droite vectorielle
D = Vect(u), où u = (1, 1, 1). Démontrons la relation R3 = P ⊕ D. Il s’agit de démontrer que tout vecteur
x = (x1 , x2 , x3 ) ∈ R3 se décompose de façon unique sous la forme x = xP + xD , avec xP ∈ P , xD ∈ D.
Unicité : si une telle décomposition existe, le vecteur xP s’écrit sous la forme xP = (a, b, c) avec
a, b, c ∈ R et a + b + c = 0 et le vecteur xD s’écrit sous la forme xD = (λ, λ, λ) (λ ∈ R). L’égalité
x = xP + xD fournit le système (on écrit les inconnues à gauche, une colonne par inconnue, et les données
à droite) :

a
+ λ = x



b
+ λ = y
,
c + λ = z



a + b + c
= 0
Chapitre 1. Espaces vectoriels et applications linéaires
8
qui fournit facilement a = 2x−y−z
, b = −x+2y−z
, c = −x−y+2z
et λ = x+y+z
. Si une telle décomposition
3
3
3
3
existe, elle est unique.
Existence : posons donc xP = ( 2x−y−z
, −x+2y−z
, −x−y+2z
) et xD = ( x+y+z
, x+y+z
, x+y+z
). Il est
3
3
3
3
3
3
immédiat de vérifier que l’on a bien xP ∈ P , xD ∈ D et xP + xD = x : le vecteur x peut se décomposer
sous la forme d’un vecteur de P et d’un vecteur de D.
On a donc bien R3 = P ⊕ D.
Exemple 3. Dans E = K[X], considérons un polynôme B de degré n + 1 et F = BK[X] l’ensemble des
multiples de B (c’est bien un sous-espace vectoriel de E). On a l’égalité
K[X] = Kn [X] ⊕ BK[X].
En effet, soit P ∈ K[X] un polynôme. Écrivons la division euclidienne du polynôme P par le polynôme B :
P = BQ + R, avec deg(R) 6 n. On a obtenu une décomposition du polynôme P comme la somme d’un
polynôme de BK[X] et d’un polynôme de Kn [X]. Par ailleurs, l’unicité de la division euclidienne des
polynômes prouve l’unicité d’une telle décomposition.
Proposition
Soient E1 , E2 deux sous-espaces vectoriels de E. La somme E1 + E2 est directe si, et seulement si,
E1 ∩ E2 = {0E }.
Attention! Cette caractérisation n’est vraie que pour la somme directe de deux
P espaces ! Dès que n > 3,
on peut très bien avoir Ei ∩ Ej = {0E } pour tous i 6= j sans que la somme i Ei soit directe
P(penser
à trois droites vectorielles deux à deux distinctes dans un plan...). En revanche, si la somme i Ei est
directe, on a nécessairement Ei ∩ Ej = {0E } dès que i P
6= j : sinon, un vecteur x non nul de Ei ∩ Ej
admettrait deux décompositions distinctes sur la somme i Ei :
x = 0 + · · · + |{z}
0 + · · · + |{z}
x + · · · + 0 = 0 + · · · + |{z}
x + · · · + |{z}
0 + · · · + 0.
∈Ei
∈Ej
∈Ei
∈Ej
Théorème
Soient E1 , . . . , En des sous-espaces vectoriels de E tels que E = ⊕ni=1 Ei . Soit également, pour tout
i ∈ [[1, n]], (ei,1 , . . . , ei,di ) une base de Ei . Alors la famille
(e1,1 , . . . , e1,d1 , e2,1 , . . . , e2,d2 , . . . , en,1 , . . . , en,dn )
obtenue par concaténation des bases des Ei , est une base de E.
Démonstration. Démontrons que la famille est libre. Pour cela, choisissons des scalaires λ1,1 , . . . , λn,dn
tels que λ1,1 e1,1 + · · · + λn,dn en,dn = 0. Alors on a trouvé deux décompositions du vecteur nul comme
somme de vecteurs appartenant aux Ei :
0 = 0 + · · · + 0 = λ1,1 e1,1 + · · · + λ1,d1 e1,d1 + · · · + λn,1 en,1 + · · · + λn,dn en,dn
{z
}
{z
}
|
|
∈E1
∈En
Comme la somme des Ei est directe, on en déduit que
λ1,1 e1,1 + · · · + λ1,d1 e1,d1 = · · · = λn,1 en,1 + · · · + λn,dn en,dn = 0.
On utilise ensuite les fait que, pour tout i ∈ [[1, n]], la famille (ei,1 , . . . , ei,di ) est une base de Ei , donc
libre, pour en déduire que tous les coefficients λi,j sont nuls.
