Lettre ibérique et ibérico-américaine n° 7

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La lettre ibérique et
ibérico-américaine
de l’IE2IA (CNRS, UMR 7318)
Bulletin d’information
trimestriel
Mot du directeur
N° 7 – septembre 2015
iche et éclectique, c’est bien ce qui caractérise ce numéro de la Lettre ibérique.
L’édito est consacré à l’affaire dite de « la pilule du lendemain » à propos d’un
pharmacien refusant d’en délivrer, et à l’occasion de laquelle le Tribunal constitutionnel a
encore rendu un arrêt faisant polémique tant il est vrai qu’on peut percevoir dans la
solution retenue par le juge constitutionnel une posture quelque peu idéologique
s’accordant évidemment très mal à son office. La suite est tout aussi intéressante. Elle
commence d’abord par un panel assez fourni de vie politique, avec la confusion des
genres (élections/référendum) qui peut être observée à l’occasion des élections des
Parlements autonomes en Catalogne et aux Canaries et la problématique du respect de la
Constitution qui en découle ; les pérégrinations du parti Podemos mis en échec à Madrid
et à Barcelone après une apparition et un développement fulgurants ; les visas « dorés »
accordés par le Portugal pour renflouer ses caisses (et provoquer un flot de critiques
devant les affaires de corruption qui se multiplient à cette occasion) ; les suites du dégel
entre les Etats-Unis et Cuba (pourvu que ça dure !) ; et un bilan des élections fédérales et
locales au Mexique avec leurs lots de bonnes et mauvaises surprises. Ensuite, au titre de
la justice constitutionnelle, il sera question de la modification de la loi organique relative
au Tribunal constitutionnel destinée à mieux assurer l’autorité et l’exécution des ses
décisions (ce qui, parfois, n’est en effet pas une mince affaire !) et de l’actualité du
Tribunal constitutionnel portugais, trop méconnue malgré sa densité. Cette tournée
d’horizon sera conclue par la présentation du processus de paix en Colombie qui est
actuellement à l’œuvre et dont on peut espérer qu’il aboutira enfin à la garantir.
Sommaire
Pilule du lendemain
 Vie politique et
institutionnelle
 Justice
constitutionnelle
 Droits
fondamentaux
La lettre ibérique et
ibérico-américaine
de l’Institut d'études
ibériques et ibéricoaméricaines - Droit et
politique comparés (IE2IA,
CNRS-UMR 7318)
UFR Droit, Economie et
Gestion - Avenue du
Doyen Poplawski - BP 1633
- 64016 PAU CEDEX
http://ie2ia.univ-pau.fr
Directeur de publication :
Olivier Lecucq
Rédacteur en chef :
Hubert Alcaraz
Rédacteurs :
Hubert Alcaraz, Emilien
Capdepon, Damien Connil,
Elie Guerrero, Olivier
Lecucq, Dimitri Löhrer,
Tania Vivas
Mise en page :
Claude Fournier
R
Bonne lecture! ◊ O.L.
Edito
« Pilule du lendemain versus conscience du pharmacien, ou comment le
Tribunal constitutionnel se met encore dans l’embarras
O
n le sait, le Tribunal constitutionnel espagnol est depuis un certain nombre
d’années la cible de critiques récurrentes, dénonçant une institution devenue
partisane, trop souvent tentée de défendre une position politique voire idéologique au
mépris du droit. Cette perception est sûrement sévère dans l’ensemble mais elle n’est pas
non plus complètement dénuée de fondement lorsque l’on se penche sur certaines
affaires, certes assez exceptionnelles, qui portent sur des domaines hautement sensibles
en Espagne, comme l’organisation territoriale et les identités locales ou comme les
problèmes de société ayant trait à la religion catholique et à l’idéologie qu’elle véhicule.
L’arrêt rendu le 6 juillet dernier sur le recours d’amparo n° 412-2012 relève à n’en pas
douter de cette dernière catégorie, et il ne contribuera certainement pas à faire taire la
critique.
La lettre ibérico-américaine N° 7 / sept. 2015
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En l’espèce, le juge constitutionnel avait à connaître de la constitutionnalité d’une
sanction (amende) prononcée à l’encontre d’un pharmacien de Séville qui avait refusé de
délivrer à une cliente une pilule du lendemain, plus exactement qui avait refusé de
disposer dans son officine d’un tel médicament (comme d’ailleurs de préservatifs : cf.
infra), alors que la réglementation lui imposait d’en détenir un stock minimum et donc
d’en vendre. Ce cas de figure, inconnu du juge jusqu’alors, posait deux problèmes
connexes. D’une part, savoir si l’objection de conscience invoquée par le pharmacien pour
justifier son refus peut être rattachée à la liberté idéologique reconnue par l’article 16.1
de la Constitution, et mérite dans l’affirmative une protection constitutionnelle comme il
en va pour tout droit fondamental. D’autre part, à supposer que ces prémices se vérifient,
déterminer jusqu’à quel point l’exercice de l’objection de conscience peut en l’occurrence
affecter le droit de la santé de la femme (« la santé sexuelle et reproductive » selon les
termes de l’arrêt).
Le droit des médecins de
refuser de pratiquer un
avortement relève de leur
liberté idéologique constitutionnellement protégée.
La prétendue « absence
d’unanimité » constitue une
appréciation
scientifique
entièrement
libre
et
subjective de l’arrêt (Adela
Asua Batarrita dans son vote
particulier).
Sur le premier point, le Tribunal ne semble pas avoir beaucoup tergiversé. Constatant
qu’il avait antérieurement admis que le droit des médecins de refuser de pratiquer un
avortement relevait de leur liberté idéologique constitutionnellement protégée et devait
par conséquent être prévu par la législation élaborée en la matière, il juge que le cas
d’espèce présente les mêmes caractéristiques et appelle par conséquent la même
réponse. En effet, selon lui, dans la mesure où il n’existe pas d’ « unanimité
scientifique concernant les effets abortifs possibles » de la pilule du lendemain, et qu’un
doute raisonnable peut ainsi être émis à cet égard, il faut admettre que, malgré leurs
« différences de nature qualitative et quantitative », les deux refus (de pratiquer
l’avortement et de délivrer une pilule du lendemain) poursuivent une même finalité et
ressortent d’une même collision avec la conception du droit à la vie retenue par
l’intéressé. L’objection de conscience du pharmacien à disposer et à délivrer la pilule du
lendemain relève par conséquent bien de la liberté idéologique.
Quant à la pondération de cet élément de la liberté idéologique avec le droit de la
femme de bénéficier des prestations pharmaceutiques prévues par la loi, en second lieu,
le Tribunal penche là encore dans le sens de l’intérêt du pharmacien. Ce dernier est inscrit
comme objecteur de conscience ce qui est un droit « d’importance » reconnu par l’ordre
des pharmaciens andalou. Surtout, l’officine dont il s’agit se situe au centre ville de Séville
et ne prive donc pas les personnes concernées de trouver à proximité d’autres
pharmacies prêtes à leur délivrer le médicament désiré.
