La théorie des types homotopique

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SAVOIRS
par L.T.D. Nguyen et J. Ledent
La théorie homotopique des types :
de nouveaux fondements des mathématiques ?
Depuis la fin du xixe siècle, la théorie des ensembles sert
de fondement aux mathématiques actuelles. Au début du
xxie siècle, une théorie alternative se développe, peut-être
plus à même d’accéder directement et efficacement aux
mathématiques d’aujourd’hui.
L
Bertrand Russell
(1872–1970).
es mathématiciens, logiciens
et philosophes de la fin du
xixe siècle se sont attelés à la
formalisation rigoureuse des notions
mathématiques les plus élémentaires.
Qu’est-ce qu’une preuve mathématique ? Quelles sont les « règles de
déduction » autorisées ? Sur quels
axiomes doivent reposer les mathématiques ? L’aboutissement de ces
recherches a été l’élaboration de la
théorie des ensembles de Zermelo–
Fraenkel, qui est aujourd’hui considérée comme la théorie sur laquelle se
fondent toutes les mathématiques.
Depuis le début des années 2000, une
concurrente au titre de « fondement
des mathématiques » pointe le bout de
son nez : c’est la théorie homotopique
des types, née de la rencontre entre la
théorie des types (voir l’article consacré à la correspondance de Curry–
Howard), et une branche abstraite des
mathématiques appelée la théorie de
l’homotopie.
© Bertrand Russell Society
Définir la notion d’égalité
120
Les logiciens qui s’intéressent aux
fondements des mathématiques se
rendent parfois compte que les notions les plus intuitives ne sont pas
toujours les plus simples à définir.
Un exemple bien connu est celui de
la preuve de 1 + 1 = 2, qui n’arrive
qu’en page 379 des célèbres Principia Mathematica de Russell et Whitehead. Ce n’est pas tant la preuve de ce
résultat qui est difficile que la quantité
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NOUVELLES FORMES
de définitions nécessaires au préalable
pour pouvoir l’énoncer et le prouver
rigoureusement.
Ainsi, au cœur des nouvelles idées à
l’origine de la théorie homotopique
des types se trouve la notion même
d’égalité. Qu’est-ce que cela veut
dire, pour deux objets mathématiques,
d’être « égaux » ? La définition la
plus courante nous vient de Leibniz,
au xviie siècle, pour qui deux objets
sont égaux si, et seulement si, ils ont
les mêmes propriétés. En langage plus
mathématique :
(x = y) + pour toute propriété P,
(P (x) + P (y)).
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Gottfried Wilhelm Leibniz
(1646–1716).
La théorie des types de Martin-Löf, sur
laquelle repose la théorie homotopique
des types, adopte un point de vue différent sur la notion d’égalité. Du côté
de la théorie des types, les propositions
(au sens mathématique usuel) correspondent à des types. Les habitants d’un
type correspondent à des preuves de la
proposition associée. Si A est un type
et x est un habitant de A, on note x : A
(que l’on prononce « x est de type A »
ou encore « x est une preuve de A »).
Définir la notion d’égalité va donc re-
venir à définir, pour tous objets x et y,
un nouveau type, que l’on note (x = y).
Les habitants de ce type seront des
preuves d’égalité entre x et y.
Dans la théorie des types, on dispose
d’un cadre général permettant de définir de nouveaux types : les types inductifs. Pour comprendre de quoi il s’agit,
regardons un exemple de type inductif
qui nous est familier : les nombres entiers naturels. En théorie des types, on
définit le type des entiers de la manière
suivante :
• zéro (noté 0) est un entier ;
• si n est un entier, alors son successeur
(noté n + 1) est un entier.
Alfred North
Whitehead
(1861–1947).
On a défini le type des entiers en donnant la « forme » de ses habitants. On dit
que « zéro » et « successeur » sont les
deux constructeurs du type des entiers.
Là où les types inductifs interviennent,
c’est qu’avec une telle définition, on
obtient automatiquement un principe de
raisonnement associé, le raisonnement
par induction. Dans le cas des entiers,
ce principe avance que pour prouver
qu’une proposition P (n) est vraie pour
tout entier n, il suffit de prouver qu’elle
est vraie pour 0, et qu’elle se propage
par passage au successeur.
