Bhdg – 5, 2015 ISSN 2034-7189
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de souligner que c’est aujourd’hui le Maghreb qui occupe la place qui était
autrefois celle du Machreq : la région – et notamment le Maroc – est en effet
devenue un haut-lieu de la réception de la pensée de Heidegger.
On compte à ce jour pas moins de vingt-six monographies et quarante-
trois articles en arabe dédiés à l’un ou l’autre aspect de la philosophie
heideggérienne. Ces productions sont signées par quarante-deux penseurs
différents. On recense, en outre, trente-neuf textes de Heidegger traduits par
trente-et-un traducteurs, certains d’entre eux l’étant plusieurs fois, ainsi
« Qu’est-ce que la philosophie ? » et « Qu’est-ce que la métaphysique ? »,
accessibles dans cinq traductions qui sont autant de nouvelles tentatives pour
faire coïncider la lettre d’un texte à l’esprit d’une langue. Trois revues arabes
spécialisées en philosophie ont dévolu un numéro entier à l’auteur allemand
,
tandis qu’une quatrième lui a consacré quatre dossiers en quatre ans
. Ces
travaux sont disponibles en version imprimée et, le plus souvent, en version
numérique également. Il existe donc bien quelque chose comme une littérature
secondaire, dont le corpus est par ailleurs aisément accessible. Rares sont
pourtant ceux qui l’ont aujourd’hui mis à profit pour étudier, dans sa généralité,
la réception arabe de Heidegger
.
Celle-ci étant donc encore largement méconnue, ce liminaire se
propose d’en exposer les lignes de force en présentant un certain nombre de
traductions, d’études et, pour ainsi dire, d’adaptations arabes de la pensée
heideggérienne, notamment les raisonnements qui les ont guidées. Insistons sur
le fait qu’il s’agit bien d’un liminaire au sens propre du terme – aussi ne
confondra-t-on pas ce qui suit avec une étude détaillée ou un panorama
exhaustif. Si donc nous omettrons des noms et des détails dont il faudrait tenir
compte pour comprendre, dans sa totalité comme dans sa complexité, la
réception arabe de Heidegger, les pages qui suivent devraient néanmoins
suffire à convaincre du fait, non seulement que cette réception existe – ce dont
on pourrait douter au vu du nombre finalement modeste de publications
comparé à ce qui s’observe dans d’autres langues, comme au vu du faible degré
de pénétration de la philosophie allemande dans les programmes de
Ays 3 (Alger, 2009), al-‘Arabwa-l-fikr al-‘âlamî (Beyrouth, 1988), al-Fikr al-‘arabî al-
mu‘âsir 58-59 (Beyrouth, 1988)
Madârâtfalsafîya 3 (Rabat, 2000), 5 (2000), 7 (2002) et 10 (2004).
Cf. cependant Mouchir Basile Aoun : Heidegger et la pensée arabe, Paris, L’Harmattan,
coll. "Pensée philosophique et religieuse arabe", 2011. Qu’il nous soit permis de
renvoyer à notre étude « Martin Heidegger in der Rezeption von Sifâ Abdussalâm
Ja‘far – Zeitgenössische Überlegungen zum Verhältnis von Philosophie und
Theologie », Asiatische Studien, 2014, 68, pp. 357-371.