Jean-François GOUYOU , I.A.D.E. Centre Hospitalier d’Angoulême Claude VIDAL, I.A.D.E. Centre Hospitalier d’Angoulême LA DOULEUR POST-OPÉRATOIRE AIGUË DE L’ADULTE : INFLUENCE DE LA CONCEPTION SUR LA PRISE EN CHARGE Notre choix professionnel, le contexte international de recherche sur la douleur et la médiatisation du sujet, ont mûri notre volonté de réflexion sur la douleur post-opératoire. Un constat d’insatisfaction dans la prise en charge de la douleur corroboré par les résultats globaux des seuils douloureux relevés dans ce travail : 62 % des patients ont exprimé une douleur forte à très forte en post-opératoire et l’audit récent publié par les hôpitaux de Paris montrant que 46,4 % des patients souffrent en post-opératoire alors que nous disposons des moyens de soulager leur douleur. Tout ceci nous amène à vous présenter aujourd’hui ce travail. Nous avons voulu connaître l’influence des concepts sur une pratique. Nous nous sommes attachés à la recherche d’une conception professionnelle de la douleur. LA DÉMARCHE Cette recherche en soins infirmiers se situe au sein du centre hospitalier d’Angoulême et a été réalisée sur une période de deux mois, de Mars à Avril 1996. La question posée est : Peut-on améliorer la qualité de la prise en charge para-médicale de la douleur post-opératoire immédiate de l’adulte en chirurgie gynécologique et orthopédique réglée en agissant : - sur la conception de la douleur par le personnel, - sur I’objectivation du syndrome douloureux 3 Elleconcerne la salle de surveillance post-interventionnelle, les unités de chirurgie orthopédique et gynécologique. L’échantillon des patients sélectionnés doit répondre aux critères suivants : La douleur aiguë post-opératoire possède des particularités. - Avoir agréé leur participation à l’étude. Mieux les connaître faciliterait-il notre pratique 3 - Ne pas subir une intervention en urgence. Notre conception agit sur les différents de la prise en charge. En être conscient améliorerait-il la démarche de soin ? - Sujets âgés de plus de 18 ans. - Posséder une bonne compréhension des informations. - Subir une intervention de chirurgie orthopédique ou gynécologique. Recherche en soins infirmiers N” 53 - Juin 1998 L’évaluation pour le choix de la participation à l’étude sera faite la veille de l’intervention par I’IADE lors d’une visite préopératoire. De cet échantillonnage, ont été exclus deux groupes de patients : ceux bénéficiant d’une chirurgie ambulatoire pour des raisons pratiques et les IVG, par respect de l’éthique. Dans notre méthodologie, la création de trois outils d’évaluation est apparue nécessaire. L’élaboration d’un questionnaire anonyme et individuel destiné au personnel paramédical des services concernés par l’étude. Dans le but de mieux connaître la perception du concept au sein même de la profession. Cette conception est sans aucun doute le reflet de /‘idée personnelle de chaque soignant, comme nous pourrons le constater au cours de l’analyse. II ne s’agit pas de porter un jugement de valeur sur nos pratiques, mais de trouver quelques voies de compréhension à nos attitudes. Quant aux données pré-opératoires concernant le patient, elles ont été transcrites sur la fiche de recueil des informations complémentaires lors de la visite la veille de l’intervention dans le service. La personnalité et les motivations, le niveau d’anxiété, l’acte chirurgical accepté, désiré ou contraint, les expériences algiques antérieures et attitudes habituelles visà-vis de la douleur ainsi que la prémédication nous ont paru être les éléments les plus importants. Nous avons également conçu une fiche de surveillance spécifique. l’auto évaluation du patient se fait sur sa propre échelle de valeur et non la nôtre. Evaluer permet de lever la barrière des expressions affectives et placer le patient sur un canal normatif de communication. Dans la qualité de prise en charge de la douleur postopératoire, il nous paraît essentiel d’aborder le sujet de l’évaluation de la douleur. L’échelle visuelle analogique ou EVA développée par HUSKISSON, se présente sous forme d’une réglette horizontale avec une ligne horizontale continue de 10 cm dont les extrémités sont définies par divers qualificatifs : douleur absente à l’extrémité gauche et douleur maximale imaginable ou intolérable à l’extrémité droite. Le patient répond en déplaçant un curseur sur cette I igne. La mesure s’effectue sur l’autre face de la réglette non visible du patient au centimètre près. D’utilisation simple et rapide elle est particulièrement fiable, sensible, reproductible et non mémorisable. Les âges extrêmes rencontrés dans notre étude nous montrent bien qu’il n’existe pas de limite à la compréhension de I’EVA. Une condition essentielle à