Le Secteur informel: quelle place pour les femmes? Cas de la

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c*},ft« ^ ¿ 3 ¿np-.fî.
Distribution limitée
Original français
2 0 MA! 1990
FEM. 6
ORGANISATION DES NATIONS UNIES
POUR L'EDUCATION, LA SCIENCE ET LA CULTURE
LE SECTEUR INFORMEL
QUELLE PLACE POUR LES FEMMES ?
S&L
(Cas de la Tunisie)
0
L
Etude réalisée par \jü
TO
COL-T
2022
n
*",
L'INSTITUT EL AMOURI
TUNIS - DECEMBRE 1989.
Les vues exprimées dans ce document, le choix des faits présentés
et les .jugements portés- sur les faits n'engagent que l'auteur et ne
reflètent pas nécessairement le point .de vue' de l'Unesco.
S O M M A I R E
Page
I.
SYNTHESE
1
II. VERS UN NOUVEL ESPACE ECONOMIQUE
15
1- L'optique dualiste
19
2- L'optique systémique
26
3- Conclusion . . .
28
III. LE SECTEUR INFORMEL EN TUNISIE
31
1- Secteur refuge ou nouvelle panacée
32
2- Genèse
35
3-.Définition, et typologie
37
4- Importance du secteur non structuré
41
5- Une économie adaptée
47
IV. LA FEMME ET LE SECTEUR INFORMEL
53
1- Vers une nouvelle exclusion
54
2- L'exclusion redoublée : la femme dans l'agriculture
57
3- La femme dans le secteur alimentaire
71
4- La femme dans le secteur textile
.
82
V. QUELLES INITIATIVES POUR AUJOURD'HUI ET DEMAIN
1- Pour une nouvelle approche
90
91
2- Secteur informel et planification
111
3- Valorisation de la participation de la femme
114
4- Rôle des intervenants
117
VI. BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE ET CHRONOLOGIQUE CONCERNANT LA
TUNISIE
121
- 1 -
I.
S Y N T H E S E
- 2 -
Au lendemain des indépendances des pays souo-développés, l'unanimité
régnait chez les experts comme chez les décideurs, quant au diagnostic à poser à propos de leurs économies, et aux remèdes à prescrire
pour les faire accéder à un niveau supérieur de développement.
Le diagnostic ne tolérait aucune contestation. Ces économies axées
sur la subsistance et l'auto-consommation, et où prédominait la
valeur d'usage, souffraient d'un sous-équipement, d'un sous-emploi
de la main d'oeuvre et d'une faible productivité.
Une forte croissance économique devait impulser la processus d'accumulation générateur d'investissements et créateur d'emploi s.Seul un
secteur moderne structuré pouvait réaliser cet objectif, à condition
de former au préalable la main d'oeuvre et les cadres à leur futur
emploi. Mais bien vite, il a fallu se rendre à 1'évidence et déchanter: le remède miracle n'a pas eu l'effet escompté.
Le secteur moderne qu'on avait créé pour supplanter et réduire les
importations avait eu aussi comme résultat la conquête par les entreprises étrangères d'une partie du marché, jusque-là satisfait par les
productions artisanales. Des activités économiques et des emplois furent alors menacés. De même, la croissance enregistrée révélait un
processus capitalistique, une volonté de substituer le capital au
travail. L'emploi manquait au rendez-vous et, on notait que la proportion des salariés dans la population active stagnait, si elle ne
- 3 -
baissait pas.
Ce recours intensif au capital était d'autant plus dommageable
qu'il fallait, sans cesse,contracter des prêts internationaux.
En résumé, le secteur moderne se révélait incapable d'absorber
la main d'oeuvre dégagée de 1'agriculture, et encore moins les
emplois rendus nécessaires par da poussée démographique. Le salariat qui devait s'imposer, restait minoritaire.
La croissance se payait par une dépendance accrue/et îles économies,
rendues fragiles, supportaient de moins en moins le poids écrasant
de la dette. Une part de plus en plus importante? des recettes
d'exportation devait lui être réservée, et elle représentait
une proportion de plus en plus élevée du PNB.
Face à cette déroute s'opérait une régulation en dehors de l'Etat,
de ses réglementations et des sources officielles de financement.
Des activités microscopiques faisaient preuve de dynamisme et
d'adaptation. Leurs capacités de produire, de former et de distribuer des revenus avaient attiré 1'attention et suscité l'intérêt des chercheurs et des organisations internationales, particulièrement de la Banque Mondiale et du BIT. C'est ainsi que sont
apparusdans la littérature consacrée à ces activités, les termes
de "secteur et emploi informels" qui seront contestés et auxquels
on substituera d'autres appellations: secteur non structuré, circuit inférieur, économie de bazar, secteur marginal.
- 4 -
Le débat lexical va se doubler d'une opposition théorique entre
les tenants du dualisme et les défenseurs- d'une vision systémigue. Les dualistes s'intéressent à 1 'anatomie'du réel gui comporte, selon eux, deux formes d'activité, l'une organisée ,
structurée, et l'autre informelle, non structurée.
Pour étudier scient ifiguement chagüe réalité, les dualistes posent a priori des critères, et ce, pour regrouper un ensemble
homogène d'activités. Leur préférence pour les études empirigues
et leur attitude évolutive et réformiste font gu'ils jugent les
activités informelles capables de jouer un rôle positif, dans la
mesure où des conditions favorables leur sont offertes.
Par contre, les études systémigues considèrent que la réalité
est un tout complexe gue les chercheurs abordent sous 1'angle
physiologique. L'analyse des relations entre les différentes
formes de production, de leurs interactions et de leur hiérarchisation, doit aboutir à la saisie de Iß globalité. Les activités
informelles non capitalistes sont soumises au capital et permettent de le revaloriser. Elles ne peuvent évoluer que dans le
cadre d'une transformation des relations au niveau global, ce gui
manifeste clairement 1'aspect radical de cette optique.
En fait,derrière leurs oppositions, ces deux points de vue acceptent les principes et les catégories de la théorie économique
classique. Mais , ils omettent de se poser la question des limites de cette théorie.
- 5 -
Les activités économiques informelles contestent et dépassent
le choix et les modèles établis par les experts et les décideurs.
%
'
Il's'agit, selon nous, d'une économie alternative, autre et
différente. L'entreprisemicroscopique vise à persévérer dans
son être, à se reproduire et à croître,- toutefois, 1 'accumulation n'est jamais un but, et 1'objectif primordial reste l'adaptation pour survivre.
Les sociétés sous-développées, déstructurées, sont des sociétés
à deux vitesses. L'une officielle, se situe dans le jeu::économique mondial qu'elle subit, l'autre se veut indépendante et
témoigne .d'une voie différente d'être, d'échanger.
Cette altérité, cette rupture, appellent à élargir le champ
de la pensée économique, et à relativiser les théories et
les concepts.
Enfin, il est établi, aujourd'hui, que les appareils statistiques, inspirés et guidés par les catégories économiques classiques, laissent échapper une partie de la production, particulièrement celle du secteur informel, et identifient et discernent
mal les populations actives. Bien des personnes classées comme
sous-employées sont, en fait, sous-rémunérées.
L'étude du secteur informel en Tunisie, menée par 1'Institut
National de la Statistique, avec la collaboration de J. Charmes,
- 6 -
a, en effet, démontré que la production nationale brute serait
revalorisée de 10% si on intégrait le secteur informel urbain
et localisé. Qu'en serait-il si une étude exhaustive était réalisée pour englober la totalité du secteur non structuré
(urbain non localisé, rural localisé et non localisé)?
De même, la révision de la définition de la population active,
particulièrement féminine, établie par le BIT, permettrait de
mieux rendre compte de 1'apport des femmes au développement.
A ce titre, l'exemple de la Tunisie est assez significatif.
L'étude menée en 1976 par 1' Institut National de la Statistique
a permis de situer le secteur informel•dans l'ensemble des bran? ches économiques et de mesurer son impact sur 1'économie tunisienne. Il a été ,ainsi, confirmé que le secteur informel est une
source importante- d'emplois .- en 1980, il représentait 39,3% de
l'emploi non agricole, soit plus que la fonction publique et le
secteur public réunis (329 000 emplois contre 3ÇO. 000).Les apprentis et les aides-familiaux constituent plus de 50% de la population occupée dans le secteur manufacturier, où la concurrence
est intense. Ces apprentis reçoivent une formation sur le tas,
ce qui constitue pour ces exclus du système éducatif de l'enseignement primaire, une véritable aubaine.
L'apprentissage présente une forte ressemblance avec 1'initiation.
La motivation et l'intérêt de 1 'apprenti le guident dans son par-
- 7 -
cours. Il observe, pratique et s'approprie le métier, à son rythme,
sans jamais être menacé d'exclusion.
Cet apprentissage, d'un métier
et non de simples gestes techniques, reste la voie royale pour les
meilleurs qui finiront comme indépendants et ouvriront leurs pro-
*•
près'établissements.
Un chiffre illustre le rôle des petits établissements
(moins de lO
personnes) : 75% des apprentis formés par le secteur privé, le sont
dans le secteur informel.
Enfin, le secteur informel peut soutenir, sans crainte, toute comparaison avec le secteur organisé. J. Charmes a établi, que dans la
branche du bois,
et par rapport au secteur organisé, le secteur
informel représente :
- 1,9 de l'emploi
- 1,1 du chiffre d'affaires
- 1,5 de la valeur ajoutée (et,
d'apprentis)
- 4,3 des
ce, malgré le taux de 31%
bénéfices.
Le secteur informel est donc,
le secteur moderne,
tout .au moins aussi compétitif que
organisé. Il
maximale, par l'artisan,
tient sa force de 1'utilisation
de ses moyens,
tion et de son effort d'innovation.
de son sens de l'adapta-
Sa part dans la production est
notable : la branche manufacturière verrait
majorée de 46% si l'on
sa valeur ajoutée
décidait d'inclure celle du secteur informel,
ce qui entraînerait une augmentation de 10% du PIB . De combien
devrait-on majorer le PIB si l'on calculait et y incluait la valeur
ajoutée de la totalité du secteur informel ?
La même tendance à déprécier la richesse nationale se retrouve au niveau du calcul du tau
- 8 -
d'activité, notammant quand il s'agit des femmes.
En effet, alors que la campagne se vide de ses hommes, partis à la
recherche d'un emploi pour une durée plus où moins longue, qui dans
le bâtiment, qui dans le pays voisin, la femme paysanne s'oblige à
prendre la relève. Elle travaille aux champs, construit la maison,
ou la répare, sans oublier la corvée d' eau, celles du bois -et'des
travaux ménagers, 1'élevage domestique, et tout autre travail artisanal.
Sa journée n'a jamais de fin et pourtant, au moment du
recensement, rares sont celles qui ne seront pas classées parmi
les femmes- au foyer, ou simple aide-ménagères. Tout simplement parce que son travail n'est pas rétribué ou parce que la valeur d'usage primera dans sa production. Et même si elle vendait son produit,
ce ne serait considéré' par les économistes, que comme un complément
de revenu. L' économie marchande, comme la définition de l'unité
de travail établie par le BIT, ne font qu'amplifier le préjugé
sexiste traditionnel, bien intériorisé par les femmes elles-mêmes.
Le travail d'occultation de la femme de l'activité économique, et
la
dévalorisation de su participation au développement économique,
se déroulent sans fin comme un destin.
L' exclusion est encore plus nette dans l'emploi informel. En effet,
dsins les périmètres irrigués de Sidi Bouzid, 1 'essentiel de la production est le fruit du travail des femmes, mais l'homme reste le
propriétaire de la terre et tout lui revient, le travail comme le
bénéfice.
- 9-
Bien plus, 1'élevage d'ovins,
avant la sédentarisation,
d'hui
était une activité économique;
que la femme s'occupe
D'ailleurs,
première richesse de la région,
aujour-
de cet élevage, il devient domestique.
le barème du BIT ne lui accorde jamais plus de 67%
d'unité de travail, alors que l'homme
se voit attribuer une unité
entière, même si son apport se limite à ouvrir les vannes
et à surveiller le travail des femmes,
et que, en fin de compte,
son travail effectif aux champs ne l'occupe qu'une
de
d'eau,
infime partie
l'année.
Dépossédée de son activité, de sa plus value par son mari, par
le statisticien et par 1'expert,
la femme le sera encore par
1'artisan.
Autrefois, elle tissait les couvertures, mais depuis que le métier mécanique s'est
1'usine,
répandu et que le textile a été pris par
la femme se contente de carder et filer la laine.
La valeur ajoutée, par conséquent,
émigré chez le tisserand.
Autrefois, elle confectionnait en totalité le burnous,
le tail-
leur lui laissera le tissage, accaparera la confection et la
pose de la frange. Cette partie du vêtement le différencie des autres
burnous, le rendant unique, d'une part; d'autre part, elle porte la griffe de l'artisan.
Le marchand ne sera pas en reste .- il fera
pendante de tapis, une sous-traitante.
de la productrice indé-
L'industriel,
confisquera à son profil la préparation du couscous,
et des gâteaux traditionnels, dont le marché s'est
enfin,
des épices
développé,
- 10 -
tout en insistant sur la "qualité fait
maison" de son produit.
Cette exclusion des femmes est d'autant plus regrettable., que le
secteur informel, de par sa liberté, sa soup'lesse et le faible
capital qu'il exige, constitue une planche de salut pour les plus
démunies d'entre elles.
Que faire?
Pour nos sociétés, dominées par la rareté, et où l'esprit communautaire persiste sous le vernis de 1'individualisme, l'échange marchand ne peut primer. Vouloir généraliser 1 'économie classique à
nos sociétés serait, à la fois,une erreur logique et un parti pris
idéologique. De plus, étudier les économies des pays sous-développés sans une référence à leurs structures sociales, ne peut aboutir
à des changements positifs. Et, on ne peut appréhender une société
humaine que par des concepts et des principes qui se situent à son
niveau.
Un renversement de perspectives s'impose. Les statistiques, les recensements doivent mesurer la richesse d'une nation et permettre
d'appréhender correctement ses opérateurs économiques et sa population active.
Ce but sera atteint si les outils de mesure de l'Etat, de l'économie
et des hommes,émanent d'une connaissance concrète de la réalité et
non de schémas théoriques abstraits. Ainsi, l'observation armée, les
monographies des métiers, des branches et des secteurs économiques
- 11 -
et des régions, peuvent mener à élaborer des outils de mesure pertinents et valides. Par contre, les questionnaires établis en partant de la législation, de la réglementation en vigueur et des. normes nationales ou internationales, ne peuvent que restreindre le
champ d'observation et occulter une partie de l'économie.
Ce changement dans la méthode sera facilité par le rattachement de
1'Institut National de la Statistique non au Ministère du Plan et
des Finances, mais au Ministère des Affaires Sociales. En effet,
les statistiques ne sont ni l'outil exclusif de l'Etat, ni son
bien, mais l'image qui doit être restituée à la région, aux hommes, aux organisations, bref à la société civile.
Le Ministère du Plan et des Finances, centralisateur, oublie la
diversité et reste très attaché au Budget, aux équilibres généraux,
à la fiscalité et aux entités économiques. Par contre, le Ministère
des Affaires Sociales a pour mission de s'intéresser aux hommes, aux
organisations et aux entreprises. Il pourra plus aisément impliquer
les syndicats, le patronat et les associations, pour étudier chaque
région avec ses spécificités, et faire élaborer des recensements
dans le cadre d'une planification régionale authentique. Il sera
bien plus facile pour lui de lier 1'économie à la société, et ,
d'aboutir à un développement des potentialités régionales, qu'elles
soient du type organisé, structuré, ou du type informel, non structuré.
- 12 -
En résumé, il est nécessaire â'aborder les.problèmes économiques et
sociaux du développement, de façon moins centralisée, moins directive, et d'opter pour une régionalisation, afin de respecter la diversité,et,la liberté d'initiative et d'entreprise. Le réseau actuel,
centralisé, doit laisser la place à un réseau ouvert, décentralisé
et multipolaire.
Dans cette perspective, les femmes pourront voir leur participation
à 1'activité économique, reconnue et reconsidérée, par une définition
plus appropriée de leur production et de leur activité économique.
Des actions pourront renforcer leur position. Ainsi, la généralisation des réservoirs d'eau pluviale résoudra-t-elle, au moins en partie, la corvée d'eau dans certaines régions. De même, l'Office de
1'Artisanat pourra constituer un large réseau de diffusion des produits de 1 'artisanat féminin, et les libérer de la contrainte des
marchands et des grossistes.