En somme, le pharmacien étant parfaitement dans son droit, les femmes concernées
pouvant trouver à se soigner ailleurs, l’administration n’était pas constitutionnellement
fondée à sanctionner un tel comportement.
Le raisonnement se tient et puisque, au fond, il est basé sur le doute raisonnable des
effets abortifs de la pilule du lendemain, il explique également pourquoi le juge ne l’ait
plus suivi s’agissant du refus du même pharmacien de délivrer des préservatifs, l’absence
d’effet abortif même éventuel de ces derniers pouvant difficilement être niée. Mais ce
raisonnement comporte cependant quelques failles, plus ou moins visibles, qui peuvent
également donner à penser que le juge a été un peu trop sensible à la conception du droit
à la vie du pharmacien et qu’il n’est donc pas à l’abri de tout reproche. La lecture du vote
La lettre ibérico-américaine N° 7 / sept. 2015
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particulier émis par la vice-présidente Adela Asua Batarrita (à côté de deux autres votes
particuliers) est d’ailleurs à cet égard très éclairante.
Le
raisonnement
(du
Tribunal
constitutionnel)
comporte
cependant
quelques failles, plus ou
moins visibles, qui peuvent
également donner à penser
que le juge a été un peu trop
sensible à la conception du
droit à la vie du pharmacien
et qu’il n’est donc pas à
l’abri de tout reproche.
La divergence de Mme Adela Asua se manifeste dès les prémices du raisonnement
suivi dans l’arrêt. D’abord, contrairement à la majorité des magistrats, elle croit déceler
dans la doctrine antérieure du Tribunal une conception particulièrement restrictive de
rattachement de l’objection de conscience à la protection constitutionnelle de la liberté
idéologique, et que l’on se trouve par conséquent en présence d’un véritable revirement
jurisprudentiel. Et ses références à ladite jurisprudence antérieure sont suffisamment
nombreuses et étayées pour donner à croire que le Tribunal aurait été bienvenu de
justifier un peu plus et un peu mieux son positionnement. Ensuite, elle n’hésite pas à faire
part de sa perplexité au regard du parallèle opéré par le juge constitutionnel entre la
situation des médecins face à l’avortement et celle du pharmacien face à la pilule du
lendemain. Lorsque le Tribunal prétend « (ne pas) ignorer le manque d’unanimité
scientifique concernant les possibles effets abortifs de la pilule du lendemain », et de la
présence à cet égard d’un doute raisonnable, il ne s’appuie en effet sur aucune donnée ou
autres rapports d’expertise, laissant presque penser qu’il livre sa propre appréciation sur
l’état des connaissances scientifiques en ce domaine. Or, et plusieurs articles de presse
s’en sont également fait l’écho (v. par ex. El País, « Tres razones de conciencia para
esquivar la ley », édition du 15 juillet), les autorités sanitaires (par exemple l’Agence
Espagnole du Médicament dont le Tribunal semblerait d’ailleurs avoir eu les conclusions)
paraissent d’une même voix considérer que « la pilule du lendemain a pour finalité
d’éviter de tomber enceinte lorsque son administration intervient immédiatement après
la pratique de relations sexuelles, mais n’a pas pour effet de compromettre une gestation
déjà commencée ». Sans doute aurait-il été bon là encore que le Tribunal apporte
davantage de précisions sur l’état de la science qui l’a conduit à penser que l’éventuel
effet abortif de la pilule du lendemain n’était pas écarté. Enfin, ce qui n’a pas davantage
échappé à Mme Adela Asua, il est assez curieux que le Tribunal, contrairement à ses
habitudes, n’ait pas pris le soin d’évoquer la jurisprudence de la Cour européenne des
droits de l’Homme pourtant déjà assez fournie en la matière. Peut-être est-ce parce que
cette dernière ne semble vraiment pas réceptive à l’idée d’inclure l’objection de
conscience dans le champ de la liberté idéologique et que, dans ces conditions,
l’invocation de la jurisprudence européenne par le juge constitutionnel aurait desservi ses
desseins ?
Gardons-nous du procès d’intention, mais comme pourrait dire le juge de Strasbourg :
en l’espèce, les apparences ne plaident tout de même pas en faveur de l’impartialité du
juge ! ◊ O.L.
Vie politique et
institutionnelle
Badinages constitutionnels
Consultations populaires et respect de la Constitution
L
a légalité et le respect de la Constitution seraient-ils appréhendés distinctement sur
le continent et au large des côtes occidentales de l’Afrique ? C’est l’impression qui
naît de l’observation de la différence d’attitude entre la Catalogne et les Canaries que ces
dernières semaines ont mis en lumière. En effet, plusieurs livraisons de cette Lettre ont
La lettre ibérico-américaine N° 7 / sept. 2015
Art.
161.2
de
la
Constitution :
« Le
gouvernement
pourra
contester devant le Tribunal
constitutionnel
les
dispositions et les décisions
adoptées par les organes des
Communautés autonomes.
Le recours entraînera la
suspension de la disposition
ou de la décision contre
laquelle il est porté, mais le
Tribunal devra, s’il y a lieu, le
ratifier ou l’infirmer dans un
délai maximum de cinq
mois ».
Le problème n’est pas tant
celui de la qualification des
consultations souhaitées par
certaines
Communautés
autonomes que celui du
respect de la Constitution et
des décisions du Tribunal
constitutionnel.
Page 4
déjà exposé les évènements qui se déroulent dans la Communauté autonome de
Catalogne et le processus qui, selon les souverainistes, devrait la conduire à
l’indépendance. On se souvient, par exemple, que l’année dernière, le Tribunal
constitutionnel espagnol avait annulé la consultation référendaire du 9 novembre – plus
précisément la loi catalane du 19 septembre 2014 relative à l’organisation de la
consultation et le décret du 21 septembre de convocation des électeurs -, à la demande
du gouvernement espagnol (art. 161.2 de la Constitution). Organisée à l’initiative,
notamment, du président de la Communauté, Artur Mas, cette votation n’avait
finalement produit que peu de résultat politique. Profitant de la colère que la décision du
Tribunal constitutionnel et, avant elle, l’invalidation d’une importante partie du statut
d’autonomie catalan par ce même Tribunal en 2010, ont suscité, les partis
indépendantistes entendent exploiter les élections de la Communauté autonome le 27
septembre prochain pour faire de ce scrutin un plébiscite en faveur de l’indépendance.
C’est même, d’une certaine façon, pour le processus souverainiste, une aubaine au
moment où il souffre précisément d’un certain nombre de handicaps, qui vont de
désaccords entre les partis politiques indépendantistes à l’irruption de Podemos dans le
paysage politique catalan.
Un vote massif des électeurs en faveur de la liste indépendantiste devrait être
interprété comme un référendum d’autodétermination. De sorte que si cette liste
l’emporte, Artur Mas sera de nouveau désigné président de la Généralité, au moins pour
dix-huit mois, c'est-à-dire pour la période supposément nécessaire à l’organisation de
nouvelles élections visant à désigner le gouvernement de la Catalogne indépendante.