notre avis est l’explication de son utilisation en pré-opératoire. Nous n’en sommes plus à discuter le bien-fondé de la douleur des patients. Nous avons admis que : S’il dit qu’il a mal c’est qu’il a besoin (quelle que soit la forme de douleur exprimée) d’être soulagé. Elle suit le patient sur 24 h et y sont consignés (à chaque contact avec le patient) : Evaluer la douleur est le moyen de connaître I’évolution de celle-ci dans le temps et d’apprécier l’efficacité du traitement entrepris. - les paramètres hémodynamiques (Pouls et Tension Artérielle), Nous avons donc dans cette étude, fait apparaître les EVA dans les services d’hospitalisation. - la quantification de la douleur par le patient (Echelle visuelle analogique descriptive), - l’appréciation cotée de la douleur par le personnel paramédical, - le comportement, - la survenue d’événements particuliers, - le traitement prescrit, sa mise en oeuvre, son efficacité et ses effets secondaires. Dans un but d’efficacité nous avons demandé une mesure par auto évaluation chaque fois qu’il leur était nécessaire d’intervenir dans la surveillance post-opératoire. II nous paraissait également intéressant de compléter l’auto-évaluation par une hétéro-évaluation (par un observateur). Celle-ci consistait à consigner des paramètres physiologiques mesurés et les observations comportementales. LA DOULEUR POST-OPÉRATOIRE AIGUË DE L’ADULTE : INFLUENCE DE LA CONCEPTION SUR LA PRISE EN CHARGE Y seront notés, la survenue d’événements particuliers, le traitement prescrit, son efficacité et ses effets secondaires. Ainsi que l’appréciation cotée de 0 à 10 de la douleur par le personnel para-médical. Pour les raisons de l’étude, nous avons demandé que la cotation infirmière soit faite en premier lieu et à la même fréquence que les auto-évaluations. Ces fiches sont mises en place dès la salle de surveillance post-interventionnelle. RÉPARTITION DES PATIENTS L’échantillon observé est de 73 patients, dont 22 % en orthopédie, dans une population d’âge se situant entre 21 à 99 ans. . >YZ Caractéristiques de la stimulation nociceptive II nous a semblé intéressant de porter notre étude sur les 24 premières heures car nous savons que la douleur post-opératoire aiguë est transitoire ; elle cède spontanément en quelques jours. Variable au cours du nycthemère, nous avons pu vérifier qu’il existait deux périodes où les patients exprimentunpicdedouleur:de13hà15hetde17à18h. Des interactions comme les sorties de salle de surveillance post-interventionnelle, les relais antalgiques, mobilisations et la fin des visites, limitent cependant nos conclusions. Imprévisible dans les individualités, certains types de chirurgie s’avèrent plus douloureux (hystérectomies, prothèses). Ceci nous donne une moyenne d’âge de 49 ans, avec une majorité située dans la tranche des 40 à 60 ans. Nous constatons que plus la durée de l’intervention augmente, plus les douleurs sont intenses bien qu’il n’existe pas de relation directe entre la sévérité d’un acte chirurgical et la douleur ressentie par le patient. Cette répartition nous permet de situer la grande variété des interventions rencontrées. La plus grande proportion se situant sur les coelioscopies opératoires et diagnostiques que nous avons regroupées. & Composante cognitive =.’ (Mémoire et expériences antérieures) ‘.-4W Nous avons également regroupé les différentes prothèses : épaule, genou, hanche. Au sujet de la répartition des soignants interrogés, nous avons proposé ce questionnaire aux personnels des services confrontés quotidiennement à la douleur postopératoire aiguë de l’adulte. Les unités de chirurgie, réanimation et anesthésie. LA DOULEUR POST-OPÉRATOIRE ET SES COMPOSANTES La douleur est un phénomène complexe qui intègre plusieurs éléments : La stimulation des afférentes nociceptives. Une interprétation des influx par les centres supérieurs, à laquelle participe la mémoire et la modulation par des éléments affectifs et émotionnels. Nous avons donc essayé de retrouver ces composantes dans notre travail. Nous pouvons noter que les patients se disant intolérants à la douleur ont paradoxalement exprimé des valeurs maximales basses. Par contre les patients qui nous font part d’une expérience douloureuse antérieure (migraines, algies rebelles) décrivent des douleurs post-opératoires plus intenses et ont des besoins en antalgiques supérieurs. Cela appuie la théorie disant que la projection du message douloureux au niveau cortical implique la mise en route d’associations mentales d’angoisse, de mort et de souffrance qui sont des résidants permanents de notre mémoire. Cette corticalisation, par des mouvements permanents de biochimie cellulaire génère un effet de majoration des expériences à venir. II est