XI devient donc nécessaire de revoir le rôle de l'Etat, de la région
et des ONG dans le cadre d'une perspective de respect et d'intégration du secteur informel et de la participation économique des femmes.
Dans cette optique, l'Etat cessera d'être le régent de l'économie, le
dispensateur d'ordres et la -manne de subventions et de crédits ,pour
devenir le vigile qui observe les changements, diffuse les informations , et le catalyseur qui suscite les rapprochements et les échanges.
De même, il veillera à respecter la liberté et l'initiative
- 13 -
tout en sauvegardant 1'intérêt national. Pour ce faire, il mettra à la disposition de tous les agents économiques, les compétences de ses instituts et de ses services techniques, qui se
garderont d'imposer leur point de vue et leurs méthodes et 1 'in-sv
térêt propre à l'appareil d'Etat. Ses aides au secteur structuré
seront plus étudiées. Les crédits, les privilèges fiscaux, seront
liés au rapport entre production et emploi, exportation et importation. Ainsi, seules les entreprises bénéficiaires, celles qui
réussissent à avoir un solde net positif en devises, mériteront
un traitement spécial; les autres seront à pied d'égalité avec
le secteur informel et devront subir la loi du marché.
Quant à la région, elle cessera d'être le représentant de l'Etat
central, pour être un véritable centre d'initiatives et d'actions
qui doivent mener à un véritable développement spécifique. La
faiblesse de ses moyens lui évitera les ambitions démesurées et
la tentation du pouvoir providentiel, créateur de dépendance et
de l'esprit d'assisté. Elle devra être 1'animateur qui mobilise
les ressources humaines disponibles (instituts universitaires
de formation, associations, cadres en activité et retraités),
pour les mettre en contact avec les opérateurs économiques et
les faire participer à l'établissement d'un plan de développement régional.
- 14 -
Enfin, la région sera l'interlocuteur et le défenseur des forces économiques et sociales, auprès de l'Etat central, et cherchera à coordonner les actions avec les régions voisines, 'ou celles gui connaissent des problèmes similaires.
Quant aux ONG, elles sont indispensables pour inscrire l'effort de
développement auto-centré dans un cadre international. De plus, par
leur vision objective et par leur effort d'empathie, ces organisations
pourront aider à trouver des solutions, des soutiens ou des aides adaptés aux groupes-cibles. Leur apport sera d'autant plus précieux,
qu'elles permettront de connaître les expériences vécues par d'autres
régions et par d'autres pays, et qu'elles s'attacheront à développer
la formation humaine pour mieux intégrer la technique, et réduire la
dépendance à 1'égard des économies dominantes.
- 15 -
II. VERS UN NOUVEL ESPACE
ECONOMIQUE
- 16 -
Dans les années 70, les observateurs et les praticiens de la
planification ont pris conscience que les moyens d'investigation ne peuvent couvrir la totalité de la réalité économique
et de 1'emploi dans les pays pauvres et en voie de développement.
L'appareil statistique et conceptuel a fait problème. Le modèle
de développement lui-même a été remis en question.
Au lendemain des indépendances un diagnostic des économies des
pays en développement prévalait : faible niveau de la.formation
des agents, faible productivité, chômage déguisé,sous-équipement.
Pour combler ce retard la voie royale préconisée était l'industrialisation, le développement d'un secteur moderne, l'adéquation entre
formation et emploi. L'industrie et le secteur moderne devaient
absorber le surplus de la main d'oeuvre dégagé du monde rural et
du secteur artisanal traditionnel.
L'accumulation du capital, l'épargne devaient favoriser l'investissement et multiplier l'emploi salarié. La réalité .s'est révélée
différente. L'investissement a été orienté vers les équipements-,
le gain de productivité, plutôt que vers l'emploi. L'impératif de
maximilisation du profit a joué chez les investisseurs, qu'ils
soient privés ou industriels, nationaux ou étrangers.
- 17 -
L'exode rural continue : comment sont occupés ces migrants,
d'où tirent-ils leurs ressources ?
Un ensemble d'activités non recensées jusque-là a absorbé le
surplus de population active non intégrée au secteur moderne,. "-'
a distribué des revenus et a échappé à l'appareil statistique
classique.
•Il a fallu reconnaître que les dichotomies moderne-traditionnel,
urbain-rural sont inopérantes, que l'emploi ne peut être.défini
à partir de la seule division des tâches mais implique l'analyse de la hiérarchie des rôles sociaux; enfin, l'emploi ne.peut
être séparé du revenu dans les sociétés sans sécurité sociale
et où le salariat reste minoritaire.
De ce fait, le secteur informel, qui vise à satisfaire les besoins
essentiels, et qui crée des emplois à un moindre coût, a revêtu
un caractère stratégique de par sa fonction de formation et
de répartition des revenus, de par son.rôle " technologique ",
ainsi que de par ses effets d'entraînement et d'élargissement
du marché intérieur.
En résumé, la réalité du secteur informel a poussé à un renversement de perspectives : une économie auto-centrée plutôt qu'une
économie extravertie qui privilégie l'emploi et les revenus,à
la croissance de la production, et qui adopte une optique de la
demande et non celle de l'offre de l'emploi.
- 18 -
Parler de secteur implique une réalité organisée régie par ses
propres lois de fonctionnement, mais en ajoutant " non structuré ", " informel " on aboutit à un antagonisme
: " non struc-
turé ", " informel " désignent un ensemble inorganisé, chaotique.
Faut-il renoncer au terme secteur et parler de forme de production ou garder ce terme et parler de secteur " non officiel " ?
De même les~catégories utilisées tel que " apprenti ", " travail
" activité ", ne recouvrent pas la même réalité en Europe et en
Afrique. L.'apprenti africain n'a ni le même statut ni le même
rôle qu'en Europe. Les termes " travail ", " activité ",
n'impliquent pas nécessairement une rémunération pour une personne qui différencie mal travail productif de travail domestique.
A vouloir uniformiser et normaliser termes et statistiques,
on perd la spécificité des pays ou des continents.
-• 19 -
1. L'optique dualiste
La vision dualiste pose a priori l'existence de deux secteurs
étrangers l'un à 1 ' autre, malgré les échanges qui peuvent se
. ••-•
produire entre eux.
Le premier secteur dit " moderne ", doté d'une organisation
efficace, régi par la rationalité économique, respectueux de la
légalité et de la réglementation,atteint un niveau appréciable
de productivité.
Sa transparence, son homogénéité ainsi que sa conformité au
modèle régissant l'appareil statistique des recensements, permettent d'établir une nomenclature claire et en font l'objet d'étude
privilégié , si ce n'est exclusif, de l'appareil d'Etat et des
planificateurs.
Le second secteur dit " informel " serait son négatif : faiblement
organisé, dominé par les relations familiales, enfreignant à la
légalité et peu productif.
Opaque, fluide, instable, il échappe aux circuits officiels et
cadre mal avec les concepts classiques et les outils de mesure.
L'autorité tolère son existence mais le néglige, l'exclut de sa
politique économique; les planificateurs le délaissent et l'ignorent.
- 20 -
Pour approcher., malgré tout, ce secteur, certains chercheurs
partent de cette conception a priori précise (le négatif du
secteur formel ou moderne), pour définir un-champ homogène par
le recours à des critères.
Les travaux ont cherché à affiner les..critères empiriques pour
dégager des sous-ensembles homogènes.
Ces critères peuvent être groupés en quatre types :
I. Critères techniques et économiques
Sept critères ont été retenus :
1.
2.
3.
4.
5.
facilité d'accès;
emploi des ressources locales;
propriété familiale de l'entreprise;
échelle restreinte des opérations;
techniques adaptées et à forte intensité de main
d'oeuvre;
6. qualifications acquises en dehors du système scolaire;
7. marchés échappant à tout règlement et ouverts à la
concurrence.
Les critères empiriques laissent échapper la spécificité du
secteur informel et s'attachent aux caractéristiques les plus
apparentes qui permettent a priori de dénombrer les activités.
- 21 - •
Le souci statistique semble l'emporter sur l'économique.
Ainsi sont mis de côté la nature de la production (valeur
d'échange ou valeur d'usage), la division technique et sociale" du travail dans l'entreprise, et la piace de ces unités
dans le procès d'accumulation.
II. Critères de l'organisation
,
Certains travaux se fixent comme champ d'investigation, l'organisation.
On retrouve la dichotomie propre aux analyses dualistes. L'organisation " formelle " se réfère au " management " (division du'
travail , pouvoir de contrôle, échelle des salaires, qualifications, contrôle de la qualité).
L'organisation " informelle " se réfère plutôt aux relations
sociales .
En fait, dans toute société, une frange de la population vit
dans l'illégalité (contrebande, recel...). Une autre partie
de la population voit sa force de travail socialisée en l'absence d'assurances sociales. Quant aux activités productrices,
à valeur d'usage, elles impliquent- une relation directe entre
le producteur et l'acheteur et sont organisées hors marchés.
- 22 -
Enfin, les unités intégrées dans le marché sont soumises à la
concurrence, et l'organisation renvoie soit à la sous-traitence
par rapport au capital, soit à la régulation par le marché,
r
soit à la protection de l'Etat.
III. Critères du travail
D'autres études se sont préoccupées des individus, et ont examiné le secteur informel sous l'angle de l'emploi.
Des tentatives pour dénombrer les petits métiers ont abouti à
des inventaires confondant le statut, la branche et la profession.
D'autres .encore, ont cherché à recenser de manière exhaustive les
métiers " informels ". L'enquête menée à Ouagadougou, en Juin
1976, répertorie 91 métiers.
L'établissement de telles nomenclatures ne suffit pas pour définir un objet d'étude, et ne permet pas de comprendre l'emploi;
d'où le recours à un critère posé a priori pour définir l'emploi;
le travail.
- 23 -
IV. Critères du revenu
Les populations concernées par le secteur informel luttent pour
leur survie et occupent une situation marginale. C'est pourquoi,
certaines études ont estimé plus judicieux d'aborder le secteur
informel sous l'angle du revenu et de la marginalité.
Trois études semblent typiques de ce courant.
a) L'étude sur la ville de Mexico
a permis de définir cinq
groupes de marginaux à partir du critère de revenu inférieur
au minimum légal, (ces marginaux représentent le tiers des travailleurs).
- marchands ambulants;
- travailleurs non qualifiés des services (portiers,
garçons de café);
- travailleurs non qualifiés de la construction;
- travailleurs non qualifiés de la production (tanneurs , charbonniers...);
- agriculteurs, éleveurs et travailleurs des champs.
b) L'étude du BIT sur la République Dominicaine (1975)
,
basée sur un questionnaire, a permis de classer les ouvriers
par branche d'activité et de mesurer leur degré de sous-ùtilisation. Elle a abouti à trois catégories :
(1) Garcia, Oliveira et Stern, Migration et marginalité professionnelle, dans la ville de Mexico, in " Espaces et Sociétés
Juillet 1971.
(2) BIT, Generación del empleo y crecimiento, El Caso de la Républica Dominicana, Genève, 1975.
- 24 -
- les travailleurs à revenu stable (secteur formel);
- les travailleurs à revenu variable (indépendants et
secteur informel);
- les travailleurs occasionnels.
r
Les travailleurs du secteur informel ont un revenu inférieur
au minimum légal, subissent les fluctuations.de la demande
et sont menacés s'ils appartiennent aux secteurs de la chaussure, du vêtement et du mobilier, secteurs fortement.concurrencés par les grandes entreprises.
Par contre, ceux qui travaillent dans le secteur de la réparation sont plus stables, car ces activités apportent une complémentarité aux services modernes.
c) Cette approche par le revenu, si elle permet de mieux connaître les conditions de vie, ne peut, par contre, aboutir à un
ensemble homogène puisque les entreprises du secteur formel
recrutent un volant de main d'oeuvre occasionnel et à revenu
identique.
Conclusion
Le dualisme, dans son optique par secteur et/ou par agent,
n'atteint pas la précision requise au niveau des critères et
ne parvient pas à délimiter un domaine homogène.
- 25 -
Les connaissances auxquelles on parvient ne peuvent être appréciées dans leur portée, ni généralisées, ni même placées
dans un ensemble.
Leur postulat de base doit être remis en question : ni les:petites unités de production, ni le revenu n'ont leur signification à leur propre niveau.
C'est pourquoi certains chercheurs ont opté pour une approche
:
systémique ou totalisante.
- 26 -
2. L'optique systémique
Les études relevant de cette optique se placent dans une perspective totalisante, globalisante. Les formes de production complexes ne
révèlent pas leur signification à leur niveau. Il importe de passer
à un niveau plus abstrait de l'économie politique.
De ce point de vue, il est nécessaire de différencier :
- les services et travaux créateurs de valeur d'usage
- les activités créatrices de .valeur d'échange, mais organisées
selon un procès de production non capitaliste
- la sous-traitance, qu'elle soit industrielle, ou qu'elle prenne la forme du travail à domicile.
Cette optique a été illustrée par plusieurs études.
a) Gerry
examinant le secteur informel à Dakar, a cru nécessaire
de déterminer les rapports entre les petites activités marchandes
et le secteur capitaliste au niveau de la matière première, du
matériel, de la commercialisation, de la formation.
Gerry aboutit à la conclusion que les rapports de dépendance sont
clairs et bien établis, tant au niveau des articles (achat, vente,
transformation), qu'au niveau de l'assistance financière.
Il en conclut que la petite production ne peut subsister et trouver
son salut que dans le cadre du développement.
(1) Gerry, Petty producers and the urban economy : a case study of
Dakar, Genève, BIT, Septembre 1974.
- 27 -
b) Böse
, partant du fait que les secteurs formels et infor-
mels opèrent sur deux marchés distincts, aboutit lui aussi à
la dépendance du secteur informel, une dépendance identique à
celle-de l'économie coloniale par rapport à l'économie métropolitaine.
Bose conclut qu'il ne sera possible au secteur informel de
maximiser sa production et de réaliser son potentiel d'emploi,
qu'à la condition d'une radicale restructuration du système
économique.
(2)
c) Lebrun
souligne les rapports à la fois de dépendance et
d'ambivalence, entre les deux secteurs informel Et formel.
En effet, le secteur capitaliste maintient le secteur informel
dans une situation de dépendance, de subordination pour faire
face au blocage de son développement.
En même temps il cherche à éliminer le secteur informel dans
des branches (chaussures, transport) où il se révèle un concurrent.
(1) Bose, The informel sector in the Calcutta Metropolitan economy, Genève, BIT, 1974.'
(2) Lebrun, Mécanisme de dissolution-conservation-développement
de l'artisanat et problématique de l'éducation-formation dans
les zones urbaines d'Afrique, BREDA, Dakar, 1973.
- 28 -
d).Miras
étudie une branche : la menuiserie et la formation
du capital productif, il peut ainsi repérer les caractéristiques
des phénomènes d'épargne et d'investissement, dégager des groupes
significatifs sur le plan de l'économie productive, étudier la..,.
progression des entreprises dans la branche et l'articulation entre les unités de production. Il conclut au non fondé des théories
du développement graduel.
3. Conclusion
L'échec des théories du développement est patent. Les Etats,
les organismes internationaux cherchent des remèdes à des situations devenues explosives ou dramatiques.
Un fait émerge : à côté de l'économie officielle se développe
une autre économie, " informelle ".
L'économiste se demande si ce secteur " informel "peut être un
tremplin pour une croissance économique et un développement de
1'emploi.
Le politique s'interroge si ce secteur " illégal " ne va pas
développer un foyer qui menace à court ou moyen terme la stabilité
Les hommes soucieux du " social" " s'y intéressent en tant que voie
pour atténuer ou résorber une pauvreté dégradante.
(1) Miras, La formation du capital productif privé ivoirien, le
secteur de la menuiserie, Abidjan, ORSTOM, 1976.
- 29 -
Ces études consacrées à la question peuvent être groupées en
deux tendances :
La première tendance se réfère à une vision-dualiste de la société et définit le secteur informel comme le négatif du secteur
formel, " moderne ".
Ce secteur peut contribuer positivement à l'économie, il mérite
diêtre stimulé et aidé.
La deuxième considère que les activités s!organisent en un ensemble hiérarchisé où les activités non capitalistes sont dominées
et soumises.
Elle refuse le dualisme au nom de la globalité et cherche à dépasser la simple description pour se consacrer à l'analyse des relations entre les formes de production.
Il est donc légitime et fondé de se poser la question : lréconomie
classique s'applique-t-elle aux sociétés non développées, non
industrialisées ?
Autrement dit, quelles sont les limites de cette économie ?
Le secteur informel s'est développé en dehors du secteur moderne,
il est autre. Comment peut-on rendre compte de sa spécificité si
nous lui appliquons les concepts classiques ?
