LES FORCES FRANÇAISES LIBRES À BIR

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LES FORCES FRANÇAISES LIBRES À BIR HAKEIM, MAI-JUIN 1942,
ET LA MÉMOIRE DE LA FRANCE COMBATTANTE
Linda Hazel
Département d'histoire
Université McGill Montréal
novembre 2001
Un mémoire soumis à la Faculté des études avancées et de la recherche comme
exigence partielle de la maîtrise.
© Linda Hazel
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TABLE DES MATIÈRES
Page
TABLE DES MATIÈRES
..
Remerciements.......................................................................................................................
Sommaires (français et anglais)......................................................................................................
Chronologie sommaire....................................................................................................................
ii
iv
vii
INTRODUCTION...........................................................................................................................
2
CHAPITRE I. MAINTENIR LA FRANCE EN GUERRE
..
..
7
11
18
A. Les difficultés du ralliement...........................................................................................
B. La course à la légitimité de la France combattante.......................................................
C. La bataille de Bir Hakeim...............................................................................................
38
44
56
A. Les derniers jours du général de Gaulle auprès de Paul Reynaud
B. Les objectifs du général de Gaulle
C. Le défi politique de la France libre
.
CHAPITRE II. L'ÉPOPÉE DES FORCES FRANÇAISES LIBRES À BIR HAKEIM
CHAPITRE III. LA CONSÉCRATION DE LA FRANCE COMBATTANTE
ET LA MÉMOIRE DES FRANÇAIS LIBRES
A. De l'action politique à ses conséquences mythiques.....................................................
B. Entre la mémoire individuelle et la mémoire officielle.................................................
73
84
CONCLUSION.................................................................................................................................
104
BIBLIOGRAPHIE............................................................................................................................
108
CARTES ET ILLUSTRATION
A. Les possessions coloniales en Afrique à la fin de 1940..................................................
B. Le front allié de Libye et la position de Bir Hakeim à la fin de mai 1942.....................
30
59
C. Le camp retranché de Bir Hakeim..................................................
60
D. « Le véritable esprit de la France ». Dessin d'Illingworth,.............................................
« Daily Mail », 11-6-42
81
ANNEXE
Ordre de bataille de la Première Brigade Française libre......................................................
116
REMERCIEMENTS
Je tiens à remercier le professeur John Hellman pour ses précieux conseils, son
assistance et la confiance qu'il m'a témoignée.
Je remercie monsieur Pierre Goigoux de m'avoir donné accès à sa bibliothèque
personnelle. Je lui sais gré de ses cours que j'ai suivis au baccalauréat.
SOMMAIRES
(français et anglais)
IV
SOMMAIRE
Si le fait d'armes des Forces françaises libres à Bir Hakeim en fut un parmi tant d'autres
durant la Seconde Guerre mondiale, il investit la mémoire de la France combattante
parce qu'il eut lieu durant une période où les Alliés remportaient peu de succès sur les
théâtres d'opérations. Récupéré par la propagande alliée, il stimula l'adhésion de
résistants français à la cause de la France combattante, dont le Comité national français
obtint la reconnaissance des gouvernements britannique et américain. Le général de
Gaulle releva le défi de maintenir la France en guerre afin que la France puisse participer
à la victoire, en contrepartie à la collaboration du gouvernement de Vichy. La part de
mythe et de réalité dans la consécration de la France combattante agrémente la légende
entourant l'épopée des EEL. à Bir Hakeim. Si la mémoire officielle de la France libre
revendique le rassemblement des Français sous l'emblème de la Croix de Lorraine, les
soldats de Bir Hakeim n'oublient pas les affrontements franco-français.
************
v
ABSTRACf
If the battle of Bir Hakeim was but one of many feats of arms during the Second World
War, it particularly marks the memory of "Fighting France", because the exploit of the
Free French Forces occurred during a period in which the Allies were having few
successes on the Pacifie and Mediterranean fronts. Allied propaganda therefore
celebrated this battle, thus attracting adherents to the cause of "Fighting France", and
aiding general de Gaulle's French National Committee in obtaining recognition from the
British and American governments. General de Gaulle's challenge was to keep France at
war so that France would participate in the Allied victory, offsetting the Vichy's
government's collaboration. The legendary epic of the Free French Forces at Bir Hakeim
is an important part of the myth, and the reality, of "Fighting France". White the official
memory of "Free France" still celebrates the unity of Frenchmen under the banner of
"the Cross of Lorraine", the soldiers at Bir Hakeim could not forget the franco-french
tensions they experienced.
************
CHRONOLOGIE
SOMMAIRE
vii
Chronologie sommaire l
1940
10 mai
Offensive allemande à l'ouest.
18 mai
Remaniement du cabinet Reynaud. Le maréchal
Pétain devient vice-président du Conseil.
5 juin
Charles de Gaulle, général de brigade à titre
temporaire, est nommé sous-secrétaire d'État à la
Défense.
10 juin
L'Italie déclare la guerre à la France et à la GrandeBretagne.
16 juin
Reynaud démissionne. Pétain forme le nouveau
gouvernement. Demande des conditions d'un
armistice.
18 juin
Premier appel radiodiffusé du général de Gaulle.
22 juin
Signature de l'armistice franco-allemand à
Rethondes.
1er juillet
Le gouvernement Pétain s'installe à Vichy.
22 juillet
Les Nouvelles-Hébrides se rallient au général de
Gaulle.
10 août
Début de la bataille d'Angleterre.
2 septembre
Ralliement de la Polynésie.
23-25 septembre
Échec des Britanniques et du général de Gaulle
devant Dakar.
24 octobre
Rencontre de Pétain et de Hitler à Montoire.
À Brazzaville, de Gaulle crée le Conseil de défense
de l'Empire.
1
13 mai
Les Allemands percent le front français à Sedan.
27 mai - 4 juin
Bataille de Dunkerque. Embarquement de 330 000
soldats anglais et français.
7 juin
La Wehrmacht perce le front de la Somme.
14 juin
Paris est occupé par les Allemands. Le
gouvernement s'installe à Bordeaux.
17 juin
Le général de Gaulle s'envole pour Londres.
21 juin
Vingt-sept parlementaires partent pour l'Afrique du
Nord sur le Massilia.
24 juin
Signature de l'armistice franco-italien.
Arrivée du Massilia à Casablanca. Les passagers
sont consignés à bord ou astreints à résidence.
3 juillet
Les Britanniques attaquent la flotte française à
Mers el-Kébir.
7 août
Accords Churchill-de Gaulle. Reconnaissance de la
Force française libre.
26-30 août
Ralliement au général de Gaulle du Cameroun et de
l'Afrique équatoriale française, sauf le Gabon.
23 septembre
Ralliement de la Nouvelle-Calédonie.
22 octobre
Rencontre de Laval et de Hitler à Montoire.
30 octobre
Pétain annonce la politique de collaboration avec
l'Allemagne.
Source: Jean-Louis Crémieux-Brilhac, La France libre, Paris, Gallimard, 1996.
viii
12 novembre
Conquête du Gabon par les Francais libres.
1941
19 janvier
Britanniques et Français libres prennent l'offensive
contre les Italiens en Érythrée.
3 février
Les Allemands, commandés par Rommel,
interviennent en Libye.
31 mars
Première offensive de Rommel contre les
Britanniques en Libye.
8 juin
Début de la campagne de Syrie. Catroux proclame
l'indépendance de la Syrie et du Liban.
14 juillet
Armistice de Saint-Jean-d'Acre: fin de la
campagne de Syrie.
2-5 décembre
Les Allemands à vingt-cinq kilomètres de Moscou.
L'Armée Rouge contre-attaque.
22 décembre
Les Japonais prennent pied aux Philippines.
25 décembre
Hong Kong tombe aux mains des Japonais.
1942
1er janvier
Déclaration des Nations unies signées à
Washington par vingt-six pays.
8 mars
Capitulation des troupes alliées devant les Japonais
à Java.
27 avril
De Gaulle remet à Christian Pineau une
« Déclaration aux mouvements de résistance ».
17 mai
Occupation totale de la Birmanie par les Japonais.
26 mai - Il juin
Bataille de Bir Hakeim.
Il juin
Sortie couronnée de succès des défenseurs de Bir
Hakeim.
16 novembre (à Brazzaville)
Déclaration organique de la France libre.
23 janvier
Les Britanniques prennent Tobrouk, base italienne
la mieux fortifiée de Libye orientale.
1er mars
Prise de Koufra (Sahara italien) par les Français
libres de Leclerc.
9 mai
Présence d'avions allemands en Syrie.
22 juin
Les forces allemandes et roumaines envahissent
l'U.R.S.S.
24 septembre
Création à Londres du Comité national français.
7 décembre
Les Japonais attaquent la flotte américaine de Pearl
Harbor. Entrée en guerre des États-Unis.
24 décembre
Les EEL. débarquent à Saint-Pierre-et-Miquelon.
21 janvier
Deuxième offensive de Rommel en Libye.
26 avril
Les troupes américaines viennent défendre la
Nouvelle-Calédonie.
5 mai
Débarquement britannique à Diego Suarez
(Madagascar).
22 mai
Reprise de l'offensive allemande en Libye.
4-5 juin
Bataille aéronavale de Midway, première victoire
américaine.
30 juin
Rommel atteint El Alamein, à soixante kilomètres à
l'ouest d'Alexandrie.
ix
14 juillet
La France libre devient la France combattante.
Manifestations patriotiques en zone non occupée.
3 septembre
La France combattante bénéficiera du prêt-bail.
6 novembre
Occupation totale de Madagascar par les
Britanniques.
23 octobre - 4 novembre
Offensive de Montgomery en Égypte. Victoire
décisive d'El Alamein.
8 novembre
Débarquement anglo-américain en Algérie et au
Maroc. L'armée française résiste.
Il novembre
En France, les Allemands occupent la zone
« libre ».
14 décembre
Les Britanniques transfèrent au Comité national
français l'administration de Madagascar.
7 mai
Les forces alliées entrent à Bizerte et Tunis.
16 mars
Début de l'offensive de Montgomery contre
l'armée allemande retranchée en Tunisie.
13 mai
Reddition des forces de l'Axe en Tunisie.
INTRODUCTION
INTRODUCTION
La bataille de Bir Hakeim dura seize jours, du 27 mai au Il juin 19421• Dans l'ensemble
des faits d'armes qui eurent lieu durant la Seconde Guerre mondiale, Bir Hakeim en fut
un parmi tant d'autres. Or, l'événement a marqué profondément les Français libres dont
les témoignages, les mémoires et les carnets en retracent l'impact politique et moral. Le
succès défensif remporté par la 1re Division française libre (D.F.L.) servit aux fins de
propagande de la France libre, laquelle commémorait quelques jours plus tard le
deuxième anniversaire de l'appel du 18 Juin. Cette « victoire» française imprégna les
discours du général de Gaulle, elle fut relatée dans les publications de la France
combattante2 , ainsi que sur les ondes françaises de la radio de Londres.
La revue de l'Aviation française Icare, éditée par le S.N.P.L. (Syndicat national
des pilotes de lignes) en collaboration avec l'Amicale des Anciens de la Première
Division Française Libre, a publié en 1982 deux numéros consacrés à la bataille de Bir
Hakeim qui s'est déroulée en Libye lors de la retraite des forces britanniques. Des cartes
détaillées montrent les positions respectives des forces britanniques et des forces de
l'Axe, la configuration et l'aménagement du théâtre d'opérations incluant les zones
sensibles, l'emplacement des unités et des champs de mines. À Bir Hakeim les Forces
françaises libres (F.F.L.) se sont distinguées et cette bataille est devenue l'une des
épopées alimentant le souvenir de la France combattante. Cette dernière fut largement
honorée par des lieux de mémoire: ainsi une plaque commémorative est apposée sur le
1 La sortie de la 1'0 Division française libre du camp retranché situé au sud de la ligne déf~nsive
Gazala-Bir Hakeim en Libye eut lieu dans la nuit du 10 au Il juin.
2
La France libre prit officiellement la dénomination de France combattante le 14 juillet 1942,
afin d'inclure la Résistance intérieure.
3
honorée par des lieux de mémoire: ainsi une plaque commémorative est apposée sur le
pont de Bir Hakeim (l'ancien pont de Grenelle rebaptisé) à Paris. Elle rappelle l'honneur
du pays préservé par ceux qui refusèrent la défaite de 1940.
Qu'il s'agisse du général d'armée Jean Simon3 , chancelier de l'Ordre de la
Libération ou de Suzanne Travers qui fut la conductrice du commandant de la
r
e
D.F.L.,
le général Kœnig, l'expérience qu'ils vécurent à Bir Hakeim demeure un moment fort
dans leurs souvenirs. En 2000, ils publieront l'un La saga d'un Français libre 4 , l'autre
Tant que dure le jour. Mais en quel sens l'épopée des Forces françaises libres à Bir
Hakeim fut-elle le pivot de la France combattante? Afin de comprendre la portée de la
résistance des F.F.L., il s'agira en premier lieu de se reporter au contexte dans lequel la
France libre naquit. C'est-à-dire que nous montrerons les raisons pour lesquelles le
général de Gaulle devait relever le défi de maintenir la France en guerre.
En deuxième lieu, nous montrerons comment la participation des Forces
françaises libres à l'effort de guerre était subordonnée au défi politique du général de
Gaulle, car il devait obtenir des Alliés la reconnaissance du Comité national français,
créé à Londres en septembre 1941. Il ne disposait que d'une marge de manoeuvre
restreinte, c'est-à-dire d'un espace politique conditionnel, tandis que les ralliements
s'étaient avérés difficiles. La guerre devenant mondiale, la stratégie des Alliés dépendait
des objectifs des partenaires de la Grande Alliance. L'année 1942 était lourde d'attentes
pour les Alliés devant les succès nazis sur le front russe et japonais en Extrême-Orient.
3
À l'époque, il était capitaine de la Compagnie lourde du 3e bataillon de la 13e demi-brigade de
la Légion étrangère.
4
Général d'Armée Jean Simon, La saga d'un Français libre, Paris, Presses de la Cité, 2000.
5
Susan Travers, Tant que dure le jour, Paris, Plon, 2000.
4
Le général de Gaulle pour sa part, entendait faire participer la France libre à l'effort de
guerre pour légitimer son rôle auprès des Alliés afin que la France combattante efface la
France de la collaboration. Quel sera donc le rapport entre les objectifs de la France libre
et la propagande tissée autour de Bir Hakeim?
En troisième lieu, il importera de vérifier dans quelle mesure la consécration de
la France combattante transcende le fait d'armes des EEL. Quelles seront les valeurs
véhiculées par les témoignages des Français libres? Car, le général de Gaulle assumait
la grandeur historique de la France. En mythifiant les exploits des EEL., il agissait sur
le moral de la nation éprouvée par l'humiliation de la défaite et de l'occupation, afin de
provoquer l'unité d'appartenance spirituelle à la France libre. Par contre, il subsistera
une ligne de démarcation entre les « Combattants de la liberté» et ceux qui demeurèrent
dans l'attentisme. En tenant compte du schisme français et de la défaite de 1940 devant
les forces allemandes, nous situerons l'impact moral et symbolique de la résistance
acharnée des EEL. contre l'offensive de Rommel en 19426 et que la propagande alliée
allait exaltée:
Chaque matin, grâce à la presse britannique, nous suivons avec
enthousiasme la résistance de notre brigade qui s'accroche à sa position;
le communiqué annonce que le général Kœnig et ses hommes se sont
repliés, sur ordre supérieur, après avoir rejeté tous les ultimatums de
Rommel; nous savons enfin que nous ne sommes pas restés pour rien en
Angleterre7 •
6 H.G. Von Esebeck, Rommel et l'Afrika-Korps 1941-1943, Paris, Payot, 1961, pp. 13-15. Le
Deutsches Afrika-Korps est le nom donné aux formations allemandes qui combattirent en Afrique du Nord
de 1941 à 1943. Les troupes motorisées italiennes étaient subordonnées au DAK. Afin d'appuyer leur allié
italien en Libye, Hitler y envoie en février 19411'Afrika-Korps commandé par le général Erwin Rommel.
Pierre Sonneville, Les combattants de la liberté. Ils n'étaient pas dix mille, Paris, La Table
Ronde, 1968, p. 107. Il rejoignit les Forces navales françaises libres en juillet 1940. Officier de marine, il
obtint le commandement des sous-marins Minerve, Junon et Surcouf
7
5
Le jeu des circonstances introduisit la part de mythe et de réalité qui coexistent
dans l'élément créateur de la France combattante, c'est-à-dire de la légitimité des F.F.L.
et de leur chef. Si la bataille de Bir Hakeim n'était qu'un fait d'armes parmi tant
d'autres, notre recherche soulèvera l'importance symbolique de l'événement et les
raisons pour lesquelles il investit la mémoire de la France libre. Elle relèvera de même la
pertinence du succès défensif remporté par la 1 D.F.L. dans le cadre de la stratégie
Te
britannique sur le théâtre d'opérations en Libye en 1942.
************
CHAPITRE 1
MAINTENIR LA FRANCE EN GUERRE
A)
LES DERNIERS JOURS DU GÉNÉRAI DE GAULLE AUPRÈS DE PAUL
REYNAUD
Maintenir la France en guerre représentait l'objectif ultime de Charles de Gaulle, général
de brigade à titre temporaire. Nous verrons qu'il avait insisté sur ce point auprès du
dernier chef de gouvernement de la Ille République, Paul Reynaud, qui l'avait nommé
sous-secrétaire d'État à la Défense nationale et à la Guerre. Rappelé des armées le 5 juin
1940 pour exercer ce rôle politique qui devait durer douze jours!, il se trouva sur l'avantscène du débat qui divisait le gouvernement: pour ou contre l'armistice ou la poursuite
de la guerre. Paul Reynaud, lorsqu'il avait remanié son gouvernement le 18 mai 1940,
avait nommé le maréchal Pétain vice-président du Conseil et ministre d'État et le général
Weygand commandant en chef des forces armées françaises 2 •
Avant de recevoir sa nomination, le général de Gaulle avait écrit, le 3 juin, une
lettre3 à Paul Reynaud, dans laquelle il reprochait au président du Conseil de placer à ses
côtés deux partisans de l'armistice. Le général de Gaulle redoutait l'influence centrale
qu'ils exerceraient au gouvernement aux prises avec la force des événements4 • Si de
Gaulle accédait au poste, le maréchal Pétain et le général Weygand s'opposeraient à lui
parce qu'il était partisan de la poursuite de la lutte. Ces hommes étant issus d'une gloire
passée, ils feraient perdre, insiste de Gaulle, cette guerre nouvelle à la France. Qu'il soit
1
Jusqu'à la démission de Paul Reynaud le 16 juin et la formation du nouveau gouvernement de
2
Paul-Marie de la Gorce, De Gaulle, Paris, Perrin, 1999, p. 205-210..
Pétain.
3 Charles de Gaulle, Lettres. Notes et Carnets. Juin 1940-Juillet 1941, Paris, Plon, 1981. Lettre du
3 juin du général de Gaulle à Paul Reynaud.
Le 10 mai 1940 avait eu lieu l'offensive allemande à l'ouest. Le 13, les Allemands avaient percé
le front français à Sedan. La bataille de Dunkerque (27 mai - 4 juin) se terminait par l'embarquement de
330000 soldats anglais et français pour la Grande-Bretagne, tandis que l'armée belge capitulait.
4
8
appelé à agir politiquement ou militairement, le leitmotiv du général de Gaulle était de
poursuivre le combat. S'il n'était pas appelé à jouer un rôle politique, il entendait
commander les quatre divisions du corps cuirassé, « ressource suprême », devant
l'adversaire allemand découlant de sa propre conception de la conduite de la guerre5 • S'il
devenait sous-secrétaire d'État, en ce cas, il soutire dans sa lettre, l'autorisation de
Reynaud d'agir seul auprès de lui et d'initier ses propres démarches: « J'entends agir
avec vous, mais par moi-même. Ou alors c'est inutile et je préfère commander ».
Lorsque le lendemain de sa nomination, il rencontre Paul Reynaud, il réitère sa position
et lui soumet un plan d'action dont il entend assumer la responsabilité :
Sans renoncer à combattre sur le sol de l'Europe aussi longtemps que
possible, il faut décider et préparer la continuation de la lutte dans
l'Empire. Cela implique une politique adéquate: transport des moyens
vers l'Afrique du Nord, choix de chefs qualifiés pour diriger les
opérations, maintien de rapport étroit avec les Anglais. Je vous propose
de m'occuper des mesures à prendre en conséquence6 •
Lors de sa première mission à Londres, le 9 juin, de Gaulle devait se renseigner
auprès de Churchill sur l'appui britannique éventuel aux opérations de France? Il avait
aussi reçu le consentement de Paul Reynaud pour aborder la question de l'armistice
auprès de Churchill: « Ce jour-là, écrit de Gaulle dans ses mémoires, j'exposai au
Premier britannique ce que le président du Conseil m'avait chargé de lui dire quant à la
5Charles de Gaulle, Le fil de l'épée et autres écrits, Paris, Plon, 1990, p. 298-318. L'unité
mécanique, une force constituée de chars d'assaut, devait jouer un rôle primordial à cause de sa mobilité.
La guerre de mouvement reposait sur l'initiative des chefs et s'axait sur l'offensive, contrastant avec les
fronts statiques de la guerre de position et la lenteur des reconnaissances d'un échelon à l'autre de la
hiérarchie militaire.
6
Charles de Gaulle, Mémoires de guerre, Paris, Plon, 1994, p. 51.
7 Ibid., p. 52. De Gaulle devait se renseigner sur l'intention des Britanniques de faire intervenir
ou non en France l'aviation de chasse de la Royal Air Force et sur les délais concernant le renvoi sur le
continent des unités britanniques qui avaient évacué Dunkerque le 4 juin.
9
volonté de notre gouvernement de continuer la lutte, même s'il le fallait dans
l'Empire »8.
Devant l'avance allemande9 et le désarroi qui gagnait la France, de Gaulle
planifiait le transport en Afrique du Nord des hommes et du matériel qui deviendraient
disponibles à l'issue des combats, tandis que l'état-major de l'Armée préparait
l'évacuation au-delà de la Méditerranée des éléments combattants en mains lO• Le 14 juin,
les Allemands occupaient Paris et le gouvernement se repliait à Bordeaux. Le président
du Conseil avait acquiescé à la requête du général de Gaulle, lequel l'avait prié de
gagner Alger dans les plus brefs délais afin de ne pas être submergé par la défaite ll . De
Gaulle lui avait annoncé qu'il se rendrait à Londres le 16, pour arranger le concours des
Anglais aux transports afin de suppléer les bateaux et les avions français.
L'initiative du général de Gaulle durant le cours laps de temps qui s'était écoulé
entre ses missions à Londres, la démission de Paul Reynaud, la formation du nouveau
gouvernement de Pétain et la demande des conditions d'un armistice à Hitler le 16 au
soir, caractérisait sa détermination à poursuivre la lutte. Durant son deuxième voyage en
Angleterre, il avait détourné le Pasteur avec son chargement de canons destiné à la
8
Ibid., p. 55.
Le 7 juin, la Wehrmacht perçait le front de la Somme. Le 10, l'Italie déclarait la guerre à la
France et à la Grande-Bretagne. L'exode témoignait de la défaite militaire et morale qui gagnait la
France. Les débris des dernières divisions françaises refluaient vers le sud. Sept millions de réfugiés civils
fuyaient devant l'avance ennemie. Les colonnes motorisées allemandes avaient fait un million de
prisonniers. Jean-Louis Crémieux-Brilhac, La France libre, Paris, Gallimard, 1996, p. 43.
9
10
De Gaulle, op. cit., p. 54.
Il Ibid., p. 67. Paul Reynaud sera arrêté en septembre 1940, et demeurera en captivité jusqu'à la
fin de la guerre.
10
France vers un port britannique12 • Il ne retourna en France le 16, que pour s'envoler le 17
juin au matin dans l'avion du général Spears, chargé de mission personnel de Churchill
auprès des autorités françaises, muni des quelques cent mille francs alloués par
Reynaud, et accompagné de son aide de camp Geoffroy de Courcel 13 •
Le 18 juin, de Gaulle lançait son premier appel à la radio de Londres, en réponse
à celui prononcé la veille par le maréchal Pétain, lequel avait appelé à déposer les armes.
Le général de Gaulle fondait son message sur des attributs rationnels en continuité avec
l'expérience politique nouvellement acquise auprès du gouvernement de Paul Reynaud.
Il s'était opposé aux forces gouvernementales, au général Weygand et au maréchal
Pétain, lesquels devaient faire pencher la balance du côté de l'armistice. Il avait planifié
le repli des effectifs armés vers l'Afrique du Nord et sollicité dans ce but la coopération
britannique aux transports français. En tant que sous-secrétaire d'État à la Défense
nationale et à la Guerre, il avait rencontré Churchill, auquel il avait exprimé sa
détermination à poursuivre la lutte dans l'Empire français. Il invitait donc les officiers et
les soldats français « qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s'y
trouver, avec leurs armes ou sans leurs armes» à se mettre en rapport avec lui 14• La
France libre naîtra du refus de l'armistice et de la volonté du général de Gaulle à
maintenir la France en guerre auprès des Alliés.
12
Ibid., p. 71.
13
Crémieux-Brilhac, QIl....cit,., p. 46.
14
De Gaulle, Discours et Messages. Pendant la guerre 1940-1946, Paris, Plon, 1970, p. 3-4.
