RAPPORT DU SEMINAIRE DE HEIDELBERG, 4-5 MARS 2010 page 2
Il paraît aujourd’hui logique que l’UNESCO en tant qu’organisation intergouvernementale
s’occupant d’éducation, de science et de culture n’ait pas pu échapper aux conflits politiques
pendant la guerre froide. Même si une partie de ses fondateurs – notamment la France et les pays
de culture latine – souhaitent créer une organisation universelle et apolitique (c’est-à-dire planant
au-dessus des divergences idéologiques), ceci n’est guère possible pour plusieurs raisons.
Premièrement, l’UNESCO s’occupe de tâches moins « techniques » que d’autres organisations
spécialisées des Nations Unies, comme par exemple la FAO ou l’OMS. Ses domaines d’action, et
notamment l’éducation, sont politiquement très sensibles – c’est d’ailleurs pourquoi la France
propose, lors de la création de l’UNESCO, d’établir une organisation séparée pour l’éducation,
afin d’écarter ce sujet difficile de l’UNESCO. Malgré les efforts de maintenir l’UNESCO au-
dessus des conflits internationaux, l’euphorie initiale, la grande volonté de coopération de
l’immédiat après-guerre et le désir d’universalisation qui se traduisent dans les termes de l’Acte
Constitutif de l’UNESCO se dissipent vite. Deuxièmement, l’absence de l’URSS, de la plupart
des Etats dans le « bloc soviétique » et de la Chine populaire de l’Organisation pendant la
première période de la guerre froide rend toute idée d’universalité utopique et empêche de vrais
contacts entre les camps qui sont en train de se consolider.
La mainmise des Etats sur la jeune organisation s’intensifie au cours du conflit, notamment après
la réforme du Conseil Exécutif : à partir de 1954 (c’est-à-dire dès l’entrée du « bloc Est » à
l’UNESCO), les membres du Conseil choisis – du moins en principe – essentiellement pour
leurs qualités personnelles deviennent des représentants officiels de leur gouvernement. Les
crises internationales se reflètent souvent au sein de l’UNESCO : parmi les sources et signes de
conflit pendant la première décennie de son existence, on pourrait citer la représentation de la
Chine, l’action de l’UNESCO en Corée en 1950, l’admission de l’Espagne franquiste en 1952, le
licenciement des fonctionnaires américains accusés de sympathies communistes en 1954 ou la
conférence de New Delhi juste après la crise de Suez et l’intervention soviétique en Hongrie en
1956. Quant aux programmes de l’Organisation, ils souffrent aussi de la guerre, notamment
quelques grands projets politiquement sensibles comme l’Histoire de l’Humanité, la Déclaration
universelle des Droits de l’Homme ou le débat autour de la libre circulation de l’information.
L’UNESCO n’est-elle donc qu’un jouet impuissant de ses Etats membres, comme certains
l’affirment ? Il pourrait effectivement sembler que les deux superpuissances déterminent seules le
sort de l’humanité, et que tous les autres Etats et organismes doivent se soumettre à la logique du
conflit. Mais si les Nations Unies ne jouent qu’un rôle marginal dans la guerre froide, pourquoi
faudrait-il inclure l’UNESCO dans son historiographie ?