Déplacement pathologique : historique et diagnostics différentiels

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L’Information psychiatrique 2006 ; 82 : 405-15
QUESTION OUVERTE
Déplacement pathologique :
historique et diagnostics différentiels
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Federico Caro*
RÉSUMÉ
Les études en psychopathologie, à partir du XIX siècle, ont abouti au concept de voyage pathologique, concept
exclusivement français qui se réfère au comportement, au passage à l’acte d’une personne qui est atteinte d’une maladie ;
on va voir quelle est son évolution historique et sa définition la plus appropriée, ainsi que le grand nombre d’affections qui
peuvent donner lieu à un tableau clinique similaire. Nous allons décrire les « syndromes » d’Inde, de Paris, de Stendhal, de
Jérusalem et de Tahiti qui peuvent générer une confusion sémiologique à cause du manque de clarté des concepts de
troubles dissociatifs et des différents mécanismes du délire.
e
Mots clés : syndrome dissociatif, voyage pathologique, délire, jet-lag
ABSTRACT
Pathological displacement: background and differential diagnoses. Studies in psychopathology from the 19th century
on led to a concept of the pathological journey, an exclusively French concept which refers to the behaviour, the acting out
of a person suffering from an illness; we will examine its historical evolution and most appropriate definition, as well as the
large number of ailments that can give rise to a similar clinical tableau. We will describe the India, Paris, Stendhal,
Jerusalem and Tahiti “syndromes” which can engender semiological confusion because of the lack of clarity behind
concepts of dissociative disorders and the different mechanisms of delirium.
Key words: dissociative syndrome, pathological journey, delirium, jet-lag
RESUMEN
Desplazamiento patológico : historia y diagnósticos diferenciales. Los estudios psicopatológicos, a partir del siglo
XIX, han acuñado el concepto de viaje patológico, concepto exclusivamente francés que se refiere al comportamiento, al
paso al acto de una persona enferma ; veremos cual es su evolución histórica y su definición más apropiada, así como el
gran número de afecciones que pueden provocar un cuadro clínico similar. Describiremos los ″síndromes″ de la India, de
París, de Stendhal, de Jerusalén y de Tahití que pueden generar una confusión semiológica a causa de la poca claridad de los
conceptos de transtornos disociativos y de los distintos mecanismos del delirio.
Palabras clave : síndromes disociativos, viaje patológico, delirio, jet-lag
*
Médecin colombien, spécialiste en psychiatrie et en addictologie, doctorant en psychanalyse à l’université Paris 7.
<[email protected]>
L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 82, N° 5 - MAI 2006
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F. Caro
Le déplacement a toujours été très important dans la
plupart des cultures, il fait partie des mythes fondateurs des
peuples et des religions. Un grand voyage est souvent
initiatique, c’est la fin ou le début d’une époque ou d’une
histoire.
Voyager est actuellement facile et banalisé dans une
Europe sans frontières ; on se déplace pour le tourisme,
pour le travail, pour le plaisir de voyager, mais cela peut
être la conséquence d’une affection physique ou motivé par
une idée délirante. On ne peut pas prévoir les réactions des
touristes même s’ils n’ont aucun antécédent psychiatrique ;
on ne peut pas savoir quelle est l’intention d’un voyageur
s’il ne se fait pas remarquer, mais le psychiatre peut peutêtre prévenir des décompensations chez ses patients s’il les
aide à préparer leur voyage.
Les études en psychopathologie ont abouti au concept
de voyage pathologique, concept exclusivement français
qui se réfère au comportement, au passage à l’acte d’une
personne qui est atteinte d’une maladie ; on va voir quelle
est son évolution historique, sa définition la plus appropriée
et ses diagnostics différentiels.
Historique
Beaucoup de termes ont été utilisés et repris dans la
sémiologie du voyage. Tout d’abord, Esquirol a décrit certains déplacements pathologiques à travers la monomanie
intellectuelle, qui à l’époque était liée à un trouble de
jugement et aux délires partiels, et parle surtout du voyage
comme moyen thérapeutique grâce à l’isolement du
malade [12].
Dans la médecine américaine, on retrouve une allusion
isolée au déplacement pathologique avec la « drapetomanie », mot créé en 1850 par une commission de la société
médicale de l’état de Louisiane, qui, étudiant les caractéristiques de la race noire, a inventé ce type de folie pour
désigner la tendance à s’enfuir des esclaves [19].
Ensuite, avec les travaux de Foville en 1875, commence
en France toute une sémiologie du voyage et une grande
quantité de termes sont utilisés et repris pendant quelques
décennies jusqu’à la définition du voyage pathologique que
l’on retrouve de nos jours, par exemple : automatisme1
ambulatoire (Tissié en 1887), automatisme somnambulique (Garnier en 1887), impulsion à la déambulation
(Duponchel en 1890), accès ambulatoire des alcooliques
(Crothers en 1890), déterminisme ambulatoire (Verga en
1891, Borri en 1892 et Funaioli en 1893), vagabondage
impulsif (Pitres en 1891), dromomanie (Régis en 1893),
automatisme ambulatoire épileptique, hystérique ou liés à
1
Le mot « automatisme » a été utilisé des le début du XIXe siècle,
notamment pour exprimer le point de vue cartésien selon lequel les
animaux, contrairement aux hommes, sont des machines. Ensuite le terme
désigne une activité involontaire [19]. Esquirol l’utilise en faisant allusion
à l’épilepsie [2].