B)
LES OBJECTIFS DU GÉNÉRAL DE GAULLE
L'état d'esprit qui habitait de Gaulle en tant que sous-secrétaire d'État à la Défense et à
la Guerre durant les derniers jours de la nr République, démarque l'action qu'il poursuit
lorsqu'il quitte la France. Parce que Paul Reynaud était partisan de la poursuite de la
lutte, il avait insisté pour agir seul auprès de lui. Il prévoyait donc que ses décisions
seraient contrecarrées par les autorités politiques et militaires partisanes de l'armistice. Il
s'ensuit qu'il agirait seulement auprès de ceux qui partageraient sans ambages sa
détermination à maintenir la France en guerre. Si cela s'imposait, il assumerait un rôle
politique 15• Car, selon l'expérience qu'il venait d'acquérir, il doutait que le
gouvernement ne sache relever l'intérêt supérieur du pays: la défense, l'honneur,
l'indépendance de la France 16• Ce sont les objectifs par lesquels le général de Gaulle
justifiera sa légitimité et celle de la France libre, aux dépens de celle du gouvernement
français qui s'installera à Vichy, après la signature des armistices 17• Mais avant que ce
passage du militaire au politique n'ait lieu, de Gaulle a d'abord tenté, par l'appel du 18
juin, de convaincre les éléments militaires français de poursuivre la lutte et de le
contacter dans ce but. Parce qu'il fallait coordonner l'effort de guerre français avec celui
de la Grande-Bretagne, de Gaulle, par l'appel du 18 juin, prend les devants en
15
Le général de Gaulle tentera de convaincre, sans succès, durant la période du 22 et 23 juin, les
personnalités françaises suivantes, de former un Comité national français à Londres: Jean Monnet, qui
avait été président de la commission franco-britannique d'achat d'armements; Alexis Léger, l'exsecrétaire général du Quai d'Orsay, et Jean Corbin, l'ambassadeur de France démissionnaire. CrémieuxBrilhac souligne qu'il leur avait paru évident que le général de Gaulle avait l'ambition de le diriger.
Crémieux-Brilhac, op. cit., p. 60.
16
De Gaulle, Mémoires de guerre, QP....ill., p. 74-75.
L'armistice franco-allemand est signé le 22 juin 1940; l'armistice franco-italien, le 24 juin. Le
gouvernement Pétain s'installe à Vichy le 1er juillet.
17
12
s'introduisant comme un point de référence concret à Londres, tandis que les forces
françaises dans l'Empire attendaient de connaître les conditions d'armistice et la
décision de leurs chefs.
Il proclame donc, le 18 juin, que l'armistice n'a pas raison d'être, car seule la
bataille de la France est perdue et non pas la guerre « qui n'est pas limitée au territoire
malheureux de notre pays ». L'univers dispose de toutes les ressources nécessaires pour
vaincre. La France possède un vaste empire et elle « peut faire bloc avec l'Empire
britannique qui tient la mer et continue la lutte. Elle peut, comme l'Angleterre, utiliser
sans limites l'immense industrie des États-Unis ». En sa qualité de militaire, il offre le
soutien moral redevable à un chef, par des arguments fondés qui soulèvent l'espérance:
Foudroyés aujourd'hui par la force mécanique, nous pourrons vaincre
dans l'avenir par une force mécanique supérieure [ ... ]. Quoiqu'il arrive,
la flamme de la résistance française ne doit pas s'éteindre et ne s'éteindra
pas ». De Gaulle établissait dès lors la permanence de sa communication
radiophonique avec les Français en annonçant qu'il parlerait encore à la
radio de Londres.
Anticipant les conditions des armistices franco-allemand et franco-italien, de
Gaulle prononce le 22 juin un discours à la radio de Londres dans lequel il reprend les
thèmes du premier appel: la France possède toutes les ressources pour continuer la lutte,
économiquement et militairement. Elle a une flotte intacte et de l'or. Elle peut utiliser les
ressources de son empire et celles des Alliés l8• Il se fait l'écho de tous les Français qui
comme lui ne peuvent accepter ce qui « est vraisemblablement l'asservissement de la
France» puisque « les forces françaises de terre, de mer et de l'air seraient entièrement
démobilisées, que nos armes seraient livrées, que le territoire français serait occupé et
13
que le gouvernement français tomberait sous la dépendance de l'Allemagne et de
l'Italie ». En livrant ses armes à l'ennemi, la France met en péril ses Alliés. En signant
l'armistice, elle accomplit un acte illégitime 19 : « Car la France s'est engagée à ne
déposer les armes que d'accord avec les Alliés. Tant que ses Alliés continuent la guerre,
son gouvernement n'a pas le droit de se rendre à l'ennemi ». De Gaulle proclame que
tous les Français qui veulent rester libres ont le devoir de combattre pour l'honneur de la
patrie et dans l'intérêt supérieur de la nation. Il les incite à se mettre en rapport avec lui,
parce qu'il a pour mission d'accomplir une tâche nationale.
S'il s'agissait pour le général de Gaulle d'organiser une force française, c'est-àdire de coordonner les éléments de l'armée de terre, de mer et de l'air et les capacités de
production d'armements français, cette force ne devait pas être une auxiliaire des Alliés.
Elle devait représenter la France en guerre « dans un combat commun contre les forces
de la servitude» afin de sauvegarder la légitimité de la France. C'est par son effort de
guerre que la France demeurerait maître de son destin. De Gaulle transférait son énergie
vers une action française en sol britannique et il opposait la continuité de l'alliance
franco-anglaise à la demande des armistices du gouvernement de Pétain: « Je dis
l'honneur! Car la France s'est engagée à ne déposer les armes que d'accord avec les
Alliés. Tant que ses alliés continuent la guerre, son gouvernement n'a pas le droit de se
rendre à l'ennemi »20.
18
De Gaulle, Discours et messages, op. cit., p. 6-7.
Paul Reynaud avait signé à Londres, le 28 mars 1940, un accord par lequel la France et
l'Angleterre s'interdisaient de faire aucune négociation en vue d'un armistice ou d'une paix séparés.
19
20
De Gaulle, Discours et messages, op. cit., p. 6.
14
De Gaulle représentait le centre de ralliement pour diriger la résistance française.
L'acte du 28 juin validait« sa légitimité» en ces termes: « Le Gouvernement de Sa
Majesté reconnaît le général de Gaulle comme chef de tous les Français libres, où qu'ils
se trouvent, qui se rallient à lui pour la défense de la cause alliée »21. Par contre, le
gouvernement britannique avait espéré qu'une personnalité représentative se rallie à la
France libre. Car, qui était de Gaulle? Un militaire de carrière, un général de brigade à
titre temporaire qui était inconnu du peuple français. Il n'avait joué aucun rôle politique
pouvant lui donner des assises auprès des notoriétés françaises et des autorités
diplomatiques. Mais l'acte du 28 juin donnait naissance à la France Libre, dont
l'évolution politique sera à la mesure des ralliements de l'Empire et de la nécessité de
l'encadrement militaire et administratif des Français libres dans l'ensemble de l'effort de
guerre allié. Cette évolution du militaire au politique tirait son fondement dans
l'idéologie du général de Gaulle, car il s'agissait de maintenir la France en guerre selon
les impératifs suivants: préserver l'honneur de la France, protéger les intérêts supérieurs
de la nation, assurer qu'elle soit seule garante de son avenir. En d'autres mots, le général
de Gaulle était conscient que ses objectifs ne seraient atteints que dans l'extension au
politique.
L'accord Churchill-de Gaulle du 7 août 194022 enclenchait la constitution d'une
force française composé de volontaires sous le « commandement suprême» du général
de Gaulle, en étroite liaison avec le haut commandement britannique et « les ministères
intéressés du Gouvernement de Sa Majesté », qui se réservaient le droit d'attribution des
dépenses et« le droit de procéder à tous examens et vérifications nécessaires ». Si le
Sir L1ewellyn Woodward, British Foreign Policy in the Second World War, vol. 1, London, Her
Majesty's Stationery Office, 1970, p. 330. Crémieux-Brilhac, op. cit., p. 63. Pour le texte français.
21
22 lean-Paul Cointet, La France libre, Paris, Presses Universitaires de France, 1975, p. 62-68.
Document 12: l'accord Churchill-de Gaulle du 7 août 1940.
15
gouvernement britannique détenait la main haute sur le choix des priorités de la France
Libre en raison de la dépendance financière de celle-ci, l'accord donnait à la France
Libre les moyens de maintenir la France en guerre auprès des Alliés. De plus, elle
pouvait constituer un organisme civil subordonné aux objectifs militaires et par
extension, des institutions par lesquelles revendiquer les droits de la France à la victoire,
en conséquence de sa participation à la guerre auprès des Alliés. La France libre devait
donc « prouver par les armes» qu'elle survivait à la signature des armistices 23 : « La
reconnaissance par les puissances étrangères du fait que la France, comme telle, aurait
continué la lutte, bref le transfert de la souveraineté, hors du désastre et de l'attentisme,
du côté de la guerre, et, un jour de la victoire »24.
Maintenir la France en guerre est donc l'objectif premier qui a donné naissance à
la France libre à la veille de la bataille d'Angleterre. Le général de Gaulle avait lancé un
message d'espoir à la France. Elle pouvait poursuivre la lutte dans l'Empire auprès des
Alliés. Elle effacerait ainsi l'humiliation de la défaite en se ressaisissant pour jouer son
rôle dans une guerre qui allait devenir mondiale. Le général de Gaulle avait proféré un
acte de foi soulevé par sa détermination à protéger l'indépendance de la France:
Car cette guerre n'est pas une guerre franco-allemande qu'une bataille
puisse décider. Cette guerre est une guerre mondiale. Nul ne peut prévoir
si les peuples qui sont neutres aujourd'hui le resteront demain, ni si les
alliés de l'Allemagne resteront toujours ses alliés. Si les forces de la
liberté triomphaient finalement de celles de la servitude, quel serait le
destin d'une France qui se serait soumise à l'ennemi ?25
23
De Gaulle, Discours et Messages, op. cit., p. 11-12. Discours du 28 juin 1940.
24
.w..., Mémoires de guerre, op. cit., p. 77.
25
Id., Discours et Messages, op. cit., p. 6-7. Discours du 22 juin 1940.
16
C'est le défi que le général de Gaulle devait relever en obtenant par l'accord
Churchill-de Gaulle du 7 août, un premier statut pour légitimer la France libre. La force
française libre qu'il ralliait à Londres ne devait pas être l'auxiliaire des forces
britanniques. La France libre devait représenter la France en guerre auprès de la GrandeBretagne dont l'aide lui était indispensable. Elle devait contourner cette dépendance
pour réaliser son objectif. Or, lorsque les conditions d'armistice sont connues, le
gouvernement britannique établit une politique dualiste avec la France libre, car la
sécurité nationale de la Grande-Bretagne était prioritaire. Si le gouvernement britannique
proclamait que la capitulation du gouvernement de Pétain le privait de son
indépendance, elle s'abstenait de le déclarer illégitime26• En ne contestant pas la
légitimité du gouvernement de Pétain, elle validait son intervention auprès des éléments
résistants potentiels afin de tenir en échec le degré de collaboration de la France avec
l'Allemagne. Parce qu'il niait l'indépendance du gouvernement de Pétain, le
Gouvernement britannique se réservait ainsi le droit d'intervenir afin que la flotte
française ne soit pas utiliser par l'Allemagne dans ses buts de guerre contre l'Empire
britannique.
26
Woodward, op. cit., vol. 1, p. 402, note 1.
17
L'initiative politique du général de Gaulle s'imbriquait dans cette situation, car le
gouvernement britannique appuyait de Gaulle, tout en espérant que le commandement
en chef des forces françaises opte tôt ou tard pour la résistance en Afrique du Nord. Il
fera la promotion du général de Gaulle, car ce dernier représentait le symbole de la
pérennité de l'alliance franco-britannique auprès de son opinion publique, dont il devait
soutenir le moral et la volonté de guerre. Quant au général de Gaulle, la légitimité de son
entreprise dépendait de sa capacité à représenter une force de rassemblement auprès des
énergies politiques et militaires qui refuseraient l'armistice.
************
C)
LE DÉFI POLITIQUE DE LA FRANCE LIBRE
Le déroulement tragique de la bataille de France avait donné raison à de Gaulle qui avait
prévu la puissance offensive des unités mécaniques modernes27• Officier de carrière,
lorsqu'il lança l'Appel du 18 juin, incitant les officiers français, les soldats, les
ingénieurs et les spécialistes de l'armement à se mettre en rapport avec lui, de Gaulle
avait parlé « en connaissance de cause
»28 :
« Infiniment plus que leur nombre, ce sont
les chars, les avions, la tactique des Allemands qui nous font reculer. Ce sont les chars,
les avions, la tactique des Allemands qui ont surpris nos chefs au point de les amener là
où ils en sont aujourd'hui
»29.
Mais le discours était en essence politique à partir du moment où il énonçait que
la France pouvait poursuivre la lutte dans l'Empire français. Parce que la France devait
demeurer fidèle à l'acte du 28 mars 1940 où les deux puissances s'engageaient à ne
conclure ni armistice ni paix séparés, l'appel relevait d'une décision politique que le
général de Gaulle avait déjà endossée, en continuité avec l'expérience qu'il acquit au
Secrétariat général permanent de la Défense nationale et auprès du gouvernement de
Crémieux-Brilhac, op.cit., p. 45-46. Article paru dans Le Populaire du 8 juin 1940. Cité par
l'auteur. Lorsque de Gaulle fut nommé sous-secrétaire d'État à la Défense et à la guerre, Léon Blum qui
s'était rallié tardivement aux thèses du général de Gaulle, écrivit que cet homme avait été longtemps
considéré comme un« mauvais esprit» comme un« novateur imprudent ». Mais face au succès rapide de
la tactique allemande, Léon Blum déclarait que le général de Gaulle était le plus apte à mettre au point
« une nouvelle fonnule de résistance mieux adaptée à la nouvelle fonnule d'assaut ».
27
28 Ibid., p. 48. Crémieux-Brilhac rappelle qu'il n'y a« rien d'improvisé dans sa démonstration:
elle est le fruit de dix ans de réflexions et de luttes ».
29
De Gaulle, Discours et Messages, op. cit., p. 3-4. Discours du 18 juin 1940.
19
Paul Reynaud. Devenu membre du Conseil suprême allié à partir du 5 juin, il avait été
chargé de maintenir les liaisons entre le gouvernement français et Churchileo.
« Penseur militaire» et« théoricien de l'arme blindée », le général de Gaulle
était connu dans un milieu restreint et non auprès de l'opinion publique générale.
Lorsqu'il renie la défaite en appelant au combat les militaires français, il s'ensuit qu'une
autorité politique française en rupture avec le gouvernement de Pétain doit se prononcer
afin de légitimer l'effort de guerre auprès des Alliés. De Gaulle n'avait ni renommée
militaire, ni notoriété politique sur lesquelles fonder un gouvernement français à
Londres, représentatif de la nation en guerre et porteur des relations diplomatiques.
Selon le mot de lean-Paul Cointet« ce général de brigade à titre temporaire n'était que
menu fretin »31. La Grande-Bretagne espérait que le général Weygand et le général
Noguès, résident général à Rabat et commandant des forces de l'Afrique du Nord,
décident de poursuivre la lutte dans l'Empire et respectent l'alliance franco-britannique.
Les forces françaises qu'ils rallieraient sous leur commandement comptaient pour
beaucoup, car l'Angleterre demeurait la seule puissance à poursuivre la guerre. Avec de
Gaulle, tout était à faire pour stimuler le ralliement et légitimer la participation française,
dès le moment où le gouvernement de Pétain acceptait les conditions d'armistice.
Or le 22 juin, le gouvernement britannique en recevait la confirmation et
apprenait que selon l'article 8 de la convention d'armistice « les navires français seront
désarmés, et rassemblés dans des ports, selon les ports d'attache des navires en temps de
30 De Gaulle fut affecté, de 1932 à 1937, au Secrétariat général permanent de la Défense
nationale. En 1933, il fut nommé directeur de la troisième section chargée de préparer la loi sur
l'organisation de la nation en temps de guerre. Il rappelle dans ses mémoires qu'il se trouva mêlé « sur le
plan des études, à toute l'activité politique, technique et administrative, pour ce qui concernait la défense
du pays ». De Gaulle, Mémoires de guerre, op. cit., p. 11.
20
paix
»32, SOUS
le contrôle des commissions d'armistice allemandes ou italiennes.
L'inquiétude des Britanniques qui se préparaient contre une tentative d'invasion33 par
l'Allemagne portait sur l'importance stratégique des ports français 34 en métropole et
dans l'Empire, lesquels pouvaient servir à l'ennemi. Puisque la flotte française ne serait
pas envoyée en Afrique du Nord, Hitler, malgré la promesse qu'il avait faite, pouvait
fort bien s'emparer des navires35 •
Le général Spears36 décrit la tension qui régnait au sein du gouvernement anglais:
« Le sort de cette flotte constituait l'une des principales préoccupations de notre
gouvernement. Si les Allemands mettaient la main sur elle, il en résulterait des
conséquences catastrophiques »37. Lord Cadogan, sous-secrétaire d'État au Foreign
Office, note dans son journal du 24 juin, que les trois cabinets auxquels il assista durant
la journée, avaient prioritairement discuté de «l'affreux problème de la flotte
31
Jean-Paul Cointet, La France libre, op. cit., p. 9.
Jean-Baptiste Duroselle, L'abîme, Paris, Imprimerie nationale, 1982, p. 196. Pour le résumé
des conditions d'armistice.
32
33 The Diaries of Sir Alexander Cadogan 1938-1945, London, Cassell-London, 1971, p. 308.
Pour sa note du 1er juillet 1940. C'est l'heure zéro: à tout moment Hitler peut envahir l'Angleterre.
34 Duroselle,~,p. 196. Les principaux ports métropolitains se trouvaient à Cherbourg,
Brest, Lorient, Rochefort et Toulon. Ceux de l'Empire, à Alexandrie, à Oran et Mers el-Kébir en Afrique
du Nord. Toulon est le seul port qui se trouvait en zone libre. Le gouvernement de Pétain s'installera à
Vichy le 1er juillet 1940.
35llllit., p. 200.
36 Sir Edward Spears, Deux hommes qui sauvèrent la France, Paris, Presses de la Cité, 1966, p.
179. Le général fut chargé de mission personnel de Churchill auprès des autorités françaises. Il sera
nommé chef de la « British Mission to General de Gaulle », soit le chef des liaisons anglaises entre de
Gaulle et la France libre. Enjanvier 1942, il sera ministre plénipotentiaire britannique auprès des
gouvernements syrien et libanais.
37
Ibid., p. 179.
21
française »38. Les territoires de l'Empire français détenaient une importance stratégique
sur le théâtre d'opérations allié: en Méditerranée: l'Afrique du Nord avec l'Algérie, la
Tunisie et le Maroc; en Atlantique: l'Afrique Occidentale avec Dakar; au Proche-Orient:
la Syrie et le Liban; dans l'Océan Indien: Madagascar; en Afrique équatoriale, le
Cameroun, Djibouti. L'Allemagne pouvait exiger des concessions à la France afin
d'utiliser ses ports et ses aérodromes dans la poursuite de ses buts de guerre contre
l'Angleterre.
À la veille de la bataille d'Angleterre, le bureau du Premier ministre ressemblant
« à l'arrière-scène d'un cirque »39, tous et chacun soutirant l'attention de Churchill, et
tout étant décidé à la hâte, le gouvernement britannique prépara deux déclarations qu'il
rendit publiques le 23 juin, simultanément à celle du général de Gaulle. Le Premier
ministre Churchill avait fait endosser par le Cabinet de guerre le projet que de Gaulle lui
avait soumis, c'est-à-dire la création d'un Comité national français à Londres auquel le
gouvernement britannique espérait l'adhésion de notoriétés françaises. Dès le 23 juin, à
peine un jour après la signature de l'armistice franco-allemand, de Gaulle avait dit à
Churchill qu'il voulait« provoquer la formation d'un Comité national pour diriger
l'effort de guerre» 40.
De Gaulle lut donc le 23 juin au soir sur les ondes de la radio de Londres, la
déclaration d'intention de former un Comité national français à Londres. Sir Alexander
38 Cadogan. QJ1....cit.. p. 306 : « 3 Cabinets - at 10. 6 and 10 :30. Most of the time discussing the
awful problem of the French Fleet ».
39
Ibid., p, 304. Pour sonjoumal du 19 juin 1940.
De Gaulle, Mémoires de guerre. op. cit.. p. 87 et 92. Mais comme le rappelle le général de
Gaulle: « L'abstention presque générale des personnalités françaises ne rehaussait pas le crédit de mon
entreprise. Il me fallait remettre à plus tard la formation de mon Comité. Moins il venait de notables.
moins de notables avaient envie de venir ».
40
22
Cadogan, sous-secrétaire d'État au Foreign Office en avait révisé le contenu avec de
Gaulle « qui ne s'était pas laissé tout dicter sans argument »41 et s'était assuré qu'aucun
nom ne soit mentionné, « surtout pas celui du général de Gaulle» souligne-t-il dans son
journal 42. Jusqu'à la dernière minute, Alexis Léger, l'ex-secrétaire général du Quai
d'Orsay, Charles Corbin, ambassadeur de France démissionnaire à Londres et Jean
Monnet, qui avait été directeur de la Commission franco-britannique d'achats et
d'armements, pressèrent Cadogan d'en empêcher la diffusion43 .
L'argument principal de Jean Monnet contre la formation du Comité national
français concernait son émanation en territoire anglais. Il semblerait émerger sous
l'impulsion britannique, puisque l'Angleterre influençait les politiciens et les militaires à
la dissidence afin de répondre à ses buts de guerre contre l'Allemagne nazie, alors que le
gouvernement officiel à Bordeaux venait de signer l'arrêt des combats. Le litige révèlait
l'inquiétude des notables français quant à l'indépendance du pouvoir politique ainsi créé
et aux concessions durant et après la guerre que l'Angleterre pourraient revendiquer à la
France: «Ce n'est pas de Londres qu'en ce moment-ci peut partir l'effort de
résurrection. Il apparaîtrait aux Français, sous cette forme, comme un mouvement
protégé par l'Angleterre, inspiré par ses intérêts, et à cause de cela condamné à un échec
qui rendrait plus difficile les efforts ultérieurs de ressaisissement» 44. Alexis Léger et
Charles Corbin partageaient les mêmes arguments. Malgré l'intervention des
personnalités françaises qui convainquirent Lord Vansittart, secrétaire permanent du
Foreign Office, puis Lord Halifax, secrétaire d'État au Foreign Office, d'empêcher la
41
Cadogan, QlLÇÏ1,., David Dilks, p. 306.
42
Ibid.. « After a tussle got de Gaulle to alter his declaration, taking out names - in particular
43
Ibid., Woodward, op. cit., vol. l, p. 323, note 1.
his ».
23
diffusion, comme il ne restait que très peu de temps avant l'émission, il fut impossible
de rejoindre Churchill. Lord Halifax avisa donc Cadogan de laisser libre cours à de
Gaulle45•
La déclaration publiée par le général de Gaulle précisait les objectifs et les
limites du Comité national français. Ce comité devait assumer la direction des corps
militaires et administratifs « qui se trouvent maintenant, ou se trouveront plus tard» en
Angleterre46• Il devait représenterait une autorité politique provisoire en temps de guerre.
Le premier message du gouvernement de Sa Majesté47 déclarait que le gouvernement
français en souscrivant aux conditions d'armistice avait perdu « la liberté,
l'indépendance et l'autorité constitutionnelle ». Le gouvernement français mettait en
péril ses Alliés, car: « toutes les ressources de l'empire français et de sa flotte tomberont
bientôt entre les mains de l'adversaire qui s'en servira pour l'accomplissement de ses
desseins ». Le deuxième énonçait que le gouvernement de Sa Majesté ne pouvait
« considérer le gouvernement de Bordeaux comme celui d'un pays indépendant» et
qu'elle reconnaîtrait un Comité national français provisoire s'il représentait« les
44
Jean Monnet, Mémoires, Paris, Fayard, 1976, p. 172-173.
45 Woodward, op. cit., vol. J, p. 325, note 1. Charles Corbin et Alexis étaient à Denham, la
résidence de Sir Vansittart, dans la soirée du 23 juin 1940. Sir Vansittart téléphona de leur part à Lord
Cadogan pour lui demander d'empêcher la diffusion. Mais puisqu'il était 9h15, il était trop tard pour
annuler la diffusion.
46
Spears,~. p.
153. Woodward,~, vol. J, p. 324-325.
47 Woodward, op. cit., vol. J, p. 313-314. Pour le message du Premier ministre Churchill, diffusé
à la radio de Londres, le 23 juin 1940. Spears, op. cit., p. 152-153 pour le texte français: « Le
gouvernement de sa Majesté a appris avec peine et stupéfaction que le gouvernement français de
Bordeaux a accepté les conditions dictées par les Allemands. Il ne peut croire qu'un gouvernement
français possédant la liberté, l'indépendance et l'autorité constitutionnelle ait souscrit à des conditions
pareilles ou analogues ».
24
éléments français résolus à poursuivre la guerre afin de remplir les obligations
internationales contractées par la France»48.
Mais le Comité national français ne put être constitué selon les attentes du
gouvernement britannique et du général de Gaulle. Les notables français ne s'étaient pas
ralliés à une cause qui engageait leur avenir, soit leur statut politique ou militaire auprès
du gouvernement de Pétain. Par crainte de la dissidence, donc, et des représailles sur leur
famille demeurée en France, par allégeance au gouvernement de Pétain ou par
empêchement. Car les parlementaires qui se trouvaient à bord du Massifia en direction
de Casablanca, ne purent communiquer, arrivés à port, avec la mission britannique que
le Premier ministre Churchill y avait envoyée49 • L'armistice signé, les chefs militaires50
se rangèrent sous l'autorité du gouvernement de Pétain. Le général de Gaulle rappelle
dans ses mémoires que l'honneur de la France était en jeu, car « nul homme au monde,
qui fût qualifié, n'agissait comme s'il croyait encore à son indépendance, à sa fierté, à sa
grandeur. [ ... ] Devant le vide effrayant du renoncement général, ma mission m'apparut,
d'un seul coup, claire et terrible. En ce moment, le pire de son histoire, c'était à moi
d'assumer la France»51.
48
Spears, op. dt., p. 153.
49 De la Gorce, op. dt., p. 265. Georges Mandel fut arrêté puis renvoyé en France. Paul Morand,
chef de la mission économique française en Angleterre, retourna en France et devint ambassadeur sous le
régime de Vichy. Quant à Paul Reynaud, lequel était demeuré en France, il fut arrêté durant les premiers
jours de septembre.