L’instrumentalisation est manifeste en ce sens que les élections du 27 septembre ne
posent pas la question d’une éventuelle sécession de la Catalogne mais sont simplement
relatives au renouvellement normal du Parlement de cette Communauté autonome. Il ne
s’agit en aucun cas d’un référendum pour décider de l’avenir institutionnel mais
d’élections parlementaires visant à désigner les organes de gouvernement autonomes
pour les quatre prochaines années. Il n’en demeure pas moins que la liste Junts per al Sí
(JS) prétend interpréter les résultats du 27 septembre comme s’il s’agissait d’un
référendum. Surgit alors une difficulté d’interprétation : quel résultat est susceptible de
manifester clairement le choix incontestable des électeurs catalans en faveur de la
sécession ? Selon les indépendantistes, l’obtention d’un minimum de 68 sièges au
Parlement de Catalogne, c'est-à-dire de la majorité absolue, serait suffisante. En toute
hypothèse, la démarche manque de clarté pour les électeurs, tous les partis en lice ne
partageant pas la même analyse de la nature et de l’objet de ces élections. Surtout, elle
constitue, en outre, une manière d’éviter de procéder à toute forme de bilan politique de
l’action menée depuis quatre ans par l’équipe sortante pour inviter les électeurs à se
concentrer sur ce que certains veulent faire apparaître comme essentiel : l’indépendance,
en dehors de la Constitution. Pourtant, même en cas de résultats réputés « positifs », rien
ne garantit que dans neuf ou dix-huit mois la Catalogne soit indépendante, encore moins
dans le respect de la loi et au terme d’un processus négocié. La tactique est à mettre au
crédit d’Artur Mas. Elle permet de dissimuler un constat consternant : face à la plus
grande crise économique que l’Espagne ait jamais connue, les préoccupations du
gouvernement catalan ont été quasi-exclusivement concentrées sur la promotion de
l’indépendance.
La lettre ibérico-américaine N° 7 / sept. 2015
Art. 9.1 de la Constitution :
« Les citoyens et les pouvoirs
publics sont soumis à la
Constitution et aux autres
normes
de
l’ordre
juridique ».
Art. 149.32 : « L’Etat jouit
d’une compétence exclusive
dans les matières suivantes :
(…)
l’autorisation
de
convoquer les électeurs à
des consultations populaires
par voie de référendum ».
Page 5
Pour sa part, le gouvernement des Canaries, à la différence de son homologue catalan,
a fait le choix de paralyser la consultation populaire relative aux prospections pétrolifères,
prévue initialement le 23 novembre 2014. La décision a été prise après que Madrid a fait
connaître son intention de former un recours contre cette convocation devant le Tribunal
constitutionnel. De ce point de vue, comme l’a montré l’exemple catalan, l’efficacité de
l’article 161. 2 de la Constitution, qui permet au gouvernement espagnol de saisir le
Tribunal constitutionnel pour qu’il examine la constitutionnalité des « dispositions et
décisions (resoluciones) adoptées par les organes des Communautés autonomes » n’est
plus à prouver, notamment parce que cette saisine entraîne la suspension automatique
de l’acte contesté. La différence d’attitude n’en est que plus remarquable : le
gouvernement des Canaries a pris une telle décision alors même la conformité à la
Constitution de la consultation ne fait pas de doute selon lui. Néanmoins, dans l’attente
de l’appréciation du Tribunal constitutionnel, il a fait le choix de paralyser la totalité du
processus, afin de garantir sa pleine validité. Selon le gouvernement de l’archipel, tant le
cadre normatif de la consultation que la question posée aux électeurs sont pleinement
constitutionnels, puisqu’ils se fondent sur la loi canarienne 5/2010 relative à la
participation citoyenne, qui n’a jamais fait l’objet de contestation. Par ailleurs, la
consultation ne masquerait pas un référendum, pas davantage que la recherche de
l’opinion des citoyens à propos de prospections autorisées par l’Etat espagnol mais une
simple prise de position à propos du « modèle environnemental et touristique de
l’archipel ». Bien que le Tribunal constitutionnel ait finalement, en juin 2015, jugé cette
consultation inconstitutionnelle, car consistant en réalité dans un référendum dont
l’organisation relève de la seule compétence de l’Etat espagnol, un abime paraît séparer
la démarche de l’archipel de la posture de la Généralité. Le respect de la Constitution est
en cause, alors même que la solution retenue à propos des Canaries, vaut également pour
les consultations relatives à la politique énergétique que s’apprêtaient à organiser la
Navarre, la Cantabrie et la Rioja. Il ne peut y avoir deux conceptions de la légalité et du
respect de la Constitution. De telles attitudes, respectueuses de la Constitution ou au
contraire bafouant la légalité, n’ont pas le même coût, tant d’un point de vue juridique
que social. ◊ H.A.
Podemos : voir Madrid et mourir ?
Y
15 mai 2011 : naissance du
mouvement des indignés de
la Puerta del Sol, baptisé
« mouvement du 15 mai ».
Ils dénoncent la mainmise
des banques sur l’économie
et une démocratie qui ne les
représente pas.
es, we can! C’est le slogan de campagne de Barack Obama qui avait inspiré, en
janvier 2014, le nom du nouveau parti d’ « ultra » gauche espagnol, Podemos. Et
comme une résonnance à son nom, il a montré qu’il pouvait parvenir au pouvoir en
quelques mois, un temps record pour une si jeune formation politique. En effet, le
mouvement de Pablo Iglesias Turrión, enregistré comme parti politique en mars 2014, se
plaçait en quatrième position au niveau national, lors des élections européennes deux
mois plus tard, obtenant 5 sièges au Parlement et récoltant pratiquement 8 % des voix.
Mais après un score si prometteur, Podemos ne comptait pas s’arrêter là ! Un an après
les élections au Parlement européen, le jeune parti politique se retrouvait ainsi en lice
pour les élections municipales de mai dernier. Dans la continuité de sa fulgurante
apparition au sein du paysage politique espagnol, il faut bien avouer que le bilan des
dernières élections a paru montrer que Podemos semble bien être un parti d’opposition
La lettre ibérico-américaine N° 7 / sept. 2015
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plus que crédible, mettant à mal le traditionnel bipartisme Partido Popular (droite) / PSOE
(gauche).
En effet, à l’issue du scrutin municipal de mai 2015, le mouvement citoyen, qui n’avait
présenté aucune liste mais avait décidé de soutenir des candidats de listes citoyennes
locales, a fini par remporter, de justesse, les communes de Madrid et Barcelone,
désormais incarnées par deux femmes.
Janvier 2014 : naissance du
mouvement
politique
Podemos,
issu
du
mouvement du 15 mai
Mai 2014 : élections au
Parlement
européen :
Podemos obtient 8 % des
voix et 5 sièges.
