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Pourquoi, un soir, le contact s’établit-il entre les acteurs et les
spectateurs ? Et pas le lendemain ? Mystère. Pourquoi le courant passait-
il hier de la scène à la salle, et pourquoi pas aujourd’hui ? Mystère.
Pourquoi se présente-t-il à peu près le même nombre de personnes au
guichet chaque jour pour une pièce donnée ? Autre mystère.
La tâche de l’auteur dramatique est, à mon sens, plus ardue et
problématique que celle du romancier.
Le roman n’a point de règles. Vous faites ce qui vous chante. Quand
vous en avez assez de la description, vous passez au monologue intérieur,
puis à la scène d’action... que vous coupez par une page de dialogue,
pour revenir, dès que cela vous arrange, à l’évocation d’atmosphère.
Le théâtre, du moins le théâtre traditionnel a ses lois qu’on ne
saurait transgresser sous peine d’échec. Comme disait plaisamment
Corneille : « Il est constant qu’il y ait des règles puisqu’il y a un art, mais
il n’est pas constant quelles elles sont. »
Encore un mystère du théâtre.
Pour approcher le mystère et les mystères du théâtre, il faut se
rendre compte que l’auteur dramatique, lui, dépend de beaucoup de gens
qui vont intervenir dans son œuvre, et, peut-être, en l’interprétant,
chacun à sa manière, la déformer.
L’acteur, le décorateur, le costumier, l’éclairagiste. Tous jouent leur
rôle. Mais, après le point de vue du créateur — qu’il ait écrit La Reine
morte ou La Cage aux Folles — il est certain que ce qu’il y a de plus
important, c’est l’angle d’approche du metteur en scène.
Tout metteur en scène essaie de se faire une personnalité et un
renom sur le dos de l’œuvre qu’il va faire représenter. C’est la tyrannie de
l’organisation : « J’érigerai ma statue sur les ruines de ta ville. » Et
puisqu’il s’agit de statue ce n’est plus le mal du siècle, mais le mal du
socle ! D’ailleurs, nous avons été obligés d’accueillir un nouveau mot au
Dictionnaire, ou plutôt une nouvelle acception du mot « dramaturge » —
et ce sens nous vient d’Allemagne : le « dramaturge », sorte de metteur en
scène supérieur décide du sens qu’on va donner à la pièce. Il faut croire
que l’auteur sait moins bien que lui ce qu’il a fait ! Peu importe ce que
Molière ou Marivaux ont voulu, ce qui compte, c’est ce que notre
« dramaturge » (la confusion de dénomination est symptomatique) a, en
fonction de son idéologie, l’intention de prouver.
C’est pourquoi, les dramaturges envoient aux critiques avant la
représentation, des tonnes de documents où il est, par exemple, question
d’« infrastructure de stimulation », d’« entretiens serai-directifs », d’« un
type de réception uniquement cognitif », de « travail portant à la fois sur le
signifiant et sur le signifié », de « champ sémiologique », et de
« problématique théâtrale dans une phénoménologie de la
représentation ... ».
Direz-vous, après cela, Mesdames et Messieurs, que je forçais la note
en parlant des mystères du théâtre ?