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Projet d’Histoire de l’UNESCO
Séminaire : “L’UNESCO et la Guerre Froide”
Université de Heidelberg, Allemagne, 4-5 mars 2010
RAPPORT SUR LE COLLOQUE
INTRODUCTION
Le colloque « L’UNESCO et la Guerre Froide » constitue le dernier élément du premier cycle de
séminaires du projet « Histoire de l’UNESCO ». Il convient donc de tirer un bilan des trois
colloques et également d’analyser quels sont les liens entre eux, afin de se rendre compte de leurs
résultats et de trouver des pistes à suivre à l’avenir.
Au cœur du séminaire, il y a plusieurs questions, par exemple : quel était le rôle de l’UNESCO
pendant la guerre froide et qu’est-ce qu’on entend exactement par ce terme ? Pourquoi les
historiens auraient-ils intérêt à tenir compte de l’UNESCO dans leurs travaux sur la guerre froide
qui, jusqu’à ce jour, contiennent peu de références aux Nations Unies et encore moins à
l’UNESCO ? Comment l’UNESCO peut-elle stimuler et faciliter ces recherches ? A ces
questions, le colloque a apporté de nombreuses réponses variées.
CONFERENCE INAUGURALE
Françoise Rivière (Sous-Directrice générale pour la Culture de l’UNESCO)
Jean-François Sirinelli (Directeur du Centre d’Histoire de Sciences Po, Paris, France ; Président
du Comité Scientifique International pour le projet « Histoire de l’UNESCO »)
Detlef Junker (Directeur et fondateur du Heidelberg Center for American Studies, Heidelberg,
Allemagne)
Robert Frank (Professeur, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, France)
Irina Bokova (Directrice générale de l’UNESCO),
« Message aux participants du colloque » lu par Françoise Rivière (Sous-Directrice
générale pour la Culture de l’UNESCO)
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Il paraît aujourd’hui logique que l’UNESCO en tant qu’organisation intergouvernementale
s’occupant d’éducation, de science et de culture n’ait pas pu échapper aux conflits politiques
pendant la guerre froide. Même si une partie de ses fondateurs – notamment la France et les pays
de culture latine – souhaitent créer une organisation universelle et apolitique (c’est-à-dire planant
au-dessus des divergences idéologiques), ceci n’est guère possible pour plusieurs raisons.
Premièrement, l’UNESCO s’occupe de tâches moins « techniques » que d’autres organisations
spécialisées des Nations Unies, comme par exemple la FAO ou l’OMS. Ses domaines d’action, et
notamment l’éducation, sont politiquement très sensibles – c’est d’ailleurs pourquoi la France
propose, lors de la création de l’UNESCO, d’établir une organisation séparée pour l’éducation,
afin d’écarter ce sujet difficile de l’UNESCO. Malgré les efforts de maintenir l’UNESCO au-
dessus des conflits internationaux, l’euphorie initiale, la grande volonté de coopération de
l’immédiat après-guerre et le désir d’universalisation qui se traduisent dans les termes de l’Acte
Constitutif de l’UNESCO se dissipent vite. Deuxièmement, l’absence de l’URSS, de la plupart
des Etats dans le « bloc soviétique » et de la Chine populaire de l’Organisation pendant la
première période de la guerre froide rend toute idée d’universalité utopique et empêche de vrais
contacts entre les camps qui sont en train de se consolider.
La mainmise des Etats sur la jeune organisation s’intensifie au cours du conflit, notamment après
la réforme du Conseil Exécutif : à partir de 1954 (c’est-à-dire dès l’entrée du « bloc Est » à
l’UNESCO), les membres du Conseil choisis – du moins en principe – essentiellement pour
leurs qualités personnelles deviennent des représentants officiels de leur gouvernement. Les
crises internationales se reflètent souvent au sein de l’UNESCO : parmi les sources et signes de
conflit pendant la première décennie de son existence, on pourrait citer la représentation de la
Chine, l’action de l’UNESCO en Corée en 1950, l’admission de l’Espagne franquiste en 1952, le
licenciement des fonctionnaires américains accusés de sympathies communistes en 1954 ou la
conférence de New Delhi juste après la crise de Suez et l’intervention soviétique en Hongrie en
1956. Quant aux programmes de l’Organisation, ils souffrent aussi de la guerre, notamment
quelques grands projets politiquement sensibles comme l’Histoire de l’Humanité, la Déclaration
universelle des Droits de l’Homme ou le débat autour de la libre circulation de l’information.