Revenons à l’égalité : comme pour les
entiers, on va définir le type (x = y) en
donnant la forme des habitants de ce
type. Le type égalité n’a en fait qu’un
constructeur, qui correspond à la réflexivité, la propriété d’être égal à soimême. On le note : reflx : (x = x).
Cela signifie que pour un x donné, reflx
est une preuve de (x = x). Le principe
d’induction associé est pour le moins
étrange : il affirme que « pour prouver
qu’une proposition P(x, y, p) portant
sur des preuves d’égalité p : (x = y) est
vraie pour tout p, il suffit de prouver
que P (x, x, reflx) est vraie ».
Hors-série n°55. Les démonstrations Tangente
121
SAVOIRS
La théorie homotopique…
Topologie, homotopie et chemins
La théorie de l’homotopie est un sous-domaine
de la topologie algébrique, qui est elle-même une
branche abstraite des mathématiques proche de la
géométrie. La topologie a pour objet d’étude les espaces topologiques, que l’on peut voir comme des
« formes géométriques à déformation près ». Ainsi,
une tasse et un beignet représentent en fait le même
espace topologique : on peut déformer la tasse de
manière continue, jusqu’à obtenir le beignet. Le
trou au milieu du beignet correspondra à l’anse de
la tasse.
© Marcelo Coelho (MIT) et Jamie Zigelbaum
Steve Awodey au Congrès
de logique, méthodologie
et philosophie des sciences
(Nancy, 2011).
122
© É. Thomas
Sur un espace topologique, on peut définir la notion
de chemins, c’est-à-dire les façons dont on peut relier de manière continue deux points d’un espace.
Mieux, on peut ensuite se demander si deux chemins peuvent être déformés l’un en l’autre, toujours
de manière continue. Lorsque c’est le cas, on dit
qu’on a un 2-chemin (aussi appelé une homotopie),
qui relie deux chemins entre eux. Et ainsi de suite :
on peut construire des 3-chemins (qui relient des
2-chemins entre eux), des 4-chemins… La théorie
de l’homotopie est l’étude de la structure de ces chemins d’ordre supérieur.
Ceci ne ressemble pas vraiment à ce
que les mathématiciens ont l’habitude de faire ! Et pourtant, ce principe
s’avère en fait très puissant : il permet
de prouver toutes les propriétés habituelles de l’égalité, y compris le principe de Leibniz.
Depuis l’apparition de la théorie des
types de Martin-Löf dans les années
1970, les logiciens ont essayé de comprendre ce type égalité et son étrange
principe d’induction. Une question
notamment est restée ouverte pendant
plus de vingt ans : peut-on montrer
l’unicité des preuves d’égalité, c’est-àdire le fait que la seule preuve d’égalité possible est reflx ? Cette propriété
semble naturelle, on peut par exemple
aisément prouver que « tout entier est
soit 0, soit le successeur d’un autre
entier ». Mais, mystérieusement, personne n’arrivait à prouver de propriété
similaire à propos des preuves d’égalité. C’est finalement en 1994 que Martin Hofmann et Thomas Streicher ont
répondu à la question par la négative :
on ne peut prouver ni qu’elle est vraie,
ni qu’elle est fausse !
Les conséquences de cette révélation
sont à la base de la théorie homotopique des types, mais les logiciens
n’ont pas remarqué tout de suite son
importance. Ce n’est qu’en 2009 que
le lauréat de la médaille Fields Vladimir Voevodsky (d’une part) et Steve
Awodey avec son étudiant Michael
Warren (d’autre part) ont proposé une
conception des types égalité pour laquelle l’unicité des preuves d’égalité
est naturellement… fausse. Cette nouvelle interprétation étend la correspondance de Curry–Howard : un type est
vu comme un espace topologique, et
une preuve d’égalité p : (x = y) entre
deux éléments de ce type correspond
à un chemin de x vers y dans l’espace
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topologique correspondant. Des liens
se créent entre la théorie des types et
la théorie de l’homotopie (voir en encadré). Les types égalité n’ont plus la
structure triviale imposée par l’unicité
des preuves d’égalité, mais sont maintenant munis d’une structure complexe
d’espace de chemins.