Démontrons maintenant qu’elle est génératrice. Pour cela, considérons un vecteur x de E. Commençons
par décomposer ce vecteur sous la forme x = x1 + · · · + xn (xi ∈ Ei ). Chaque vecteur xi appartenant à Ei ,
on peut l’exprimer comme combinaison linéaire des vecteurs ei,j (1 6 j 6 di ), donc on peut exprimer le
vecteur x comme combinaison linéaire des vecteurs (e1,n1 , . . . , en,dn ).
1.2. Applications linéaires
9
Définition (base adaptée)
Si E = ⊕ni=1 Ei , une base obtenue par concaténation de bases des Ei comme dans le théorème précédent
est dite adaptée à la décomposition en somme directe E = ⊕ni=1 Ei .
Exemple 4. Dans le cas de deux sous-espaces supplémentaires E = E1 ⊕ E2 , une base adaptée à cette
décomposition est obtenue en concaténant une base de E1 et une base de E2 .
1.2
1.2.1
Applications linéaires
Applications linéaires, noyau
Définition (application linéaire)
Soient E, F deux K-espaces vectoriels. Une application f : E −→ F est dite K-linéaire (ou linéaire) si,
et seulement si :
– pour tous x1 , x2 ∈ E, f (x1 + x2 ) = f (x1 ) + f (x2 ) ;
– pour tout x ∈ E et tout λ ∈ K, f (λx) = λf (x).
Remarque 1. Si f : E −→ F est une application linéaire, elle vérifie f (0E ) = 0F .
On note L(E, F ) l’ensemble des applications linéaires de E dans F ; c’est un espace vectoriel. Si
f : E −→ F est une application linéaire bijective, sa bijection réciproque est encore linéaire. On parle
alors d’isomorphisme. Dans le cas où F = E, on parle d’endomorphisme ; on note L(E) au lieu de
L(E, E). La composée de deux applications linéaires étant encore linéaire, on vérifie que L(E) est un
anneau (non commutatif) pour l’addition et la composition des endomorphismes. Enfin, l’ensemble des
endomorphismes bijectifs de E est noté GL(E) : c’est un groupe pour la loi ◦ (groupe linéaire de E).
Proposition (recollement d’applications linéaires)
Soit E = ⊕ni=1 Ei une décomposition de E en somme directe et, pour tout i ∈ [[1, n]], une application
linéaire fi : Ei −→ F . Alors il existe une unique application linéaire f : E −→ F telle que
∀i ∈ [[1, n]],
f |Ei = fi .
Démonstration. Commençons par démontrer l’unicité. Si une telle application f existe, alors, pour tout
vecteur x ∈ E, elle doit vérifier
f (x) = f (x1 + · · · + xn ) = f (x1 ) + · · · + f (xn ) = f1 (x1 ) + · · · + fn (xn ),
où x = x1 + · · · + xn est la décomposition du vecteur x sur la somme directe E = ⊕ni=1 Ei .
Existence : considérons l’application f : E −→ F définie de la façon suivante : pour tout vecteur
x ∈ E, posons
f (x) = f1 (x1 ) + · · · + fn (xn )
où x = x1 + · · · + xn est la décomposition du vecteur x sur la somme directe E = ⊕ni=1 Ei . Démontrons
que f est solution au problème posé, i.e. qu’elle est linéaire et que, pour tout i ∈ [[1, n]], on a f |Ei = fi .
Soient x, y ∈ E et λ ∈ K. Soient x = x1 + · · · + xn et y = y1 + · · · + yn les décompositions des vecteurs
x et y sur la somme directe E = ⊕ni=1 Ei . Alors l’écriture x + y = (x1 + y1 ) + · · · + (xn + yn ) est la
décomposition du vecteur x + y sur la somme directe E = ⊕ni=1 Ei , donc on a
f (x + y) = f1 (x1 + y1 ) + · · · + fn (xn + yn )
= f1 (x1 ) + f1 (y1 ) + · · · + fn (xn ) + fn (yn )
= f1 (x1 ) + · · · + fn (xn ) + f1 (y1 ) + · · · + fn (yn )
= f (x) + f (y)
Chapitre 1. Espaces vectoriels et applications linéaires
10
et, sur le même principe, f (λx) = λf (x), donc f est linéaire. Considérons maintenant un entier i ∈ [[1, n]].
Si x est un vecteur de Ei , sa décomposition sur la somme directe est x = 0 + · · · + x + · · · + 0, donc il
vérifie
f (x) = f1 (0) + · · · + fi (x) + · · · + fn (0) = fi (x),
ce qui prouve que f |Ei = fi .
