INTENTIONS
Théâtre / Docu / fiction ?
Depuis une dizaine d’années, la compagnie a concentré son travail sur la question documentaire dans la repré-
sentation théâtrale. Comme le réaffirme Sorj Chalandon, la scène est le lieu de la représentation et donc de la
fiction, le quatrième mur la protège du réel. C’est cette frontière que nous voulons emprunter, franchir, faire
franchir au public. Rendre perméables nos voyages, basculant du réel à l’imaginaire, de l’image filmée à la
scène, de l’acteur au personnage.
Sorj Chalandon construit son récit en déconstruisant la chronologie narrative si bien que le présent de l’action
est toujours mouvant. Ce traitement du temps est une des richesses du roman et ses aller-retours temporels
offrent un effet de distanciation, d’étrangeté qui stimule une conscientisation du spectateur.
Chalandon pose la question au théâtre de la présence, des fantômes, de l’incarnation à laquelle notre adapta-
tion répond en multipliant les moyens narratifs que nous offre la scène. Entre récit, dialogue, incarnation,
théâtre d’objet et cinéma, notre Quatrième mur veut rendre sensible et intelligible ce voyage initiatique
entre la vie et la mort, entre incarnation et engagement symbolique.
Le Quatrième mur raconte une histoire libanaise, celle de la guerre, des combats, des enfances broyées. Mais
aussi une histoire européenne, celle des mouvements gauchistes étudiants post 68, des résistances, des exils,
des injustices, de l'engagement. Cela parle de la construction d’un narrateur toujours en prise avec le politique,
le militantisme. Lorsqu'il promet à Samuel de mettre en scène Antigone à Beyrouth à sa place, en pleine
guerre du Liban, avec des acteurs de toutes confessions, il s'engage dans un acte doublement symbolique :
faire du théâtre avec des combattants réels, pour que, le temps d’un lever de rideau, Beyrouth ne soit pas un
théâtre de guerre mais une guerre de théâtre.
Mais la guerre n’est pas symbolique : on tue à Beyrouth. On massacre. Ce massacre n’est pas symbolique. Il est
réel. Des êtres vivants ont été méthodiquement assassinés.
Que peut faire le théâtre contre la barbarie, ce territoire au-delà des frontières réelles et symboliques ?
Que peut-on faire contre la barbarie ?
Sorj Chalandon refuse de répondre à cette question car la représentation d’Antigone n’aura jamais lieu. Le nar-
rateur en revanche, malgré son retour en témoin héroïque, hanté par les fantômes du drame libanais, ne
parviendra pas à revenir à la normalité de sa vie française.
Le terrain sur lequel s’inscrit le roman a été foulé par des peuples qui ont été touchés dans leur chair. Sorj
Chalandon, alors grand reporter, a été l'un des premiers à entrer dans le camp de Chatila après les mas-
sacres. Témoigner, en tant que journaliste, n’a pas suffi pour effacer les images terrifiantes dont il avait
été le spectateur. Elles sont devenues son moteur d’écriture pour une fiction. Dans quel but ? Tenter d’ex-
pliquer, de comprendre quoi ?
Son choix de se réinventer en metteur en scène pour raconter son histoire m’a incité, comme en miroir, à