THÉÂTRE • À PARTIR DE 12 ANS DURÉE 1H10 • TARIF C • GRANDE SALLE MON TRAITRE DOSSIER PÉDAGOGIQUE Contact Service Éducatif Céline URBAIN 03 26 51 15 80 • [email protected] crédit photo : Mario_del_curto MAR 7 FÉV I 20h30 MON TRAÎTRE Cie Théâtre Bloc Opératoire MAR 7 FÉV I 20h30 THÉÂTRE • À PARTIR DE 12 ANS DURÉE 1H10 • GRANDE SALLE TARIF • de 12,50 à 24,50 € D’APRÉS Mon traître et Retour à Killybegs de Sorj Chalandon MISE EN SCÈNE & ADAPTATION Emmanuel Meirieu AVEC Jean-Marc Avocat, Stéphane Balmino, Laurent Caron • Musique Raphaël Chambouvet MUSIQUE Raphaël Chambouvet COLLABORATION ARTISTIQUE ET CO -ADAPTATION Loïc Varraut COSTUMES Moïra Douguet MAQUILLAGE Barbara Schneider, Roxane Bruneton SON Sophie Berger, Raphaël Guenot DÉCOR LUMIÈRES VIDÉO Seymour Laval, Emmanuel Meirieu RÉGIE GÉNÉRALE Gabriel Guenot Production Bloc Opératoire Co-production Théâtre Vidy à Lausanne • Le Mail - Scène Culturelle de Soissons Co-réalisation Les bouffes du Nord Soutiens Ministère de la Culture • Région Rhône-Alpes • Ville de Lyon • Spedidam • Éditions Grasset MON TRAÎTRE Cie Bloc Opératoire Denis Donaldson, leader de l’IRA, fut un porte-drapeau emblématique de l’insurrection nord-irlandaise dans un pays ravagé par la guerre civile. Nous sommes au milieu des années soixante-dix, et chaque jour ce conflit véhicule son lot de violences et d’attentats au coeur du Royaume-Uni. Trente ans plus tard, Donaldson avouera sa trahison, puisqu’en fait pendant de nombreuses années, il fut un agent des services secrets britanniques. Il sera assassiné quelques mois après son aveu. Le journaliste et écrivain Sorj Chalandon, qui l’a bien connu à cette époque, a voulu comprendre le parcours de son ami et en a tiré un récit littéraire poignant que porte à la scène Emmanuel Meirieu. Sorj Chalandon emploie le terme de « terrible beauté » pour définir la mise en scène d’Emmanuel Meirieu. Car il s’agit bien de cela ; rendre puissantes des images pour donner sens aux mots et traduire avec force les actes parfois terribles des hommes. Après De beaux lendemains, bouleversant spectacle qu’il avait présenté au Salmanazar, Emmanuel Meirieu nous gratifie à nouveau d’une pièce d’une grande intensité émotionnelle. Le mot de l'auteur Sorj Chalandon sur le spectacle Un jour, Emmanuel Meirieu m'a dit qu'il souhaitait adapter deux de mes romans au théâtre, réunis en une seule pièce qui s'appellerait "Mon traître". Il m'a expliqué que les mots silencieux de ces pages pouvaient être chuchotés ou hurlés. Il en avait la conviction. Et je lui ai dit oui. De ce metteur en scène, je connaissais l'adaptation du roman de Russell Banks, De beaux lendemains et aussi celle du livre Bringing out the dead de Joe Connelly. A chaque fois, des êtres se racontent, comme seuls en scène et à tout jamais. Chez Banks, quatre témoins pleurent les enfants d'un car scolaire accidenté. Chez Connelly, deux ambulanciers de New York sont peu à peu hantés par ceux qu'ils n'ont pu sauver. Meirieu a fait des choix dans ces textes. Il en fait aussi dans les miens. Coupes franches, disparitions de répliques, de personnages, le théâtre est une autre aventure. Et je lui ai dit oui. Oui à la fusion des deux livres, oui aux allers retours, oui aux chapitres manquants et aux regards en plus. Cette fois, après la neige de Banks et la nuit de Connelly, c'est une histoire d'Irlande qu'Emmanuel Meirieu nous raconte. L'histoire d'un traître et d'un trahi. Mais je lui ai demandé une faveur : ne rien voir, ne rien entendre, ne rien savoir à l'avance. N'intervenir à aucun moment de son travail. Faisant cela, je lui offrais Mon traître en partage. Je lui proposais de faire sienne cette douleur intime. Je me réfugiais dans le rôle de spectateur, celui que l'obscurité protège. Et j'ai bien fait. J'ai assisté à une représentation de la pièce d'Emmanuel Meirieu. C'était en avril dernier, à Lausanne. Et j'ai été saisi. J'ai vu Antoine le trahi et Tyrone le traître, prendre vie sous la pluie. J'ai regardé l'ombre de Jack, fils de Tyrone, écouté sa voix exiger de son père mort qu'il se relève. J'ai entendu des mots d'encre et de papier transformés en orage. Je ne m'attendais pas à une telle puissance. À une telle force. À cette "terrible beauté". Et j'ai pleuré, comme les autres, dans