2014-2015 :
progression
spectaculaire
dans
les
sondages
d’opinion,
jusqu’aux
élections
municipales de mai 2015.
Ada Colau, activiste du mal-logement de 41 ans, et tête de liste de « Barcelona en
comú » s’est donc installée en juin à la mairie de Barcelone tandis que Manuela Carmena
(« Ahora Madrid »), 71 ans, ancienne avocate et membre du Tribunal Suprême espagnol,
prenait ses fonction à Madrid, après vingt-six ans de mandature du Partido Popular.
Mais toutes deux n’ont pu être investies qu’après d’âpres jeux d’alliances et de
coalitions, puisque le nombre de sièges remportés par leurs listes ne leur permettaient
pas d’obtenir une majorité absolue. A Barcelone, la liste d’Ada Colau a en effet obtenu 11
sièges contre 10 pour le parti CiU (centre droit nationaliste catalan), 5 pour le mouvement
populaire de centre droit Ciudadanos et 4 pour le PSC (parti socialiste catalan), l’obligeant
à une coalition avec le PSE et la gauche indépendante. Situation un peu plus difficile à
Madrid pour Mme Carmena, qui, arrivée juste derrière le Partido popular, n’a pu être
investie maire que grâce à une alliance avec le PSOE, arrivé 3ème.
A L’image de son cousin grec Syriza, Podemos semble ainsi s’être imposé en Espagne,
avec toutefois un bémol. Alors que la gauche radicale grecque subit actuellement un
revers politique, Podemos paraît dangereusement lui emboîter le pas. En effet, à
l’approche des élections générales de décembre prochain, Podemos connaît, depuis
juillet, une importante chute de popularité dans l’opinion publique. Les derniers sondages
montrent un bipartisme revenu au-dessus des 50 % d’opinions favorables, et des
intentions de vote en faveur de Podemos passant de 23,9 % en janvier à 15,7 % en juillet.
En cause, l’absence de prises de positions précises et d’un programme politique clair.
L’aventure Podemos pourrait-elle finalement s’arrêter à Madrid et Barcelone? ◊ E.G.
Visas dorés, lorsque le Portugal frôle avec le paradis fiscal pour renflouer ses
caisses
M
Le Portugal n’est pas le seul
Etat à se prêter au jeu des
visas dorés. Chypre, les PaysBas et l’Espagne ont
également recours à ce type
de pratique.
is en place par le gouvernement de Pedro Passos Coelho (centre-droit) en
octobre 2012, le dispositif des « visas dorés » permet à un ressortissant non
européen, en échange de l’achat d’un bien immobilier de plus de 500 000 euros, d’un
transfert de capitaux d’au moins un million d’euros dans le pays, ou de la création de dix
emplois, de se voir attribuer un visa donnant droit à un permis de résidence ouvrant
l’accès à tout l’espace Schengen.
Avec pour objectif de séduire les investisseurs et les entrepreneurs étrangers, ce
dispositif est présenté comme une aubaine pour un pays aux abois économiquement. Les
chiffres parlent d’ailleurs d’eux-mêmes ! Les visas ont généré des investissements de 1,46
milliard d’euros depuis leur mise en place, avec quelque 2 420 « visas dorés » accordés.
Adoubés par la troïka (Banque centrale européenne, Fonds monétaire international et
Commission européenne), les bailleurs de fonds du Portugal depuis que la crise
La lettre ibérico-américaine N° 7 / sept. 2015
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économique touche le pays, les visas dorés n’emportent toutefois pas l’adhésion.
Synonymes de « prostitution de la nationalité portugaise » pour certains, de tels visas
sont fermement condamnés par Joao Semedo. Selon le chef du Bloc de gauche, les visas
dorés n’ont d’autre finalité que de laver l’argent sale. De même, Joao Paulo Batalha,
directeur de Transparency Portugal, estime que ce dispositif, non seulement génère un
argent douteux, mais de surcroît se révèle improductif et inutile pour remédier à la
pauvreté et au chômage qui touche le pays. Pour preuve, sur les 772 permis de résidence
accordés lors des premiers mois de mise en place du dispositif seulement deux ont été
octroyés sur le fondement du critère de la création d’emplois.
En poste depuis 2011, Miguel
Macedo n’était certes pas
personnellement liés aux
affaires
de
corruption
résultant des visas dorés mais
trop de hauts fonctionnaires
proches de son ministère
étaient impliqués pour qu’il
sorte indemne de ce scandale
financier.
Les citoyens chinois sont les
principaux candidats aux visas
dorés, suivis des Brésiliens et
des Russes.
Pire, les « visas dorés » se trouvent à l’origine d’affaires de corruption avérées.
L’affaire Xiaodong Wang en est une illustration éclatante. Répertorié dans le fichier
Interpol pour fraude fiscale en Chine où il risque dix ans de prisons, ce citoyen chinois a
obtenu en juillet 2013 un passeport portugais en contrepartie du versement de plus d’un
demi-million d’euros à l’Etat portugais. Finalement arrêté en mars 2014, les autorités
portugaises se sont défendues de toute hypothèse de corruption au motif qu’il avait
obtenu son permis de résidence un mois avant qu’il ne soit répertorié dans le fichier
Interpol. Reste que les citoyens portugais ont vu d’un très mauvais œil cette affaire qui
leur donne le sentiment que le gouvernement vend leur pays au rabais.
De tels scandales ont d’ailleurs éclaboussé les hautes sphères de l’Etat et provoqué, en
novembre dernier, la démission du ministre de l’Intérieur Miguel Macedo. Démission
intervenue soixante-douze heures après l’arrestation, pour « corruption, trafic
d'influence, détournement de fonds et blanchiment de capitaux » liés à l'attribution des
« visas dorés », de onze personnes, dont le patron de la police des frontières, Manuel
Jarmela Palos, la secrétaire générale du ministère de la justice, Maria Antonia Anes, et le
directeur administratif des notaires, Antonio Figueiredo.
C’est en réaction à ces arrestations que le nouveau patron de la police des frontières a
pris la décision de suspendre, le 1er juillet dernier, l’octroi de ces permis de résidence.
Profitant du vide juridique laissé par l’abrogation des dispositions relatives aux « visas
dorés » sans les remplacer par d’autres, Antonio Beça Pereira a effectivement procédé au
gel de leur attribution.
Mais il n’aura pas fallu longtemps pour que le gouvernement rétablisse le dispositif. Le
jeudi 16 juillet 2015, un décret a effectivement réinstauré ces permis de résidence.
Mesure dont s’est félicité le porte-parole du gouvernement : « Ce serait lamentable que le
Portugal rate le coche des investissements au profit d’autres pays ».◊ D.L.
Si côté américain un assouplissement est attendu dans
le camp des républicains au
sujet de la levée de
l’embargo
économique,
compte tenu de l’opinion
favorable de deux tiers de la
population et de la Chambre
du commerce des Etats-Unis,
côté cubain, les négociations
s’annoncent complexes, dès
lors
que
l’ex-président
cubain, Fidel Castro, a
récemment insisté sur les
« nombreux millions de
dollars » que les Etats-Unis
devraient à Cuba en
compensation de l’embargo
imposé à l’île depuis 1962.