- 30 -
Bien plus, les sociétés dites en voie de développement sontelles irrémédiablement sur la voie des sociétés industrielles ?
Les structures imposées par la dépendance et/ou la colonisation
n'ont jamais concerné qu'une partie de l'économie et de la société. Les politiques économiques appliquées après l'indépendance
ont échoué.
Le secteur informel devrait être l'élément de départ d'une interrogation sur l'économie et la société dés pays en voie de développement.
C'est le signe qu'une société est en train de mettre en place
une économie "non officielle " pour assurer sa survie et contester les choix des états et des experts. Cette économie " non
officielle " est alternative en ce sens qu'elle vise la satisfaction des besoins réels en empruntant la voie et les moyens
qu'elle maîtrise et qui sont à sa mesure.
- .31 -
III. LE SECTEUR INFORMEL EN TUNISIE
- 32. -
1. Secteur refuge ou nouvelle panacée
Dans les années. 60 et 70 la Tunisie a connu une politique d'étatisation et une politique libérale; deux versants'd'une même
stratégie de développement, dont les maîtres-mots étaient : la
modernisation, l'organisation, l'industrialisation.
La stratégie préconisée par l'Etat reposait sur un projet de
société en construction; en fait,.elle a abouti à accélérer
le système de décomposition des rapports sociaux et à faire surgir et se.multiplier les résistances.
Les travailleurs se plaisaient à mettre en défaut la rationalité
productive, les agriculteurs refusaient les innovations culturales, marquant ainsi leur attachement à des formes d'organisation
et à des relations sociales anciennes.
L'état et la société constituaient deux mondes avec des normes
de .rationalité, des types de sensibilité, des échelles de valeurs différents voire contradictoires.
Avec l'échec de la tentative d'accumulation nationale, la fin
de la complémentarité entre l'agriculture et l'industrie, le
poids de la dette et le déficit du secteur public, une brèche
est ouverte. Les espaces d'autonomie se font davantage en dehors
de l'organisation et s'expriment dans le petit secteur privé et dans
le secteur informel qui voit son poids grandir dans l'économie.
- 33 -
Les travailleurs de ce secteur représentent 40% des actifs non
agricoles:. La production domestique, la petite activité marchande
et la pluri-activité qui lui est souvent attachée, permettent de
comprendre certains dynamismes économiques, et en particulier,
la stratégie de vie et de survie des urbains.
Ce secteur constitue..un mode inédit d'articulation entre l'économique, et le social, et atteste que, malgré l'importance du capital,
et de la grande industrie dans certains secteurs, l'économique est
loin d'organiser toute la société.
Le secteur informel concerne les citadins de fraîche date, qui
croient en la forte valeur de la solidarité mutuelle, et veulent
reconstituer des liens aussi forts que ceux du sang. La solidité
et le.dynamisme de ces cohésions permettent à l'individu de tisser des liens et lui offrent l'appui permanent d'alliés.
La technique importée est ajustée ponctuellement pour l'adapter
à une opération déterminée . Un "segment du processus de production peut être modifié, bien plus, une machine peut être détournée
de sa fonction initiale.
Enfin, les ateliers se transforment en centres d'apprentissage,
forment des jeunes marqués par l'échec scolaire, les dotent
d'une forte qualification..
- 34 -
Certains se plaisent à le considérer comme un phénomène
"
d'industrialisation rampante "
et à y voir un " lieu de
révélation et de foisonnement de dynamiques entreprenariales
intenses " .• D'autres y voient le lieu de " l'accumulation initiale du capital ... Une soupape de sûreté dans la mesure où
il permet au corps social de procéder aux adaptations qu'imposent les mutations de l'économie durant les périodes de
transition. "
Enfin, il serait faux de cantonner le secteur informel dans
les zones urbaines et d'oublier la participation de la femme
dans cette contestation d'un certain développement qui déracine plus qu'il n'intègre, sépare plus qu'il ne lie.
Cette participation féminine se fait-elle dans le cadre traditionnel de la répartition des rôles sexuels, ou bien les
trangresse-t-elle pour fonder un nouveau rapport entre les
sexes ?
(1) J. Charmes, Méthodes et résultats d'une meilleure évaluation des ressources humaines dans le SNS d'une économie en
voie de développement en iEanisie.. Le secteur non structuré,
quelles technologies, quel développement 1 Ed. Salambo,
Tunis, 1983.
- 35 2. Genèse
Comme tous les pays dominés, la Tunisie présentait à la fin des
années 50 une économie désarticulée.
L'état et les gouvernements avaient en charge un pays avec des
demandes sociales pressantes : une agriculture écrasée, un artisanat urbain important mais peu " productif " qui représentait
76,8% des branches manufacturières, une aspiration à l'éducation
et à la santé.
L'idéologie moderniste, l'industrialisation à outrance, choix
d'une classe politique obnubilée par le modèle occidental du
développement correspondaient peu aux moyens du pays sur le
plan matériel, humain et financier. Mais l'Etat voulait, contre
toute raison et en dépit des données sociales, imposer la suprématie de sa " technophilie " et de son ambition.
Les décennies 60 et 70 ont vu tour à tour s'affirmer la généralisation des coopératives et le libéralisme économique qui
aboutirent à une amère déception : l'agriculture ne cessa de
se disloquer et la dépendance alimentaire s'aggrava, alors que
le secteur industriel " miracle ™ s'avéra incapable d'absorber
les jeunes à la recherche d'un emploi.
- 36 -
Devant cette situation, les planificateurs, les économistes
portés par une vague à la mode, découvrirent avec surprise le
secteur " non structuré ", jusque-là méconnu, par ignorance
des dirigeants. Les statistiques descriptives manquaient, la -..•
connaissance des activités et des fonctions des petites entreprises de ce secteur faisait défaut. Pourtant, les études
étaient commandées, entreprises avec la ferveur des nouveaux
convertis. Tandis que l'Etat errait et s'essayait à s'imposer,
la société civile développait dans les aires réduites de liberté, les jalons d'une économie endogène, centrée sur les besoins
réels des hommes, utilisant les moyens disponibles, adoptant
les techniques assimilables et capables de maintenir les liens
sociaux.
Ainsi, le secteur " non structuré ". représente plus une réaction
des hommes pour assurer leur survie économique, sociale et culturelle, qu'un raté de l'économie.
- 37 -
3. Définition et typologie
L'étude de ce secteur a commencé en 1976, dans le cadre de
l'Institut National de la Statistique relevant du Ministère du
Plan et en collaboration avec l'Office de la Recherche Scientifi-.
que et Technique d'Outre Mer, représenté par un économiste Jacques
Charmes.
L'objectif visé est clair : situer le secteur " non structuré "
dans l'ensemble des branches économiques.
Nous citons trois définitions retenues dans les études et publications de J. Charmes :
" Le secteur non structuré est constitué par l'ensemble
des établissements de moins de 10 emplois dans le secteur secondaire et les services, et de moins de 3 emplois '•
dans le commerce, et par l'ensemble des travailleurs
clandestins à domicile ou itinérants. "
(1) J. Charmes, Le secteur non structuré, son importance, ses
caractéristiques et ses possibilités de promotion, INS,
Tunis, 1981.
- 38 -
" Le secteur non structuré est constitué par l'ensemble
,des activités monétaires non prises en compte par les
statistiques classiques et la comptabilité nationale. "
" Le secteur non structuré est constitué par l'ensemble
des activités non appréhendées par les statistiques
périodiques d'entreprises. "
(2)
Ces définitions reconnaissent que la théorie économique classique
se trouve être mal armée pour appréhender ce domaine; les statistiques ne disposent pas des concepts et des méthodes adéquates
d'où la nécessité de réviser les conceptions pour une collecte
rigoureuse des données.
Les activités sont réparties en deux grandes catégories selon
qu'elles s'exercent dans un local fixe, unique et prévu à cet
effet (secteur localisé), ou dans des locaux divers, dans la
rue ou à domicile (secteur non localisé).
(1) J. Charmes, Le secteur non structuré et l'économie. du développement. Nécessité de sa prise en compte et d'une reconsidération
subséquente des théories et des politiques de développement, in
séminaire sur l'économie du développement; l'analyse en termes
réels et monétaires, F.S.E.G., 27-28 Avril 1983.
(2) J. Charmes, A. Sanâa, Promotion de l'artisanat et des petits
métiers en Tunisie : une politique comprehensive à l'égard du
secteur non structuré, Ministère des Affaires Sociales, Tunis,
1985.
- 39 -
Les activités sont réparties en deux grandes catégories selon
qu'elles s'exercent dans un local fixe, unique et prévu à cet
effet (secteur localisé), ou dans des locaux divers, dans la rue
ou.p domicile (secteur non localisé).
L'ensemble des catégories constitue le secteur non structuré
au sens large, alors que seules les catégories 3 a 7 constituent le secteur non structuré au sens strict.
. 1- catégorie : Ces entreprises sont identiques au secteur capitaliste moderne quant au comportement économique, elles
s'en différencient par leur taille et leur effectif réduit.
e
. 2- catégorie : Ce qui les caractérise c'est l'emploi d'une
plus forte proportion d'apprentis et d'aides_familiaux,
leur structure et leur comportement économique.
e
. 3- catégorie : Ces formes d'activité en rupture avec la législation et les règlements font concurrence à la 2- catégorie.
. 4- catégorie : Ce qui les caractérise c'est la' mobilité des
travailleurs et la précarité de leur situation.
. 5- catégorie : Les marchands proposent des biens et services
et non une force de travail.
- 40 -
6
•
^
. 6- catégorie : Ce sont les ateliers sous-terrains, a domicile
et qui aggravent la concurrence.
. 7- catégorie : Ce sont des activités admises (tissage) pour
les femmes surtout-
Le système d'enquête de l'INS,'a été limité aux trois premières
catégories du tableau et a négligé les commerces, services, sousmétiers, et le milieu rural non agricole. Il comporte un recensement exaustif des établissements pour tous les secteurs de
l'activité économique en milieu urbain
mais ne couvre pas le
travail à domicile.
(1) I.N.S., Recensement des établissements en milieu urbain,
1976,. Tunisie entière, Tunis, 1980.
- 41 -
4 . Importance du secteur n o n structuré
. •
4 . 1 - L'emploi
r
Le tableau suivant illustre parfaitement l'importance du secteur
non
structuré :
\ ^
Formes delccaDont
Secteur non structuré Secteur non structuré Total
^ \ ^
lisation
Secteur non localisé
Localisé
>^
non
Urbain %
structuré
Rural
Urbain
Rural
Urbain
ggcteur d'act;Lvite\^^
11.526
Bois-Ameublement
8.750
Mécanique-Garages.
4.785
Métal-Forgerons 11.928
Textiles-confection
3.317
Cuir-Chaussures
Boulangerie-Patisseri'5 4.810
Autres activités div. 3.545
(Caout.Céram.Verre
Bijouterie...)
1.255
Bâtiment
Transports routiers
37.505
Conmerce de détail
Hôtellerie-Restauratioi i 10.359
3.653
Réparations
7.434
Autres services
48.161
Secteur secondaire
(ss.Bâtiment)
Secteur des services 21.445
(ss. Transport)
Ensemble des 2 secteurs
secondaire & tertiaire 107.112
(ss.Bâtiment Transport)
Ensemble des 2 secteurs
II et III
108.367.
2.760
2.379
2.004
4.862
860
47.676
630
207
1.161
Dont
Part du
SNS dans
1'ensemble
du secteur
T
Localisé
%
16.770
17.312'
5.645
41.619 101.223
4.154
5.471
3.545
-
: 13:550 •80,7 14.286 85,2
131612 78,6 11.129 64,3
: 4.785 84,8 5.645 100,0
:
59.604 58,9 11.928 11,8
3.524 84,8 3.947 95,0
4.310 78,8 5.471 100,0
3.545 100% 3.545 100,0
70,2
74,3.
54,8
72,3
54,2
63,7
27,1
12.675
4.787
26.700
11.740
44.885
10.359
6.200
25.646
102.910
28,4
53,3
75,5
38,2
97,8
98,0
68,4
480
1.321
5.763
7.790
2.547
18.212
54.749
11537
43.420
40.000
16.527
62.275
11.913
7.490
30.945
154.120
6.091
20.759
2.053
50.349
42.205 83,8 27.537
54,7
71,5
31.271
82.8SS
45.473
266.744
190.000 71,2 138.383
51,9
72,2
31.896
120.075
62.935 323.271
228.440 70,7 140.263
43,4
53,8
625
17.390
1.554
774
25.445
11.740
7.380
516
66,8
71,0
72,1
87,0
82,8
82,9
66,8
Part ôa secteur nan structurédans l'en]alo i non agricole
Sourcf2 : Recenser
nent des e tablissements en mili eu
urbain, INS, 1980.
" 1.880
4,7
0,0
54.895 88,2
11.913 100,0
4.427 59,1
11.197 36,2
55.951 36,3
39,3
- 42 -
Le secteur non structuré représente 39,3% de l'emploi non agricole soit 323.000 emplois, alors que la fonction publique et le
secteur public ne représentent que 300.000 emplois.
Répartition et croissance de la main d'oeuvre
occupée non agricole entre 1966 et
1980 par statut dans .la profession
(catégorie et emploi)
^"\^^
Année
1975
1966
Effectifs
dans la profes^T"---^
sion^-v^
Patrons associés
11.425
1980
%
Effectif
%
Effectif
%
1,9
20.600
2,4
19.240
1,9
3,8
6,7
- 1,4
Indépendants
. 75.429
12,5
153.190
17,9
188.020
18,8
6,7
8,2
4,2
Salariés
443.403
73,3
614.540
71,7
704.330
70,4
3A
2,4
2,8
Apprentis
2.971
0,5
32.630
3,8
48.290
.4,8
22,0
30,5
8,1
Aides-familiaux •
6.603
• 1,1
22.240
2,6
30.370
3,0
11,5
14,5
6,4
Apprentis +• aides familiaux
9.574
1,6
54.920
6,4
78.660
7,8
16,2
21,4
7,4
604.595
100,0
857.590
100,0
999.910
100,0
3,7
4,0
3,1
Total
Source
: .CNRS ,.Apprentissage sur le tas dans le secteur
non structuré en Tunisie, Annuaire de l'Afrique
du Nord, Paris, 1980.
En 1966, les apprentis né constituent
occupée et un patron sur quatre
pond au schéma de l'artisanat
a
que 0,5% de la population
un apprenti. Cela corres-
traditionnel, corporatiste,d'autant •
que les aides-familiaux représentent les 2/3 de l'apprentissage.
En 1975, le paysage change avec la primauté accordée à l'initiative privée. L'emploi -connaît
une croissance de 4% et les appren-
tis progressent à un taux de 30,5% alors que les salariés s'accroissent avec un taux de 2,4%.
_ 43 _
Ainsi entre 1966 et 1975, les apprentis passent de 0,5% de l'emploi agricole à 3,8% du même emploi et.chaque patron emploie
1,5 apprenti, en 1975.
L'enquête population-emploi de 1980 confirme que le phénomène a
changé d'ampleur et de signification. Les apprentis continuent
à progresser (8,1%) ainsi que les aides-familiaux, alors que la
part des salariés régresse.
L'emploi des apprentis se concentre dans les industries manufacturières (textile, chaussures, bois, métal et mécanique), dans
les services (ateliers de réparation, garages), et, enfin, dans
le commerce.
On peut même affirmer que, dans toutes les branches où la proportion des apprentis et aides-familiaux par rapport à la main
d'oeuvre occupée est relativement forte, elle a tendance à s'accroître.
L'emploi semble se développer pour tous et particulièrement dans
le secteur non formel qui se trouve soumis à une forte concurrence
(textile, chaussures, bois ameublement, réparation mécanique) et
où la proportion des apprentis et des aides-familiaux dépasse 50%.
- 44 -
4.2- La formation
La croissance du nombre des apprentis conduit à se poser la
question de la formation dans le secteur non structuré. Un
chiffre éclaire la situation : 75% des apprentis formés par le
secteur privé de l'économie tunisienne le sont par le secteur
non structuré et par l'ensemble des petits établissements de
moins de 10 personnes.
Le mode d'apprentissage le plus répandu dans le milieu rural
se prolonge : voir faire et ouïdire, transmission du savoir
faire par l'observation et la pratique.
Cet apprentissage s'apparente à l'initiation, l'apprenti doit
faire preuve d'intérêt, se montrer docile, obéissant, et oser.
Rien n'est donné. Il s'agit de conquérir, de " voler par le
regard "
les secrets du métier.