406
une ou autre névrose (Clérambault, Janet et Charcot en
1891), délire ambulatoire, fugue psychasthénique (Raymond en 1895), manie ambulatoire (Berkley en 1897) et
poriomanie (Donath et Burg en 1900).
Les aliénés migrateurs
Lors de son travail à Quatre Mares, Foville a eu l’opportunité de rencontrer plusieurs cas de malades voyageurs. Il
dit clairement qu’il ne prétend pas « inventer une nouvelle
espèce de folie ». Au contraire, il veut montrer comment le
voyage, un acte qui est « habituellement aussi réfléchi et
aussi rationnellement motivé, peut, dans certains cas, être
le résultat maladif d’une conception délirante » [15]. La
plupart des aliénés migrateurs sont des persécutés hallucinés. Pour fuir leurs ennemis, ils changent de quartier, de
ville, de pays, mais en vain. Ils peuvent voyager aussi pour
retrouver l’être bien aimée (érotomanie) ou la reconnaissance d’un titre (délire de filiation).
Pour Foville, il existait cinq catégories de malades qui
voyagent : les imbéciles qui vagabondent, les dipsomanes,
les épileptiques, les déments et les aliénés voyageurs. Tous
ont en commun avec les aliénés voyageurs le fait de se
déplacer et de quitter leur résidence, mais il n’y a pas
d’analogie concernant les motifs de leurs déplacements.
Dromomanie ou fugue du dégénéré
Etienne Régis, un proche associé de Pitres, invente le
terme « dromomanie »2 vers 1893 pour désigner une
impulsion irrésistible de fuite. La fugue devient l’épisode,
la dromomanie devient le trouble de la fugue compulsive,
recouvrant non seulement les fugues épileptiques ou hystériques, mais aussi celles qui ne peuvent être inscrites dans
aucune des deux.
Accès ambulatoire des alcooliques
Décrit par Crothers en 1890, il consiste en une perte de
mémoire, un état nerveux particulier produit ou développé
par l’alcool. Un grand nombre d’individus agissent comme
de coutume et font dans l’état automatique ce qu’ils ont
l’habitude de faire chaque jour.
Automatisme ambulatoire hystérique
ou épileptique ?
Le grand maître de l’époque, Charcot, est amené à se
prononcer pendant les années 1880 et il parle « d’automatisme » en suivant le concept tel qu’il a été développé par
John Hughlings Jackson. Il va en faire le mécanisme commun à un certain nombre de phénomènes préexistants,
l’amnésie traumatique, les épilepsies non convulsives, le
2
Dromo signifie en grec course, particulièrement celle des chevaux.
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Déplacement pathologique
somnambulisme et les voyages des aliénés3. Pour Charcot,
un individu a des comportements automatiques après « un
accès d’épilepsie et, sous l’influence de rêves épouvantables, il devient violent, il casse, il brise tout, et puis il se
met à marcher... ces épileptiques-là peuvent assassiner
quelqu’un ou se suicider » [19].
La définition de l’automatisme ambulatoire sera reprise
par Pitres au congrès de médecine de Bordeaux en 1895.
C’est un « épisode morbide, survenant par accès, dans
lesquels le malade, obéissant à une impulsion subite et
irrésistible, quitte brusquement le domicile et erre à
l’aventure pendant un temps plus ou moins long. Après
quoi, l’impulsion ayant cessé, il rentre chez lui et y vit
tranquille jusqu’à ce qu’un nouvel accès provoque une
fugue aussi imprévue et aussi irraisonnée que la précédente » [9].
Automatisme ambulatoire (accès ambulant)
de l’hystérique
Le patient présente une méthode dans l’action du départ,
la coordination de ses actes est parfaite, il semble sain, peut
entreprendre un travail et le fait avec intelligence. Il n’est
pas totalement amnésique et il peut se rappeler des actes
accomplis par intermédiaire de l’hypnose. Cela s’explique,
selon Raymond et Janet, par le « rétrécissement de conscience qui permet l’idée fixe de passer du subconscient au
conscient et qui provoque le passage à l’acte ou le
voyage » [9] ; cette idée fixe ne laisse pas de place pour une
autre pensée qui reste ainsi latente jusqu’au moment d’un
changement d’équilibre.
Automatisme ambulatoire (accès ambulant)
de l’épileptique
Le patient présente une inconscience absolue, une
absence de coordination de ses mouvements et il n’a pas de
notion de la direction qu’il a prise. « Ils errent sans but,
s’emparant des objets et renversant souvent devant eux ce
qui les gêne. L’amnésie est totale et le souvenir est
impossible à l’état de sommeil hypnotique »4. Dans la
plupart des cas, les patients sont « absolument inconscients
des actes qu’ils accomplissent ou des attitudes qu’ils
prennent au cours de leur crise comitiale » [8]. Cet acte,
qui entraîne comme corollaire l’irresponsabilité du sujet,
est assez généralement admis au début du XXe et on tend
souvent a priori à regarder comme de nature épileptique
tout acte anormal effectué par un individu en apparence
sain et ignorant sincèrement les faits qui lui sont reprochés.
