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Géographie, Économie, Société 13 (2011) 213-220
géographie
économie
société
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Comptes Rendus
FrédéricLasserre(dir.)(2010),Passages et mers arctiques: géopolitique d’une région en
mutation,Québec,Pressesdel’UniversitéduQuébec,489p.
Un ouvrage imposant, par son volume, par l’abondance d’informations appuyées sur
une solide expertise et une non moins solide documentation, et qui en impose surtout par
les enjeux appelés à prendre une importance considérable dans les dix ou vingt prochaines
années. Le fait n’a pu passer inaperçu en Europe quand, à l’été 2007, les occupants d’un
sous-marin russe ont planté un drapeau en titane au fond de l’océan Arctique à l’endroit où
se trouve le pôle Nord. Chose certaine, les médias canadiens en ont fait grand bruit. On est
mêmealléjusqu’àévoquerunepossible«bataillepourl’Arctique»enserapportantàune
non moins possible nouvelle guerre froide suscitée par la convoitise des richesses naturelles
rendues disponibles par la fonte de la banquise estivale. Tout comme deux ans plus tôt, il a
été beaucoup question des manœuvres d’un brise-glace canadien, le si bien nommé Frozen
Beaver, dont la mission a consisté à rappeler aux Danois que le Canada était bel et bien propriétaire de l’île de Hans. En effet, pas question de négliger les droits acquis sur cet îlot de
1,3 km² situé comme tout le monde le sait (sic) au centre du chenal Kennedy, dans le détroit
de Nares. Mais comme des accords signés entre Ottawa et Copenhague au siècle dernier ont
négligé de préciser le statut de cet îlot perdu, encore fréquenté par les seuls ours polaires en
voie rapide de disparition, il faut s’attendre à des rebondissements. Pourquoi? En vertu de
quels enjeux, et avec quelles conséquences prévisibles?
C’est ce à quoi ont tenté de répondre vingt auteurs comprenant une courte majorité
de femmes (douze). L’ensemble comprend sept géographes auxquels se sont ajoutés des
spécialistes du droit international, des sciences politiques et du transport maritime. F.
Lasserre, professeur au Département de géographie de l’Université Laval (Québec) a
eu la tâche de coordonner les efforts de cet aréopage tout en rédigeant trois des dix-neuf
chapitres de l’ouvrage qui comprend quatre parties visant à décrire l’ensemble de la problématique que suscite la fonte de la banquise d’été. D’entrée de jeu, si on sait qu’elle
sera fatale pour la survie des ours polaires et pour le mode de vie traditionnel des Inuit,
on nous apprend que l’on a rien à craindre du côté de l’élévation du niveau des mers. En
effet, si la fonte d’un glaçon dans un verre rempli d’eau ne fait pas déborder le verre en
question, le même principe de la physique hydraulique s’applique ici. La disparition de
cette imposante étendue glacée que les moins de 60 ans connaîtront assurément va ouvrir
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une voie appelée à un fort taux de fréquentation : le fameux passage Nord-Ouest (PNO)
dont il est beaucoup question dans ce volume.
En introduction, on tente de répondre à la question suivante : qu’est-ce que l’Arctique?
Lesdéinitionsnemanquentpascommelefaitvoirunepremièreigurequiserasuivie
de très nombreuses autres illustrations dont l’aspect pédagogique agrémente de beaucoup
tout au long du volume une lecture qui autrement deviendrait rapidement trop austère. En
conséquence,onprésenteladéinitiond’unastronome,d’unocéanographe,d’unclimatologueetenind’ungéographe.Pourcederniercepeutêtrelazoned’extensiondusol
gelé en permanence (le pergélisol dont les jours sont comptés). Oui, admettons-le : rien
ici pour animer les adeptes de la nouvelle géographie économique, habitués de la revue.
La première partie se rapporte au cadre climatique : le déclin rapide de la fameuse
banquise. C’est F. Lasserre qui ouvre le bal. Septique, voire légèrement optimiste (?) il se
demande si la banquise est vraiment destinée à disparaître à brève échéance. Probablement
pas sur une année entière d’après ses sources. En s’interrogeant sur les changements climatiques et sur les possibilités d’une tendance inversée, il passe le relais à l’auteur du
chapitre suivant complétant ainsi cette première partie.