l'obscurité qui me protègerait. Sorj Chalandon Avril 2013 NOTE D’INTENTION Après l’adaptation pour la scène du roman de Russell Banks De Beaux Lendemains aux Bouffes du Nord en juin 2011, Emmanuel Meirieu a décidé de poursuivre son exploration des grandes oeuvres littéraires contemporaines avec le français Sorj Chalandon et ses deux derniers romans : Mon traitre et Retour à Killybegs, publiés chez Grasset, Grand Prix du Roman Académie Française 2011. En Irlande du Nord, dans les années 70, Sorj Chalandon rencontre Denis Donaldson, leader charismatique de l'IRA et de sa branche politique, le Sinn Féin. Il tombe en amitié. Il épouse sa cause. Il devient un frère. Il entre en guérilla. Le 17 décembre 2005, en conférence de presse, Denis Donaldson avoue sa trahison : depuis 25 ans, il est l'informateur des services secrets britanniques. Le 4 avril 2006, il est assassiné. De cette amitié, de cette trahison, Sorj fera 2 romans : Mon traître (2008) et Retour à Killybegs (2011). Dans Mon traître c'est Antoine, double littéraire de Chalandon, qui nous en fait le récit. Dans Retour à Killybegs, c'est Tyrone Meehan, avatar de Donaldson. Deux livres. Deux monologues. Le récit du trahi et le récit du traître, écrits au "je", où s'emmêlent fiction et vérité historique. Une amitié engagée, un texte politique et sentimental, plein de chaleur et de chagrin. "Denis Donaldson a été assassiné sans que je puisse lui demander si notre amitié était vraie. J'ai donc chargé Antoine de le faire pour moi. Un roman, c'est aller là où on ne peut aller. Lui seul a pu me permettre de passer la frontière. De vivre cette rencontre qui me manquait." aime dire Sorj Chalandon. De ces deux livres, Emmanuel Meirieu a fait un spectacle. Pour réunir ces deux personnages à la scène. La parole du trahi puis la parole du traitre. Champ-contrechamps. Témoignage et contre témoignage face public comme on est face caméra. Et le metteur en scène accompagnera la parole des acteurs de sons, d'images, d'ambiance et de musique à sa façon, pour créer des hallucinations de théâtre : Belfast et la guerre civile, les quartiers insurgés, les attentats à la bombe, l'Irlande et la chaleur des pubs, les chansons rebelles... Un spectacle lyrique et tenu sur une guerre de l'ombre, cruelle, sale qui viendra rendre un hommage à un pays et à son peuple meurtri. Un spectacle pour tous les traîtres que nous avons aimé. EMMANUEL MEIRIEU Metteur en scène Il mène des études de philosophie et de droit. Trente neuf ans et déjà vingt à créer avec sa compagnie Bloc Opératoire un théâtre stimulant et actuel. Passionné par les acteurs et le récit, Emmanuel Meirieu aborde le théâtre en créateur d’émotions fortes. Il porte à la scène les auteurs d’aujourd’hui avec l’envie de faire entendre d’une manière simple la puissance des histoires tout en créant des archétypes de théâtre inoubliables : des êtres brisés, des marginaux grandioses et viscéralement humains, «ces derniers qui seront les premiers". Qu'il travaille avec des interprètes réputés ou révèle des talents bruts, sa direction d'acteur est unanimement saluée. Avec De Beaux Lendemains d'après le roman de Russell Banks aux Bouffes du Nord en 2011, Mon traître d'après Sorj Chalandon au théâtre Vidy Lausanne en 2013, il a démontré son talent pour l'adaptation de romans. Redonner aux mythologies leurs souffles, rendre l'homme à sa fragilité et à son dépassement, c'est le désir d'Emmanuel Meirieu à l'ère du scepticisme de masse et de la dérision généralisée. Libération SORJ CHALANDON Auteur Il a été grand reporter à Libération pendant 34 ans. Il est actuellement journaliste au Canard Enchainé. Prix Albert Londres 1998 et Prix Médicis 2006, Prix du meilleur roman de l’Académie Française 2011, en lice pour les Prix Goncourt, Médicis et Interallié. Jean Marc Avocat est Tyrone Meehan Il n'aime que les défis, les marges, le surpassement de soi, et avant tout : Racine. Il mène une vie border line, il a une passion démesurée, un coeur blessé mais boosté constamment. Au théâtre, il a travaillé sous la direction de : Claudia Stavisky, Hans Peter Cloos, Alain Françon, Jacques Weber, Matthias Langhoff, Patrice Chéreau... Il se lance le défi de jouer à lui tout seul l'intégralité de Andromaque, Bérénice et