«voyages pathologiques et non fugues délirantes. En
effet, le voyage pathologique ne comporte ni l’impulsivité,
ni les troubles de la conscience de la véritable fugue » [6].
Le terme n’a pas été contesté depuis.
C’est à Lévy-Valensi, en 1935, que l’on doit le fait
d’avoir exhumé la notion d’aliéné migrateur pour la réser-
ver aux cadres délirants et en éliminer définitivement les
fugues.
Actuellement, on peut dire que le voyage pathologique
est celui qui a été motivé par une raison exclusivement
psychopathologique, c’est-à-dire que « le délire a été le
moteur du voyage » [11]. Il s’agit souvent d’un délire avec
hallucinations, « dans le cadre ou non, de l’automatisme
mental » [7]. Il faut prendre en compte le risque d’issue
suicidaire.
En 1981, Caroli et Massé ont proposé une classification
du voyage pathologique : simple, sa fonction est d’obéir à
une idée délirante sans y être intégré (chez les persécutés,
les érotomanes, les hallucinés, les paraphrènes et les
maniaques) ; secondaire, il s’intègre au contenu du délire :
«il s’agit du voyage pour le voyage, équilibrant peut-être,
mais voyage pathologique parce qu’autistique » [7]. Le
voyage n’apparaît pas directement lié à une activité déli-
rante, mais à une idée suicidaire qui est son déclencheur.
Finalement, le voyage pathologique pur a pour fonction
d’obéir au délire ou à l’hallucination et de s’intégrer à son
contenu.
Le voyage pathologique est considéré comme un acte
symptomatique, le voyageur part malade. Le patient qui a
des antécédents psychiatriques stabilisés peut décompen-
ser et il est important, dans la clinique et le suivi au long
cours, de préparer son voyages pour prévenir toute décom-
pensation à l’étranger car ses antécédents psychiatriques
peuvent lui faire perdre le droit au rapatriement.
Les compagnies d’assistance médicale se sont, elles
aussi, développées pour répondre à la particularité du rapa-
triement psychiatrique. Elles ont progressivement compris
l’importance de disposer d’une équipe spécialisée pour le
gérer [27, 32].
Les troubles psychiatriques représentaient, en 1993,
entre 15 et 20 % des rapatriements sanitaires [29]. Les
pathologies délirantes aiguës représentent environ la moitié
des cas psychiatriques faisant l’objet des rapatriements.
Ensuite viennent les troubles thymiques non délirants avec
en premier les troubles anxieux, l’alcoolisme et la toxico-
manie [31]. Il n’y a pas de statistiques récentes.
Freud et le voyage pathologique
Freud, en 1907, dans le commentaire qu’il fait sur la
Gradiva de Jensen, se livre à l’analyse du voyage patholo-
gique de Norbert Hanold, le héros. Il montre comment un
délire peut surgir chez le névrosé et peut l’amener à des
pérégrinations à première vue insensées. « Le voyage à
Pompei, à la recherche des empreintes si particulières
laissées sur la cendre par les pieds de Gradiva, constitue
un type parfait de l’acte accompli sous l’empire d’un
délire » [16]. Le cas devrait être qualifié de délire et non de
paranoïa. Freud, à ce passage, fait une analyse du délire
comme un compromis entre l’érotisme réprimé et les puis-
sances psychiques dans un état de refoulement. « Deux
caractères principaux distinguent le délire d’autres per-
turbations. En premier lieu, il appartient au groupe des
états pathologiques qui n’ont pas une influence immédiate
sur le soma, mais qui se manifestent uniquement par des
symptômes animiques ; en deuxième, il se caractérise par
le fait que, dans le délire, la fantaisie acquière la
domination suprême » , c’est-à-dire se retrouve dans le
sujet et influe sur ses actes. Ainsi, le voyage de Hanold à
Pompei à la recherche des traces de Gradiva constitue un
excellent exemple de voyage pathologique. Pour Freud, il
s’agirait d’une « érotomanie fétichiste », mais il précise
qu’il « ne faut pas oublier que toutes ces qualifications et
divisions du délire, fondées dans leur contenu, sont très
peu sûres et inutiles ».
Diagnostics différentiels
du voyage pathologique
Un grand nombre d’affections peuvent être à l’origine
d’un déplacement pathologique : troubles dissociatifs,
démence
10
, épilepsie
11
, toutes les causes de confusion
comme les infections et les néoplasmes cérébraux, la sclé-
rose en plaques, les médicaments ou substances illicites, les
troubles métaboliques, la sismothérapie (ou autre impor-
tant choc électrique), l’amnésie des troubles du sommeil
(somnambulisme), le syndrome de Wernicke-Korsakoff,
l’état de stress post-traumatique, l’état de stress aigu, les
troubles somatoformes (somatisation, trouble de conver-
sion), la simulation (en particulier avec une activité crimi-
nelle) et, enfin, le syndrome de Munchausen
12
.
Dans le cas d’un déplacement pathologique au cours
d’un état psycho-organique, il y a une altération de l’état de
conscience ou de l’état des fonctions cognitives. Le départ
est sans préparation et s’accompagne de troubles du contact
ou du comportement. Il s’agit de déambulations plutôt
chaotiques, automatismes psychomoteurs qui débutent de
10
Les fugues au cours des états de démence peuvent être la première
manifestation d’un affaiblissement intellectuel dans un contexte de chan-
gement du cadre habituel ou d’épisode dépressif.
11
Selon Benon (1908), au cours de l’épilepsie et de sa variété le petit mal
peut survenir une fugue [18]. Le syndrome de Lennox-Gastaut entraîne
parfois des automatismes et une atonie [30] ; dans les années 1970, Henri
Ey évoquait la possibilité d’un déplacement au cours d’une absence «... le
sujet peut continuer une activité automatique (marche ou paroles
stéréotypées) » [13].
12
Décrit par Richard Asher en 1951, c’est un des exemples de la patholo-
gie factice ; il fait allusion aux personnes qui, comme le baron de
Munchausen au XVIII
e
siècle, voyagent et mentent en cherchant des
bénéfices secondaires à l’attention médicale ; ce syndrome est souvent
présent chez les alcooliques et les toxicomanes [14].
Déplacement pathologique
L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 82, N° 5 - MAI 2006 409
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017.