Les suites du dégel entre les Etats-Unis et Cuba
Réouverture officielle des ambassades et persistance de tensions
L
e lundi 20 juillet 2015 constituera, à n’en pas douter, une nouvelle date historique
dans le processus de normalisation des relations entre les Etats-Unis et Cuba. Pour
la première fois depuis janvier 1961, les deux Etats ont officiellement rouvert leurs
ambassades à La Havane et à Washington et, par la même occasion, affiché un peu plus
encore leur volonté de rapprochement exprimée en décembre 2014. Annoncée le 30 juin
dernier dans le cadre d’un accord, cette réouverture constitue en effet un pas en avant
supplémentaire dans le rétablissement des relations diplomatiques entre les deux pays
après 54 ans de rupture.
En attestent les personnalités politiques cubaines et américaines d’envergure qui se
sont respectivement rendues sur le territoire des Etats-Unis et de Cuba pour cette
La lettre ibérico-américaine N° 7 / sept. 2015
Les premières traces de
l’occupation américaine de
Guantanamo remontent à
1989, lors du conflit entre les
indépendantistes cubains,
soutenus par les Etats-Unis,
et les colons espagnols. A
l’issue du conflit, Cuba
devient
un
protectorat
américain et les Etats-Unis
gardent
la
main
sur
Guantanamo. Un traité
américano-cubain, signé en
1903, accorde ainsi à
Washington un bail à
perpétuité sur le territoire,
où est installée en 2002 la
base militaire du même
nom. En 1934, le statut de
concession
territoriale
américaine de Guantanamo
est réaffirmé par traité. Le
bail est alors fixé à 4085
dollars par an et le statut ne
peut être remis en cause que
par accord des deux parties.
En 1959, l’arrivée au pouvoir
de Fidel Castro marque la fin
de la domination de
Washington sur l’île et le
régime castriste n’a depuis
cessé de demander la
restitution du territoire de
Guantanamo au motif de
l’illégalité du traité au regard
du droit international. Aucun
des
chèques
du
gouvernement américain n’a
d’ailleurs été encaissé par
Cuba depuis cette date.
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occasion. A Washington, une importante délégation, emmenée par le ministre cubain des
Affaires étrangères, Bruno Rodriguez, a célébré la réouverture en déployant le même
drapeau qui avait été abaissé en 1961. Il s’agit là de la première visite d’un chef de la
diplomatie cubaine depuis 1959. Côté américain, ce n’est ni plus ni moins que le
secrétaire d’Etat John Kerry qui a fait le déplacement au sein de la capitale de la plus
grande île des Caraïbes le 14 août dernier. Le sol cubain n’avait pas été foulé par un
secrétaire d’Etat américain depuis 1945 et, pour marquer un peu plus encore l’Histoire, ce
sont Jim Tracy, F.W. Mike East et Larry C. Morris en personnes, les trois marines qui
avaient abaissé le drapeau flottant au fronton de la chancellerie en 1961, qui ont hissé la
bannière étoilée.
Aussi historiques soient-ils, ces derniers évènements ne sauraient masquer la
persistance de sérieuses divergences entre les deux Etats. Outre que la levée de
l’embargo demeure toujours aussi incertaine compte tenu, d’une part, de l’hostilité de la
majorité républicaine au Congrès et, d’autre part, des exigences de La Havane sur cette
question, de nombreux sujets de discorde demeurent à l’ordre du jour. John Kerry luimême, s’il s’est félicité du « début de cette nouvelle relation avec le peuple et le
gouvernement de Cuba », n’a pas manqué de souligner en ce sens que ce rapprochement
ne signifie « pas la fin des nombreuses différences qui séparent toujours nos
gouvernements ».
Parmi les points de divergences, le sujet de la base navale de Guantanamo occupe le
premier plan. Tandis que les Cubains revendiquent la restitution du territoire illégalement
occupé par les Etats-Unis, les dirigeants américains estiment que le dossier n’est à ce jour
pas ouvert à la discussion. John Kerry a effectivement fait savoir que pour le moment il n’y
a aucune intention de la part des Etats-Unis de restituer Guantanamo Bay, qui abrite la
prison du même nom. Certes, Barack Obama semble plutôt enclin à fermer la prison,
mais, sur ce point également, la Maison Blanche rencontre l’opposition des républicains
majoritaires au Congrès.
A ce premier sujet de discorde s’en ajoutent de nombreux autres, tels que les milliards
de dollars d’indemnisation réclamés par les Américains expropriés de Cuba à la
révolution, l’extradition des fugitifs réfugiés à Cuba et recherchés par la justice
américaine, la crainte des dissidents cubains de perdre le soutien des Etats-Unis une fois
les deux pays complètement réconciliés, ou encore la problématique de la protection des
droits de l'homme. Les deux pays reconnaissent d’ailleurs volontiers que leur conception
de la démocratie et des droits fondamentaux n’est pas la même. Washington se targue
que les droits de l’homme à Cuba sont la priorité, mais lorsque John Kerry parle de liberté
d’expression à Cuba, Bruno Rodriguez rétorque sur le terrain de la discrimination raciale
aux Etats-Unis.
Tout ceci laisse présager que la normalisation des conduites entre les deux Etats
promet d’être « longue et complexe », pour reprendre les mots du secrétaire d’Etat John
Kerry. ◊ D.L.
La lettre ibérico-américaine N° 7 / sept. 2015
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Elections mexicaines
Recompositions ou confirmation ?
Les élections législatives
mexicaines
se
sont
déroulées le 7 juin 2015
pour élire 500 députés
fédéraux à la Chambre des
députés.
Ce sont les premières
élections organisées et
contrôlées par l’Institut
national
électoral
qui
remplace l’Institut fédéral
électoral à la suite des
réformes constitutionnelles
de 2014.
Ces élections de mi-mandat
constituaient un test pour
le président Nieto et son
parti, confrontés à une
série de violences et de
scandales politiques.
Ces élections concernaient
également 9 postes de
gouverneurs, 16 congrès
d’Etats fédérés et 2 179
représentations locales.
Les élections législatives
sont marquées par la
violence et la mort de 6
candidats.
Certains
mouvements appellent au
boycott des élections, en
particulier les enseignants
à la suite de la disparition
des 43 étudiants d’Iguala.
Le Président Peña Nieto, et
son parti le PRI, ont
remporté les élections
fédérales avec près de 30 %
des suffrages.