L'objectif du patron est de comprimer les coûts salariaux
pour être concurrentiel, il. cherche à rendre l'apprenti aussi
productif qu'un véritable ouvrier.
Expression populaire, sans cesse
répétée par les artisans eux-mêmes, et signifiant que le
savoir n'est jamais donné, qu'il est saisi au vol, par le
regard.
- 45 -
Le patron multiplie le nombre des apprentis; un ouvrage confié
à deux apprentis revient moins cher que s'il était confié à un
ouvrier qualifié. •
.,
Le patron cherche à éviter le départ des meilleurs, de perdre
le bénéfice de la formation, et craint la divulgation de ses
secrets. Quant à la formation au ,sein d'unités intermédiaires
(8 personnes), elle est plus spécialisée pour utiliser l'apprenti de façon plus productive et à bon marché. La rotation du
personnel est grande.
Certains critiquent ce type de formation, trop long, qui finit
souvent par mettre sur le marché des producteurs peu .qualifiés,
aggravant la concurrence (travailleurs clandestins, " casseurs " ) .
En fait, il prépare mieux au métier que la formation professionnelle très théorique, qui dure presqu'autant, mais permet peu de
maîtriser une profession. Tout juste rend-il apte à faire les
.premiers pas dans une usine. Le mérite de la formation sur le tas
est de remettre en question le système de formation professionnelle hyper-institutionnalisée, et souvent éloignée de la réalité
économique.
La formation sur le tas a au moins le mérite de ne jamais éliminer
tout en sélectionnant les meilleurs, et en permettant à chacun
d'évoluer selon son rythme.
- 46 -
4.3- Contribution à la production
Les deux enquêtes sectorielles (bois et mécanique), ainsi que
l'enquête nationale sur les activités économiques menées en 1981,
ont permis d'établir que la valeur ajoutée pour les branches
manufacturières en Tunisie, était sous-estimée de 46%, et que la
prise en compte du secteur non structuré équivaudrait à une réévaluation- de 10% du PIB.
Ainsi, une comparaison a été établie entre le secteur industriel
et le secteur non structuré pour le bois. Elle révèle que le
secteur non structuré représente :
-
1,9
1,1
1,5
4,3
de
du
de
du
l'emploi industriel
chiffre d'affaires
la valeur ajoutée (avec 31% d'apprentis)
bénéfice.
Néanmoins, la productivité par tête, le chiffre d'affaires et
le bénéfice par tête restent inférieurs.
Il faut, également, noter le coût de production élevé des industries; les coûts salariaux et les taxes peuvent atteindre 74,4%
de la valeur ajoutée. A titre indicatif, la charge salariale
s'élève de 648 Dinars Tunisiens dans l'industrie, alors qu'elle
n'est que de 229 Dinars Tunisiens dans le secteur non structuré.
Enfin, soulignons que dans les activités manufacturières non
structurées, les revenus se ventilent ainsi ' :
- 23% pour le travail
- 2% pour l'Etat
- 75% pour le patron.
(1). INS, Premiers résultats de l'enquête
triel non structuré, Tunis, 1984.
sur le secteur indus-
- 47 -
5. Une économie adaptée
Face à la politique de développement des Etats qui optent pour
l'industrialisation à outrance se dressent des unités microscopiques qui négligent la législation et la réglementation.'
L'Etat adopte l'économie marchande, recourt intensivement au Capital,
cherche à améliorer la productivité par l'introduction de technologies avancées et sophistiquées et néglige les aspects sociaux et
financiers qui résultent des " aides " et prêts internationaux.
Par contre, les petites unités, soucieuses de leur indépendance et
conscientes de leurs limites 'et de leurs moyens cherchent à mettre
en oeuvre un modèle original pour leur survie et leur développement.
Face à la technique de bulldozer qui caractérise le secteur moderne
soucie.ux de dominer et d'imposer ses exigences à la nature et aux
hommes, le secteur non officiel, "non structuré", adopte la technique d'un David, faite d'accommodement, de mesure, et'vise l'adaptation plus que la conquête.
L'objectif n'est pas l'accumulation mais la survie, la reproduction sur la même base de capital.
En ce sens, il serait erroné de considérer ce secteur comme état
embryonnaire du système moderne, et encore moins comme un négatif.
Il est simplement l'annonce d'une altérité, le signe précurseur
d'autres voies, tout comme la contre-culture révélait 1'état de crise larvée d'une société et la nécessité d'une nouvelle organisation.
• - 48 -
Ce secteur non officiel, est au moins un symptôme;pourra-t-il
être une panacée ?
Ce secteur a été vanté -pour ses capacités d'emploi, ses besoins
très modérés en capital, ses revenus distribués, ses capacités
de formation à faible coût et d'un-bon niveau, sa potentielle
autonomie technique; reste que sa productivité a souvent été
considérée comme faible, et ses techniques, à mi-chemin entre l'archaïsme et le sophistiqué moderne.
Il est légitime de se poser la question : sous cette apologie
ne peut-on déceler un mépris profond pour ce secteur qui serait
une économie des démunis, acceptée, respectée comme l'étaient
les " traditions ", les " particularités " au temps de la colonisation ?
Ce secteur mérite plus; il nous incite à nous remettre en question, à éviter l'universalisme facile," forme insidieuse de maintien et de renforcement des positions dominantes. Il doit être
étudié en lui-même, approché avec des concepts et des outils
pertinents, spécifiques. Il est à l'économie classique appliquée
aux pays en voie de développement ce qu'était l'expérience de
Michelson et Morley pour la physique classique, le point de départ
- 49 -
d'une nouvelle théorie. Einstein l'a compris et a développé une
théorie,de la relativité. Qui osera intégrer les renseignements
du secteur non structuré pour élargir le champ de l'économie
classique, qu'elle soit libérale ou marxiste ?••
5.1- Portrait-type de la petite unité de production
Nous nous proposons de brosser un tableau du secteur non structuré , particulièrement dans sa composante " petite unité de production ", et ce, à partir de quelques observations personnelles
et d'entretiens informels.
Souvent, les petites unités de production doivent leur naissance
à la volonté d'un homme de s'installer à son compte, parce qu'il
estime avoir acquis un niveau suffisant de connaissances et de
qualification dans le métier.
•Son capital provient d'une épargne personnelle, d-'un prêt familial, de la vente d'un-lopin de terre, ou de tout autre patrimoine familial.
A son démarrage, il a acquis le minimum d'outils et de machines,
parce que ses moyens financiers sont limités et qu'il est capable d'y pallier par sa compétence technique.
- 50 -
Il cherche à éviter tout ce qui peut constituer une entrave
à son indépendance et à son autonomie de gestion. Il se fera
aider et formera des apprentis. Peu à peu, il les initiera aux "techniques du métier, élargissant à chaque fois leurs tâches,
ce qui leur permettra de se relayer, de se remplacer, de se
regrouper sur une tâche, de maîtriser le processus de production
et les outils. Mais, il gardera pour lui-même ses secrets, le
réglage d'une machine centrale, les opérations liées à son
maniement, les procédés de fabrication, ses sources d'approvisionnement en matière première, et ses débouchés. Il sait que
l'essentiel du travail est assuré par les ouvriers, que luimême ne peut être impliqué de manière continue; il prépare,
contrôle, encadre et reçoit les clients.
Mais, pour pouvoir gérer au mieux son personnel, outre son refus
de le différencier par les qualifications, il veillera par son
style de commandement et d'encadrement à signifier et à rappeler
à l'ouvrier comme à l'apprenti son statut de subalterne, non par
rapport à la hiérarchie, mais en référence à son savoir-faire
et à sa connaissance du métier. Ainsi, il pourra maintenir à
un niveau acceptable les salaires, tout en s'assurant un bon
rendement.
- 51 -
Pour persévérer dans son existence, l'unité de production doit
avoir une stratégie d'accès à la technologie, et être vigilante
quant au marché, diversifier sa production,'aborder de nouveaux
marché, améliorer la qualité si on opte pour le maintien du même
produit, des techniques et de la clientèle.
Limité, par ses moyens financiers, il achètera ses machines sur
le marché d'occasion, le plus souvent, en Tunisie ou a l'étranger.
Fréquemment, il aura à l'adapter à des fonctions autres que celles pour lesquelles elle avait été prévue.
La.rareté des pièces de rechange de ce matériel obsolète l'obligera à assurer lui-même la maintenance. Il démontera, tôt ou
tard la machine pour accéder à son " coeur " et comprendre son
mécanisme central.
De ce tableau il ressort que la naissance et la logique des
petites unités sont intimement liées à la volonté de survivre,
de réduire les contraintes, plus que d'accumuler.
Le chef d'unité marque une défiance irréductible à l'égard de
l'argent (finance, commerce) au nom de son indépendance et de
son autonomie de gestion, ce qui n'est pas sans rappeler le sens
de sa propriété du petit propriétaire terrien. Son sens aigii de
la réalité, ses réflexions'd'apprenti qui doit fournir tous les
efforts, être attentif.à tout geste, tout acte, pour
capter,
- 52 -
" voler des yeux " le métier, persistent. La maîtrise, la perfection dans son art l'intéresse; la technologie en tant que
dispositifs, procédés techniques de fabrication, modes opératoires, savoir-faire, qui interfèrent dans,l'acte de produire, "'
est essentielles pour lui. Il ambitionne de maîtriser la technologie qui ne menace pas son indépendance mais renforce son autonomie, et, ce processus d'acquisition et de maîtrise lui ouvre
un large champ d'innovations.
Malheureusement, ce rapport à la technologie, ces innovations,
n'ont pas assez été mis en relief, comme si le secteur non
structuré n'était pas une activité de production, et que les
chefs de ces unités étaient incapables, malgré leur savoirfaire, d'innover.
Serait-ce parce que l'aspect marchand n'est pas seul et toujours
présent ? Serait-ce parce que le niveau d'instruction de ces
chefs d'entreprises est plutôt réduit ?
Il y a intérêt à relire l'histoire des techniques et des sciences.
- 53 -
IV. LA FEMME ET LE SECTEUR INFORMEL
- 54 -
1. Vers une'nouvelle exclusion
Que notre regard se porte sur les plaines céréalières du nord,
sur les steppes du Centre ou sur les oasis du Sud, un fait s'impose : la femme d'aujourd'hui, comme celle d'hier continue à
s'échiner aux travaux agricoles.
Cette participation visible est-elle reconnue, estimée à sa
juste valeur au niveau statistique et économique ?
Dans une économie dominée par l'agriculture où persistent la
production non marchande, domestique et le travail familial, le
double privilège accordée à la production marchande et à l'emploi'
salarié aboutit à une dépréciation marquée de la production et
de l'activité agrioole féminine. Cette occultation et cette
dévaluation sont d'autant plus aisées qu'elles s'appuient sur un
préjugé sexiste dominant dans les sociétés traditionnelles.
En effet, dans l'agriculture traditionnelle, l'homme se réserve
la position dominante, l'acte noble, et s'approprie le fruit
du travail.
Une récente enquête menée dans la région de Siliana (Centre de
la Tunisie) auprès de 305 Agriculteurs a montré que l'épouse
est systématiquement exclue des labours, tâche réservée au
chef de ménage.
Debout, l'homme mène l'attelage, laboure et sème. Courbée, la
femme moissonne ou glane.
Dans l'oliveraie, le mari laboure, taille les arbres, perché sur
- 55 -
l'échelle, il cueille les olives. Sa femme pliée, prépare les
cuvettes, ramasse les branches,. trie les olives.
L'homme est aux deux bouts du processus, il est l'alpha et l'oméga.
La vie sociale, publique, prolonge sa vie d'exploitant; la femme
quitte le.travail des.champs pour les travaux ménagers, la production de subsistance, le potager, l'élevage, le tissage.
Pourtant, dans les recensements, dans les statistiques, l'actif
c'est lui, elle est femme au foyer, elle aide, simplement.
La femme urbaine n'est pas mieux lotie. Éloignée des champs, elle
transforme le blé en couscous, la semoule en pain, prépare les
repas et assume ainsi une fonction naturelle.
Mais l'homme qui, au souk prépare des plats cuisinés pour ses
clients,.est restaurateur comme celui qui fabrique et vend du
pain est boulanger.
A la femme, 1 'effort gratuit, le travail domestiquera l'hommej
le revenu et l'activité économique.
Cette femme urbaine participe-t-elle aux travaux d'artisanat ?
Elle carde, file la laine et l'homme se charge . de la tisser
sur son métier mécanique. Elle tricote la laine pour la " chéchia ",
l'homme s'active
à lui donner sa forme définitive.
La femme accomplit les travaux de préparation et l'homme se réserve
la plus-value, il est artisan, elle ne fait qu'aider.
- 56 -
Le même processus se déroule indéfiniment et partout.
La femme tisse seule son tapis sur son métier; elle s'occupe.
L'homme fait commerce de tapis.
Elle tricote, fait de la couture, brode pour ses clients; alors
la ménagère assure un revenu complémentaire à la famille.
L'expression " travail fantôme " (Illitch) s'applique bien au
résultat de ce processus d'occultation et de dépréciation systématique de la participation des femmes à l'économie.
On justifie l'escamotage de cette participation par des concepts
tels que : fonction naturelle, activité annexe,' revenu d'appoint.
On élabore des normes à l'allure rationnelle pour quantifier cette activité en part de travail par rapport à l'activité d'un.homme.
L'inégalité se trouverait ainsi fondée scientifiquement.
En conclusion, s'appuyant sur des préjugés sexistes existants,
l'approche " scientifique " inspirée par l'économie classique,
ses concepts et ses outils, continue à masquer le travail informel féminin, et, le projet de développement moderniste aggrave
la situation des femmes et la perpétue. .
- 57 -
2. L'exclusion redoublée : la femme dans l'agriculture
Sophie FERCHIOU
(1)
a demonte le mécanisme d'occultation et de
dévaluation de la participation féminine au développement économique, en procédant à l'évaluation du projet de développement
intégré dans les périmètres irrigués à Sidi -Bouzid.
Cette région de haute steppe de la Tunisie Centrale présente
l'avantage de faire ressortir l'évolution du travail féminin dans
une société en mutation qui a connu l'économie agro-pastorale
classique, l'agriculture de subsistance, et développe une économie, agricole marchande.
2:1- La femme et l'économie agro-pastorale
Au début du siècle, la population de Sidi -Bouzid vivait de l'élevage des ovins et de la céréaliculture d'appoint. La terre de
parcours appartenait à la tribu, et le troupeau, seule propriété individuelle, pouvait différencier socialement les familles.
La transhumance rythmait la vie. En été, les familles entières,
avec femmes, enfants, troupeaux se dirigeaient vers les plaines
du Nord pour participer à la moisson et recevoir en contre-partie le dixième de la récolte.
(1) Sophie FERCHIOU, Les femmes dans l'agriculture Tunisienne,
Edisud, Cerès Production, 1985.
_ 58 _
L'automne, la caravane se déplaçait vers les oasis du Sud pour
la récolte des dattes et pour écouler la laine auprès des artisans du textile lainier du Jerid.
--•
Enfin, en hiver, elle partait vers Sfax pour participer à la
cueillette des olives.
Ainsi se- trouvaient constituées les réserves de grains, de dattes et d'huile d'olive, nécessaires à la survie, et écoulés les
produits d'élevage (beurre, viande séchée, laine).
Durant les périodes d'activité intensive (moisson, récolte, cueillette) les femmes participaient côte à côte avec les hommes.
De retour, à Sidi -Bouzid, et durant les haltes parfois très prolongées, elles se consacraient au tissage. Il ne s'agissait pas
d'un loisir mais d'une production nécessaire à la vie du groupe.
La tente et tous ses équipements étaient le produit du tissage;
les hommes avaient besoin de burnous pour se couvrir. En outre,
couvertures, tapis, mergoums constituaient une épargne et pouvaient être commercialisés pour couvrir les dépenses d'un mariage,
par exemple.
2-2. La femme et l'agriculture de subsistance
Sous la pression de la colonisation renforcée, la société tunisienne va se trouver déstructurée et l'échange complémentaire
entre groupes et régions va aller vers sa fin.
- 59 -
Les terrains de parcours vers le Nord et vers Sfax vont se rétrécir avec l'extension des fermes coloniales au Nord et l'oliveraie à Sfax. Les offres d'emplois saisonniers vont se raréfier
avec l'introduction des moissonneuses-batteuses.