Le deuxième partie Controverses et débats : acteurs et enjeux politiques, avec ses huit
chapitres se veut la plus importante de l’ouvrage. On retrouve F. Lasserre qui s’interroge
cette fois sur les possibilités de confrontation ou de coopération que représente l’Arctique. L’effondrement de l’empire soviétique n’a rien changé en ce qui concerne l’intérêt
de la Russie envers ce que représente la zone, autant comme lieu de passage que comme
pourvoyeur de multiples ressources naturelles. Un état de fait qui ne manque pas d’inquiéter les voisins immédiats des Canadiens. Eux aussi savent utiliser un brise-glace tout
aussi bien nommé que son homologue canadien : le Polar Sea qui, en 1985, avait soulevé
la controverse par sa balade à travers le PNO. Pour Washington, il n’y a pas l’ombre
d’un doute : le PNO constitue un détroit international, ouvert en conséquence à une libre
navigation. On comprend donc l’auteur du chapitre 7 quand il souligne que les États-Unis
s’opposent formellement aux prétentions canadiennes sur le PNO.
S’il y a lieu de s’inquiéter sur le sort réservé aux ours polaires comme nous y invitent
les documentaires animaliers (style Zoom animal), c’est aux conséquences des changements climatiques sur les communautés inuit que se consacre le chapitre 9. Il s’agit ici du
proche avenir de pas moins de 50 000 Inuit dispersés en une cinquantaine de collectivités
à l’intérieur de quatre grandes régions, dotées d’une certaine autonomie administrative,
allant des Territoires du Nord-Ouest à la mer du Labrador. Personnellement, je n’avais
entendu parler que du Nunavut et du Nunavik (anciennement Nouveau Québec). C’est
dire que ces territoires ne font pas souvent la manchette des journaux canadiens. Pour ces
habitants, comme il est pertinemment souligné, les changements s’avèrent plus qu’une
menace théorique, il s’agit d’un problème quotidien.
Suivent la 3e partie Une nouvelle frontière à conquérir? et la dernière, Routes maritimes et ressources naturelles : quels enjeux économiques? On le devine, ici, on a droit à
une batterie de questions se rapportant à l’avenir du tourisme, à l’ampleur des richesses
minières et énergétiques du sous-sol, à l’accroissement du traic maritime qui pourrait
faire du PNO rien de moins qu’une autoroute maritime. On retrouve F. Lasserre dans un
chapitreaccompagnédefortbellesiguresencouleursmettantenévidencelesressources
minières et pétrolifères. Ici, comme pour d’autres contributions tout au long de l’ouvrage,
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des photos prises par l’auteur prouvent au lecteur que les écrits ne s’appuient pas uniquement sur une documentation très fouillée mais également sur des recherches in situ.
Le tout se termine par un vœu : en présence des enjeux majeurs qui se dessinent dans
l’Arctique, la souveraineté individuelle des États doit faire place la coopération. Peu
importe à qui appartient le PNO.
André Joyal
Université du Québec à Trois-Rivières
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© 2011 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.
Diane-Gabrielle Tremblay, Juan-Luis Klein et Jean-Marc Fontan, 2009, Initiatives
locales et développement territorial,Montréal,Ed.Télé-Université,UQAM,353p.
Le trio québécois de chercheurs sociologues et géographes est connu pour ses travaux,
en équipe ou individuels, qui se situent aux frontières de leurs disciplines respective set
analysent, à travers les formes socio-organisationnelles, l’économie du savoir, l’anthropologie économique du développement ainsi que les initiatives du développement local,
sous l’angle de l’économie sociale.