L’interprétation homotopique
Les liens entre théorie des types et
théorie de l’homotopie ont ouvert la
voie à une multitude de nouvelles idées
dans les deux domaines. En théorie
des types, la nouvelle interprétation
« homotopique » des types égalité a
mené Voevodsky à formuler l’axiome
d’univalence, qui permet de justifier
de manière élégante certains principes
fondamentaux des mathématiques. Par
exemple, il permet de prouver l’extensionnalité fonctionnelle, qui exprime
que deux fonctions sont égales lorsqu’elles prennent les mêmes valeurs
partout. Mieux, il permet aussi de justifier formellement une pratique que les
mathématiciens qualifiaient jusque-là
d’« abus de langage » : le fait que deux
structures isomorphes sont égales.
Une autre idée nouvelle est le fait de
classifier les types en fonction de la
complexité de leur égalité, c’est-à-dire
de l’espace des chemins sur ce type.
Les plus simples sont les types de niveau −1, dans lesquels tous les éléments sont reliés par un chemin. Les
types de niveau 0 sont ceux où tous les
chemins sont reliés par des 2-chemins.
De manière similaire, on peut définir
les types de niveau 1, 2, 3… jusqu’aux
types de niveau ∞ !
En bas de cette hiérarchie, on retrouve
en fait des objets mathématiques bien
connus : les types de niveau −1 se comportent comme les propositions mathé-
© É. Thomas
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NOUVELLES FORMES
matiques, et ceux de niveau 0 se comportent comme des ensembles (c’est
par exemple au niveau 0 que se trouve
le type des entiers). Au-delà, les types
de niveau n correspondent en fait à des
n-groupoïdes, une structure abstraite
issue de la théorie des catégories.
Cette construction permet de résoudre
certaines des difficultés de la théorie
des types, parfois jugée « trop éloignée » des mathématiques usuelles.
Par exemple, en théorie des types, de
par sa nature constructive, une preuve
de « il existe x tel que P (x) » contient
forcément un témoin d’existence,
c’est-à-dire un objet précis x qui vérifie la propriété P. En mathématiques
usuelles, on veut pouvoir prouver une
Vladimir
Voevodsky
à l’Institut
Henri-Poincaré
(avril 2014).
Hors-série n°55. Les démonstrations Tangente
123
SAVOIRS
La théorie homotopique…
proposition de cette forme sans exhiber
de témoin : par exemple, on suppose
qu’il n’en existe pas, et on aboutit à
une contradiction.
La théorie homotopique des types
unifie ces deux points de vue : le « il
existe » des mathématiques usuelles
correspond à un type de niveau −1,
qui contient comme seule information
le fait que la proposition soit vraie
ou fausse. Le « il existe » constructif
correspond quant à lui à un type de niveau supérieur, qui peut alors contenir
comme information supplémentaire un
témoin d’existence.
D’autre part, la théorie homotopique
des types peut être vue comme un langage privilégié permettant d’exprimer
de manière simple les concepts de la
théorie de l’homotopie. Par exemple,
en théorie de l’homotopie, on définit habituellement un chemin dans un espace
X comme une fonction continue allant
de l’intervalle [0, 1] dans X. Si l’on
voulait formaliser complètement cette
définition, il faudrait d’abord définir la
notion d’intervalle, qui s’appuie sur la
définition des nombres réels, qui sont
eux-mêmes définis à partir des nombres
rationnels, eux-mêmes définis à partir
des entiers… Cela rend très difficile la
formalisation des théorèmes de la théorie de l’homotopie dans des assistants
de preuve tels que Coq. Avec la théorie homotopique des types, la notion de
chemin devient un des concepts les plus
fondamentaux : un chemin de x vers y,
c’est simplement une preuve de (x = y).