L’automatisme ambulatoire de Philippe Tissié
Philippe Tissié travaille dans le service de Pitres à Bordeaux et entre en concurrence avec le concept de « fugue
(automatisme ambulatoire) épileptique » de la Pitié et du
maître Charcot. Il écrit sa thèse en 1887 en rapport au cas
d’Albert Dadas et la reprend ensuite plusieurs fois pour ses
recherches. Dadas « commence à fuguer vers l’âge de
12 ans, il continue en l’adolescence en France et en
Algérie ; engagé dans l’Armée, il déserte une première
fois et visite la Belgique, les Pays-Bas, l’Allemagne et
l’Autriche. La deuxième fois, il va plus loin en passant par
la Belgique, Prague, Berlin, Varsovie, Moscou, la Turquie, Vienne, la Suisse et finalement l’intérieur de la
France ». À cause de cette désertion, il est condamné à
trois ans de travaux publics en Algérie. À son retour en
France, il habite à Bordeaux et se marie. Il est hospitalisé
chez Pitres en 1886 d’où il fugue régulièrement. Ces crises
sont précédées d’un malaise prémonitoire, « il est captivé
par un nom de lieu et ensuite il vole un peu d’argent, et
part inconscient. Puis il se réveille, quelques jours plus
tard, amnésique, dans telle ou telle ville d’où il se fait
ramener à Bordeaux » [2]. Sous hypnose, on peut lui faire
raconter ses voyages. C’était un jeune homme, bon travailleur, hostile à l’alcool, menant une vie calme et régulière, mais saisi parfois d’un besoin impérieux de partir [5].
Pitres pense que Dadas est hystérique. Quand celui-ci
déménage à Paris en 1889, son cas y est re-étudié et deviendra une sorte de « paradigme national des fugues hystériques » [2].
Hacking, dans son livre, les Fous voyageurs [19],
reprend longuement le travail de Tissié ; il se demande
pourquoi cette thèse développe un tel enthousiasme dans le
milieu psychiatrique et évoque une épidémie des fugues5
qui aurait duré plus de vingt ans suite à cette thèse6 ; c’est
3
À l’époque, la question était de savoir dans quel genre de maladie
classifier le déplacement pathologique, l’épilepsie ou l’hystérie. Les discussions voient s’affronter des groupes de médecins qui deviendront après
neurologues ou psychiatres-aliénistes.
4
À l’époque, les définitions sont très variées et dépendent de chaque
auteur ; par exemple ici, il est contradictoire de prendre les critères de
Jules Voisin pour faire la différence entre automatisme hystérique et
épileptique : « a) La perte de la conscience n’est pas absolue chez
l’épileptique mais totale chez l’hystérique. b) L’amnésie consécutive
n’est pas complète dans l’épilepsie. Dans l’hystérie, elle est lacunaire. c)
Chez l’hystérique il y a dédoublement des séries mnésiques ; les
événements sont donc révocables avec l’hypnose ». J. Voisin, cité dans
[2].
5
Selon mon hypothèse, cette épidémie, ou plutôt, la possibilité de se
rendre compte des comportements inadaptés des voyageurs, est influencée
par l’identification des personnes grâce à la carte d’identité, qui a été créée
en 1888 par un décret obligeant les étrangers à une déclaration d’identité.
En 1893, la loi a élargi la mesure aux étrangers voulant travailler en France
et, en 1912, exige un carnet anthropométrique pour les nomades. Au
moment de la première guerre, la carte d’identité devient obligatoire pour
tous les étrangers.
6
Pour qu’un individu soit affecté par cette « épidémie », Hacking définit
quelques critères : avoir un style de vie régulier, un foyer stable, être
citadin (il n’y a pratiquement pas de paysans, ni de fermiers) et un homme.
Le prototype du fugueur est donc le conscrit de l’Armée [19].
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F. Caro
une « maladie mentale transitoire »7. Il ne s’agit pas d’une
épidémie au sens épidémiologique, mais simplement de la
manifestation clinique décrite par Foville, déformée et
reprise pendant trois décennies très fréquemment dans la
littérature médicale, et qui va se redéfinir devant un concept
nouveau, celui de Bleuler, la démence précoce qui deviendra ensuite la schizophrénie [5].
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Délire ambulatoire
Ce terme a été proposé par Fulgence Raymond (1895)
pour remplacer celui d’automatisme ambulatoire. Successeur de Charcot, celui-ci souligne que même un épileptique
peut souffrir de délire ambulatoire-fugue-hystérique. Un
homme peut avoir les deux maladies à la fois et, « s’il est
hystérique, il doit être traité par l’hypnose et non par le
bromure ». Raymond propose aussi le terme de « fugue
psychasthénique » repris de Janet à la fin du XIXe siècle,
une catégorie qui s’ajoute aux fugues épileptique et hystérique et qui n’implique pas une amnésie sérieuse. Pour lui
la fugue comprend une impulsion irrésistible à accomplir
un acte ; cet acte est accompli d’une manière intelligente et,
à la fin de l’action impulsive, il y a oubli complet [4].