Les premiers chapitres, qui incluent chacun une bibliographie, passent en revue
les différentes approches du développement local, avec les initiatives, les concepts
et les enjeux, les systèmes locaux de production, et surtout le point le plus original
appliqué au Québec et au Canada, le rapport entre développement local et économie
sociale. Le chapitre 5, Cité créative et district culturel, offre d’ailleurs une base de
discussion, appuyée sur les cinq exemples de grandes villes canadiennes (Montréal,
Toronto, Ottawa, Vancouver et Québec), des thèses de Florida sur la classe et la ville
créatives, en en montrant aussi les limites. Le chapitre suivant est l’occasion de passer
en revue, au sujet de l’innovation socio-territoriale et des milieux innovateurs, les travaux de Schumpeter, Veblen et Polanyi, pour montrer que l’innovation est un processus
certes complexe, mais aussi multiforme et multidimensionnel. Il restait aux auteurs
à s’appuyer sur des études plus empiriques et des exemples concrets pour illustrer et
démontrer leur propos. C’est le cas à Montréal du technopole Angus, où est mis en
avant«l’acteurcommunautaire»puisdelaCitéduMultimédia,oùsontdémêléesles
interventions successives de nouveaux entrepreneurs, de la ville de Montréal, du gouvernement Provincial du Québec et dans une moindre mesure du gouvernement fédéral,
puis du secteur privé. Il s’agit d’un long processus de négociations entre acteurs où
peu à peu sont évincés les acteurs sociaux d’origine. Plus brièvement sont abordés les
«districtsculturels»(exemplesduTohuàMontréaletdescentresd’artistesautogérés)
qui mériteraient des analyses suivies. Autre cas étudié, toujours à Montréal, celui de
l’industrie du vêtement qui est apparue fragilisée face à des concurrences internationales. Son adaptation, synonyme de re-développement, est venue de la constitution
de CDEC (Corporation de Développement Economique Communautaire), structures
intermédiaires chargées de redynamiser à la fois des secteurs urbains à l’échelle de territoires limités ainsi que des domaines d’activités précises, tel le cas des designers des
quartiers Centre-Sud et Plateau Mont-Royal.
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De cet ouvrage au contenu foisonnant, on retiendra surtout ce qui fait l’originalité du
cas québécois en matière de développement social et économique local : l’intervention
initiale d’acteurs locaux, d’origines très différentes, avec pour objectif, en s’appuyant sur
toutes les ressources possibles, de créer les conditions de formation et d’emploi, d’ouverture vers de nouvelles activités innovantes ou de modernisation d’activités anciennes,
vers aussi des logements et des équipements, le tout circonscrit à l’échelle de territoires
infra-métropolitains ou bien de territoires ruraux de faible densité. Il s’agit d’un double
objectif, économique et social, souvent mobilisateur de multiples acteurs extérieurs, pouvantrenforcer,maisaussirécupéreretmodiierselonleurintérêt,lesobjectifsinitiaux…
Auinal,cetravaild’unegranderichesseinviteàunerélexionsurcemodededéveloppementterritorial,spéciiqueaucontextecanadienetquébécoisavecsesdimensionsparticipatives multiples et variées, tout en permettant de nous interroger sur le rôle actuel des
municipalités et collectivités territoriales, de l’État et des organismes communautaires.
Jean-Marc Zuliani
Université Toulouse Le Mirail
© 2011 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.
Au-delà de l’analyse technique, un regard sociologique. Compte-rendu critique de
l’ouvrageLa sécheresse au Sahel. Vers une gestion concertéedeNathalieDubuset
JeanDubus,Lavoisier,2011,318p.
Un territoire : le Sahel. Il regroupe le Sénégal, la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso,
le Niger et le Tchad, pays desquels l’ouvrage utilise des d’études permettant de dresser
l’état des lieux de ce que les experts appellent sécheresse1. Des problèmes : l’eau, son
approvisionnement et sa gestion pour les populations qui l’habitent. Les auteurs, respectivement maître de conférences en géographie et hydrogéologue rendent compte d’études
scientiiquestrèsdétailléessurcesquestions,nouspermettantdesaisirlacomposition
démographique du territoire, d’en connaître les phénomènes climatiques, la structure géologique, le milieu. L’ouvrage passe en revue toutes les connaissances liées à la mise en
valeur des ressources en eau, la manière dont sont gérées les inondations, les méthodes
pour favoriser l’accès des populations à l’eau, ainsi que les problèmes qui y sont directement liés. Il s’agit de trouver un système de mise en valeur plus élaboré que ceux qui
existent déjà (cultures en zaï ou demi-lunes, systèmes d’écoulement pour éviter les inondations,cordonspierreux,diguesiltrantes,gabions,petitsbarrages).End’autrestermes,
l’ouvrage est fortement tourné vers les sciences dures mais il est également intéressant
pour les sciences sociales. En effet, il est question de dificultés que les hommes rencontrentetcesontcesmêmeshommesquidoiventpouvoirbénéicierdesétudesmenées
pour l’accès à l’eau et prendre conscience de la manière optimale de la gérer. On parle
alors de « gestion concertée ». Le terme de « gestion intégrée » est également utilisé
(par exemple, le GIRE pour Gestion Intégrée des Ressources en Eau). Il s’agit de programmes mis en place pour éviter une concurrence entre les usages et les usagers de l’eau
1
Le Sahel s’étend plus à l’Est et comprend également le Soudan et l’Ethiopie
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quitiennentcomptedesentitéshydrologiquesethydrogéologiques,delaspéciicitédes
besoins, de l’adhésion des différentes catégories d’utilisateurs et des dimensions sociales
et économiques de l’eau. Ainsi, on pourrait comprendre que ceux qui vivent sur le territoire deviennent acteurs en ayant la possibilité d’exprimer leurs besoins auprès des organismes gestionnaires des projets. Ce type de mobilisation est devenu chose courante en
Afrique subsaharienne, où il semble que les règles qui régissent l’appropriation et la mise
en œuvre de projets de développement durable soient suivies de près, notamment par les
experts des pays du Nord.