En développant cette idée, on aboutit à
un nouvel outil important : la notion de
type inductif supérieur, qui généralise
celle de type inductif. Cet outil permet de définir un type non seulement
en précisant quels sont ses éléments,
mais aussi en précisant quels sont les
124
chemins (et les 2-chemins, etc.) sur ce
type. Cette idée très simple permet de
définir tous les espaces topologiques
intéressants de manière intuitive, ce qui
facilite considérablement les preuves
formelles en théorie de l’homotopie !
Le type du cercle
On peut ainsi définir le cercle comme
un type inductif supérieur. Ce que l’on
veut en fait définir, c’est l’espace topologique correspondant au cercle, ou encore un « cercle à déformation près ».
On ne s’intéressera pas, par exemple,
à caractériser le rayon de ce cercle.
Le type du cercle, noté C, est le type
inductif supérieur généré par les deux
constructeurs suivants :
• BASE : C,
• LOOP : (BASE = BASE).
Le premier constructeur permet de dire
qu’il existe un élément, nommé BASE,
qui est de type C (ou bien, « qui appartient au cercle »). C’est un constructeur
« usuel » de type inductif, car il définit
un élément du type cercle. Au contraire,
le second constructeur stipule qu’il
existe un chemin, nommé LOOP, allant
de BASE vers BASE, dans le type C.
C’est un constructeur dit d’ordre supérieur : il ne définit pas un élément de C,
mais un chemin dans C.
Comme tout type inductif, le cercle est
muni d’un principe d’induction, qui
nous permet de prouver des propriétés
le concernant. Selon ce principe, pour
prouver qu’un propriété P (x) est vraie
pour tout élément x du cercle, il suffit
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NOUVELLES FORMES
de prouver que P(BASE) est vraie, et
que P est préservée par « transport » le
long de LOOP. Pour bien saisir ce principe d’induction, il faudrait définir précisément la notion de transport, issue
de la théorie de l’homotopie. L’idée intuitive est qu’un type inductif est « librement engendré » par ses constructeurs : les constructeurs définissent de
nouveaux éléments du type. Dans le
cas du cercle, cela donne en particulier
que le chemin LOOP est distinct du
chemin trivial reflBASE.
À quoi ressemble l’espace des chemins
sur le cercle ? Plus précisément, quels
sont les chemins allant de BASE vers
BASE, ou encore, quels sont les habitants du type (BASE = BASE) ? On en
connaît déjà deux : le chemin trivial reflBASE, et LOOP. Mais on peut en créer
de nouveaux !
D’une part, la propriété de transitivité
de l’égalité (si x = y et y = z, alors x = z)
correspond à la concaténation (la mise
bout-à-bout) de chemins. Si p : (x = y)
et q : (y = z), alors leur concaténation est
notée p • q : (x = z). Concaténer le chemin trivial n’a aucun effet, mais on peut
par contre itérer le chemin LOOP afin
de faire plusieurs tours du cercle. On
définit ainsi LOOP2 = LOOP • LOOP,
LOOP3 = LOOP2 • LOOP, etc. Intuitivement, le chemin LOOPn est le chemin faisant n tours du cercle.
D’autre part, la propriété de symétrie
de l’égalité (si x = y alors y = x) correspond à l’inversion d’un chemin
(parcourir le chemin dans l’autre sens).
On peut également définir l’inverse de
LOOP, noté LOOP−1, qui fait le tour du
cercle dans l’autre sens. En itérant ce
chemin, on définit pour chaque entier n
le chemin LOOP−n, qui fait n tours du
cercle dans le sens inverse de LOOP.
Enfin, LOOP • LOOP−1 = reflBASE.
L’espace des chemins de BASE vers
BASE ressemble à l’ensemble Z des
entiers relatifs, où reflBASE joue le rôle
du 0, les LOOPn jouent le rôle des entiers positifs, et les LOOP−n jouent le
rôle des entiers négatifs. En fait, le
type Z et le type (BASE = BASE) sont
équivalents, et l’axiome d’univalence
permet alors de dire qu’ils sont égaux !