Définition
Soit f : E −→ F une application linéaire. Le noyau de f est l’ensemble
Ker(f ) = {x ∈ E | f (x) = 0F }.
C’est un sous-espace vectoriel de E.
Théorème
Soit f : E −→ F une application linéaire et b un vecteur de F .
– L’application f est injective si, et seulement si, Ker(f ) = {0E }.
– Si le vecteur b appartient à l’image de f , alors l’ensemble des solutions de l’équation linéaire f (x) = b
est
a + Ker(f ) = {a + x, x ∈ Ker(f )}
où a est un vecteur quelconque vérifiant f (a) = b.
Si b n’appartient pas à l’image de f , l’équation n’a évidemment aucune solution.
Exemple 1. Dans l’ensemble E = C ∞ (R, R), considérons l’application
T : C ∞ (R, R) −→
f
7−→
C ∞ (R, R)
f0 − f
et b le vecteur (i.e. la fonction) b : t 7→ −t.
Le noyau de l’application T est l’ensemble des fonctions vérifiant f 0 − f = 0 (fonction nulle), i.e. l’ensemble des solutions de l’équation différentielle f 0 (t) = f (t). Les solutions de cette équation différentielle
sont les fonctions t 7→ λet , où λ est une constante. De plus, la fonction a : t 7→ t+1 vérifie a0 (t)−a(t) = −t
pour tout t, i.e. T (a) = b. L’ensemble des fonctions vérifiant f 0 − f = b (i.e. l’ensemble des solutions de
l’équation différentielle f 0 (t) − f (t) = −t) est l’ensemble
t 7→ t + 1 + λet , λ ∈ R .
Théorème
Soit f : E −→ F une application linéaire et E1 un supplémentaire de Ker(f ) dans E. Alors f induit
un isomorphisme de E1 dans Im(f ).
f
C’est-à-dire : l’application f1 = f |Im
E1 est un isomorphisme.
Démonstration. Cette application est bien linéaire.
Elle est injective. En effet, soit x un vecteur de Ker(f1 ). Il appartient à E1 et vérifie f1 (x) = 0, i.e.
f (x) = 0, donc x ∈ Ker(f ). Comme E1 est un supplémentaire de Ker(f ), on a E1 ∩ Ker(f ) = {0E }, donc
x = 0 et f1 est injective.
Elle est surjective. En effet, soit y un vecteur de Im f . Choisissons un vecteur x ∈ E tel que y = f (x)
et décomposons ce vecteur sur la somme directe E = E1 + Ker(f ) sous la forme x = x1 + xK . On a alors
y = f (x) = f (x1 ) + f (xK ) = f1 (x1 ) + 0 = f1 (x1 ),
ce qui prouve que y admet un antécédent par f1 .
1.2. Applications linéaires
1.2.2
a)
11
Projecteurs, symétries
Projecteurs
Proposition
Soit E un K-espace vectoriel de F , G deux sous-espaces vectoriels supplémentaires de E.
L’application p : E −→ E qui, à chaque vecteur x, associe le vecteur xF de la décomposition
x = xF + xG du vecteur x comme somme d’un vecteur de F et d’un vecteur de G, est linéaire.
Démonstration. Soient x, y deux vecteurs de E et λ ∈ K un scalaire. Considérons les décompositions
x = xF + xG et y = yF +yG des vecteurs x et y sur la somme directe E = F ⊕G. Alors les décompositions
des vecteurs x + y et λx sont
x + y = (xF + yF ) + (xG + yG )
et
λx = (λxF ) + (λxG ),
d’où l’on tire p(x + y) = xF + xG = p(x) + p(y) et p(λx) = λxF = λp(x).
Définition (projecteur)
L’application p de la proposition précédente est appelée projecteur sur F parallèlement à G.
Remarque 1. Avec les mêmes notations, l’application q = IdE −p est le projecteur sur G parallèlement
à F.
Proposition
Soit E = F ⊕ G une décomposition de E en somme directe et p le projecteur sur F parallèlement à G.
Alors
– p◦p=p
– F = Im(p) = {x ∈ E | p(x) = x}
– G = Ker(p).
Démonstration. La première propriété est évidente car, pour tout x ∈ E, la décomposition du vecteur p(x)
sur la somme directe E = F ⊕ G est p(x) = p(x) + 0.
Soit y un vecteur de Im(p). Choisissons x ∈ E tel que y = p(x)(= xF ) : on a y ∈ F . Réciproquement,
si y appartient à F , sa décomposition sur la somme directe E = F ⊕ G est y = y + 0, donc p(y) = y,
donc y ∈ Im(p). On a donc F = Im(p).