Dans un premier temps, nous mettrons en évidence certains éléments clés pour avancer la critique de l’ouvrage, à savoir, le choix du titre, le poids du volet économique,
l’association des populations au programme de développement, le rôle des pays du Nord
dans l’établissement des principes de gestion concertée ou encore l’analyse du système
expert qui nous est présenté. Dans un second temps, nous les articulerons à une analyse
plus approfondie au regard de recherches menées antérieurement sur le même type de
projets ou, de manière plus globale, sur le développement, les sciences et les techniques.
Cecompte-rendunevisepasàdesservirl’actionquelesscientiiquesmènentdansles
pays du Sud alors que ces derniers tentent d’apporter des solutions à des situations parfois
critiques, mais de mettre l’accent sur le jeu des acteurs engagés sur la scène de la gestion
concertée et d’interroger les conséquences de sa mise en œuvre d’un point de vue sociologique, plutôt que technique ou économique.
L’eau, où que ce soit dans le monde, suscite beaucoup d’attentions, toutes disciplines
scientiiques confondues, notamment au vu des problèmes et tensions qu’elle suscite,
non parce qu’elle est rare, mais parce qu’elle est nécessaire pour de nombreuses activités
humaines : boire, cuire les aliments, cultiver, abreuver le bétail, se laver, laver son linge.
Comme les auteurs le rappellent, le problème n’est pas tant le manque de ressources
hydriques que connaît le Sahel que les aménagements pour les utiliser (p.143). L’ouvrage
insistantlargementsurcepoint,jemedemandepourquoiavoirchoisiletitrede«sécheresse»qui,aulieudemettreenévidencelesproblèmesliésàlagestiondel’eau,insiste
sur un aspect climatologique et laisse croire que les populations seraient juste mal situées
géographiquement. De la même façon, je m’interroge au sujet du sous-titre qui laisse
entendre qu’une large part de la mise en oeuvre des projets relève de la participation des
populations, alors que nous disposons de très peu d’informations sur les interactions entre
populations/gouvernements/experts - hormis le fait que la consultation est obligatoire
pour pouvoir accompagner (p.105-106), que la mise en place des programmes passent par
l’éducation et la sensibilisation (p.94, p.112-113, p.135). Aucune information ne relate la
manière dont les populations locales ont été abordées, réunies, concertées, alors que près
d’un tiers de l’ouvrage est consacré au fonctionnement du modèle d’expertise.
Ensuite, rappelons que le projet s’inscrit dans une logique de développement durable
qui associe l’économique, le social et l’environnemental. Ce qui est frappant dans le texte
est le poids que semble prendre le volet économique, apparaissant toujours comme sousjacentdecequedoitêtrelesocial:permettreauxpopulationsdebénéicierdesmeilleures
conditions de vie possibles. Dans le cas présent, c’est par l’accès à l’eau que cet objectif
est visé. Les interrogations surgissent dès lors que se pose la question de sa gestion : qui
est responsable du puits ou du poste d’eau autonome et comment fait-on pour que l’installation perdure ? L’instauration d’un système payant est présentée comme une solution
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(p.100) . L’eau doit être achetée (prix de l’eau pp. 123-125), principe que les populations
qui utilisent des puits traditionnels n’ont pas l’habitude de suivre ou ne peuvent appliquer,
faute de moyens inanciers.Ainsi, l’amélioration technique entraîne une augmentation
descoûtsdegestionquiserépercutentsurlapopulationquidoitenbénéicieretpour
laquelleildevientensuitenécessairedetrouverdessolutionsaindedévelopperl’économie locale. C’est donc à travers une idéologie du développement que se construit le
durable et il apparaît que, si la gestion est concertée, elle existe en premier ressort pour
optimiser ce qui doit être fait en aval en termes d’objectifs de rentabilité, les populations
devant accepter la non-gratuité ; ce qui vient pondérer à la fois le supposé traitement des
besoins des populations et la manière dont elles sont impliquées dans le programme. Ce
que nous allons aborder dans le point suivant.
