Reconstruction après un cancer

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Pour aider
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Reconstruction après un cancer
Pour retrouver
son image
Reconstruire une partie du visage ou un sein…
Les progrès techniques permettent aujourd’hui
de gommer les stigmates laissés par la maladie
et les traitements. Mais les interventions sont
parfois lourdes, et la décision finale doit toujours
appartenir au patient.
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Pour aider
/ Reconstruction après un cancer
Les demandes des patients sont de deux ordres.
Fonctionnelles tout d’abord, esthétiques ensuite.
L
e visage est capital dans notre relation
aux autres, dans notre vie quotidienne, professionnelle, familiale
et sentimentale. « Il est l’interface
sociale par excellence, souligne le
Pr Jean-Paul Meningaud, chirurgien dans le
service de chirurgie plastique, reconstructrice
et esthétique de l’hôpital Henri Mondor à Créteil.
Esthétique mais avant tout réparatrice
La frontière peut paraître parfois floue entre la chirurgie
purement esthétique et la chirurgie réparatrice. Cela a
pu, par le passé, entraîner des abus sur les demandes de
prise en charge. Aujourd’hui, les choses sont claires : la
chirurgie réparatrice du corps ou du visage suite à une
maladie comme le cancer est prise en charge à 100% par
l’Assurance maladie. Cependant, les dépassements
d’honoraires (non pris en charge par l’Assurance
maladie) en matière de chirurgie plastique sont
fréquents et peuvent atteindre des sommes importantes.
Le Code de la santé publique oblige les praticiens à
fournir un devis si le dépassement est supérieur à 70€.
Il ne faut donc pas hésiter à le demander.
Pour en savoir +
• Enquête de la Ligue contre le cancer sur le reste
à charge : www.ligue-cancer.net/article/3497_
enquete-sur-le-reste-a-charge
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Sur le plan maxillo-facial, nous intervenons principalement pour deux grands types de
cancers : les tumeurs étendues ainsi que les cancers de la cavité buccale. Les demandes des
patients sont de deux ordres. Fonctionnelles tout
d’abord : il s’agit de pouvoir s’alimenter par la
bouche, respirer par le nez... Esthétiques ensuite :
les personnes ne se reconnaissent pas après l’opération et veulent retrouver leur visage d’avant ».
L’évolution technique, et notamment la microchirurgie* permet aujourd’hui d’opérer des
patients de plus en plus âgés dans un environnement (le visage) très délicat avec la
présence de beaucoup de nerfs. « Dans le même
temps, reconnaît Jean-Paul Meningaud, nous
constatons une recrudescence des cancers de la
peau, due à une plus grande exposition au soleil
depuis quelques décennies. Quand on touche
au visage, les patients sont anxieux. Certains
repoussent le moment de consulter, ce qui ne fait
qu’empirer la situation. Pour un épidermoïde,
la chirurgie est la seule option. Plus la tumeur
s’est développée, plus la reconstruction sera
difficile ».
Dans le cas de la perte totale d’une unité anatomique comme le nez ou une oreille, par exemple,
on peut également avoir recours à l’épithèse
(voir encadré p.39). Ce type de prothèse a, lui
aussi, connu des progrès importants, notamment avec l’arrivée du silicone. Il présente un
avantage énorme pour la surveillance de la
récidive locale puisqu’il suffit de l’ôter pour
inspecter la zone opérée.
Reconstruction* :
une partie intégrante des soins
Une étude menée à l’initiative du
Comité départemental de la Ligue
contre le cancer de l’Hérault montre que
la grande majorité des femmes ayant eu
recours à une reconstruction mammaire
sont satisfaites de leur démarche.
« La reconstruction est considérée par
les professionnels et les associations
comme faisant partie intégrante
des soins», estime Marion Pélissier,
oncologue et radiothérapeute qui a
coordonné cette étude.
Cette enquête a été menée par le groupe
Isis qui réunit des professionnels de
santé indépendants (chirurgiens,
oncologues, psychologues, infirmières,
etc.) et soutenue par la Ligue nationale
contre le cancer.
Le groupe Isis a contacté 753 femmes
ayant subi une mastectomie et a
obtenu 245 réponses. Sur les femmes
ayant répondu, 41 % n’avaient pas
eu recours à la reconstruction.
39 % avaient opté pour une
reconstruction différée, plusieurs
semaines ou plusieurs mois après
l’opération et 20 % avaient bénéficié
d’une reconstruction immédiate.
« Nous avons constaté que la
reconstruction n’est pas encore
proposée systématiquement, regrette
Marion Pélissier. Pourtant, ce n’est pas
une chirurgie de confort. Les femmes
qui ont subi une ablation vivent
souvent mal leur mutilation. Et la
reconstruction donne satisfaction à
une grande majorité d’entre elles.
Si c’était à refaire, elles le referaient ».