Si un vecteur x appartient à F , on vient de voir qu’il vérifiait p(x) = x. Réciproquement, soit x ∈ E
un vecteur vérifiant p(x) = x. Alors x appartient à Im(p) = F . On a donc aussi F = {x ∈ E | p(x) = x}.
Si un vecteur x appartient à G, sa décomposition est x = 0 + x, donc on a p(x) = 0 : x appartient
à Ker(p). Réciproquement, supposons que x appartient à Ker(p) et écrivons x = xF +xG la décomposition
de x. La propriété p(x) = 0 donne xF = 0, donc x = xG : x appartient à G. On a donc Ker(p) = G.
Théorème (caractérisation des projecteurs)
Soit p : E −→ E une application linéaire telle que p ◦ p = p. Notons F = Im(p) et G = Ker(p). Alors
– E =F ⊕G
– p est le projecteur sur F parallèlement à G.
Démonstration. Il s’agit de démontrer que tout vecteur x ∈ E admet une unique décomposition sous la
forme x = xF + xG , où xF ∈ F et xG ∈ G. Soit donc x un vecteur de E.
Unicité : si une telle décomposition existe, choisissons t ∈ E tel que xF = p(t). L’égalité x = xF + xG
donne
p(x) = p(xF ) + p(xG ) = p(p(t)) + 0 = p(t) = xF
donc xF = p(x) (d’où xG = x − p(x)).
Chapitre 1. Espaces vectoriels et applications linéaires
12
Existence : posons xF = p(x) et xG = x − p(x). Le vecteur xF appartient à F , et xG à G car
p(xG ) = p(p(x)) − p(x) = p(x) − p(x) = 0.
De plus, on a bien x = xF + xG .
On a donc E = F ⊕ G. De plus, pour tout x ∈ E, le vecteur xF de la décomposition de x sous la
forme x = xF + xG est p(x), ce qui prouve que p est le projecteur sur F parallèlement à G.
Exemple 1. Soit B un polynôme de degré n et p : K[X] −→ K[X] l’application qui, à chaque polynôme P ,
associe son reste dans la division euclidienne par B. Cette application est linéaire et vérifie p ◦ p = p.
C’est le projecteur sur Kn−1 [X] parallèlement à BK[X] (rappel : on a K[X] = Kn−1 [X] ⊕ BK[X]).
b)
Symétries
Définition (symétrie)
Soit E = F ⊕ G une décomposition de E en somme directe. La symétrie par rapport à l’espace F
parallèlement à l’espace G est l’application s : E −→ E qui, à chaque vecteur x se décomposant sous
la forme x = xF + xG , associe le vecteur s(x) = xF − xG .
Théorème
Soit E = F ⊕G une décomposition de E en somme directe et s la symétrie par rapport à F parallèlement
à G. Alors
– s ◦ s = IdE
– F = {x ∈ E | s(x) = x} = Ker(s − IdE )
– G = {x ∈ E | s(x) = −x} = Ker(s + IdE ).
Démonstration. La première propriété est évidente. Démontrons que F = {x ∈ E | s(x) = x}. Soit pour
cela x un vecteur de E et x = xF + xG sa décomposition sur la somme directe E = F ⊕ G.
– Si x appartient à F , alors xG = 0, donc s(x) = xF = x.
– Réciproquement, si s(x) = x, alors xF − xG = xF + xG , donc xG = 0, donc x appartient à F .
L’égalité G = {x | s(x) = −x} se prouve de la même façon.
Théorème (caractérisation des symétries)
Soit s un endomorphisme de E vérifiant s2 = IdE . Notons F = Ker(s − IdE ) et G = Ker(s + IdE ).
Alors
– E =F ⊕G
– s est la symétrie par rapport à F parallèlement à G.
Démonstration. Il s’agit, pour le premier point, de démontrer que tout vecteur x ∈ E se décompose de
façon unique comme la somme d’un vecteur de F et d’un vecteur de G. Soit donc x un vecteur de E ; on
cherche xF ∈ F , xG ∈ G tels que x = xF + xG .
Unicité : si un tel couple existe, on a s(x) = s(xF ) +
s(xG ) = xF − xG d’où l’on déduit, par somme
et différence, que xF = 12 x + s(x) et xG = 12 x − s(x) . Existence : posons xF = 12 x + s(x) et xG = 12 x − s(x) . On a bien xF + xG = x. De plus,
s(xF ) =
1
1
1
s x + s(x) = s(x) + s2 (x) = s(x) + x = xF ,
2
2
2
ce qui prouve que xF appartient à F . On démontre de la même façon que xG appartient à G. On a donc
prouvé l’égalité E = F ⊕ G, ce qui permet de parler de la symétrie par rapport à F parallèlement à G.