L’UNESCO n’est-elle donc qu’un jouet impuissant de ses Etats membres, comme certains
l’affirment ? Il pourrait effectivement sembler que les deux superpuissances déterminent seules le
sort de l’humanité, et que tous les autres Etats et organismes doivent se soumettre à la logique du
conflit. Mais si les Nations Unies ne jouent qu’un rôle marginal dans la guerre froide, pourquoi
faudrait-il inclure l’UNESCO dans son historiographie ?
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Un regard affûté sur l’histoire du conflit révèle que l’UNESCO a pu y œuvrer plus activement
qu’on pourrait le croire. Ceci est dû à plusieurs facteurs. Premièrement, la guerre froide, loin
d’être une confrontation monolithique entre deux superpuissances qui ne laisse pas la moindre
marge de manœuvre aux autres acteurs, constitue un phénomène multipolaire et complexe,
autant du point de vue chronologique que du point de vue géographique. La période de guerre
froide connaît des moments de consolidation et de dissolution des blocs, d’intensification du
conflit et de détente. En outre, les blocs ne sont pas homogènes. Ainsi, par exemple, les pays
communistes en Asie ne poursuivent pas les mêmes buts politiques que l’URSS et sont souvent
en désaccord entre eux, et les pays occidentaux divergent sur de nombreux points comme, par
exemple, l’avenir des empires coloniaux. La bipolarité se relativise davantage avec l’essor du
mouvement non-aligné et avec la montée en puissance de certains acteurs, par exemple la Chine
ou les pays nouvellement indépendants.
Deuxièmement, l’UNESCO a une position et une mission particulières qui lui permettent de
poursuivre ses activités même dans un contexte de crise internationale. Par ses objectifs et ses
fonctions, elle s’intéresse aux relations qui transcendent le cadre formel et officiel des rapports
interétatiques. Ses domaines d’action, et notamment la culture, créent des milieux spécifiques où
les intellectuels occupent une place prédominante et qui conservent une certaine indépendance
vis-à-vis de la politique. Par conséquent, l’UNESCO réussit souvent à détourner la logique de la
guerre froide par ses activités. Dans les sessions suivantes, il sera question de plusieurs de ces
initiatives dont la réalisation rencontre souvent des difficultés importantes liées à la situation
politique internationale.
SESSION 1: L’UNESCO ET LES ÉTATS MEMBRES : DANS LA TOURMENTE DES POLITIQUES
DE LA GUERRE FROIDE
Présidée par: Mohieddine Hadhri (Professeur, Université du Qatar, Qatar)
Commentateur : Laura Wong (Heidelberg Center for American Studies, Université d’Heidelberg,
Allemagne ; The Reischauer Institute for Japanese Studies, Université de Harvard, États-Unis)
Papiers présentés:
Liang Pan (Professeur adjoint, Université de Tsukuba, Japon)
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« Les relations entre le Japon et l’UNESCO pendant la Guerre froide »
Karel Vasak (ancien Directeur de la Division des Droits de l’Homme et Conseiller
Juridique de l’UNESCO, ancien Secrétaire Général de l’Institut International des Droits
de l’Homme)
« L’UNESCO et la Guerre froide sous l’angle des droits de l’homme »
Anikó Macher (Doctorante, Institut d'études politiques de Paris, France)
« La Hongrie, membre de l’UNESCO : son admission et ses activités (1945-1963) »
Joshia Osamba (Université d’Egerton, Kenya)
« Le rôle de l’UNESCO dans les domaines de l’éducation, de la science et de la culture au
Kenya depuis l’indépendance »
En absence : Moncef Sebahni (Doctorant, Université de Tunis, Tunisie)
« L’Unesco, la Guerre froide et L’Afrique du Nord à travers l’adhésion de la Tunisie et du
Maroc »
La première session du colloque a porté sur différentes interactions, directes ou indirectes, entre
l’UNESCO et plusieurs de ses Etats membres pendant la période de guerre froide, ainsi que sur
les répercussions du conflit sur un des documents normatifs majeurs de l’UNESCO, à savoir la
Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948.