A une époque plus éloignée de celle qui concerne la mise en place du programme
de gestion concertée dont il est question dans cet ouvrage, les auteurs rappellent que la
construction de petits barrages avait été remplacée par d’autres types d’ouvrages pour
réduirel’utilisationd’enginsdetravauxpublicsjugéstroponéreux,auproitd’une«participationaccruedespopulationsbénéiciaires»(p.83).L’engagementdespopulations
apparaissait déjà comme la condition sine qua non pour qu’elles puissent se développer et aspirer à de meilleures conditions de vie. Plus tard, apparaît la gestion intégrée
pour régler des problèmes et des tensions que les aménagements classiques n’étaient
pas en mesure de résoudre, avec cette même condition d’impliquer les populations pour
qu’elles deviennent les gestionnaires et les payeurs de cet aménagement. D’autre part,
nous serions presque tentés de croire que l’évaluation des besoins des populations est le
résultat de la manifestation de ces dernières pour réclamer tel ou tel aménagement. Or,
elles ne peuvent exprimer que les besoins qu’elles ont reconnus comme pouvant l’être, en
d’autres termes, les besoins n’apparaissent seulement lorsque leur a été exposée l’existence d’autres formes de gestion. C’est la force de l’opinion publique et de la réalité de
leurassociationdanslesprojetsquirestentdoncàquestionner,etdumêmecouplainalité de gestion intégrée. S’il y a une valeur économique de l’eau c’est parce que celle-ci
est prise en charge par les communautés villageoises et non par l’Etat. La gestion concertée sert-elle à avantager les populations ou à réduire les coûts d’investissements publics ?
D’autre part, nous apprenons dans l’ouvrage que les principes qui visent à l’application
desprogrammesdegestionconcertéeontétéixéslorsdelaConférenceInternationalesur
l’eau et l’environnement à Dublin en janvier 1992, c’est-à-dire que c’est au Nord que l’on
prend les décisions pour ce qui doit se faire au Sud. La conclusion du chapitre 4 souligne
que les pays sahéliens (gouvernements du Sud) doivent appliquer les principes que pose
la GIRE (experts du Nord). En ce sens, le vocabulaire employé dans ces principes est très
parlant:«exige»–«concilie»–«eficace»–«ilfautque»–«soientbienconscients»
(décideursetpopulations)–«doitêtre»–«primordial»(p.159).Utiliséenpremier
ressort dans les instances décisionnelles, ce type de vocabulaire, comme l’ouvrage en est
l’exemple, est repris dans les discours scientiiques.Associé à de fortes personnalités,
elles-mêmes légitimées par leur statut auprès des populations, l’usage de ce type de vocabulaire ajoute à la possibilité de rendre effectif ce qui est plus que proposé. C’est ainsi, par
exemple,quele«comitédegestiondel’eau»organiséauNigerrelèvedavantaged’une
adhésion par contrainte que d’une démarche volontaire (p. 176).
C’est pourquoi, avant de développer l’analyse sociologique, j’insisterai dans ce dernier
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point sur le rôle de l’expertise. Dans la copieuse partie qui lui est dédiée dans le chapitre
«Rassembleretmodéliserlaconnaissanceexperte»(p.197),lesauteursprésententle
prototype de système expert BAOBAB mené au Burkina Faso. Au départ destiné à faciliterlaplaniicationdel’eaudanslesvillagesduBurkinaFaso,cemodèleexpertpourrait
être appliqué, à terme, à toute communauté sahélienne, rurale ou urbaine. L’expertise est
un outil d’aide à la décision, mais j’ai été interpellée par la manière dont se construit cet
outil.Eneffet,cequelesauteursnomment«étapes»delamodélisationdesconnaissancesdel’expertisepeuventêtretraduitspar«critères»etqui,s’ilsnesontpasremplis,
aboutissent au blocage du projet. Par exemple, la taille du village ne doit pas excéder
5000habitants,ilfautévaluerlesbesoinsdebasequisontenfaitdéjàixéà20L/pers/
jour, une certaine distance entre le point d’eau et le lieu d’habitation ne doit pas être
dépassée, l’existence d’une éducation sanitaire et la capacité à gérer et rembourser l’équipementsontvériiées,desindicateurssocio-économiquessontmisenplacetoutcomme
une évaluation coût/rentabilité et une étude de marché (pp. 210-219). En parallèle à la
mise en avant des avantages que représente le système, les auteurs donnent toutefois un
éclairage sur les risques qu’il peut engendrer. En effet, ils rappellent que l’investissement,
entraînant l’apparition d’une économie, peut aussi être un facteur de compétition et que la
résolution d’un problème peut en amener d’autres.