Appelés à se rendre aux urnes à l’occasion des élections fédérales et locales, les
citoyens mexicains ont renouvelé les 500 sièges de l’assemblée législative nationale, et
pas moins de 9 postes de gouverneurs, 16 congrès étatiques, et 2 179 représentations
locales. Intervenant à mi-parcours du mandat présidentiel d’Enrique Pena Nieto élu en
2012, c’est dans un climat préélectoral délétère que ces dernières ont eu lieu. Entre
grandes tensions politiques et sociales et défiance envers les autorités du pays, elles ont
été marquées par les assassinats de candidats et de personnalités politiques de tous
bords, la guerre des cartels, les affrontements entre milices d’auto-défense, et autres
scandales de corruption en tout genre, le tout dans un contexte économique
particulièrement mauvais. Pour autant, et aussi surprenant cela soit-il, les élections se
sont, dans l’ensemble, déroulées dans le calme (la « loi sèche » prohibant l’achat et la
vente d’alcool durant les week-ends électoraux y aidant peut être), comme l’a elle-même
indiqué la mission d’observation de l’OEA (Organisation des Etats américains). Seuls
certains incidents ont pu être enregistrés, notamment dans l’Etat du Oaxaca où des
personnes ont été interpelées et accusées d’avoir détruit du matériel électoral, ou dans
l’Etat du Guerrero, où avait été lancé un appel au boycott par les parents des 43 étudiants
d’Ayotzinapa disparus en septembre dernier.
Qu’en est-il des résultats ? Bien que souffrant d’une impopularité historique, le
Président de la République Enrique Peña Nieto et son parti le PRI (Partido Revolucionario
Institucional) ont remporté les élections fédérales avec près de 30 % des suffrages.
Plombé par son inertie face aux évènements d’Iguala, par les nombreuses affaires de
corruptions et scandales politiques (cas de la fameuse maison blanche d’Enrique Peña
Nieto, entre autres), par la violence qui gangrène le pays, ou encore par la mauvaise
situation économique, le Président, ainsi que son parti, n’ont pas reçu de sanctions
particulières de la part des électeurs. Si le PRI perd 4 points par rapport aux précédentes
élections et ne dispose que de 203 sièges à l’Assemblée, il peut cependant compter sur
son allié pour garder la majorité et conserver un certain contrôle. Le Partido Verde, dont
beaucoup considèrent qu’il n’est qu’une mascarade au service du PRI, remporte environ
7 % des voix et 47 sièges après une campagne très agressive et illégale. Le PAN (Partido
Acción Nacional) quant à lui, sort deuxième de ces élections avec 21 % de votes et 109
sièges. Seul parti ayant réussi à provoquer douze ans d’alternance (2000-2012) sur un
siècle de gouvernance du PRI, il confirme sa place de deuxième force politique du pays.
Bien que surprenante, vue de l’intérieur, cette victoire de la droite néolibérale est en
réalité assez logique, et cela pour deux raisons. Elle s’explique, d’une part, par l’ancrage
solide dont dispose le PRI au sein du paysage politique, parti historique issu de la
Révolution mexicaine. A la tête du pays depuis près d’un siècle, il est le seul à disposer
d’une véritable expérience du pouvoir et à en connaître les rouages. Cette victoire
s’explique, d’autre part, par le manque de cohésion au sein de la gauche mexicaine.
Totalisant pourtant 28 % des voix, celle-ci apparaît aujourd'hui bien trop divisée. A l’image
du PRD, « grand perdant » de ces élections, qui ne peut plus prétendre pour l’instant
proposer une alternance sérieuse. Pourtant, tout proche de remporter les élections
La lettre ibérico-américaine N° 7 / sept. 2015
Page 10
présidentielles en 2006, le plus important des partis de gauche arrive désormais troisième
avec seulement 10,87 % des suffrages, passant de 99 sièges à 56 à l’Assemblée. Certes, il
reste fortement discrédité par le drame d’Iguala : le maire de cette ville et sa femme,
accusés d’avoir commandité l’enlèvement et l’assassinat de 49 personnes dont 43
étudiants, étaient tous deux membres de ce parti. Mais ce sont surtout ses propres
divisions et discordances internes qui l’empêchent de se présenter comme un réel
concurrent pour le PRI et le PAN. Reste le cas assez intéressant du parti MORENA. Créé en
2014, ce parti issu d’une scission avec le PRD participait à ses premières élections.
Obtenant 8,39 % des voix, il a ainsi remporté 35 sièges à l’Assemblée, score
impressionnant pour une première participation.
Enrique Peña Nieto est
président du Mexique
depuis le 1er décembre
2012.
Il
avait
été
précédemment gouverneur
de l’Etat de Mexico du 16
septembre 2005 au 15
décembre 2011.
Dès la campagne pour les
élections présidentielles de
2012, a été mis en évidence
et dénoncé l’achat de votes
par
le
PRI
(Partido
Revolucionario
Institucional) de Peña Nieto.
Le PAN (Partido Acción
Nacional - conservateur)
sort deuxième des élections
législatives avec 21% de
vote et 109 sièges.
Le PRI conserve la majorité
grâce au soutien du Partido
Verde,
qui
remporte
environ 7% des voix et 47
sièges après une campagne
très agressive.
Nombreux sont alors ceux, à l’image de la presse internationale, qui ont vu dans ces
élections un rejet des partis traditionnels, notamment au regard des élections locales. Ces
dernières ont été marquées par la première participation de candidats indépendants,
rendue possible par la réforme constitutionnelle de 2012. Six candidats sur 120 l’ont
emporté, ce qui peut paraître peu ; toutefois, il ne faut pas oublier que ces derniers ne
disposent pas de la même couverture médiatique que les partis politiques. A ce titre,
l’élection de Jaime « El Bronco » Rodriguez, comme premier gouverneur indépendant du
Mexique (Etat de Nuevo León), n’a pas manqué de faire parler d’elle, même si celui-ci
reste une personnalité connue ayant longtemps été membre du PRI.
MORENA quant à lui vient confirmer son score en remportant également la ville de
Mexico, aux mains du PRD depuis longtemps, avec environ 23 % des votes.
Pour autant, il est trop tôt pour affirmer avec certitude le rejet des trois principaux
partis mexicains, même si il est clair qu’une partie de la population semble s’en éloigner.
D’un point de vue plus juridique maintenant, ces élections étaient les premières pour
le nouvel Instituto Nacional Electoral (auparavant Instituto Federal Electoral), créé par la
réforme constitutionnelle du 10 février 2014. Sorte d’autorité électorale « suprême »
chargée de l’intégralité du processus électoral, lui est également confiée la remise des
financements publics aux partis politiques, la répartition du temps d’accès aux différents
médias et moyens de communications, dont il doit garantir l’accès aux candidats
indépendants. Il dispose aussi d’un pouvoir de sanction, qu’il partage avec le tribunal
électoral, ce qui lui permet d’assurer le respect des règles de campagne. Pour autant, la
situation du Partido Verde n’a pas manqué de susciter des critiques sévères à propos de
l’INE, de son indépendance et de sa véritable efficacité. Au mépris des règles en matière
de campagne électorale, cet allié du PRI avait effectivement commencé sa campagne en
septembre 2014 au lieu de mars 2015 ! Le parti, supposément écologiste, avait alors
inondé le pays de spots publicitaires, d’affiches et d’autocollants. De nombreux cadeaux
avaient également été offerts à la population, tels des sacs à dos, des vêtements ou des
casquettes, tous à l’effigie du Partido Verde.
