abrogation unilatérale. L’Acte des territoires du Nord-Ouest était considéré comme une
loi ordinaire, et ses dispositions linguistiques étaient modifiables, semble-t-il, par le vote
d’un seul parlement, normalement celui qui les avait adoptées. L’Acte de l’Alberta, par
contre, était considéré comme une loi constitutionnelle, et ses dispositions linguistiques
auraient été modifiables, vraisemblablement, par l’accord de deux parlements, ceux de
l’Alberta et du Canada.
La Société Saint-Jean Baptiste d’Edmonton, le prédécesseur de l’ACFA régionale
d’Edmonton, a adopté une résolution implorant le gouvernement fédéral à insérer une
disposition sur le bilinguisme officiel dans l’Acte de l’Alberta. L’opposition officielle à
la Chambre des communes, et plus spécifiquement, le député conservateur et professeur
de droit constitutionnel, Frederick Monk, a même proposé un amendement au projet de
loi afin de constitutionnaliser le bilinguisme albertain.
Mais le premier ministre Laurier est resté implacable. En réponse à la Société Saint-Jean
Baptiste d’Edmonton, dans une lettre confidentielle adressée à Antonio Prince, ancien
député territorial de Saint-Albert, il a déclaré : « La question des écoles est déjà assez
embarrassante pour le gouvernement sans qu’elle soit compliquée par nos amis d’une
autre question tout aussi difficile et dont le règlement dans le sens que vous le voudriez
est absolument impossible ».
En réaction à l’opposition officielle, dans une intervention à la Chambre des communes
pour s’opposer à la proposition d’amendement, il a affirmé : « Je ne reconnais pas au
Parlement le droit d’imposer la langue française aux nouvelles provinces… Le
Parlement peut tout faire, mais je déplorerai le jour où les Canadiens-Français
demanderont au Parlement de faire une chose qu’il aura le pouvoir de faire sans en
avoir eu le droit » (p 8785-8786). Le parlement n’en avait pas le droit parce que, selon
Laurier, l’autonomie de la province devrait primer sur la protection de la minorité. En
outre, contrairement à la situation en 1877 lors de l’adoption de l’article 110, la
population anglophone était maintenant majoritaire. Alors, c’était normal, toujours selon
Laurier, que cette population majoritaire impose sa langue, la langue anglaise. D’où sa
conclusion : « je dis qu’on ne peut pas réclamer au nom de la justice l’usage officiel de la
langue française » (p. 8782).
3. SUPPRESSION DU FRANÇAIS
Nous en connaissons la suite. Formellement, le gouvernement de l’Alberta n’a abrogé
l’article 110 qu’en 1988, et cela, par l’adoption d’une Loi linguistique affirmant que :
« L’article 110 de l’Acte des Territoires du Nord-Ouest, chapitre 50 des lois révisées du
Canada, 1886, en sa version du 1er septembre 1905, ne s’applique pas à l’Alberta pour
ce qui est des matières relevant de la compétence législative de celle-ci » (art. 7). Dans
la pratique toutefois, le gouvernement de l’Alberta l’avait supprimé dès 1905, et cela, par
le refus de reconnaître son existence et d’appliquer ses dispositions.
Premièrement, le gouvernement de l’Alberta a promulgué toutes ses lois uniquement en
anglais. La seule exception était la Loi linguistique, qu’il a dû adopter en anglais et en
français, afin d’assurer que l’abrogation de l’article 110 se faisait en bonne et due forme.