50 De Gaulle, Mémoires de guerre, ~, p. 79-80. Le général Noguès au Maroc, commandant
des forces d'Afrique du Nord; le résident général Peyrouton en Tunisie; Gabriel Puaux, hautcommissaire au Levant et le général Mittelhauser à Beyrouth.
51
Ibid., p. 82.
25
De Gaulle fut reconnu par la Grande-Bretagne comme chef de tous les Français
libres, le 28 juin 194(Ji2. Par l'accord Churchill-de Gaulle du 7 août, la France libre
obtint un statut pour constituer une force française libre, lequel fixait « en territoire de
Sa Majesté, les droits et les obligations de ces personnages sympathiques, mais
passablement contrariants, qu'étaient les Français combattants »53. Dans les articles de
l'armistice concernant les armes, il était stipulé qu'aucune «action contre le Reich
[n'était] permise, et que les Français continuant la lutte [seraient] considérés comme
francs-tireurs »54. Dans son message du 28 juin diffusé à la radio de Londres, le général
de Gaulle avait appelé à la dissidence les territoires français de l'Empire:
Généraux! Commandants supérieurs! Gouverneurs dans l'Empire!
mettez-vous en rapport avec moi pour unir nos efforts et sauver les terres
françaises. Malgré les capitulations déjà faites par tant de ceux qui sont
responsables de l'honneur des drapeaux et de la grandeur de la patrie, la
France libre n'a pas fini de vivre. Nous le prouverons par les armes55•
Le 4 juillet le général de Gaulle était condamné à une peine de quatre ans de
prison pour « délit d'excitation de militaires à la désobéissance », et le 2 août il était
condamné à mort par contumace. Sir Alexander Cadogan soupesa la faible
représentativité de celui qui représentait le seul allié français de la Grande-Bretagne,
toujours peu impressionné par la personnalité du général de Gaulle, « persona non
Woodward, op. cit., vol. l, p. 329-330. Le 28 juin, le gouvernement britannique apprit que le
général Noguès ne rallierait pas la cause alliée. L'amirauté à Casablanca et à Rabat, ainsi que l'aviation
française demeuraient hostiles envers l'Angleterre. Le gouvernement britannique décida donc de
reconnaître le général de Gaulle comme chef de tous les Français libres.
52
53
De Gaulle, QP.....ci1... p. 87.
54 Duroselle, op. cit., p. 196. De Gaulle, op. cit., p. 81. Le général Catroux, gouverneur-général de
l'Indochine et le général Legentilhomme, commandant les troupes de la côte de Somalie, rallièrent la
France libre.
55De Gaulle, Discours et Messages, op. cit., p. 12.
26
grata »56. Le défi du général de Gaulle consistait à légitimer son leadership et à maintenir
l'indépendance politique de la France libre auprès de la Grande-Bretagne57•
Les circonstances favorisèrent le général de Gaulle qui put miser sur l'élan initial
que la promotion de son nom, son introduction auprès de l'élite culturelle et politique en
Grande-Bretagne, ainsi que le temps d'antenne à la radio de Londres donnèrent à la
France libre. Le général Spears, lequel présidait la mission militaire qui assurait les
liaisons de la France libre avec les différents ministères58, pourvut aux besoins matériels
de la France libre. Grâce à cette collaboration, le général de Gaulle put installer son
quartier général permanent à Carlton Gardens. Spears confie qu'il n'avait pas ramené de
France « un important personnage politique français, capable d'agir sur l'opinion
mondiale et de rallier les éléments résistants qui pouvaient subsister en France »9'). Mais
après l'appel du 18 juin, il avait écrit un mémorandum au Premier ministre Churchill,
disant que le général de Gaulle avait ranimé l'espoir chez des milliers de Français. Le
général de Gaulle représentait maintenant un point central de ralliement pour ceux qui
avaient la volonté de résister60• Spears et le gouvernement britannique, par
56
Cadogan, op. cit., p. 308.
57 Dans l'échange de lettres qui scellait l'accord Churchill-de Gaulle du 7 août 1940, Churchill
déclarait que le gouvernement de Sa Majesté assurerait « la restauration intégrale de l'indépendance et de
la grandeur de la France ». Il précise dans une lettre secrète que cette formule« ne vise pas d'une manière
rigoureuse les frontières territoriales ». La politique du général de Gaulle se fondera sur l'intransigeance
en tout ce qui concerne les intérêts supérieurs de la France, c'est-à-dire le maintien de sa grandeur
historique et de ses droits dans l'Empire français. Cointct, La France libre, op. ciL, p. 62-68. Pour l'accord
du 7 août: document 12.
58 Crémieux-Brilhac, op. cit., p. 70. L'auteur rappelle que Spears pouvait communiquer
directement avec le secrétariat du cabinet et le Premier ministre.
"f)
Spears, op. cit., p. 146.
60
Woodward, op. cit., vol. I, p. 322.
27
l'intermédiaire du secrétaire de Churchill Desmond Morton61 , initièrent le lancement
publicitaire du général de Gaulle, afin de le faire connaître auprès de l'opinion publique
en Grande-Bretagne et dans le monde.
De Gaulle avait déjà fait son entrée à la radio de Londres par les discours qu'il
fut autorisés à y prononcer dès le 18 juin. Durant cette période les correspondants
militaires publiaient que la rapide défaite de la France résultait de son obsession
défensive. Ceux qui connaissaient les thèses défendues par de Gaulle dans Vers l'armée
de métier le dissociaient de la « mentalité Maginot ». La presse britannique avançait
aussi que la défaite de la France provenait de ce qu'une « partie de la France était pourrie
et corrompue» 62. De Gaulle fut placé dans une catégorie à part. Il incarnait la « vraie
France », celle qui était restée intacte au milieu de l'effondrement63 • Les Français ayant
laissé tomber leur allié, puisque de Gaulle était déterminer à poursuivre la lutte, il
représentait « la pierre de touche de la vertu» aux yeux de l'Angleterre qui demeurait
seule à poursuivre la lutte.
L'entreprise64 du général de Gaulle fut connue à l'aide d'actualités
cinématographiques, de communiqués de presse et d'un ensemble d'activités qui
devaient arrêter la question: Qui est de Gaulle? Le défilé du 14 juillet fut encouragé par
61 Major Desmond Morton. Il présidait le « Committee on Foreign (al lied) Resistance ». Il était
l'assistant personnel de Churchill.
62Philip M.H. Bell, « L'opinion publique en Grande-Bretagne et le général de Gaulle
mondiales et conflits contemporains, 190, juin 1998, p. 83-86.
63
»,
Guerres
IllliL, p. 84.
64 De Gaulle, Mémoires de guerre, op. cit., p. 94-95 : « Quand les journaux de Londres
annoncèrent que Vichy me condamnait à mort et confisquait mes biens, nombre de bijoux furent déposés à
Carlton Gardens par des anonymes et plusieurs douzaines de veuves inconnues envoyèrent l'alliance de
leur mariage afin que cet or pût servir à l'effort du général de Gaulle ».
28
Churchill. Le général Spears, appuyé par Lord Halifax, secrétaire d'État au Foreign
Office, introduisit de Gaulle au roi George VI qui passa en revue les troupes peu
nombreuses65 de la France libre. Churchill dans son discours aux Communes du 20 août
1940 fit l'éloge du général de Gaulle et de ses «héroïques compagnons» en proclamant
que:
Ces Français Libres ont été condamnés à mort par Vichy, mais le jour
viendra, aussi sûrement que le soleil se lèvera demain, où leurs noms
seront glorifiés et gravés sur la pierre dans les rues et les villages d'une
France qui aura retrouvé sa liberté et sa gloire d'antan au sein d'une
Europe libérée66•
La publicité autour du général de Gaulle symbolisait la pérennité de l'alliance
franco-britannique ainsi que le sacrifice consenti des Français libres pour l'honneur de la
France. Elle avait aussi pour objectif d'enrayer les sentiments anglophobes et
francophobes qui tendaient les relations. La capitulation de la France suscitait le
ressentiment des Anglais, tandis que les Français leur reprochaient d'avoir refusé le
concours de leur aviation de chasse durant les dernières heures de la bataille de France.
De plus, l'Angleterre avait attaqué la flotte française à Mers el-Kébir le 3 juillet et saisi
les bâtiments français qui étaient ancrés dans les ports britanniques67•
Le général de Gaulle devait relever le défi de maintenir la France en guerre et
celui lancé par Jean Monnet. Il devait maintenir l'indépendance politique de la France
65 Ibid., p. 87. Le général de Gaulle rappelle que fin juillet, le total des effectifs atteignait à peine
7 000 hommes.
66 Crémieux-Brilhac, op. cit., p. 71. Source citée par l'auteur: House of Commons, Parliamentary
Debates, vol. 364, col. 1169,20 août 1940.
Il Y eut 1 380 tués et 370 blessés français à Mers el-Kébir. Voir Crémieux-Brilhac, op.cit., p.
64. En Angleterre, il y avait la brigade du général Béthouart, retirée de Narvik; les soldats français
évacués à Dunkerque, et les forces navales qui s'étaient réfugiées dans les ports britanniques en juin 1940.
67
29
libre qui avait pris naissance à Londres. Il comptait sur l'aide britannique pour assurer la
solde des volontaires, dont le recrutement s'avérait difficile68 , leur entraînement et leur
armement. L'administration était établie en collaboration avec la Trésorerie anglaise
puisque la France Libre n'avait pas de représentation commerciale reconnue à
l'étranger69• L'action des Forces françaises libres auprès des forces britanniques devait
se démarquer à l'intérieur des impératifs stratégiques et diplomatiques de la GrandeBretagne. Car, le gouvernement britannique maintenait des relations diplomatiques avec
Vichy70, afin de mesurer son degré de collaboration avec l'Allemagne et d'en jauger les
conséquences sur ses théâtres d'opérations. Tout en reconnaissant la valeur morale du
mouvement de la France Libre pour les Français, le gouvernement britannique savait que
la résistance du général de Gaulle discréditait aux yeux de Hitler la capitulation du
gouvernement de Vichi1• Par contre, la Grande-Bretagne encourageait les initiatives du
général de Gaulle pour rallier les territoires français à la cause alliée. Car elle voulait
s'assurer le libre passage de ses forces terrestres et navales et de sa marine marchande
sur les frontières coloniales françaises en Afrique.
68
Voir chap. II : Les difficultés du ralliement.
fi)
De Gaulle, op. cit., p. 135. Un accord financier, économique et monétaire sera négocier le 19
mars 1941.
Woodward, op. cit., vol. l, p. 406-427. Par l'entremise de leurs ambassades respectives à
Madrid et de l'attaché naval français.
70
71
Ibid., p. 401.
TerritoIre sous contrôle:
Madère Q
(Port.)
~
g Îles Canaries
<:
oq:
~
oq:
(Esp.)
1> t>'
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de la France libre
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de Vichy
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de l'Angleterre
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de l'Espagne
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1000 km
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INDIEN
Les possessions coloniales en Afrique à la fin de 1940 et la ligne aérienne transafricaine de Takoradi, via le Tchad..
26-30 août 1940: ralliement au général de Gaulle du Cameroun et de l'Afrique équatoriale française.
12 novembre 1940: conquête du Gabon par les Français libres.
Source: Jean-Louis Crémieux-Brilhac, La France libre, Paris, Gallimard, 1996, p. 107.
31
Le général de Gaulle s'était adressé au nom de la France aux HautsCommissaires, aux Gouverneurs, aux administrateurs, aux résidents des colonies et des
protectorats français 72: il leur fallait refuser que les commissions d'armistice allemandes
et italiennes viennent s'installer sur place, car leur économie tomberait ainsi entre les
mains de l'ennemie, tandis que le blocus maritime73 des Alliés les couperait de leur
ravitaillement. Les ralliements successifs des territoires français à la France Libre entre
la fin de juillet et septembre 194074 accusaient dans l'ensemble la crainte d'un isolement
économique et l'utilisation de leurs ressources par l'Allemagne75. Le gouvernement
britannique s'était engagé à défendre les colonies françaises qui se rallieraient au général
de Gaulle et à leur fournir une assistance économique76• Il s'agissait pour la GrandeBretagne d'empêcher les Italiens et les Allemands de prendre pied dans les colonies
françaises. Par l'entremise du général de Gaulle, la Grande-Bretagne voulait stimuler la
résistance dans les territoires français en Afrique et en métropole. Elle voulait agir sur
l'opinion publique en zone non occupée, afin qu'elle s'oppose à la politique de
collaboration du gouvernement de Vichy.
72
De Gaulle, Discours et Messages, op. cit., p. 20. Discours du 20 juillet 1940 à la radio de
Londres.
73 René Cassin, Les hommes partis de rien, Paris, Plon, 1975, p. 227-228. Le blocus anglais était
conforme aux lois de la guerre sur la prohibition du commerce avec les territoires réputés ennemis.
74 L'Afrique équatoriale française, sauf le Gabon. Les Forces françaises libres en firent la
conquête le 12 novembre 1940, sans l'appui des forces navales britanniques. La France libre affirmait
ainsi son indépendance militaire et politique. Philip M.H. Bell, A Certain Eventuality : Britain and the Fall
of France, Farnborough, Saxon House, 1974, p. 227. Dakar et Madagascar, soit les lieux à forte
concentration militaire sous l'autorité de Vichy, ne rallièrent pas la France libre.
75
Crémieux-Brilhac, op. cit., p. lOS.
76
Woodward, op. cit., vol. 1, p. 40S.
32
Durant le mois d'octobre 1940, le gouvernement britannique tentait de dissuader
le gouvernement de Vichy d'une politique de collaboration avec l'Allemagne. Le 24
octobre, le maréchal Pétain avait rencontrer Hitler à Montoire, et le 30, il avait annoncé
cette politique77• Le gouvernement britannique craignait que le gouvernement de Vichy
ne se range aux côtés de l'Allemagne en signant une paix séparée et qu'il ne cède ses
bases navales et ses aérodromes aux forces de l'Axe. Le général de Gaulle choisit cette
période pour affirmer son indépendance, en lançant de Brazzaville, la capitale de
l'Afrique équatoriale française, le Manifeste du 27 octobre par lequel il déclarait
«
inconstitutionnel et soumis à l'envahisseur» le gouvernement de Vichy 78. Le Conseil
de défense de l'Empire qu'il constituait en ce jour, avait pour objectif de représenter la
France en guerre auprès des Alliés79 et d'exercer ses pouvoirs au nom de la France,
jusqu'à ce que le peuple français puisse délibérer librement:
En union étroite avec nos Alliés, qui proclament leur volonté de
contribuer à restaurer l'indépendance et la grandeur de la France, il s'agit
de défendre contre l'ennemi ou contre ses auxiliaires la partie du
patrimoine national que nous détenons, d'attaquer l'ennemi partout où
cela sera possible, de mettre en oeuvre toutes nos ressources militaires,
économiques, morales, de maintenir l'ordre public et de faire régner la
justice80 •
L'intransigeance du général de Gaulle fut perçue comme un outrage à l'art
diplomatique, sinon comme la marque de son incompétence. Il avait agi sans consulter
77
Ibid., p. 413-417.
78
Bell, A Certain Eventuality, Q12...ci!,., p. 232.
79 Coiotet, La France libre, p. 45-47. Document 5: Manifeste lancé de Brazzaville. Le Conseil de
défense de l'Empire « exerce dans tous les domaines la conduite générale de la guerre L••• J. Il n'existe
plus de gouvernement proprement français ».
80
Ibid. Voir aussi: De Gaulle, Discours et Messages, op. cit., p. 40-41.
33
son alliée et sans tenir compte de la politique britannique à l'égard de Vichy 81.
L'autorité que le général de Gaulle s'octroyait était perçue comme celle émanant d'un
militaire, qui « commande plus qu'il ne persuade »82, parce que le Conseil de défense de
l'Empire ne détenait qu'un pouvoir consultatif tandis que le général de Gaulle se
réservait la nomination des membres. La Déclaration organique du 16 novembre
complétait le Manifeste du 27 octobre. Elle définissait les fondements juridiques et
doctrinaux du Conseil; les ordonnances donnaient lieu au Journal Officiel de l'Empire83
et à la création de l'ordre de la Libération. Ces institutions représentaient les attributs de
la légitimité de la France Libre, mais elles apparaissaient ostentatoires aux représentants
du Foreign Office84• Par contre, c'est en territoire national que de Gaulle prononça le
Manifeste du 27 octobre à Brazzaville, sans les contraintes de la censure britannique en
Angleterre85•
Si le bloc Afrique équatoriale-Cameroun86 s'était rallié à la France libre, en
général pacifiquement, l'action conjointe des Forces françaises libres et des Britanniques
pour rallier Dakar se termina par un échec. L'événement démontra que de Gaulle
81
Bell, A Certain Eventuality, op. cit., p. 232.
Ibid., p. 233. Cadogan, dont la personnalité du général de Gaulle lui déplaît, ne veut reconnaître
que ses qualités militaires.
82
83 Afin de rendre compte de ses actes au peuple français .Enjanvier 1941, celui-ci prendra le nom
de Journal officiel de la France libre: lois et décrets.
84
BeU,~, p. 231.
85 Ibid., p. 230. Les communications du général de Gaulle devaient passer par le Foreign Office
ou la« Mission Spears », tandis que les services de renseignements britanniques contrôlaient les ondes de
diffusion. Par contre, à Brazzaville, outre les télégrammes, le général de Gaulle évitait la censure sur ses
discours et ses actes.
De Gaulle, Mémoires de guerre, op. cit., p. 99-103. Il s'agit du Cameroun, tu Tchad, du Congo,
de l'Oubangui.
86
34
n'avait pas l'assentiment d'un des bastions de Vich y87. Puisque Dakar répondit par
l'offensive en tirant sur les vaisseaux du général de Gaulle et de la «Royal Navy »,
d'aucuns ne voulurent engager un combat d'envergure contre les Français de
l'armistice88• Cet épisode révélait l'existence d'un «fossé profond entre Français Libres
et Français de Vichy, et constituait la première épreuve du grand schisme français »89.
Dakar représentait pour la France libre une base territoriale vitale. La capitale du
Sénégal détenait une position internationale sut le théâtre d'opérations en Atlantique,
tant au point de vue aérien que naval. Le ralliement volontaire de cette ville portuaire
aurait donné à la France libre et à son chef un acquis de souveraineté: « Si de Gaulle
avait pu s'installer à Dakar, un des emplacements stratégiques les plus importants du
monde, le président des États-Unis [ ...] eût acquis tout de suite une certaine
considération pour le détenteur de ce port »90. Aux yeux de la puissance américaine91
l'échec à Dakar privait de Gaulle de toute crédibilité en tant que chef politique, puisque
l'armée et la marine françaises demeuraient fidèles au maréchal Pétain. D'où la
méfiance continue du gouvernement américain, conclut René Cassin92• Si les forces
françaises à Dakar avaient rallié de Gaulle, il aurait démontré sa force de rassemblement
f57
Cassin, op. cit., p. 189. L'expédition eut lieu du 23 au 25 septembre 1940.
88
Woodward, op. cit., vol. I, p. 411.
89 Raoul Aglion, L'épopée de la France combattante, New York, Éditions de la Maison française,
1943, p. 273.
90
Cassin, op. cit., p. 191. Raoul Aglion, Roosevelt and de Gaulle, London, The Free Press, 1988,
91
Aglion, op. cit., p. 56.
p.55-56.
René Cassin était docteur ès sciences juridiques, économiques et politiques. Il avait rédigé le
texte de l'accord Churchill-de Gaulle du 7 août 1940, maintenant le caractère purement français de
l'armée de la France libre. Cassin, op. cit., p. 189.
92
35
des Français devant les gouvernements alliés. Mais l'événement engagea la division
entre Français, tout comme la campagne de Syrie à l'été 1941 93 •
Le gouvernement britannique craignait que l'Allemagne n'utilise les voies
maritimes et terrestres, ainsi que les aérodromes syriens pour approvisionner la révolte
irakenne qui s'était rangée du côté de l'Axe94• Il devait contrer la présence des forces
allemandes sur le théâtre d'opérations allié au Moyen-Orient. Or, les forces de Vichy
combattirent résolument les forces britanniques et leurs compatriotes français libres. La
victoire ne fut pas donnée, car les combats durèrent plus d'un mois, jusqu'à la demande
d'armistice du général Dentz, haut-commissaire français au Levant. La convention de
Saint-Jean d'Acre fut signée le 14 juillet par les représentants du gouvernement
britannique et de Vichy, mais la France libre n'y était pas mentionnée, malgré la
participation des Forces françaises libres aux opérations.
De Gaulle négocia au nom de la France les accords interprétatifs des 24 et 27
juillet, parce qu'il jugea que « le texte de l'accord équivalait à une transmission pure et
simple de la Syrie et du Liban aux Britanniques ». Il obtint que la France libre, au nom
de la France, retienne le pouvoir suprême du mandataire et ses obligations dans le
domaine politique, administratif et de la sécurité intérieure: « Le territoire de la Syrie et
du Liban faisant partie intégrante du théâtre d'opérations du Moyen-Orient, [ ... ] nous
accepterions que le Commandement militaire britannique exerçât, sur l'ensemble, la
direction stratégique contre les ennemis communs »95.
93
Du 8 juin à la signature de l'armistice de Saint-Jean d'Acre, le 14 juillet 1941.
94 Woodward, op. cit., vol. 1, p. 564 et vol. Il, p. 77: pour la révolte irakienne et les motifs de la
campagne de Syrie; vol. I, p. 590, art. 4 et p. 586-593 : pour les accords interprétatifs.
95
De Gaulle, op. cit., p. 172 et 178.
36
Tandis que les événements à Dakar et en Syrie accusaient le schisme français, les
préoccupations politiques occupaient l'avant-scène de la France libre. Le général de
Gaulle s'était imposé un défi politique en créant le Comité national français à Londres,
le 21 septembre 1941. À la veille de la bataille de Bir Hakeim, le général de Gaulle avait
engagé sa course à la légitimité, car la puissance américaine était entrée en guerre, et
Roosevelt ne reconnaissait pas d'autorité à de Gaulle. C'est par la contribution des
Forces françaises libres qu'il obtiendrait la reconnaissance du C.N.F. en tant que
dépositaire des droits de la France à la victoire. Or, elles comptaient peu de volontaires
pour justifier le leitmotiv du général de Gaulle: maintenir la France en guerre, tandis
qu'il avait besoin d'un fait d'armes afin d'asseoir la France combattante auprès des
Alliés, de leur opinion publique et auprès de la résistance intérieure en France.
************
CHAPITRE II
L'ÉPOPÉE DES FORCES FRANÇAISES LIBRES À
BIR HAKEIM
A)
LES DIFFICULTÉS DU RALLIEMENT l
Au printemps 1942 les Forces françaises libres comptaient environ 12 000 combattants2 •
Deux divisions légères avaient pu être formées en Syrie à partir des effectifs militaires
déjà acquis à la France libre et de ceux qui se rallièrent après la campagne de Syrie, soit
un cinquième environ des 30 000 militaires au Levant. Il fut difficile pour la France libre
d'approcher et de convaincre les forces vichystes, lesquelles étaient concentrées dans la
région portuaire de Tripoli, à 65 km de Beyrouth. Elles devaient être rapatriées par
unités entières avec leurs officiers3 •
Les premiers ralliements avaient eu lieu en Angleterre, à partir de l'appel du 18
juin, parmi les rescapés de Dunkerque4 et de la brigade du général Béthouart laquelle
avait fait partie du corps expéditionnaire franco-anglais en Norvège. Le gros des troupes
se recruta parmi les légionnaires5 des deux bataillons de la Be demi-brigade de la
Légion étrangère, lesquels signèrent un premier engagement contractuel de six mois
avec la France libre.
1 Sur les premiers ralliements: Bell, A Certain Eventuality. op. cit., p. 197; Crémieux-Brilhac,
op. cit., p. 87 et 164 ; de Gaulle, Mémoires de guerre, op. cit., p. 83 ; Cassin, op. cit., p. 143.
2
De Gaulle, ~, p. 259 et 262.
Ibid., p. 177 et 179. Selon l'accord interprétatif de l'armistice de Saint-Jean-d'Acre (accord
Lyttelton-de Gaulle) : « Les Anglais s'y déclaraient prêts à nous laisser prendre des contacts avec les
troupes du Levant pour y trouver des ralliements ». Mais, rappelle de Gaulle: « La commission
britannique d'armistice LsuivaitJ les consignes du général français Dentz, lequel interdisait aux officiers et
aux soldats tout rapport avec les Français libres ».
3
4 Environ 111 000 français, aviateurs, marins et soldats, dont une flotte française répartie dans les
ports britanniques.
5
On comptait parmi les légionnaires: des Italiens, des Allemands et des républicains espagnols.
39
Le commandant de la Be D.B.L.E., le lieutenant-colonel Magrin-Verneret, dit
Monclar, et son chef d'état-major, le capitaine Kœnig, avaient été séparés de leur demibrigade, car elle fut embarquée précipitamment vers l'Angleterre durant la débâcle qui
sévit en Bretagne à la mi-juin 1940. C'est à partir de Brest, sur un bateau de pêche,
qu'ils atteignirent l'Angleterre où ils retrouvèrent les leurs6 • Ils avaient espéré que « les
deux milles hommes aguerris, rompus au métier des armes» rallieraient le général de
Gaulle. Mais ils ne purent empêcher la demi-brigade de se scinder le 1er juillet 19407 •
L'anglophobie avait influencé la décision des hommes, ainsi que l'incertitude et
l'âpreté des événements. Certains percevaient l'évacuation à Dunkerque comme une
défection des forces britanniques et non comme une retraite réussie. D'autres
acceptèrent l'armistice parce qu'ils étaient las de combattre et parce qu'ils voulaient
rejoindre leur famille. Ils avaient été témoins de l'ampleur de la défaite de la France et
de l'exode qui s'ensuivit. Ils avaient été pris dans le chaos qui régnait en Bretagne où
beaucoup des leurs étaient tombés lors d'une ultime reconnaissance sur le Couesnon.