Dans la littérature, on va parler ensuite des « psychoses
migratrices », de la « paranoïa ambulatoire », des « fugues
de la mélancolie » quand elles sont liées à la dépression, et
même de « manie ambulatoire », mais il s’agit de termes
différents qui ne changent pas vraiment les concepts précédents. Chez les patients déments, ont été décrites des
« fugues de la démence du paralytique » et de la « démence
sénile » [2].
Vagabondage
À la différence de la fugue qui est accidentelle, Benon,
en 1908, explique que le vagabondage est un comportement permanent : « Un état morbide habituel de l’activité
au cours duquel le malade exécute des marches, voyages,
etc. sous l’influence de troubles psychiques » [4]. Pour lui,
la plupart des malades décrits par Foville, Tissié et Wahl
sont des vagabonds.
Le vagabondage est caractérisé par un mode de vie sans
domicile fixe ni moyen stable de subsistance et par la
crainte qu’il suscite pour l’ordre public.
Le concept de « vagabond de race », va se développer à
partir du terme « juif névropathe et vagabond » avec le cas
Klein décrit par l’école de Charcot8.
7
C’est-à-dire une possibilité de devenir malade qui se retrouve « à la
mode » pour disparaître plus tard. Si on peut donner des limites d’existence à une maladie, cela serait la notion de « fugue hystérique » et non du
voyage pathologique comme l’affirme Hacking.
8
Le syndrome du juif errant est confondu avec le syndrome de Munchausen et parfois donné comme synonyme. Henri Meige, élève de Charcot,
décrit dans sa thèse, Certains névropathes voyageurs, des Juifs d’Europe
408
Fugue
Une fugue9 est un « acte morbide de l’activité, accidentel, transitoire, qui survient presque toujours par accès,
au cours duquel le malade exécute un déplacement
anormal, marche, course, voyage, etc. sous l’influence des
troubles psychiques » [18]. C’est un accès de durée généralement courte, tandis que le vagabondage est un état
chronique.
Les fugues se caractérisent par leur caractère souvent
brutal, explosif, plus ou moins adapté. Il n’y a pas de
désorientation temporospatiale et le sujet semble être sain.
Elle s’inscrit le plus souvent au cours d’une maladie mentale. Mais il y a aussi la fugue inconsciente et amnésique de
l’épileptique, des déments ou de ceux qui souffrent d’une
altération de l’état de conscience. Le traitement sera celui
de la maladie en cause ou de l’inadaptation sociale.
Fugues de l’enfance et de l’adolescence
Il est important de les considérer séparément des fugues
de l’adulte. À cet âge, c’est souvent une réaction psychoaffective à un milieu social nocif ou à une situation présente
anormale ou insoutenable pour un enfant à caractère ou une
personnalité fragile. Au cours de ces fugues, il y a une
fréquence élevée des délits.
Dans ses lettres à Romain Rolland, Freud disait de la
pulsion de voyage qu’elle « trouve sa cristallisation dans
l’adolescence où la tentation de la fugue est la plus forte
et s’enracine dans l’insatisfaction de la famille... le désir
ardent de voyager était certainement une expression du
désir d’échapper à cette pression qui incite tant d’adolescents à s’en aller de la maison... » [32]. Ainsi le voyageur
est-il pris dans un mouvement d’insatisfaction et de fuite de
l’autorité parentale dans sa fonction limitante.
Errance
L’errance est une déambulation sans logique ni but
apparent. Elle n’est pas sans lien avec le voyage, ou plutôt
la « fugue », dont elle pourrait représenter un reste, lorsque
le retour se révèle brusquement impossible.
Voyage pathologique
La notion de voyage pathologique est introduite en 1914
par Briand, Morel et Livet, pour qui ces voyages sont des
centrale ou de l’Est cherchant remède à leurs maux dans tous les grands
hôpitaux d’Europe [14].
9
Avant la première guerre mondiale, les observations pour désertion ou
absence illégale sont très importantes dans les expertises médicales militaires en France et en Allemagne. Le problème médical « est d’abord
d’empêcher les déserteurs d’aller en prison et ensuite d’être condamnés
à des longues peines de travaux forcés. S’il est possible de prouver qu’ils
souffrent de dromomanie, ils sont relâchés ou ne se voient infliger
qu’une peine mineure » [19]. On comprend pourquoi Hacking considère
le conscrit comme le prototype du fugueur et aussi pourquoi les recherches de l’époque se faisaient plutôt dans les pays, France et Allemagne,
qui avaient une Armée de conscription.
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Déplacement pathologique
« voyages pathologiques et non fugues délirantes. En
effet, le voyage pathologique ne comporte ni l’impulsivité,
ni les troubles de la conscience de la véritable fugue » [6].
Le terme n’a pas été contesté depuis.
C’est à Lévy-Valensi, en 1935, que l’on doit le fait
d’avoir exhumé la notion d’aliéné migrateur pour la réserver aux cadres délirants et en éliminer définitivement les
fugues.