S’il est effectué en secteur public, le
geste de reconstruction est pris en
charge à 100 %. Dans le secteur privé,
il y a des dépassements d'honoraires
qui ne sont pas toujours pris en charge
par des mutuelles. De plus, les soins
de support ne sont pas remboursés.
« Une reconstruction nécessite
notamment des actes de kinésithérapie
sur une longue durée pour réapprendre
à connaître son corps, poursuit Marion
Pélissier. Et ces actes, eux, ne sont pas
remboursés ».
*Découvrez la brochure La reconstruction du sein
après un cancer sur www.ligue-cancer.net/shared/
brochures/reconstruction-sein-apres-cancer.pdf
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Pour aider
/ Reconstruction après un cancer
L’éthique pratique se résume à une maxime simple :
faire aux autres ce que je voudrais que l’on me fasse.
A chaque opération, nous devons évaluer le bénéfice
par rapport au risque.
Une intervention vécue comme une
mutilation
Chez certaines femmes, l’ablation d’un sein
est, elle aussi, vécue comme une mutilation. Malgré les campagnes de dépistage
et la précocité des traitements, 30 % des
femmes atteintes d’un cancer du sein doivent subir une mastectomie. « Il arrive même
que certaines patientes la réclament, constate
Charles Meyer, chirurgien-cancérologue à
l’hôpital Pasteur de Colmar, car elle ne veulent pas prendre le risque d’une récidive.
Certaines pathologies rendent la mastectomie
inévitable : le cancer « multifocal » qui comporte plusieurs nodules (des plus petits foyers
de cancer se manifestent dans le même quadrant mammaire que la tumeur principale)
ou le cancer inflammatoire du sein, qui est
une forme particulièrement agressive mais
heureusement assez rare, la récidive dans un
sein déjà traité et enfin le cancer intracanalaire étendu qui reste cantonné à l’intérieur
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des canaux galactophoriques (de la taille d’un
cheveu). Dans ce dernier cas, on est sûr de la
guérison à 100 %, ce qui est une bonne indication pour une reconstruction immédiate ».
Avec ou sans prothèse
Il existe trois grandes techniques en matière
de reconstruction mammaire. Avec la première,
la plus simple, on insère une prothèse sous la
peau et le muscle pectoral. La seconde associe la prothèse à un lambeau de peau prélevé
dans le dos (reconstruction par lambeau de
grand dorsal). La troisième, baptisée DIEP
(pour Deep inferior epigastric perforator
flap), consiste à reconstruire le sein à partir de la graisse abdominale. « C’est la plus
compliquée, note le Dr Christelle Santini,
chirurgien, chef de clinique en chirurgie
plastique, reconstructrice et esthétique à
l’hôpital Saint-Louis à Paris. Chacune présente des avantages et des inconvénients.
Pour la pose de la prothèse, l’intervention est
CHEZ CERTAINES FEMMES,
L’ABLATION D’UN SEIN EST VÉCUE
COMME UNE MUTILATION. MALGRÉ
LES CAMPAGNES DE DÉPISTAGE ET
LA PRÉCOCITÉ DES TRAITEMENTS,
30 % DES FEMMES ATTEINTES D’UN
CANCER DU SEIN DOIVENT SUBIR
UNE MASTECTOMIE.
courte et le séjour à l’hôpital limité, mais le
sein est ferme, et n’a pas la même consistance que l’autre. La seconde technique
nécessite une certaine souplesse de la peau.
Elle ne peut pas être proposée à tout le
monde. Et elle entraîne une nouvelle cicatrice, dans le dos. La DIEP, développée depuis
les années 90, donne les meilleurs résultats
en termes de consistance et de symétrie. Son
énorme avantage est de ne pas utiliser de
prothèse. L’opération initiale est plus lourde
que les autres, mais, ensuite, on n’a plus
besoin d’intervenir ».
En conclusion, quelle technique
choisir ?
« Il ne faut pas tromper les femmes, estime
pour sa part Charles Meyer. Même si les opérations donnent des résultats magnifiques, le
sein reconstruit ne sera jamais son propre
sein et la patiente doit en faire son deuil.
Chaque situation est unique et ce n’est pas
Prothèse testiculaire
Si l’ablation d’un sein peut être le
synonyme de perte de féminité
pour une femme, celle d’un testicule
a le même effet pour la virilité chez
l’homme. Le traitement du cancer
du testicule nécessite parfois l’ablation
de l’organe touché. Celle-ci, appelée
orchidectomie, est réalisée sous
anesthésie générale. Elle ne remet pas
en cause les fonctions sexuelles ni la
fertilité assurée par le sperme produit
par le testicule restant. Si le patient en
a fait la demande, une prothèse
testiculaire peut-être mise en place,
en utilisant la même incision, lors
de l’intervention.