Phèdre. Il met en scène et joue des adaptations qu'il a réalisées de Les Aventure de Jean Foutre La Bite, et Le con d'Irène de Louis Aragon. Il y a peut-être 4 acteurs au monde capable de jouer le rôle de Tyrone Meehan comme je le veux, et Jean Marc Avocat fait parti de ces 4 là. N’oublions pas que les plus grands acteurs étaient ceux qui bougeait le moins, voyez Marlon Brando. Le plus difficile, sur scène, c’est l’immobilité. Pavarotti l’a. C’est la magie de la voix indéniablement, disait Luciano Pavaroti. Et Jean Marc Avocat est de ces acteurs ténors, écrit Emmanuel Meirieu à propos de son ami et intreprète. STÉPHANE BALMINO est Jack Meehan Guitariste autodidacte, auteur, compositeur, interprète. Il se fait acteur pour la première fois dans Mon traître d'Emmanuel Meirieu. Sur la scène chanson depuis 1998 avec le groupe Khaban’ (3 albums et près de 500 concerts dans toute la francophonie). En 2011, il forme le groupe Broc qui écume en ce moment les scènes rock en France. Il est également auteur compositeur pour Olivia Ruiz, Evelyne Gallet, Maïa Barouh.. LAURENT CARON est Antoine Laurent Caron est originaire d’Amiens, il vit en Belgique depuis 15 ans. Après des études de comédien au Conservatoire de Liège, il travaille avec différents metteurs en scène (J.Delcuvellerie, L. Noren, F. X. Kroetz, G. Stoev, H. Lanz, M Simons, M. Pereira, P. Bebi, D. Laujol...) Au cinéma, il a travaillé dans les trois derniers longsmétrages de Jean Pierre et Luc Dardenne. AVANT LE SPECTACLE CRÉER DES ENVIES, CRÉER DES ATTENTES Selon vous, que raconte le spectacle Mon traître ? Comment interprétez-vous l’emploi du déterminant possessif ? Selon vous, de quelle traîtrise s’agit-il ? Selon vous, dans quel contexte historique évolue l’histoire ? CULTURE ARTISTIQUE Je sais, je connais LE CONTEXTE HISTORIQUE L’adaptation théâtrale En prenant comme support le mot de l'auteur Sorj Chalandon sur le spectacle : • D’après vous, en quoi consiste une adaptation théâtrale ? •En quelques mots, expliquez la mise en scène d’Emmanuel Meirieu. Eléments de réponse : De ce roman, Emmanuel Meirieu en fait un récit théâtral, en deux parties, qui épouse le diptyque imaginé par Sorj Chalandon ; le récit du trahi d'abord et celui du traître ensuite. Et en choisissant et dirigeant remarquablement les acteurs, installés dans un dispositif minimal, face au public, devant un micro qui permet de ne surtout pas jouer, mais de raconter. Avec la pluie sans fin d'Irlande pour seul décor. RENCONTRE SENSIBLE Fiche spectacle COLLE UNE PHOTO OU L’AFFICHE OU UN DESSIN DU SPECTACLE L’HISTOIRE Quel est le titre de la pièce ? ................................................................................. ................................................................................. Qui est le metteur en scène ? ................................................................................. ................................................................................. Qui sont les comédiens ? Quels rôles jouentils ? ................................................................................. ................................................................................. ................................................................................. Racontez brièvement l’histoire ................................................................................. ................................................................................. ................................................................................. ................................................................................. ................................................................................. ................................................................................. ................................................................................. ................................................................................. ................................................................................. ................................................................................. ................................................................................. ................................................................