Au final, on retrouve un résultat bien
connu en topologie : « Le groupe fondamental du cercle est . »
Le langage de la théorie des types
La théorie des types est basée sur la
correspondance de Curry–Howard. Le
langage dans lequel elle s’exprime est
conçu comme étant à la fois un langage
de programmation, et un langage pour
écrire des preuves mathématiques. Son
formalisme est par conséquent assez
éloigné de ce que l’on a l’habitude de
voir en mathématiques. Voyons à quoi
il ressemble.
Les deux principales composantes de
ce langage sont les types et les termes.
• Les types (notés en majuscules : A,
B, C…) correspondent d’une part à
la notion habituelle de type en programmation (un programme de type
A " B prend en entrée un argument
de type A et renvoie une sortie de
type B), et d’autre part aux propositions mathématiques.
• Les termes (notés en minuscules
t, u, v…) peuvent être vus à la fois
comme des programmes et comme
des preuves. La notation t : A signifie
donc à la fois que t est un programme
de type A, et que t est une preuve de
la proposition A.
Per Martin-Löf
(né en 1942).
Les symboles logiques usuels /
(« et »), 0 (« ou »), & (« implique »),
6 (« quel que soit ») et 7 (« il
Hors-série n°55. Les démonstrations Tangente
125
SAVOIRS
La théorie homotopique…
existe ») sont tous remplacés par des
constructeurs de types, qui occupent
des fonctions analogues. Les symboles
sont changés pour éviter toute confusion (et parce que la théorie des types
formalise les mathématiques intuitionnistes, qui ne sont pas les mathématiques usuelles) :
• Le type produit A × B est l’analogue
du « et » logique. Les termes de type
A × B sont des paires de la forme (t,
u) où t : A et u : B, d’où la notation,
qui rappelle le produit cartésien ensembliste. D’un point de vue logique,
on le comprend comme suit : une
preuve de A × B (« A et B »), c’est la
donnée d’une preuve de A, et d’une
preuve de B.
• Le type somme A + B est l’analogue
du « ou » logique. Un terme de type
A + B est soit de la forme inj1 (t) où
t : A, soit de la forme inj2 (t) où t :
B. Cela rappelle l’union disjointe
de A et B en termes ensemblistes.
D’un point de vue logique, une
preuve de A + B (« A ou B »),
c’est soit une preuve de A, soit une
preuve de B.
• Le type des fonctions de A dans B,
noté A " B, correspond à l’implication. À cause des liens entre la théorie
des types et le λ-calcul, les fonctions
s’écrivent λx.t au lieu de la notation
plus traditionnelle x 7 t. La fonction
λx.t est de type A " B lorsque t est
de type B, sous l’hypothèse que la variable x est de type A. Pour pouvoir
bien définir ce constructeur, il faudrait introduire la notion de contexte
de typage ; on ne s’en embarrassera pas ici. L’interprétation logique
de tout cela est qu’une preuve de
A " B (« A implique B »), c’est un
programme qui prend en entrée une
preuve de A, et s’en sert pour fabriquer une preuve de B.
126
•
Le type des fonctions dépendantes
P
B ^ x h est une généralisation du type
x.A
A " B. C’est l’analogue de la quantification universelle « 6 x d A,
B (x) ». Un terme de ce type, c’est
une fonction (toujours notée λx.t) qui
prend en entrée un x de type A, et renvoie un résultat de type B (x) : le type
du résultat peut désormais dépendre
de l’argument x que l’on a reçu en enB ^ x h (« quel
trée. Une preuve de P
x.A
que soit x dans A, B (x) »), c’est donc
un programme qui prend en entrée un
argument x et renvoie une preuve de
B (x).
• Le type des paires dépendantes
| B^ xh
x.A
est l’analogue de la quantifi-
cation existentielle « 7 x d A, B (x) ».
Les termes de ce type sont les paires de
la forme (t, u) où t : A et u : B (t). Le
type de la deuxième composante peut
donc dépendre de la première composante. D’un point de vue logique, une
preuve de
| B^ xh
x.A
(« il existe x dans
A tel que B (x)) c’est la donnée d’un
témoin t particulier dans A, et d’une
preuve de B (t).