Enfin, l'introduction des produits, manufacturés a mené à sa ruine
l'artisanat textile lainier des oasis. Les nomades connurent,
alors, le nomadisme de travail et de misère, et se replièrent sur
leurs terres pour devenir agriculteurs en sec, réduisant les terrains de parcours et condamnant à la régression, le cheptel. Minée
1
dans ses assises, la population entra dans un lent processus de
sédentarisation et s'engagea dans une lutte contre l'extrême pauvreté. Les femmes continuèrent à s'adonner au tissage, à la moisson, et, participèrent à l'élevage, d'autant plus qu'une partie -,
des 'hommes fut obligée de chercher du travail ailleurs.
De plus, l'arrachage de* l'alpha et sa commercialisation, autrefois,
réservés aux familles les plus pauvres, devinrent des activités
indispensables.
Les femmes, par groupe, escaladaient les pentes abruptes à la
recherche de l'alpha; l'arrachage se faisait à la main; le travail durait de six heures du matin à la fin de l'après-midi,
durant une assez longue période s'étalant de Mars à Août.
_ 6Q _
Les hommes n'y participaient;pas, se contentant de surveiller les
femmes au travail, et.chargeant les bottes sur un âne ou sur une
charëtte, à la fin de la journée, pour les faire enregistrer au
Centre de collecte, et encaisser l'argent. Parfois, ils se contentaient d'attendre au Centre, une jeune fille se chargeant de leur
livrer le produit du travail.
2.3- La femme et les cultures irriguées
Dès les années cinquante, la population creusa des puits de surface.
L'Etat développa les périmètres publics irrigués dans la décennie
soixante, mais les unités agro-industrielles ne produisirent que
10 à 20% de.leurs capacités.
Faisant suite aux projets internationaux de développement (P.A.M.,
A.I.D., F.A.O. ), un projet de développement intégré impliquant les
périmètres irrigués et les exploitations privées se fixa pour objectifs:
- d'accroître la production
- d'augmenter la productivité et les revenus des plus pauvres
- de favoriser le passage de l'agriculture de subsistance
à l'agriculture commerciale.
L'assistance technique et l'aide financière de la F.A.O., du -, .
S.I.D.A. (Office suédois pour l'aide internationale, au développement) devaient permettre d'atteindre ces objectifs et d'engager le
processus de développement rural.
- 61 .• -
Le découpage des périmètres irrigués devait marquer le passage à
la propriété privée du sol, à la recherche du profit et de l'accumulation. En fait,- le modèle social dominant, restait la parente. La-famille élargie composée du père, de ses enfants,de ses frères,
et parfois de neveux et de cousins (jusqu'à 150 personnes) constituait l'unité de vie et de production. C'est pourquoi, la distinction entre propriété (catégorie juridique) et exploitation (notion
économique) restait plus formelle que réelle, et les échanges monétaires qui pouvaient apparaître au sein de la famille élargie ne se
substituaient pas aux rapports de parenté, mais les confirmaient et
les renforçaient.
Avec ces mutations, ' les femmes virent s'élargir et s'intensifier
leurs activités. Sous l'autorité et sous la responsabilité du patriarche, secondé par quelques fils et frères, elles se mirent
à assurer les travaux agricoles. Ensemble, et sans aucune distinction, elles exécutèrent les mêmes travaux, jouèrent le même rôle,
dans la productions et eurent le même statut par rapport aux hommes. Près de 80% de la population active féminine constituaient
l'essentiel de la main d'oeuvre, alors que les hommes se consacraient à des tâches précises et ponctuelles.
De plus, le travail féminin, autrefois saisonnier, devint continu
avec à chaque jour son programme et ses obligations.
- 62
-
Aujourd'hui les travaux des femmes peuvent être classés en trois
catégories :
a) les travaux agricoles qui entrent dans la production marchande ;
b) les travaux " domestiques " d'auto-subsistance et qui
assurent un " supplément " de revenu;
c) les travaux agricoles salariés exécutés chez les agriculteurs privés et/ou sur les terres domaniales.
* a- Les travaux agricoles
Pour estimer à leur juste valeur les travaux féminins et les comparer à ceux des hommes, S. Ferchiou a établi un calendrier agricole pour les périmètres irrigués par puits de surface (vocation
céréalière), un second pour les périmètres publics irrigués (vocation mixte, maraîchère, fourragère et arboricole), un troisième
pour les périmètres à vocation arboricole.
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* b - Les travaux domestiques
La journée de travail des femmes se poursuit par le lavage des
fruits et légumes avant leur commercialisation, le désherbage, ' l"ê'
ramassage des herbes pour les bêtes et des plantes sauvages pour
la préparation de certains plats.
Ces tâches ne rentrent pas dans le calcul de la rentabilité de la
production familiale. Il s'agit d'un nettoyage, un simple "travail
domestique agricole".
L'élevage, autrefois ressource importante pour cette population,
devient "activité domestique" parce que pris en charge par les
femmes, malgré les revenus qu'il assure.
Le tissage, source importante de revenus, et dont les produits
sont destinés pour moitié à l'usage familial fait partie des productions d'appoint, alors qu'il permet à la famille de disposer
d'une épargne souvent investie dans l'agriculture.
La prise en compte de ces productions donnerait une plus juste
idée de la part du travail féminin dans l'agriculture et le revenu familial réel.
* c - Le travail salarié
Les travaux saisonniers (moisson, cuei3-Iette des olives) offrent
une opportunité aux familles.
Le travail des femmes est payé collectivement au groupe familial
- 67 -
et à la tâche.
Le chef de famille, vis-à-vis de l'employeur perçoit le salaire
global. L'unité familiale devient ainsi vendeuse de force de travail et de marchandises.
_ 68 _
2.4- Conclusion
L'évaluation de la productivité des unités de production par les
responsables du projet de développement pour attribuer ¿dés aides'finan-r
cières- et en nature aux familles,va aboutir à occulter et à déprécier la participation féminine.
En effet, cette évaluation admet implicitement la différenciation
entre valeur d'usage et valeur d'échange, alors que dans le cas du
travail des femmes de Sidi Bouzid, les deux types de production
sont intimement interdépendants, tant pour l'élevage que pour le
tissage..
De même, la référence au salariat n'a aucune raison d'être dans le
cadre d'un emploi familial où la rémunération n'est pas individuelle, mais collective.
Enfin, l'application de l'échelle internationale d'évaluation des
forces du travail (B.I.T.) est abusive. Dans cette échelle, l'unité
de travail est représentée par un homme dont l'âge se situe entre
20 et 59 ans, et qui travaille 8 heures par jour, pendant 300 jours.
La femme de même âge, quel.que soit le travail fourni, ne peut dépasser 67% d'unité. Cela ne peut être réel puique les femmes des
périmètres irrigués de Sidi Bouzid, constituent l'essentiel de la
main d'roeuvre, sont plus présentes que l'homme dans l'exploitation,
et ne s'arrêtent pas de travailler pour raison de grossesse ou d'allaitement. Bien au contraire, la scolarité avancée, le service militaire et l'émigration temporaire constituent pour les hommes, des
occasions de quitter l'exploitation.
_ 69 . _
Une même erreur d'optique attribue 50% d'unité aux jeunes filles
de 15-19 ans, et 67% aux jeunes hommes de la même classe d'âge.
En réalité, les jeunes filles sont très peu scolarisées et s'investissent pleinement dans la production et devraient atteindre
logiquement l'unité de travail.
Enfin, l'emploi d'une'telle échelle pousse les chefs de famille
désireux d'accroître leur productivité, à mobiliser au maximum
la force de travail féminine, d'autant que l'échelle d'évaluation ne lui reconnaît qu'une : faible rentabilité.
La politique productionniste aboutit ainsi à une sur-exploitation
des femmes, et à une dévaluation accentuée de leur travail. Se "
trompant de cible, les responsables n'ont de vis-à-vis que le patriarche et les hommes; ils ont ainsi équipé
de pompes électriques
les puits, sauf, ceux à usage domestique. Bien plus tard, on intégrera au projet, deux coopératives exclusivement féminines, l'une pour
le tissage, l'autre pour l'élevage domestique.
Il ne serait pas exagéré d'affirmer que la gratuité du travail
des femmes est à l'origine de la constitution du capital familial;
il est le prix payé pour l'intégration de l'agriculture à l'économie du marché.
Jusqu'à quand les femmes accepteront-elles cette situation?
Les
-
70 -
générations futures ne seront-elles pas rebutées; par ce travail ?
La famille patriarcale parviendra-t-elle à résister aux rapports
marchands?
Sans un effort pour une juste reconnaissance du travail féminin
et une implication plus poussée des femmes, l'agriculture de ces
périmètres irrigués risque de connaître de grands bouleversements
sociaux et domestiques.
- Jl
-
3. La femme dans le secteur alimentaire
Il n'est pas loin le. temps où,préparer ses propres réserves alimentaires .était une habitude ancrée et sacrée poar toute famille urbaine et rurale. L'activité concernait les produits de base les plus
variés (céréales, graines, légumes , olives, fruits, viande, poissons)
et couvrait les besoins essentiels de la famille.
Le couscous, plat de base de la cuisine nationale, était préparé et
stocké pour l'année, ainsi que d'autres dérivés des céréales (blé,
orge concassé ou en poudre et relevé
par des épices), plus typiques
de certaines, régions, et consommés à des périodes spécifiques de
1'année.
Les épices, ingrédients de base de toute préparation culinaire,étaient
préparées et misesen réserve pour la consommation de l'année, ainsi que
l'huile d'olive.
L 'objectif dominant consistait à assurer et à renforcer l'autonomie
de la famille dans une optique d'économie de subsistance qui privilégiait la valeur d'usage et marginalisait le recours au marché.
Si un produit ne pouvait pas être conservé, ses ingrédients., de base
le.seront (miel, semoule, farine, beurre salé, fruits secs pour les
gâteaux traditionnels, par exemple).
Cette, activité était confiée.aux femmes et rythmait leur vie durant
la période estivale. Elles s'y adonnaient collectivement, au sein
de la famille élargie, dans la demeure familiale, sans distinction
d'âge ou de statut. La division sexuelle du travail semblait réser-
- 72 -
ver aux femmes le rôle d'assurer le passage du brut
à l'éla-
boré, comme du cru au cuit. Par cette valeur ajoutée, comme par
la gestion de ses stocks, elles assuraient un rôle économique au
sens éthymologique d'administration du foyer.
Mais les mutations économiques et sociales vont mener au déclin
et à la transformation des activités féminines. La production
domestique va être relayée par le travail informel et le secteur
moderne. Les principales mutations concernant le passage de la
famille élargie à la famille nucléaire, l'exode du travail, l'urbanisation accélérée, l'architecture occidentalisée (en hauteur),
l'introduction des modèles de consommation nouveaux et la volonté de l'Etat.
Cas ñrbia
Depuis quelques années un nouveau " petit métier " a fait son
apparition sur les routes de Tunisie : à la sortie des villeset des villages des enfants de 10 à 15 ans proposent aux automobilistes du pain " tabouna ". Il s'agit de galettes très
appréciées par les citadins.
Dans les campagnes Tunisiennes chaque foyer dispose d'une tabouna, four domestique en terre cuite, de forme cylindrique, dans
lequel on brûle du bois. Les galettes de pâte sont collés sur
la paroi intérieure de la tabouna. C'est une technique très
ancienne qui permet d'obtenir du pain doré et croustillant.
- 73 -
ñrbia fait partie de ces mères qui ont trouvé dans cette activité
un moyen de faire vivre sa famille. C'est une femme de 54 ans,
analphabète. Elle a 5 enfants, âgés de 6 à 16 ans et habite à Rades
(banlieue de Tunis) à deux pas du marché, dans une maison vaste,
récemment agrandie, meublée à l'ancienne. Elle possède une vidéo.
Son mari est ouvrier à la Société des Chemins de Fer, son salaire est insuffisant pour faire vivre la famille; ñrbia a décidé de
l'aider à supporter les charges du ménage, et comme elle ne songe
nullement à travailler à 1'extérieur de son foyer elle a eu l'idée
de confectionner ces galettes. Mais elle ne considère pas cela comme un vrai travail:" c'est, dit-elle, juste quelques tabounas pour
aider ! " Elle considère son travail comme une activité domestique, et non pas comme quelque -chose de commercial.
Pourtant elle produit et son mari et sa fille de 12 ans vendent
ses galettes au marché. Il est hors de question que son mari
lui permette- de vendre elle-même'sa production ; ce n'est pas
un travail de femme, son mari est intransigeant sur ce point.
Ceci ne l'a pas empêché de se rendre parfois elle même au marché pour vendre ses galettes.
Il y a une demande pour le pain tabouna surtout en été, et pendant le jour de marché.
L'argent est encaissé par le mari et ñrbia trouve que " c'est
normal, car 1'homme représente 1'honneur de la famille ".
- 74 -
Quand elle a besoin de faire quelque achat, elle lui envoie quelqu'un, car il n'est pas bien loin.
Arbia s'arrange toujours pour cacher quelques économies, à l'insu
de son mari. Celui-ci est d'ailleurs bien content quand sa femme _,t
lui propose de l'argent en cas de besoin imprévu.
Elle compte continuer ce travail en attendant que ses enfants
grandissent, à ce moment là elle arrêtera car c'est une activité
fatigante. Pour sa fille elle souhaite un travail plus valorisant.
3.1- Un produit de base : le couscous
Sa préparation mobilisait toute la famille; c'était un événement.
Il fallait trier le blé, le moudre, le tamiser, confectionner le
couscous, le faire sécher au soleil, pour enfin, l'engranger dans
des jarres. Les parentes, alliées, voisines et amies étaient invi-.
tées à participer aux travaux et aucune ne s'y dérobait. L'entr'aide
était un devoir, renforçait les liens et confirmait 1'.appartenance
à une même entité, à un même groupe. Il était d'autant plus impor-'
tant d'y participer, que ces travaux avaient une valeur à la fois
économique - assurer la sécurité alimentaire de la famille -, et
sociale - le blé étant considéré comme un don et une bénédiction de Dieu -.
Mais, sous l'effet conjugué de l'habitat moderne et urbain, de la
prédominance de la famille nucléaire et de l'extension du salariat,
le paysage va changer.
- 75
-
Le travail familial et l'entr'aide vont devoir être de plus en plus
renforcés par le recours à des aides rémunérées, jusqu'à ce que ces
dernières asssurent l'essentiel, du travail, la maîtresse de maison
se contentant de superviser. Certaines aides préfèrent exécuter le
travail chez elles et deviendront des indépendantes, exécutant les
commandes de personnes" privées ou de commerçants. Le réseau de connaissances et de parents
se charge de les faire connaître.
Seulement, l'extension du marché va inciter les entreprises alimentaires à occuper ce créneau. Elles s'équipent, alors, peu à peu,
pour devenir leaders dans le marché. Le secteur moderne supplante
ainsi le secteur informel; et, les. femmes qui doivent survivre sont
amenées, soit à devenir des ouvrières salariées de ces entreprises,
soit à rester autonomes en s'efforçant de répondre aux besoins du
marché par la fabrication de produits dérivés de céréales, exigeant
plus de travail, mais consommés de façon", discontinue, et en moindre
quantité. Condamnées à entreprendre, elles remettent au goût du jour
des plats traditionnels un peu oubliés et se créent leur marché;
parfois, elles se mettent à concurrencer le secteur industrialisé
(pain de boulangerie contre pain cuit au feu de bois, la "tabouna").
Le secteur informel semble être voué à jouer un rôle d'éclaireur et
à faire preuve de créativité pour survivre, quand le, marché qu'il
aura contribué à faire développer sera occupé par le secteur structuré.
- .76 -
3.2- Un produit saisonnier: la ."malsouka"
Cette feuille de pâte qui sert à préparer les "briks" si appréciés
durant le mois de Ramadan a constitué une source de revenus appréciable pour les femmes des familles urbaines défavorisées. L'écou^
lement se faisait par les enfants ou le mari aux abords des marchés.
L'investissement était faible, ainsi que le fond de roulement.
Mais la demande s'accroît du fait du succès de ce plat auprès des
touristes,amenant des commandes importantes des restaurants et des
hôtels, et aussi des changements des habitudes alimentaires des familles qui consomment de plus en plus ce plat, tout au long de l'année.
Cette extension du marché incite des entrepreneurs à créer des unités industrielles. Le secteur informel subit, alors, sa concurrence
et, au lieu de s'étendre et d'organiser sa production pour l'année,
se trouve obligé de se cantonner sur la période de consommation intense du mois de Ramadan.
Encore une fois, le travail "domestique" monétarisé débouche sur le
secteur industriel, mais échappe aux femmes. Il aurait ,peut-être,
été plus sain
d'aider ces femmes à s'organiser et à s'étendre,
assurant ainsi un revenu aux plus démunies d'entre elles, sans
recourir à des investissements financiers sur l'épargne nationale, et surtout, à l'importation des machines.
