Transformations des politiques scientifiques: l`articulation singulière

Congrèsdel'AssociationSuissedeSciencePolitiqueGenève07/08.01.2010
WorkshopPolitiquesPubliques:"Comparativepolicyanalysis:newtrendsincognitiveapproaches"
Transformations des politiques scientifiques:
l'articulation singulière du référentiel néolibéral avec le secteur de la
recherche en Suisse
Martin Benninghoff & Raphaël Ramuz
OSPS-Université de Lausanne
1 INTRODUCTION....................................................................................................................................... 2
2 CONSTRUCTION D’UN RÉFÉRE
NOUVELLE GESTION PUBLIQUE..
NTIEL GLOBAL : NÉOLIBÉRALISME ET
......................................................................................................... 3
2.1 « L’OFFENSIVE NEO-LIBERALE »....................................................................................................................4
2.1.1 Les intellectuels organiques comme conseillers du prince.............................................................. 5
2.1.2 Les grands entrepreneurs en « sauveurs de la patrie »................... .................................................. 6
nomie suisse ».................. 8
2.2 REFORME DE LADMINISTRATION ET NOUVELLE GESTION PUBLIQUE............................................. 10
2.1.3 Le Conseil fédéral et son programme de « régénération de l’éco
2.2.1 Le programme de législature du Conseil fédéral...............................................................................10
2.2.2 Réforme en faveur d’une « organisation moderne » de l’administration................................11
2.2.3 La « nouvelle gestion publique »..............................................................................................................12
3 PRISE EN COMPTE DE LA RECHERCHE DANS LA CONSTITUTION DU
REFERENTIEL G LOBAL NEOLIBERAL............................................................................................ 15
3.1 LIVRE BLANC I: L'INTERPRETATION NEOCLASSIQUE DE L'ETAT DANS LA PRODUCTION DES
CONNAI
SSANCES .......................................................................................................................................................... 15
3.2 LIVRE BLANC II: LA "SOCIETE DE L'INFORMATION" ET L'EMERGENCE DU ROLE POSITIF DE
L'ETAT ............................................................................................................................. ................................................ 17
3.3 LIGNES DIRECTRICES POUR UNE POLITIQUE ECONOMIQUE ORIENTEE VERS LA CR
INTEGRATION DU ROLE DE L'ETAT DANS L'IMPULSION DE L'INNOVATION .........................
OISSANCE :
....................... 18
3.4 STABILISATION DU REFERENTIEL GLOBAL: LE "RAPPORT SUR LA CROISSANCE"....................... 19
4 UN NOUVEAU REFERENTIEL DE LA RECHERCHE............................. ................................ 20
4.1 ENTRE RATIONALISATION ECONOMIQUE ET INVESTISSEMENT POLITIQUE .................................... 21
4.2 REFORMER L'ADMINISTRATION FEDERALE POUR AMELIORER LES CONDITION
LECONOMIE ........................................................................
S CADRES DE
4.3 RENFORCER LES LIENS ENTRE RECHERCHE LI
.......................................................................................... 22
BRE ET RECHERCHE APPLIQUEE............................. 23
4.4 UNE NOUVELLE GESTION DE LA RECHERCHE.......................................................................................... 23
5 CONCLUSION......................................................................................................................................... 24
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1 Introduction
Cette vise à rendre compte des transformations qu’a connu le secteur de la recherche publique
en Suisse (Benninghoff, Leresche 2003; Benninghoff, Ramuz 2002 ;Joye-Cagnard 2010,
Lepori, 2006) durant les 30 dernières années en l'interprétant, par le prisme de l'approche
cognitive des politiques publiques, comme un changement de référentiel. Ensuite, nous
proposons, via cette étude, un retour critique sur les concepts développés par l'approche
cognitive des politiques publiques – plus particulièrement l'approche dite des férentiels
(Jobert et Muller 1987; Faure et al. 1995; Muller 2000 et 2005). Nous tenterons de répondre à
cet objectif en développant notre réflexion de la manière suivante.
Premièrement, nous interpréterons les changements que la formation sociale suisse connaît
depuis le début des années 1990 comme une transformation que l'on peut analyser comme
changement de référentiel global. Nous montrerons que différents ordres de phénomènes
concourent à la formation de ce nouveau référentiel global et se cristallisent notamment dans
une nouvelle configuration du rôle de L'Etat. Un accent particulier sera mis sur le rôle des
intellectuels organiques qui produisent des discours (politiques, scientifiques) sur la manière
dont l’appareil de l’Etat doit être "modernisé" pour répondre à la crise économique des années
1990, en mettant en place différentes mesures de libéralisation des secteurs publics.
