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Les explorations digestives
G. Tordjman*
Peut-on espérer obtenir un examen
aussi simple qu’une coprologie chez un
patient incontinent ?
L’âge n’est évidemment pas un obstacle
à la réalisation d’un abdomen sans préparation ou d’une échographie abdominale. Surtout si le patient est hospitalisé… Les difficultés commencent
lorsque, comme 80 % des plus de 80 ans,
le patient est à son domicile, car même
avec une bonne autonomie, coordonner
le rendez-vous en radiologie, la présence d’un accompagnant et de l’ambulance relève du tour de force. On passera sur la plénitude vésicale.
Après avoir éliminé une allergie à l’iode,
vérifié la fonction rénale et, au besoin,
hydraté le patient, authentifié l’arrêt des
antidiabétiques oraux et programmé le
rendez-vous, le scanner abdomino-pelvien avec injection peut être pratiqué.
Cependant, l’interprétation des images est
particulièrement délicate chez un patient
insuffisant cardiorespiratoire n’ayant pas
réussi à bloquer sa respiration les quelques
secondes indispensables à l’obtention
d’une spirale sur une machine à acquisition pourtant ultra-rapide..., ou chez un
autre en raison des artéfacts secondaires
au matériel orthopédique.
Autant d’exemples démontrant que le
recours aux explorations digestives chez
le sujet âgé doit être décidé au terme
d’une vraie réflexion. Prendre en compte
l’âge physiologique du sujet, les indications théoriques de ces explorations,
leurs contre-indications absolues ou relatives et surtout leur bénéfice espéré
pour le patient, constitue les interrogations essentielles avant toute décision.
Cela est particulièrement vrai en matière
d’endoscopie (1) dont les indications,
parfois spécifiques de ce groupe d’âge,
* Hôpital Robert-Ballanger, Aulnay-sous-Bois.
doivent toujours être “pesées”, motivées par un réel bénéfice, et prudentes.
Des indications “pesées”
Kirchgatterer et al. démontrent rétrospectivement, sur un millier d’examens,
qu’après 80 ans, la coloscopie ou la rectosigmoïdoscopie conservent leurs indications traditionnelles : douleurs abdominales, hémorragie, constipation, anémie,
antécédents de polypes. Dans ce groupe
d’âge, la coloscopie est complète dans
plus de 70 % des actes et permet un diagnostic étiologique avec une fréquence
remarquablement élevée de 23 %. Le taux
de complications liées à la technique
diagnostique ou anesthésique peut être
considéré comme nul. Les 0,6 % de complications rapportées sont en réalité des
“effets secondaires” d’un traitement
endoscopique : quatre saignements après
polypectomie, une perforation après
dilatation endoscopique (2).
Une étude prospective turque (3) portant sur 1 388 patients de plus de 65 ans
confirme que l’anémie est fréquente dans
cette population (25 %). Cette anémie
est dans un tiers des cas ferriprive. Sa
cause est alors principalement digestive,
liée à une lésion digestive haute authentifiée par une œso-gastroscopie dans
57 % des cas, ou basse, sur les résultats
d’une coloscopie, dans 27 % des cas.
Huit cancers coliques, six cancers gastriques et un cancer de l’œsophage étaient
diagnostiqués, soit 15 % des cas. Cette
étude démontre donc que l’âge du patient
ne doit pas remettre en cause l’indication d’une exploration endoscopique
haute et basse devant toute anémie par
carence martiale, avant traitement.
En étudiant 915 coloscopies de dépistage chez des patients asymptomatiques
de 65 ans en moyenne (50 à 100 ans),
Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (17), nos 8-9, nov.-déc. 2003
L’
emploi de techniques d’exploration, parfois alourdies
par la nécessité d’une sédation ou d’une anesthésie, est quasiment incontournable en pathologie
digestive, que ce soit à but diagnostique ou thérapeutique. Si l’on excepte
la biologie sanguine, ces explorations paraissent souvent inadaptées
aux patients âgés, du fait, principalement, des pathologies invalidantes
associées au vieillissement, ou de
leur traitement.
Stevens et Burke montrent que le nombre
d’adénomes, de cancers in situ et d’adénocarcinomes coliques diagnostiqués
augmentent avec l’âge, prouvant que
l’âge ne peut être un paramètre suffisant pour justifier l’arrêt du dépistage
coloscopique (4).
De même, la surveillance coloscopique
régulière, après une première coloscopie de dépistage normale, en permettant
la découverte et l’ablation de polypes
dans plus de 20 % des cas avant le stade
de cancer, doit être poursuivie après
65 ans (2).