_
77 _
3.3- Un produit d'exception: les gâteaux traditionnels
II.-est de tradition que chaque famille prépare pour l'aïd, ses propres gâteaux pour les offrir aux familles parentes, amies et aux '.
voisins.Cette offrande a une connotation religieuse et sociale, la
fête de l'aïd succédant au mois sacré de Ramadan. Ces mêmes gâteaux
sont préparés pour les grandes occasions (mariage, circoncision) et
offrent l'occasion,pour les femmes, de se distinguer en s'ingéniant
à respecter les traditions., tout eh innovant par des recettes
qu'elles inventent.
Cette activité familiale connaît la même évolution: les aides rémunérées , les indépendantes, les petites unités familiales puis l'unité industrielle.
En effet, dans le milieu urbain dominé de plus en plus par l'habitat
collectif
exigu , l'emploi féminin et la famille restreinte, la pré-
paration des gâteaux traditionnels va se transformer.
Aux indépendantes qui travaillent à la commande, vont 'succéder
des petites unités familiales détenues par des femmes de la classe moyenne. Elles emploient des jeunes filles apprenties ou ouvrières et occupent des appartements ou des parties de villa, dans les
zones habitées par les classes aisées. Elles s'ingénient à faire
des gâteaux faits selon les. recettes régionales anciennes.
Les familles aisées achètent ces produits non seulement pour les
fêtes, mais aussi pour les scirées ou les réceptions d'amis.
_ 78 -
Ces unités commercialisent leur
produit directement, pour des
petites quantités,mais reçoivent les commandes pour les quantités
importantes et, élargissent leur marché en
vendant leur produit'
aux grands magasins les mieux côtés.
Cette stratégie ne peut être adoptée par les femmes pauvres qui se rabattent sur les gâteaux les m'oins raffinés.
Mais, très vite, ont surgi des entreprises industrielles de taille
moyenne* qui visent à répondre aux besoins d'une clientèle normale, surtout pour les périodes de grande consommation( l'aïd, l'été
^saison ;.des'mariages-et des touristes). Enfin, des unités indus^'l
trielles plus importantes ont été créées par des pâtisseries à
succursales multiples ; .• qui possèdent une large gamme de produits
(glaces, gâteaux, européens.,, croissants, etc.) et peuvent s'adapter le mieux aux variations du marché.
Ainsi, on assiste au -même scénario. Le secteur informel détecte le
marché, suscite son développement, pour, en fin de compte le voir
pris en charge par le secteur formel, industrialisé. Les femmes les
plus pauvres sont obligées de se cantonner dans les produits les
moins rémunérateurs, dans une lpériode précise de consommation et
doivent sans cesse varier leurs produits.
Mais ce qui est à noter surtout, c'est que le travail féminin dit
"domestique" était ignoré, dévalué; le développement du marché est
alors, seul capable de le mettre en valeur, d'autant plus facilement
qu'il échappe le plus souvent aux femmes, et que le secteur industriel se l'approprie.
L
- 79 -
•
.
Cas Cherifa
Madame Cherifa, âgée de 66 ans est issue d'une famille bourgeoise, alliée à 1'ancienne famille beylicale gui. régnait en
Tunisie, avant l'Indépendance. Elle habite une vieille et vaste
maison arabe dans une banlieue bourgeoise de Tunis. Elle a trois
filles et un garçon àdoptif.
Les jeunes filles de bonne famille apprenaient jadis la cuisine
et la patisserie tunisiennes; Cherifa a bénéficié de cet apprentissage, y a pris goût et acquis un certain talent . Elle s'est
mariée à 1'âge de 15 ans à un homme frivole gui a tôt fait de
dilapider la fortune héritée. A force de sacrifices le couple
a tout de même réussi à conserver la demeure familiale. Cherifa
a décidé de contribuer au redressement de la situation économique
désastreuse en proposant à ses parents, ses voisins et ses amis
de leur confectionneur des pâtisseries traditionnelles, à l'occasion des fêtes religieuses, des. fiançailles, mariages et circoncisions. La préparation de ces gâteaux demande beaucoup de
savoir-faire, de préparation et de travail, mais Cherifa était
très douée et l'on appréciait les patisseries qu'elle offrait
autour d'elle, pour faire plaisir . Puis on a commencé à solliciter son assistance pour préparer des quantités de gateaux à
diverses occasions/ elle recevait pour sa peine ce qu'on voulait
bien lui donner. Progressivement elle s'est mise à confectionner
des gâteaux à l'avance et à se constituer un petit stock de
- 80 -
baklawas, de kaaks et de makrouds.
Pendant ce temps le mari s'occupait tant bien que mal des terres
gui restaient à la famille, et gui ne suffisaient plus pour les
faire vivre. En fait c'était la mère gui subvenait aux besoins,
en prenant 'bien garde de ne pas trop le montrer, par égard à
son mari. A la mort de ce dernier, Cher ifa s'est retrouvée, seule
responsable de ses guatre enfants.
Pour éviter les va-et-vient dans sa maison, et garder,son intimité, Cherifa préférait livrer, elle-même sa production à ses
" clients ". Son fils s'en chargeait, cela 1'intéressait plus
gue de poursuivre des études. Il a commencé par ouvrir une
première pâtisserie, où il écoulait la production familiale/ il
en possède maintenant deux gui fonctionnent tout à fait indépendemment. Il a pignon sur rue et paie les taxes et les impôts.
Cherifa continue, elle,, à fabriquer et à vendre directement sa
production, en dehors du circuit commercial formel. Travaillant
chez elle dans son espace intime, Cherifa estime ne pas être
assujetie aux réglementations fiscales.
Pendant longtemps elle s'est contentée de 3 fours installés à
domicile. Aujourd'hui elle fait cuire deux fois par semaine une
partie de ses gâteaux chez le boulanger voisin, pour faire face
à une demande accrue.
- 81 -
ñu moment des fêtes, tout le monde se met à la fabrication des
gâteaux, femmes, hommes, domestiques. Elle encaisse ses recettes
r
mais " n'a jamais aimé, compter " professant une sorte de mépris
envers l'argent, elle se contente de ce qu'on lui donne, ce qui
lui suffit largement,^
Elle s'estime heureuse, à l'abri du~besoin et a redressé la situation économique de la famille.
Vivant " entre ses plateaux et ses fours " elle n'a rien à voir
avec la Municipalité. L'une de ses filles, mariée et ayant de
grands enfants, habite avec elle et se destine à continuer
l'activité de sa mère.
4. La femme áans le :.;ecteur__\.extile
Les femmes nomades comme les villageoises et les citadines, s'adonnent depuis toujours au travail de la laine. Elles cardent, elJ.es
filent' et elles tissent tout au long des jours et des nuits.
Cette activité déborde le cadre de l'auto-suffisance pour s'inscrire dans un système d'échanges et pour procurer aux familles
d'importantes ressources financières. Bien plus, elle constitue
un élément vital de l'économie régionale, comme c'est le cas
jpour les oasis du Sud.
Les femmes, à 1'origine productrices indépendantes, disposent
de là matière première, de leurs outils, du métier à tisser et de
leur ouvrage, qu'elles écoulent directement auprès des familles, ou
sur le marché, par mari interposé. Mais, cette indépendance va être
de plus en plus rognée par les artisans et les commerçants. Et, c'est
ainsi que les femmes, peu à peu, sont amenées à préparer le travail
de l'artisan. Elles cardent, filent la laine pour la livrer au tisserand qui produira à leur place, les couvertures de laine sur son
métier à tisser mécanique. Elles tricotent la laine et livrent le
"kabous", forme première que l'artisan transformera en chéchia.
Elles tissent le "burnous" (capes de laine pour homme) et l'artisan
se chargera de coudre la frange.
Ainsi, la part la plus importante de la valeur ajoutée se trouve
appropriée par les artisans, et l'apport des femmes
tend à être
- 83 -
déconsidéré et leur rémunération, à se réduire.
L'ordre sexuel règne et la femme est le sujet de l'homme.
Les femmes qui ont pu préserver leur indépendance par rapport à
r
l'artisan et persistent.à vouloir produire, exercer leurs dons
et leurs capacités, finissent, le plus souvent,, par tomber sous
l'empire du commerçant grossiste. Le manque de capital, la rareté
des commandes individuelles et l'organisation des circuits commerciaux les amènent à produire pour le compte du grossiste qui leur
fournit la matière première, et à être de simples sous-traitantes
à domicile, d'autant plus que la production industrielle occupe et
envahit le marché. Plus que toutes, les femmes productrices de tapis
subissent la loi implacable des grossistes, maîtres de vastes réseaux de travailleuses à domicile, rémunérées en fonction de la
qualité (1er ou 2ème choix) attribuée à l'ouvrage par l'expert.
Dans un marché en expansion, grâce à l'exportation et au tourisme,
les femmes, source de valeur ajoutée, sont dépossédées de la plus
value encaissée par les grossistes, en plus de leur marge bénéficiaire, Tout pousse à croire que la compétitivité du tapis s'acquiert
aux dépens du travail des femmes.
Les femmes citadines préfèrent la broderie à la main, au -issage.
Beaucoup rêvent d'inclure draps, nappes et napperons brodés main
dans le trousseau de mariage de leurs filles. Mais, la concurrence
- 84 -
industrielle est vive et rétrécit le marché de la broderie main
devenue artisanat d'art. L'écoulement des ouvrages se fait par
placement et par commande des boutiques de'luxe implantées dans
les zones fréquentées par les couches aisées, et où apprécient
de. se fournir les futures mariées. •
Le costume de la mariée, brodé d'or, d'argent, de paillettes et
de perles se préparait dès le jeune âge de la jeune fille. Actuellement, celles qui le portent encore, lors de leur mariage, se
contentent de le louer dans des boutiques rarement tenues par des
brodeuses. Bref, l'artisanat féminin passe des mains des femmes
à celles de l'artisan ou du commerçant, et se marginalise. Ce
déclassement se retrouve dans la
confection.
Avant, les femmes les plus démunies louaient leurs services aux
familles. Payées à la journée, elles faisaient les travaux de
couture. Celles, qui possédaient leur propre machine à coudre,
travaillaient à domicile et sur commande pour une clientèle qui
fournissait le tissu : les robes, jupes et tabliers d'écolier
constituaient le principal de leurs travaux.
Les plus douées, celles qui avaient reçu une formation professionnelle, se spécialisaient dans les robes de soirée, de cérémonie,
les manteaux, en s'inspirant des revues spécialisées et des
patrons acquis à l'étranger.
Mais, le plus souvent, la concurrence de l'industrie nationale et
- 85 -
les circuits parallèles d'importation poussent ces femmes à
accepter les travaux de sous-traitance pour les entreprises :
repassage, confection de boutonnières, etc". Bien souvent, elles
constituent le réservoir où puisent les entreprises de confection qui leur octroient les salaires les plus bas et les embauchent
oomme occasionnelles.ou apprenties, renvoyées au bout de quelques
mois, pour être recrutées avec le même statut, et par la même
entreprise.
-•86 -
Cas Nabila
Agée de 38 ans, Nabila est toujours célibataire et tient à son
indépendance, tout en gardant un contact étroit avecs sa famille.
Elle Vit dans son appartement et possède une voiture. Elle a
beaucoup d'amis. Au lycée,Nabila a suivi la filière professionnelle, sans beaucoup de succès. Elle a eu l'idée de rejoindre son
frère, émigré en France. C'est là qu'elle s'est inscrite à un
cours de couture payant. Elle a été obligée d'écourter sa formation pour rentrer en Tunisie,auprès de sa mère. La couture lui
plaisait,et,aussitôt rentrée, elle s'est mise à confectionner
des vêtements pour la famille et les amis. Elle ne pensait pas
en faire vraiment .une activité professionnelle. Petit à petit
elle a acquis une certaine réputation dans son entourage. La
demande n'était pas considérable et elle pouvait, toute seule,
la satisfaire. Avec ses gains elle aidait certes sa mère, mais
l'essentiel couvrait ses dépenses personnelles. Nabila n'a
jamais déclaré officiellement son activité, pensant que c'était
quelque chose de provisoire, elle ne produisait pas beaucoup
et ne gagnait pas des sommes importantes.
Mais, par la suite, elle a décidé d'en faire une activité permanente, de " s'agrandir et de réussir ".
- 87 -
Elle fut encouragée par une amie qui lui procurait du tissu
importé. Sa production était écoulée le jour même de son exposition ! C'était pour elle une source de satisfaction parce
qu'elle écoulait ses- vêtements à des clientes qui venaient choisir chez elle, et qu'elle évitait ainsi les tracasseries du
travail sur commande. En outre ses revenus devenaient plus importants.
Il y a quelques mois Nabila a transformé son appartement en
atelier et a recruté deux ouvrières qui travaillaient dans une
fabrique de jeans. Elle pense maintenant, à ouvrir . une boutique
pour commercialiser sa propre production et même celle d1autres
couturières.
Avec l'argent gagné Nabila non seulement subvient à ses propres
besoins mais aide sa mère et surtout se constitue un capital
en vue de 1'ouverture de sa boutique. Une fois son projet réalisé, elle compte déclarer son activité et cela ne la gêne pas
.de payer le fisc, car elle se considère comme " une bonne citoyenne
- 88 -
Cas Nejiba
Nejiba est âgée de 48 ans, elle habite la Marsa, dans la banlieue
Nord de-Tunis. Elle est mère de 2 filles étudiantes et d'un garçon,
fonctionnaire à la Société Tunisienne d'Electricité et du Gaz.
Elle est originaire du village de Ksibet Mediouni.
A l'époque on apprenait aux filles la tapisserie et le tissage
avant même de les initier à la cuisine. Elle considère qu'elle a
toujours fait ce travail. Initialement elle avait l'habitude de
tisser des couvertures et des tapis pour les membres de sa famille et pour ses amis souvent dans les périodes de préparation au
mariage. La rétribution était laissée à l'appréciation des
acquéreurs.
Depuis quelques années Najiba s'est mise à produire régulièrement des tapis de sol et des tapis de décoration ainsi que des
couvertures en laine. Elle a aménagé son garage en atelier et
c'est là qu'elle reçoit ses clients. Elle se fait aider par
ses filles, pour les commandes, les calculs, etc. Elle songe
à engager une jeune fille sachant lire, écrire et répondre
au téléphone. Elle même n'est pas allée à l'école, à son époque et dans son village cela ne se faisait pas . Cependant
elle ne donne pas 1'impression d'être analphabète. C'est une
musulmane convaincue, elle porte le foulard islamique, ce
qui ne l'empêche pas d'être tolérante et ouverte.
- 89 -
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V. QUELLES INITIATIVES POUR AUJOURD'HUI
ET
DEMAIN ?
- 91 -
1. Pour une nouvelle approche
'L'économie des pays en voie de développement dépendait d'une métropole qui réglait son fonctionnement dans le cadre global d'un
empire..
Les jeunes états, soucieux, d'une part, de satisfaire la demande
sociale pressante en matière d'éducation, de santé et de formation,
et, d'autre part, d'instaurer une économie génératrice d'emplois,
de revenus et de richesses, ont .fait table rase du passé et ont
engagé la société dans une marche forcée vers le modernisme,
l'industrialisation, la mécanisation de l'agriculture et l'urbanisation
produiront assez de richesses pour instaurer un échange
équilibré avec le monde développé.
Unanimement, ils ont adopté et généralisé l'économie marchande avec
ses credo : croissance et productivité. Ils oubliaient que la confrontation constitue le nerf de l'échange, et que leur lutte est
celle du pot de terre contre le pot de fer.
L'issue fatale s'imposa bien vite : échange inégal, endettement
croissant, désarticulation de l'économie, rapports sociaux conflictuels et déséquilibre régional. L'oubli se paie cher, l'économie
marchande est historique, particulière, et non, un absolu universel.
_ 92 _
Elle opère dans une société dont les producteurs sont assurés d'un
surplus capable de satisfaire le nécessaire, l'utile et même le
superflu, condition nécessaire pour que l'auto-consommation, la .._,
valeur d'usage soient dépassées. Elle exige une société où l'individu, assuré du. minimum, ose rompre les liens organiques du groupe,
où la norme de compétition surclasse celle de solidarité et où la
valeur d'accomplissement et d'affirmation de soi, constitué un
idéal prioritaire.
En réalité, les sociétés en voie de développement sont en deçà de
ces limites : la rareté domine, l'individu a encore besoin du
groupe pour le couvrir contre certains risques que l'Etat encore
embryonnaire ne peut prendre en charge.