S'ils se réfugiaient en Angleterre, ils vivraient dans un climat de tension8 • Jean überlë
rappelle que ses amis avaient quitté Londres, car à l'encontre du général de Gaulle, ils
croyaient que l'Angleterre ne tiendrait pas longtemps:
6
Général Pierre Kœnig, Ce jour-là 10 juin: Bir-Hakeim, Paris, Éd. Robert Laffont, 1971, p. 29.
André-Paul Comor, L'épopée de la 13° demi-brigade de la Légion étrangère 1940-1945, Paris,
Nouvelles éditions latines, 1988, p. 102-107. Douglas Porch, The French Foreign Legion, New York,
HarperPerennial, 1991, p. 472-473. Environ 900 légionnaires s'engagèrent.
7
8 Les gouvernements européens s'exilaient en Angleterre pour fuir le régime nazi, ainsi que
nombre de citoyens étrangers. La Grande-Bretagne craignait l'infiltration ennemie.
Jean Oberlé, Jean Oberlé vous parle, Paris, La Jeune Parque, 1945, p. Il. Il avait quitté Paris en
1939 afin de remplacer Yves Morvan, dit Jean Marin, le correspondant français de Londres pour le
Journal. Il devait écrire des articles sur l'Angleterre en guerre. Peintre et journaliste, il faisait partie de
l'équipe qui avait fondé l'émission<< Les Français parlent aux Français », une émission indépendante de la
France libre, diffusée sur les ondes de la RB.C.
9
40
Quand je leur parlais de De Gaulle, ils haussaient les épaules. Ils étaient
tous convaincus que la résistance de l'Angleterre serait de courte durée, et
qu'il valait mieux s'en aller avant l'invasion. Ils craignaient de voir se
reproduire en Angleterre les destructions de l'exode, qui, en France
avaient accompagné l'avance allemande lO•
Autant le moral des combattants était atteint, autant la situation était confuse. La
France signait les armistices avec l'Allemagne et l'Italie, tandis que le général de Gaulle
appelait à la résistance et incitait les militaires à désobéir à l'ordre de rapatriement.
Lorsque les officiers britanniques visitaient les camps militaires, ils signalaient aux
hommes qu'ils pouvaient rallier la France libre, mais que ce faisant, ils deviendraient des
rebelles à leur gouvernementll .
Les légionnaires qui rallièrent la France libre le firent essentiellement pour des
motifs personnels. D'abord parce que combattre était leur métier, par respect pour leurs
chefs et par camaraderie. Ceux des républicains espagnols qui se joignirent aux Forces
françaises libres craignaient d'être rapatriés dans l'Espagne franquiste 12• C'est à titre
individuel que l'ensemble des combattants qui se trouvaient en Angleterre entrèrent dans
les F.F.L. Ils le firent par esprit d'aventure et par patriotisme. La débandade en France,
puis le verrouillage des frontières après les armistices franco-allemand et franco-italien
rendirent difficile le ralliement métropolitain.
10
Oberlé, op. cit., p. 32.
11
Bell, op. cit., p. 191-251, p. 197. Jacques Soustelle, Envers et contre tout, Paris, Robert Laffont,
1947, p. 36 et 50. Les engagés usaient souvent de pseudonymes afin d'éviter des représailles à leur
famille. Les francs-tireurs étaient passibles d'exécution, car ils n'étaient pas protégés par la loi sur les
prisonniers de guerre. La convention de Genève de 1929 avait été ratifiée par la France, l'Allemagne, la
Grande-Bretagne et les États-Unis. Voir aussi, Raoul Aglion, L'épopée de la France combattante, op. cit.,
1943, p. 122.
Jean-Louis Crémieux-Brilhac, op. cit., p. 87. Il Yavait près de 300 combattants républicains
espagnols dans la Be demi-brigade de la ~$ion étrangère.
12
41
Le lieutenant Jean Simon, saint-cyrien et le sous-lieutenant Pierre Messmer,
docteur en Droit et administrateur de la France d'outre-mer, cherchèrent une
embarcation pour rejoindre l'Angleterre. Ils prirent leur décision dès qu'ils entendirent
le discours du maréchal Pétain, le 17 juin, annonçant qu'il demandait les conditions
d'armistice. C'est dans le Petit Provençal qu'ils lurent un compte rendu de l'appel du 18
juin, prononcé par un officier inconnu, un « certain général de Gaulle »13. Ils
s'embarquèrent à Marseille sur le Capo Olmo, un bateau italien sous le commandement
du capitaine au long cours Vuillemin l4• Ensemble ils convainquirent des membres de
l'équipage de se détacher du convoi français à destination d'Oran. Ils atteignirent
Gibraltar et se réclamèrent du général de Gaulle, affirmant que le Capo Olmo était une
prise de guerre française. Messmer et Simon rejoignirent Londres le 19 juillet 1940, où
ils rencontrèrent le général de Gaulle quelques jours plus tard.
Ils se lançaient dans une nouvelle aventure suivant celle de leur désertion, parce
que, témoigne Jean Simon; « il [nous] paraissait inimaginable d'abandonner le combat
alors que l'occasion de le poursuivre se présentait »15. Animés par l'expérience qu'ils
venaient de vivre, ils furent reçus par de Gaulle, lequel portait son uniforme de général
de brigade. De Gaulle leur fit une impression durable bien qu'il fût réservé sur leur
exploit:
13 Général Jean Simon, La saga d'un Français libre, p. 41-59. Pour l'épopée du lieutenant Simon
et du sous-lieutenant Messmer.
14
Le commandant Vuillemin fut condamné à mort par contumace.
15
Simon, op. cit., p. 65.
42
Parfaitement au courant de la prise du Capo Olmo et du rôle que nous
avions rempli auprès du commandant Vuillemin, il nous fit comprendre
brièvement que nous avions fait notre devoir en rejoignant ainsi les
Forces françaises libres. Effectivement, nous n'avions rien accompli
d'autre que notre devoir et nous ne méritions pas de compliments
particuliers. Puis il nous déclara qu'il fallait reprendre le combat pour
sauver 1'honneur de la France 16•
Ces deux jeunes officiers furent affectés à la 13 e D.B.L.E., comme le fut Pierre
Mercier, dit Saint-Roc. Ce dernier avait appartenu au 154e R.I.F. 17• Auprès du lieutenant
Maillet et de quelques compagnons, il avait continuer de combattre à la frontière de la
ligne Maginot après le 17 juin. Pour éviter d'être fait prisonnier, il se replia sur Macon,
qu'il atteignit le 18 juillet 1940. Après sa démobilisation en zone non occupée, il
chercha une filière pour rejoindre l'Angleterre, car il avait entendu parler des F.F.L. sur
les ondes de la RRe. En février 1941, il tenta sans succès de s'embarquer à Marseille
pour l'Afrique du Nord. Il décida de passer par la frontière de l'Espagne, muni de faux
papiers. Ce n'est que le 30 janvier 1942 qu'il atteignit Londres après avoir été incarcéré
d'abord à la prison de Bourges, puis dans une prison en Espagne.
16
Ibid., p. 67.
Régiment d'infanterie de forteresse. Saint-Roc, Sacrée drôle de guerre, Éd. SNP, Paris, 1948, p.
70 à 119. Pour le récit de son aventure.
17
43
Il rappelle dans ses carnets, combien la France libre lui avait apparu belle à la
radio. Il eut l'illusion de croire qu'elle aurait prévu une organisation pour faciliter le
passage en Angleterre, alors qu'il dut vivre tout un périple pour s'engager dans les
F.F.L. : « En somme, pour traverser la Manche, il m'aura fallu toute une année, qu'ont
grignoté deux mois de voyages à travers la France, quarante-deux jours de cure à
« l'Hôtel de Bourges », neuf mois d'hospitalité franquiste l8 ». Le 19 mai 1942, il
rejoignit Bir Hakeim où il fut affecté au deuxième bataillon, sixième compagnie de la
Be D.B.L.E., à laquelle il était fier d'appartenir: « mes nouveaux camarades sont des
guerriers qui choisirent volontairement une profession: le combat ».
************
18
Saïnt-Roc, ~, p. 144-157.
B)
LA COURSE À LA LÉGITIMITÉ DE LA FRANCE COMBATTANTE
Les ralliements à la France libre s'avérèrent difficiles parce qu'il fallait trouver des
moyens de transport pour rejoindre l'Angleterre durant l'exode en France et la
démobilisation, puis après le verrouillage des frontières. Issus de la France et de
l'Empire, les volontaires avaient gagné spontanément la Grande-Bretagne pour
poursuivre la lutte et ralliés par la suite le général de Gaulle, ou bien avaient répondu à
son appel du 18 juin entre 1940 et 1942 19. Ils se lançaient à l'aventure avec peu de
ressources en risquant d'être dénoncés comme déserteurs. Ils s'exposaient à de graves
sanctions en désobéissant à l'ordre de rapatriement et mettaient leurs familles en péril 20.
La légitimité de la France libre reposait sur quelques milliers de combattants. Ces
derniers devaient assumer un grand idéal, sauver l'honneur de la France, et un grand
défi, représenter la France en guerre.
C'est au nom de la France que la France libre devait étendre son effort de guerre
auprès des alliés. Par les faits d'armes elle assurerait le salut de la nation et
exemplifierait son renouveau en effaçant la défaite et l'humiliation de la capitulation. La
France libre représentait l'embryon du renouvellement de la République « une vague
grondante et salubre qui se lève du fond de la nation» sous la devise « Honneur et
Patrie, entendant par là, rappelle de Gaulle, que la nation ne pourra revivre que par la
victoire et subsister que dans le culte de sa propre grandeur »21.
19
Cassin, op. cit., p. 143. Sur les ralliements en dents de scie et les principaux obstacles au
ralliement.
20
Soustelle, QI1....cit., p. 36 : « En fait, seuls demeurèrent les plus durs et les plus farouches ».
21
De Gaulle, Mémoires de guerre, p. 248-249. Discours du Il novembre 1941 à l'Albert Hall.
45
Mais jusqu'à présent les faits d'armes des Forces françaises libres avaient
consisté au ralliement des territoires de l'Empire français qui étaient maintenant sous
l'administration de la France libre. Dès 1940, les F.F.L. avaient aussi été engagées
auprès des Britanniques, au Soudan anglo-égyptien, puis en Palestine, en Syrie et au
Liban. Les Français libres avaient combattu les Italiens en Erythrée, en janvier 1941. La
propagande de Vichy en faisait des mercenaires à la solde des Anglais et des
révolutionnaires, parce qu'ils participaient à l'établissement d'un contre-pouvoir dans les
territoires français libres et parce qu'ils avaient affronté leurs compatriotes durant la
campagne de Syrie22• Le seul fait d'armes français sous commandement français contre
l'Axe fut accompli par le colonel Leclerc23 qui à partir du Tchad atteignit le sud du désert
libyque. La colonne Leclerc s'empara de Koufra le 2 mars 1941, une base aérienne tenue
par les Italiens à 750 km de la Méditerranée24•
C'est sur le théâtre d'opérations en Afrique du Nord que de Gaulle entendait
remporter un succès proprement français. Dans le cadre de la confrontation francofrançaise, de Gaulle devait déloger Vichy de l'Empire en prenant pied en Afrique 25• Cette
stratégie ne pouvait que satisfaire les Britanniques engagés en Tripolitaine. Il s'agissait
Maurice Martin du Gard, La chronique de Vichy 1940-1944, Paris, Flammarion, 1948, p. 202.
L'auteur était correspondant de la Dépêche à Paris, écrivain et chroniqueur: « Ils meurent les uns les aures
pour la France. Vichy déclare, que les Français libres sont des mercenaires à la solde des Anglais, tandis
que les gaullistes pensent avec la même sincérité que les combattants du Maréchal sont à la solde de
l'Allemagne ».
22
23 Philippe de Hautecloque, dit Leclerc. Il fut nommé colonel, puis général par le général de
Gaulle. En janvier 1943 il fera sa jonction à Tripoli avec le général Montgomery, nommé chef de la VIlle
armée britannique à la fin de juin 1942, et participera à la campagne de Tunisie.
24
Crémieux-Brilhac,~,p. 484.
De Gaulle, op. cit., p. 257 : « Si le caractère mondial de la guerre me déterminait à faire en
sorte que des forces françaises soient engagées sur tous les théâtres d'opérations, c'est sur celui qui
intéressait le plus directement la France, à savoir l'Afrique du Nord, que je m'appliquais à concentrer
l'effort principal ».
25
46
donc pour les F.F.L. de pousser vers le Fezzan à partir du Tchad et d'engager en Libye
leurs forces aux côtés des Anglais. Mais puisque la situation durant les premiers mois de
l'année 1942 se stabilisa, le général de Gaulle qui s'attendait à une action conjointe entre
ses troupes du Tchad et les Britanniques en Tripolitaine, depuis mars 1941, s'était lancé
à la conquête du Fezzan. La colonne Leclerc investit les postes ennemis, fit de nombreux
prisonniers et s'empara d'un matériel dont elle avait grandement besoin26•
À la veille de la bataille de Bir-Hakeim, la guerre était devenue mondiale telle
que l'avait énoncé de Gaulle en juin 1940: « Nul ne peut prévoir, avait-il dit, si les
peuples qui sont neutres le resteront demain, ni si les alliés de l'Allemagne resteront
toujours ses alliés
»27.
Si l'entrée en guerre de la Russie soviétique auprès des Alliés en
juin 1941, celle des États-Unis contre le Japon depuis le 7 décembre et contre le Reich
depuis le Il janvier 1942, représentaient un gage de la victoire alliée28, et témoignaient
de la clairvoyance du général de Gaulle, la participation des F.F.L. aux combats était
essentielle à la crédibilité de la France libre et de son chef qui entendait assurer sa
légitimité politique auprès des alliés contre le régime de Vichy. Dès lors que la
puissance américaine entrait en guerre, elle était appelée à tenir un rôle prépondérant
dans le conflit.
26
Ibid., p. 258-259.
27
Id.... Discours et Messaf:es, ~, p. 4 et 7.
Cointet, La France libre, op. cit., p. 24. L'auteur rappelle que de Gaulle était convaincu de la
victoire alliée à partir de l'entrée en guerre des États-Unis. Il avait engagé une course de vitesse pour la
reconnaissance des droits de la France à la fin de la guerre, car le poids des États-Unis s'avérerait
déterminant. À la fin de 1942, le C.N.F. n'avait obtenu qu'une reconnaissance de facto des États-Unis.
28
47
Anthony Eden, directeur du Foreign Office, membre du Cabinet de guerre et du
Comité de défense, acceptait le fait que les États-Unis s'imposeraient dans les
concertations anglo-américaines, parce que l'effort de guerre de la Grande-Bretagne
s'épuisait et qu'elle comptait maintenant sur le déploiement des troupes américaines et
sur l'extension de son industrie de guerre 29• À cause de l'état de subordination dans
lequel la Grande-Bretagne se trouvait et parce que les impératifs de la conduite de la
guerre commandaient une concertation assidue entre Churchill et Roosevelt, de Gaulle
savait que son action serait tributaire de la puissance américaine à l'avis de laquelle se
rangerait Churchill ou avec laquelle il temporiserait.
En décembre 1941, Churchill et Roosevelt étaient réunis à Washington. Les deux
chefs de guerre se concertaient sur leur stratégie de guerre et sur l'établissement des
textes de la Déclaration des Nations unies30• C'est durant cette conférence cruciale que
de Gaulle exécuta un coup d'éclat aux îles Saint-Pierre-et-Miquelon. Ces îles
possédaient un poste de transmission capable de guider les sous-marins allemands.
Lorsque le gouvernement britannique avait proposé aux États-Unis de laisser les F.F.L.
s'emparer des îles, il dut concéder. Le gouvernement américain ne voulait pas s'aliéner
le gouvernement de Vichy en recourant aux F.F.L. pour contrôler la station émettrice.
Selon la politique américaine, l'action des F.F.L. contrecarrait leur effort pour
restreindre la collaboration du gouvernement de Vichy avec à l'Allemagne et pour le
faire sortir de son attentisme3 !. De plus, l'occupation de ces îles par la France libre
29
Anthony Eden, The Eden Memoirs : The Reckoning. London, Cassell, p. 317.
30 Woodward, op. cit., vol. II, p. 210-219. Par cette déclaration, les États-Unis s'associaient en
tant que force belligérante auprès des Alliés. Le manifeste fixait les buts de guerre communs, les principes
de la paix et de la politique interalliée après la guerre.
311bid., p. 320. Les Américains déclaraient au gouvernement britannique qu'ils n'avaient pas de
preuve de l'importance du mouvement du général de Gaulle, ni que ce dernier représentait un point de
ralliement pour la résistance en France.
48
équivalait à un transfert de souveraineté à l'encontre de la politique non
interventionniste des États-Unis dans l'hémisphère occidental32• De Gaulle fit volte-face
et ordonna à l'amiral Muselier3 de débarquer dans les îles. Il organisa un plébiscite34 le
25 décembre 1941, lequel fut gagné en faveur de la France libre. Churchill déclara que
de Gaulle avait agi sans l'accord de l'Angleterre. Par contre le gouvernement
britannique s'opposa aux vues du secrétaire d'État américain Cordell Hull. Il rappela à
ce dernier que les États-Unis avaient d'autres moyens de pression pour restreindre la
collaboration du gouvernement de Vichy, que de restaurer son pouvoir dans les îles aux
dépens de la France libre; il lui rappela aussi que le général de Gaulle avait reçu
l'assentiment de la population35• Quant à de Gaulle, contrairement au secrétaire d'État
américain, il était persuadé que Vichy demeurerait dans l'attentisme, c'est-à-dire qu'il
n'appuierait pas l'effort de guerre allié.
Cordell Hull, qui tempêta contre «l'action entreprise par trois bâtiments soidisant français libres », reçut des protestations adressées « au soi-disant secrétaire
d'État »36. Il avait même menacé d'extraire les Français libres des îles Saint-Pierre-etMiquelon par la force 37• Le Foreign Office se rendait compte que l'opinion publique
anglaise serait consternée par une action contre « ces Français qui [avaient] tout risqué
32 Aglion, Roosevelt and de Gaulle, op. cit., p. 58. De la Gorce, op. cit., p. 376. Woodward, QP..
cit., vol. II, p. 82-83. Le gouvernement américain voulait maintenir le statu quo. Crémieux-Brilhac, QP..
cit., p. 283.
33 Le vice-amiral en retraite Émile Muselier avait rallié la France libre. Il avait été commandant
du secteur maritime de Marseille. De Gaulle le nomma commandant des forces navales et aériennes
françaises libres le le' juillet 1940, alors que leur mise sur pied restait à faire. Il démissionnera du C.N.F.
le 3 mars 1942.
34
Aglion, op. cit., p. 57-71. Crémieux-Brilhac, op. cit., p. 278. Pour les résultats du plébiscite.
35
Woodward, op. cit., vol. II, p. 82-84.
36
Crémieux-Brilhac, op. cit., p. 285. Aglion, op. cit., p. 63-
37
Woodward, op. cit., vol. II, p. 83.
49
pour partager [notre] tâche et sauver l'honneur de leur patrie »38. Quant à l'opinion
américaine, elle réagit favorablement à cet acte romanesque « digne d'Alexandre Dumas
et de Cyrano de Bergerac ». La presse américaine soulignait que c'était une victoire
morale, remportée sans verser de sang, pour la cause des Français libres qu'elle
Le général de Gaulle défiait la politique américaine de neutralisation, car il
voulait obtenir des gages pour la souveraineté de la France à la victoire en maintenant en
guerre les territoires français libres. Jacques Soustelle40 rappelle que parce que la France
libre détenait sur le front du Pacifique des avant-postes et des ports stratégiques, cela
obligeait« la politique de Washington à s'infléchir vers nous
»41.
La déclaration
américaine du 1er mars 1942 reconnut l'autorité du Comité national français sur les
colonies françaises du Pacifique. Par contre, l'entente spécifiait que les États-Unis
traiteraient avec les autorités locales établies par le c.N.F. 42•
Bell,« L'opinion publique en Grande-Bretagne et le général de Gaulle (1940-1944) », op. cit.,
p. 91. Cité par l'auteur. Il s'agit de l'allocution de Harold Nicolson, sous-secrétaire d'État britannique à
l'Information, dans Post Scriptum, le 1er juillet 1941.
38
39
Aglion, Roosevelt and de Gaulle, op. cit., p. 65.
Jacques Soustelle, universitaire, avait été chargé de cours au Collège de France et à l'École
Coloniale (1938-1939). Il rallia de Gaulle à Londres en 1940. Il fut nommé commissaire national à
l'Infonnation au C.N.F. en 1942.
40
41 Jacques Soustelle, op. cit., p. 330-331. Il s'agissait de la Nouvelle-Calédonie, avant-poste des
défenses australiennes et néo-zélandaises, des Nouvelles-Hébrides, de Tahiti et des îles de l'Océanie
française. Ces îles étaient riches en ports, en rades, en bases nécessaires pour les États-Unis sur le théâtre
d'opérations du Pacifique.
Soustelle, op. cit., p. 331-332. Pour le texte de la déclaration du 1er mars 1942. CrémieuxBrilhac, op. cit., p. 298. De Gaulle, Mémoires de guerre, op. cit., p. 200.
42
50
L'intransigeance du général de Gaulle semait le doute sur la vocation
démocratique et républicaine de la France libre et de son chef. La France libre était
perçue comme un mouvement politique et non comme le gérant provisoire des intérêts
de la France. Car le général de Gaulle entendait que le Comité national français.ait les
attributions et la structure d'un gouvernement et qu'il soit l'organe de pouvoir sous sa
direction, jusqu'à ce que le peuple français puisse à la victoire délibérer de son avenir43 •
Après le coup d'éclat à Saint-Pierre-et-Miquelon, Pierre Tissier, chef d'état-major du
général de Gaulle et juriste, dut déclarer à la radio de Londres que le eN.F. ne
représentait pas un mouvement politique dont le but était d'instaurer une dictature
militaire sous le pouvoir personnel de De Gaulle: « Le général de Gaulle n'usera des
pouvoirs qu'il détient, je suis formellement autorisé à le déclarer, pour favoriser ni une
restauration monarchique, ni l'établissement d'un régime dictatorial quel qu'il soit »44.
À la veille de la bataille de Bir Hakeim, l'action politique du général de Gaulle
occupait l'avant-scène, c'est-à-dire que le litige franco-britannique au Levant persistait.
En effet, la Grande-Bretagne s'étant portée garante de l'indépendance de la Syrie et du
Liban, dans une déclaration distincte de celle que la France libre avait rendue publique à
la veille de la campagne de Syrie le 8 juin 1941 45, elle entendait démontrer aux
43 De Gaulle, op. cit., p. 227-228. De Gaulle souligne dans ses mémoires que le Comité serait tel
un gouvernement, mais qu'il n'en porterait pas le titre, jusqu'au jour où il sera possible de constituer une
assemblée consultative représentant l'expression la plus large de l'opinion nationale.
Ici Londres. Les voix de la liberté, tome II, Paris, La Documentation française, 1975, p. 39.
Dans le cadre de l'émission de la France libre, « Honneur et Patrie », diffusée le 25 janvier 1942 à la radio
de Londres.
44
45
La Société des Nations avait accordé à la France le mandat sur la Syrie et le Liban en 1924.
Woodward, op. cit., vol. l, p. 584-593. Pour la proclamation de la France libre du 8 juin 1941 et celle du
gouvernement britannique. De Gaulle, Mémoires de guerre, op. cit., p. 168. De Gaulle rappelle dans ses
mémoires qu'il avait signalé à l'ambassadeur que« la parole de la France n'avait pas besoin d'une
garantie étrangère ». Mais parce que le gouvernement britannique fit en son propre nom une déclaration
51
populations arabes qu'elles n'héritaient pas d'un nouveau groupe de maîtres français, en
veillant à ce que la France libre remplisse la promesse d'indépendance46• Alors que le
gouvernement britannique insistait pour que des élections aient lieu le plus tôt possible,
de Gaulle en différait l' échéancé7 • Dans les conditions actuelles, de Gaulle jugeait que
la supériorité militaire et économique de la Grande-Bretagne, autant que ses moyens de
propagande, pèseraient sur le scrutin; c'est-à-dire qu'ils favoriseraient les clientèles
arabes dans le cadre de la politique britannique de soutien du nationalisme arabe et de
ses aspirations à l'unité48• De Gaulle rappelle dans ses mémoires que cette situation
risquait d'abroger la position privilégiée de la France au Levant49• De même, dit-il, il
fallait attendre la fin de la guerre pour instituer des gouvernements entièrement
représentatifs.
Le gouvernement britannique rappelait à de Gaulle qu'il n'avait pas l'intention
de déloger la France du Levant. Parce que la Grande-Bretagne détenait le
commandement militaire sur le théâtre d'opérations du Moyen-Orient, il lui importait de
veiller à la paix intérieure dans les États du Levant et dans l'ensemble du monde arabe50•
Anthony Eden rappelle dans ses mémoires qu'il douta« que le général de Gaulle ait
d'indépendance, de Gaulle soupçonna que le gouvernement britannique avait l'intention de se poser en
arbitre.
46
Eden, op. cit., p. 249.
De Gaulle, Mémoires de guerre, p. 211. Les journaux du Caire avaient annoncé des élections
prochaines. p. 186-187. De Gaulle rappelle que la Grande-Bretagne était la première diplomatie du monde.
Elle maîtrisait les relations économiques de la Syrie et du Liban, lesquels vivaient d'échanges. Woodward,
vol. J, p. 570. Sur les rapports d'information britannique concernant l'opinion publique dans les pays
arabes.
47
48
Crémieux-Brilhac, Qll...ffi., p. 154.
49 Woodward, op. cit., vol. J, p. 592. Sur la lettre de Lyttelton, ministre d'État britannique au
Caire, assurant de Gaulle que la Grande-Bretagne n'a aucune visée sur les États du Levant. La France
retiendra sa position prédominante lors de la négociation des traités.