Il devient maintenant possible de voir
quelques exemples de preuves en théorie des types. Commençons par la proposition « A implique A », qui se traduit par le type A " A. Une preuve de
cette proposition, c’est un programme
de type A " A. La fonction identité
convient : λx.x est de type A " A, c’est
une preuve de « A implique A ». Le
mot « preuve » n’est ici pas à prendre
à la légère, le terme « λx.x » contient
tout le raisonnement nécessaire pour
prouver A " A, il dit très exactement :
« Supposons A, alors par hypothèse A
est vrai. » Une fois que l’on dispose
de ce terme, pour vérifier que λx.x :
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NOUVELLES FORMES
A " A, ce n’est plus que du calcul, de
l’application bête et méchante de règles
de typage. Même un ordinateur peut le
faire ! C’est justement l’idée qui est
à la base des assistants de preuve tels
que Coq, qui sont incapables de raisonner mais qui peuvent vérifier qu’une
preuve (rédigée dans un formalisme
adéquat) est correcte.
Un exemple plus sophistiqué est proposé en encadré.
L’axiome du choix
L’axiome d’univalence
où fst et snd sont respectivement les projections
selon la première et la deuxième composante. Mais
alors, l’axiome du choix serait-il prouvable en théorie des types ? En fait non, ce type représente un
énoncé strictement plus faible que l’axiome du
choix, à cause du fait que l’on est en mathématiques
constructives : le type R contient strictement plus
d’informations que le quantificateur 7 habituel.
Pour énoncer le « vrai » axiome du choix, il faut
utiliser un opérateur de troncature noté ||A||, qui
permet d’oublier ces informations supplémentaires.
Le « vrai » axiome du choix s’énonce alors :
On peut aller plus loin et définir la notion d’équivalence A - B des types A
et B :
A - B: = | | b % g % f ^ x h = x l
^
h^
h ^
h
f:A " B
g:B " A
x:A
# b % f % g^ yh = y l.
^y:Bh
On peut voir cette équivalence comme
une notion « d’isomorphisme » entre
types : il existe des fonctions f : A " B
et g : B " A telles que leur composée dans les deux sens soit l’identité.
L’axiome d’univalence proposé par
Vladimir Voevodsky s’énonce alors :
(A = B) - (A - B).
Cet axiome propose que la notion
d’équivalence et la notion d’égalité
sont équivalentes. En particulier, si on
le lit de droite à gauche, il dit que deux
types isomorphes sont égaux !
La théorie homotopique des types
semble donc être en voie d’unifier la
théorie des types et les mathématiques
« usuelles » basées sur la théorie des
ensembles. Ces dernières années, elle
a suscité l’engouement de nombreux
mathématiciens, logiciens et informaticiens, si bien qu’en 2013, une année
entière lui a été consacrée à l’Institute for Advanced Study à Princeton.
Certains informaticiens ont déjà commencé à implémenter de nouveaux
Si l’on essaye de traduire naïvement l’axiome du
choix dans le langage de la théorie des types, on
aboutit au type suivant (que l’on notera AC') :
AC': =
%|
^ x:Ah ^y:B^ x hh
C ^ x, yh "
c f:
| % C^ x, f^ x hh.
%
^ x:Ah
B^ x hm ^ x:Ah
On peut vérifier que le terme suivant est une preuve
de AC' :
λh.(λx.fst (h (x)), λx.snd (h(x))) : AC’,
AC': =
% |
^ x:Ah
^y: B^ x hh
C ^ x, yh "
| % C^ x, f^ x hh
^ h
c f: % B^ x hm x: A
.
^ x: Ah
assistants de preuve expérimentaux
(Cubical et Andromeda) basés sur la
théorie homotopique des types. Elle a
également de forts liens avec la théorie
des catégories, et s’inscrit donc dans la
continuation des développements abstraits des mathématiques du xxe siècle,
comme les travaux d’Alexander Grothendieck (voir Tangente 162, 2015).
La théorie homotopique des types promet de fournir un langage adapté aussi
bien à l’expression des concepts et des
raisonnements les plus abstraits des
mathématiques modernes, qu’à leur
formalisation et leur vérification par un
ordinateur.
L.T.D. N. & J. L.
Hors-série n°55. Les démonstrations Tangente
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