Bien plus, ¿e type de société privilégie l'harmonie et la complémentarité entre ses membres; les liens du sang: ethniques
résistent à l'individualisme.
La différenciation par la fortune n'est pas souhaitée et n'est pas
toujours appréciée, l'esprit communautaire reste bien ancré et
l'échange marchand n'est ni le seul type, ni ne domine toujours.
Les rapports entre les membres d'une ethnie, d'un groupe et les
règles qui les régissent désubstancialisent les concepts et les
pratiques de l'économie classique.
- 93 -
Ainsi, dans un monde rural dominé par la grande famille, la distinction entre propriété (aspect juridique) et exploitation
(aspect économique) n'existe pas. La terre' appartient juridiquement
à un individu, mais les travailleurs, membres d'une même famille
se partagent les ressources.
En fait, la structure sociale, l'économie d'une société en voie
de développement sont spécifiques et diffèrent de celle d'une
société développée. Cette différence est de nature et non de
degré.
Omettre cette spécificité, la mettre entre parenthèses et appliquer à ces sociétés la théorie économique classique, les plans
comptables nationaux, les outils statistiques, sous couvert de
la rationalité, du souci scientifique, et de la standardisation,
mène nécessairement vers' la confusion et l'échec. En effet, si,
se contenter de prendre en compte la seule production marchande
aboutit à négliger 20 à 40% du PNB (valeur de la production des
ménages) dans les sociétés industrielles, on peut extrapoler
l'imprécision quand il s'agit d'économies où la production non
marchande et domestique demeure à un seuil élevé.
Limiter le travail à l'emploi salarié dans les sociétés où 1'entr'aide, le travail familial font partie intégrante du mode de
production mène à des méprises lourdes de conséquence.
- 94. -
Le simple bon sens, le souci de rigueur nous rappellent que les
théories, concepts, modèles sont élaborés à partir d'une réalité,
n'ont de valeur que par leur validité et permettent de rendre
compte de cette réalité. Certaines divisions sont logiques, elles'
doivent nous faciliter l'accès au réel et son appréhension, mais
elles ne sont pas réelles.
Il en est ainsi de la séparation et de la frontière entre production et consommation,, tracée par les comptabilités nationales.
La généralisation de l'économie classique aux sociétés en voie
de développement est à la fois une erreur logique et un parti pris
idéologique.
Pour appréhender ces sociétés et leur économie, le premier geste
à entreprendre est l'observation, l'écoute attentive. L'observation outillée, armée (grilles), l'entretien avec des groupes, la
mesure des échanges internes et externes, la recherche du sens
par un effort personnel et par une investigation auprès des personnes et des populations étudiées, doivent permettre d'émettre des
hypothèses, de dégager des concepts et d'élaborer des questionnaires spécifiques pour une branche d'activité et/ou une région,
dont les résultats seront confrontés à la réalité. Cette procédure
qui respecte la démarche scientifique (observation, hypothèse,
expérimentation, évaluation) peut paraître lourde, mais comment
faire autrement ? Les cultures irriguées conditionnent bien différemment le travail, le rythme et la vie des paysans, que la
-
95 _
culture céréalière ou l'exploitation forestière dans une zone
montagneuse.
-,
Idem,-l'es groupes sociaux diffèrent d'une région a une autre,
ie paysan du Sud tunisien diffère de celui du Nord, bien plus
que de son voisin de L'ybie.
L'histoire et la culture ont leur poids que ne réussit à effacer,
ni le découpage administratif, ni 1'établissement des frontières.
Etudier ces économies sans -se référer à leurs structures sociales, à leurs normes et valeurs ne peut déboucher sur des programmes pertinents, sources d'un changement positif, accepté et assimilé
par les hommes auxquels ils sont destinés, pour les faire profiter
de plus d'aisance, sans porter atteinte à leur identité. Connaitre ces sociétés, identifier leurs difficultés, les blocages
internes à leur auto-développemen-t spécifique, et débusquer les
tendances futures qui se dessinent et peuvent déboucher sur un
horizon d'un meilleur équilibre, exige le recours aux méthodes
qualitatives dans une première phase, et l'élaboration d'un appareil de collectes de données quantitatives, bases pour proposer des programmes d'action aux populations concernées,qui soient
à la mesure de leurs moyens, pour éviter la dépendance vis-à-vis
du système international comme de l'Etat interventionniste.
-
96 _
Au fond, l'économie, au sens éthymologique, signifie la gestion
de la vie domestique, des affaires propres d'un groupe, qui par
ses activités se donne les moyens pour vivre. La production
n'est pas et ne doit pas être une fin en soi. Chaque société accepte ou rejette un niveau de production en fonction de ses
répercussions sur ses équilibres et son idéal de vie, ses priorités. Il y a des seuils de production tolérés, car le rapport
qualité de vie et changements reste positif.
D'un autre côté, il faudrait cesser de faire des statistiques un
bien de l'Etat, pour leur accorder comme fonction la mesure objective des faits pour les communautés. Elles constituent l'image et
le reflet des activités d'un groupe, d'une branche ou d'une région,
qui leur sont communiqués
dans le cadre d'une auto-évaluation
pour une meilleure prise de conscience, l'élaboration des choix et
la décision consensuelle des voies de l'avenir. L'Etat, retrouverait son rôle d'incitateur et de catalyseur du développement, en
commençant par impliquer de plus en plus les instituts universitaires, les groupes multidisciplinaires de recherche dans les études
sectorielles, régionales, en rattachant l'Institut de la Statistique au Ministère des Affaires Sociales, plutôt qu'au Ministère du
Plan et des Finances.
- 97 -
Les chercheurs, par leur appartenance à l'Université gardent leur
indépendance, leur souci reste la connaissance et no"h le service
de l'appareil de l'Etat; a priori, ils peuvent être plus disponibles pour être à l'écoute du discours de la population et seront
d'autant plus intéressés à rendre service à la communauté, que
l'institution universitaire a besoin d'être intégrée, reconnue par
la région où elle se trouve.
La suggestion de séparer l'Institut de la Statistique, du Ministère du Plan et des Finances, s'appuie sur l'expérience et la
pratique. Le Ministère représente l'intérêt de l'Etat, organe
vivant avec ses besoins propres. Il se manifeste dans la recherche des rentrées d'argent (taxes, impôts), et, de ce fait, se
trouve être l'objet de suspicion plus ou moins légitime de la
part des personnes et de la société civile. La vocation du Ministère du Plan et des Finances, ou sa tendance centralisatrice
n'est plus à démontrer.'Il est perçu, à tort ou à raison, comme
celui qui régente; sa tâche est d'autant plus facile qu'il ne
gère pas et ne paie jamais pour les erreurs d'appréciation.
En conclusion, la société et son économie seront d'autant mieux
connues et respectées que l'étude partira de l'observation sur
le terrain dans un cadre pluri-disciplinaire, pour tenir compte
-
de la multiplicité
98 _
et de la complexité de la société, et que cette
étude allant du qualitatif au qualitatif,' en passant par la quantification, sera menée par des chercheurs exerçant dans la région
ou s'occupant de formation devant mener à l'activité dans le secteur ou la branche économique, objet de l'étude. Lé premier destinataire sera la région ou la branche, qui, avec le soutien
disponible, mais non imposé des chercheurs, pourra fixer ses
choix, les assumer, clarifier ses objectifs, tracer sa stratégie
et défendre ses intérêts, ses propositions auprès des instances
concernées : services techniques
de l'administration, autorités
régionales et nationales, députés.
Plus les études seront ciblées, restreintes, plus grandes seront
les chances de succès des programmes à mettre en place. Cette
multitude d'actions, d'expériences, dt'iinitiatives, finiront par
dessiner les contours d'une politique de développement que l'Etat
pourra prendre en considération pour la soutenir, l'encourager
ou l'infléchir. Son rôle n'est-il pas d'être au service de la
Cité, de l'intérêt public qui n'est pas une entité abstraite,
même s'il est plus que la somme des intérêts individuels.
L'Institut de la Statistique pourra élaborer des études globales,
mais qui n'ont de sens que confrontées au terrain. La relation
antinomique terrain/théorie est un faux problème.
- 99 -
Dans la vie, on se repère d'autant mieux que l'on est sur le terrain, avec une carte. Une telle démarche ne.risque pas de sousévaluer ni surtout'd'ignorer le secteur informel; elle"permet de
le 'soutenir en lui éclairant la voie, de prévoir lés blocages
pour les dépasser, les impasses pour les éviter, et aussi de prendre conscience des changements à opérer du fait même de son succès,
car l'évolution se fait par accumulation, et finit par des ruptures qui sont des changements qualitatifs.
Dans cette perspective, le. secteur informel prend sa dimension
réelle; il est contestation et dépassement. Contestation du cadre
de référence, des choix de l'Etat qui reste à côté de la société,
de ses besoins réels, et aggrave la désarticulation de l'économie
et des rapports sociaux,, menaçant ainsi cette première dans ses
fondements et dans son existence. Dépassement des obstacles qui
se dressent : financiers, rareté et inaccessibilité de l'équipement, manque ou inadéquation de la formation, de la réglementation et des
procédures administratives.
Le secteur informel est l'affirmation d'une liberté d'initiative,
d'une volonté de vivre d'autant plus forte que le système de l'Etat
le place, en fait, dans une situation d'exclusion.
- 100 -
Cas Hadda
Mellassine est un quartier populaire de la banlieue de Tunis
situé sur les berges d'une sebkha insalubre. C'était un
ancien ghetto juif, où l'on s'adonnait notamment à la fabrication de la poterie, d'où le nom de mellassine, gui signifie
les
potiers.
Hadda habite Melassine depuis 40 ans et s'y livre depuis son
installation à la fabrication des braseros en terre cuite
(canounes).
(1)
C'est une robuste sexagénaire, habillée d'une melia bédouine
et qui a conservé son accent campagnard . Son mari l'a quittée
un soir, il y a 30 ans, sans rien lui dire, lui laissant à sa
charge 5 filles et 3 garçons, h'aine est'" un vrai
bandit",
vivant lui même avec deux femmes, mais très à cheval dès
qu'il
ble,
s'agit
de la moralité de ses soeurs ! " Il serait capa-
dit la mère,
de les tuer s'il apprenait qu'elles
traî-
nent en ville ". Le fils cadet, à la suite d'un accident du
travail, vit renfermé sur lui-même.
handicapé mental.
Le plus jeune est un
Hadda semble accepter tous ses malheurs
sans trop se plaindre.
" C'est le destin " dit elle.
Hadda est originaire d'un petit village de la Tunisie Centrale,
qu'elle a quitté avec une dizaine de familles fuyant la misère,
à la fin de la guerre. La communauté s'est
installée sur la
(1) Le canoune est un braseo en terre cuite dans lequel on brûle
du charbon de bois, pour la cuisson des repas, du thé, du
café etc.
- 101 Sebkha de Mellassine, de manière illégale et a toujours eu des
problèmes avec les autorités gui cherchent en vain à les déloger.
Hadda faisait de la tapisserie dans son village, mais ne savait
pas commercialiser sa production, et n'imaginait pas de travailler à l'extérieur, à cause de 1'opposition indignée des hommes
de la famille. Elle a appris à fabriquer des canounes qu'elle
vendait sur place. Elle n'avait pas le choix : " Dès notre
jeune âge, dit elle, nous avons été confrontés à la pauvreté.
Ici, nos hommes n'ont rien pu faire. Un jour sur dix ils sont
vendeurs ambulants, poursuivis par les agents de la municipalité, certains vivent en marge de la loi, d'autres sont
malades. Avec tout cela, nous avons des enfants à nourrir, et
ils sont nombreux. Dieu merci ! Nous avons trouvé un métier
qu'on peut exercer ici avec dignité et honneur. "
Curieusement, c'est un européen qui lui a enseigné à fabriquer des canounes. Très vite les soeurs et les cousines s'y
sont mises, mais pas les hommes. C'est une activité exclusivement féminine.
Les différentes familles qui mènent cette activité, se sont
construit des abris rudimentaires avec des déchets de fer,
de bois, de plastique, etc.
- 102 -
Ces huttes les protègent du soleil, des intempéries et du
regard des hommes, car elles ont conservé, cette pudeur àncestrale vis-à-vis de l'autre sexe. La promiscuité des abris constitue un espace strictement féminin où elles passent leur journée,
après avoir confié à l'une de leurs filles les tâches -.domestiques
courantes. Les hommes ne se montrent dans ces lieux, comme par hasard, qu'au moment de la vente. Selon Haddar " 1 es hommes ne participent pas à la fabrication, c'est un métier de femmes. L'homme
ne connaît le canoune que pour faire bouillir le thé !. " D'ailleurs les hommes ne sont pas les bienvenus dans ces abris, les
femmes préfèrent s'y retrouver entre elles. Il y a dans chaque
" atelier " de 4 à 5 femmes, la mère, ses filles et ses belles
filles, la fabrication du canoune est une affaire familiale ;
même après le mariage, les filles continuent à participer à
la production.
Le travail commence à 5h ou 6h du matin en été,et vers 7 heures
en hiver. Hadda commence -par préparer le pain tabouna (galettes
traditionnelles cuites dans un four domestique en terre, de
forme cylindrique). Après avoir déjeûné,elle se rend à l'atelier,
à quelques mètres de sa maison. Ses filles la rejoignent et
elles travaillent, en se faisant du thé.
- 103 -
A midi,la jeune fille restée à la maison,leur apporte le repas.
Le travail continue ensuite jusqu'à ce qu'il fasse sombre.
La matière première pour fabriquer les canounes est constituée
principalement de terre glaise que 1'on va chercher à Djebel
Lahmar, une autre cité populaire, au pied du Hilton. Cette
extraction est interdite par les autorités qui pourchassent
les contrevenants. Hadda ne comprend pas qu'on interdise de
prendre de la terre, qui appartient à tout le monde. Elle se
demande si " on les considère comme des Tunisiens, si on les
reconnaît ou s'ils sont des étrangers dans leur propre pays
".
Chercher de la glaise est devenu un acte clandestin, que 1'on
accomplit, de préférence,la nuit. -Généralement les femmes font
appel à des chauffeurs appartenant, comme elles, à la tribu
des Ouled Ayyarfet les accompagnent dans ces expéditions
hasardeuses. On utilise une Peugeot 404 bâchée et on se rend
ainsi, une fois par semaine ou par quinzaine, faire le plein
de matière première. Le voyage revient à 50 Dinars. D'habitude,
les hommes de la famille ne participent pas à cette opération;
selon Hadda " si on devait compter sur eux, on ne mangerait
qu'un jour sur dix
".
La glaise est triée, tamisée et mélangée à une autre terre
avant d'être malaxée. La pâte ainsi obtenue servira à réaliser
les canounes qui seront mis à sécher avant de les mettre à
la cuisson.
- 104 -
Les femmes attendent d'avoir rassemblé 100 à 150 canounes puis
les disposent encore autour d'un foyer constitué de pneumatiques,
de chaussures et d'autres déchets susceptibles de brûler, ramassés dans les rues et les terrains vagues. La cuisson dure un
jour et une nuit. L'opération est assez polluante comme on peut
1'imaginer.
Les revendeurs se déplacent avec leurs camions pour prendre
livraison des canounes. Le prix fixé par Hadda,
de O, 120
l'un
était , en 1989
(soit environ 8 canounes pour un dollar).
Le prix est tacitement homologué, certaines femmes peuvent
négocier à la hausse et gardent la différence.
L'argent est utilisé par les femmes directement, qui chargent
les enfants mâles de faire les courses. Quand il s'agit d'autres
achats pour le ménage, on confie cet argent aux hommes.
Certaines jeunes filles tiennent à toucher elles-mêmes leurs
gains, en comptant le nombre de canounes produits pour s'acheter
des effets personnels.
En général,l'argent gagné suffit pour la subsistance quotidienne
et même pour les situations imprévues et pour la préparation du
trousseau des jeunes filles. En principe,les hommes n'ont pas
accès directement à cet argent, car " si on les laissait faire
on mourrait de faim " déclare Hadda.
- 105 -
La fabrication des canounes est un travail salissant : .on est
dans un abri de fortune, on patauge dans la boue et on est
envahi par la fumée dégagée par le caoutchouc et le aplastic.
Malgré tout cela, Hadda et ses campagnes ne peuvent qu'aimer
ce travail gui leur garantit leur pain et, dans une certaine .
mesure, leur indépendance.
" J'aime ce travail, dit Hadda, bien qu'il soit salissant.