50
Woodward, op. cit., vol. II, p. 347-348.
52
jamais cru que nous ne voulions ni de la Syrie, ni de Madagascar ». Eden souligne que
c'était dans l'intérêt national de la Grande-Bretagne que la France demeure une
puissance et que son empire survive après la guerre5l • Par contre, le général de Gaulle
demeurait intransigeant, car il réagissait à ce qu'il considérait comme un empiètement
sur les droits français dont la France libre avait la garde.
L'événement à Madagascar ouvrit une nouvelle crise entre de Gaulle et le
gouvernement britannique52• Le 5 mai 1942, une escadre britannique avait débarqué à
Diego Suarez53 sans que la France libre en soit consultée. Les Américains avaient
appuyé officiellement l'opération. Ils avaient déclaré de concert avec la GrandeBretagne que « Madagascar [ serait] restituée à la France dès que l'occupation de cette
île ne serait plus essentielle pour la cause commune des Nations unies »54. Les ÉtatsUnis avaient aussi déclaré que les Nations unies interviendraient si les forces de l'Axe
utilisaient les territoires français à des fins militaires. La puissance américaine risquait
donc d'intervenir à Madagascar, ce qui équivalait pour de Gaulle à la neutralisation de
Madagascar jusqu'à la fin des conflits.
51
Eden, op.cit., p. 250.
52
De Gaulle, op. cit., p. 212. Woodward, op. cit., vol. II, p. 328.
Diego Suarez était une base navale sur l'île de Madagascar, une route maritime vers les Indes
et le Moyen Orient. L'escadre britannique y débarqua en prévision contre une occupation japonaise.
53
54 De Gaulle, op. cit., p. 213. Cité par l'auteur. Crémieux-Brilhac, op. cit., p. 306. Woodward, QP,.
cit., vol. II, p. 327, note 1. Le message de Roosevelt au gouvernement de Vichy et le communiqué du 4
mai 1942: ER.D.S., 1942, II, 698-699.
53
L'action conjointe des États-Unis et de la Grande-Bretagne privait de Gaulle de
sa légitimité parce que « l'action des Français libres ne se üustifiait] que si, en
continuant la lutte, ils [maintenaient] la France dans le camp des Alliés
»55.
Pour de
Gaulle il était essentiel que le territoire français soit engagé dans la guerre auprès des
Alliés sous l'autorité de la France libre: «Unjour ou l'autre, les Anglo-Saxons
voudraient s'assurer de l'île [...] tout commandait à la France libre d'être présente à
l'opération »56.
En guise de protestation contre l'action britannique, de Gaulle refusa d'abord de
rencontrer Anthony Eden. Puis une entente fut conclue en ces termes le 13 mai 1942 :
«Au sujet de Madagascar, c'est l'intention du gouvernement de Sa Majesté que le
Comité national français, en tant que représentant de la France combattanteS?, et vu qu'il
coopère avec les Nations unies, joue le rôle qui lui revient dans l'administration des
territoires libérés »58. Par contre, le gouvernement britannique n'étant pas en mesure
d'engager des forces nombreuses pour occuper l'île, il temporisait avec le gouvernement
de Vichy et tardait d'associer les Français libres à l'administration59•
55 Crémieux-Brilhac, op. cit., p. 307. Cité par l'auteur. Mémorandum du 6 mai 1942 remis par le
général de Gaulle à Sir A. Cadogan.
56
De Gaulle, ~, p. 213.
Au printemps 1942, de Gaulle avait substitué l'appellation de la France combattante à celle de
la France libre, afin d'inclure les mouvements de résistance en métropole, mais aussi pour se distinguer
des mouvements nationalistes dits libres en pays ennemis. La France libre prendra officiellement le nom
de France combattante le 14 juillet 1942. De Gaulle,~, p. 224. Woodward, Qlh.cit, vol. II, p. 340.
57
De Gaulle, op. cit., p. 214. Cité par l'auteur. Woodward, op. cit., vol. II, p. 329, note 1. La
France libre avait adhéré à la Déclaration des Nations unies, le 2 janvier 1942. Cassin, ~, p. 278.
58
59 Woodward, op. cit., vol. II, p. 329-330. Jean-François Muracciole, Histoire de la France Libre,
Paris, Presses Universitaires de France, 1996, p. 88: «Mais, contrairement aux exigences gaulliennes, ils
n'associèrent pas les EEL. à l'opération, abandonnant le reste de la Grande Ile à l'autorité de Vichy et
tardant à transférer aux Français libres l'autorité civile dans les territoires libérés».
54
Le gouvernement britannique avait reconnu le Comité national français, fondé à
Londres le 24 septembre 1941, en tant que représentant des Français libres et des pays
d'outre-mer qui se rallient à la France libre afin de servir la cause alliée. Mais il n'avait
pas accrédité un représentant diplomatique auprès du C.N.P., car ce geste aurait signifié
qu'il reconnaissait le général de Gaulle comme le chef d'un état souverain60• Le
gouvernement américain refusait de reconnaître l'autorité politique que le général de
Gaulle s'accordait61 • En mai 1942, en prévision du débarquement allié en Afrique du
Nord62 et d'une rupture avec le gouvernement de Vichy, la politique américaine63
souhaitait la collaboration d'une autorité française hostile à l'Allemagne64 afin qu'elle
siège au Comité national français et tempère l'intransigeance du général de Gaulle.
Suivant la forme limitée de la reconnaissance du Comité national français, René
Cassin, commissaire à la Justice et à l'Instruction publique au C.N.P., décrit la ligne de
conduite à laquelle la France libre était tenue: « La répercussion la plus notable fut le
caractère plus pressant que prirent les propositions du général de Gaulle en vue de faire
60
Woodward, op. cit., vol. II, p. 81-82. Le C.N.F. fut créé le 24 septembre 1941.
Aglion, Roosevelt and de Gaulle, p. 113. Raoul Aglion, jeune avocat et membre de la
délégation de la France libre aux États-Unis, avait rencontré Summer Welles, le sous-secrétaire d'État
américain, le 26 mai 1942. Ce dernier lui avait rappelé que la majorité des personnalités françaises exilées
aux États-Unis rejetaient l'autorité du général de Gaulle, dont Alexis Léger, l'ex-secrétaire général au
Quai d'Orsay. Le président Roosevelt, le secrétaire d'État Cordell Hull ainsi que Summer Welles le
consultaient à maintes occasions.
61
Crémieux-Brilhac, op. cit., p. 286. Le 22 décembre 1941, Churchill avait soumis le projet
suivant: se saisir en 1942 de gré ou de force de l'Afrique du Nord. Source citée par l'auteur: Churchill,
Mémoires sur la Deuxième Guerre mondiale, tome III, vol. 2, Paris, Plon, 1948-1954, p. 286-288.
62
63 En avril 1942, le maréchal Pétain avait confié à Pierre Laval le gouvernement de la France: les
Affaires étrangères, l'Information et l'Intérieur. Or, Laval était connu pour sa politique de collaboration
avec l'Allemagne. Le gouvernement américain craignait que les forces françaises n'engagent le combat
contre les forces alliées en Afrique du Nord. Il souhaitait le ralliement d'une autorité politique à la France
libre dont la force de rassemblement serait déterminante pour la cause alliée en prévision du débarquement
en Afrique du Nord.
64
AgHon, op.cit., p. 113.
55
collaborer les Forces françaises libres avec les armées anglaises contre l'ennemi
allemand »65. La course à la légitimité du C.N.F. et de son chef était donc engagée, car,
rappelle le général de Gaulle dans ses mémoires: « Le destin de la France se jouerait
dans le choc prochain. C'est son territoire - Afrique du Nord ou Métropole - qui
servirait de théâtre aux opérations»66. De Gaulle craignait, à cause de la collaboration de
Vichy, que la France ne tombe sous la dépendance des Alliés, qu'elle ne perde « son
rang dans le monde, son unité nationale, son intégrité impériale »67. La participation des
Forces françaises libres aux combats était nécessaire à la crédibilité de la France libre et
de son chef qui entendait assurer sa légitimité politique auprès des Alliés contre le
régime de Vichy.
***********
65
Cassin, op. cit., p. 410.
66
De GaulIe, op. cit., p. 225.
67
Ibid.
C)
LA BATAILLE DE BIR HAKEIM
En octobre 1941, deux divisions légères (ou deux fortes brigades) avaient été créées au
Levant. Le général de Gaulle avait chargé le général de Larminat68 d'organiser des unités
à partir des forces disponibles au Levant et de celles qu'il transféra d'Afrique, d'Océanie
et d'Angleterre, incluant les isolés français ou étrangers qui avaient rallié la France
libre69 • Les Français libres utilisèrent, pour équiper les divisions, les matériels
d'armement laissés par le général Dentz70 lors du rapatriement des troupes françaises
après la campagne de Syrie. Les unités qui les composaient étaient dispersées en
différents points du Levant. La première division légère, sous le commandement du
général de brigade Kœnig, avait son poste de commandement à Alep, et la deuxième,
sous le commandement du général de brigade Cazaud, détenait le sien à Damas. Les
trois bataillons de la Be demi-brigade de la Légion étrangère étaient installés à Homs,
tandis que les Fusiliers marins chargés de la D.C.A. (défense contre avions) participaient
à la protection des ports. Quant au bataillon du Pacifique, il était installé à Lattaquié. Si
les divisions disposaient « d'une puissance de feu capable de tenir le terrain» 71, par
contre les matériels se détérioraient rapidement à chaque engagement en région
désertique. Le général Kœnig rappelle qu'il y avait une pénurie de matériel et qu'ils en
étaient« réduits à faire appel aux ressources britanniques »72.
68
Le général de Larminat fut nommé commandant des deux divisions légères formées en Syrie et
du régiment blindé.
(f'J
Kœnig,~, p. 95.
Le général Dentz avait été nommé haut-commissaire au Levant en décembre 1940 par le
gouvernement de Vichy.
70
71
De Gaulle, op. cit., p. 259.
72
Kœnig, op. cit., p. Ill.
57
Le 7 octobre 1941, le général de Gaulle avait proposé à Churchill d'intégrer les
deux divisions françaises libres 73 aux forces britanniques engagées sur le théâtre
d'opérations de Libye. Il essuya un refus le 27 novembre. Le commandement
britannique jugea que ces divisions n'étaient pas encore opérationnelles et que leur
équipement était incomplee4 • Mais le 7 décembre, Churchill lui faisait part que le
général Auchinleck, commandant en Chef au Moyen-Orient, « était anxieux d'engager
une brigade française libre dans les opérations en Cyrénaïque
»75.
Churchill avait changé
d'avis, parce que ce même jour, les Japonais avaient bombardé Pearl Harbor.
Les forces britanniques s'activaient sur le théâtre d'opérations du Pacifique pour
contrer l'offensive japonaise. Sur le théâtre d'opérations de Libye, la vnr Armée
britannique avait lancé, depuis le 18 novembre 1941, l'offensive contre les forces de
l'Axe. Après 242 jours de siège, elle avait réussi à dégager Tobrouk de l'encerclement
ennemi; puis elle reprit Benghazi le 24 décembre76• Le général Auchinleck s'attendait à
ce que le général Rommel, commandant l'Afrika-Korps77 reprenne l'offensive en janvier
1942. Le général Kœnig rappelle que: « Pertes et renforts nécessitaient des quantités
énormes de matériels de toute nature et c'est ce qui, en définitive, avait amené à retenir
l'envoi d'une seule division légère française libre »78.
73 Le général de Gaulle dut attendre jusqu'à janvier 1942 pour faire engager et équiper la Ire
D.EL. Jacques Bauche, « Déroulement des opérations en Libye », Icare. revue de l'aviation française, n°
100, Paris, Syndicat national des pilotes de ligne, 1982, p. 21: «Le 11 avril 1942, nouvellement équipée
et fin prête, la Deuxième Brigade Française libre, commandée par le général de brigade Cazaud, fait
mouvement de Syrie vers le désert pour rallier à son tour la VIlle Armée britannique ».
74
De Gaulle, op. cit., p. 260.
75
Ibid., p. 26l.
76
Bauche, op. cit., p. 12-13.
H.G. Von Esebeck, Rommel et l'Afrika-Korps 1941-1943, Paris, Payot, 1961, p. 13-15. Le
Deutsches Afrika-Korps est le nom donné aux formations allemandes qui combattirent en Afrique du Nord
77
58
Le général Kœnig fut chargé des négociations subalternes avec les officiers de
liaison et les officiers d'état-major britanniques au Caire. Il rappelle que la mise sur pied
de la division79 imposa des concessions aux EEL. à cause de leurs effectifs limités, tout
en soulignant que la rivalité franco-britannique au Levant influençait l'attitude des
Britanniques à leur égard. En effet, ces derniers insistèrent pour que la 1re D.EL. soit
équipée selon le modèle de l'Independant Brigade Group, soit un fort groupement
tactique, « sous peine de n'engager aucune troupe française ». Afin de répondre aux
exigences britanniques, il fallut reconstituer la 1re division légère. Les bataillons qui ne
disposaient pas de matériel blindé moderne et dont l'était des chars était mauvais furent
supprimés. Afin de suppléer aux effectifs, le général Kœnig rappelle qu'il «fallut
amputer la 2e division légère de son groupe d'artillerie, faute de temps, et de personnel
pour en constituer un autre ». La 1re D.EL. fut dotée par les Britanniques d'engins
antichars, de pièces antiaériennes et de moyens de transport. Les Anglais la firent
avancer en position de réserve durant la contre-offensive de Rommel en janvier 1942. À
partir du 15 février, les colonnes de la 1re D.EL. s'acheminèrent vers Bir-Hakeim pour
relever la 150e brigade de la vnr Armée britanniqueso. À ce moment, Rommel avait
reconquit la Cyrénaïque occidentale et avait contraint la VIne Armée de battre en
retraite81 jusqu'à la ligne défensive britannique Gazala-Bir-Hakeim.
de 1941 à 1943. Les troupes motorisées italiennes étaient subordonnées au DAK. Afin d'appuyer leur allié
italien en Libye, Hitler y envoie en février 1941 l'Afrika-Korps commandé par le général Erwin Rommel.
78
Kœnig, Q.l1...lli.., p. 11 L
79
Ibid.. p. 93-127. Pour la mise sur pied de la division.
80
Ibid., p. 155.
81
Bauche, Q.l1...lli.., p. 18.
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Le front allié de Libye et la position de Bir Hakeim à la fin de mai 1942.
Ligne défensive Gazala-Bir Hakeim.
Source: Jean-Louis Crémieux-Brilhac, La France libre, Paris, Gallimard, 1996, p. 354.
EXTRÉMITÉ SUD
DE LA RÉGION DITE -en V-
2e B.M. Bataillon de Marçhe nO 2
Champs de mines
Iii Marais de mines
BU.
•
1er B.P. Bataillon du Pacifique
Emplacement des unités
~
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Bataillon de la Légion étrangère
Batteries de 75 mm
Observatoire
o
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2
3 km
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Le camp retranché de Bir Hakeim.
Source:
Jean-Louis Cr~mieux-Brilhac, La France libre, Paris,
Gallimard, 1996, p. 358.
61
Bir Hakeim82 est situé dans le désert de Cyrénaïque en Libye, à 70 km de la mer
et au sud-ouest de Tobrouk. Sur le théâtre méditerranéen en mai 1942, les deux ports
principaux étaient Suez sur la Mer Rouge tenu par les Britanniques et Tripoli par les
forces de l'Axe. Benghazi, qui avait été repris par Rommel le 28 janvier 1942, et
Tobrouk constituaient deux ports secondaires encombrés d'épaves. Entre Bir Hakeim et
la mer s'étalait un champ de mines, une position tenue par les Britanniques de manière à
couvrir Tobrouk. La ligne Gazala-Bir Hakeim représentait une ligne de liaison et de
surveillance destinée à renseigner le commandement&3. La brigade du général Kœnig
avait pour mission à Bir Hakeim de retarder l'avance ennemie pour couvrir la retraite de
la vnr armée. Elle devait tenir sur place, encerclée ou non84•
La 1re division légère (ou brigade)85 à Bir Hakeim représentait un échantillonnage
des Forces Françaises libres. Elle était composée de Français évadés de France, qui
avaient été intégrés au bataillon de Fusiliers marins, des 2e et 3e bataillons de la 13 e demibrigade de la Légion étrangère (comprenant des Français, des Belges, des républicains
espagnols, des Allemands et des Autrichiens antinazis). Il y avait des volontaires néocalédoniens et tahitiens ainsi qu'un bataillon de marche formé en Oubangui. S'y
Kœnig, op. cit., p. 161. Bir Hakeim signifie le « puits du Chef» et tire son nom de trois
citernes romaines, enterrées, et asséchées. C'est un« bordj », un point d'eau abandonné des méharistes
italiens, situé sur plateau calcaire souvent balayé par les tempêtes de sable. On écrit aussi: Bir-Hakeim ou
Bir-Hackeim.
82
Pierre Masson, « Bir Hakeim ou Valmy dans le désert », Des hommes libres, Paris, Grasset,
1997, p. 246.
83
84
Pierre Iéhlé, ibid. Kœnig, op. cit., p. 160.
Voir annexe: l'ordre de Bataille de la 1re D.F.L. Général d'armée Jean Simon, « La bataille de
Bir-Hackeim », dans Séance solennelle de témoignages 1942, Palais du Luxembourg, 8 novembre 1987,
Paris, I.H.C.C. - M.P.C.I.H., 1987, p. 41-58. Pour le détail de la composition de la 1re D.F.L. : p. 48-49.
85
62
ajoutaient une compagnie nord-africaine, des Syro-Libanais, puis des colons et des
missionnaires blancs qui encadraient les indigènes des tribus avec leurs sorciers86•
Le général Kœnig aménagea sa défense dans un espace d'environ 16 km2 et cette
position était couronnée par plus de 120000 mines. Elle exigea un énorme travail de
fortification, autant pour l'étalement des champs de mines que pour l'édification d'un
système de défense enterré87 • Le général Rommel a fait l'éloge dans ses carnets des
retranchements que les Français libres avaient construits: « Ils protègent admirablement
contre le bombardement par obus et les attaques aériennes: un coup au but risque tout
au plus de détruire un trou individuel »88. Les troupes du général Kœnig avaient
surnommé leur chef le «Vieux lapin »89, parce qu'il avait fait la guerre des tranchées,
mais aussi parce qu'il les avait pressé90 de creuser des trous profonds afin qu'ils s'y
installent avec leurs munitions.
Quant à Rommel, on l'appelait le « Renard du désert» à cause de ses attaques
audacieuses et de sa rapidité de décision91 • Son nom même soulevait l'admiration de ses
adversaires qui lui attribuaient des pouvoirs particuliers. Le commandant en chef des
forces britanniques au Moyen-Orient, le général Auchinleck, avait conseillé « de ne pas
86
Crémieux-Brilhac, op. cit., p. 355.
fI;I Simon, op. cit., p. 51 : «A l'intérieur, tout est enterré; ne dépassent, au ras du sol, que les
armes cachées par des filets de camouflage ».
88
Maréchal Rommel, La guerre sans haine, tome 1, Paris, Amiot-Dumont, 1952, p. 276.
89
Simon, La saga d'un Français libre, op. cit., p. 130.
00 Kœnig, op. cit., p. 165: « Restait à convaincre nos chefs d'unités et nos troupes de la nécessité
de piocher ».
91 L'habile tacticien s'était distingué en 1940 durant la campagne de France. Le désert, où il
réussit à vaincre des forces britanniques supérieures aux siennes, fut la scène de ses plus grands succès.
63
toujours prononcer son nom quand nous voulons parler de l'ennemi en Libye »92, à cause
de l'effet psychologique qu'il produisait chez les hommes. L'affronter prenait une valeur
symbolique pour les Français libres qui rencontraient les Allemands pour la première
fois depuis 1940, deux années presque jour pour jour après la défaite de la France. Les
Français libres recevront trois sommations de reddition dont une de la main de Rommel
le 3 juin 1942. C'est en ces termes que le capitaine Pierre Messmer rappelle l'impression
qu'il en ressentit: « Ça nous faisait un peu plaisir de penser, que nous étions des gens
assez importants pour que Rommel renouvelle son ultimatum, ça nous mettait plutôt en
valeur »CJ3.
L'affrontement débuta le 27 mai. Non seulement l'attaque de la position par des
chars italiens avait-t-elle échoué, mais les défenseurs avaient fait une centaine de
prisonniers, dont le colonel commandant le régiment de blindés. Le capitaine Jean
Simon rappelle l'euphorie qui régnait dans le camp retranché après le succès contre cette
attaque: « Pendant cette première phase de la bataille, c'est nous, au contraire, qui ne
cesserons de rayonner, avec de fortes patrouilles, pour harceler les convois ennemis, qui
contournent la position» 94. A la surprise des assaillants, la position de Bir Hakeim était
bien aménagée et donc beaucoup plus difficile à enlever que prévu. Le dispositif de la
position avait été soigneusement enterré pour protéger les hommes et le matériel. Dans
cette région désertique qui s'encombrait des débris de la guerre mécanisée, la violence
de ce premier affrontement annonçait ceux à venir: « Les légionnaires et les coloniaux
ont attaqué avec des grenades incendiaires et des cocktails Molotov, c'était un spectacle
92
Bauche, op. cit., p. 13.
93
Pierre Messmer, Des Hommes libres, ~, p. 258.
94
Simon, « La Bataille de Bir-Hakeim », op. cit., p. 50-51.
64
absolument extraordinaire, les équipages de chars sortaient en flammes, les hommes qui
brûlaient se roulaient dans le sable, en souffrant terriblement »95.
A partir des premiers jours de juin, l'attaque contre Bir Hakeim prend une autre
tournure. Le 2 juin, Rommel perçait les lignes britanniques au nord de Bir Hakeim et le
5, il achevait la destruction des forces blindées britanniques96• Le 3 juin il avait fait
parvenir l'ultimatum suivant aux Français libres:
Aux troupes de Bir Hakeim. Toute prolongation de la résistance signifie
une effusion de sang inutile. Vous endureriez le même sort que les deux
brigades anglaises de Gott Oualeb qui ont été détruites avant-hier. Nous
cesserons le combat quand vous montrerez des drapeaux blancs et que
vous vous dirigerez vers nous sans armes97•
Cet ultimatum étant rejeté, le général Kœnig rappelle qu'il fallait tenir« pour
l'honneur de la France, aussi bien pour venger la défaite que pour rétablir le prestige de
nos armes »98. Il adresse alors un ordre général aux défenseurs de Bir Hakeim pour les
aviser que l'attaque de l'ennemi sera sans merci et que la mission de la Première Brigade
«est de tenir coûte que coûte, jusqu'à ce que notre victoire soit définitive»99. C'est à
partir du 6 juin 1942 que les 5 500 100 combattants de la
95
Simon. Des hommes libres. op. cit.. p. 251.
96
Simon. «La bataille de « Bir-Hackeim ». QP,..cit.• p. 51.
g]
Kœnig, op. cit., p. 275.
98
Thid.... p. 211.
99
Ibid.• p. 280.
r e D.F.L. furent confrontés à
100 Icare. QP,...Çit,.. p. 39: La Brigade comptait 5500 hommes répartis ainsi: l'échelon de combat
3723 et les services 1 777.
65
l'ennemi fort d'environ 32000 hommes et de toute son artillerie 101 . Encerclés, les
Français libres ont tenu malgré la « violence peu commune» qui caractérisa la bataille.
Le général Rommel rappelle l'ampleur des assauts appuyés par l'aviation; en effet la
Luftwaffe exécuta treize cents attaques contre Bir Hakeim entre le 2 et le 10 juin 102. Les
assauts furent chaque fois repoussés: « Les Stukas hurlèrent jour et nuit au-dessus du
fort du désert, le transformant en un volcan de flammes, de fer et de poussière. Jour
après jour, les canons y déversèrent sans trêve leurs obus »103.
C'était une bataille à la mesure de la détermination des combattants des deux
camps. La guerre du désert c'est la guerre de mouvement sans les contraintes que la
guerre en Europe imposa aux populations. Les armées s'affrontent dans un espace vide
abandonné par les nomades. Détruire l'ennemi est tout ce qui compte: « Au désert le
terrain n'a aucune valeur, la seule chose qui importe, c'est l'ennemi »104. La nuit, les
combats s'interrompaient et le silence tombait sur le champ de bataille: « Le ciel n'était
pas plus clair car il restait toujours ce nuage de sable soulevé par les obus qui mettait un
temps considérable avant de se reposer, de sorte qu'on ne voyait pas les étoiles »105. Les
tempêtes de sable s'ajoutaient à la misère des hommes: «Une tornade furieuse envahit
tout et ce fut le grand bal toute la nuit. Je ne puis mieux comparer l'impression ressentie
qu'à celle que durent éprouver les Égyptiens quand la Mer Rouge se referma sur leur
101
Crémieux-Brilhac,~, p. 359. Simon,« La bataille de Bir-Hackeim », op. cit., p. 51-52.
102
Rommel, QP,cit, p. 277.
103
Von Esebeck, op. cit., p. 91.
104
Pierre Messmer, Des hommes libres, op. cit.. p. 244.
105
Pierre Iéhlé, ibid., p. 259.
106
Le capitaine de Guillebon, Icare, op.cit., n° 101, p. 72.
66
Avant de poursuivre sa progression vers le Nil, Rommel s'acharna contre BirHakeim, car il devait mettre fin aux continuels coups de main de l'ennemi contre ses
lignes de communication et Bir-Hakeim se trouvait sur ses arrières 107• Le général
d'armée Jean Simon estime que Rommel a commis une erreur, car sa marche vers le Nil
fut retardée. En effet, Rommel a dû reconstituer ses forces alors que les Britanniques
bénéficièrent de cinq jours de répit. Le correspondant de guerre allemand Lutz Koch
rappelle que la position de Bir-Hakeim était « comme un pieu enfoncé profondément
dans la chair du front allemand et qu'il fallait à tout prix la détruire
»108.