................. ................................................................................. ................................................................................. ................................................................................. ................................................................................. ................................................................................. ................................................................................. ................................................................................. ................................................................................. ................................................................................. ................................................................................. Quels ont les éléments de décor ? ................................................................................. ................................................................................. ................................................................................. ................................................................................. ................................................................................. ................................................................................. Qu’apportent-ils à l’histoire racontée ? ................................................................................. ................................................................................. ................................................................................. ................................................................................. ................................................................................. ................................................................................. Expliquez les choix du metteur en scène. ................................................................................. ................................................................................. ................................................................................. ................................................................................. ................................................................................. ................................................................................. ................................................................................. ................................................................................. ................................................................................. ................................................................................. ................................................................................. ................................................................................. ................................................................................. ................................................................................. ................................................................................. ................................................................................. ................................................................................. ................................................................................. ................................................................................. ................................................................................. ................................................................................. ................................................................................. ................................................................................. ................................................................................. ................................................................................. MISE EN SCÈNE DÉCOR CULTURE ARTISTIQUE Je sais, je connais • Mettre en scène un monologue et le rejouer. • Chaque élève (ou groupe) justifiera sa mise en scène, les éléments de décor… EXTRAIT ANTOINE "J’ai acheté un journal du soir. Je l’ai ouvert et je suis tombé. J’avais