J'ai
toujours rêvé de ce travail, c'est un signe de bénédic-
tion, notre marabout est satisfait de notre travail. Mon
métier m'a permis de vivre pendant 40 ans, il m'a permis de
nourrir et d'élever mes enfants. Sans cette activité je serais
morte de faim. " ,
Les jeunes sont tout de même rebutés par ce travail pénible,
ils voudraient exercer un métier plus propre. Il n'est pas
évident qu'ils continuent cette activité à la suite de leurs
parents.
L'idée d'aménager des bâtiments plus fonctionnels et de travailler dans de meilleures conditions est certes bien accueillie,
mais reste du domaine de 1'utopie. De même, un effort d'organisation, un regroupement associatif n'est pas rejeté mais semble
se heurter à plusieurs obstacles : 1'analphabétisme, les habitudes, la précarité de la situation, les menaces de fermeture.
- 106 -
En 1986, à la suite de plaintes contre la pollution provoquée
par la cuisson des canounes,les autorités ont décidé d'interdire
brutalement cette activité. Des bulldozers ont été dépêchés pour
détruire les abris. Les femmes se sont opposées en menaçant de
se jeter devant les engins. Les hommes assistaient en spectateurs.
Sur une intervention..de la Ligue des Droits de l'Homme, Hadda
a été reçue par le Gouverneur, à titre de représentante de son
groupe. C'était la première fois qu'elle allait au Centre ville,
et 1'expérience lui parût éprouvante. Pourtant devant le Gouverneur, elle a retrouvé son énergie et lui a déclaré : " De
même que vous n'accepteriez pas qu'on vous prive de votre travail, parce qu'alors vous ne seriez plus rien, nous aussi nous
tenons à notre travail. C'est notre vie, et nous 1'enlever,ce
serait nous tuer ! ".
•
- 107 -
Le cas de Hadda reflète assez fidèlement la situation des femmes
des couches défavorisées de la population qui, pour la survie de
leur famille et pour leur dignité, s'adonnent aux activités
informelles. Ces femmes aux ressources financières dérisoires se
trouvent en lutte au système économique qui les exclut et aux
rôles sociaux qui les marginalisent. Pourtant, elles révèlent
dans leurs activités un esprit d'entreprise remarquable, ainsi
qu'un sens inné du marché et une remarquable capacité d'adaptation. En effet, elles tirent de leur environnement immédiat
leur matière première et leur maigre-outillage. Jalouses de leur
indépendance, elles écartent les hommes de leur travail mais ne
peuvent que leur confier la vente du produit, car le contact
avec autrui leur est socialement interdit. Ainsi Hadda, comme
les autres membres de son groupe, confie-t-elle l'écoulement
des canounes (braseros) aux hommes, tout comme le fils de
Chérifa vend de la pâtisserie, ouvre boutique et a pignon sur
rue.
Pour pouvoir jouir pleinement de leur produit les femmes
doivent à la fois prendre conscience de leur statut de productrice et cesser de percevoir leur activité comme secondaire.
Or la marginalisation du secteur informel par les forces dominantes, ne les aide pas,' bien au contraire.
.- 108 -
Le développement du secteur informel et l'intégration des femmes de ce secteur passe par leur reconnaissance en tant que
force productrice. Un tel changement de perspective aurait
permis de dépasser les difficultés rencontrées par Hadda et
les autres. Elles sont en lutte à des problèmes au niveau de
l'approvisionnement en glaise et au niveau du combustible
pour la cuisson des canounes. Les autorités pourchassent et
interdisent l'extraction de la glaise car le site de Jebel
Lahmar, objet d'implantation d'un habitat anarchique fait
l'objet d'une réhabilitation. En effet, pour stabiliser sa
population et éviter toute extension,- l'Etat a décidé d'équiper- cette zone (routes, électricité, eau courante, tout à
l'égoût) et de planter des arbres sur la partie inoccupée.
L'extraction de la glaise menace les plantations et ne cadre
pas avec les activités reconnues, d'où 1'exclusion'et l'interdit.
Si l'activité de ces femmes était reconnue comme une source
de production, l'appareil administratif de l'Etat aurait
cherché à organiser l'extraction de la glaise en-préservant
l'environnement, ou encore, aurait orienté ces femmes vers
des zones avoisinantes récelant cette glaise, ou à défaut,
aurait conseillé l'utilisation d'un substitut naturel et
initié ces femmes à son utilisation.L'Etat au lieu de régenter aveuglement les capacités de production aurait alors joué
un rôle de soutien et de renforcement des capacités productrices,
- 109 -
source de revenus pour des familles auxquelles le développement
économique actuel n'offre pas assez d'emplois. De même au niveau
de la cuisson, l'appareil étatique n'a utilisé avec ces femmes
que la force pour réprimer, arguant de la pollution de l'air
dans une zone où la pollution de l'eau et la qualité de vie ne
peuvent qu'être dénoncées. Par contre, si l'Etat était animé
d'une volonté d'intégration de ces femmes, s'il les avait
reconnues pour ce qu'elles sont, des productrices, il aurait
cherché à sauvegarder leur activité en même temps que 1'environ\ nement.
En effet, le problème réel qui se pose s'énonce comme suit :
quelle technique de cuisson adopter pour maintenir la compétitivité de cette production en fonction des moyens financiers
de ces femmes, et eu égard à la sauvegarde de l'environnement ?
Des solutions existent :, un four à énergie solaire ou au gaz
butane, par exemple. Les techniciens de l'Agence de l'Energie
pourraient se pencher sur un tel problème, sur le plan technique, comme -sur le plan économique. L'utilisation des compétences disponibles pour l'amélioration de la-production est
aussi une tâche qui se doit d'assumer un
Etat qui se veut
aiguillon et incitateur du développement. Bien plus, ces femmes peuvent prétendre à bénéficier d'aides, de subventions
puisque le secteur structuré bénéficie de tels avantages pour
la création d'emplois ou dans le cadre de restructuration, .
sans parler des prêts bonifiés.
- 110 -
Mais il faudrait que ce soutien de l'Etat soit limité dans son
volume et dans le temps pour éviter
de créer un esprit d'as-
sisté.
En conclusion, la promotion du travail informel des femmes est
possible et ne sera pas.une lourde charge pour l'Etat à condition qu'il accepte de revoir son rôle et opte pour une révolution copernicienne dans sa conception de l'économique.
- Ill -
2. Secteur informel et planification
Ce secteur peut-il être pris en considération par la planification?
L'Etat omniscient, omnipotent, omniprésent,, peut chercrier à récupérer ce secteur parce qu'il représente une forme de réussite. Il
voudra l'encourager en lui ouvrant les crédits, en le dispensant
de certaines taxes ou impôts, bref, en légalisant une situation de
fait, mais il finira par l'intégrer dans son système et voudra le
régenter. Privé de sa liberté, de sa souplesse et du sens du ris',que sous l'aiguillon de la concurrence, le secteur informel sera
étouffé et se verra obligé d'accéder au statut du secteur " moderne " ou de disparaître.
En réalité, l'Etat devrait s'inspirer du secteur informel pour
revoir le secteur organisé surtout public, et les aides
et le
soutien qu'il accorde à ce secteur devenu assisté et protégé, à
outrance.
Le crédit facile et à faible coût a engendré des entreprises çapitalistiques avec un équipement surdimensionné et grandes consom-,
matrices de devises. Les exportations qu'elles assurent recouvrent
plus ou moins leurs importations en matières premières et pièces
de rechange. Pour rembourser les prêts internationaux contractés
pour l'investissement, il faudra puiser dans les recettes du
tourisme, de l'agriculture, dans les années de bonnes récoltes,
_ 112 _
des revenus miniers (pétrole, phosphate, etc.) quand le marché
est conjoncturellement favorable, ou dans les recettes de l'immigration quand la crise épargne l'Europe et ne condamne pas les
immigrés au retour. Bref, ce secteur conçu et développé pour être
un moteur de la croissance devient un parasite et un fardeau pour
la balance des paiements, et pour l'économie du pays. .
Il serait plus judicieux de varier le montant des crédits par
branche, et, en fonction des investissements nécessaires pour
l'entreprise, assurant le meilleur rapport productivité/emploi,
et de moduler les taux d'intérêt en conséquence. Le rapport annuel exportations/importations rentrera en ligne de compte pour
des bonifications d'intérêts et le calcul du taux de l'impôt.
-Ainsi, l'initiative, la réussite et le respect des intérêts de
la collectivité seront récompensés.
Par contre, l'Etat n'apportera ni aide, ni soutien aux créateurs
de nouvelles entreprises qui viendraient supplanter le réseau du
secteur informel, alors que celui-ci satisfait aux besoins dans
le cadre de la concurrence. Par ailleurs, seront encouragées les
entreprises nouvelles qui viendraient à se créer pour s'occuper
d'exportation exclusivement, car les entreprises du secteur informel se révèlent inaptes à couvrir le marché international.
- 113 -
Dans ce cas, l'état jouerait un rôle de régulateur, de catalyseur
respectant à la fois l'initiative et l'intérêt public, à la fois
les grands équilibres et les consommateurs.La planification épouse, dans ce cas, le mouvement des entreprises
au lieu de diriger, d'.imposer ses choix. Il en résultera plus de
chances que l'Etat et la société civile soient en symbiose et non
en conflit.
- 114 -
3. Valorisation de la participation de la femme
Cette nouvelle vision du rôle de l'Etat pourra lui permettre d'inciter à l'utilisation maximale du potentiel d'activité des femmes.
En reconnaissant la production des ménages et la production domes.tique, et en les étudiant comme activités économiques, avec leurs
motivations, leurs objectifs, l'Etat pourra les placer dans le cadre de la production nationale ou régionale, définir leurs fonctions
et entreprendre de faciliter leur développement.
Les deux maux du monde rural étant le transport de l'eau et le ramassage du bois, une recherche de solutions, adaptées permettra à
la femme de consacrer plus de temps à la production : élevage, tissage, poterie, etc., assurant ainsi un meilleur-revenu à la famille.
Ces solutions doivent tirer le meilleur profit des ressources disponibles, peu coûteuses et faciles à exploiter. Une citerne destinée
à la collecte des eaux pluviales, construite avec les pierres disponibles sur place et les liants traditionnels, résoudra le problème
de l'eau potable et initiera à la construction de logements en dur,
selon le plan qui convient au mode de vie du groupe social, avec
respect des règles d'hygiène (lumière et ensoleillement).
- 115 -
Produire ne suffit pas, il reste à valoriser cette production et
à la promouvoir au lieu d'éliminer les femmes du secteur ou de la
branche la plus prometteuse.
Il est aisé de constater que les créneaux les plus prometteurs de
la transformation alimentaire tels que les épices, les gâteaux
traditionnels occupés par le secteur informel féminin ont été appropriés par des entreprises " modernes " pour faire de ces indépendantes, des ouvrières payées au salaire minimum, si ce n'est
'employées à titre d'occasionnelles pour les remplacer par des
machines.
Bien entendu, ces entreprises ont bénéficié de l'aide de l'Etat,
et elles présentent leurs produits avec la qualité du " traditionnel ". •
Une politique plus efficiente instaurerait un contrôle de qualité
pour la production féminine, lui réserverait un label, assurerait
sa promotion par des spots publicitaires (radio, télévision), et
organiserait des foires réservées à ces indépendantes pour permettre un écoulement rapide à l'époque où les ménages s'approvisionnent en ces produits, éviter le stockage coûteux, et, encourager
les rencontres entre productrices, pour les inciter à s'organiser
et à mieux résister aux entreprises.
_ 116 _
Cette politique de contrôle de qualité et de labelisation. pourrait
s'étendre aux produits fermiers (poulets, oeufs, beurre, fromage),
au tissage (tapis, klims, mergoums).
Les institutions étatiques (Office de l'Artisanat, essentiellement),
au lieu d'être des concurrents, se transformeraient en circuit de
commercialisation et de soutien, en formant les jeunes aux métiers
menacés par l'artisanat touristique ou l'oubli, et en faisant connaître les nouvelles techniques susceptibles d'améliorer la qualité,
tout en respectant la créativité et la liberté de l'artisane.
Les foires villageoises, réunissant plusieurs produits, devraient
jouer un rôle important, car elles permettraient aux femmes d'en
faire "un tremplin pour s'affirmer au niveau de la commercialisation,
activité jusque-là, réservée aux hommes.
- 117 -
4. Rôle des intervenants
Le secteur informel a servi et sert toujours'de révélateur des
failles ou des brèches du système officiel, comme il annonce les
tendances futures, parce qu'obligé de s'adapter et de coller au
marché.
Toute la question est de savoir quel soutien, qui le procure, sous
quelle forme, et quand ?
' La taille réduite des " entreprises " et du marché du secteur informel, leur hétérogénéité, nécessitent presqu'un traitement du
cas par cas. C'est pourquoi, le niveau d'action et de soutien
devrait être régional et local. C'est à ce niveau que les études
devraient être initiées et entreprises pour permettre aux autorités (services techniques, administratifs) d'identifier les obstacles, de créer les conditions nécessaires au développement du
secteur informel et de mobiliser les énergies locales, régionales
et internationales (dans le cadre du jumelage entre villes et
régions).
La région a, ou devrait avoir, une connaissance précise des compétences disponibles (cadres en activité ou retraités, associations
diverses). Elle pourrait mettre en contact les groupes-cibles avec
_ 118 -
leur(s) futur(s) partenaire(s) : hommes-ressources, conseils,
services divers. Contrairement à l'Etat, la région a des prétentions modérées, et se trouve en concurrence avec d'autres régions. Elle cherchera à multiplier les cibles, à préférer les
mesures appropriées, peu coûteuses, directement profitables au
plus grand nombre, et susceptibles d'être maintenues par les personnes concernées.
L'action et le soutien ne pourront êbre efficients que si la région est à l'écoute des hommes, ouverte aux innovations, peu chatouilleuse sur la réglementation administrative et fiscale, et se
maintient en état de disponibilité pour informer et guider vers
l'institution , la personne, capable de conseiller, de résoudre
un problème technique ponctuel, ou d'assister bénévolement un
groupe ou une personne dans le lancement d'un projet, sa préparation, ou son évaluation. Bref, la région doit être disponible,
à l'écoute, informée et prête à intervenir au moment requis.
Toute lourdeur dans les démarches ou dans les procédures, la
disqualifieront, tôt ou tard, surtout si elle développe un côté
"providence", source de dépendance et d'esprit d'assisté.
Ces tares ont souvent caractérisé l'Etat, dispensateur d'ordres,
de subventions, d'aides et de prêts, souvent bien au-delà de ses
moyens, et au prix d'un endettement excessif. Son rôle devrait
être révisé. Il est ,non le maître absolu, mais l'oreille qui
écoute, non le moteur, la locomotive, mais l'aiguillon. Il est
le vigile, le guetteur : il observe le mouvement, communique
les informations, met ses divers appareils et son personnel à
-119 -
à la disposition des éclaireurs. le but de sa présence est de
déclencher les rapports entre les parties intéressées, plutôt
que d'agir à leur place, ou de leur imposer des méthodes de
travail ou d'action.
Pour conclure, l'Etat catalyseur (au sens chimique) succède à
l'Etat providence; l'autoritaire laisse la place au facilitateur.
Il ne cherche pas à convaincre mais à comprendre. Son objectif
est de restreindre son champ d'intervention au lieu de l'étendre.
Il facilite, enfin, le recours à toutes les compétences nationales ou internationales, publiques ou privées, gouvernementales
ou non gouvernementales.
Les organisations non gouvernemantales constituent une ressource
importante. Elles sont mues par une volonté d'entr'aide, et ne
se soucient pas de défendre les intérêts d'un Etat, ou d'un groupe
économique. Leur apport se révèle d'autant plus précieux, qu'elles
allient l'objectivité du regard extérieur à l'attitude empathique,
et se soucient de respecter l'autonomie de l'autre et sa spécificité.
De plus, leurs ressources limitées et leur attitude naturelle
les incitent à chercher les solutions les moins coûteuses, les
plus adaptées au groupe-cible, de sorte que les résultats se
fassent sentir à court terme, que le projet atteigne le stade de
l'autonomie assez rapidement, et qu'il soit pris en charge par
- 120 -
ses propres bénéficiaires. C'est pourquoi, l'accent est mis sur
le développement des ressources humaines, par la formation et
l'échange d'expériences concrètes, vécues.
Enfin, l'idéal serait que le besoin soit exprimé par les i-nterressés d'abord, pour être ensuite cerné et évalué par la région,
par l'Etat, avant que ne soit fait appel à des organisations non
gouvernementales; car, le vrai changement est celui pressenti
par ceux qui auront à le vivre.
- 121 -
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