Il faudrait s'attarder sur l'acharnement de Rommel à emporter la position de BirHakeim. Le chef de l'Afrika-Korps en a fait une affaire personnelle, car, après ses
succès contre la VIlle Armée, la résistance des EEL. contre des forces supérieures ne
pouvait que l'irriter puisqu'elle rabaissait les précédents succès de Rommel: « On peu
imaginer sans peine son dépit. Il vient d'écraser les troupes britanniques. Bir Hakeim
constitue le dernier obstacle avant la victoire complète
»109.
Rommel assuma donc à
plusieurs reprises le commandement des troupes assaillantes. Il rappelle dans ses carnets
que les Français libres « luttaient avec l'énergie du désespoir »llO.
Le commandant allemand du théâtre d'opérations, Kesselring, trouvait que
Rommel tardait à mettre fin à ce combat; HIe pressait d'en finir avec Bir-Hakeim. A cet
effet, Rommel devait écrire dans ses carnets :
107
«Extraits des Carnets du Maréchal Rommel», Icare, Qll...ill, n° 101, p. 44.
108
« Un témoignage allemand du correspondant de presse Lutz Koch », Icare, op. cit., n° 100, p.
88.
Comor, L'épopée de la 13e demi-brigade de la Légion étrangère 1940-1945, Paris,
Nouvelles éditions latines, p. 198.
1œ André-Paul
110
Rommel, La guerre sans haine, op. cit., p. 276 et 282.
67
Kesselring critiquait violemment la lenteur du déroulement de notre
offensive contre les troupes françaises. Le fait que des escadrilles de la
Luftwaffe devaient continuellement survoler Bir-Hakeim où elles
subissaient des pertes importantes (en un seul jour, la R.A.F. avait abattu
près de 40 Stukas), provoquait sa colère. Kesselring exigea le
déclenchement immédiat d'une offensive de grand style, appuyée par la
totalité des forces blindéeslll .
Le Il juin les Français libres devaient recevoir le coup de grâce 1l2• Mais, Kœnig,
sa mission accomplie, avait reçu l'ordre de décrocher. Il organisa une sortie en force
dans la nuit du 10 juin. La brigade quitta le camp retranché avec ses blessés, ses
prisonniers et ses armes. Le convoi se fraya son chemin à travers le champ de mines et
les lignes ennemies en combattant. Ce fut une nuit confuse alors que: « Les balles
traçantes des mitrailleuses lourdes dessinaient une grille lumineuse et mortelle.
L'accompagnement sonore était fourni par les explosions d'obus, de mortiers, de
grenades, les rafales de fusils-mitrailleurs »113. La sortie perdit vite toute cohésion, mais
elle réussit et le gros de la brigade put atteindre les lignes britanniques. Huit cents
hommes furent perdus: ceux qui furent tués pendant la bataille et la sortie, se perdirent
dans le désert et ceux qui furent faits prisonniers 114•
Rommel a rendu hommage aux défenseurs de Bir Hakeim: «Ce n'est qu'au
nord de Bir-Hakeim que les groupes de combat réussirent quelques pénétrations dans le
dispositif ennemi. C'était un admirable exploit de la part des défenseurs qui, entre
La Royal Air Force a soutenu la défense à Bir-Hakeim. «Extmits des Carnets du Maréchal
Rommel», Icare, op. cit., n° 101, p. 45.
III
112
Rommel, La guerre sans haine, op. cit., p. 283.
113 Cité par Crémieux-Brilhac, op. cit., p. 361-362 : Pierre Messmer, Après tant de batailles, Paris,
Albin Michel, 1991, p. 106.
114
Simon, «La bataille de Bir-Hakeim», op. cit., p. 55-56.
68
temps, s'étaient trouvés totalement isolés »115. Il a reconnu la valeur du commandant de
la 1Te D.EL. : « la preuve est faite qu'un chef décidé à ne pas jeter le fusil après la mire à
la première occasion peut réaliser des miracles, même si la situation est apparemment
désespérée»116. Bien que Rommel ait rendu hommage aux Français libres dans ses
carnets, « l'âme et le moteur des armées de l'Axe» selon Kœnig, il a certainement
tempêté, rappelle ce dernier, contre moi et mon « ramassis» de Français et d'étrangers
en rupture de ban l17 • Une poignée de volontaires, des rebelles, car ils avaient refusé
l'armistice, venus de tous les coins de l'Empire français tenaient tête à Rommel, lequel
jouissait d'une réputation incontestée auprès des siens comme auprès de l'adversaire. Il
leur fallait« vaincre ou mourir» : « Nous n'avions aucune envie d'être faits prisonniers,
rappelle le capitaine Simon, car le commandement allemand avait déclaré que nous
serions considérés comme des francs-tireurs. Cette considération fut un des éléments de
la réussite de la sortie»118.
Au moment de Bir Hakeim, il fallait relever« l'âme abaissée de la France» que
les Allemands enserraientll9• Rommel avait-il compris l'enjeu des Français libres, se
demande le général Kœnig? Ils devaient, dit-il, mener jusqu'au bout la « croisade» qui
leur incombait. Déjà soumis comme chaque soldat français à « la discipline faisant la
force principale des armées »120, les EEL. ont endossé le sacerdoce d'un « religion de
l'Honneur» pour que la France puisse renaître grâce à leur sacrifice. La résistance des
Français aux assauts du général Rommel prenait désormais une valeur symbolique.
115
«Extraits des Carnets du Maréchal Rommel», Icare, op. cit., n° 102, p. 45.
116
Ibid.
117
Kœnig, op. cit., p. 279.
118
Simon, « La bataille de Bir-Hackeim », QI2.....cit., p. 54.
119
Kœnig, op. cit., p. 276.
69
Le fait d'armes des F.F.L. à Bir-Hakeim offrit au général de Gaulle l'occasion
d'affirmer la France combattante auprès des Alliés en légitimant son rôle. Il proclama
qu'il représentait la nation française dans sa volonté de vaincre, du soldat qui meurt en
Libye au résistant qu'on fusille à Paris: « Oui, c'est par le combat, dans le combat que
se refait l'unité française »121. La résistance acharnée du général Kœnig permit à la VIne
Armée britannique de se replier et de se ressaisir après son échec du 5 juin 1942. En
effet, Kœnig avait freiné l'avance du général Rommel qui en s'acharnant contre BirHakeim n'avait pas pu exploiter ses succès, tout en retardant son offensive contre
Tobrouk.
Après la bataille de Bir Hakeim les prisonniers français libres furent traités selon
les lois de la guerre établies par la convention de Genève. Lorsque la radio de Berlin
avait annoncé que les prisonniers faits à Bir Hakeim seraient fusillés, le général de
Gaulle répondit en radiodiffusant un message dans toutes les langues selon lequel il en
ferait de même avec les prisonniers allemands capturés par la brigade Kœnig:
Si l'armée allemande se déshonorait au point de tuer des soldats français
faits prisonniers en combattant pour leur patrie, le général de Gaulle fait
connaître qu'à son profond regret il se verrait obligé d'infliger le même
sort aux prisonniers allemands tombés aux mains de ses troupes 122•
120
Première ligne du règlement de l'armée française.
De Gaulle, Discours et Messages,~, p. 205. Discours du Il juin 1942 prononcé à la
radio de Londres.
121
122
Id." Mémoires de Guerre, op. cit., p. 266-267.
70
Dans la même journée les Allemands répondirent que les prisonniers concernés seraient
traités selon la convention de Genève. Dès lors que les autorités allemandes
reconnaissaient leur statut de combattant aux prisonniers, la légitimité des F.F.L. était
assurée auprès de l'adversaire comme auprès des Alliés.
La bataille de Bir Hakeim devenait l'atout majeur dans la confirmation de la
France combattante contrairement à la France de Vichy qui collaborait avec l'occupant.
Par son combat, le général de Gaulle assumait la pérennité de la nation dressée contre
l'envahisseur: « Quand, à Bir Hakeim, un rayon de sa gloire renaissante est venu
caresser le front sanglant de ses soldats, le monde a reconnu la France »123. Il détenait
maintenant le gage que la France libre allait assurer la souveraineté de la France à la fin
de la guerre. Il sut exploiter politiquement et moralement le fait d'armes des F.F.L. à Bir
Hakeim, d'autant plus que l'héroïque résistance des combattants fit la une des journaux
de Londres et des pays alliés.
La propagande alliée exalta le fait d'armes des Français libres durant une période
où les Alliés subissaient des revers importants. La bataille de l'Atlantique tournait à
l'avantage des Allemands qui conservaient l'initiative sur le front de l'Est. Les
Allemands approchaient du Caucase et Rommel s'élançait vers l'Égypte et le canal de
123
De Gaulle, Discours et messages, op. cit., p. 214.
La bataille aéronavale de Midway (4-5 juin 1942), une victoire américaine remportée contre
les Japonais, constituait le seul succès allié durant cette période.
124
71
Les Français libres tinrent quinze jours contre des forces largement supérieures
aux leurs, jusqu'à ce qu'ils reçoivent l'ordre du commandement britannique d'évacuer la
position. Leur résistance a retardé l'avance de Rommel et permis à la vnr Armée
britannique d'effectuer sa retraite et de réorganiser ses troupes. Deux millions de tracts
avaient été lancés sur la France annonçant cette « victoire française
mémoire de la France combattante.
************
125
Crémieux-Brilhac, ~., p. 367.
»125
qui consacra la
CHAPITRE III
LA CONSÉCRATION DE LA FRANCE COMBATTANTE ET
LA MÉMOIRE DES FRANÇAIS LIBRES
A)
DE L'ACTION POLITIQUE À SES CONSÉQUENCES MYTHIQUES
Jacques Soustelle, lequel avait été nommé commissaire national à l'Information au
C.N.P., justifie l'intransigeance du général Gaulle en rappelant que la France libre devait
défendre le patrimoine pour le peuple français, quoi qu'il en décide après la guerre. La
participation des Forces françaises libres à l'effort de guerre était subordonnée à la
politique de la France libre, parce que «la nécessité militaire, qui règne sans conteste sur
les champs de bataille et à leurs abords, devient vite un prétexte commode à des
entreprises politiques»!, De Gaulle avait déclaré, lors d'une conférence de presse donnée
à Londres, le 27 mai 1942, que moralement on ne pouvait pas interdire à la France libre
de contribuer à la direction générale de la guerre, parce que «ce serait demander au
Général de Gaulle de fournir des morts et des blessés pour les champs de bataille, des
morts pour les pelotons d'exécution, sans que la France en tire aucun avantage national
parmi les démocraties»2.
Le retentissement mondial de la résistance héroïque remportée à Bir Hakeim
offrit à de Gaulle « l'éclatant fait d'armes» qui pouvait lui garantir l'avenir et lui faire
surmonter les difficultés qu'il rencontrait. Le général de Gaulle rappelle dans ses
mémoires que les journaux de Londres, New-York, Montréal, du Caire, de Rio, de
Buenos-Aires s'étendaient sur le « Magnifique fait d'armes », la « Défense héroïque des
Français »3. La France combattante, la dénomination officielle donnée à la France libre
le 14 juillet 1942, obtint la reconnaissance des gouvernements britannique et américain4
1 Soustelle, op. cit., p. 328-329. L'auteur justifie la vigilance du général de Gaulle à maintenir les
droits de la France au Levant et à Madagascar.
2
De Gaulle, Discours et messages, op. cit., p. 201.
3
Id." Mémoires de guerre, op. cit., p. 263 et 265.
4
Le 9 juillet 1942 pour les États-Unis et le 13 juillet pour la Grande-Bretagne.
74
en termes qui constituaient des gages pour la France à la victoire. Les États-Unis
maintenaient leur thèse des « autorités locales» ; par contre, ils déléguaient des
représentants auprès du Comité national français, et ils s'accordaient avec la GrandeBretagne et le eN.F. sur l'un des objectifs clés de la politique de la France libre,
soit: « que la destinée et l'organisation politique de la France soit déterminées par le
peuple français lorsqu'il sera en mesure d'en délibérer librement »5.
Le communiqué du 12 juin 1942 du haut commandement britannique au MoyenOrient soulignait que « Les Nations unies se [devaient] d'être remplies de gratitude et
d'admiration à l'égard de la Fe brigade des forces françaises libres et de son vaillant
général» 6. La reconnaissance que le général de Gaulle obtint du gouvernement
britannique confirmait la participation des F.F.L., des territoires français libres et des
ressortissants français, et donc leur collaboration avec les Nations unies, dans la guerre
contre les ennemis communs? C'est en ces termes que le gouvernement britannique
reconnut la France combattante et son organe directeur, le eN.F. De plus, rappelle le
général de Gaulle, le gouvernement britannique reconnaissait l'autorité sur les éléments
résistants en France et sur ceux de l'Empire qui entreraient dans le combat auprès des
Alliés8 • La participation à l'effort de guerre allié représentait pour de Gaulle ce que la
Grande-Bretagne exprimait ainsi: « L'espoir qu'une France Combattante pourrait
prendre place à la conférence de la paix comme l'une des Nations unies »9. L'institution
5
Woodward, op. cit., vol. II, p. 339-340.
6
Kœnig, op. cit., p. 398 ; de Gaulle, QP....Qt., p. 267 ; Soustelle, op. cit., p. 299.
7
Woodward, op. cit., p. 341.
8 De Gaulle, op. cit., p. 278-279 : « Si les mots avaient un sens, cette déclaration impliquait tout
au moins, de la part de l'Angleterre, la garantie qu'elle ne m'empêcherait pas d'exercer mon autorité sur
les fractions de la France et de son Empire qui retourneraient au combat ».
9
Crémieux-Brilhac, op. cit., p. 316: pour le texte français. Woodward, op. cit., vol. II, p. 338.
75
que le général de Gaulle avait créée devenait la dépositaire des garanties de la France à
la victoire: maintenir son rang de puissance et délibérer de son propre gouvernement.
Bir Hakeim devint l'attribut de la France combattante, car l'exploit couronnait
les efforts du général de Gaulle pour obtenir la reconnaissance de la France combattante
ainsi que le soutien des principaux chefs lO des mouvements de résistance. Grâce à
l'impact de Bir Hakeim, de Gaulle démontrait au gouvernement britannique que des
résistants de la gauche politique le choisissaient comme chef. La représentativité du
eN.F. s'en trouvait accrue, faisant foi de la vocation démocratique dont le général de
Gaulle s'était porté garant. Déjà, le journal clandestin Libération de zone Sud, avait
publié dans son numéro du 18 mai 1942 la citation suivante du général de Gaulle:
« Notre seul but est de rendre la parole au Peuple Français »11.
Au printemps 1942, selon la requête du général de Gaulle, mais en vue de ses
propres objectifs, le gouvernement britannique avait résolu de ramener de France les
principaux chefs des mouvements de Résistance afin qu'ils contrebalancent l'autorité du
général de Gaulle au eN.F. Il importait au gouvernement britannique de sonder les
mouvements de résistance en France afin d'élargir la diversité politique au sein du
eN.F. ; c'est-à-dire de le rendre plus représentatif auprès des masses pour contrer la
collaboration du gouvernement de Vichy 12. Dans l'éventualité d'un débarquement allié
en métropole, la coordination de l'action clandestine était essentielle pour assurer la
10 Christian Pineau pour le mouvement Libération-Nord: ancien fonctionnaire et syndicaliste au
sein de la C.G.T. (Confédération générale du travail). En zone Sud, Henri Frenay pour Combat: officier
d'active et socialiste; Emmanuel d'Astier de la Vigerie pour Libération: officier de marine et journaliste ;
Jean-Pierre Lévy pour Franc-Tireur: officier de réserve et cadre du textile. Pierre Brossolette, éditorialiste
et ex-député socialiste, ne dirigeait pas de mouvement, mais il détenait d'amples relations.
Il
Crémieux-Brilhac,~,p.
12
Woodward, op. cit., vol. II, p. 338-339.
340. Cité par l'auteur.
76
résistance française à l'ennemi. De Gaulle pouvait-il s'attacher les chefs des
mouvements de résistance ?
À partir de la fin de mars 1942, le syndicaliste socialiste Christian Pineau, chef
du mouvement Libération-Nord, puis l'éditorialiste socialiste Pierre Brossolette
rencontrèrent de Gaulle à Londres. Prié 13 par Christian Pineau de faire sa profession de
foi démocratique, de Gaulle lui remit le texte de la Déclaration aux mouvements de
résistance, rédigé d'un commun accord avec les mouvements 14• Diffusée le 23 juin 1942
sur les ondes de la B.B.C., rendue public à Londres, le 24, elle fut reproduite dans les
journaux clandestins, Libération, Combat, Franc- Tireur en zone Sud, et LibérationNord. En s'associant à la Déclaration, les mouvements de résistance scellaient leur
accord avec de Gaulle. Ainsi, la France combattante pouvait-elle centraliser et
coordonner auprès du commandement britannique l'organisation clandestine, soit la
propagande, le renseignement et l'action, en lui distribuant les moyens de
communication, les armes et l'argent qui lui étaient nécessaires 15•
Entre janvier et mai 1942, la perception du général de Gaulle transmise par le
journal clandestin Libération de zone Sud passa de celle du « symbole du redressement
13 Christian Pineau,« Les mouvements », Vie et mort des Français 1939-1945, Paris, Tallandier,
1980, p. 307. Selon Christian Pineau, de Gaulle ne voyait pas la nécessité d'établir un manifeste. Il devait
accepter de se mettre simplement sous les ordres du général de Gaulle: «Néanmoins, il me laissa
poursuivre, insister sur la nécessité de ce fameux manifeste, [répondant au] désir des mouvements de
Résistance de lui voir prendre position sur les problèmes qui nous préoccupaient, y compris les problèmes
politiques».
14
De Gaulle, ~, p. 246.
15 De Gaulle institua le Bureau (clandestin) d'information et de presse, ou RI.P. et le Bureau
central de renseignements et d'action, ou RCR.A. Muracciole, op. cil., p. 34-35. Duroselle, QP,...cit.., p.
362. Crémieux-Brilhac, op. cit., p. 350. Cointet, La France libre, op. cit., p. 21. Ce dernier souligne qu'il y
avait « chez de Gaulle la crainte que la Résistance Lsi cette dernière demeurait morcelée à cause des
diverses tendances politiques qui l'animaient] soit amenée à se mettre aux ordres de l'étranger dont elle
attendrait armes et argent ».
77
du pays» à celle de « notre chef»16. Le retentissement mondial de la résistance héroïque
des F.F.L. contre l'ennemi allemand à Bir Hakeim consacra de Gaulle dans son rôle de
chef de tous les Français participant à la guerre. Il stimula l'adhésion de résistants
gaullistes aux mouvements dont les chefs durent tenir compte 17• Il donna foi à l'appui au
général de Gaulle que les syndicats clandestins, la C.G.T. et la e.F.T.e. 18, avaient
proclamé à la Fédération syndicale mondiale. Le texte avait été diffusé sur les ondes de
la B.B.e. le 2 mai 1942: « Notre pays est toujours dans la guerre. Notre représentant,
celui du peuple de France, le Général de Gaulle, se bat aux côtés des Alliés. Si son
armée est encore petite, une immense armée prisonnière est en France derrière lui »19.
En proclamant que de Gaulle était leur chef, les mouvements syndicalistes lui
accordaient un principe fédérateur. Ce consensus lui ouvrait la voie pour bâtir l'unité
nationale sous l'égide de la France libre laquelle subordonnait l'action militaire de la
Résistance à sa politique. Il importait pour le général de Gaulle de réaliser l'unité de la
Résistance, laquelle représentait diverses tendances politiques ( de l'extrême gauche
communiste, à la bourgeoisie libérale et républicaine, en passant par le socialisme et le
syndicalisme) afin de coordonner son action dispersée ou réactionnaire « condition de
son efficacité guerrière », rappelle de Gaulle20 dans ses mémoires.
Mais pour de Gaulle, il s'agissait en plus de la condition essentielle pour que
l'action de la France combattante -la Résistance et les F.F.L. - ainsi que la participation
16
Crémieux-Brilhac, op. cit., p. 340.
17
Ibid. En parlant d'Emmanud d'Astier et du mouvement Combat.
18
C.G.T. : Confédération générale du travail. C.F.T.C. : Confédération française des travailleurs
chrétiens.
Le texte fut publié dans la revue France du 1er mai 1942. « Un message des syndicalistes de
France », Ici Londres. Les voix de la liberté,~, p. 103-104.
19
20
De Gaulle, op. cit., p. 233.
78
des territoires français d'outre-mer à la lutte détiennent une « valeur nationale» vis-à-vis
du monde. Il lui fallait réaliser l'unité nationale sous le C.N.F. afin de convaincre le
gouvernement britannique et américain de son pouvoir de rassemblement de la
résistance et afin que la participation de la France à la guerre lui soit créditée.
Le général de Gaulle participait à la création de son propre mythe, quand il disait
qu'il représentait toute la France. Lorsqu'il avait rappelé à Churchill qu'il parlait au nom
de la France, Churchill répliqua qu'il en représentait une partie fort honorable, mais qu'il
n'était pas la« France »21. Mais le général de Gaulle avait une conviction profonde de sa
mission historique22 . Parce qu'il représentait la « France », il veillait aux intérêts
supérieurs de la nation en assumant la pérennité des ententes qu'il obtenait des Alliés.
Parce qu'il était l'émissaire de la« vraie France », il offrait en contrepartie à
l'humiliation de la défaite, l'espoir de la victoire en remémorant la grandeur historique
de la France. La bataille de Bir Hakeim devint le symbole de la résurrection de l'armée
française 23 • Le général Koenig rendit hommage aux combattants de la 1 division
Te
française libre sous son commandement, en rappelant qu'ils avaient eu« l'occasion
21 Woodward, op. cit., vol. Il, p. 349. La rencontre du 30 septembre 1942 entre Churchill, Eden et
le général de Gaulle. Ce dernier ne voulait pas céder les États du Levant. Il exigeait que Madagascar soit
rendue à la France combattante, car il craignait que l'île ne soit neutralisée par la Grande-Bretagne et les
États-Unis. C'est au nom de la France qu'il demeurait intransigeant.
22
Pierre Nora, « Gaullistes et communistes », dans Les lieux de mémoire, Tome III : Les France.
1. Conflits et partages, Paris, Gallimard, 1992, p. 350. L'auteur rappelle que de Gaulle « tirait sa force
d'appel et sa séduction mobilisatrice de la légitimité historique qu'il prétendait incarner, de son aptitude à
représenter la France, toute la France, la vraie France ».
Koenig,« Les Français libres à Bir Hakeim », Icare, nO 101, op. cit., p. 31 : «Je savais que les
hommes que j'avais l'honneur de commander ne capituleraient jamais, si précieux était le trésor dont ils
avaient la garde dans ce fin bout du monde. C'était le trésor fabuleux des armées françaises, trésor entamé
en mai et juin 1940 ».
23
79
[et l'honneur] de prouver que les vertus militaires des Français étaient demeurées
intactes»24.
Maurice Martin du Gard, écrivain et chroniqueur, confirme la répercussion
morale en France du succès de la résistance héroïque des F.F.L. à Bir Hakeim et de ses
conséquences politiques:
Quand de Gaulle parle de la France combattante présente sur le champ de
bataille au coude à coude avec les Alliés, il a des accents contagieux.
C'est ce qu'il y a de positif dans son affaire, la principale carte de son jeu.
Si les Alliés obtiennent la décision, nous finirons grâce à lui la guerre du
bon côté. L'héroïque résistance de la colonne Koenig à Bir Hakeim, mise
en onde avec un art insistant, a fait grande impression25 •
L'action mythique du général de Gaulle donnait à croire que toute la France« se
rassemblait dans la volonté de vaincre »26. Raymond Aron, rédacteur en chef de la revue
londonienne La France Libre, une initiative indépendante du général de Gaulle, rappelle
dans ses mémoires qu'il était en droit de questionner l'intransigeance du général de
Gaulle et la légende dont il s'entourait. Parce qu'il incarnait la France « les batailles
diplomatiques contre les Alliés n'importaient pas moins que la guerre contre l'ennemi.
La reconnaissance qu'il arracha « envers et contre tout» bénéficiait à la France qui,
grâce à lui et par lui, n'avait jamais quitté le camp de la liberté et de la victoire. Vision
épique, mythique de l'Histoire qu'il n'était pas interdit de refuser »27. Par contre, Jacques
24
Koenig, Ce jour-là 10 juin: Bir Hakeim, op. cit., p. 406.
25
Maurice Martin du Gard, La chronique de Vichy 1940-1944, Paris, Flammarion, 1948, p. 283.
26 De Gaulle, Discours et messages, op. cit., p. 205-206. Discours du Il juin 1942 à la radio de
Londres. Gérard Namer, Batailles pour la mémoire, Paris, S.P.A.G.lPapyrus, 1983, p. 158. L'auteur
rappelle que: «Commémorer la France combattante seulement, c'est donner l'illusion au public qu'il a
vaillamment combattu ».
Tl
Aron, op. cit., p. 250.
80
Soustelle justifie la revendication de la France libre comme seule dépositaire légitime de
l'effort de guerre, aux dépens des Français qui avaient choisi d'intégrer les forces
britanniques pour défendre leur patrie: « Or, que signifiait donc la rébellion du 18 juin,
sinon que la France devait être présente à la victoire et, par conséquent, que pas un de
ses fils ne devait travailler, se battre ou mourir sans que travail, combat et mort fussent
portés à son compte? »28.
Le général de Gaulle intégrait le mythe au politique29 tandis que les circonstances
de la guerre en favorisaient l'interaction. Il avait une « certaine idée de la France »30 et
l'action mythique devait compenser la défaite de 1940 par le rappel de son passé
historique glorieux au peuple français sous l'occupation ennemie. Le retentissement
mondial de l'exploit des Français libres à Bir Hakeim n'avait pas été initié par la
propagande seule de la France libre, laquelle avait par contre un correspondant de
guerre, Pierre Bénard, sur les lieux. Mais c'est la presse britannique qui lia
historiquement la bataille de Bir Hakeim à celle de Verdun. Le Daily Express titrait en
gros son article du Il juin « Verdun» ; celui du Daily Mail « Bir Hakeim prouve que
l'esprit de Verdun est toujours vivant »31. La comparaison ne tenait que par l'esprit de
résistance qui caractérisa les deux batailles: « Les hommes étaient épuisés, émaciés,
mais ils avaient résisté jusqu'au bout. Ils s'étaient montré dignes de leurs frères de
28
Soustelle, op. cit., p. 51.