Deuxièmement, pour comprendre la manière dont s’articule la recherche, en tant que secteur
d’action publique, à l’émergence de ce nouveau référentiel global, on s’interrogera sur la
manière dont les intellectuels organiques en dehors du champ bureaucratico-administratif et
les médiateurs à l’intérieur de celui-ci conçoivent la recherche au sein d’une politique
économique basée sur la connaissance. Nous démontrerons la manière dont les réformes – des
institutions et des instruments – mises en place par le gouvernement fédéral dans le domaine
de l’encouragement de la recherche s’articulent à ce nouveau référentiel global et constituent
ainsi la recherche publique comme un nouvel objet particulier de régulation politique.
Troisièmement, la communication visera à souligner le rôle constitutif du référentiel sectoriel
de la recherche dans le référentiel global. Il s'agit de souligner que le référentiel sectoriel ne
se trouve pas simplement dans un rapport unilatéral d'adaptation au référentiel global. Le
référentiel qui se met en place dans le secteur de la recherche est en effet un élément central
du référentiel global dans la mesure où la recherche publique participe à production d’un
référentiel néo-libérale et à la finalité de ce projet politique.
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2 Construction d’un Référentiel Global : néolibéralisme et nouvelle gestion
publique
Bien que souvent articulé au concept de référentiel sectoriel, le référentiel global est parfois
considéré dans l’analyse des politiques publiques comme une variable indépendante ou une
« boîte noire » peu problématisée. Cela est en partie dû au fait que l'effort d'investigation se
porte avant tout sur la politique publique prise comme objet de recherche et que la
transformation du Référentiel Global est convoqué comme un présupposé de départ
expliquant non le changement de la politique publique en elle-même, mais l'occasion pour un
réalignement des rapports de force au sein d'un secteur, rapport de force dont la/les politiques
sectorielles sont l'objet.
Afin de conjurer cette tendance "sectorialo-centriste" de l'analyse des politiques publiques,
nous allons tenter, dans cette première partie de notre contribution, de développer une analyse
de l'émergence et de la constitution d’un nouveau Référentiel Global dans le contexte de la
formation sociale helvétique. Par Référentiel Global il faut comprendre un « cadre
d’interprétation du monde » (Muller, 2000), à savoir un ensemble de normes, de valeurs,
d'algorithmes et de savoirs qui permet de dire ce qu’est la réalité sociale et comment agir sur
celle-ci et dans le cadre de celle-ci.
Selon les tenants de cette perspective analytique, après une longue période durant laquelle on
assite à l'émergence puis à la domination du Référentiel Global Modernisateur – au sortir de
la 2ème Guerre Mondiale – on assisterait, depuis la crise des années 1970, à une
affaiblissement de sa capacité à servir de cadre d'interprétation du monde. C'est alors que
s'ouvre la montée en puissance d’un Référentiel Global de Marché reposant sur une vision
marchande des rapports sociaux et du monde social (Jobert, 1994 ; Muller, 2005). Au-delà des
concepts (référentiel, vision du monde, idéologie) et des qualificatifs (néolibéral,
néoconservateur, nouvelle gestion publique), ce "tournant néo-libéral", pour reprendre le titre
du livre de Bruno Jobert (1994), a été largement analysé par de nombreux auteurs provenant
d'horizons théoriques différents et analysant des espaces divers (Cafruny et Ryner 2003;
Duménil et Lévy 2000; Hall 1989; 1992 ; Hay, 2004).
Si, depuis la crise des années 1970, la tendance à une transformation profonde de
l'organisation politique des sociétés industrielles semble attestée, elle se fait toujours selon des
modalités déterminées par les spécificités socio-historiques des formations sociales
concernées. En effet, l'émergence d'un nouveau Référentiel Global se manifeste par la remise
en question de l'organisation "traditionnelle" d'une formation sociale et, pour qu'elle ait une
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chance de succès, cette nouvelle vision du monde doit s'appuyer sur des éléments qui font
sens dans l'imaginaire social des populations concernées.
De plus, l'un des enjeux fondamentaux que porte la lutte pour l'imposition du férentiel
Global est celui de la conception de l'appareil d'Etat. Cette formulation ne doit pas laisser
penser à une idée simpliste et substantialiste de processus de "conquête de l'Etat", mais plutôt
à un infléchissement progressif de la philosophie gouvernant les multiples composantes de
l'appareil d'Etat – et les acteurs qui les font exister – notamment les différentes branches de
l'administration qui, chacunes, possèdent leurs spécifités et leurs potentiels de résistance /
adaptation propres. Il n'en reste pas moins que, à un niveau plus général, le Référentiel Global
doit pouvoir créer l'ordre en organisant cette multiplicité au sein d'un discours cohérent sur
l'Etat, son rôle, ses fonctions et ses limites. En d'autres termes, l'un des enjeux est d'arriver à
faire accepter sa conception de l'organisation de la société comme la vision légitime de la
division du monde.
En ce qui concerne le changement de Référentiel Global de la formation sociale suisse, nous
l'aborderons au-travers de deux séries d'interventions socio-politiques qui ont contribué à
transformer la conception dominante de ce que doit être l'organisation de la société
helvétique.