Les sciences humaines se sont beaucoup intéressées à l’émergence, tant des nouveaux
conceptstelsque«développementdurable»ou«gestionconcertée»quedesactionsdes
pays du Nord sur ceux du Sud. Mon travail, dans cette seconde partie, insistera sur le rôle
des sciences dans le type de programme que présente l’ouvrage.
Dans le langage expert, c’est l’inférence, autrement dit le raisonnement déductif qui
est au cœur de l’analyse. Parce que l’expert se situe à ce niveau, il est le seul à disposer
des capacités à articuler les différentes phases liées à l’élaboration de l’expertise, ce qui
le rend indispensable (Abbott, 1988). Il se fait le porte-parole des populations, le traducteur de besoins jusqu’alors inexprimés (Callon, 1986). Ce qu’il s’agit de comprendre,
c’est que le regard que portent les pays du Nord -et particulièrement les sciences- sur des
situations existant au Sud, perçues comme étant des problèmes à résoudre et traduites
en besoin, parvient à entraîner une foule d’autres acteurs souvent très éloignés de ces
convictions (les populations tant au Nord qu’au Sud, des associations, des ONG, les gouvernements voire, selon les théories latouriennes, tous les éléments non-humains qui leur
sontjuxtaposés).Ilsenmodiientlesreprésentationsetlesmodesdevie;cequin’estpas
sans conséquences, ni sur les rapports entre les pays directement concernés et les politiques menées auprès des populations, ni sur ceux entre les pays Nord/Sud qui coopèrent,
ainsi que sur l’ensemble du système socio-économique mondialisé. Ainsi, améliorer les
conditions de vie des populations des pays du Sahel par ce type de programme, qui reste
a priori une démarche positive, transforme le monde social, tout en perpétuant l’idéologie du développement, interrogée par de nombreux auteurs qui soulignent qu’il est avant
tout une histoire de croyance occidentale (Rist, 1996), autant que celle du développement
durabledanslaquelleAlainTourainevoit«latroisièmeétaped’uncapitalismerésolumentmoderniséetdémocratique»(1999).
De plus, les techniques, induisent non seulement une augmentation du coût de la vie,
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maisn’offrentaucunecertitudedeleureficacitéouvaleurpositiveàlongterme.Ulrich
Beck souligne les paradoxes auxquels les sciences seront pourtant obligées de se soustraire si elles ne veulent pas continuer à perdre de leur légitimité. En effet, ces dernières
interviennent dans l’espace public comme une modalité de réparation de ce qu’ellesmêmes détruisent ; ce qui ne fait plus sens et qui politiquement devient dificilement
gérable (Beck, 1986).
Il s’agit ici d’un sujet épineux, car certains diront qu’il serait égoïste, voire criminel, de ne pas tenter d’aider des populations qui vivent dans des conditions dificiles.
«Pouroucontrelatechnique»neveutpasdire«pouroucontrel’aidedespaysriches
auxpayspauvres»,maisréinterrogeplutôtunsystèmesanslimitesquin’offreaucune
certitude quant à l’aspect réellement positif des nouvelles techniques qu’il apporte. Les
programmesdegestionconcertéenesontinalementquedessystèmesaméliorésd’aménagement qui surviennent comme solution temporaire avant qu’on ne conçoive une possibleaméliorationouunréajustement.Eneffet,lessystèmesscientiiques,enmodiiant
le rapport des hommes à leur environnement, deviennent vite inadaptés à cette nouvelle
situation sociale qui, une fois encore, aura besoin d’un autre programme capable de lui
apporter les réponses nécessaires. Ainsi, si le développement est le propre des sciences, il
s’agit de ne pas perdre de vue l’impact à plus long terme de ce qu’on nomme le progrès,
ainsi que de la place que l’on désire octroyer à l’environnement.
Erika TRINEL
Faculté des sciences économiques et sociales
Université de Lille 1
© 2011 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.
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