Même si cette Déclaration est née d’une forte volonté commune des deux blocs, le processus de
son élaboration est de plus en plus influencé par la guerre froide. Les deux camps divergent
notamment en ce qui concerne la définition de la notion de « démocratie » et les sanctions à
prévoir en cas de violation des droits de l’homme, idée à laquelle le bloc Est demeure hostile.
Malgré les tentatives de satisfaire les deux camps en adoptant des solutions de compromis, la
Déclaration n’est pas signée par les pays communistes. Ce n’est qu’en 1978 qu’une nouvelle
procédure (104/EX 3.3) visant à une meilleure protection des droits de l’homme peut être
adoptée à l’UNESCO, signe d’un nouvel esprit qui souffle dans les relations internationales.
En analysant les relations entre l’UNESCO et ses Etats membres pendant la période de guerre
froide, on constate que l’Organisation et ses Etats membres ne se soumettent pas toujours à la
logique de confrontation. On pourrait citer les cas de la Hongrie et du Japon, deux pays vaincus
après la seconde guerre mondiale pour qui l’UNESCO constitue un moyen de se redonner du
prestige sur le plan international. Ancien pays de l’Axe, le Japon aspire à l’amélioration de son
image ; par conséquent, il fait preuve d’un esprit pacifique et démocratique au sein de
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l’UNESCO. Quelques années plus tard, l’essor économique japonais conduit le pays à renforcer
ses activités dans le champ de la diplomatie culturelle, par exemple en finançant des projets
importants à l’UNESCO. De cette manière, il essaie de faire face aux accusations d’impérialisme
économique par d’autres pays asiatiques. Appréciant l’UNESCO pour des raisons culturelles,
historiques et politiques, le Japon refuse de jouer le jeu de la guerre froide quand il décide de ne
pas suivre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne qui se retirent de l’Organisation respectivement
en 1984 et 1985.
Autre pays allié de l’Allemagne pendant la deuxième guerre mondiale, la Hongrie, qui est
initialement moins soumise à l’influence soviétique que d’autres pays du bloc Est, profite dès
1948 de son appartenance à l’UNESCO pour établir des relations avec les délégations
occidentales. En effet, elle se sent proche des pays ouest-européens sur le plan culturel, et elle
essaie de compenser l’absence de relations bilatérales par le renforcement de sa politique
multilatérale. Suite à la soviétisation plus poussée de la Hongrie dès la fin des années 1940, elle se
retire de l’UNESCO en 1952 pour revenir lors de l’adhésion de l’URSS en 1954. Malgré son
intégration très ferme dans le « bloc soviétique » à cette époque, le pays continue à s’intéresser
fortement aux activités de l’UNESCO.
Les exemples du Kenya et de beaucoup d’autres pays africains qui accèdent à l’indépendance
dans les années 1960 montrent comment l’entrée de nouveaux acteurs sur la scène internationale
change le visage de la guerre froide qui devient de plus en plus multipolaire. Les nouveaux enjeux
après la fin des régimes coloniaux influent fortement sur le développement de l’UNESCO qui
compte dix-neuf nouveaux membres africains en 1960. Par conséquent, elle gagne en universalité
et introduit de nouveaux thèmes à son agenda : ainsi, par exemple, l’idée du développement y
devient plus importante.
Lors du débat, il a été évoqué que la structure de l’UNESCO favorise des projets communs de
pays appartenant à différents « blocs ». En effet, l’Organisation est repartie en groupements
régionaux pour les activités depuis 1964, et la région « Europe et Amérique du Nord » comprend
des pays des deux camps. Par conséquent, l’UNESCO a pu organiser, en pleine période de
guerre froide, des réunions de Ministres paneuropéennes (dans de nombreux domaines, à
l’exception de celui de la communication).
Néanmoins, l’entrée du « bloc soviétique » à l’UNESCO en 1954, tout en donnant un caractère
plus universel à l’Organisation et en permettant des rencontres entre ressortissants des deux
camps en son sein, provoque en même temps un renforcement du contrôle des gouvernements
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