Actuellement, on peut dire que le voyage pathologique
est celui qui a été motivé par une raison exclusivement
psychopathologique, c’est-à-dire que « le délire a été le
moteur du voyage » [11]. Il s’agit souvent d’un délire avec
hallucinations, « dans le cadre ou non, de l’automatisme
mental » [7]. Il faut prendre en compte le risque d’issue
suicidaire.
En 1981, Caroli et Massé ont proposé une classification
du voyage pathologique : simple, sa fonction est d’obéir à
une idée délirante sans y être intégré (chez les persécutés,
les érotomanes, les hallucinés, les paraphrènes et les
maniaques) ; secondaire, il s’intègre au contenu du délire :
« il s’agit du voyage pour le voyage, équilibrant peut-être,
mais voyage pathologique parce qu’autistique » [7]. Le
voyage n’apparaît pas directement lié à une activité délirante, mais à une idée suicidaire qui est son déclencheur.
Finalement, le voyage pathologique pur a pour fonction
d’obéir au délire ou à l’hallucination et de s’intégrer à son
contenu.
Le voyage pathologique est considéré comme un acte
symptomatique, le voyageur part malade. Le patient qui a
des antécédents psychiatriques stabilisés peut décompenser et il est important, dans la clinique et le suivi au long
cours, de préparer son voyages pour prévenir toute décompensation à l’étranger car ses antécédents psychiatriques
peuvent lui faire perdre le droit au rapatriement.
Les compagnies d’assistance médicale se sont, elles
aussi, développées pour répondre à la particularité du rapatriement psychiatrique. Elles ont progressivement compris
l’importance de disposer d’une équipe spécialisée pour le
gérer [27, 32].
Les troubles psychiatriques représentaient, en 1993,
entre 15 et 20 % des rapatriements sanitaires [29]. Les
pathologies délirantes aiguës représentent environ la moitié
des cas psychiatriques faisant l’objet des rapatriements.
Ensuite viennent les troubles thymiques non délirants avec
en premier les troubles anxieux, l’alcoolisme et la toxicomanie [31]. Il n’y a pas de statistiques récentes.
Freud et le voyage pathologique
Freud, en 1907, dans le commentaire qu’il fait sur la
Gradiva de Jensen, se livre à l’analyse du voyage pathologique de Norbert Hanold, le héros. Il montre comment un
délire peut surgir chez le névrosé et peut l’amener à des
pérégrinations à première vue insensées. « Le voyage à
Pompei, à la recherche des empreintes si particulières
laissées sur la cendre par les pieds de Gradiva, constitue
un type parfait de l’acte accompli sous l’empire d’un
délire » [16]. Le cas devrait être qualifié de délire et non de
paranoïa. Freud, à ce passage, fait une analyse du délire
comme un compromis entre l’érotisme réprimé et les puissances psychiques dans un état de refoulement. « Deux
caractères principaux distinguent le délire d’autres perturbations. En premier lieu, il appartient au groupe des
états pathologiques qui n’ont pas une influence immédiate
sur le soma, mais qui se manifestent uniquement par des
symptômes animiques ; en deuxième, il se caractérise par
le fait que, dans le délire, la fantaisie acquière la
domination suprême » , c’est-à-dire se retrouve dans le
sujet et influe sur ses actes. Ainsi, le voyage de Hanold à
Pompei à la recherche des traces de Gradiva constitue un
excellent exemple de voyage pathologique. Pour Freud, il
s’agirait d’une « érotomanie fétichiste », mais il précise
qu’il « ne faut pas oublier que toutes ces qualifications et
divisions du délire, fondées dans leur contenu, sont très
peu sûres et inutiles ».
Diagnostics différentiels
du voyage pathologique
Un grand nombre d’affections peuvent être à l’origine
d’un déplacement pathologique : troubles dissociatifs,
démence10, épilepsie11, toutes les causes de confusion
comme les infections et les néoplasmes cérébraux, la sclérose en plaques, les médicaments ou substances illicites, les
troubles métaboliques, la sismothérapie (ou autre important choc électrique), l’amnésie des troubles du sommeil
(somnambulisme), le syndrome de Wernicke-Korsakoff,
l’état de stress post-traumatique, l’état de stress aigu, les
troubles somatoformes (somatisation, trouble de conversion), la simulation (en particulier avec une activité criminelle) et, enfin, le syndrome de Munchausen12.
Dans le cas d’un déplacement pathologique au cours
d’un état psycho-organique, il y a une altération de l’état de
conscience ou de l’état des fonctions cognitives. Le départ
est sans préparation et s’accompagne de troubles du contact
ou du comportement. Il s’agit de déambulations plutôt
chaotiques, automatismes psychomoteurs qui débutent de
10
Les fugues au cours des états de démence peuvent être la première
manifestation d’un affaiblissement intellectuel dans un contexte de changement du cadre habituel ou d’épisode dépressif.