Des indications motivées
par un réel bénéfice
Cent cinquante-sept coloscopies réalisées
chez des patients âgés de plus de 80 ans
(en moyenne 83 ans et extrême de 94 ans)
ont été étudiées rétrospectivement. Cet
examen était principalement motivé par
la recherche d’un saignement d’origine
digestif, occulte ou symptomatique sous
la forme d’une rectorragie. La faisabilité
de l’examen et sa tolérance étaient excellentes. Dans 76 % des cas, un diagnostic
étiologique était posé prouvant l’intérêt
majeur de cet examen dans ce groupe
d’âge (6). Une étude autrichienne prouve
l’intérêt de la coloscopie chez le sujet
de plus de 80 ans devant le faible nombre
d’examens normaux à cet âge, la fréquence élevée des diagnostics étiologiques et surtout le nombre important
de cancer colo-rectaux découverts. Cet
intérêt était majoré par la possibilité de
proposer, malgré l’âge, un traitement
173
Le sujet âgé
Le sujet âgé
chirurgical curatif dans 55 % des cas et
palliatif dans 9 % (2).
Quel que soit l’âge, la surveillance coloscopique après traitement d’un cancer
colique non métastasé entraîne un bénéfice en terme de mortalité. Par rapport à un
groupe contrôle non suivi, apparié en
terme d’âge, de modalité thérapeutique,
de stade au moment du diagnostic, la surveillance coloscopique permet de diminuer le risque de mortalité de 43 % à
5 ans (7).
Des indications spécifiques
La perte de poids inexpliquée est un motif
de consultation fréquent en gériatrie. Une
équipe lilloise a montré, sur 77 patients
âgés de 80 ± 8 ans, hospitalisés pour un
amaigrissement inexpliqué que l’œsogastroduodénoscopie systématique permettait, en l’absence d’orientation clinique, de poser un diagnostic étiologique
dans plus de la moitié des cas. Huit cancers digestifs hauts, 26 ulcères, deux candidoses œsophagiennes et une actinomycose étaient retrouvés. Leurs traitements spécifiques permettaient une
reprise de poids dans 70 % des cas (8).
La fibroscopie œso-gastroduodénale
permet également de poser le diagnostic
de lésions œsophagiennes induites par
la prise de traitements oraux, particulièrement fréquents chez les patients âgés.
Ainsi, sur 250 patients de plus de 65 ans
présentant une dysphagie, une odynophagie ou des douleurs thoraciques
pseudo-cardiaques, une lésion œsophagienne induite par un traitement per os
était retenue sur les données endoscopiques. Dans 75 % des cas, ces lésions
relevaient d’une prise en charge médicale simple (IPP, anti-H2, sucralfates),
mais, dans 25 % (17 patients), une dilatation endoscopique d’une sténose était
nécessaire (9). Chez le sujet âgé, la prise
en charge des pathologies biliaires lithiasiques relève, lorsqu’elle est possible,
principalement de la chirurgie (10). Le
recours à la cholangio-pancréatographie
rétrograde endoscopique (CPRE) apparaît
cependant, même après 90 ans, comme
une technique rentable du point de vue
diagnostique, sûre et permettant un geste
thérapeutique de sphinctérotomie ou de
pose de prothèse en toute sécurité (11).
Une nécessaire prudence
La gastroscopie (FOGD) sans prémédication ni anesthésie est bien tolérée après
80 ans mais impose, surtout en cas de cardiopathie sous-jacente, une courte période
de surveillance du rythme cardiaque
après l’examen. En effet, sur 37 patients
ayant une FOGD, la surveillance de la
saturation en oxygène ne montre aucune
désaturation, mais celle du Holter rythmique met en évidence une augmentation du nombre des extrasystoles ventriculaires, notamment chez les patients
porteurs d’un allongement du ST, dans
l’heure suivant l’examen. Aucun trouble
du rythme sévère n’a été cependant enregistré au cours de cette étude (12).
La préparation à la coloscopie est une
étape toujours assez mal tolérée mais
pourtant incontournable. Après 80 ans,
l’utilisation de solutions de polyéthylèneglycol (PEG) ou de sodium phosphate
(NaP) semble de tolérance similaire en
permettant une préparation jugée endoscopiquement comme excellente dans
77 à 81 % des cas. Cependant, le PEG
reste recommandé en raison de modifications ioniques (hypernatrémie et hypokaliémie) parfois importantes induites
par le NaP (13).
Dans la pratique courante de la coloscopie en France, deux choix sont possibles : soit “coloscopie sans anesthésie”, soit “coloscopie sous anesthésie
générale”. L’âge et son cortège de
comorbidités associées sont parfois un
frein à cette deuxième solution. L’avenir est donc à un intermédiaire : la sédation, probablement pilotée par le patient
lui-même, à la demande (patientcontrolled sedation)…
Une équipe chinoise prouve dans une
étude prospective portant sur 100 patients
de plus de 65 ans que le patientcontrolled sedation est aussi bien toléré
et aussi actif (sur des échelles de scores
de douleurs et de satisfaction) qu’une
neuroleptanalgésie conventionnelle (14).
Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (17), nos 8-9, nov.-déc. 2003
Références
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Le sujet âgé
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