Temps et souffrance. Temps-sujet folie.

publicité
24/07/08
17:32
Page 1
Bernard Salignon
couv tps et souffrance 2008:Mise en page 1
TEMPS ET SOUFFRANCE
TEMPS - SUJET - FOLIE
Bernard Salignon
Bernard Salignon
TEMPS ET SOUFFRANCE
Dans cette nouvelle édition revue et augmentée de Temps et souffrance,
Bernard Salignon propose un parcours qui interroge la folie dans le rapport qu’elle entretient au temps et à l’espace.
TEMPS - SUJET - FOLIE
Si cette approche psychanalytique de l’être de l’homme s’adresse en tout
premier lieu aux cliniciens et théoriciens ainsi qu’à l’ensemble des travailleurs sociaux, elle n’en convoque pas moins le philosophe et l’architecte
aux points d’intersection de leurs disciplines et plus largement tous ceux
qui par leur pratique sont questionnés par l’essence de l’homme.
L’auteur: Bernard Salignon, professeur, docteur d’État en philosophie,
co-responsable du D.E.A. de psychanalyse à l’université Montpellier III,
enseigne aussi l’éthique et l’esthétique à l’école d’architecture de Clermont-Ferrand. Il est également maître de recherche en sciences
humaines au centre scientifique et technique du bâtiment.
Déjà parus:
Composer les différences, éditions Recherche, 1989
Qu’est-ce qu’habiter ?, Z’Éditions, 1992
Parménide, énigme de la présence, éditions Prévue, 1995
CHAMP SOCIAL ÉDITIONS
ISBN 2-9507438-6-2
15 €
TEMPS ET SOUFFRANCE - TEMPS - SUJET - FOLIE
Loin de rejeter la psychose dans l’inhumain, l’auteur fait de cette souffrance un mode essentiel de compréhension de l’homme. Au travers de
trois analyses de cas, ce travail montre qu’il n’existe pas d’espace habité
hors de la dimension du temps qui le déploie et lui donne sa forme.
nouvelle édition
revue et augmentée
CHAMP SOCIAL ÉDITIONS
Bernard Salignon
TEMPS ET SOUFFRANCE
temps - sujet - folie
nouvelle édition revue et augmentée
T
THÉÉTÈTE ÉDITIONS
À la limite extrême du déchirement il ne reste plus rien
que les conditions de l’espace et du temps.
Hölderlin
PREMIÈRE PARTIE
TEMPS ET SOUFFRANCE
I. LE PRINCIPE DU TEMPS
Avant d’entrer dans l’analyse de ce qui fait l’essence du
rapport de l’homme au temps, il convient de réfléchir sur le
principe (Arché) qui donne et ordonne les conditions de possibilité à l’être humain de pouvoir s’ouvrir à la temporalité.
Si par principe notre histoire a pensé ce qui est le plus originaire, elle a pensé aussi que cette origine ne pouvait se
donner que comme la première apparition. C’est pour cette
raison que la notion d’«Arché» repérée chez les philosophes
grecs oriente et induit notre réflexion.
Ce sera le but de notre entrée en matière; il sera questionné le fait de mettre ensemble l’arché et le réel et d’analyser leur rapport au temps premier et fondateur du rapport
de l’homme au monde.
Ensuite nous porterons notre regard vers la pensée physique contemporaine, car elle problématise le sens du réel
aux conditions du connaître et du savoir.
Ce chapitre portant sur les rapports du sujet au temps
s’ouvre à une compréhension de ce que peut être l’accès au
temps pour le sujet humain. Il essaie d’établir fondamentalement parlant les conditions de possibilité de l’assomption
du temps pour l’homme. Seul l’homme a ainsi pensé le
temps, il a pu le retrouver dans sa façon de concevoir la
nature qui se détermine comme forme continue du temps en
acte, la nature n’est vécue comme monde que parce que le
temps est impliqué dans sa possibilité d’être.
Dans sa compréhension de la nature, l’homme est enjoint
de penser le temps et son déploiement en monde dans une
co-appartenance indissociable.
11
L’«arché» tel qu’Aristote le pense dans la physique, nous
indique que ce concept qui a rapport à l’origine n’est pas
posé comme un concept transcendant qui organiserait du
dehors le monde en lui imposant sa loi.
L’«arché» se pense dans son rapport à ce dans quoi il est
«arché», c’est-à-dire, comme le souligne justement Heidegger, «qu’il signifie cela d’où quelque chose sort et prend
départ ensuite ce qui simultanément, en tant que cette
source est issue, maintient son emprise sur l’autre qui sort
de lui et ainsi le tient, donc le domine» (Question II, Gallimard, p. 90). Longtemps l’histoire de la philosophie a pensé
l’arché comme dans une représentation en acte de la phusis
(la nature). Nous essayons dans notre travail de voir comment l’homme se détermine dans son être-homme, lui aussi
à partir d’un point, d’un moment d’où issu, il se hisse vers ce
qui l’entraîne dans la temporalité extatique.
Il n’est pas question de prendre l’arché comme notion définie par Aristote et de le remettre dans la psychologie. Il s’agit
tout au plus de prendre l’homme comme un moment d’un
monde (le cosmos) tel que le pense la philosophie grecque.