11
Selon Benon (1908), au cours de l’épilepsie et de sa variété le petit mal
peut survenir une fugue [18]. Le syndrome de Lennox-Gastaut entraîne
parfois des automatismes et une atonie [30] ; dans les années 1970, Henri
Ey évoquait la possibilité d’un déplacement au cours d’une absence «... le
sujet peut continuer une activité automatique (marche ou paroles
stéréotypées) » [13].
12
Décrit par Richard Asher en 1951, c’est un des exemples de la pathologie factice ; il fait allusion aux personnes qui, comme le baron de
Munchausen au XVIIIe siècle, voyagent et mentent en cherchant des
bénéfices secondaires à l’attention médicale ; ce syndrome est souvent
présent chez les alcooliques et les toxicomanes [14].
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F. Caro
façon brutale, et le retour à la conscience s’accompagne
d’une amnésie lacunaire de l’épisode. Les examens clinique, biologique et électroencéphalographique permettent
de faire le diagnostic.
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Les troubles dissociatifs
Un trouble dissociatif se présente lorsqu’une personne
se sent détachée d’elle-même ou de son environnement,
comme dans un rêve ou comme si elle vivait au ralenti [10].
Il y a une rupture soudaine ou progressive, transitoire ou
chronique, des fonctions normalement intégrées, la conscience, la mémoire, l’identité ou la perception de l’environnement [21]. Pour le DSM IV-TR, les troubles dissociatifs
les plus importants sont l’amnésie dissociative et la fugue
dissociative [1].
Il existe une comorbidité importante avec d’autres troubles ou situations de risque psychiatriques, par exemple les
états dépressifs, les troubles anxieux, les états conversifs,
les états de stress aigu ou post-traumatique, la schizophrénie ou le trouble de la personnalité borderline [17]. Il y a
une forte corrélation entre la dépersonnalisation et des
signes psychotiques aigus dans la population étudiante. Les
expériences dissociatives sont observées fréquemment
dans la population générale ; elles surviennent autant chez
les sujets masculins que féminins et tendent à diminuer
avec l’âge [25]. L’adolescence constitue un point crucial de
transition et d’organisation pour les expériences dissociatives qui vont prendre part dans plusieurs processus pathologiques en cours.
Ces troubles peuvent se diviser en deux catégories : les
épisodes de dépersonnalisation et les épisodes de déréalisation. Dans le premier, les perceptions s’altèrent et on perd
le sens de sa propre réalité, de son vécu ou de son identité ;
il y a une altération de ses processus mnésiques, de ses
relations avec le monde ou avec soi-même. Dans le
deuxième, on perd le sens du monde externe, les choses
peuvent changer de forme ou de dimension. L’influence
des facteurs sociaux et culturels est évidente.
Dans la classification du CIM10, il y a d’autres troubles
dissociatifs, comme la stupeur dissociative, les troubles de
transe et de possession, les troubles moteurs dissociatifs,
les convulsions dissociatives, l’anesthésie et la perte de
sensibilité dissociative, les troubles dissociatifs mixtes
(syndrome de Ganser13, trouble de la personnalité multiple,
troubles dissociatifs transitoires de l’enfance et de l’adolescence et autres troubles dissociatifs spécifiés) et les troubles dissociatifs non spécifiés.
Fugue dissociative
Le symptôme primaire de ce désordre est le voyage
inattendu loin du domicile, l’incapacité à se rappeler des
aspects importants de sa vie et l’adoption partielle ou complète d’une nouvelle identité. Les états de fugue s’interrompent habituellement de façon brutale. Le désordre disparaît
seul, typiquement ; les personnes se rétablissent et se souviennent de ce qu’elles ont oublié. Le pronostic de ce
syndrome est très bon et il est extrêmement rare qu’il
continue plus d’un mois. La psychothérapie psychodynamique vise à aider la personne à reconstituer ses souvenirs
perdus, la résolution de ses conflits et situations stressantes
et le développement de moyens mieux adaptés à leur
confrontation. Si l’amnésie est persistante, l’hypnose ou
des médicaments employés en anesthésie comme le Pentothal® (thiopental, le sérum de la vérité) ou l’amobarbital,
peuvent parfois aider à reconstituer la mémoire [21].
Une forme distincte de trouble dissociatif inexistant
dans les cultures occidentales est l’amok, dont la plupart
des victimes sont de sexe masculin. L’état d’amok s’apparente à une transe, les personnes sont souvent prises de
fureurs durant lesquelles elles agressent brutalement, voire
parfois tuent, des animaux ou des personnes et ne s’en
souviennent généralement pas [28]14. À l’exception de
l’amok, la fréquence des troubles, dont le symptôme principal est la fuite, est plus importante chez les femmes,
comme l’est également la fréquence de la plupart des troubles dissociatifs [10]. Les troubles impliquant la fuite sont
appelés pibloktoq en Arctique [24]15 et folie sorcière chez
les indiens Navajos.
Décompensation psychique pendant ou après
le voyage : jet-lag
Ce terme fait référence aux conséquences physiques
liées au voyage et, si celles-ci se présentent, à ses répercussions psychiques. Cette décompensation est liée aux conditions particulières du voyage comme le changement climatique (grand froid, forte chaleur, humidité, pluies, etc.), la
rencontre des nouvelles cultures et populations, l’affrontement de la surpopulation ou la solitude, les risques sanitaires spécifiques, les infections, les parasites, etc., les infrastructures déficientes (routes ou pistes en mauvais état,
ressources sanitaires précaires, etc).