Cointet, La France libre, op. cit., p. 9 : «C'est que le gaullisme et l'aventure de la France libre
ne sauraient s'interpréter en termes de pure rationalité; la mystique et le mythe [ ... ] y occupent une large
place ».
29
De Gaulle, Mémoires de guerre, op. cit., p. 9 : « Bref, à mon sens, la France ne peut être la
France sans la grandeur ».
30
31
Crémieux-Brilhac, op. cit., p. 366. Pour le résumé des articles de presse.
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Le véritable esprit de la France. Dessin d'Illingworth. «Daily Mail », 11-6-42.
Un exemple de la propagande alliée entourant la bataille de Bir Hakeim.
Source: Jean-Louis Crémieux-Brilhac, sous la dire de, Ici Londres_ Les voix de la liberté,
Tome II "Le monde en feu", Paris, La Documentation française, 1975, p. 131.
82
Verdun et de la Marne. Ils avaient vengé l'armistice de 1940 et donné au monde
l'exemple de la résistance française»32.
Comme le rappelle le général Jean Simon dans son ouvrage récent La Saga d'un
Français libre : « Certains commentateurs enthousiastes parlèrent d'un « Verdun du
désert» ; c'était sans doute exagéré »33. En effet, car cette dernière dura six mois, de
février à juillet 1916. Le 15 juillet, l'intensité du feu allemand atteignit un paroxysme:
21 millions d'obus dépassant 120 mm de calibre furent tirées. Plus d'un quart de
millions d'hommes succombèrent à Verdun et l'armée française entière avait participé
au combat suivant le système du relais des divisions. Les Français avaient réussi à faire
refouler l'ennemi allemand jusqu'à la ligne du front initial34. La propagande alliée avait
donc contribué à l'élaboration du mythe entourant Bir Hakeim, car cet unique combat
symbolisa la résurrection des armes françaises et fit la preuve que le général de Gaulle
avait relevé le défi de maintenir la « France» en guerre.
32
Aglion, L'épopée de la France combattante, op. cit., p. 331.
33 Simon, La saga d'un Français libre, op. cit., p. 161, note 2. Il préfère, dit-il, la formule du
journaliste anglais John Moorehead : « Un rayon de la gloire de Verdun éclaire Bir Hakeim ».
,
34 Antoine Prost, « Verdun », in Realms of memory : the construction of the French past, Vol.
III : Symbols. Part II : Major Sites, New York, Columbia University Press, p. 396.
83
L'héroïsme des Français libres à Bir Hakeim, tout en servant les fins politiques
du général de Gaulle, devint l'événement créateur des Forces françaises libres et de leur
légitimité dont ils firent la conquête par les armes. Car« Envers et contre tout », ils
refusèrent la défaite, sachant qu'ils étaient des rebelles aux yeux de leur gouvernement
et de leurs compatriotes. Les combattants de la l'e Division française libre furent les
premiers à affronter l'ennemi allemand dans un combat proprement français auprès des
Alliés. Parce que les Forces françaises libres furent si peu nombreuses, et parce que
l'armée d'armistice se réfugiait dans l'attentisme, Bir Hakeim devint leur« lieu de
mémoire» sacrë5•
************
35 Pierre Nora, « From Lieux de mémoire to Realms of Memory », in Realms of memory :
Rethinking the French past, Vol 1: Conflicts and Divisions, New York, Columbia University Press, 1998,
p. XVII. Pour la définition de « lieu de mémoire ». Dans le cas présent, Bir Hakeim est un lieu de
mémoire pour la communauté des Français libres et des associations qu'ils ont créées, car il demeure un
élément symbolique dans leur héritage, soit dans leur mémorial.
B)
ENTRE LA MÉMOIRE INDIVIDUELLE ET LA MÉMOIRE OFFICIELLE36
Le sacrifice consenti à la patrie des Forces françaises libres, ne doit pas être dilué dans la
participation à la guerre de l'armée française d'Afrique après novembre 1942. Car si le
mot de Pierre Maillaud37 recoupe la réalité en appréciant à sa juste valeur l'effort de
guerre des F.F.L., celui-ci ne représente pour l'auteur qu'une étape parmi les autres:
« Sur une moindre échelle, dit-il, la volonté de lutte de la France s'était superbement
illustrée à Koufra, sur mer, dans les airs, puis à Bir Hakeim où des Français donnèrent au
monde l'occasion de témoigner à quel point un pareil exploit était chèrement attendu »38.
Maintenant que l'armée française d'Afrique combat auprès des Alliés, rappelle Pierre
Bourdan, seule doit compter la participation de la France à la guerre. Si pour l'auteur, le
politique demeurait secondaire en ce moment critique de la guerre où les efforts devaient
être concentrés, cela n'en effaçait pas moins le ressentiment des uns et des autres. En
mai 1943, lorsque les troupes françaises défilèrent à Tunis pour marquer leur
participation à la défaite des forces de l'Axe en Afrique du Nord, la 13e D.B.L.E. parada
auprès de la vnr Armée britannique et non auprès du 1ge Corps français d'Armée.
Gaullistes et non gaullistes s'excluaienf9.
Bir Hakeim est le « lieu de mémoire» des Français libres, car il rappelle
l'héroïsme de leurs compagnons d'armes lorsqu'ils exécutèrent leur sortie dans la nuit
Robert Frank, « Bilan d'une enquête », dans La Mémoire des Français. Quarante ans de
commémorations de la Seconde Guerre mondiale, Actes du colloque de Sèvres, Paris, CNRS, 1986, p.
372-373. Pour les composantes de la commémoration et leurs définitions.
36
Pierre Maillaud, alias Pierre Bourdan, journaliste, fonda l'Agence française indépendante à
Londres. Il faisait partie de l'équipe<< Les Français parlent aux Français », une émission indépendante de
la France libre diffusée à la radio de Londres.
37
38
Pierre Bourdan, Carnet des jours d'attente Guin 40 - juin 44), Paris, Éd. Pierre Trémois, 1945,
39
Douglas Porch, The French Foreign Legion, New York, HarperPerennial, 1991, p. 485.
p.97.
85
du 10 au 11 juin: « Fouettés par l'esprit de corps, déterminés à restaurer l'honneur de la
France libre, ils se regroupèrent [ sous le commandement du lieutenant-colonel
Amilakvari ] du mieux qu'ils purent, en rangs serrés, et ils chargèrent dans le rideau de
feu »40. On peut mesurer l'impact de la bataille de Bir Hakeim par rapport au contexte
initial dans lequel elle eut lieu, et par rapport à la dimension mythique que ce combat a
laissé dans la mémoire des Français libres: « Bir Hakeim a été la plus grande épopée
française de la Seconde guerre mondiale. On l'a appelé le «Verdun du désert ». Il
constitue l'exploit le plus héroïque que les Français aient accompli dans cette guerre et,
comme par un étrange signe du destin, la victoire de Bir Hakeim avait lieu exactement
deux ans, jour pour jour, après la capitulation de juin 1940 »41.
Bir Hakeim demeure un fait marquant dans leur vie. Ils y connurent la gloire. Ils
démontrèrent leur courage en résistant aux forces de Rommel et réalisèrent ainsi leur
vœu premier: combattre l'ennemi allemand. Ils y défendirent leur honneur, car ils
avaient affronté les leurs42 durant la campagne de Syrie. Cet épisode, rappelle le général
Kœnig, avait marqué profondément les Français libres: « Ils ont eu à plusieurs reprises à
se mesurer contre leurs compatriotes. Ils le firent à contre-coeur, la mort dans l'âme.
40 Susan Travers, Tant que dure le jour, Paris, Plon, 2000, p. 237. Koenig, Ce jour-là 10 juin: Bir
Hakeim, p. 360 et 61. La compagnie du capitaine de Lamaze avait été arrêtée par une forte résistance
ennemie qu'elle surmonta. Le lieutenant-colonel Amilakvari était issu d'une famille princière géorgienne;
il s'exila en France en 1917. Saint-cyrien, il rejoignit la Légion étrangère. Le général Koenig, et ses
hommes admiraient sa force de caractère: sa droiture d'âme, la noblesse de ses sentiments et sa bravoure.
41
Aglion, L'épopée de la France combattante, QP.....ci.t., p. 333-334.
42 Plusieurs officiers F.F.L. avaient refusé de se battre contre d'autres Français, dont le colonel
Magrin-Verneret, dit Monclar. Crémieux-Brilhac, op. cit., p. 152. L'article 1de l'accord Churchill-de
Gaulle du 7 août 1940 stipulait que la Force française « ne pourra jamais porter les armes contre la
France ». La lettre secrète du Premier ministre Churchill à de Gaulle, ajoutait que cette formule devait être
interprétée « comme visant une France libre de choisir sa route et ne subissant pas la contrainte directe ou
indirecte de l'Allemagne ». Cointet, La France libre, ~ Document 12: p. 62-68.
86
Tous ont dû se soumettre à la loi implacable de la patrie en danger. Quelques-uns se
vengèrent en mettant les bouchées doubles contre les Allemands et les Italiens »43.
Bir Hakeim est un lieu de mémoire secret pour Suzanne Travers44, une jeune
anglaise qui avait rejoint les F.F.L., laquelle vécue une expérience exceptionnelle en tant
que conductrice du général Koenig. Elle lui avait sauvé la vie en traversant les lignes
ennemies lors de la sortie: « L'amour et le respect que je suscitai alors dans la Légion
pour cette journée et cette nuit de folie devaient me soutenir et me redonner confiance
jusqu'à la fin de la guerre et au-delà »45.
Mais le rôle que les Français libres ont joué à Bir Hakeim se dissout dans le
temps: « Demandez à n'importe quel Parisien pourquoi la station de métro située près
du vieux pont de Grenelle, à l'ombre de la tour Eiffel, s'appelle Bir Hakeim et il vous
répondra que c'est sans doute en rapport avec les colonies françaises. Ils n'y connaissent
rien »46. Il importe donc pour les F.F.L. de remémorer l'événement et de situer le
contexte dans lequel il eut lieu. Le général Kœnig rappelle que Bir Hakeim demeure « la
plus pure victoire française»47 de la Seconde Guerre mondiale, car elle fut « la première
grande bataille rangée que la France libre livrait sur terre, aux forces allemandes depuis
juin 1940 »48. Il ressent une vive fierté pour la l'e Division française libre, car dit-il:
43
Koenig, op.cit , p. 88.
44 En 1942, elle reçut la Croix de guerre à l'Ordre du Corps d 'Armée. En 1956, elle reçut la
Médaille militaire. En 1996, l'adjudant-chef Susan Travers fut fait chevalier de la Légion d'honneur.
45
Travers, QP,....ci.t,., p. 254.
46
Ibid., p. 354.
47
Bauche, QP,....ci.t,., p. 8.
48
Général Koenig, « Les Français libres à Bir Hakeim », Icare, n° 101, op. cit., p. 31.
87
« Ma vie durant, je n'aurai jamais reçu plus beau commandement »49. L'effort de guerre
des Français libres ne doit pas sombrer dans l'oubli, car ils avaient été si peu nombreux à
refuser l'armistice et à en braver les conséquences: « Condamnés à mort ou déchus de
leur nationalité par les pouvoirs établis demeurés en France, ils n'avaient d'autre
alternative, à défaut de vaincre, que de disparaître »50. On peut mesurer l'impact de leur
résistance, car le comte Galeazzo Ciano, ministre italien des Affaires étrangères, écrivait
dans son journal du Il juin 1942 : « Bir Hakeim a été pris. La garnison a résisté avec
une grande ténacité, parce qu'elle était composée de nombreux Français, Italiens,
Allemands etJuifs, persuadés qu'ils ne trouveraient pas de quartier»
51.
Or, l'on sait que
le général de Gaulle obtint que les soldats capturés à Bir Hakeim soient traités selon la
convention de Genève52•
Une immense croix de Lorraine sur une stèle haute de cinq mètres marque
l'emplacement du cimetière de Bir Hakeim. Inauguré en avril 194353 , ce coin de sable
« perdu quelque part au sud de Tobrouk », demeure « éternellement français» dans le
souvenir des Anciens de la 1re Division française libre. Le général Kœnig avait fait
parvenir au général de Gaulle le 26 juin 1942 un télégramme dans lequel il réitérait la foi
des Français libres dans la cause qu'ils servaient: « La 1re division légère croit
fermement que ceux qui sont morts offrirent leur sang en un sacrifice pour la Vraie
49
Id., Ce jour-là 10 juin: Bir Hakeim, op. cit., p. 473.
50
Ibld.... p. 86.
51
Comte Galeazzo Ciano, Journal politique 1939-1943, vol II, Neuchatel, Éd. de la Baconnière,
52
Voir chapitre II : C) La bataille de Bir Hakeim, p. 69.
p.168.
53 Anonyme, préf. Général Pierre Kœnig, Bir-Hakeim, Paris. Office français d'édition, 1945. p.
83. Pour le déroulement de la cérémonie d'inauguration du dimanche 4 avril 1943. Voir aussi le texte
commémoratif du Révérend-Père Charles Alby. Icare. n° 101, p. 99.
88
France, notre France, celle qui n'a pas accepté la défaite et qui continue le combat »54.
Le général Kœnig55 parle au nom de la mémoire officielle de la France libre et de sa
quête de légitimité.
Pierre Mercier, dit Saint-Roc, simple soldat qui servit la France libre dans la 13 e
demi-brigade de la Légion étrangère, n'avait d'autre but que de combattre l'Allemand et
de le voir déloger de la France. Il avait aussi une raison personnelle pour désirer le
combat, car il voulait prouver« aux héros de Narvick »56 qu'il n'était pas un fuyard, un
soldat du désastre. Peu lui importait le point d'honneur d'être les tout premiers
résistants, ceux du 18 juin, les « purs ». Il concède que cette fierté pouvait se soutenir,
mais cette attitude l'agaçait, parce que, dit-il « au dix-huit juin, on était encore pas mal à
se battre en France, dans l'Est, en particulier »57.
Avant de rejoindre la 13e D.B.L.E., il avait été déçu d'apprendre de ses
camarades à Londres que les effectifs des F.F.L. étaient peu nombreux et qu'ils auraient
peu l'occasion d'affronter les forces de l'Axe. Il rappelle dans ses carnets que c'est
lorsqu'il rencontra le général de Gaulle en février 1942, qu'il décida de se joindre aux
F.F.L. et non de s'enrôler dans une unité anglaise ou canadienne, où il aurait pu tout
aussi bien « sauver l'honneur» à titre personnel. Il fut impressionné par l'idéal qui
transparaissait chez le général de Gaulle, lequel, dit-il, avait une tenue simple « deux
54
Koenig, op. cit., p. 40. Extrait de son télégramme du 26 juin 1942 au général de Gaulle.
55 Le général Koenig fut ministre de la Défense nationale et des Forces armées, de juin à août
1954, puis de février à octobre 1955.
56 Saint-Roc, op. cit., p. 159. Le port de Narvik, situé au nord de la Norvège, fut investi par les
troupes allemandes le 9 avril 1940. Il fut repris le 28 mai par un corps expéditionnaire franco-anglais qui
dut l'abandonner le 7 juin. Le corps expéditionnaire français était sous le commandement du général
Béthouart. Il comprenait des chasseurs alpins et la 13e demi-brigade de la Légion étrangère.
5/
Ibid., p. 146.
89
pauvres étoiles cousues sur des manches d'étoffe banale, lorsqu'il nous accueillit, des
sans-grade pauvrement vêtus dont il avait besoin pour recréer un grand pays »58. La
France ayant capitulée, l'armée s'étant pliée aux conditions d'armistice, le général de
Gaulle, par sa haute taille et la détermination qui l'habitait, symbolisait pour Saint-Roc,
« le gigantesque représentant de ce qui [ restait] d'un allié vaincu ».
Il rappelle dans ses carnets qu'il admirait le général Kœnig, le « gros lapin»
comme le surnommaient ses hommes, ainsi que ses camarades de la Légion, car tous ils
n'auraient jamais accepté de se rendre. Il était fier que l'ultimatum présenté par Rommel
fut refusé et qu'ils avaient foncé les armes à la main à travers les lignes ennemies dans la
nuit du 10 juin: « Quand vous avez pris votre parti de mourir, parce que fatalement les
autres vous auront par la fatigue, le nombre ou la soif, et qu'un ordre commande de
foncer, d'attaquer celui qui vous attaque, c'est une volupté fameuse »:'/}.
Lorsque les survivants atteignirent Alexandrie, ils furent acclamés par la
population. Nul doute que les combattants aient apprécié l'honneur qui leur était rendu
et les célébrations qui s'en suivirent:
C'est une joie toute fraternelle que manifestent les soldats alliés. Jugeant
à sa valeur notre résistance, ils font leur cette gloire qui rejaillit sur la
vnr Armée, la nôtre. L'affectueuse reconnaissance d'un Britannique va
toujours très loin. Personne ne se comprend! Mais au nom de «BirHacheim» que chacun prononce et déforme à sa guise, les fronts
s'illuminent, les verres se lèvent au milieu des clameurs, des
rugissements, des toasts et des bravos60•
58
Ibid., p. 147-148.
59
Ibid." p. 184.
60
Ibid., p. 187.
90
Mais le ressentiment perdurait entre les Français libres et leurs compatriotes de
l'armistice. Ils auraient bien aimé, rappelle Saint-Roc qu'on leur prête main forte, car ils
demeuraient toujours quelques milliers seulement, tandis qu'ils avaient subi de rudes
combats à Bir Hakeim:
Dans le port d'Alexandrie, accrochée au bout de ses ficelles, une sacrée
flotte française, dite « vichyste », attend Dieu sait quoi. Les Free French
se sont fait démolir dans un combat sans espoir. Ils ont besoin de renfort.
Quelques marins nous ont rejoints, trop peu nombreux pour réunir la
majorité, donc, les navires. Les autres, les « French non Free » passent les
années de guerre à se balader. Ils se marient, poussent des voitures
d'enfants. Ces navigateurs ne peuvent pas tout faire, mais ils devraient
avoir l'idée de nous donner un coup de main61 •
Ses camarades légionnaires et lui-même ont convenu qu'ils étaient des héros
incontestables, rappelle Saint-Roc; mais ils s'indignèrent de la propagande qui en fit des
héros plus grands que nature. Car si la défense à Bir Hakeim avait été aménagée
autrement, si la 1re division légère avait été décimée dans un autre combat, ils n'auraient
pas eu l'occasion de prouver leur valeur en résistant aux forces de l'Axe. D'autres
qu'eux avaient accompli des exploits mémorables; mais les circonstances ne les avaient
pas mis sur un théâtre d'opérations d'envergure.
À cause du retentissement mondial de leur exploit, ceux de l'arrière
s'approprient leur sacrifice consenti à la patrie. Mais cette victoire était la leur, rappelle
Saint-Roc: c'est la gloire du guerrier, et non celle qui est« sagement mijotée» par les
politiques62• Pour Saint-Roc et ses camarades légionnaires, le combat à BirHakeim fut un
privilège intangible. Suzanne Travers témoigne de la communauté d'esprit qui régnait à
61
Ibid., p. 189.
62
Ibid., p. 188-191.
91
Bir Hakeim: « Sur cette périlleuse route vers la liberté, nous avions partagé quelque
chose de précieux que personne n'aurait pu comprendre en dehors de ceux de Bir
Hakeim. Jamais je ne m'étais sentie si fière »63.
Ils se laissèrent donc aduler et saouler par les louanges. Ils ressassèrent leur
exploit. Mais sans le secours des Britanniques, rappelle Saint-Roc, qui les attendaient
lors de la sortie64 à un point stratégique convenu, ils ne seraient pas là pour remémorer
leur gloire, dont le souvenir demeurera« éternel »65. L'expérience qu'ils vécurent à Bir
Hakeim, où il leur fut donné de combattre contre Rommel le commandant en chef de
l'Afrika-Korps, demeure leur« lieu de mémoire », distinct de la mémoire officielle,
c'est-à-dire de la politisation de l'événement. Par contre, quoi qu'ils aient ressassé leur
exploit jusqu'à en devenir« fatigants »66, rappelle Saint-Roc, le succès défensif que la l'e
Division française libre remporta à Bir Hakeim ne fut pas vain. Il retarda l'avance
ennemie et permit aux renforts britanniques de s'organiser sur la ligne de défense d'El
Alamein, à partir de laquelle la vur Armée vainquit l'Afrika-Korps, éliminant ainsi la
menace qui pesait sur le front méditerranéen67• Nous avons bien mérité, rappelle SaintRoc, une station de métro « un petit square où jouent les bambins de France»68.
63
Travers, op. cit., p. 251.
64 Crémieux-Brilhac, ~, p. 360. Le commandement britannique avait déclaré que la défense
de la place n'était plus essentielle. Le général Koenig qui se préparait à exécuter la sortie, demanda que
des colonnes amies l'attendent, la nuit de la sortie, avec soixante camions et cinquante ambulances.
65
Saint-Roc, op. cit., p. 191-192.
66
Ibid. : « Nous nous laissons aduler. Au besoin, nous appuyons sur la chanterelle et devenons
fatigants ».
67
23 octobre-4 novembre 1942. Offensive de Montgomery en Égypte. Victoire décisive d'El
68
Saint-Roc, op. cit., p. 193.
Alamein.
92
L'héroïsme des Français libres à Bir Hakeim consacra la France combattante et
le mythe que la France libre représentait la « vraie France» 69. Les quelques trois mille
combattants qui affrontèrent les forces de l'Axe à Bir Hakeim symboliseront l'héroïsme
de la nation entière. Seule une minorité « d'ennemis et de traîtres» sera tenue
responsable de la défaite et de la capitulation70• La résistance à Bir Hakeim devait
prouver que « La France [n'était] n'est point du tout la nation décadente qu'ils voulaient
imaginer ».
Sept jours seulement après l'exploit défensif remporté par la 1Te D.EL. à Bir
Hakeim, de Gaulle auquel le «dieu des batailles»71 venait d'accorder un fait d'armes
éclatant, célébrait le deuxième anniversaire de l'appel du 18 juin. S'il rappelle dans ses
mémoires l'émotion profonde qu'il ressentit lorsqu'il apprit le succès de la sortie des
EEL. à Bir Hakeim, versant des «sanglots d'orgueil, des larmes de joie»72, il
remémorait dans le discours qu'il prononça à l'Albert HaH73 devant les officiels et les
Français de Londres qui l'acclamèrenf4, les thèmes qui avaient composé son « acte de
foi ».
69
Bell,« L'opinion publique en Grande-Bretagne et le général de Gaulle (1940-1944) », op. cit.,
p. 84. Ce dernier thème avait été développé par la presse britannique dès juin 1940.
70
De Gaulle, Discours et Messages, op. cit., p. 206. Discours du 11 juin 1942 à la radio de
Londres. Nora, « Gaullistes et communistes », op. cit., p. 360-361. Pierre Nora souligne que la guerre a été
une opération de mémoire. Le général de Gaulle a fait apprendre à un peuple d'attentistes, de prisonniers,
de débrouillards, la leçon de son propre héroïsme, laissant croire qu'il n'existait qu'une infime minorité
d'égarés et de traîtres.
71
De Gaulle, Mémoires de guerre, op. dt., p. 262.
72
Thkl, p. 266.
73
Id.., Discours et Messages, op. cit., p. 207-215.
74
«Charles de Gaulle, le 18.06.42 », Les Deux Premières Années de la Guerre des Ondes,
enregistrements extraits des archives de l'Institut National de l'Audiovisuel et des archives de la British
Broadcasting Corporation, 1980-1988 ADES no. 111512, Made in France.
93
Les événements ont démontré, proclame de Gaulle «que nous n'avons pas eu
tort» : la France n'avait perdu qu'une bataille et non la guerre. La Grande-Bretagne ne
s'est pas effondrée; la guerre est devenue mondiale. La Russie soviétique et les ÉtatsUnis sont entrés en guerre, et ces derniers ont mis en branle leur industrie de guerre. Et,
malgré toutes les épreuves qu'elle a dû surmonter, la « France combattante émerge de
l'océan ». L'héroïque résistance des Français libres à Bir Hakeim actualisait le passé
historique glorieux de la France et le dévouement à la patrie dans l'honneur. De Gaulle
justifia l'intransigeance de la France libre à maintenir la France en guerre et à protéger
les intérêts supérieurs de la nation en se référant au mythe de Jeanne d'Arc, laquelle
n'avait jamais abandonné la lutte, laquelle n'avait jamais transigé. De Gaulle recueillit
l'applaudissement de l'auditoire lorsqu'il dit: « de passion nous n'en avons qu'une: la
France ! [ ... ] Et, parce que rien de grand ne se fait sans la passion, la grande oeuvre à
laquelle le devoir nous a voués exige la passion de la France ».
Anthony Eden ne doutait pas de la sincérité du général de Gaulle dans le rôle que
ce dernier entendait jouer. Il rappelle dans ses mémoires combien de Gaulle était dévoué
à sa patrie. L'oubli de soi qu'il manifestait maintenait la flamme de la France, alors
qu'en d'autres mains, elle se serait probablement éteinte75• Le 14 juillet, à la radio de
Londres, Anthony Eden s'adressait au nom de tous les Britanniques au peuple français,
en leur jour de fête nationale. C'est en ces termes qu'il fit le panégyrique de la France
libre:
75
Eden, op. cit., p..249-250.