Pour tout vecteur x, de décomposition x = xF + xG , on a alors
s(x) = s(xF ) + s(xG ) = xF − xG ,
ce qui prouve que s est bien la symétrie par rapport à F parallèlement à G.
1.3. Espaces vectoriels de dimension finie
1.3
1.3.1
13
Espaces vectoriels de dimension finie
Dimension
Définition (espace de dimension finie)
Un K-espace vectoriel est dit de dimension finie si, et seulement si, il admet une base formée d’un
nombre fini de vecteurs. Dans le cas contraire, il est de dimension infinie.
Remarque 1. Rappelons que l’espace nul admet une base finie, ne comportant aucun vecteur ; il est donc
de dimension finie.
Remarque 2. Il revient au même de dire que l’espace E admet une famille génératrice finie ; on peut alors
en extraire une base finie.
Proposition
Si E est un espace de dimension finie, toutes les bases de E ont même cardinal.
Définition (dimension d’un espace vectoriel)
La dimension d’un espace vectoriel E de dimension finie est le cardinal commun à toutes les bases
de E.
Exemple 1. L’espace Kn est de dimension n.
Exemple 2. L’espace Kn [X] est de dimension n + 1.
La propriété suivante caractérise les bases :
Proposition
Soit E un K-espace vectoriel de dimension n et B une famille de vecteurs de E. Les conditions suivantes
sont équivalentes :
1. B est une base de E
2. B engendre E et Card(B) = n
3. B est libre et Card(B) = n.
Exemple 3. Dans Kn [X], considérons une famille (P0 , . . . , Pn ) de polynômes vérifiant deg(Pi ) = i pour
tout i ∈ [[0, n]]. La famille est libre (car échelonnée en degré) et de bon cardinal, donc c’est une base
de Kn [X].
1.3.2
Dimension d’un produit, d’une somme
Le produit d’espaces de dimension finie est encore de dimension finie :
Proposition
Si les espaces E1 , . . . , En sont de dimension finie, alors l’espace produit l’est aussi, et on a
dim(E1 × · · · × En ) = dim(E1 ) + · · · + dim(En ).
Démonstration. On a expliqué précédemment comment, à partir de bases des espaces Ei , former une base
du produit ; la formule en découle immédiatement.
Chapitre 1. Espaces vectoriels et applications linéaires
14
Proposition (formule de Grassman)
Soient F, G deux sous-espaces vectoriels de dimension finie de E. Alors F + G est de dimension finie et
dim(F + G) = dim F + dim G − dim F ∩ G.
En particulier, on a toujours dim(F +G) 6 dim F +dim G. Cette formule se généralise immédiatement
par récurrence :
Proposition
Soient F1 , . . . , Fn des sous-espaces vectoriels de dimension finie de E. Alors F1 + · · · + Fn est de
dimension finie et
dim(F1 + · · · + Fn ) 6 dim F1 + · · · + dim Fn .
Dans le cas particulier de deux sous-espaces, le fait que la somme soit directe se caractérise par la
propriété F1 ∩ F2 = {0}. On en déduit immédiatement le
Corollaire
Soient F1 , F2 deux sous-espaces vectoriels de dimension finie de E et F = F1 + F2 . Les conditions
suivantes sont équivalentes :
1. F = F1 ⊕ F2
2. dim F = dim F1 + dim F2 .
Cette propriété se généralise à la somme d’une famille de sous-espaces vectoriels :
Proposition
Soit (Fi )16i6n une famille de sous-espaces vectoriels de dimension finie de E de F = F1 + · · · + Fn .
Les conditions suivantes sont équivalentes :
1. F = F1 ⊕ · · · ⊕ Fn
2. dim F = dim F1 + · · · + dim Fn .
Démonstration. Choisissons, pour chaque i, une base Bi = (ei,1 , . . . , ei,di ) de Fi et notons B la famille
obtenue par concaténation des Bi .
Supposons F = F1 ⊕ · · · ⊕ Fn . Alors la famille B est une base de F . Son cardinal est la somme des
cardinaux des bases Bi , ce qui prouve que dim F = dim F1 + · · · + dim Fn .
Réciproquement, supposons que dim F = dim F1 + · · · + dim Fn et démontrons que la somme est
directe. Commençons par remarquer que, la famille B étant génératrice de F et de cardinal égal à sa
dimension, c’est une base de F . Considérons des vecteurs x1 , . . . , xn (xi ∈ Fi ) tels que x1 + · · · + xn = 0.