Le syndrome du jet-lag associe une asthénie, des troubles gastro-intestinaux avec inappétence, des céphalées,
une diminution des performances physiques et des capaci14
13
Le syndrome de Ganser correspond à la production volontaire de
syndromes psychiatriques inquiétants au cours desquels on observe parfois des réponses approximatives (par ex. 4 x 5 = 21). Il peut survenir chez
des personnes souffrant d’autres troubles psychiatriques. Sa guérison est
soudaine et le patient dit habituellement qu’une amnésie recouvre l’épisode en question [21].
410
Le terme running amok est d’utilisation courante aux États-Unis et fait
allusion à une action individuelle irrationnelle. Le mot est dérivé du malais
mengamok, et la première description en a été faite par le capitaine Cook
en 1770 en Malaisie. Les recherches psychiatriques l’ont décrit chez
certaines tribus indigènes de Philippines, Porto Rico, Laos et Papouasie
Nouvelle Guinée.
15
Landy, en 1985, a décrit comment le pibloktoq pourrait être causé par
une hypervitaminose A.
L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 82, N° 5 - MAI 2006
Déplacement pathologique
tés cognitives [23], une irritabilité, une labilité thymique,
des troubles du sommeil et, enfin, une somnolence diurne.
Ces symptômes sont similaires à ceux de la dépression
[22]. La mélatonine a été proposée comme traitement.
« à la capitale du monde » et qui peuvent se retrouver déçus
et développer un épisode psychotique devant des situations
d’insécurité ou de violence.
Syndrome de Tahiti
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Décompensation psychique à cause de l’endroit
visité : syndrome de Stendhal16
C’est la présence de manifestations psychopathologiques bruyantes et souvent brèves survenues au cours d’un
voyage dans une ville d’art ; parfois, peuvent se déclencher
des crises psychotiques avec hallucinations et délires, qui
résulteraient d’un choc subjectif produit par la contemplation d’une œuvre d’art majeure.
Ces troubles, relativement fugaces, disparaissent sans
laisser de séquelles. Il y a une désorientation temporale, le
passé et le présent se mêlent et la notion du temps semble
abolie. On est alors clairement devant une épisode dissociatif.
Le syndrome de Tahiti ou des voyageurs en Polynésie
est aussi une manifestation psychopathologique après le
voyage chez une personne qui n’a aucune pathologie psychiatrique avant le départ [26]. Dans son article, Petit parle
de trois mythes qui accompagnent les voyageurs en Polynésie : le mythe du Robinson (cas des exilés volontaires sur
des îles désertes où ils pourront se retrouver isolés dans une
nature vierge, parfois dans une démarche psychotique), le
mythe du bout du monde (souvent des délirants mystiques,
qui cherchent les lieux mystérieux et lointains... où se
situent les restes de civilisations disparues, civilisations
mères détentrices du grand secret) et, enfin, le mythe de la
nouvelle Cythère (touriste décu devant la réalité tahitienne
qui n’est pas paradisiaque).
Syndrome d’Inde
Les services consulaires français ont considéré nécessaire d’ouvrir un service psychiatrique à l’intention des
épisodes psychopathologiques des touristes en Inde. Le
syndrome de l’Inde a été décrit par Régis Airault17.
Le docteur Sauteraud fait partie d’une des premières
équipes médicales qui a travaillé en Inde. Dans son étude
des rapatriements sanitaires en France, il observe que la
plupart des épisodes psychotiques proviennent d’AsieOcéanie, principalement d’Inde, du Népal et de Thaïlande
[29]. Selon lui, l’hypothèse de la consommation de psychotropes comme déclencheur pourrait ne pas être toujours
l’explication, contrairement à ce que l’on pensait pendant
les années 1970 quand a commencé le tourisme à la recherche de toxiques. Tout le monde peut avoir transitoirement
une interprétation délirante, dans un pays où on est
« regardé » et « poursuivi ».
Syndromes de Paris et de New York
On décrit depuis quelques années les syndromes de Paris
et de New York, surtout chez les touristes japonais qui ont
idéalisé leur voyage à « la ville la plus belle du monde » ou
16
Le docteur Graziella Magherini décrit ses observations faites à l’hôpital
de Florence. Le nom attribué au syndrome vient d’un passage du livre
autobiographique de Stendhal, Rome, Naples et Florence, écrit en 1817.
L’auteur raconte comment, dans une visite à l’église de Santa Croce, il
contemple longtemps les fresques de Volterrano et éprouve un vertige,
une crise d’angoisse accompagnée d’un malaise qui l’obligent à quitter
l’église. L’unique possibilité qu’il trouve pour retrouver le calme est
de lire un poème de Foscolo : Les sépulcres [20].
17
Dans son livre, Fous de l’Inde, délires occidentaux et sentiments
océaniques, Airault propose que « l’expérience indienne invite à une
exploration de l’originaire » et peut faire apparaître des décompensations
psychiatriques graves. Il soutient que « l’Inde peut rendre ‘fous’ les
Occidentaux » [11].