Les demandes de retrait des annonces publicitaires, ou encore le montant record des
amendes attribuées (500 millions de pesos, soit 30 millions d’euros, le troisième plus gros
montant dans l’histoire des élections mexicaines), n’y ont rien changé et la stratégie a
fonctionné, permettant de doubler le nombre de sièges à l’assemblée. En dépit de ces
innombrables violations de la loi, et malgré les plaintes et pétitions, ni l’INE, ni le Tribunal
La lettre ibérico-américaine N° 7 / sept. 2015
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électoral, n’ont décidé de retirer le Partido Verde du registre des partis politiques. Au
contraire, celui-ci semble avoir été « pardonné ». Ainsi, on peut légitimement s’interroger
sur l’indépendance de l’INE, surtout lorsque l’on sait que l’institut est notamment en
charge de la redistribution des financements publics, ou de la répartition du temps de
parole sur les chaînes de télévision et de radio. Mais, au-delà même des éventuels
soupçons quant à son indépendance, la question demeure celle de l’efficacité de cet
institut, chargé du contrôle du bon déroulement des élections et leur organisation.
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, malgré son impopularité, le Président Peña
Nieto retrouve avec ces élections une certaine légitimité. Si celle-ci sera probablement de
courte durée (les scandales continuant de s’accumuler, le dernier en date, au début du
mois de septembre, met en cause la version officielle concernant la disparition des 43
étudiants d’Ayotzinapa), il pourra compter sur une majorité à l’Assemblée pour terminer
son mandat. Ces élections témoignent même d’un certain regain d’intérêt pour la
politique. En effet, le taux de participation, plus élevé qu’aux précédentes élections, a
atteint au niveau national 48 %. Si les résultats restent, pour partie, représentatifs, il
convient de les observer avec prudence car, dans un pays où politique et corruption sont
étroitement liées, l’achat de votes, en pleine rue, le jour même de l’élection fait
désormais l’objet d’une pratique quasiment institutionnalisée. ◊ E.C.
Justice
constitutionnelle
Art.
164.1
de
la
Constitution :
« Les
jugements
du
Tribunal
cons tu onnel (…) ont la
force de la chose jugée à
partir du jour qui suit leur
publication et il n’est pas
possible de former un
recours contre eux. Ceux qui
déclarent inconstitutionnelle
une loi ou une norme ayant
force de loi et tous ceux qui
ne se limitent pas à
l’es ma on subjec ve d’un
droit
sont
pleinement
opposables à tous ».
Au secours du Tribunal constitutionnel
L
’initiative du Partido Popular (PP), au pouvoir en Espagne, de modifier la loi
organique 2/1979, du 3 octobre, relative au Tribunal constitutionnel (LOTC) fait,
depuis quelques jours, grand bruit. Engagée sans l’accord du principal parti d’opposition,
le Parti socialiste (PSOE), elle apparaît comme la réponse aux nombreux rebondissements
liés à la volonté affichée par plusieurs Communautés autonomes d’engager des
consultations des électeurs à l’échelle de leur territoire et, surtout, à la volonté des
responsables politiques catalans de ne pas respecter les décisions du juge constitutionnel
espagnol en la matière. En effet, le parti majoritaire propose la modification de la LOTC
afin d’assurer un meilleur respect des décisions du Tribunal constitutionnel, consolidant
ainsi la garantie de l’Etat de droit. Ainsi, selon le ministre de la justice, Rafael Catalá, cette
réforme viserait à « renforcer les capacités du Tribunal constitutionnel à rendre ses
décisions exécutoires ». Quant aux associations de magistrats et de membres du ministère
public, elles soulignent, pour certaines, la nécessité de modifier la LOTC pour établir
« clairement » que ses décisions ont force exécutoire et qu’elles doivent être respectées.
Les partis d’opposition, quant à eux, Parti socialiste en tête, s’opposent très fermement
au projet. La situation, préoccupante, apparaît comme un comble dans un Etat de droit tel
que l’Espagne qui, depuis 1978, comporte dans sa Constitution un article 164.1 qui
dispose que « Les jugements du Tribunal constitutionnel (…) ont la force de la chose jugée
à par r du jour qui suit leur publica on et il n’est pas possible de former un recours contre
eux. Ceux qui déclarent incons tu onnelle une loi ou une norme ayant force de loi et tous
ceux qui ne se limitent pas à l’es ma on subjec ve d’un droit sont pleinement opposables
à tous ».
La lettre ibérico-américaine N° 7 / sept. 2015
Page 12
La vice-présidente du gouvernement affirmait, pourtant, lors d’une conférence de
presse improvisée le 2 septembre, sans doute pour répliquer aux provocations du
président catalan Artur Mas, que cette réforme « va être adoptée ». Elle en a profité pour
regretter que le parti socialiste s’oppose à cette initiative qui devrait donner au Tribunal
constitutionnel le pouvoir de suspendre de leurs fonctions les responsables publics qui
n’exécuteraient pas ses arrêts. Elle devrait être examinée par le Congrès en urgence et
pourrait être adoptée au début du mois d’octobre par le Sénat, en même temps que la loi
de finances. Même s’il se dit ouvert aux propositions des autres groupes parlementaires,
le gouvernement a fait savoir qu’il avait l’intention de mener à bien ce projet avant la fin
de la législature, dans à peine un peu plus d’un mois ; si nécessaire, le PP mènera le projet
jusqu’à son terme seul puisqu’il dispose de la majorité absolue dans les deux chambres. Le
moins que l’on puisse dire est que les conséquences néfastes de l’attitude des
indépendantistes catalans, en particulier après la « consultation » du 9 novembre 2014,
n’ont pas fini de diffuser leurs effets nauséabonds ! ◊ H.A.
Actualité du Tribunal constitutionnel portugais
L
« São inconstitucionais as
normas que infrinjam o
disposto na Constituição ou
os
princípios
nela
consignados » (Art. 277.1 de
la Constitution portugaise).
Lei nº28/82, de 15 de
Novembro, Lei Orgânica do
Tribunal Constitucional.
Président
du
Tribunal
constitutionnel portugais :
Joaquim José Coelho de
Sousa Ribeiro.
a composition du Tribunal constitutionnel portugais a récemment été modifiée. En
juin dernier, José António Pires Teles Pereira, magistrat de formation, a pris ses
fonctions après sa désignation par l’Assemblée de la République. Il remplace José da
Cunha Barbosa, démissionnaire. Cette nomination intervient après celle du Professeur
João Pedro Barrosa Caupers, en mars 2014. Spécialiste de droit administratif et science
administrative, ce dernier avait, quant à lui, été désigné par les 10 membres du Tribunal
nommés sur proposition de l’Assemblée de la République, pour remplacer Maria João
Antunes, arrivée au terme de son mandat.