Pdi
Décomposons chaque vecteur xi ∈ Fi sur la base Bi : il s’écrit sous la forme xi =
j=1 λi,j ei,j . En
sommant, on obtient
di
n X
X
λi,j ei,j = 0.
i=1 j=1
La famille B étant libre, les λi,j sont tous nuls, donc les vecteurs xi sont tous nuls, ce qui prouve que la
somme est directe.
1.3.3
Applications linéaires en dimension finie
Théorème (formule du rang)
Soit f : E −→ F une application linéaire. On suppose E de dimension finie. Alors Im(f ) est de
dimension finie et
dim(E) = dim(Ker f ) + rg(f ).
1.3. Espaces vectoriels de dimension finie
15
Démonstration. En effet, en choisissant un supplémentaire H de Ker f dans E, on sait que f induit un
isomorphisme de H dans Im f . Ces deux espaces ont donc même dimension. On conclut en remarquant
que dim E = dim H + dim(Ker f ).
Corollaire
Soit f : E −→ F une application linéaire, où E et F sont deux espaces de même dimension finie n.
Les conditions suivantes sont équivalentes :
1. f est un isomorphisme
2. f est injective
3. f est surjective
4. rg f = n.
5. il existe une application linéaire g : F −→ E telle que g ◦ f = IdE
6. il existe une application linéaire g : F −→ E telle que f ◦ g = IdF .
En effet, si la propriété 5) est vérifiée, alors f est injective (car IdE l’est). De même, si la propriété 6)
est vérifiée, alors f est surjective. Sous l’une de ces deux hypothèses, l’application g est alors f −1 .
Exemple 1. Soient a0 , . . . , an des scalaires deux à deux distincts. Considérons l’application linéaire
f : Kn [X] −→
P
7−→
Kn+1
.
P (a0 ), . . . , P (an )
Cette application est injective : en effet, si un polynôme P appartient à son noyau, il admet n + 1 racines
deux à deux distinctes. Étant de degré inférieur ou égal à n, c’est le polynôme nul.
Comme les espaces de départ et d’arrivée sont de même dimension (finie ! c’est essentiel) n + 1, f est
un isomorphisme. Pour tout n + 1-uplet (b0 , . . . , bn ) de scalaires, il existe donc un unique polynôme P de
degré inférieur ou égal à n tel que
∀k ∈ [[0, n]], P (ak ) = bk .
Ce polynôme est appelé polynôme d’interpolation de Lagrange associé à ces deux listes de scalaires.
Chapitre 1. Espaces vectoriels et applications linéaires
16
1.4
1.4.1
Test de compréhension du chapitre
Questions
1. Soit (x, y) une famille liée d’un K-espace vectoriel E. Existe-t-il un scalaire λ tel que y = λx ?
2. Soit E = F ⊕ G une décomposition de E en somme directe, et x un vecteur de E n’appartenant pas à F .
Que peut-on dire de x ?
3. Soit E = F ⊕ G une décomposition de E en somme directe. A-t-on F ∩ G = ∅ ?
4. Donner un exemple de deux sous-espaces vectoriels F et G d’un espace E, qui sont en somme directe,
mais qui ne sont pas supplémentaires.
5. Donner un exemple d’une famille (Ei )i de sous-espaces vectoriels d’un espace E, tels que pour i 6= j, on
ait Ei ∩ Ej = {0}, mais qui ne sont pas en somme directe.
6. Donner un exemple de trois vecteurs deux à deux non colinéaires, mais tels que la famille formée par ces
trois vecteurs soit liée.
7. Si E = F ⊕ G1 = F ⊕ G2 sont deux décompositions de E en somme directe, peut-on en déduire que
G1 = G2 ?
8. Si E = F ⊕ G1 = F ⊕ G2 sont deux décompositions de E en somme directe, avec G1 ⊂ G2 , peut-on en
déduire que G1 = G2 ? L’espace E n’est pas supposé de dimension finie.
9. Soit f une homothétie vectorielle de l’espace E. Est-il vrai que, pour tout endomorphisme g de E, on a
g◦f = f ◦g?