Syndrome de Jérusalem
Entre 1980 et 1993, 1200 touristes ont eu des problèmes
mentaux après leur visite à Jérusalem ; 470 ont été hospitalisés et cela a entraîné l’ouverture d’un service spécialisé
pour leur accueil. En moyenne, une centaine de patients
sont vus par an dont 40 sont admis à l’hôpital [3].
Le syndrome de Jérusalem s’exprime le plus souvent par
des troubles légers – malaise diffus, angoisse modérée,
insomnie – accompagnés d’une exaltation de la pensée et
parfois une crise psychotique avec confusion, excitation,
hallucination et délire [20].
Les médecins du service spécialisé ont décrit trois sousgroupes de patients dans le syndrome de Jérusalem :
– Type I. Le syndrome de Jérusalem se surimpose à une
maladie psychotique préexistante. Le voyage en Israël est
directement corrélé avec la « condition mentale et
l’influence des idées religieuses ». Le syndrome se sousdivise en quatre et on comprend qu’il s’agit dans les trois
premiers de voyages pathologiques.
– Type II. Le syndrome de Jérusalem est surimposé à une
idéation idiosyncrasique compliquée. Les personnes ont un
trouble mental comme une personnalité pathologique ou
une idée obsessive fixe mais sans pathologie psychotique
évidente.
– Type III. C’est la forme discrète du syndrome de Jérusalem : il n’y a pas de pathologie mentale préexistante ; cette
forme est peu courante (42 cas entre 1980 et 1993). Le
touriste a une crise psychotique (sans hallucination, mais
une idéation délirante mystique) à Jérusalem, sans avoir
consommé de toxique et sans avoir de graves difficultés
personnelles. Il aurait une récupération spontanée et progressive après avoir quitté le pays jusqu’à un retour à son
état précédent. Ce dernier pourrait être classé parmi les
troubles dissociatifs.
L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 82, N° 5 - MAI 2006
411
F. Caro
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Syndrome d’Ulysse ou syndrome de l’immigrant
avec stress multiple et extrême18
Il a été décrit en 2002. L’expatrié, celui qui émigre à la
recherche d’une meilleure situation économique ou
sociale, se retrouve dans un pays d’accueil qui lui pose des
conditions et exige de lui des comportements qui dépassent
ses capacités d’adaptation ; il est exposé à des situations de
stress qui génèrent des manifestations psychopathologiques.
L’origine de ce syndrome est le « deuil migratoire »19,
qui se distingue des deuils causés par la perte d’un être
aimé. En effet, l’objet de deuil – le pays d’origine – ne
disparaît pas. Alors, il « existe » toujours la possibilité de
retourner au lieu d’origine. Dans ce sens, le deuil migratoire est causé par une séparation et non par une perte. Le
fantasme de retour transforme le deuil en quelque chose
d’infini et de difficile à élaborer.
Il est important, dans la clinique et le suivi à long terme
des patients, de préparer les voyages pour prévenir une
décompensation à l’étranger car la présence d’antécédents
psychiatriques peut faire perdre au patient le droit au rapatriement.
Références
1.
2.
3.
4.
5.
Conclusion
Nous avons vu comment, par rapport au déplacement
pathologique aux XIXe et XXe siècles, les études ont aidé à
établir les différences entre la psychiatrie et la neurologie.
Le développement du concept du voyage pathologique a
donné lieu à de nombreux articles depuis qu’il a été décrit
par Foville et qu’il a été à la mode grâce aux travaux de
Tissié et de Charcot, ce qui a représenté un fort impact
social à cause de ses répercussions médicolégales.
Mais, après Charcot, l’hégémonie française commence
à trouver ses dissidents. L’arrivée de la psychanalyse est
une grande révolution et les mêmes phénomènes peuvent
être expliqués par une théorie différente.
L’évaluation clinique approfondie est indispensable
pour avoir une approche thérapeutique adéquate devant le
patient car un grand nombre d’affections peuvent donner
lieu à un tableau clinique similaire.
Les « syndromes » d’Inde, de Paris, de Stendhal, de
Jérusalem et de Tahiti peuvent générer une confusion
sémiologique à cause du manque de clarté des concepts des
troubles dissociatifs et des différents mécanismes du délire.
En revanche, le syndrome d’Ulysse fait réfléchir au voyage
et à ses répercussions chez le sujet sans antécédent ; il
permet de comprendre comment celui-ci peut développer
une symptomatologie de déréalisation ou de dépersonnalisation à cause d’un stress chronique.
18
Description faite par Joseba Achotegui, directeur du Sappir (Servicio
de Atención Psicopatológica y Psicosocial a Inmigrantes y Refugiados)
de l’hôpital de Sant Pere Claver à Barcelone (document non encore
publié).
19
Il détaille sept composants du deuil migratoire : deuil de la famille et
des amis, deuil de la langue, deuil de la culture, deuil de la terre, deuil pour
la perte du niveau social, deuil causé par la prise de risques physiques,
deuil de son ethnie d’origine.
412
6.
7.
8.
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