- D'une part, ce que l'on peut appeler l'"offensive néolibérale" d'une partie des milieux
économiques et scientifiques (les intellectuelles organiques) au début des années
1990, qui trouve rapidement un écho au sein de l'exécutif fédéral (section 2.1.).
- D'autre part, les travaux menés par des hauts fonctionnaire (les médiateurs) dans le
but de réformer l'administration en introduisant les prinipes d’une nouvelle gestion
publique au sein de l’administration fédérale (section 2.2.).
Dans les deux cas, nous allons procéder en montrant de quelles manières ces interventions
construisent une nouvelle conception, un nouveau Référentiel Global. Il s’agit de voir dans
quelle mesure ces différents discours, en construisant une situation comme problématique et
en formulant des solutions, participent à la définition « d’un horizon du pensable dans l’ordre
de l’activité du gouvernement » (Ogien, 1995 : 94).
2.1 « L’offensive néo-libérale »
Au début des années 1990, à la faveur de la crise économique qui touche la Suisse, un
nouveau groupe d'acteurs émerge dans l'espace public: les économistes (Mach, 2002 ;
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Baltensperger, 2005)1, et plus particulièrement les économistes des Universités de Bâle et de
St-Gall2. Ceux-ci produisent un savoir dont la légitimité scientifique est mise en avant,
principalement par les dirigeants des firmes les plus internationalisées du capitalisme
helvétique, du fait de l'affinité entre ces positions scientifiques et leurs options préférentielles
de réformes économico-politiques. Cette explication de la crise et des moyens d'en sortir
produite par un groupe d’économistes devient rapidement le fondement de la ligne
réformatrice de l'exécutif fédéral. Plusieurs productions scientifiques illustrent et participent à
la constitution d’un Référentiel Global émergeant.
2.1.1 Les intellectuels organiques comme conseillers du prince
Ainsi, une première série d’expertises est produite par deux professeurs en économie : Heinz
Hauser de l’Université de Saint-Gall et Silvio Borner de l’Université de Bâle. Les études
produites par ces deux professeurs entretiennent, à la base, un rapport particulier aux pouvoirs
publics dans la mesure où celle de H. Hauser constitue un mandat du Conseil fédéral, alors
que celle de S. Borner a été réalisée dans le cadre d’un Programme national de recherche
(PNR) du Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS) dont le thème a été
proposé au départ par l’administration fédérale3. Ces expertises constituent donc des réponses
(d’universitaires) à des demandes du gouvernement fédéral et de son administration.
Le titre - Schweiz AG. Vom Sonderfall zum Sanierungsfall ? - et le thème de l’expertise de
Borner et de ses collègues sont révélatrices de son orientation et de sa finalité. Cette étude
s’intéresse aux adaptations institutionnelles que les dérigeants politiques pourraient mettre en
place afin de sortir la Suisse de son „isolement économique“: « Welche institutionellen
1 Baltensperger (2005) explique, par exemple, que l'analyse des économistes sur la situation de l'économie suisse
n'était pas nouvelle. Le fait est que, jusqu'alors, elle n'avait pas rencontré le soutien de forces sociales capable
d'en faire le socle d'un nouveau Référentiel Global. Cela illustre bien ce qu'écrit Lordon (1999: 181): "le
référentiel n’a de chance de s’établir comme vision du monde dominante que s’il rencontre la validation et le
soutien actif de groupes sociaux suffisamment dotés en ressource de pouvoir pour en constituer quelque chose
comme le bloc hégémonique. Un référentiel s’établit donc à l’articulation d’un domaine de la production
symbolique et d’une coalition des intérêts dominants du moment".
2 Ce sont en effet le Wirtschaftswissenschaftlichen Zentrum (WWZ) de l'Université de Bâle ainsi que le
Schweizerisches Institut für Aussenwirtschaft und Angewandte Wirtschaftsforschung (SIAW) de l'Université de
St-Gall qui fournissent la plupart des intellectuels organiques qui conçoivent les fondements "scientifiques" de
la nouvelle Ordnungspolitik. Sur ce thème voir notamment Gabathuler (1996) et Walpen (2004).
3 L’étude du prof. Borner fait partie de la 5ème série des Programmes nationaux de recherche financés par le
Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS): le PNR 28 « Commerce extérieur et politique du
développement ». La sélection des thèmes pour cette série n’a pas été, pour certains d’entre eux, sans poser des
problèmes. Ainsi, certains thèmes proposés par le FNS n’intéressaient pas l’administration fédérale, alors que
d’autres, proposés par l’administration fédérale, furent dans un premier temps rejetés par le FNS et le Conseil
suisse de la science (CSS). Ce fut le cas des PNR 27 « Efficacité des mesures étatiques » et 28 « Commerce
extérieur et politique du développement ». Le FNS et le CSS estimèrent que ces deux PNR posaient des
problèmes d’ordre méthodologique. Finalement, ils furent néanmoins retenus par le Conseil fédéral (OFES,
1994).
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