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Pour aider
/ Reconstruction après un cancer
L’ÉVOLUTION TECHNIQUE, ET
NOTAMMENT LA MICROCHIRURGIE
PERMET AUJOURD’HUI D’OPÉRER
DES PATIENTS DE PLUS EN PLUS ÂGÉS
DANS UN ENVIRONNEMENT (LE
VISAGE) TRÈS DÉLICAT AVEC LA
PRÉSENCE DE BEAUCOUP DE NERFS.
aux médecins d’imposer une reconstruction à
tout prix. C’est à chacune de faire son choix.
Beaucoup de femmes ne la demandent pas,
satisfaites d’être « guéries », ne souhaitant
pas refaire une chirurgie lourde et, finalement, s’accommodent très bien de la prothèse
externe ».
« Nous devons prendre en compte les instructions particulières de chacun de nos patients,
confirme Jean-Paul Meningaud. Pour moi,
l’éthique pratique se résume à une maxime
simple : faire aux autres ce que je voudrais
que l’on me fasse. A chaque opération, nous
devons évaluer le bénéfice par rapport au
risque ».
Les reconstructions réalisées sur le visage
peuvent avoir lieu immédiatement après
l’ablation de la tumeur. Le patient doit donc
être informé en amont. « Le plus souvent,
je m’occupe moi-même de l’ablation de la
tumeur et de la reconstruction, précise
Jean-Paul Meningaud. Mais la difficulté
consiste à savoir si on a enlevé toute la tumeur.
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Pour cela, il faut une analyse histologique
immédiate. Si elle confirme que tout a été
enlevé, on peut lancer la reconstruction.
Quand on doit attendre quelques jours pour
avoir les résultats, on gagne en fiabilité ce
qu’on perd en rapidité ».
Nicolas Démare
*La microchirurgie vasculaire et nerveuse, qui nécessite l’utilisation d’un microscope de la part du chirurgien, se développe depuis
les années 70. Elle a permis notamment le développement des
greffes, tout d’abord de peau, puis de muscles et de peau, et enfin
de zones anatomiques entières (os, muscles et peau). En perpétuelle évolution, cette technique de pointe a notamment permis les
greffes de partie entières de visage d’une personne sur une autre.
Pour en savoir +
• Découvrez la brochure La reconstruction du visage
après un cancer, rédigée par le Pr Jean-Paul
Meningaud sur www.ligue-cancer.net/shared/
brochures/reconstruction-visage-apres-cancer.pdf
INTERVIEW
Muriel Villette,
épithésiste.
Quand la chirurgie ne suffit plus
Vivre : En quoi consiste la technique
de l’épithèse ?
Muriel Villette : On y a recours quand la
chirurgie ne peut plus reconstruire. Cela
concerne la tête et le cou, principalement
le nez, les yeux ou les oreilles. Il s’agit de
remplacer une partie du visage absente.
L’épithèse a un rôle esthétique, bien sûr,
mais aussi psychologique et social,
puisqu’elle permet à la personne qui en
bénéficie de se réinsérer dans la société.
Elle peut aussi avoir une fonction
physiologique en favorisant la respiration
ou la phonation.
Comment travaille l’épithésiste ?
M. V. : Nous sommes en relation étroite avec
le corps médical pour concevoir, réaliser et
adapter l’épithèse. Mais nous devons aussi
comprendre la demande du patient pour
reproduire au mieux un détail, une forme.
Le patient vient nous voir avec une
prescription médicale de son chirurgien ou
de son généraliste. Il y a en moyenne quatre
rendez-vous. Le chirurgien, l’épithésiste et
le patient décident ensemble du mode de
fixation de l’éptihèse : collée à la peau, fixée
sur des lunettes ou bien sur des implants. La
dernière technique nécessite environ trois
mois de plus, le temps que l’os se reforme
autour de la vis.
Les epithèses ont fait beaucoup de progrès.
Auparavant, elles étaient dures, en résine
acrylique, ce qui les rendait parfois très
gênantes, plus lourdes et coupantes.
Aujourd’hui, nous travaillons
principalement avec du silicone, léger et
plus proche de la souplesse de la peau.
Qu’est-ce qui est le plus difficile à
reproduire ?
M. V. : Le plus gros problème concerne la
couleur de la peau. Je travaille toujours à la
lumière du jour pour trouver la bonne teinte.
Mais, contrairement à la peau, une épithèse
ne change pas de couleur. On ne peut pas
faire grand chose quand une personne à
tendance à rougir, par exemple, ou si elle
s’expose au soleil. Pour la forme, je m’inspire
d’anciennes photos ou je prends modèle sur
l’organe restant (oreille ou œil).
Je recontacte systématiquement mes
patients pour savoir s’ils s’habituent à
l’épithèse. Celle-ci a une durée de vie
limitée. La Sécurité sociale, autorise, après
étude du dossier, le renouvellement de
l’épithèse tous les 18 mois. La prise en
charge est de 100 %.
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