déplié le journal, je marchais, j’ai lu quelques lignes et je suis tombé. Pas tombé comme on chute. Pas violent ni brusque. Simplement, j’ai tout arrêté. J’ai arrêté de marcher, arrêté de lire, arrêté de me porter. C’était un tout petit article. ‘Un traitre au sein de l’IRA’ disait le titre en gras. Le nom de Tyrone était là, en tout début de ligne. L’article disait que cet Irlandais était un ‘membre important de l’organisation terroriste’. Qu’il avait avoué avoir trahi les républicains pendant 25 ans. Qu’il avait touché de l’argent pour ses informations. Qu’il avait avoué publiquement. J’étais couché sur le dos, mains jointes sur la poitrine. Je ne pensais à rien. J’ai regardé l’obscurité. Il fallait que Tyrone me parle. Il fallait que je le voie. Il fallait qu’il m’explique. Je le voulais lui. Sa main sur mon épaule et ses mots face à face." EXTRAIT TYRONE MEEHAN "Lorsque le petit Français me regardait, je m'aimais. Je m'aimais dans ce qu'il croyait de moi, dans ce qu'il disait de moi, dans ce qu'il espérait. Je m'aimais, lorsqu'il marchait à mes côtés comme l'aide de camp d'un général. Lorsqu'il prenait soin de moi. Qu'il me protégeait de son innocence. Je m'aimais, dans ses attentions, dans la fierté qu'il me portait. Je m'aimais, dans cette dignité qu'il me prêtait, dans ce courage, dans cet honneur. J'aimais de lui tout ce que son coeur disait de moi. Lorsqu’Antoine me regardait, il voyait le Fianna triomphant, le compagnon de Tom Willams, le rebelle de Crumlin, l'insoumis de Long Kesh. Je lui devais une part de vérité. Je lui devais un autre regard, le vrai, celui de l'homme sali. Celui du déloyal, de l'infidèle. Je voulais qu'il affronte ces yeux-là. Qu'il les connaisse." • A la manière de Sorj Chalandon, écrire un texte mêlant dialogues et actions et le réécrire du point de vue de l’autre interlocuteur. • Par groupe de deux, jouer l’extrait proposé. Prolongement • Lire le roman épistolaire de K. Kressmann Taylor. • Découvrir l’adaptation théâtrale de Xavier Béja. • Débattre sur les choix du metteur en scène. • https://www.youtube.com/watch?v=vophVd6J5J8 • Mettre en scène un extrait du roman Inconnu à cette adresse. Les élèves justifieront leur choix de mise en scène. EXTRAITS INCONNU À CETTE ADRESSE de K. Kressmann Taylor GALERIE SCHULSE-EISENSTEIN, SAN FRANCISCO, CALIFORNIE, USA Le 12 novembre 1932 Herrn Martin Schulse Schloss Rantzenburg Munich, ALLEMAGNE Mon cher Martin, Te voilà de retour en Allemagne. Comme je t’envie… Je n’ai pas revu ce pays depuis mes années d’étudiant, mais le charme d’Unter den Linden agit encore sur moi, tout comme la largeur de vues, la liberté intellectuelle, les discussions, la musique, la camaraderie enjouée que j’ai connues là-bas. Et voilà que maintenant on en a même fini avec l’esprit hobereau, l’arrogance prussienne et le militarisme. C’est une Allemagne démocratique que tu retrouves, une terre de culture où une magnifique liberté politique est en train de s’instaurer. Il y fera bon vivre. Ta nouvelle adresse a fait grosse impression sur moi, et je me réjouis que la traversée ait été si agréable pour Elsa et les rejetons. Personnellement, je ne suis pas aussi heureux que toi. Le dimanche matin, je me sens désormais bien seul – un pauvre célibataire sans but dans la vie. Mon dimanche américain, c’est maintenant au-delà des vastes mers que je le passe en pensée. Je revois la grande vieille maison sur la colline, la chaleur de ton accueil – une journée que nous ne passons pas ensemble est toujours incomplète, m’assurais-tu. Et notre chère Elsa, si gaie, qui accourait vers moi, radieuse, en s’écriant : « Max, Max ! », puis me prenait la main pour m’entraîner à l’intérieur et déboucher une bouteille de mon schnaps favori. Et vos merveilleux garçons – surtout ton Heinrich, si beau… Quand je le reverrai, il sera déjà un homme. Et le dîner… Puis-je espérer manger un jour comme j’ai mangé là-bas ? Maintenant, je vais au restaurant et, devant mon rosbif solitaire, j’ai des visions de Gebackener Schinken, cet exquis jambon en brioche fumant dans sa sauce au vin de Bourgogne ; et de Spätzle, ah ! ces fines pâtes fraîches ; et de Spargeel, ces asperges incomparables. Non, décidément, je ne me réconcilierai jamais avec mon régime américain. Et