10. Donner plusieurs façons de définir une application linéaire.
11. Soit f : E −→ F une application linéaire. Peut-on en général parler de l’intersection Ker f ∩ Im f ?
12. Soit f : E −→ E un endomorphisme. A-t-on toujours l’égalité E = Ker f ⊕ Im f ? Parmi les hypothèses
suivantes, laquelle (ou lesquelles) permet(tent) de conclure à l’égalité ?
a) E est de dimension finie
b) E est de dimension finie et dim E = dim(Ker f ) + dim(Im f )
c) Ker f ∩ Im f = {0}
d) E est de dimension finie et Ker f ∩ Im f = {0}
13. Soit f un endomorphisme de E et (e1 , . . . , en ) une base de E. Que peut-on dire de la famille f (e1 ), . . . , f (en )
si f est injective ? Surjective ?
14. Soit f un endomorphisme de E. Comparer les espaces Ker f et Ker f 2 , ainsi que Im f et Im f 2 .
15. Soit f : E −→ F une application linéaire et E1 un sous-espace vectoriel de E. Déterminer le noyau de la
restriction f |E1 et donner une condition nécessaire et suffisante pour que celle-ci soit injective.
16. Soit f un endomorphisme de E et F un sous-espace vectoriel de E. Pourquoi l’application f |F n’estelle pas un endomorphisme de F ? Quelle hypothèse faut-il rajouter pour que l’on puisse définir un
endomorphisme de F ? Comment le note-t-on et quelle est la différence avec f |F ?
17. Soient f, g deux endomorphismes de E. Donner une condition nécessaire et suffisante pour que g ◦ f = 0.
Donner un exemple où ni f ni g n’est nul.
18. Soient E, F deux espaces vectoriels de dimension finie et f ∈ L(E, F ). Si f est injective, est-elle bijective ?
19. Soit f un endomorphisme de E. Si f est injective, est-elle bijective ?
20. Soit f ∈ L(Kp , Kn ). Quel est le rang maximal de f ?
21. Soient f, g deux endomorphismes de E. Majorer le rang de g ◦ f en fonction de rg f et de rg g.
22. Soit f un endomorphisme de E et g un isomorphisme de E. Quel est le rang de g ◦ f ◦ g −1 ?
23. Soit f un endomorphisme de E. On suppose trouvé un endomorphisme g de E tel que g ◦ f = IdE .
Peut-on en déduire que f est injective ? Surjective ? Bijective ?
R1
24. Quelle est la dimension de l’espace {P ∈ R4 [X] | 0 P = 0} ?
25. Soient a0 , . . . , an des réels deux à deux distincts, ainsi que b0 , . . . , bn , c0 , . . . , cn des réels quelconques.
Justifier l’existence et l’unicité d’un polynôme P ∈ R2n+1 [X] tel que
P (a0 ) = b0 , . . . , P (an ) = bn
et
P 0 (a0 ) = c0 , . . . , P 0 (an ) = cn .
1.4. Test de compréhension du chapitre
1.4.2
17
Réponses
1. Pas forcément : si x = 0, la famille est liée ; si y 6= 0, un tel λ ne peut exister. En revanche, si on sait que
x 6= 0, il existe un tel λ (d’ailleurs unique).
2. Écrire E = F ⊕ G ne signifie pas que E est la réunion de F et de G ; un vecteur quelconque de E n’est en
général ni dans F , ni dans G... En particulier, le fait que x ne soit pas dans F ne prouve pas que x soit
dans G. En revanche, x se décompose de façon unique sous la forme x = xF + xG (xF ∈ F , xG ∈ G). Le
vecteur xG est nécessairement non nul (sinon, on aurait x ∈ F ).
3. Non : F ∩ G = {0}.
4. Dans E = R3 , on prend F = Vect(e1 ) et G = Vect(e2 ).
5. Dans E = R2 , on prend E1 = Vect(e1 ), E2 = Vect(e2 ) et E3 = Vect(e1 + e2 ).
6. Dans E = R2 , on prend u = e1 , v = e2 et w = e1 + e2 .
7. En général non : on ne parle pas du supplémentaire d’un espace vectoriel, mais d’un supplémentaire, car il
y en a en général beaucoup. Par exemple, dans R2 , on prend F = Vect(e1 ) ; toutes les droites G distinctes
de F vérifient E = F ⊕ G.
8. Oui. Il suffit de montrer que G2 ⊂ G1 . Pour cela, soit x un vecteur de G2 et x = xF + x1 sa décomposition
sur la somme E = F ⊕ G1 . Comme G1 ⊂ G2 , c’est aussi une décomposition sur la somme E = F ⊕ G2 .
Mais x = 0 + x est aussi une décomposition sur cette somme. Par unicité de la décomposition, on obtient
x = x1 , donc x ∈ G1 .