à noter que les interventions à visée antalgique (les prothèses) sont, elles aussi douloureuses en post-opératoire, mais la douleur n’est jamais intolérable pour les patients observés. L’espoir antalgique, s’il se fait attendre reste pour le moins un moyen de passer un cap difficile. Tout cela étant modulé par des éléments affectifs et émotionnels. Nous pouvons constater que, sur l’échelle visuelle analogique (EVA), les patients anxieux et très anxieux ont en majorité exprimé leur douleur dans les tranches de valeur des douleurs fortes à très fortes. (Déjà en 1985, CHAPMAN, dans une étude, corrélait le niveau douloureux et l’anxiété.) II faut préciser que notre travail ne se base que sur l’anxiété pré-opératoire dite : anxiété anticipatoire. On comprend aisément la notion de subjectivité, qui a pendant longtemps freiné la prise en charge de la douleur post-opératoire. La nécessité d’évaluation par des outils fiables et validés apparaît comme évidente. L’ensemble de ces facteurs d’influente, nous fait remarquer que si certains échappent à une action, d’autres peuvent être modérés par une amélioration de notre pratique. l’anxiété de situation, concomitante à la DP0 et I’anxiété trait, se définissant comme une prédisposition générale à réagir de façon très émotionnelle à une situation de stress, n’ont pu être incluses dans cette étude (SCOTT en 1983 et FEINMAN en 1993 ; « les influences sur le niveau de DP0 »). DE LA CONCEPTION A LA DÉMARCHE DE SOINS, É L É MENT DE NOTRE P R A T I Q U E La réapparition de la douleur se fait plus rapidement chez les patients anxieux et très anxieux puisque 76 % des anxieux et 75 % des très anxieux ont exprimé leur maximum de douleur dans les 3 premières heures. On peut donc confirmer que l’anxiété est un facteur direct d’influente sur douleur post-opératoire. A travers la lecture des questionnaires recueillis, nous constatons que, pour les personnes interrogées, la prise en charge de la DP0 est majoritairement essentielle voire importante. On ne dénie donc plus son existence. Et pour la moitié des para médicaux ; elle est normale, facultative et maîtrisable. Dans un autre ordre d’idée, on remarque une douleur exprimée globalement plus élevée en post-opératoire lorsque les interventions sont classées « mutilantes » (comme les hystérectomies, interventions qui ont la réputation d’être douloureuses et génératrices de dépression). Dans les autres facteurs d’influente, de nombreux soignants ont constaté une modification dans l’attitude des patients face à la douleur lorsque la famille était présente. On peut avancer ici avec précaution, compte tenu du faible échantillonnage et des pourcentages rapprochés, que cette analyse tend à montrer le bénéfice de la visite des familles sur les patients. Les groupes de patients les plus nombreux sont ceux qui expriment une douleur inférieure pendant et après les visites de leurs proches. Ce, d’autant que la réponse d’un malade peut être modifiée par l’attitude de ses voisins. Cela demande une réflexion sur l’aspect architectural, organisationnel des locaux et la possibilité offerte de se distraire. La qualité des soins prodigués peut donc être ainsi améI iorée. A coté de ces facteurs individuels, il faut citer d’autres facteurs qui modulent la DP0 : qu’ils soient culturels, ethniques, religieux, sociaux, professionnels ou familiaux, ils demanderaient une étude sociologique locale qui ne relève pas de notre propos. En ce qui concerne sa place dans le rôle infirmier, un taux élevé de non-réponse nous interroge sur la connaissance des définitions de notre rôle. Le rôle propre, qui est la reconnaissance et la mise en œuvre d’actions infirmières nous paraît essentiel dans le domaine de la prise en charge de la douleur, le diagnostic infirmier le plus évident étant celui de la douleur. Le rôle délégué, qui consiste à mettre en oeuvre les actions prescrites semble assez bien compris. II ressort donc que pour un tiers des prospects la prise en charge de la douleur ne fait pas partie de leur rôle propre et seulement 1/5, ne connaît d’autre moyens antalgiques que médicamenteux. Le savoir-faire infirmier à toujours beaucoup de mal à s’exprimer. Voyons maintenant comment le ressenti de l’infirmière peut avoir une action sur la prise en charge de la DP0 ? Dans l’évaluation, en mettant en relation la cotation infirmière et la mesure par EVA, on observe dans 35 % des mesures que la plainte du patient est plus forte qu’elle ne paraît à IDE. Cette sous-estimation, se fait surtout lors de pics douloureux. Ce phénomène d’écrétage des valeurs maximum, peut correspondre à une appréciation excessive de l’action thérapeutique. En poussant plus loin la réflexion, nous nous sommes donc demandés s’il existait