les vins, si précautionneusement déchargés des bateaux allemands, et les toasts que nous avons portés en levant nos verres pleins à ras bord pour la quatrième, la cinquième, la sixième fois… Naturellement, tu as bien fait de partir. Malgré ton succès ici, tu n’es jamais devenu américain ; et maintenant que notre affaire est si prospère, tu te devais de ramener tes robustes fils dans leur patrie pour qu’ils y soient éduqués. Quant à Elsa, sa famille a dû lui manquer toutes ces longues années ; ses proches seront également contents de te voir, j’en suis sûr. Le jeune artiste impécunieux de naguère devenu le bienfaiteur de la famille, voilà un petit triomphe que tu savoureras modestement, je le sais. Les affaires sont toujours bonnes. Mrs. Levine a acheté le petit Picasso au prix que nous demandions, ce dont je me félicite ; je laisse lentement venir la vieille Mrs. Fleshman à l’idée d’acquérir la hideuse madone. Personne ne se soucie de lui dire que telle ou telle pièce de sa collection est mauvaise parce que toutes le sont. Il n’empêche que je n’ai pas ton merveilleux savoir-faire pour vendre à des matrones juives. Je suis capable de les persuader de l’excellence d’un investissement mais toi seul avais, concernant une œuvre d’art, l’approche spirituelle de nature à les désarmer. De plus, elles n’ont sans doute pas vraiment confiance en un autre juif. J’ai reçu hier une charmante lettre de Griselle. Elle me dit qu’il s’en faut de peu pour que je devienne fier de ma petite sœur. Elle a le rôle principal dans une nouvelle pièce qu’on joue à Vienne, et les critiques sont excellentes ; les années décourageantes qu’elle a passées avec de petites compagnies commencent à porter leurs fruits. Pauvre enfant, ça n’a pas été facile pour elle mais elle ne s’est jamais plainte. Elle a du cran, en plus de la beauté et, je l’espère, du talent. Elle me demande de tes nouvelles, Martin, avec beaucoup d’amitié. Plus la moindre amertume de ce côté-là – ce sentiment passe vite à son âge. Il suffit de quelques petites années pour que la blessure ne soit plus qu’un souvenir ; bien sûr, aucun de vous deux n’était à blâmer. Ces choseslà sont comme des tempêtes : on est d’abord transi, foudroyé, impuissant, puis le soleil revient ; on n’a pas complètement oublié l’expérience, mais on est remis du choc. Il ne reste à Griselle que le souvenir de la douceur et non plus du chagrin. Toi ou moi ne nous serions pas comportés autrement. Je n’ai pas écrit à ma petite sœur que tu étais rentré en Europe mais je le ferai peut-être si tu penses que c’est judicieux ; elle ne se lie pas facilement, et je sais qu’elle serait contente de sentir qu’elle a des amis non loin. Quatorze ans déjà que la guerre est finie ! J’espère que tu as entouré la date en rouge sur le calendrier. C’est fou le chemin que nous avons parcouru, en tant que peuples, depuis le début de toute cette violence ! Mon cher Martin, laisse-moi de nouveau t’étreindre par la pensée et transmets mes souvenirs les plus affectueux à Elsa et aux garçons. Ton fidèle Max SCHLOSS RANTZENBURG, MUNICH, ALLEMAGNE Le 10 décembre 1932 Mr. Max Eisenstein Galerie Schulse-Eisenstein San Francisco, Californie, USA Max, mon cher vieux compagnon, Merci de la promptitude avec laquelle tu m’as envoyé les comptes et le chèque. Mais ne te crois pas obligé de me commenter nos affaires avec un tel luxe de détails. Tu sais que je suis d’accord avec tes méthodes ; d’autant qu’ici, à Munich, je suis débordé par mes nouvelles activités. Nous sommes installés, mais quelle agitation ! Comme je te l’ai dit, il y avait longtemps que cette maison me trottait dans la tête. Et je l’ai eue pour un prix dérisoire. Trente pièces, et un parc de près de cinq hectares et demi – tu n’en croirais pas tes yeux. Mais il est vrai que tu ignores à quel niveau de misère est réduit mon pauvre pays. Les logements de service, les écuries et les communs sont très vastes et, crois-le ou non, pour les dix domestiques que nous avons ici, nous payons le même prix que pour les deux seuls que nous avions à San Francisco. Aux tapisseries et autres pièces que nous avions expédiées par bateau s’ajoutent nombre de beaux meubles que j’ai pu me procurer sur place. Le tout est d’un effet somptueux. Nous sommes