94
Grâce à la décision du général de Gaulle de poursuivre la lutte, décision
qui a vidé la capitulation de Bordeaux de toute valeur nationale, la France
n'a jamais été absente des champs de bataille. Les soldats français qui ont
montré tant de vaillance dans la Bataille de France ont trouvé des
successeurs dignes d'eux dans les héros de Bir Hakeim76•
Si l'action et la voix du général de Gaulle faisaient de la France libre une patrie
mythique pour les Français à l'écoute, les paroles de Anthony Eden confirmaient à la
fois la valeur de l'armée française qui perdurait à travers les soldats de Bir Hakeim et
renforçait la légitimité de la France libre. Le sondage d'opinion publique77 que les
autorités britanniques avait effectué en juin 1942 révélait que plus de la moitié des
répondants (59%) en venaient à penser que l'attitude des Français libres représentait
celle du peuple français, exprimant ainsi leur désapprobation du gouvernement de
Vichy. La propagande entourant la bataille de Bir Hakeim transcendait l'image du
général de Gaulle et consacrait la légitimité de son leadership.
Par contre, l'ouvrage dédié à la mémoire des soldats morts pour la France à Bir
Hakeim, révèle la tension provoquée par l'exploitation à outrance de l'événement78•
Cette publication de la France combattante relève d'abord les grands thèmes de
l'orthodoxie gaulliste79• Elle insiste sur la collaboration étroite des F.F.L. avec les forces
britanniques, car en combattant côte à côte en Libye avec la VIlle Armée britannique, les
76«
Message de Anthony Eden », Ici Londres. Les voix de la liberté, op. cit., p. 166.
Bell, « L'opinion publique en Grande-Bretagne », op. cit., p. 93. Le sondage avait été effectué
en juin 1942 par l'Institut britannique d'opinion publique.
77
Bir Hakeim. 26 mai - 10 juin 1942. À la mémoire des soldats morts pour la France à Bir
Hakeim, Londres: 4 Carlton Gardens, Publication de la France Combattante, n° 52, (1942).
78
79 Le gouvernement de Vichy est illégitime, ces dirigeants militaires et politiques sont
responsables de la défaite et de la capitulation. Les EEL. ne sont pas les auxiliaires des Alliés. Les chefs
des EEL. sont de véritables chefs. Toute action par les EEL. doit être créditée à la France. La France
libre représente la pérennité de l'Entente cordiale.
95
F.F.L. ont effacé la trahison du gouvernement de Vichy qui collabore avec l'ennemi:
« Sur la crête sablonneuse de Bir Hakeim, jonché des épaves des chars italiens et
allemands, les Français ont ressuscité l'Entente Cordiale80 ». Le document rappelle de
même que les Français libres furent acclamés à la Chambre des Communes, le 2 juin
1942. Ce jour-là, le Premier ministre Churchill avait rendu hommage à leur courage en
lisant le rapport d'opérations du général Auchinleck, proclamant que: « Les Français
libres sont de vaillants alliés ». La reconnaissance officielle qu'ils obtenaient ainsi
consacraient les F.F.L. Grâce à la bataille de Bir Hakeim, ils avaient prouvé qu'ils
n'étaient ni des mercenaires, ni des auxiliaires à la solde des Anglais, mais les dignes
représentants de la France en guerre auprès de la Grande-Bretagne.
Le texte rehausse les qualités de chef du général de Gaulle, car il a prouvé qu'il
savait reconnaître les officiers d'élite en promouvant le capitaine Kœnig, colonel, puis
général de brigade, et en plaçant la 1Te D.F.L.
SOUS
son commandement. Le général de
Gaulle effaçait ainsi la faillite des chefs militaires qu'il tenait responsables de la défaite
de 1940, grâce à la résistance acharnée du général Kœnig et de ses hommes contre les
forces de l'Axe à Bir Hakeim. Les nouveaux chefs et les hommes sous leur
commandement représentaient« l'avant-garde d'une armée nouvelle qui rentrera de
plein pied dans la guerre et dans la victoire »81. Quant à Maurice Schumann82,
propagandiste de la France libre, il avait construit l'émission « Honneur et Patrie» du 10
juin 1942 en se référant aux articles publiés par la presse britannique, dont ceux du Daily
En combattant auprès des Britanniques en Libye, la France libre assumait la pérennité de
l'Entente cordiale, laquelle avait marqué la fin du contentieux colonial entre la France et la GrandeBretagne, depuis 1904. L'Entente établissait une collaboration diplomatique contre l'Empire allemand. Bir
Hakeim, 26 mai - 10 juin 1942, op. cit., p. 14. Il s'agit du texte de Alan Bullock, diffusé à la B.B.e.
80
81
Bir Hakeim, 26 mai - 10 juin 1942, QP,...cit., p. 4.
Licencié en lettres. Il avait été journaliste à l'agence française Havas. Il était le principal
intervenant de la séquence « Honneur et Patrie », l'émission de cinq minutes de la France libre sur les
ondes de la B.B.C.
82
96
Herald et du Daily Maif3 : la bravoure des combattants à Bir Hakeim habitait de même
les soldats pendant la campagne de France; ce sont de véritables chefs qui leur
manquaient.
La publication de la France combattante exalte également le mérite du soutien
britannique: « L'appui continuel et ardent de la R.A.F. a abouti à la destruction de
nombreux appareils allemands et italiens dans le ciel de Bir Hakeim»84. Car si le
document célèbre l'héroïsme et le patriotisme des combattants de la Fe D.F.L., tous des
« volontaires» et des « hommes libres », « lavés de la souillure des souvenirs de 1940 »,
il redresse une situation qui avait été créée par une vague d'anglophobie autant que par
la propagande allemande. Le général Kœnig dénonce «l'exaltation perfide» du succès
militaire que les F.F.L. ont remporté à Bir Hakeim85• Les Britanniques ayant perdu
Tobrouk le 21 juin 1942, le général Koenig souligne l'attitude incongrue des milieux
anglophobes du Caire, d'Alexandrie et du Moyen-Orient:
Le ton louangeur [ des articles ] devenait gênant par leur exagération.
Beaucoup de nos compatriotes et d'Égyptiens en prenaient prétexte pour
incriminer ce qu'ils appelaient l'incurie du haut commandement
britannique et rejetaient sur nos alliés la responsabilité d'une défaite qui
risquait d'amener au canal de Suez Rommel et ses troupes86 •
83
Maurice Schumann, Ici Londres, op. cit., p. 135-136.
84
Bir Hakeim. 26 mai - 10 juin 1942, .QJ,1.J,ih, p. Il.
85
En juillet 1942, le général Koenig avait confié à Pierre Bénard, correspondant de guerre de la
France libre, la rédaction d'une plaquette relatant le déroulement des combats, afin « de couper court aux
fanfaronnades de mauvais goût ». Koenig, Ce jour-là 10 juin: Bir Hakeim, op. cit., p. 13.
Ibid., p. 412. Woodward, vol. II, op. cit., p. 266. À la fin de juin, les Allemands croyaient qu'ils
occuperaient bientôt l'Égypte. La position à El Alamein représentait le dernier bastion défensif des forces
britanniques, à soixante-dix milles d'Alexandrie. Le commandement britannique reprit l'offensive le 4
juillet, ayant bénéficié des renforts et de l'approvisionnement, incluant le matériel américain, dont il avait
besoin.
86
97
Quant aux dépêches des agences de l'Axe, elles avaient accusé le
commandement britannique d'avoir abandonné les Français libres, déclarant que ce
renseignement leur avait été fourni par des prisonniers français capturés à Bir Hakeim.
Le général Kœnig publia le communiqué suivant pour réfuter la propagande ennemie:
«Toutes les demandes adressées à la RAF, avec laquelle je suis demeuré jusqu'à la fin
de la bataille en contact permanent, ont été satisfaites au mieux, compte tenu des
circonstances. Bien plus, j'ai adressé plus d'une fois mes remerciements à la R.A.F.,
pour la qualité de ses interventions »fr7.
L'abondante propagande sur l'héroïque résistance des F.F.L. à Bir Hakeim eut
lieu dans un climat où régnait la peur de l'invasion prochaine de l'Égypte par les forces
de l'Axe. L'animosité franco-britannique au Levant n'arrangeait pas les choses. Car de
Gaulle était persuadé que la politique de l'unité arabe que le général Spears y pratiquait,
visait à éliminer la présence française au Liban et en Syrie88• L'anglophobie atteignit un
paroxysme avec l'orchestration de la presse gaulliste au Moyen-Orienfl9. Elle irritait le
commandement britannique qui se réorganisait afin de lancer sa contre-offensive contre
les forces de l'Axe. En conséquence, rappelle le général Kœnig, il n'avait pas été
présenté au nouveau commandant en chef de la vnr Armée britannique, le général
'ifI Koenig, QIhill, p. 413. Crémieux-Brilhac, op. cit., p. 366. Le général Koenig avait envoyé le
message suivant: « Merci pour la R.A.F. », et il avait reçu pour réponse « Merci pour le sport ». Cité par
Crémieux-Brilhac, et relaté dans la revue Françe du 6 juin 1942.
88 Woodward, vol. II, op. cit., p. 336. Il rappelle que le général de Gaulle avisait le général
Catroux, commandant en chef au Levant et délégué général et plénipotentiaire dans les États du Levant,
que la politique britannique tendait à éliminer la France des États du levant.
Le général Spears, rappelle Crémieux-Brilhac, se faisait« le champion de la politique d'unité
arabe ». Crémieux-Brilhac, op. cit., p. 165-169. En janvier 1942, le général Spears avait été nommé
ministre plénipotentiaire britannique auprès des gouvernements syrien et libanais.
89
Koenig, op. cit., p. 412.
98
Montgomery. Lorsque Churchill se rendit au Caire au début d'août 194290, il omit de
visiter les bivouacs de l'arrière des EEL. Cet oubli fut perçu comme un affront par le
général Kœnig, ses cadres et ses hommes91 • Les relations entre le nouveau
commandement britannique et les EEL. s'étaient dégradées à cause de l'anglophobie
qui sévissait dans un climat de crise et de patriotisme exacerbé, car les Français de
l'arrière s'étaient appropriés le fait d'armes remporté par les défenseurs de Bir Hakeim.
Le général Koenig rappelle que « les camarades de combat britanniques ne leur avaient
pourtant pas marchandé les félicitations ». Jean Oberlé rappelle dans ses mémoires en
quels termes la presse britannique leur avait rendu hommage et souligne l'unicité de
l'exploit des Français libres à Bir Hakeim92 :
Les Anglais, beaux joueurs, accordèrent aux hommes de Bir Hakeim la
plus grande notoriété. Les journaux anglais publiaient, en manchettes
énormes, des titres du genre de celui-ci: «Les Verduns» tiennent
toujours. Kœnig et ses hommes connaissaient la gloire, et Churchill, aux
Communes, leur rendait hommage, aux acclamations de la Chambre.
Quant à Maurice Schumann, porte-parole de la France combattante, il
mettait Bir Hakeim à toutes les sauces. Il ne parlait que de Bir Hakeim à
tout propos. Je le répète, nous n'avions que ça à nous mettre sous la
dent93 •
La propagande alliée a contribué à valoriser l'exploit des EEL. à Bir Hakeim.
L'unicité de l'événement symbolisait pour la France combattante la résistance que
l'armée française aurait pu opposer à l'ennemi allemand en 1940 ; source de légitimité
donc, du général de Gaulle, des chefs qu'il choisissait et de l'institution qu'il avait créée,
90
Eden, op. cit., p. 338.
91
Koenig, ~., p. 412-414.
92 Crémieux-Brilhac, op. cit., p. 416. Le général Koenig subit un échec en octobre 1942 à
Himeimat sur la ligne d'El Alamein. Le général Montgomery retira les brigades françaises libres du
théâtre d'opérations méditerranéen jusqu'en 1943.
93
Jean Oberlé, op. cit., p. 171.
99
le Comité national français. Parce qu'ils avaient été peu nombreux à refuser l'armistice
et parce que la France libre avait déclaré illégitime le régime de Vichy, le général de
Gaulle devait relever le double défi de maintenir la France en guerre et de constituer en
sol britannique un gouvernement provisoire. Le hasard a favorisé de Gaulle, dont la
vocation était de maintenir la France en guerre, une entreprise difficile, telle une
gageure, en lui donnant un éclatant fait d'armes qui obtint un retentissement mondial. La
1re D.F.L. affronta la puissance militaire allemande de mai àjuin 1942, soit jour pour
jour après la défaite de 1940.
L'action de la France libre et sa résonance mythique devaient préserver
1'honneur de la France94• Son engagement effacerait donc la honte de la défaite et
l'humiliation de l'occupation dans la mémoire des Français95• Car son implication
donnerait aux Français l'illusion qu'ils avaient résisté à l'occupant. Par l'entremise des
émissions diffusées à la radio de Londres, une forme de solidarité96 s'était créée entre de
Gaulle et le peuple français. Générée par la propagande de la France libre et celle des
organismes parallèles97 qui dénonçaient les agissements du gouvernement de Vichy et de
94 Nora, « Gaullistes et communistes », op. cit., p. 360-361 : « Le gaullisme présente le cas [u. ]
d'une histoire qui coexiste avec le mythe et ne peut se développer qu'à partir de lui ».
René Rémond, Notre siècle. de 1918 à 1991, Paris, Fayard, 1991, p. 297. L'auteur rappelle
l'impact de la défaite sur le moral de la nation. Il rappelle que la catastrophe de 1940 a engendré le doute
sur soi.
95
Pierre Bourdan, op. cit., p. 30. L'appel du 18 juin était le point de départ, dit-il, à une solidarité
nouvelle, parce qu'ils avaient du rompre une solidarité de présence avec la France. L'appel « devait avoir
un effet psychologique décisif.»
96
en Le peuple français ne distinguait pas entre l'émission de la France libre « Honneur et Patrie» et
l'émission « Les Français parlent aux Français». Cette dernière avait lieu dans le cadre large des
émissions en langues étrangères à la B.B.C. Elle demeurait indépendante de la France libre.
100
l'occupant -la collaboration, la répression, l'exécution des otages98 - elle s'accentua,
car si le général de Gaulle restait un inconnu pour les Français, ce dernier acquit en
conséquence une dimension mythique. De Gaulle avait offert en contrepartie à
l'occupation allemande, l'espoir de la victoire et la conviction qu'il était l'émissaire de
la «vraie France» et de sa grandeur historique. Il rassemblait les Français sous
l'emblème de la Croix de Lorraine.
Les études historiques et les productions documentaires ont démontré que « les
Français furent nombreux à demeurer passifs, sinon à se compromettre avec l'occupant,
bref une France sans grandeur, préoccupée avant tout de survivre» 99. Jean-Christophe
Notin déplore que Vichy ait pris tant d'ampleur dans la mémoire des Français. Il faut
rappeler, dit-il, la France libre et l'effort de guerre des Compagnons de la Libération, car
ils ont préservé la grandeur de la France »100.
Les organismes 10l des Français libres commémorent la participation de la France
en guerre. L'exploit des F.F.L. à Bir Hakeim illustra leur détermination à sauver
l'honneur de la France et fut l'événement créateur de leur légitimité. Le général Jean
Simon, chancelier de l'Ordre de la Libération, a pour tâche de « rappeler aux Français
98« Les martyrs de Châteaubriant », lei Londres, op. cit., p. 118-119. L'émission du 22 mai 1942,
« Les Français parlent aux Français ». C'est le récit de l'exécution des otages de Châteaubriant, laquelle
eut lieu en représailles du meurtre du colonel Holtz à Nantes.
99 Philippe Burin, «Vichy», Les lieux de mémoire, Paris, Gallimard, 1992, Tome III : Les
France, 1. Conflits et partages, p. 339. En parlant du documentaire Le Chagrin et la Pitié, lequel fut réalisé
en 1969 et projeté en salle en 1971.
Jean-Christophe Notin, 1061 Compagnons. Histoire des Compagnons de la Libération, Paris,
Perrin, 2000, p. 7-15.
100
101 L'Ordre de la Libération, l'Association des Français libres, l'Amicale des Anciens de la
Première Division Française Libre, le musée Général de Gaulle: France Libre 1 France combattante.
101
qu'aux pires jours de la défaite, une poignée d'hommes n'avaient pas perdu confiance
dans la patrie et avaient été les premiers à reprendre le combat pour la libération» 102.
Le 11 juin 1997, date commémorative du succès de la sortie de la l'e D.F.L. à Bir
Hakeim, laquelle était encerclée par les forces de l'Axe, le Figaro lffi publie un article
réduisant l'épopée des F.F.L. à une « simple escarmouche ». Les articles de presse
104
en
1942 dépassèrent la mesure. Ils grossirent l'événement aux dépens de 1'héroïsme des
combattants de la vnre Armée britannique et du climat de tension qui régnait en Égypte
devant l'avance des forces de Rommel. Les quelques trois mille combattants à Bir
Hakeim devinrent des« types énormes ». Leur exploit fut appelé le« Verdun du
désert ».
Le général Kœnig reconnaît« volontiers que Bir Hakeim n'est qu'un fait
d'armes parmi tant d'autres inscrits au frontispice de nos gloires ». Mais, dit-il, les
circonstances «justifient la renommée dont quelques milliers d'hommes de notre
empire, cernés dans un désert, se sont trouvés parés du jour au lendemain.
»105.
Afin que
Bir Hakeim soit remémoré à sa juste valeur, le général Jean Simon fait insérer un
communiqué dans le Figaro du 18 juin 1997, jour anniversaire de l'Appel du général de
Gaulle. Le général Jean Simon rappelle que la résistance des F.F.L. à Bir Hakeim devant
les forces de Rommel a eu lieu à un contre dix, et que cette résistance a permis au
102 L'Ordre de la Libération fut créé le 16 novembre 1940. Le Conseil de l'Ordre fut établi le 29
janvier 1941. Il Y a 1061 compagnons de la Libération: dont Churchill le 18 juin 1958 et Georges VI, le 4
avril 1%0. Jean Simon, p. 285 et note. La France combattante est honorée par l'Ordre: les F.F.L. et les
F.F.!.
lm Simon, La saga d'un Français Iibre.~, p. 172-173.
104
Koenig, op. cit.. p. 188.
105
Ibid., p. 18.
102
commandement britannique de faire venir des renforts du Moyen-Orient. Il rappelle
que: « Pour la première fois depuis la défaite de 1940, la France [pouvait] redresser la
tête et reprendre confiance dans son destin
»106.
La mémoire savante est démystificatrice.
Mais, en situant l'unicité de l'événement dans son contexte initial, ce dernier lui redonne
sa substance commémorative 107 , c'est-à-dire qu'il replace la genèse de la naissance d'un
mythe dans son rapport avec l'action politique et ses conséquences morales.
************
106
Simon, op. cit., p. 172-173.
107 Frank, op. cit., p. 372-373. L'auteur rappelle que: « La part de la mémoire savante, malgré
qu'elle soit démystificatrice, est à prendre en considération, car un décalage trop grand entre
l'enseignement reçu par les jeunes et le mythe véhiculé par les anciens peut être source de désaffection et
de déclin pour la commémoration ».
CONCLUSION
CONCLUSION
La substance commémorative du fait d'armes des Forces françaises libres à Bir Hakeim
répondait à la nécessité pour le général de Gaulle de maintenir la France en guerre,
impératif qu'il énonça dans l'appel du 18 Juin 1940. Après que le gouvernement présidé
par le maréchal Pétain eut signé les armistices, l'armée française déposa les armes,
ignorant les appels successifs du général de Gaulle pour poursuivre la lutte à partir de
l'Empire français.
Il Y eut donc peu de volontaires pour constituer la force française libre pour
laquelle le général de Gaulle obtint un statut autonome suite à l'accord Churchill-de
Gaulle du 7 août 1940, afin qu'elle ne devienne pas une unité auxiliaire de l'armée
britannique. À cause du nombre limité de ses effectifs, de son hétérogénéité et de la
difficulté d'obtenir un équipement moderne, seules quelques unités opérationnelles
purent être mises sur pied. Les soldats à Bir Hakeim avaient rejeté l'armistice, puis rallié
le général de Gaulle parce qu'ils voulaient combattre l'ennemi allemand qui occupait
leur patrie.
Le défi du général de Gaulle s'affermit dans ces conditions, et l'institution qu'il
fonda devait représenter un contre-pouvoir au régime de Vichy que le général de Gaulle
avait déclaré illégitime. Il s'agissait pour lui de sauver 1'honneur et de veiller aux
intérêts supérieurs de la France sous l'emblème de la Croix de Lorraine. C'est par les
armes donc que le général de Gaulle légitimerait le Comité national français qu'il avait
fondé à Londres, c'est-à-dire le gouvernement provisoire de la France en guerre auprès
des Alliés.
105
L'épopée des EEL. à Bir Hakeim, laquelle se déroula du 27 mai au Il juin
1942, s'inscrit dans le cadre suivant d'où la légende fut tissée. Les Alliés avaient besoin
d'un fait d'armes, car durant cette période, Rommel, le commandant de l'Afrika-Korps,
menait avec succès son offensive sur le théâtre d'opérations de Libye, tandis que les
Japonais triomphaient sur le théâtre d'opérations du Pacifique. Ce sont les trois mille
hommes de la 1re Division française libre lors de la bataille à Bir Hakeim qui offrirent le
fait d'armes tant attendu et dont la gloire servit le général de Gaulle. Ce général de
brigade à titre temporaire qui « s'improvisait» chef de guerre et qui condamnait en bloc
les dirigeants de Vichy, venait d'arracher le respect des Alliés tout en montrant sa
capacité de rassembler sous sa gouverne des volontaires qui n'étaient que des rebelles
pour le gouvernement de Vichy et pour leurs compatriotes.
L'exploit des EEL. à Bir Hakeim bénéficia d'un retentissement mondial,
favorisant la reconnaissance du Comité national français par les gouvernements
britannique et américain. La propagande de la France combattante réitéra l'orthodoxie
gaulliste, c'est-à-dire que le sang versé par les Français libres pour la patrie devait être
crédité à la France « éternelle ». Grâce à l'exploit de ses soldats à Bir Hakeim, la France
renouait avec son passé glorieux et scellait la légitimité du général de Gaulle, des chefs
qu'il avait promus et des hommes sous leur commandement.
Ainsi sous le «signe du destin », deux ans presque jour pour jour après la
défaite, le « dieu des batailles» offrit à de Gaulle l'éclatant fait d'armes qui consacra la
France combattante. Le général de Gaulle avait relevé le défi de maintenir la France en
guerre et d'assurer après la reconnaissance du Comité national français les droits de la
France à participer à la victoire. Si les combattants à Bir Hakeim avaient démontré que
106
le «trésor» des armées françaises était demeuré intact, par contre leur souvenir se
distancie de la mémoire officielle, en ce sens que leur détermination à poursuivre le
combat accusa le schisme français. Alors que le général de Gaulle proclamait qu'il
représentait toute la «France », la «vraie France », conformément à son rôle de
rassembleur des Français derrière la France combattante, dont il symbolisait la
légitimité, la division entre les Français et l'amertume persistent dans le souvenir des
soldats de Bir Hakeim. En effet, leurs compatriotes respectueux de l'armistice qui
demeurèrent dans l'attentisme bénéficièrent des conséquences morales et politiques de
leur exploit; alors que déjà, la rupture était consommée depuis la campagne de Syrie
quand les EEL. affrontèrent leurs adversaires de l'armée d'armistice dans une
confrontation franco-française.
C'est le souvenir de leur exploit à Bir Hakeim, de leur détermination à ne pas se
rendre et de ce qu'ils éprouvèrent pendant la bataille que les survivants de la
r e Division
française libre se remémorent leur exploit sans oublier la fraternité d'armes qu'ils
partagèrent avec leurs camarades de la
vnre
Armée britannique. Capitalisant le fait
d'armes de Bir Hakeim pour renforcer son autorité au sein de la coalition alliée, le
général de Gaulle avalisait aussi le mythe d'une France résistante dont il fut le chef et le
symbole. Ce sont les raisons pour lesquelles l'épopée devenue légendaire des F.EL. à
Bir Hakeim investit la mémoire de la France combattante, quoique ce fait d'armes en fût
un parmi tant d'autres durant la Seconde Guerre mondiale.
************
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ANNEXE
Ordre de bataille de la
Première Brigade Française libre
Ordre de bataille de la Première Brigade Française libre l
Commandant la brigade
Général de brigade Pierre KŒNIG
Chef d'État-maior
Compagnie du Quartier général n° 51
Premier ~roupementd'Infanterie
13e demi-brigade de la Légion étrangère
2e bataillon de la Légion étrangère
3e bataillon de la Légion étrangère
Colonel MASSON
Lieutenant OLIVIER
Lieutenant-colonel AMILAKVARY
Commandant BABONNEAU
Commandant PUCHOIS
Deuxième groupement d'Infanterie
Demi-brigade coloniale
Bataillon de marche n° 2 formé en Oubangui-Chari
Bataillon du Pacifique
Lieutenant-colonel de ROUX
Commandant AMIEL
Lieutenant-colonel BROCHE
En réserve de brigade
Pour renforcer les groupements d'infanterie
1er bataillon d'Infanterie de Marine
dont une forte compagnie antichars
22e Compagnie Nord-Africaine
Commandant SAVEY
Capitaine JACQUIN
Capitaine LEQUESNE
r r Ré~iment d'Artillerie
Commandant LAURENT-CHAMPROSAY
1er Bataillon de Fusiliers-Marins (D.C.A.)
Capitaine de Corvette AMYOT-D'INVILLE
re
1 Compagnie de Sapeurs-Mineurs
1re Compagnie de Transmissions
101 e Compagnie Auto
1er Atelier lourd de réparations auto
Capitaine BELL
Intendance
Groupe d'exploitation n° 1
Intendant BOUTON
Capitaine de GUILLEBON
Groupe sanitaire divisionnaire n° 1
Ambulance chirurgicale légère
Hôpital de campagne Hadfield-Spears
22e Mission britannique de liaison
Médecin commandant VIGNES
Médecin capitaine GUILLON
Médecin commandant FRUCHAUD
Captain ES. EDMEADES
Capitaine DESMAISONS
Capitaine RENARD
Capitaine DULAU
Icare, revue de l'aviation française, « 11 y a quarante ans, mai-juin 1942, Bir Hakeim », Paris,
Syndicat national des pilotes de ligne, 1982, tome l, p. 39. Éditée en collaboration avec l'Amicale des
Anciens de la Première Division Française Libre.
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