une administration d’antal- LA DOULEUR POST-OPÉRATOIRE AIGUË DE L’ADULTE : INFLUENCE DE LA CONCEPTION SUR LA PRISE EN CHARGE gique après une cotation IDE supérieure à I’EVA, ou une non-administration après cotation inférieure. En règle générale, les cotations supérieures incitent à administrer une thérapeutique, et peu de cotations inférieures entraînent une modification de I’administration. On voit toute la nécessité de travailler sur l’idée que le patient peut gérer seul sa douleur. Cela d’autant plus que le principe de I’antalgie ne semble pas être une évidence pour une partie du personnel soignant. Nous avons voulu mettre en lumière les raisons de ces réticences. La douleur reste un élément de diagnostic pour la période post-opératoire, I’antalgie masque « toujours » cet élément pour une personne et « quelquefois » pour 314 des personnes. Une mise au point sur la surveillance post-opératoire parait nécessaire, avec les opérateurs. La gêne à l’utilisation des morphiniques du fait de leurs effets secondaires ; deux personnes répondent par un franc « oui ». Deux c’est encore trop, mais nous nous situons dans un processus d’évolution puisque 97 % s’estiment à l’aise avec ce type d’antalgique. La DP0 est inéluctable pour 15 % des prospects et au total 27 % des interrogés ne sont pas persuadés que I’antalgie soit efficace. - « Une standardisation » des protocoles antalgiques qui implique une évaluation et une adaptation de la prescription aux besoins exprimés du patient. - Problème organisationnel : La charge de travail ne permet pas toujours d’assurer les horaires d’injection. - Et puis attendre la demande, c’est « peut-être quelque part » valoriser la fonction de soignant. Les modifications apportées à la prescription dans I’application du traitement sont, elles aussi, significatives. II est clair que l’on modifie dans l’ensemble plus volontiers les antalgiques non morphiniques. Nous remarquons ensuite, une plus grande majorité de modifications des soignants des unités d’anesthésie et de réanimation. On peut suggérer une plus grande habitude de manipulation de ces produits (surtout morphiniques) de par leur maniement quotidien, des connaissances pharmacologiques réactualisées, et la proximité immédiate d’un médecin prescripteur. 86 % des patients ont reçu des antalgiques en salle de surveillance post-interventionnelle. Le pourcentage de diminution dans l’administration est constant dans les deux groupes ; nous considérerons qu’il correspond à un taux de prescription inadéquate. Pour toutes les raisons évoquées ci-dessus on voit que l’amélioration passe par la formation. On sait aujourd’hui que pour être au maximum de son efficacité, I’antalgie doit être pro-active. De sa précocité dépend sa mémorisation qui comme nous l’avons vu dans la physiopathologie conditionne le futur. Le blocage précoce du message douloureux (avant le passage médullaire et donc avant le passage cortical) va nécessiter des quantités d’antalgiques moindres et va inhiber les effets nociceptifs plus difficiles à juguler dés lors qu’ils sont déjà installés. Or nous pouvons voir que lors de soins douloureux comme les mobilisations par exemple, un dixième seulement est précédé de l’administration d’antalgiques, les pansements eux sont d’avantages pris en compte, puisqu’un sur deux est précédé d’antalgiques. En ce qui concerne le mode d’administration de ces antalgiques, la majorité des soignants apprécient en théorie le traitement systématique de la DP0 mais en pratique administre plutôt à la demande. Quelques explications sont à retenir : POUR CONCLURE Agir sur la conception de la douleur post-opératoire par les IDE améliorera sans aucun doute la prise en charge. Mais cet élément nous était-il totalement étranger ? Une forte demande d’action de formation est exprimée et elle doit se faire à tous les niveaux car la douleur n’est pas l’apanage de ceux qui savent, en opposition à ceux qui ne savent pas. Infirmiers, nous nous sommes penchés sur nos pratiques mais l’efficacité de la prise en charge de la douleur demeure l’affaire de toute une équipe. Le but à atteindre est de réduire la douleur post-opératoire à un seuil tolérable pour le patient car s’intéresser à sa douleur c’est s’intéresser à sa qualité de vie. BIBLIOGRAPHIE 1. Recherche en soins Infirmiers GRAWITZ CM.). - Méthodes des sciences sociales, ge éd., Dallez. MAZOIT (J.X.), BUTSCHER (K.), SAMII (K.). - Traitement de la douleur post-opératoire, b.e.c.a.r., Avril 1992. BRASSEUR (L.), SAMII (K.). - Problème d’organisation du traitement de la douleur post-opératoire, b.e.c.a.r., Avril 1992. - MAPAR 1994 OUELLET (A.). - Processus de recherche, Presse Universitaire du Québec. 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