Si «phusis» est un concept générique dont l’extension propose une idée sur la provenance des étants pris dans leur
ensemble, et sur la destinée de l’étant, il nous paraît que
l’étant qu’est l’homme n’est pas assimilable à un simple
étant parmi d’autres, mais à un étant qui se pense parmi
d’autres.
La question dont la formulation la plus simple est: «Où
l’homme trouve-t-il son “arché” ?» L’absence de réponse
immédiate amène au contraire à ne pas encore trouver une
réponse, mais à travailler cette question comme une question essentielle.
D’abord nous devons nous inquiéter sur le sens possible
d’une telle question; est-ce qu’il est raisonnable de se
demander si l’homme a un «arché», et surtout de quel type
est ce principe?
12
En ce qui concerne l’homme, l’«arché», s’il est pensable,
doit permettre de mettre à jour, à la fois la provenance de
l’être-de-l’homme et le «destiner», au sens où l’homme se
meut vers quelque chose et à partir de quelque chose. Il n’est
question, là, que de l’essence du temps pour l’être humain.
Mais avant de déplacer le problème, il faut discerner
avec plus de précision ce que l’arché veut dire et comment
les auteurs anciens l’ont déterminé par leur analyse. Si,
pour Platon, l’«arché» est à rechercher du côté de ce qui
anime l’homme, c’est-à-dire lui donne une âme, l’arché et
l’âme sont une seule et même chose, ou plutôt l’âme est
arché ; l’âme est la connaissance originaire et elle est de
surcroît la connaissance totale, sinon elle n’est rien.
Cette connaissance est par l’homme oubliée dès que l’âme
rejoint le corps, nous enseigne le mythe d’Er; il dit aussi et
surtout que l’arché perdure dans l’être et crée la soif de
connaître.
«Arché» est âme et oubli. Ces conditions font que le sujet
humain est capable de connaissance, car il conserve en lui le
désir de connaître, parce qu’il a connu, ou plus précisément
parce qu’il fut connaissance.
Mais il est vrai aussi que cette connaissance est perdue et
que l’arché tient en son arché même ce qu’il a perdu, sinon il
n’y a aucun travail de la part du sujet, ni non plus aucune
dimension temporelle; tout est présent là depuis toujours et
pour toujours.
Le fait qu’aucune perte ne se produise équivaut en terme
structurel à une impossibilité pour le sujet de se repérer
dans le temps, n’ayant pas accès à ce qui serait de l’ordre
d’une remémoration, ou pour parler en terme platonicien,
d’une réminiscence.
Les conséquences, ou pour être plus précis, les ouvertures
de l’«arché» pour le sujet, conduisent à repenser le rapport
originaire de l’être au temps, du fait qu’à tout moment, pour
tout sujet, il y a du temps.
13
La possibilité de réfléchir à l’ouverture de l’être au temps,
est que le sujet humain a cette possibilité de s’ouvrir au don
du temps. Mais le temps, lui, s’offre à tous d’une manière
identique, car le temps n’est rien, il n’est pas un étant, il
n’est même pas le temporel, il n’est pas l’idée du temps
comme représentation du temps que nous concevons plus
tard dans la vie courante. Car pour comprendre l’idée du
temps, il faut se tenir dans le temps, au milieu, en son sein.
Il faut être celui à qui échoit en partage le temps, qui lui ne
se partage pas, car le temps n’est pas une chose. C’est vrai
que l’on dit prendre ou perdre son temps, mais on ne dit rien
du temps, on dit seulement quelque chose de son emploi du
temps. Le temps lui, ni ne se prend, ni ne se perd.
Le temps demeure ce qui au fond n’est pas modifié par les
expériences de l’homme. Le temps n’a pas souci de ce qui se
passe, ni n’est altéré par ce qui peut advenir. Le temps
demeure intemporel. Le temps est accessible dans l’expérience elle-même, car il n’y a d’expérience que si celle-ci suppose un essai vers le dehors, l’extérieur; le temporel est ce
qui rend possible une extériorité qui s’égale au temps à
venir. Nous disons donc que le temps n’est pas identifiable à
sa mesure. La mesure n’est qu’une des modalités de se
représenter le temps; en définissant une unité de temps, je
ne fais pas de progrès dans la connaissance de l’essence du
temps. La mesure est incapable de répondre à la question:
pourquoi y a-t-il temps? La mesure fait l’économie de l’entrée en présence, le rapport de l’homme au temps.
Nous désirons poursuivre le travail en questionnant ce
rapport. On peut faire une différence entre le fait de dire: il
y a temps et le temps passe. Car la première définition
donne un aperçu sur un «donner» immuable, c’est-à-dire que
pour l’homme, il y a temps, et la seconde donne un aperçu
sur ce en quoi consiste le temps. Mais nous ne pouvons pas
comprendre l’une des deux propositions si nous ne comprenons pas l’autre en même temps. Le temps qui passe ne va
14
pas vers un but, ni ne provient d’un point; le temps est dans
le «passer»; l’essence du temps contient le sens du «passer».