9. Oui. Si λ est le rapport de l’homothétie, g ◦ f = f ◦ g = λg.
10. On peut la définir
– par des formules
– en donnant l’image de chacun des vecteurs d’une base de l’espace de départ
– En donnant sa restriction à chacun des sous-espaces Ei , où (Ei )i est une famille de sous-espaces
vectoriels dont E est la somme directe (le cas précédent est en quelque sorte un cas particulier de
celui-ci, en prenant Ei = Vect(ei ), où (ei )i est une base de E).
11. En général non : Ker f est un sous-espace vectoriel de E, alors que Im f est un sous-espace vectoriel
de F . On peut en parler à condition que E = F (ou plus généralement que E et F soient tous deux des
sous-espaces vectoriels d’un même espace G).
12. En général non : n’importe quel endomorphisme vérifiant f 2 = 0 vérifie Im f ⊂ Ker f , donc la somme
n’est même pas directe.
a) La dimension finie n’apporte rien.
b) Cette deuxième condition n’apporte rien non plus : en dimension finie, elle est conséquence de la
décomposition E = Ker f ⊕ Im f .
c) Cette condition n’est toujours pas suffisante : par exemple, pour l’opérateur de dérivation f : P 7→ XP
de R[X], on a Ker(f ) = {0} (donc Ker f ∩ Im f = {0}), mais la somme directe est égale à Im f , qui n’est
pas R[X] (tous les polynômes de l’image vérifient P (0) = 0...).
d) Cette fois-ci, les conditions sont suffisantes : la formule du rang et l’hypothèse permettent de conclure.
13. Si f est injective, cette famille est libre ; si f est surjective, cette famille engendre E.
14. On a toujours Ker f ⊂ Ker f 2 et Im f 2 ⊂ Im f .
15. On vérifie facilement que Ker(f |E1 ) = E1 ∩ Ker f , donc cette application est injective si, et seulement si,
E1 ∩ Ker f = {0}.
16. Si l’espace F n’est pas stable par f , l’image d’un vecteur x ∈ F par f n’appartient en général pas à f ,
donc ce n’est évidemment pas un endomorphisme de F . Il est donc nécessaire que F soit stable par f
pour pouvoir parler d’un endomorphisme induit par f sur F . Celui-ci est quand même à distinguer de
l’application f |F par son espace d’arrivée : les deux applications sont
f |F : F
x
−→
7−→
E
f (x)
et
f ||F : F
x
−→
7−→
F .
f (x)
17. Cette condition équivaut à Im f ⊂ Ker g. On peut par exemple prendre E = R2 et f, g définies par
f (x, y) = (x, 0), g(x, y) = (0, y).
Chapitre 1. Espaces vectoriels et applications linéaires
18
18. Pas si dim(E) 6= dim(F ) : il n’existe aucun isomorphisme entre E et F . Par exemple, l’application linéaire
f : x 7→ (x, 0), de R dans R2 , est injective mais pas bijective. En revanche, si dim(E) = dim(F ), f est un
isomorphisme.
19. Pas si E est de dimension infinie (par exemple, l’endomorphisme P 7→ XP de R[X]). Si E est de dimension
finie, f est un isomorphisme.
20. On a rg(f ) 6 n et rg(f ) 6 p, donc rg(f ) 6 min(n, p).
21. On a rg(g ◦ f ) 6 min(rg f, rg g).
22. Le rang est invariant par composition par un isomorphisme, donc rg(g ◦ f ◦ g −1 ) = rg f .
23. L’application f est injective (un vecteur x ∈ Ker f vérifie x = IdE (x) = (g ◦ f )(x) = g(0) = 0), mais
(0)
pas nécessairement surjective (par exemple, f : P 7→ XP dans R[X] et g : P 7→ P −P
). Si E est de
X
−1
dimension finie, f est un isomorphisme (et g est nécessairement f ).
R1
24. L’application P 7→ 0 P est une application linéaire de R4 [X] dans R, donc son image est de dimension 0
ou 1. Ce n’est pas l’application nulle, donc son image est de dimension 1, donc son noyau est de dimension
5 − 1 = 4.
25. L’application linéaire
f : R2n+1 [X] −→
P
7−→
R2n+2
P (a0 ), . . . , P (an ), P 0 (a0 ), . . . , P 0 (an )
est injective : en effet, un polynôme P appartenant à son noyau admet (au moins) a0 , . . . , an pour racines
doubles, ce qui lui fait au moins 2n + 2 racines (comptées avec multiplicité). Comme il est de degré
inférieur ou égal à 2n + 1, c’est le polynôme nul. Les dimensions des espaces de départ et d’arrivée étant
identiques, f est un isomorphisme, ce qui justifie l’existence et l’unicité du polynôme cherché.
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