Parmi les décisions récentes du Tribunal constitutionnel portugais, signalons celle du
27 juillet 2015 (377/2015) par laquelle la Haute juridiction s’est prononcée sur la
constitutionnalité d’une nouvelle incrimination pénale (« l’enrichissement injustifié »). Le
Tribunal censure le texte en estimant qu’il contrevient au principe de légalité des délits et
des peines, au principe de nécessité des peines ainsi qu’à la présomption d’innocence.
Signalons également la décision du 5 mai 2015 (260/2015) qui a conduit le Tribunal à
contrôler la constitutionnalité de dispositions relatives au régime juridique des
entreprises du secteur public au regard, notamment, des principes de confiance légitime
et sécurité juridique, du droit à la négociation collective et du principe d’égalité. Signalons
encore plusieurs décisions rendues au titre des compétences que le Tribunal détient à
l’égard des partis politiques (notamment en ce qui concerne l’enregistrement des partis –
331/2015 et 370/2015 – ou des coalitions formées en vue des élections qui auront lieu en
octobre, décisions n°374/2015, 375/2015, 376/2015).
Par ailleurs, le Tribunal a publié son rapport d’activité pour l’année 2014. Au cours de
l’année, la juridiction constitutionnelle a rendu 1 738 décisions dont 890 arrêts
(acórdãos). Parmi ces derniers, 813 arrêts ont été rendus dans le cadre du contrôle
concret de constitutionnalité, 23 en matière de contrôle abstrait a posteriori et 5 dans le
cadre du contrôle abstrait a priori (dont l’un – 176/2014 – concernait la proposition
d’organisation d’un référendum national sur le droit à l’adoption pour les couples
La lettre ibérico-américaine N° 7 / sept. 2015
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homosexuels). Les autres arrêts rendus relèvent des compétences reconnues au Tribunal
à l’égard des partis politiques. ◊ D.C.
Droits
fondamentaux
La création des principaux
groupes de guérilla encore
actifs –les FARC, Fuerzas
Aramadas Revolucionarias
de Colombia et l’ILN, Ejército
de Liberación Nacionalremonte aux années 195060.
En 2012, le Président Juan
Manuel Santos annonce que
son gouvernement et les
FARC ont signé un accordcadre qui établit une feuille
de route en vue des
négociations de paix.
Les négociations de paix ont
débuté en octobre 2012 à
Oslo, les discussions se
poursuivant ensuite à La
Havane.
En 2013, les FARC déclarent
vouloir abandonner les
séquestrations. Cependant,
elles continuent de prendre
en otages des membres des
forces armées et des
travailleurs du m ilieu minier
et pétrolier.
Sur le processus de paix en Colombie
T
rois ans après le début du processus de négociation de paix avec les FARCS, dans le
cadre des négociations établies à la Havane, et la signature de l’Accord Général
pour la finalisation de conflit armé le 26 août 2012, il semble bien que le dialogue ait
échoué. A cet égard, la décision de négocier la paix sans interrompre les opérations
militaires a, sans doute, rendu plus difficile la conclusion d’un accord. Les principes du
déroulement du processus de paix étaient précis : pas de défrichage de territoire, non
plus que de cessez-le-feu, déroulement des négociations en dehors du pays, discrétion et
sérieux des négociations, le tout pendant un temps limité. Par ailleurs, il était prévu que
ces négociations se déroulent conformément à une triple consigne : tout d’abord, la
discussion devait être unique, selon la règle « rien n’est accordé jusqu’à que tout soit
accordé » ; ensuite, les accords devaient être validés par référendum tandis, qu’enfin, un
contenu leur était imposé, puisqu’ils devaient porter sur six points : la politique agraire, la
participation en politique, la fin du conflit, la politique anti drogue, le statut des victimes
et la mise en œuvre, vérification et ratification desdits accords.
Après trois ans de négociation, trois points avaient fait l’objet d’une entente (politique
agraire, participation en politique, politique anti drogues). En ce qui concerne la politique
agraire, un accord est intervenu sur la création d’un fonds pour la distribution gratuite de
terrains, la création d’une juridiction agraire effective et des changements du système
fiscal applicable à la propriété des terres agricoles, mais aussi à propos de la mise en place
de programmes de développement pour les territoires les plus touchés par le conflit, et le
renforcement des marchés locaux et régionaux afin de lutter contre la famine.
En matière de participation, essentielle dans la mesure où l’exclusion politique fut
l’une des origines de la création des FARCS, une ouverture démocratique était acquise,
garantissant en particulier le statut politique de l’opposition, l’adoption de garanties de la
promotion de la participation de la citoyenneté, le renforcement des mesures
promouvant la transparence des processus électoraux, ainsi que la révision intégrale des
régimes de scrutin. Quant à la politique anti drogue, certains points paraissent acquis.
Ainsi, face aux cultures illicites, des programmes de substitution volontaire de cultures,
liés au programme de décontamination du territoire en matière de mines anti
personnelles, ont été prévus, alors qu’en vue de faire face à la consommation de drogues
illicites, des actions de suivi social ont été imaginées. Enfin, l’intensification de la lutte anti
drogues, demeure à l’ordre du jour, aussi bien via la lutte contre les organisations
criminelles, que par le biais de la promotion d’une conférence internationale d’évaluation
de cette politique dans le cadre de l’Organisation des nations unies.
Les autres points de l’agenda, peut-être les plus problématiques, paraissent engagés
sur la voie d’un accord et il est d’ores et déjà possible de noter certaines avancées. De ce
point de vue, la fin du conflit est fermement liée au programme de nettoyage et de
décontamination du territoire ; toutefois, l’absence de cessez-le-feu rend les négociations
La lettre ibérico-américaine N° 7 / sept. 2015
L’Accord Général pour la fin
du conflit et la construction
d’une paix stable et durable,
conclu en 2012, prévoit les
points de négociations sur la
politique de développement
rural,
la
participation
politique, la fin du conflit
armé, des programmes de
prévention de la production
et de la consommation de
drogues et le sort des
victimes.
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particulièrement délicates. En outre, la situation des victimes, dans un premier temps
ignorée, grâce à la médiation d’ONG, nationales et internationales, ainsi que d’agences de
l’ONU, a connu des améliorations, les victimes participant aux négociations à Cuba.
Aujourd’hui, il est clair que les accords doivent protéger, réparer et garantir leur droit à la
vérité, et depuis le 24 juin 2015, la création d’une Commission pour la recherche de la
vérité, la cohabitation et l’absence de récidive, est prévue.
Finalement, quant à la ratification des accords par le peuple colombien, aucune
solution claire n’est à ce jour établie, puisque le président Santos a, d’abord, parlé d’un
référendum, avant que le gouvernement, craignant un rejet populaire, ne propose la
désignation d’une sorte d’assemblée constituante, permettant également une réforme de
la Constitution de 1991. Si certains secteurs de la société colombienne sont effectivement
prêts à la fin du conflit, la fragilité des accords demeure tout à fait réelle. ◊ T.V.
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