donc très admirés, pour ne pas dire enviés, ou presque. J’ai acheté quatre services de table de la porcelaine la plus fine, une profusion de verres en cristal et une argenterie devant laquelle Elsa est en extase. À propos d’Elsa… non, c’est trop drôle ! Voici qui va sûrement t’amuser… je lui ai offert un lit énorme, gigantesque, un lit comme on n’en avait encore jamais vu, deux fois grand comme un lit double, avec des montants de bois sculpté vertigineux. En l’occurrence, j’ai dû faire fabriquer sur mesure des draps du plus beau lin. Elsa riait comme une gamine en le racontant à sa grand-mère ; mais celle-ci a secoué la tête et grommelé : « Nein, Martin, nein. Vous avez fait ça, mais maintenant prenez garde, parce qu’elle va encore grossir pour remplir son lit. – Ja, dit Elsa. Encore quatre grossesses et je tiendrai tout juste dedans. » Tu sais quoi, Max ? Eh bien, c’est vrai. Pour les enfants, il y a trois poneys (petit Karl et Wolfgang ne sont pas en âge de monter) et un précepteur. Leur allemand est exécrable, tristement mâtiné d’anglais. Pour la famille d’Elsa, la vie n’est plus aussi facile qu’avant. Ses frères ont tous une profession libérale, mais, quoique très respectés, ils doivent vivre ensemble, forcés de partager une maison. À leurs yeux, nous sommes des millionnaires américains. Il s’en faut de beaucoup mais, néanmoins, l’importance de nos revenus transatlantiques nous place dans la catégorie des nantis. Les comestibles de qualité sont extrêmement chers, et les troubles politiques sont fréquents, même maintenant, sous la présidence de Hindenburg, un grand libéral que j’admire beaucoup. D’anciennes relations me pressent déjà de participer à la gestion municipale. J’y songe. Un statut officiel pourrait être tout à notre avantage, localement. Quant à toi, mon bon Max, ce n’est pas parce que nous t’avons abandonné que tu dois devenir un misanthrope. Trouve-toi immédiatement une gentille petite femme bien gironde qui sera aux petits soins pour toi et te nourrira comme un roi, le tout dans la bonne humeur. Crois-moi, ma prescription est bonne, même si elle me fait sourire. Tu me parles de Griselle. Cet amour de fille a bien gagné son succès. Je m’en réjouis avec toi, encore que, même aujourd’hui, le fait qu’elle, une jeune fille seule, est obligée de se battre pour réussir me révolte. N’importe quel homme peut comprendre qu’elle était faite pour le luxe et la dévotion, pour une vie facile et charmante où le bien-être épanouirait sa sensibilité. Ses yeux noirs reflètent une âme grave, mais aussi quelque chose de dur comme l’acier et de très audacieux. C’est une femme qui ne fait rien, ni ne donne rien à la légère. Hélas, cher Max, comme toujours, je me trahis. Tu as gardé le silence durant notre aventure orageuse, mais tu sais combien ma décision m’a coûté. Tu ne m’as fait aucun reproche, à moi, ton ami, quand ta petite sœur souffrait, et j’ai toujours senti que tu savais que je souffrais également, et pas qu’un peu. Mais que pouvais-je faire ? Il y avait Elsa, et mes fils encore petits. Toute autre décision eût été inopportune. Pourtant, je garde pour Griselle une tendresse qui survivra à son probable mariage – ou à sa liaison – avec un homme autrement plus jeune que moi. Tu sais, mon ami, l’ancienne plaie s’est refermée, mais parfois la cicatrice me lancine encore. Bien sûr que tu peux lui donner notre adresse. Nous sommes si près de Vienne qu’elle aura ainsi l’impression de n’avoir qu’à tendre la main pour avoir un foyer. Tu te doutes qu’Elsa, qui ignore les sentiments que Griselle et moi avons éprouvés l’un pour l’autre, recevrait ta sœur avec la même affection qu’elle t’a reçu. Oui, il faut que tu lui dises que nous sommes ici, et que tu la pousses à prendre contact avec nous. Félicite-la chaleureusement de notre part pour son beau succès. Elsa me demande de te faire ses amitiés et Heinrich brûle de dire Hello à son oncle Max. Nous ne t’oublions pas, petit Max. De tout cœur à toi Martin Mardi au vendredi de 14h à 18h 03 26 51 15 99 [email protected] Place Mendès France • 51200 Épernay • ADMINISTRATION 03 26 51 15 80 [email protected] 8 rue de Reims • 51200 Épernay www.lesalmanazar.fr Licences 1.1043847 (LT1) – 2.1043848 (LT2) – 3.1043840 (LT3) • ACCUEIL-BILLETTERIE