Le temps dévoile en tant qu’il passe ce qui se donne dans le
«passer». L’être du passer serait du côté de l’éternité, du présent, comme ce qui nous relie au sens du passer. Parce que
l’essence du temps est de passer; le présent dans notre rapport au temps est perpétuellement ce qui me soumet au
«passer».
Le présent donne mon rapport au temps dans une détermination intime qui me permet, en retour, d’accepter ce passer comme l’essence du temps.
On ne peut pas supposer que l’homme doit d’abord comprendre les choses qui passent, qui évoluent, qui se transforment, qui meurent, pour pouvoir comprendre l’essence du
«passer».
L’homme est celui qui réside dans et sous le temps. Il est
évident que l’enfant n’a pas magiquement accès au temps
comme tel, il a accès à travers la perte originaire et au désir
qu’elle ouvre à l’effet-cause du temps pour lui. On pourrait
dire que le temps vient le chercher, vient vers lui. L’expression: «Il y a temps» nous enseigne sur le «passer» comme
véritable temps et c’est parce que je comprends ce «passer»
que les choses ont un sens et non l’inverse.
Rien ne peut faire saisir l’essence du temps si d’emblée
l’homme n’est pas sous le rapport du temps.
En reprenant les propos de Heidegger dans Question IV,
nous pensons que l’être qui se donne dans le il-y-a-temps est
la donation même. Si le temps est aussi ce qui se donne
comme donation, l’homme est celui qui accueille le temps
avant de pouvoir accueillir quoi que ce soit d’autre. Le
temps est ce qui fonde la possibilité de l’être humain d’accueillir ce qui lui est offert au sens, au regard, à l’écoute.
Le temps est aussi ce qui permet d’approprier le monde,
parce que le propre est temps. Le temps approprie l’homme,
il devient le propre de l’homme.
15
II. LE RÉEL ET LA QUESTION DU CONTINU
La physique des particules a mis en évidence la tromperie des sens, c’est ainsi que la continuité de la surface
d’une table, sa délimitation dans l’espace, sa stabilité
structurelle dans le temps sont autant de propriétés qui
n’auraient plus de consistance si nos perceptions se
situaient à l’échelle des particules élémentaires.
La même table nous semblerait faite essentiellement de
vide et çà et là apparaîtraient des amas de molécules en
état d’agitation dont les distances parcourues seraient
grandes par rapport à leur dimension.
En même temps que cette réflexion physique sur le
microscopique, deux chercheurs ont travaillé sur ce que
l’on nomme la réalité perceptible par nos sens; ce sont
Cohen aux États-Unis et R. Thom en France, avec respectivement une théorie sur le continu et une sur la morphogenèse avec la théorie des catastrophes.
On peut expliquer la morphogenèse si, en partant d’une
forme matérielle donnée, on procède à sa destruction, en
cassant sa forme on obtient une nouvelle forme ou plus
exactement des formes nouvelles. La brisure, on l’a longtemps vu en physique classique, s’arrêterait à ce que l’on
nomme l’atome: l’insécable qui serait le réel au-delà
duquel il n’y aurait plus de forme possible obtenue par brisure.
C’est un des rêves entretenus par la science, que l’on
puisse un jour atteindre et expliquer ainsi le réel.
Mais la physique moderne est plus modeste; elle pense
que le réel en tant que tel est inaccessible; il est ce point
16
idéal que rien ni personne ne peut atteindre; il serait donc
inexplicable.
La physique actuelle explique et ordonne les phénomènes
à l’aide des théories de la modélisation où tout modèle s’accompagne d’une réduction et d’une destruction du réel dont
elle essaie de parler. On peut parler d’une approche du réel
par deux voies: l’analyse et la synthèse.
Andrillat écrit dans un article sur le problème du
continu: «L’analyse est une approche microscopique qui
débouche actuellement sur la physique des particules élémentaires. La table est un ensemble de molécules, les molécules des ensembles d’atomes, les atomes des ensembles de
particules élémentaires, tels les neutrons, les protons, ces
derniers des ensembles de quarks, et l’on commence à envisager aujourd’hui que les quarks ont peut-être des constituants encore plus fondamentaux. Cette hiérarchie d’ensembles est-elle illimitée ou non à l’insécable, au continu
absolu?
La synthèse est à l’opposé une approche macroscopique
éventuelle de réel. Une planète est un élément d’un système
stellaire qui est lui-même une galaxie, appartenant à un
amas, lui-même élément d’un super-amas. Cette hiérarchie
ascendante utilisant les méthodes observationnelles de l’astronomie et les méthodes théoriques de la cosmologie, estelle une approche différente du réel?»
Les deux méthodes ainsi conçues sont une tentative pour
approcher le réel — chacune des étapes ayant le caractère
d’un ensemble d’éléments plus fondamentaux. Il convient de
porter un regard sur ce que représente la théorie des
ensembles d’un point de vue mathématique.
Le Réel, en physique et en mathématique, n’est pensable
que comme théorie de l’ensemble et l’ensemble est un moyen
d’expliquer à la fois la structure générale et le point particulier sur lequel on porte son regard. Tout ensemble articule
cette problématique.
17
Téléchargement